Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 28 juin 2010

lundi 28 juin 2010

Ne touche pas à ma FFF

Décidément, chaque coupe du monde me donne l’occasion de faire un billet juridique sur le ballon rond. Après le célèbre coup de tête, voici à présent l’ingérence gouvernementale dans les affaires du football, qui va contraindre le gouvernement à un spectaculaire rétropédalage.

Le contexte est connu. L’équipe de France de football a fait une Coupe du monde calamiteuse et vu l’importance médiatique mondiale de l’événement, le monde politique ne peut y rester indifférent, sous peine de recevoir sa part de la colère de l’opinion publique. Mieux vaut se ranger derrière le peuple et crier avec lui.

Le tête de l’entraîneur est déjà tombée toute seule puisque son mandat a expiré. Les joueurs portent leur part de responsabilité, mais ils sont plus difficilement touchables du fait de leur statut de stars et qu’on a besoin d’eux pour se qualifier pour l’Euro 2012 qui se tiendra en Ukraine et en Pologne, et dont les éliminatoires commencent dès septembre prochain avec un match contre la Biélorussie.

Reste le responsable idéal : le président de la Fédération Française de Football (FFF), jean-Pierre Escalettes, qui a joué un rôle déterminant dans la nomination de l’entraîneur Raymond Domenech en 2004 et surtout de son maintien en poste après la déroute à l’Euro 2008, qui rétrospectivement s’avérait annoncer celle de 2010. Son mandat actuel de 4 ans court jusqu’en 2012, mais il a d’ores et déjà annoncé qu’il ne comptait pas démissionner, sans doute par solidarité avec les Français touchés par la réforme des retraites, puisqu’il est âgé de 75 ans.

Le ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, qui depuis le début de cette affaire joue les plénipotentiaires du président de la République, que l’on sait authentique amateur de football, après avoir annoncé un audit privé de l’équipe de France, puis d’y renoncer devant la volonté du parlement de se saisir de la question, a donc annoncé que selon elle, la démission du président de la FFF était « inéluctable ».

Problème, non seulement il y a hors jeu, mais là, on risque fort le carton rouge.

Revoyons l’action au ralenti.

Au commencement était la FIFA

Le football est né au XIXe siècle et a connu un succès international croissant. La première partie internationale a eu lieu en 1873 (Ecosse - Angleterre, 0-0) et très vite s’est posé le problème d’une interprétation unique des règles et est apparue la nécessité d’une instance internationale chapeautant toutes ces compétitions.

Le 21 mai 1904 à Paris était fondée la Fédération Internationale de Football Association, la FIFA, dont la fédération française, à l’époque appelée Union des sociétés françaises de sports athlétiques (UFSA), est membre fondatrice. (Ci-contre : l’équipe de France de football 1900, médaille d’argent aux Jeux Olympiques de Paris. Notez le logo français de l’époque : maillot blanc, deux anneaux entrelacés bleu et rouge pour rappeler le drapeau tricolore ; c’est ce logo qui inspirera le drapeau olympique conçu en 1913. Le coq apparaîtra sur le maillot cette même année. Crédit photo Wikipédia)L'équipe de France de football de 1900, médaille d'argent aux Jeux Olympiques CC Wikipedia

Aujourd’hui, la FIFA est une association inscrite au registre du commerce de droit suisse soumise aux articles 60 et suivants du Code civil suisse dont le siège est à Zurich (FIFA-Strasse 20, P.O. Box CH-8044 Zurich, Suisse) et dont voici les statuts (pdf).

Quel que soit votre désir d’y adhérer, c’est impossible. Seule une autre association peut y adhérer. Et encore faut-il qu’elle soit « responsable de l’organisation et du contrôle du football dans un pays.» (art. 10 des statuts). En France, seule la FFF est membre de la FIFA.

L’adhésion à la FIFA suppose l’adhésion à une des six confédérations géographiques en charge des compétitions internationales régionales ; pour l’Europe, c’est l’UEFA (Union of European Football Associations), qui organise le championnat d’Europe des nations tous les quatre ans (prochaine édition en 2012), et au niveau des clubs la Ligue des Champions et l’Europa League, successeur de la Coupe de l’UEFA. La FIFA organise les compétitions mondiales, comme la Coupe du monde, mais aussi la coupe du monde féminine, la coupe du monde de football en salle, la Coupe du Monde des clubs, etc…

Aujourd’hui, tout pays qui veut participer à des compétitions internationales de football doit adhérer à la FIFA, et tout joueur souhaitant participer doit être adhérent d’un club affilié à une association nationale membre de la FIFA. Notons une exception aux causes historiques : le Royaume Uni n’a pas une Association mais quatre : l’Angleterre, l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord, qui jouent en outre un rôle prépondérant dans l’établissement des règles du jeu et sont connues pour être d’un conservatisme d’airain (le refus de l’arbitrage vidéo, c’est elles).

Ni Dieu ni Maître

Un des principes essentiels de la FIFA est posé à l’article 13, 1, g) des statuts. Toutes les Associations qui y adhèrent s’engagent à “diriger leurs affaires en toute indépendance et veiller à ce qu’aucun tiers ne s’immisce dans leurs affaires”. Et ce tiers, dans l’esprit de la FIFA, c’est avant tout l’État du pays concerné.

L’article 13,2 prévoit que le non respect de ses obligations par un membre entraîne une sanction, l’article 13,3 précisant même que s’agissant du 13,1,g) (ingérence d’un tiers), la sanction est encourue même si cette ingérence n’est pas imputable à l’association nationale.

Cette sanction figure à l’article 14 : c’est la suspension.

La FIFA est intraitable là-dessus. Et ce quel que soit le psychodrame national que peut provoquer une élimination précoce ou une prestation décevante. La FIFA refuse que la politique vienne interférer avec le sport, sauf quand l’État du pays en question a une attitude contraire aux principes sportifs de respect et d’égalité. L’Afrique du Sud a ainsi été longtemps exclue de a FIFA à cause de la politique d’Apartheid, et la Yougoslavie a été exclue de l’Euro 1992 pour cause de nettoyage ethnique, pour le plus grand bonheur du Danemark, remplaçant de dernière minute qui remporta la compétition.

Ainsi, un État qui mettrait un peu trop son nez dans les affaires du football verrait son pays rapidement suspendu de la FIFA jusqu’à ce que les choses rentrent dans l’ordre.

Et si la FFF était suspendue de ce fait, la France serait automatiquement exclue de toute compétition organisée par la FIFA ou par une des Confédérations qui lui sont affiliées, et même des matchs amicaux. Autant dire adieu à l’Euro 2012, et en cas de confirmation de la sanction par le Congrès de la FIFA en 2011, au Mondial 2014.

Mais rassurons-nous, l’État est parfaitement au courant de cette nécessité. D’ailleurs, le Code du Sport dispose dans son article L.131-1 que les Fédérations Sportives “exercent leur activité en toute indépendance.”

Je soupçonne d’ailleurs le ministre des sports d’avoir refilé le bébé au parlement avec un certain soulagement : à lui désormais de battre en retraite en rase campagne ou de créer une commission qui marchera sur des œufs de peur de s’immiscer dans les affaires de la FFF avec les conséquences désastreuses que cela aurait pour l’équipe de France et pire encore sur leur réélection. Autant dire en tout cas qu’une commission qui exigerait la démission du président de la FFF déclencherait le feu nucléaire de la FIFA.

Jean-Pierre Escalettes n’est pas pour autant à l’abri de toute sanction. Mais celle-ci ne peut venir que de la FFF. L’article 12 des statuts de la FFF (pdf) prévoit en effet que l’Assemblée Fédérale, composée de représentants des clubs amateurs et professionnels (je passe sur les modalités d’élection et de répartition des voix, assez complexes, ce qui est normal pour une fédération de 2 millions de licenciés), peut mettre fin au mandat du Conseil fédéral sur proposition du tiers de ses membres représentant un tiers des voix et après vote à la majorité absolue, ce qui entraîne démission de tout le Conseil, y compris son président.

Bref, ce qui menace le plus le président de la FFF n’est pas la colère d’en haut, mais la colère d’en bas.

I’ve got the power

Quelques uns de mes lecteurs pourraient objecter qu’il est scandaleux qu’une organisation non gouvernementale comme la FIFA, certes à but non lucratif mais brassant un budget énorme grâce à sa propriété des droits de retransmission des compétitions qu’elle organise, puisse dicter sa volonté à un État.

Je leur répondrai qu’au contraire, c’est heureux.

D’abord, tous les États ne sont pas démocratiques. C’est même plutôt l’exception dans les 208 pays membres de la FIFA (plus qu’à l’ONU, je le rappelle). La règle qui tient au loin le nez inquisiteur du politique français maintient également loin celui de leaders de compagnie nettement moins agréable. Et la seule façon de garantir à la Fédération nord coréenne de football un minimum de liberté ce qui dans ce pays tient de l’exploit est d’appliquer ce principe de façon uniforme à tous les pays

Ensuite, même s’agissant d’une démocratie, s’il est une chose plus belle qu’un pouvoir, c’est un contre-pouvoir. Et si ma colère de citoyen de voir mes élus décidés à traiter un thème totalement futile comme les déboires de l’équipe de France comme une priorité nationale est impuissante à y faire obstacle, je saurai gré à la FIFA de siffler la faute et de renvoyer les parlementaires à leur vrai travail : contrôler l’exécutif et voter des lois le moins souvent possible s’il vous plaît.

Ce qui devrait nous désoler, c’est qu’il faille une FIFA pour poser des limites à l’action du Gouvernement en France, parce que nous avons deux autres pouvoirs qui en sont incapables.

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