Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 19 novembre 2010

vendredi 19 novembre 2010

Prix Busiris pour Michel Mercier

busirisEolas_big 1 minute 40 secondes. L’Académie a dû se frotter les yeux face à ce record qui ne sera sans doute jamais battu. Il aura fallu 1 minute 40 secondes à Michel Mercier, annonce de l’heure, lancement et salutations comprises, pour obtenir son premier prix Busiris. Un contrôle antidopage a naturellement été effectué, et est revenu négatif.

Le garde des Sceaux, déjà affectueusement surnommé “Angélique” par ses petits pois dévoués, effectuait aujourd’hui sa première sortie médiatique, au micro d’Europe 1, interviewé par Jean-Pierre Elkabbach.


Voici la vidéo.

Saluons ici le journaliste qui a loyalement averti le ministre : “En matière de justice, il n’y a pas d’état de grâce, il faut tout de suite être dans le bain. Michel Mercier, bonjour, êtes vous prêts à plonger ? On y va ?”.

Et prêt à plonger, le ministre l’était.

La première question porte sur l’affaire dite du karachigate, du nom d’une affaire de commissions occultes sur un marché de construction de sous marins par la France au Pakistan, dont le défaut de paiement aurait entraîné à titre de mise en demeure un attentat ayant tué le 8 mai 2002 14 personnes dont 11 Français travaillant pour la Direction des Constructions Navales, attentat attribué aux islamistes mais semble-t-il perpétré en réalité par les services secrets du pays pour faire comprendre que Pacta Sunt Servanda.

— “ Le juge [d’instruction] et les avocats [des parties civiles] demandent la levée du secret défense, est-ce que vous soutenez leur demande ?

— “Écoutez, je suis ministre de la justice et j’ai comme règle toute simple de ne pas intervenir dans des instructions en cours. Il y a une instruction, un juge d’instruction, il utilise les procédure existantes, il doit les utiliser, et je n’a rien à dire.”

Relance du journaliste :

_ “Est-ce que vous êtes favorable…”

Interruption du ministre.

— “Je n’ai …Si vous… Monsieur Elkabbach, si je commence mon travail de ministre de la justice en intervenant dans les procès en cours,… ça va pas marcher. Et je ne ferai jamais ça.”

Le journaliste relance encore, car en habitué de la langue de bois, il sait bien que quand un ministre invoque le respect de l’indépendance de la justice, c’est qu’il sait que l’affaire peut lui exploser à la figure. Il ne manque plus que le ministre déclare qu’il a confiance dans les magistrats de ce pays, et on sait qu’il est mort de trouille.

— “Est ce que vous vous engagez ici à ce que toute la vérité soit faite au moins sur Karachi ?”

“Écoutez, il y a… la justice en est saisie, moi, j’ai confiance dans les magistrats de ce pays. Et je pense qu’ils feront bien leur travail.”

Avant de vous expliquer en quoi cette affirmation est ici juridiquement aberrante, écoutons la suite car voilà la contradiction.

— “Les familles des victimes de l’attentat demandent l’audition de messieurs Chirac et Villepin. Est-ce que c’est possible ?”

L’audition de témoins est un acte d’instruction par essence. Elle est décidée par le juge d’instruction, soit de sa propre initiative, soit à la demande d’une partie. Mais on est là au cœur de l’instruction. Après tout ce qui vient d’être dit, le garde des Sceaux devrait à nouveau opposer un refus ferme de prendre position, au nom de sa non intervention dans les instructions en cours et de sa confiance absolue dans les magistrats de ce pays. N’est-ce pas ?

“Écoutez, je pense que messieurs Chirac et monsieur [de] Villepin n’étaient peut-être pas en poste au moment de l’affaire de Karachi.” Sous-entendu : le juge d’instruction devrait refuser de procéder à cette audition qui n’apporterait rien à la manifestation de la vérité. Ça, c’est du virage au frein à main.

Mais l’aberrance juridique, donc.

Le ministre est interrogé sur la question de la levée du secret défense.

Qu’est-ce que le secret défense ?

Il est défini par les articles 413-9 et suivants du Code pénal.

413-9 : Présentent un caractère de secret de la défense nationale au sens de la présente section les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l’objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès.

Peuvent faire l’objet de telles mesures les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers dont la divulgation ou auxquels l’accès est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d’un secret de la défense nationale.

Les niveaux de classification des procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers présentant un caractère de secret de la défense nationale et les autorités chargées de définir les modalités selon lesquelles est organisée leur protection sont déterminés par décret en Conseil d’Etat.

Le décret en question est l’article R. 413-6 du Code pénal qui renvoie aux articles R. 2311-1 et suivants du code de la défense relatifs à la protection du secret de la défense nationale. Le législateur est taquin et adore les jeux de piste.

Le Code de la défense prévoir trois niveaux de classification : Très Secret-Défense, Secret-Défense et Confidentiel-Défense. Cette classification relève du ministre concerné, pas nécessairement de celui de la Défense (pensons au ministre des affaires étrangères). C’est lui qui classifie et déclassifie. Il est opposable à la justice, car les pièces doivent être versées au dossier de la procédure et sont librement accessibles aux parties, ce qui est incompatible avec leur caractère secret.

Bien sûr, il peut être tentant pour un ministre de classifier ainsi des éléments ne regardant pas la Défense nationale et susceptible d’intéresser un juge plutôt qu’un espion étranger.

Une loi n°98-567 du 8 juillet 1998 a institué une commission consultative qu’un juge peut saisir s’il souhaite une déclassification de documents utiles à la manifestation de la vérité qui émet un avis qui est rendu public (publié au JO), rendant beaucoup plus délicat pour un ministre de refuser une déclassification injustifiée. Il demeure que la décision relève de lui seul.

Voilà où se situe l’affirmation juridiquement aberrante. Le ministre se réfugie derrière l’indépendance de la justice pour refuser de prendre position sur une question relevant du seul Gouvernement. Ce qui est d’autant plus audacieux qu’il n’hésite pas dix secondes après d’exprimer un avis sur ce que le juge d’instruction devait faire. Ou plutôt ne pas faire.

Monsieur le ministre, félicitations, l’Académie vous décerne le prix avec mention “talent précoce”.

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