Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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dimanche 20 février 2011

dimanche 20 février 2011

Classement sans suite

“Par Gascogne”


L’article 40-1 du code de procédure pénale donne au procureur de la République la possibilité, lorsqu’est portée à sa connaissance la commission d’une infraction par une personne dont l’identité et le domicile sont connus, soit de poursuivre le mis en cause devant une juridiction de jugement (tribunal de police ou tribunal correctionnel : le procureur fera alors remettre au mis en cause une convocation à comparaître, par l’intermédiaire d’un huissier via ce que l’on appelle une citation directe, par l’intermédiaire d’un officier de police judiciaire, ou encore en main propre dans le cadre de ce que l’on appelle une convocation par procès verbal), soit de mettre en œuvre des mesures alternatives aux poursuites (par exemple un rappel à la loi, par officier de police judiciaire ou délégué du procureur[1], qui consiste simplement à rappeler à la personne ayant commis une infraction les peines encourues, puis à classer le dossier sans suite, ou encore composition pénale, qui consiste à faire valider par un juge une mesure qui ressemble fort à une peine, mais qui n’en porte pas le nom, le procureur ne pouvant imposer une peine à une personne, contrairement à un juge, seul constitutionnellement habilité à ce faire).

D’autres pays, comme l’Allemagne, ne connaissent pas ce principe d’opportunité des poursuites, auquel ils opposent celui de légalité des poursuites, selon lequel toute infraction doit nécessairement être poursuivie. Pour assurer le traitement d’un nombre de procédures plus important, le nombre de procureurs et de juges en Allemagne est bien évidemment beaucoup plus élevé qu’en France (2,9 procureurs pour 100 000 habitants en France, contre 6,2 en Allemagne, 11,9 juges contre 24,5 - source CEPEJ).

Chaque système a ses avantages et ses inconvénients, ainsi d’ailleurs que ses propres exceptions au principe (voire ici pour quelques approfondissements).

Notamment, concernant l’opportunité des poursuites, il permet de gérer la masse des plaintes, qui ne sont pas toujours particulièrement bien étayées, et également d’éviter des poursuites inopportunes pour des infractions pourtant constituées. Toutefois, et afin de compenser ce pouvoir exorbitant face à la victime, qui consiste à choisir en simple opportunité de poursuivre ou non l’auteur identifié d’une infraction, notre droit a prévu le mécanisme de la citation directe par la victime devant la juridiction de police ou correctionnelle, ainsi que la constitution de partie civile devant le juge d’instruction, qui mettent en route l’action publique sans que le procureur ne puisse s’y opposer, sauf motifs juridiques spécifiques, ou dossier politique[2]

Malheureusement, la pression des statistiques imposée depuis un certain nombre d’années par la Chancellerie sur les parquets fait qu’il est de moins en moins possible pour un procureur de présenter à la grand messe annuelle qu’est l’audience de rentrée de son TGI des chiffres où apparaîtraient un taux trop important de classement sans suite dit d’opportunité, c’est à dire qui ne correspondrait pas au minimum à un rappel à la loi. C’est ainsi que le Ministère affiche des taux de réponse pénale de 87,7 % pour les majeurs, 92,9 % pour les mineurs, soit un taux résiduel de classement sans suite d’opportunité de 12,3 % pour les majeurs, et 7,1 % pour les mineurs. Nous ne sommes plus très loin d’un système de légalité des poursuites.

La décision de poursuivre une personne n’est pas nécessairement toujours facile à prendre, loin du cliché du procureur schizophrène qui ne pourrait pas surveiller une garde à vue puisqu’il aurait nécessairement déjà en tête les joies d’en découdre à l’audience. Ainsi en a-t-il sans doute été pour les collègues qui ont poursuivi ce père en Isère, et cette mère dans l’Essonne, à la suite du décès de leur enfant oublié dans leur voiture. Les décisions prononcées ont d’ailleurs a priori été à la hauteur des difficultés qu’ont connues les juges au moment de s’entendre sur la peine adéquate.

Il est cependant clair que dans ces deux cas, j’ai un peu de mal à voir ce que ce genre de procès apporte à la société, si ce n’est le message consistant à dire qu’il convient de bien surveiller ses enfants, ce avec quoi tout un chacun sera d’accord. Il est évident que la fonction punitive de la peine ne saurait être remplie, les prévenus ayant déjà eu à souffrir eux-mêmes de leur propre comportement. Même chose concernant le fait que la peine doit aussi servir à éviter la récidive par la crainte qu’elle entraîne. Inutile de développer plus…

Dès lors, un classement sans suite dans ce genre d’affaire ne me paraît pas déraisonnable, quand bien même y-a-t-il eu mort d’homme, tant il me semble évident que les auteurs sont également victimes de leur propre faute. Tout comme il est tout autant aussi évident que les notions d’auteur ou de victime ne sont pas aussi linéaires et simples que l’exploitation que le politique en fait pourrait le faire croire[3].

Le contentieux routier est bien souvent très difficile en la matière, tout comme d’ailleurs celui des infanticides, car la victime du comportement fautif est un proche de l’auteur de ce comportement. Fort heureusement, ni l’un ni l’autre ne font partie de mon contentieux, économique et financier, et dès lors moins sujet à ce genre de cas de conscience. Il me reste tout de même la permanence et les audiences pour être confronté à ces auteurs-victimes. Car contrairement à ce que semble penser notamment M. Baroin, récitant ses éléments de langage, nous sommes confrontés tous les jours aux justiciables, et à leur détresse. Et nous ne pouvons pas choisir nos dossiers. Et en terme de Justice, c’est tant mieux.

Notes

[1] Mesure dont Julien DRAY a profité

[2] Comme par exemple celui dit des “biens mal acquis” pour lequel le parquet n’a pas réellement goûté aux joies de la constitution de partie civile de l’association Transparency international

[3] Le “politique” semble d’ailleurs parfaitement au courant, Nicolas Sarkozy ayant refusé de recevoir lui-même le père biologique de Laëtitia Perrais, qui en avait pourtant fait la demande, pour cause de casier judiciaire peu compatible avec la notion de blanche victime que le président semble adorer…

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