Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 2 avril 2014

mercredi 2 avril 2014

Maljournalisme au Point.fr

Cela fait quelques années qu’insidieusement, le débat sur la justice est biaisé par des manipulations des faits, des mensonges, et l’exploitation éhontée des préjugés. Utilisée de prime pour justifier des empilements aussi absurdes qu’inutiles de textes de plus en plus répressifs et restrictifs des libertés, à présent que les tenants de ces idéologies (qui sont à droite mais ne représentent pas toute la droite, loin de là) sont dans l’opposition, position bien plus confortable politiquement, les dernières digues de la raison semblent avoir cédé. Tout est permis, la mauvaise foi la plus crasse, l’absence de tout recul, le simple fait de s’interroger sur la réalité d’idées reçues. Et figurez-vous que si cela m’a toujours agacé, désormais, j’en ai assez. Je n’ai pas la prétention d’avoir le temps et l’énergie de combattre toutes les contre-vérités qui sont abondamment diffusés pour vous faire peur par des gens qui ont quelque chose à vous vendre. Mais dans la modeste mesure de mes moyens, je ne laisserai pas passer ces mensonges sans réagir.

Tous ont un point commun, ils reposent sur le préjugé que la Justice est une machine folle et inhumaine qui n’aime rien tant que le crime et l’insécurité et font tout pour les promouvoir. On écrit même des bouquins qui ont ce titre. Sans rire et sans rougir. Vendre du papier, du clic, de la pétition, c’est très bien. Mais si ça doit se faire en sapant un des trois pouvoirs sur lesquels repose la démocratie car c’est celui qui n’a aucun moyen de se défendre, je ne laisserai pas faire.

Un exemple spectaculaire est fourni par Lepoint.fr, dans un de ces morceaux de bravoure qui déshonorent le titre sous lequel ils paraissent, dans l’article L’inquiétant amendement de Taubira sous la plume de Jérôme Pierrat, mis en ligne le 30 mars dernier (la photo d’illustration est à elle même un grand moment). La première phrase donne le ton du reste de l’article : « Les voyous sablent le champagne et les enquêteurs des douanes et de la police dépriment sérieusement. »

Et qu’apprenons-nous en lisant cet article ? Heu, rien, évidemment, je me suis mal exprimé. Que nous dit cet article ? Que la fourbe Christiane Taubira a “glissé” (en douce, bien sûr, elle est fourbe) un amendement faisant la joie des voyous en ce qu’il supprime la possibilité de garder à vue 96 heures des personnes mises en cause dans des affaires d’escroquerie en bande organisée. Quand on vous dit que la gauche est laxiste et veut livrer les honnêtes gens pieds et poing liés au crime.

Il aurait suffi à l’auteur de l’article de faire un truc dingue. Je ne dis même pas enquêter, ça ne mérite pas ce mot. De cliquer sur le site du Sénat pour lire ledit amendement, ou le compte-rendu de séance (c’est dire si ça s’est fait en catimini, c’est publié au JO) pour comprendre de quoi il retourne et comprendre en voyant que cet argument a été voté aussi par la droite qu’il n’y avait peut-être rien à redire.

Voilà ce qu’on omet de vous dire.

Le droit commun de la garde à vue limite à 48 heures la durée maximale où un individu est privé de liberté et tenu à la disposition de la police. Le 9 mars 2004, la loi Perben 2 a créé un régime dérogatoire pour certains délits commis en bande organisée. Ce régime dérogatoire prévoit notamment que la garde à vue peut être portée à 96 heures, avec autorisation d’un juge au-delà de 48 heures, autorisation qui dans les faits est une simple formalité. Parmi ces délits figuraient l’escroquerie.

Le 4 décembre 2013, le Conseil constitutionnel a rendu une décision refusant l’élargissement de ces gardes à vue de 96 heures à la fraude fiscale en bande organisée, en précisant qu’une telle dérogation portant gravement atteinte à la liberté individuelle, elle ne peut s’envisager que pour des délits d’atteinte aux personnes. Dès lors, il était évident que le régime dérogatoire de garde à vue appliqué à l’escroquerie, qui est un délit sans violence, était contraire à la Constitution. La Chancellerie a, je suppose aussitôt fait passer la consigne aux parquets de ne pas faire prolonger au-delà de 48h les gardes à vue d’escroquerie. Et quand s’est présenté le premier texte de loi pertinent pour amender le code de procédure pénale, en l’occurrence le projet de loi portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, le Gouvernement a déposé un amendement, le n°19, mettant la loi en conformité avec la Constitution, ce que l’opposition sénatoriale a approuvé, naturellement. Amendement où figurent toutes ces explications dans l’exposé des motifs.

Bref, non seulement cet amendement est anodin (de fait, ces gardes à vue sont illégales depuis décembre dernier), mais il est parfaitement conforme à l’État de droit et à la hiérarchie des normes. Et voilà comment on vous le vend comme une nouvelle preuve du laxisme du gouvernement et du triomphe du crime. Il suffit pour ça de vous cacher les informations essentielles.

Et d’appeler ça du journalisme web.

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