Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 23 avril 2014

mercredi 23 avril 2014

Sans légende 2

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Le "printemps des greffes" ; quoi d'autre ?

Par Leonidas


Quitte à aborder le quotidien du greffier, autant le faire sans ambages mais en termes mesurés et volontairement distanciés et généraux, en ayant bien à l’esprit que chacun garde quoiqu’il arrive son vécu et son parcours.

Pour ma part, je suis greffier depuis bientôt douze ans ; j’ai travaillé tour à tour dans une des plus importantes juridictions de France en terme de volume de contentieux et d’effectifs, puis dans deux autres structures que l’on dirait “à taille humaine”.

Outre qu’il m’a permis la plus belle rencontre qui soit puisque ce fut ma compagne, l’exercice de ce métier aurait à certains égards les aspects d’un voyage initiatique, tout restant relatif par ailleurs.

Il me faut préalablement préciser que jamais je n’ai eu l’impression d’être privilégié, parce que la réussite à un concours m’a fait entrer dans un corps régi par les droits et les obligations d’un statut, et parce qu’en France la fonction publique est de carrière et non d’emploi.

Donc, puisqu’il faut l’évoquer, travailler en juridiction, c’est tout d’abord, et ce en matière procédurale car c’est le coeur du métier : la responsabilité. Avec toutes les conséquences que cela implique. Du fait de mes passages dans divers services de la chaîne pénale et civile, j’ai apposé ma signature sur des centaines de documents, procès-verbaux, jugements, arrêts, dans lesquels étaient en jeu tour à tour l’innocence ou la culpabilité, la liberté, la réparation des préjudices, sans oublier la tenue des débats en audience publique ou en cabinet. Rappelera-t-on que la sanction de l’authenticité dont nous sommes les garants, c’est le crime de faux en écriture publique ? Ceci dit, n’être pas décisionnaire, puisque c’est le magistrat qui l’est, seul ou en collégialité, serait-ce donc ramener de telles fonctions à si peu de chose, ou bien par trop ignorer d’autres corps de métiers et leur faire ombrage, ce qui n’est pas l’objet de ce propos ?

C’est également la connaissance des circuits de procédure qui s’impose à nous, et l’application des règles qui leurs sont propres. Une manière élégante de faire état de l’activité législative appliquée au travail de greffe, au gré des réformes adoptées et des alternances politiques, serait de dire que lesdits circuits n’ont cessé d’être affinés ; mais les décrire par des termes tels que “complexifiés”, sinon “alourdis”, ne serait en rien exagérée. On peut sans doute parler d’études d’impact à chaque projet ou proposition de loi, je ne pense pas qu’un agent du greffe quel qu’il soit, en ait jamais vu la couleur.

Mais évoquer les circuits procéduraux est une chose. La gestion des flux, leur traitement et leur intégration au sein desdits circuits, c’en est une autre, mais les deux sont inséparables. C’est que, qu’on y voie ou non un stigmate de notre époque, la contraction du temps est inévitable en juridiction. Les exigences tenant à la tenue de dossiers biens ficelés et la masse irréductible de ceux-ci, mis en rapport avec ce temps qui souvent vient à nous manquer, représente à mon sens une contradiction – je n’ose dire une schizophrénie.

Contraction du temps, alors qu’il est d’évidence que le temps judiciaire n’est pas, et ne doit pas être, ce temps médiatique auquel nous sommes tous exposés – et ça, le justiciable ne le comprend pas, mais comment lui en vouloir ?

Contraction du temps, encore, alors que ce qui ressort de l’aspect purement matériel de notre office, c’est tout ce qu’on veut, sauf de la fluidité. L’accueil du public, le téléphone, la case courrier qui déborde, le fax à surveiller, le stock de jugements ou d’arrêts à dactylographier et/ou à exécuter, de convocations ou citations à envoyer, l’application qui rame ou qui plante, le toner à remplacer, le papier qui manque, l’interprète en langue rare à trouver, les délais-couperets à respecter, tout le monde connaît ça.

Je n’aborde pas la disponibilité, bien qu’ayant toujours constaté qu’une audience correctionnelle en TGI ne commençant qu’à 13h30 ou 14h00 ne pouvait que devenir tardive au bout du compte. Je n’aborde pas le progrès qu’apporte la numérisation ; s’il est des entreprises qui ont réalisé le zéro papier, par chez nous la dématérialisation s’est ajoutée à un traitement déjà lourd des dossiers papiers, traitement qui n’en perdure pas moins. Je n’applaudis vivement en matière civile que la communication procédurale par voie électronique, quoique mes collègues civilistes diront que le circuit long dit “Magendie” est synonyme de rallongement des délais d’audiencement. Je n’aborde pas les mutations sollicitées et pas toujours accordées, les difficultés pour se loger que connaissent les mutés et les débutants en sortie d’école, le coût de la vie et bien d’autres choses.

Au fond, on touche ici à la nature même de la façon dont un greffe travaille. Tout pourrait se résumer à la manière dont la réception des flux en amont est organisée et répartie – dans un cadre législatif et procédural contraint, dans un cadre budgétaire contraint, dans un cadre immobilier contraint, et avec cet aléatoire qu’est parfois la gestion des ressources humaines. Ces flux, qui les maîtrise ? Qui en effet peut prédire le nombre d’infractions qui seront commises demain et nécessitant une garde à vue puis un défèrement, la saisine d’un juge d’instruction, d’un JLD, ou d’une juridiction de jugement, ou bien le nombre de licenciements qui seront contestés, de mesures de protection des majeurs à mettre en oeuvre, de divorces, d’hospitalisation d’office, de situations de surendettement… ?

La réponse est simple : personne.

Et pourtant ! C’est de la manière d’appréhender ce traitement que tout dépend. Ce qui importe, n’est-ce pas la réponse que nous devons donner à ces faits sociaux, à celles et ceux qui attendent cette réponse, et dont va découler l’organisation structurelle à adopter en ce sens ? Un greffe, à tout prendre, c’est au moins deux chaînes, civile et pénale. Or, par définition, une chaîne, c’est une division du travail, donc un cloisonnement – et ça peut être un travers, car la tentation est forte que tous les acteurs deviennent opposés. Qu’on me permette une digression – divagation serait plus exact : si nos actuelles émissions télévisées dites de cuisine confondent allègrement, à travers la perfection supposée d’un plat, exaltation du terroir, compétition effrennée, convivialité boboïsante, et satisfaction psychorigide du client glorifié, un greffe ne saurait se réduire à cela ni exister par et pour lui-même ou pour ses membres, car ce n’est pas de cela qu’il s’agit. De tout cela, le justiciable se moque bien, car ce qui lui importe, c’est la réponse que chacun, quel que soit son niveau de responsabilité, doit contribuer à lui apporter.

Comment ne pas voir que tout cela ne sont que des évidences ? Mais ce sont surtout des fondamentaux, et nous avons certainement besoin de les redécouvrir. Recentrer chaque corps de métier sur la nature même de sa fonction ne peut être qu’un avantage. S’il faut pour une fois pêcher par simplicité, il ne faut pas s’en priver : une bonne fois pour toutes, la décision judiciaire, c’est le magistrat ; la mise en état, c’est le greffier ; la gouvernance, c’est le greffier en chef. Alors bon, obtenir pour le greffier un statut de catégorie A avec une revalorisation de son traitement, oui, pourquoi pas, mais pour tout le monde sans distinction, et ce n’est pas ce qui coûtera le plus cher.

Mais ce n’est qu’un aspect du problème.

Leonidas

Mon métier, c'est greffier

Par lapetiterobenoire


Votre billet a pour mérite, outre la compassion et la bienveillance, de rappeler ce qu’est la profession de greffier : son rôle en tant que GARDIEN de la procédure et AUTHENTIFICATEUR des actes judiciaires. Un greffier n’a nullement besoin d’un magistrat pour chaque jour remplir sa mission, mais un magistrat ne peut rien faire sans son greffier !

Et effectivement il n’existe pas de lien de subordination entre l’un et l’autre, les deux bien que fonctionnaires s’apprécient dans deux corps séparés[1] dont les différences salariales ne cessent d’augmenter tant le corps de greffier est oublié.

Mais mon propos ne saurait comparer les uns par rapport aux autres. Comme partout, il s’agit d’une question de compétence. Et je suis en colère car je suis compétente et cette dernière est sans cesse bafouée, salie, oubliée, disgraciée.

J’exerce depuis plus d’une décennie, je suis diplômée d’une maîtrise en droit privée, mon entourage amical est constitué de pléthore d’avocats, de juristes d’entreprises, de quelques notaires, magistrats et professeurs ou maîtres de conférence en faculté de droit, de politiciens et de fonctionnaires d’Etat ou de collectivités territoriales. Et oui, nous sommes pour la plupart issus de même promotions, nous n’avons simplement pas intégrés les mêmes troisièmes cycles ou obtenus les mêmes diplômes ou examens.

Mes fonctions m’ont amenées à exercer en tant que greffier de cabinet (instruction, enfants, affaires familiales), greffier des Prud’hommes, greffier polyvalent au tribunal d’instance (nationalité, PACS, ordonnances pénales …), greffier administratif responsable de la gestion budgétaire. J’ai comptabilisé l’utilisation de seize logiciels pour lesquels le greffier se forme la plupart du temps sur le terrain avec le bon vouloir de ses collègues.

Je fais le choix de changer de service en moyenne tous les trois ans, délai essentiel à ma motivation d’exercer ce métier que j’aime et qui m’épuise. C’est une décision difficile car non sans conséquences.

D’abord le choix des postes est limité car les postes « tranquilles » c’est à dire sans contraintes horaires essentiellement ne sont jamais vacants longtemps. Ensuite, ma notation annuelle évolue moins vite quelque soit mes compétences puisque bien évidemment il est coutume de ne pas gratifier un nouveau arrivé sur un poste qui ne peut que progresser les années suivantes, et les notes maximums sont limitées (il existe un pourcentage définit par l’administration). Enfin, demander si rapidement un changement de service ou une mutation m’ a constamment été souligné par la plupart de mes chefs de services au motif que cela caractérisait une certaine instabilité ! Quel rapport avec la compétence 

Alors OUI je suis en colère et OUI nous sommes en colère. Cela fait plus d’une décennie que les candidats au concours de greffier, rappelons le recrutés à BAC+2, sont surdiplômés. Cela signifie qu’ils ont de plus en plus la compétence de s’adapter rapidement aux réformes et de les appliquer de manière très performante. Cela signifie qu’ils savent dire NON, non au magistrat qui motive sa décision sur des arguments non transcrits sur note d’audience, non au greffiers en chef qui refusent d’être souples sur les horaires, non aux avocats qui demandent des faveurs dépassant les compétences du greffier, non au justiciable qui fait piquet dans un bureau pour obtenir un jugement non rendu.

Tous ces NON, moi greffier je les dit et redit toujours avec le sourire. Tout ceci pour un salaire que je ne trouve pas dérisoire eu égard à la misère humaine mais scandaleux eu égard aux contraintes de ce métier.

Bref, je suis un greffier en colère, mais un greffier qui aime son métier.

Note

[1] Rien de sexuel. NdEolas

Contribution

Par Crazy Bear, greffier de juge d’instruction dans un cabinet spécialisé en délinquance organisée

On vote pour choisir et payer un service : il est donc inutile de se plaindre du manque de moyen. Allons au moins au zoo comme nous y convie notre hôte.

Quoi qu’en dise mes consœurs et confrères “le greffier juridictionnel” n’est pas exactement une réalité partout. 

Pour ma part, je n’ai pas fonction de “nègre” et m’efforce simplement de faire mon boulot “d’assistant du magistrat”. Je laisse le mien tisser sa toile, il n’a pas besoin de moi pour éditer une commission rogatoire, et je lui mâche son travail jusqu’à un certain point. Aller chercher d’initiative par exemple les cotes qu’il lui faut dans un dossier de quelques tomes pour répondre à une demande ne me paraît pas excéder ce rôle d’assistance. Que l’on sache, motiver une décision de rejet ou un refus quelconque nécessite de prendre le temps de se pencher sur le dossier si l’on prétend ne pas donner au demandeur l’impression que l’on se fout de sa gueule. Ce temps nous manque. Et on le gagne comme on peut : faire le sourd quand il le faut et laisser les uns et les autres changer d’avis ; indiquer encore à un avocat de différer sa demande de mise en liberté parce que tel parquetier est de permanence, cela qui veut dire : “s’oppose”, “appel” et “référé-détention” contre la future ordonnance de remise en liberté. Trouver le “bon” juge, ça relève peut-être du chien truffier mais le greffe s’épargne ainsi quelques suppléments.

Nos journées ne consistent pas à attendre le doigt sur la couture du pantalon les ordres du chef, ce que notre juge n’est pas. Nos semaines durent 38 heures 30 selon les chartes des temps des tribunaux et libre à nous d’aller au delà des 7 heures 40 dues journellement. C’est selon. Une ouverture d’info tardive, l’exécution d’un mandat soumis aux embûches de la route, du rail ou de l’air ou encore une reconstitution de nuit et vous voilà à finir à 20 heures ou aux alentours de 4 heures du matin (on sait vaguement l’obligation de respecter un délai de 11 ou 12 heures entre la fin du service et la reprise). 

L’élasticité de l’emploi du temps ne nous rebute pas et si nous avions toute latitude pour récupérer ces heures-là il n’y aurait pas motif à se plaindre. Seulement, on en fait pas mal au titre de tout un tas de tâches périphériques, qui relèvent d’un pur travail d’exécution et puis aussi il faut bien le dire grâce à un logiciel taré (n’en déplaise à quelques collègues isolées, le module instruction de Cassiopée ne répond que très partiellement à nos attentes) : mon cabinet étant tout à fait comparable à celui de ma collègue utilisant Cassiopée, elle totalise 130 heures quand je n’en ai qu’une petite vingtaine en utilisant l’ancien logiciel. 

Tu fais des heures ? Vas-y Poupette ! On te les payera (mais pas toutes)… Tu n’arrives pas à prendre tes jours de congés ? Mets-les sur ton compte épargne temps. Ton compte épargne temps est plein ? Je rachète tes jours (avec des queues de cerise). Le malaise on le trouve ici. L’encadrement, de bon ou de mauvais gré, fait fi, très largement, de la distinction entre emploi de B et emploi de C et demande aux greffiers (comme aux faisant-fonction) de plus en plus de tâches d’exécution. Ainsi de la dématérialisation des procédures. C’est peut-être moderne mais cela suppose toutes une série de gestes qui eux ne sont pas du tout dématérialisés. Et qui prennent du temps. Dans un cabinet d’environ 90 dossiers, délivrer une copie numérisée dans un délai d’une semaine, c’est à dire de disposer d’un double à jour conforme à l’original papier, ça suppose d’y consacrer deux heures par jours, 1/5ème du temps de travail hebdo. La seule question qui vaille pour nos gestionnaires est : “comment allez-vous dégager le temps nécessaire pour “participer” à la numérisation ?”. N’ayez pas l’outrecuidance de retourner la question et demander comment notre gestionnaire entend s’y prendre pour nous permettre de récupérer votre dû : il ne faut jamais pincer cette corde-là chez votre chef sous peine de le fâcher. 

On manque de catégorie “C” mais ça n’empêche pas - en guise de politique salariale - les promotions de C en B. Je ne sais pas si faire faire un boulot de “C” par un “B” est un emploi efficace de la ressource, l’un et l’autre n’étant pas payé au même tarif, mais les gestionnaires ne se gênent pas pour développer quotidiennement une conception bouchère de l’organisation. Plus frénétiquement d’une année sur l’autre avec la réduction des crédits. De quoi on se mêle ?Que chacun reste dans son bac à sable. Je veux bien. Mais est-ce trop demander de condescendre à s’intéresser aux finalités des fonctions des uns et des autres ? Ce management à la con ne veut pas comprendre seulement que les nouveaux, “bac plus 4 ou 5”, ne s’impliquent pas au delà de ce qu’ils peuvent en retirer en contrepartie. 

Et arrêtons de répéter comme un mantra qu’on peut “faire mieux avec autant”. Pas du tout. On donne juste le change pour ne pas faire pauvre. Faut-il recevoir “‘hommage” de l’Assemblée Nationale et de la Garde des Sceaux au personnel des greffes comme un encouragement à pendre nos gestionnaires ?


Fonctionnaires des greffes, parlons-en

Par Cyberkek, greffier correctionnel


Bien, on nous propose une réforme “ambitieuse” pour la justice du XXIème siècle… Et si déjà, au moins, il était possible de travailler au XXème?

Parce que nous sommes aujourd’hui considérés plus comme des serfs dociles que des techniciens du droit, not’bon maître. D’aucuns murmurent que l’on aurait vu nos représentants nationaux nous flatter l’encolure il y a peu, ça soulage un peu les escarres du joug…

Parce qu’il y a pénurie de plumes d’oie et de lampes à pétroles et que nous devons partir au petit matin, après une audience tardive la veille, afin d’éviter que nos enfants ne nous voient voler leurs feuilles de dessins où il reste un verso utilisable…

Parce que nous travaillons gratuitement à permettre aux magistrats de rendre justice au nom du peuple français et que même cette gratuité, nous dit-on, est déjà trop chère payée…

Parce que nous n’avons plus le temps d’audiencer, de mettre en forme, d’exécuter les décisions alors qu’il nous reste les vitres à faire, les seaux à vider après la pluie, les murs de cartons d’archives à maçonner et panser les plaies des collègues qui ont eu le malheur de rencontrer un justiciable exaspéré par notre lenteur…

Parce que, même si nos compétences procédurales importent peu, nous serons tenus pour responsables des erreurs qui viendraient à se produire car, n’oublions pas, nous sommes de dangereux laxistes qui faisons rien qu’à saborder le travail des services de police pour relâcher dans la nature de dangereux multirécidivistes…

Parce qu’enfin, nous sommes si omniprésents à tous les stades de la procédures que l’on ne nous voient même plus.

Allez, je caricature, c’est souvent le cas quand le ridicule de cette situation vous prend à la gorge.

Mais quand même, ne pas considérer le greffier comme un collaborateur compétent du juge, c’est avant tout entériner la désuétude de notre système judiciaire et les conséquences pour les citoyens qui attendent une réponse des tribunaux à leurs déboires. Ce qui est mauvais pour la démocratie.

Mais quand même, ne pas reconnaître que les décisions prises en assemblée générale des fonctionnaires sont conditionnées au bon vouloir des magistrats chefs de juridiction et non à l’aval de notre hiérarchie, c’est aussi mauvais pour la démocratie. Il suffit de voir comment s’atteint péniblement le quorum des dites assemblées, parfois en allant rameuter quelques bonnes volontés dans les bureaux, sur les directives des chefs de cour.

Mais quand même, ne pas comprendre que notre statut de fonctionnaire collaborateur des magistrats garantit aussi l’indépendance de ces derniers, c’est encore mauvais pour la démocratie.

Mais quand même :

Vous connaissez de nombreux emplois où, au sortir de votre formation, une fois votre affectation connue, les saisies immobilières dans mon cas, vous n’avez pas droit à une formation complémentaire sur vos attributions parce que « la procédure des saisies, c’est trop complexe » ?

Vous connaissez de nombreux emplois où vous attendez plusieurs semaines après votre prise de fonction pour obtenir les moyens techniques et informatiques de faire ce pour quoi vous êtes plus ou moins bien formés ?

Vous connaissez de nombreux emplois où vous commandez les tampons nécessaires à vos fonctions (« Marianne », « extrait des minutes », formule exécutoire, etc.) et obtenez votre mutation deux ans plus tard sans en avoir vu un seul ?

Vous connaissez de nombreux emplois où vos commandes de papeterie sont, par principe, divisées par deux, au mieux, des fois que vous souhaitiez les utiliser pour rendre à vos enfants les feuilles volées plus haut ?

Vous connaissez beaucoup d’emplois où vous vous retrouvez à faire tout, et parfois n’importe quoi, sauf ce qui est votre métier, et où l’on ne vous reconnaît même pas cette polyvalence ?

Vous connaissez beaucoup de secteurs d’activité où votre réputation de mauvais payeur va bientôt vous interdire d’avoir recours à la poste, aux médecins ou aux interprètes ?

Vous connaissez des secteurs d’activités qui servent autant d’argument électoraliste et populiste au point de fragiliser l’ensemble d’un système patiemment élaboré ?

Le résultat de tout ça, c’est le rang enviable du « pays des droits de l’Homme » à la CEDH.

Le résultat, c’est le citoyen qui en paie le prix.

Le résultat, c’est notre exaspération aujourd’hui.

Once Upon a Time

Par Anonyme


Entrée dans les greffes non pas par vocation de l’administratif mais du judiciaire, cela fait environ trois ans (missions de vacataire comprises) et trois juridictions que je suis dans ce domaine. Après une licence en droit, un concours et 18 mois de formation… bienvenue dans une juridiction parisienne !

Comme vacataire, y compris en région parisienne, j’ai pu être confrontée à diverses situations, dont certaines complètement déroutantes (du style la collègue faisant fonction si peu respectée par une magistrate qu’elles ne s’adressaient plus la parole et communiquaient par post-its interposés ou alors quatre bureaux se partageant une agrafeuse).

A mon arrivée, encore stagiaire, j’ai découvert Jimminy Pointeuse, outil censé nous permettre de réguler nos heures, en nous empêchant de dépasser le cota prévu dans la chartre des temps. En écoutant l’ENG (qui reste notre supérieur hiérarchique jusqu’au jour de notre titularisation), le stagiaire ne doit pas faire plus de 35 heures par semaine. Euh oui m’dame sauf que, comment vous dire, si je suis en audience, à 16 heures, je me vois mal expliquer au Président que ca y est il faut suspendre l’audience parce que vous comprenez l’Ecole a dit que je ne devais pas faire plus de 35 heures ! Tant pis, j’en ferai plus, après tout mes collègues sont déjà surchargées entre ma formation et leurs propres audiences à gérer et le greffe à faire tourner. Elles ont bien essayé de m’épargner mais il y a un moment où avec la meilleure volonté du monde, plus d’un miracle par jour, ce n’est pas envisageable…

Les heures ne se comptent pas, pour personne et nous nous sommes trouvées dans la situation classique de l’écrétage des heures. Mes collègues sont montées au créneau en indiquant que c’était inadmissible de perdre quasiment une semaine d’heures par mois, qu’elles ne pourraient jamais les récupérer en raison des nécessités du service. Finalement, même dans la fonction publique, le stagiaire reste un bénévole, c’est pas que j’ai un peu l’impression de me faire avoir mais tout comme un peu quand même ….

Les mois se passent et j’ai pu constater ce que “manque de moyens” voulait dire ! Ne pas avoir d’encre pendant deux ou trois semaines au point que la chef de service soit obligée de récupérer celle d’une GEC partie à la retraite parce que là le magistrat a refusé de signer la minute et qu’il faut bien trouver une solution parce qu’il y a appel dans le dossier.

Et puis zut ! Quel agent n’a pas sa trousse personnelle parce qu’il n’y a plus de fournitures dans son tribunal ? Qui n’a pas connu la pénurie de papier au milieu de l’année (la pénurie d’encre étant perpétuelle) ? Je me souviens que nous avons eu de grosses pluies l’année dernière et qu’il pleuvait DANS la salle d’audience PENDANT celle-ci. Ni une ni deux, une demande d’intervention est faite et le lendemain, nous nuos retrouvons avec…une poubelle grand format dans ladite salle pour récupérer les précipitations. Les petites soeurs sont placées dans la régie et dans le couloir parce que tout de même ce serait vraiment bête de mettre le feu au TGI ! Ces poubelles sont restées des jours entiers (avec les odeurs) ! Belle image pour le pauvre justiciable qui vient chercher la copie de son jugement.

Les juridictions tiennent sur des bricolages et la bonne volonté de leur personnel. Les GEC sont ce qu’ils sont mais s’ils n’ont pas les moyens d’agir, ils ne peuvent pas faire de miracle. Les ordinateurs de service plantent, les prises ne fonctionnent plus et il y a urgence, deux délibérés sont en cours. La GEC est avisée et fait une demande d’intervention. Les agents se présentent donc pour… changer les ampoules  ! Nous sommes parfois restés deux jours sans informatique (mais avec des ampoules toutes neuves) à cause d’une mauvaise communication et d’un manque d’agents techniques pouvant intervenir.

Il faut se rendre compte que se battre pour trois trombonnes et deux stylos bleu c’est assez usant, fatiguant et je dirai même que cela nuit à la qualité du service rendu au justiciable. Parce que oui, notre mission première est de le renseigner, même si parfois il nous crie dessus, il nous insulte, nous menace ou se montre carrément violent (de bonnes bases en sport de combat devraient être enseignées à l’ENG). Il faudrait peut-être que la Chancellerie se rende compte que nous ne traitons pas QUE des dossiers, nous faisons beaucoup de relationnel parce qu’informer un justiciable, ca prend du temps. Lui expliquer pourquoi il a reçu tel papier, l’écouter sans pour autant le laisser aller dans son envie de vous raconter que si si il est innocent et que c’est une erreur judiciaire et que “vous vous en foutez vous de toutes façons que je perde mon boulot et mes gosses”, à la longue ça a tendance à vous mettre un peu le moral dans les chaussettes !

Nous aussi nous voyons tout un tas de choses pas drôles. Par exemple, les Assises, ce n’est pas comme dans “Faites entrer l’accusé”, c’est tout sauf romantique, ce sont les faits les plus graves, des vies brisées, des gens qui viennent raconter, souvent en pleurs, leur histoire et entendre toute la journée ces récits, parfois c’est très dur et certains dossiers marquent plus que d’autres. J’ai souvenir d’une jurée qui m’a demandé si un soutien psychologique était mis en place pour les jurés (euh…comment vous dire madame, déjà que nous n’avons pas de quoi acheter des stylos…alors un soutien psychologique…).

Aujourd’hui, on nous explique qu’il faut mutualiser les moyens (ecore faut-il en avoir), que la création du TPI permettrait au justiciable une meilleure lisibilité juridictionnelle, que l’on pourrait créer un “Greffier Juridictionnel”. Pour ma part je pense que le TPI ne permettra rien sinon de faire pire avec encore un peu moins, parce qu’il ne faut pas rêver, des moyens il n’y en aura pas plus, au contraire ! Si la Chancellerie veut se donner les moyens de ses ambitions, qu’elle recrute et vite et beaucoup ! L’annonce de l’arrivée en juridiction de 1000 greffiers comme une bulle d’oxygène montre le sens de la formule de nos dirigeants. D’accord, 1 000 greffiers, mais pour combien de départs à la retraite ?

Je suis issue d’une promo dans laquelle la majorité de mes collègues avait pour ambition de passer l’ENM (souvent ratée trois fois en externe) ou le concours des douanes ou autre. Bref, pas mal d’entre eux multiplient les concours A dans toutes les administrations. Certes tous ne vont pas réussir mais pour beaucoup ce sera le cas. Une fois leur concours en poche, ils quitteront les greffes pour d’autres aventures, ce qui fera d’autres postes à pourvoir en plus des départs à la retraite non remplacés.

A trop tirer sur la corde, elle finit par céder. J’ai vu des collègues être arrêtées pour dépression parce qu’elles n’en pouvaient plus, j’en ai vu une qui perdait ses cheveux par poignées, une juge qui faisait office de JAP-JAF-JI et qui “empruntait” un greffier pour ses audiences. Il existe une véritable souffrance au travail dans la justice et personne ne l’entend (dans certains tribunaux, la médecine de prévention tient plus de la légende administrative que de la réalité).

Les GEC ne peuvent pas travailler parce qu’ils sont aussi en sous-effectifs et doivent gérer trois fois plus de services que normalement le temps de pourvoir au remplacement des effectifs manquants (remplacement légèrement hypothétique mais bon, après on va dire que je fais du mauvais esprit).

Il faut se battre pour tout, argumenter pour le moindre stylo et si l’on devait comptabiliser le temps perdu je crois que l’on en viendrait aux larmes. Alors oui, j’aime beaucoup mon travail, j’aime beaucoup mon service parce que nous sommes une très bonne équipe très soudée et que nous travaillons avec des magistrats qui sont conscients des moyens (ou plutôt de l’absence de moyens) avec lesquels nous essayons de faire tenir les choses mais maintenant, un peu de considération ne serait pas de trop.

On ne se rappelle de l’existence du greffier que lorsqu’une erreur est commise. Soit dit en passant, dans le cas où la décision est signée du greffier ET du magistrat, la responsabilité est partagée mais non, ce sera de la faute du greffier qui a mal fait son travail. Et lorsque l’on fait l’ouverture du 20 heures sur une remise en liberté parce que ceci ou parce que cela, on se rappelle généralement à ce moment-là que l’on existe. J’ai souvenir d’une remise en liberté d’un homme parce que l’arrêt de la chambre de l’instruction indiquait “infirme” au lieu de “confirme” et les journalistes avaient tout de suite stigmatisé une “erreur de la greffière” (qui était un homme à cette époque) mais jusqu’à preuve du contraire, la relecture se fait à deux !

Plus récemment, j’ai pu entendre “ben ils ne pouvaient pas acheter de l’encre pour mettre dans le fax” ? Ce sont des petites phrases comme celles-ci qui montrent qu’il serait peut-être bon de faire connaître la réalité des conditions de travail des agents. Un peu de respect.

Nous sommes une profession (j’engloble tous les agents sans distinction de catégorie) qui oeuvre pour l’usager du service public. Parfois, nous sommes mis en cause publiquement (la joie éprouvée à l’écoute de l’avocat qui s’en prend à vous en pleine audience pour se courvir – tiens il se souvient que j’existe – parce qu’il sait que nous ne parlerons pas). Personnellement, je l’ai vécu alors que je savais, ainsi que les magistrats, que je n’avais pas commis d’erreur mais mine de rien, le public lui, a pu se dire que j’étais incompétente – ca fait toujours plaisir. Alors on ne se vexe plus (non ca c’est pas vrai, j’ai juste fait des progrès pour ne plus montrer mon envie de le fouetter avec des AFM ).

Notre profession est méconnue, à nous aussi de la faire connaître. Il m’est arrivée de discuter avec des enquêteurs qui pourtant, après 12 de service, ne savaient toujours pas à qui s’adresser pour avoir un jugement ni qu’elles étaient les possibilités d’opportunité des poursuites. Bon ben, on va prendre 10 minutes et un café et on va en parler, ca sera toujours ca !

Aujourd’hui, nous méritons d’être reconnus à notre juste valeur et aussi surprenant que cela puisse paraître, nous sortons enfin de l’ombre … 

Un jour à l'instruction

Par Wonderwoman


NB : on parle ici non pas de l’instruction publique donnée dans les écoles, mais de l’instruction judiciaire, c’est à dire, une enquête judiciaire approfondie sur un crime ou délit confiée à un juge enquêteur, le juge d’instruction. NdEolas

Idée reçue : un fonctionnaire ne travaille que de 8h à 12h00 et de 13h30 à 17h00. Si seulement !

7h30 : Arrivée au tribunal. Dans mon bureau, le fax est déjà plein à craquer. Des interpellations ont eu lieu la veille dans un gros dossier de stups, et 6 personnes ont été placées en garde à vue. Les défèrements sont prévus aujourd’hui, la journée promet d’être mouvementée. J’ai 1h30 avant l’ouverture au public pour travailler dans le calme et avancer le plus rapidement possible… Cassiopée me voilà ! Création, fusion, modification, impression… ça avance ça avance.

9h00 : premiers coups de fils et premières intrusions dans mon bureau. La famille de détenus me harcèle pour savoir quand vont être délivrés leur permis de visite, un avocat rentre pour me demander comment avance son dossier, le greffier en chef nous interrompt pour savoir si je ne peux pas remplacer une collègue absente à une audience, un autre avocat déboule pour consulter un dossier et le téléphone sonne, c’est l’accueil qui annonce que mon rendez-vous de 9h30 est arrivé !

9h30 : interrogatoire avec un type dédaigneux qui réfute l’irréfutable, preuve vidéo à l’appui « non non je ne me suis pas enfuis… », alors qu’il court comme un lapin sur la vidéo surveillance…

11h30 : fin d’interrogatoire. Le fax est de nouveau plein à craquer, les gardes à vue avancent, la juge fait le point au téléphone avec les enquêteurs sur le nombre de personnes présentées le soir même. Il y a encore tout le courrier à trier et à traiter. Zut ! Le parquet a encore oublié de me rendre ses réquisitions pour une demande de mise en liberté qui expire aujourd’hui ! Me voilà partie à l’étage chercher le substitut qui a oublié de me redonner mon dossier ! Une fois les réquisitions en main, je redescends et rappelle à ma juge qu’il faut motiver son ordonnance de saisine dans l’urgence… Il y a tout le courant à gérer en même temps, modification de contrôle judiciaire, ordonnance de règlement, permis de visite, délivrance d’attestation de fin de mission pour les avocats, demande de copie…

12h30 : ouf ! Enfin un peu de répit, je sors de mon bureau pour aller déjeuner. Je croise le juge des libertés et de la détention (JLD)qui m’annonce qu’il y a un débat, « Quand ? » dis-je innocemment, « Maintenant » répond-il. Évidemment ! Le Parquet a encore oublié de prévenir la greffière… Bon je déjeunerai plus tard… Escorte, avocat, détenu, substitut, JLD, débat, délibéré, décision… Celui-là ira en détention jusqu’à l’audience de comparution immédiate, pas de suspens quand on sait qu’il n’a pas de domicile fixe, question garantie de représentation il y a mieux…

13h30 : je déjeune finalement sur mon clavier en préparant les défèrements de l’après-midi.

14h00 : les premières escortes arrivent avec leur procédure, il faut que je m’assure que chacun à choisi un avocat, et si ce n’est pas le cas, je dois secouer l’ordre des avocats pour qu’il m’en trouve un immédiatement… Les enquêteurs se dirigent vers le bureau de la juge pour lui faire le point sur les déclarations des gardés à vue, pendant que je jongle avec les avocats qui veulent lire la procédure, le téléphone qui continue de sonner et le courrier qui doit partir impérativement avant mes interrogatoires de l’après midi. La photocopieuse en plein régime, je me mets en mode « certifié conforme le greffier ».

14h30 : le premier mis en cause peut entrer, tout le monde est prêt. « Je choisis de me taire » Parfait ! L’interrogatoire ira plus vite. Et de 2, et de 3… les escortes défilent avec leur gardé à vue. Pour certains ils ressortent libres sous contrôle judiciaire, pour d’autres direction le JLD qui va statuer sont son sort. Mais comme dans une petite juridiction les greffiers sont multi-tâches, la greffière de l’instruction est aussi la greffière du JLD. Il devra donc attendre qu’on ait fini nos défèrements à l’instruction.

18h00 : Enfin, les 6 mis en cause sont passés devant le juge d’instruction. Direction le bureau du JLD. Le juge - « Acceptez vous que le débat se déroule aujourd’hui ou souhaitez-vous un débat différé ? » Le mis en examen - « Je souhaite une débat différé ». C’est parti pour une incarcération provisoire de 4 jours maximum le temps que son avocat ait le temps de préparer sa défense. Une plaie pour la greffière qui devra faire extraction et convocation dans l’urgence pour que les services de la pénitentiaire prévoit le transfert de détenu dans les temps voulus pour le débat différé… Les autres mis en examen défilent, ce sera mandat de dépôt pour certains et contrôle judiciaire pour d’autres.

20h00 : je sors du débat, je retourne dans mon bureau qui est plein à craquer des procédures de garde à vue qu’il faudra que je côte demain à mon arrivée, juste après avoir fait l’extraction en urgence pour le détenu qui a demandé un débat différé.

20h30 : j’arrive chez moi dans mon petit studio vide… Car la réalité est bien là, les premiers postes « choisis » par les greffiers sortis d’école sont souvent très éloignés de leur famille. Le célibat géographique est connu de chacun et de chacune… Ce qui engendre double loyer et doubles charges, sans compter les frais d’essence et d’autoroute pour rentrer auprès des siens le week-end.

Et je suis loin de toucher les 2400€ par mois annoncés par M. WALLS comme étant le salaire moyen des fonctionnaires !

Alors pourquoi se dévouer autant me direz-vous ?

Parce que le poste de greffier à l’instruction est passionnant, enrichissant et épanouissant.

On résume souvent le métier de greffier à un métier de bureau. Mais pas un jour je suis restée assise devant mon écran d’ordinateur ! D’abord, j’adore ce métier pour sa diversité. Chaque jour est différent de la veille. Les dossiers ont toute une spécificité. Avec le temps, on connaît les mis en examen, les victimes, quand l’un ou l’autre nous appelle, on sait tout de suite répondre à leurs interrogations. En arrivant le matin, j’ai beau planifié ce que j’ai à faire, il y a toujours un imprévu, ce qui pimente ma journée. D’autant que ma double fonction Instruction-JLD me promet des débats impromptus au milieu de la journée. Et puis il y a les reconstitutions : convoquer les principaux mis en examen et victimes pour « rejouer » la scène selon les différentes versions ! Alors dit comme ça, ça paraît sympa, mais le travail du greffier est primordiale, car si le juge se « contente » d’interroger chacun, le greffier doit et noter les déclarations des uns et des autres, et noter précisément où la personne déclare s’être trouvée au moment des faits, à quel moment elle dit y être allée…Un peu comme un roman au final ! Et tout ça dans des conditions plus qu’inconfortables : pas question d’avoir un bureau ou de chaise au milieu d’un bois ! La reconstitution c’est ausi l’occasion de débarquer dans un restaurant pour la pause déjeuner avec une quinzaine de gendarmes en uniforme !

J’adore ce métier, ensuite et surtout pour les relations humaines que j’ai pu créer. Avec la juge surtout. L’instruction c’est un binôme juge-greffier. Soit ça passe, soit ça casse ! Après quelques semaines à s’apprivoiser l’une l’autre, nous voilà un binôme efficace, et au bout de quelques mois, plus besoin de se parler pour se comprendre, un simple regard suffit. En interrogatoire, grâce au double écran, je peux même lui écrire des blagues pour la faire sourire, le tout le plus discrètement possible, évidemment. Une réelle complicité c’est installée entre nous. Il faut dire que l’on passe plus de temps au travail qu’avec nos conjoints respectifs, il y a donc plutôt intérêt à bien s’entendre ! On fonctionne réellement à deux, je suis son pense bête notamment quant aux délais impératifs à respecter sans quoi notre tête de réseau de trafic de stupéfiants sort de prison prématurément ! Et la juge est là quand j’ai des coups de bourre. Je me souviens du jour où j’ai du envoyer 80 ordonnances de règlements en lettre recommandée, elle m’a aidée à mettre le tout sous pli… loin de sa fonction de magistrat ! Qu’est ce qu’on a pu rigoler toutes les deux ! Parce qu’il faut se le dire, les dossiers à l’instruction c’est loin d’être le pays des bisounours, entre les agressions sexuelles, les trafics de stupéfiants, les homicides involontaires, les escroqueries de grande ampleur… Il faut savoir décompresser !

Mon bureau, concomitant à celui de ma juge, est rarement vide… Toujours un enquêteur pour venir faire le point sur une enquête ou pour venir chercher sa commission rogatoire. Toujours un avocat pour venir consulter un dossier, ou déposer des demandes. Ma machine à café au sein de mon bureau a aidé à dépasser le simple rapport de travail, et nos relations sont devenues quasi-amicales, et cela a beaucoup facilité le travail au quotidien à l’instruction ! Finalement, certains ont pris l’habitude de venir simplement par sympathie et quand le temps nous le permet, on papote autour d’un café.

Enfin, mes collègues fonctionnaires. J’ai eu une immense chance de trouver des collègues qui sont devenus mes amis. Nos déjeuners donnent lieu très souvent à des fous rire, et nos longues soirées de célibataires se sont transformées en apéro-cacahuète ensemble !

Voilà pourquoi j’aime tant ce métier : les rapports humains, qu’ils soient avec le juge, les collègues, avec les acteurs extérieurs ou avec les personnes impliquées au dossier…

Ce métier il faut l’aimer pour l’exercer !

WonderWoman

11 ans à BOB

Par une Ch’ti dans le 93


A la sortie de l’ENG[1], j’ai choisi la 2ème juridiction de France (BOB pour les intimes[2]) après avoir déplié une carte routière et suivi du doigt la ligne «autoroute A1» menant directement du domicile parental à cette juridiction que je pensais quitter au bout des 2 années fatidiques.

J’y suis restée 11 ans … Onze belles années de rencontres professionnelles et amicales et de dur labeur.

Premier poste au Parquet – déférés exécution des peines – où, à l’époque, les instructions de défèrement sont données par les 2 greffières du service (cela n’a plus cours depuis longtemps) : grande responsabilité mais aussi grand investissement de notre part et un réel engagement pour faire au mieux le travail malgré la masse : à l’époque 80 à 100 déférés par mois.

Ajoutez à cela la mise en place des mandats d’arrêt européens que nous rédigions ma collègue et moi, l’extension du fichier «FNAEG[3]» qui a fait que les réquisitions m’arrivaient dans les belles caisses grises de la Poste débordantes de feuillets (plusieurs par semaine), les recours en grâce et les réhabilitations à instruire, la rédaction des procès-verbaux suite à interpellation sur mandats, les fiches de recherches …

Après ma permanence téléphonique de 08h30 à 18h00, j’enchaînais souvent jusqu’à 20h00 (je n’avais pas de charge de famille) enfermée dans mon bureau (sans plus de téléphone qui sonne jusqu’à 30 fois par jour) à traiter le courrier ou les réquisitions FNAEG car j’avais enfin mes 2 mains libres pour le faire !

Et les permanences de week-end …. La très grande joie des magistrats de perm qui, réceptionnant les tableaux du prochain week-end, voyaient le nom d’une des greffières de l’éxecution des Peines et qui poussaient des «ouf» de soulagement en sachant qu’en cas d’interpellation sur fiche de recherches, ils n’auraient pas à se «torturer» (j’en ai vu se gratter le cuir chevelu quasi au sang) pour savoir ce qu’il fallait faire du gars. Et de me dire : que c’est dur quand il n’y a pas l’une de vous ! Qu’à cela ne tienne je vais confectionner un classeur de permanence avec tous les types de cas de figure qui peuvent se présenter, les PV vierges mis sur disquette (et oui disquette !) et la marche à suivre de façon précise avec les n° de téléphone des services d’escorte et autres fax qui vont bien : tout ça fait en sus de ma charge de travail déjà bien lourde. (nota bene : même avec ce bel outil, il y avait encore de belles boulettes qui attendaient sur mon bureau le lundi matin ! Exécution des peines : bête noire des magistrats).

Les journées étaient bien remplies et certains week-ends aussi. Et oui, meskéskidis ! Les juridictions fonctionnent 365jours / an. Là où certains de mes collègues de province ne se déplacent que s’il y a du monde, dans les grosses juridictions on se déplace toujours le week-end et on ne part que quand il n’y a plus personne à présenter devant un juge : j’ai souvent fini après 20h avec des «dépôts midi» qui arrivent à 16h00 …

Après 4ans et demi de ce train d’enfer, je change de service et laisse l’exécution des peines à deux autres collègues finalement rejoints par une troisième : il faut dire que le nombre des défèrements dépassent maintenant mensuellement la centaine, la charge de travail s’est encore alourdie avec la création du FIJAIS et même si ce n’est plus mes collègues qui donnent les instructions de défèrements, la charge de travail est pire qu’à mon «époque».

Je m’arrête là car je pourrais remplir encore des pages avec mes autres fonctions et vous quitte, en rendant hommage à mes collègues de BOB (non, le fait que les fax ne fonctionnent pas ne fait pas de vous de mauvais fonctionnaires mais des victimes tout comme les personnes à qui le manque criant de moyens de la Justice française a pu causer du tort et de la peine) et d’ailleurs : on ne nous considère pas alors considérez-vous vous-mêmes ! Nous sommes les piliers de la Justice française au même titre que les magistrats ; sans nous rien ne se fait : Nous ne demandons pas l’aumône, Ne baissons plus la tête et luttons pour une revalorisation de nos statuts et de notre salaire.

PS : j’ai une maîtrise en droit et 14 ans d’ancienneté et je gagne à temps plein 1856€/mois.

Notes

[1] L’Ecole Nationale du Greffe.

[2] Tribunal de grande instance de Bobigny pour les pas intimes.

[3] Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques.

Parcours d'un greffier stagiaire

Par un bébé greffier




Je ne suis qu’une petite stagiaire au tout début de ma carrière, alors forcément je n’ai pas encore l’expérience de tous mes collègues titulaires qui sont en poste depuis des années. Un bébé greffier en quelques sortes.

Actuellement à mi-parcours de ma formation, à mi-chemin de la première période de stages, à deux mois du choix des postes tant attendu et tant redouté à la fois, je souhaitais toutefois faire part de ma petite expérience.



Le parcours de formation des greffiers dure dix-huit mois et comprend une période d’une petite dizaine de semaines de formation théorique à Dijon, à l’École Nationale des Greffes, pendant laquelle intervient la prestation de serment. “Je jure de bien et loyalement remplir mes fonctions et de ne rien révéler ou utiliser de ce qui sera porté à ma connaissance à l’occasion de leur exercice”. Puis viennent six mois de stage, et ensuite le choix des postes, un stage de un à deux mois dans notre juridiction d’origine sur un poste similaire à celui que l’on aura, et enfin nous migrons dans la juridiction plus ou moins choisie qui nous accueillera pour notre premier poste en tant que titulaire quand les dix-huit mois depuis notre nomination seront écoulés.

A l’occasion des six premiers mois de stages nous avons l’opportunité de passer par différentes juridictions : tribunal d’instance (TI), tribunal de grande instance (TGI), cour d’appel (CA) et conseil de prud’homme (CPH). Au sein de chaque juridiction, généralement, nous visitons les différents services de celles-ci, cela est d’autant plus exact au TI et au TGI du fait de la durée de ces stages (respectivement huit semaines et treize semaines, contre trois semaines pour chacune des deux autres).



A l’occasion des six premiers mois de stages nous avons donc l’opportunité de rencontrer de nombreux greffiers, qui sont depuis plus ou moins longtemps en poste, qui sont plus ou moins passionnés par leur métiers, plus ou moins désabusés.

Il y a ceux qui sont heureux de voir arriver les stagiaires car ils voient en eux la relève. Il y a ceux qui ne sont pas heureux de voir arriver les stagiaires car dans certaines juridictions nous sommes très nombreux, alors forcément les stagiaires défilent et ça prend du temps de tout nous expliquer, de tout nous montrer, en deux mots de nous former. Il y a ceux qui au contraire sont très pédagogues et se font un plaisir de nous apprendre les rouages du métier. Il y a ceux qui accueillent avec plaisir les stagiaires car ils peuvent ainsi apporter une aide significative au service. Il y a ceux qui jettent les cahiers remplis de notes des stagiaires, sûrement parce qu’ils sont un peu aigris. Il y a ceux qui sont très stressés et qui à la moindre difficulté s’en font une montagne, mais au fond cela témoigne d’une grande conscience professionnelle. Il y a ceux qui paraissent désorganisés, mais qui sont en réalité les plus efficaces dans leur service. Il y a ceux qui paraissent désorganisés, et qui le sont effectivement. Il y a ceux qui sont très organisés et il ne faut surtout pas toucher à leurs dossiers, au risque de les perturber sinon gare aux remontrances. Il y a ceux qui sont enclins à déléguer. Il y a ceux qui ne sont pas enclins à déléguer. Il y a ceux qui sont très solitaires. Il y a ceux qui préfèrent le travail d’équipe. Il y a ceux qui sont très expansifs. Il y a aussi les lunatiques, les colériques, les sympathiques, les adorables.

Il y a une multitude de greffiers, autant de personnalités, chacun avec leurs défauts et leurs qualités.



Les stages nous permettent de faire énormément de rencontres, des bonnes et des moins bonnes. Des rencontres qu’on n’oubliera pas parce qu’on a été bien accueilli et qu’on a énormément appris.



Personnellement, au cours de mes stages, j’ai pu observer différents services, certains où ça roulait, d’autres moins.



Il y a des services où il y a de très bons greffiers, mais malheureusement tout ne marche pas comme sur des roulettes, par exemple parce que le président de la chambre exige trop de choses et souhaite changer du tout au tout le fonctionnement de la chambre, cela va forcément impacter les magistrats, ET les greffiers. Devoir changer son organisation et ses méthodes de travail crée des tensions, une pression constante pèse sur les épaules des fonctionnaires et des magistrats. Parfois, il peut arriver aussi que ce soit un greffier en chef qui mette trop la pression à son service, à tel point que c’en est presque du harcèlement moral. Heureusement je ne l’ai vu qu’une fois.



Le manque cruel de considération des greffiers par les magistrats peut également rendre le travail difficile au quotidien. Oui, malheureusement tous les magistrats n’apprécient pas les greffiers à leur juste valeur. Heureusement ce n’est pas le cas de tous. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’en rencontrer plusieurs, des “deux catégories”. J’ai ainsi pu avoir à faire à une juge des enfants qui trouvait inadmissible la présence de stagiaires greffiers dans le public d’une audience de tribunal pour enfants, alors que, rappelons-le, tous les greffiers stagiaires ont prêté serment et sont habilités à assister aux audiences, qu’elles soient publiques, non publiques ou à publicité restreinte. À l’inverse, j’ai rencontré une personne qui était tellement sympathique et qui faisait volontiers la bise aux greffiers du service lorsqu’il arrivait le matin, que j’ai été surprise d’apprendre qu’il s’agissait en fait d’un substitut général. Tout cela pour dire que le manque de reconnaissance du travail des greffiers fait parfois pâtir les services, car sans reconnaissance, au bout d’un moment, il y a moins d’envie de bien faire, de se surpasser pour que tout se passe bien.



Je suis également passée par des services en manque d’effectif. Notamment un qui m’a marqué, car les greffiers y étaient tous sympathiques. Ils m’ont accueillies à bras ouverts. Ils ne rechignaient pas à répondre à mes questions. Ils m’ont expliqués les spécificités de leurs services. Ils m’ont formée. Du coup, en échange de cette formation, j’ai ainsi été en mesure de leur apporter de l’aide, car je pouvais effectuer le même travail qu’eux. Dans ce service j’y suis restée assez longtemps, trois semaines. Ils étaient trois quand il aurait fallu quatre personnes.

Un d’eux m’a d’ailleurs dit “nous on adore avoir des stagiaires car ils nous permettent de suivre le rythme, mais ce qui est dramatique c’est quand ils s’en vont, car on était habitué à un fonctionnement “normal” du service et d’un coup on se retrouve avec une surcharge de travail importante.”

Et en effet le manque d’effectif devient dramatique quand on est confronté à des procédures impliquant de courts délais lourdement sanctionnés. C’est à ce moment là que les greffiers effectuent des heures supplémentaires sans compter, car sans eux toute une procédure pourrait tomber à l’eau.



Un autre exemple de défaillance auquel j’ai été confronté : un problème informatique. Une collègue ne pouvait pas accéder à sa session d’ordinateur depuis la salle dans laquelle se déroule le bureau de conciliation au CPH. Or l’accès à un ordinateur est nécessaire pour effectuer le suivi en temps réel depuis le logiciel, et surtout pour éditer le procès-verbal de conciliation ou de non conciliation ainsi que les bulletins de renvois en bureau de jugement. Les différentes solutions proposées : tout faire manuellement, autant vous le dire tout de suite, ça prend du temps et allonge donc la durée de l’audience qui est parfois déjà très longue ; ou emprunter les codes d’un collègue qui n’est pas confronté à ce problème, et là on défie toutes les règles de sécurité informatique (non divulgation de codes personnels notamment…). Il aura fallu trois semaines pour que le problème soit réglé. Pourquoi autant de temps ? Parce que la personne “experte en informatique” est partie de la juridiction il y a quelques mois et n’a pas été remplacée.



J’ai également pu constater le manque de moyen matériel : il faut parfois batailler pour obtenir des fournitures, que ce soit agrafes, post-it, stylos, côtes pour les dossiers, toners, etc. En parlant de toners, il faut bien sûr les utiliser au maximum, et on se retrouve avec des convocations où on a du mal à lire un mot sur deux car il n’y avait plus assez d’encre.



Tous ces manques de moyens expliquent la colère des greffes. Le manque de reconnaissance quant à nos compétences, nos diplômes de plus en plus élevés, tout le travail que l’on fait, le manque de reconnaissance personnelle, statutaire et indemnitaire expliquent le mouvement actuel.

La Parole aux greffiers

Ce qui est aberrant, c’est un parquetier qui ne signe pas les fiches casier (pour faire inscrire la condamnation au casier judiciaire), par manque de temps… ou par manque d’envie, c’est donc le greffier qui doit la signer.

Ce qui est aberrant, c’est un parquetier qui fait corriger la fiche casier au lieu de faire corriger le jugement sur lequel la fiche casier se fonde. Dans ce cas, la fiche casier ne correspond pas au jugement. Ou pire, c’est un parquetier, qui souhaite faire une rectification d’erreur matérielle et qui lorsque le greffier lui présente le dossier, refuse de la motiver et donc la rectification est abandonnée.

Ce qui est aberrant, ce sont les greffiers qui, à la place du parquetier, donnent les orientations aux policiers (défèrement, notification…) concernant les personnes inscrites au FPR ( Fichier des Personnes Recherchées) qui sont arrêtées.

Ce qui est aberrant, et usant surtout, c’est un greffier qui pose trente six fois la même question à son parquetier et que celui-ci répond à côté de la plaque.

Ce qui est aberrant, ce sont 1500 décisions qui dorment dans un placard en attente d’être exécutées, alors que pendant ce temps là on ajoute des audiences correctionnelles pour rendre encore un peu plus de décisions, en somme faire du chiffre alors que le service Exécution des peines n’est pas renforcé.

Ce qui est aberrant, c’est de rester 2 jours pleins sans informatique (Cassiopé), et donc sans possibilité de pouvoir travailler. C’est arrivé plusieurs fois tout l’été dernier.

La justice va mal, on se demande comment il n’y a pas plus d’erreurs judiciaires !

“Sissi”,
Greffière à l’Exécution des peines (TGI)
21 ans d’expérience dans tous les services au sein de TGI de région parisienne et de province.

Fière d'être greffière au 21 ème siècle

Par Libera


Nous, greffiers et fonctionnaires de justice, y sommes sensibles en cette période de grande protestation. Enfin, nous nous sommes unis de manière moderne, par la voie électronique, pour sauver nos carrières, pour sauver notre justice, pour protéger les citoyens face à la destruction qui se profile de nos juridictions de proximité.

Je suis sensible aux jeunes avocats qui débutent. Nous sommes là pour leur apporter notre concours en notre qualité de spécialistes de la procédure, lorsqu’ils sont démunis face à une procédure qui leur échappe. Ne travaille-t’on pas dans un même objectif ? Une justice efficace, claire. Pour TOUS. Je suis aussi sensible aux jeunes magistrats qui parfois se trouvent bien isolés dans un rôle de juge spécialisé avec pour seul ami, le greffier. La transmission des savoirs est importante dans notre métier. Le greffe de l’application des peines dans lequel je travaille, je le connais, j’ai découvert la procédure de cette matière, seule pendant 8 mois, à peine arrivée que le JAP[1] était muté. Seule face aux dossiers, face aux condamnés, face au magistrat remplaçant déjà bien occupé par son cabinet d’instruction puis face au magistrat « placé » deux jours par semaine. Une orpheline face à ses questions.

N’ayant fait aucunes études de droit, mais passionnée par cette matière, j’ai intégré le Ministère de la justice après un concours d’adjoint administratif. Très vite j’ai eu à exercer des tâches de greffier. Je n’ai jamais eu à le regretter et les connaissances acquises ont largement compensé l’absence des indemnités d’un greffier. Attention, je ne dis pas que je suis d’accord avec ce modus operandi : profiter des qualités d’agents de catégorie C sans leur garantir un retour financier. J’y ai trouvé mon compte, c’est tout.

Je me suis battue pour avoir un parcours professionnel riche, pour assurer ma mission de service public, pour assurer au justiciable un accueil de qualité ; je ne veux pas aujourd’hui que la justice soit bafouée par une énième réforme qui mettra en péril les intérêts du citoyen. Je me sens trop proche de ceux-ci pour accepter cela.

Selon moi, en tant que greffier, je poserais une seule question. Je l’ai posée lors d’une intervention dans un lycée dans lequel je me suis rendue récemment pour évoquer le métier de greffier : comment pensez-vous que le dossier arrive sur le bureau du juge ? Sous cette question se trouve toute l’étendue de nos tâches. Nous parcourons la procédure du début de l’instance à son inéluctable fin, parfois après de long mois, voir de longues années. Que de travail accompli, par nous, fonctionnaires de justice durant tout ce temps.

Que dire de ces scenarii de réforme, fruits d’un long travail ayant donné lieu à pas moins de 4 rapports, à un débat national, à une consultation des magistrats et fonctionnaires des juridictions à qui l’on offre le droit d’expression ? Droit d’expression vite retiré par la censure de nos messages par voie électronique. Nos claviers faisaient trop de bruit.

Vous l’avez compris, les enjeux de ce projet de réforme vont bien au delà de la seule revalorisation des greffiers, c’est la destruction de nos juridictions de proximité que nous défendons avec force.

Madame le Garde des Sceaux a elle même rappelé en janvier 2013 lors de l’audience solennelle de la Cour de Cassation que le citoyen est la raison d’être de la justice. Et elle voudrait aujourd’hui que nous adhérions tous à cette réforme qui éloigne la justice du justiciable ? Car nous ne sommes pas dupes, la justice du 21ème siècle, dont la seule philosophie est de répondre à une nécessité de restriction budgétaire est loin de nous satisfaire.

Création d’un tribunal unique de première instance et mutualisation des moyens. Magistrat délesté de certaines tâches. Justice délestée de magistrats. Greffier juridictionnel enrichi de nouvelles compétences en échange d’une revalorisation salariale insignifiante.

Et nous aurons, pour seule satisfaction, d’avoir contribuer à l’effort de réduction des coûts pour sauver notre pays d’un endettement pharaonique dans les années à venir.

Note

[1] Juge d’Application des Peines.

Sans légende

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KessKiDis

Cher Maitre Eolas,

Ainsi vous nous invitez à nous exprimer, nous les ‘petites mains’ de la machine.

Alors je vais me permettre de raconter mon histoire, celui d’un catégorie “C” par volonté, œuvrant depuis plus de 25 ans dans un Tribunal de Grande Instance de taille moyenne.

Par avance je prie le lecteur du blog, habitué à la fulgurance, d’excuser la pauvreté et la confusion de mon style. Je n’ai pas l’éloquence de magistrats et d’avocats plus habitués à l’ exercice.

je suis entré au ministère de la Justice en 1988 sur concours et par choix. J’étais fier d’intégrer ce milieu, qui m’apparaissait beaucoup plus intéressant et chargé de plus de sens, que celui de l’éducation nationale par exemple. A l’époque il y avait des corps de métier. De par ma formation j’ intégrais après un concours celui d”Ouvrier professionnel”

Un Greffe ce ne sont pas que des greffiers, il y avait à l’époque (et il y a toujours , mais de moins en moins ! )plusieurs fonctions.

J’avais donc un métier, celui d’imprimeur, et je me mis à travailler pour tout le ressort de la Cour d’Appel.

Certes ce fut laborieux et … lent. Mais mon statut et mes notations me permettaient d’évoluer sereinement vers une promotion de “Maitre ouvrier” sorte de catégorie B technique.

Et surtout j’apprenais à connaître ce milieu, m’amusais de voir ces rouages parfois poussiéreux, tourner lentement. Découvrais le siège, le parquet, le greffe. Bref, notre fonctionnement judiciaire, que la grande majorité de nos concitoyens , même la plus éduquée, ignore.

Puis les choses évoluant, notamment avec l’arrivée de l’informatique, il apparu que le budget à investir pour le renouvellement de l’équipement d’une imprimerie intégrée ne se justifiait plus…

qu’à cela ne tienne, j’étais près à évoluer aussi, j’en avais l’envie, l’informatique par exemple, me plaisait je travaillais personnellement déja beaucoup avec.  Mais je souhaitais rester dans le domaine de la technique. Celui que j’aime.

A l’époque on me répondit; pour évoluer, passe le concours de greffier !  Mais le métier de greffier ne m’ intéresse pas, je suis un technique, j’aime résoudre les problèmes techniques, et dieu sait si au sein d’une juridiction il y a à faire dans ce domaine.

Je suis donc resté ouvrier professionnel : conducteur d’offset… sans offset, sans imprimerie.

En clair : pas besoin de technicien dans la justice !

En 2000 on me demande de prendre la fonction de Correspondant Local Informatique (CLI dans notre jargon) dans ma juridiction.

C’est ainsi que sans aucune formation, sans aucuns moyens supplémentaires,- je n’avais même pas de PC attribué à l’époque-, j’ai du, du jour au lendemain, tenter de résoudre  les problèmes informatiques de la juridiction. Et par extension tous les problèmes posés par les machines mises plus ou moins rationnellement à notre disposition. Téléphonie, photocopieurs, équipement d’enregistrement des procédures, puis plus tard visioconference, et équipement de numérisation .etc etc… l’avantage d’être plongé dans le bain comme ça, c’est que c’est formateur.

Le rôle de CLI est une fonction attribuée, si possible à un volontaire, souvent c’est le greffier en chef ou directeur de greffe qui le fait. Sans entrer dans le détail, il est évident que la tâche n’est pas la même entre un Tribunal d’Instance de 20 personnes avec une seule application informatique métier et un TGI de plus 100 personnes, ayant encore de nombreuses applications informatiques en local.

A titre d’illustration, le ressort de la Cour d’Appel dans lequel j’officie, compte 4 TGI, 5 TI, 6 CPH donc plusieurs centaines d’utilisateurs dispersés sur une région.  Il y a pour ce ressort, 1 seul Responsable de la Gestion Informatique secondé par 2 techniciens ! Le rôle de correspondant local informatique, seul intervenant technique sur place n’est donc pas anodin. Théoriquement son rôle ne consiste qu’a faire un pré diagnostique des pannes, logicielles ou matérielles, et appeler le bon intervenant. Dans les faits, notre rôle selon la taille de la juridiction est souvent plus celui d’un technicien suppléant !

Le tout sans reconnaissance statutaire, uniquement sur la bonne volonté. La plupart de mes collègues sont greffiers, ils ont donc une formation littéraire & juridique, ils ont beaucoup de courage je trouve !

Puis un jour, ma hiérarchie me fit signer un arrêté. Terminé, le grade d’ouvrier professionnel, je fus intégré dans celui plus global des :  Adjoint Technique Principal deuxième catégorie des services judiciaires …(sic)

Terminé aussi l’évolution de carrière aussi. Je reste « C ».

Malgré mes demandes et recherches à l’époque pas la moindre explications sur les tenants et aboutissant de la chose. Des syndicats, points de réponses ni d’informations à part les habituels demandes d’adhésion … 

À ce jour, après 26 ans de carrière je gagne 1740€ par mois (21000/an).

Notez que je ne me plains pas, si j’étais pas content j’irais voir ailleurs.

Je donne ça à titre purement indicatif. Mes collègues greffiers font un peu, (pas beaucoup) plus. Pour certains c’est toujours trop. Pour d’autres pas assez. De toute manière il y a une telle hypocrisie générale en matière de salaires en France, que je laisse le lecteur juge.

voilà rapidement comment je suis passé d’un ouvrier avec un métier à un « faisant fonction ». Je laisse au lecteur le soin de tirer lui même les conclusions.

Passons.

Mais visiblement vu de ma petit cave du palais, il semble que la volonté gestionnaire techno de ceux qui nous gouvernent depuis quarante ans, quelque soit leur étiquette, est de transformer les palais de justice en usine à produire du jugement, avec du magistrat et du greffier. Tout le reste doit être sous traité.

Pour illustrer cette saillie qui ne peut être issue que d’un mauvais esprit aigris et rétif à toute modernisation, une petite illustration.

J’ai connu l’age béni ou un gardien concierge officiait dans le Palais. Souvent il y logeait avec sa famille, dans des conditions parfois fort précaires.

Mais c’est bien connu un concierge ça coûte cher, ça râle tout le temps s’est syndiqué, et ça ne rend jamais de menu services. 

Donc on les remplace par des sociétés de gardiennage, à la réputation exemplaire, aux coûts et aux exigences sans communes mesures avec ces salopards de privilégiés qu’étaient les gardiens… 

Moralité et sans être fort en math, avec le coût annuelle d’une société de gardiennage, on doit pouvoir se payer 3 gardiens à temps complet.

Ce concept génial est bien sur étendu à tout ce qui peut l’être : l’entretien des locaux, l’informatique, etc.. etc..

Et vous aurez toujours un crane d’œuf technocrate pour vous expliquer que c’est mieux et moins cher.

Notez que c’est souvent le même genre d’individu qui râle quand le toner de son imprimante ne se remplace pas tout seul, ou que l’ampoule de sa lampe n’est pas remplacée dans la minute…

Et bien entendu je vous invite tous à venir visiter un TGI pour admirer le résultat de cette remarquable gestion !

Depuis Tout ce temps J’ai vu défiler environ 13 Gardes des sceaux.

J’ai vu les “Journées justice” de Jacques Toubon, la réforme de la “carte judiciaire” de Rachida Dati, et maintenant la “Justice du 21 siècle” de Christiane Taubira…

Dans le même temps,
j’ai vu notre palais de justice se délabrer de plus en plus
j’ai vu la perte d’autonomie des chefs de greffe
j’ai vu la création des :
ARSIT, SAR , DIT pole Chorus …. j’en passe et des meilleurs.

Tout un tas de machins & de bidules soit disant la pour nous aider à mieux faire fonctionner les juridictions… avec succès tel que nous en sommes à attendre maintenant des mois pour avoir des fournitures de bases comme du papier ou du Toner. Que notre Autocom à plus de 10 ans que certains de nos postes téléphoniques plus de 20 !

Et tous les jours dans le poste, (enfin quand je l’ouvre) j’entends dire que ce pays est de plus en plus endetté.

Vous nous parlez de Cassiopée, Me Eolas, je pourrais vous parler de la remarquable manière dont fut mise en place ce système informatique. Je sais j’y étais, nous fûmes même parmi les 1er à le mettre en place… j’ai des noms !!!

Évidemment dix ans après, les cabinets d’instruction et une partie du Tribunal pour enfant n’est toujours pas intégré dedans.

J’ai vu la mise en place de la GED : Gestion Eléctronique des Documents dans les juridictions. En fait c’est de la numérisation des dossiers, c’est fou ce que les technos raffolent des sigles !!!

Simplement parce qu’il nous paraissait rationnel, nous nous sommes battus dans notre greffe, pour mettre en place ce système. Avec du matériel inadapté, pas ou peu de formation, très peu, pour ne pas dire pas de soutien.

Tout ça pour revenir en arrière : A quoi bon numériser si il faut toujours donner les copies papiers aux Avocats? Un simple photocopieur suffisait !

Malgré les demandes répétées directement à la chancellerie, impossible d’avoir des réponses concrètes en ce qui concerne la consultation du dossier numérisé par l’avocat !

J’ai vu le législateur imposer tout un tas de lois, comme par exemple :
l’enregistrement des interrogatoires à l’instruction avec du matériel inadapté, inopérant non fiable.

Je pense que les avocats pénalistes qui ont tenté un jour de consulter un cd d’interrogatoire enregistré sauront de quoi je parle !

La mise en place des “douchettes” pour la lecture des timbres fiscaux !!!! Complètement abandonnés, depuis…
etc …etc…

J’ai vu la différence de traitement en matériel et en personnel entre une Cour d’Appel et un Tribunal de Grande Instance.

J’en passe et des meilleurs. On pourrait noircir des pages ! Pas une année qui n’annonce son lot d’idées technocratiques géniales en tout genre, à mettre en place.

Un argent, un temps, et une énergie considérable gaspillés en pure perte au détriment d’une chose essentiel : rendre la Justice, au quotidien sur le terrain.

Et dans le même temps comme tous nos concitoyens j’ai vu la dégradation de l’image de cette Justice.

Comme le reste de nos institutions essentielles à la démocratie d’ailleurs.

Alors évidemment quand notre garde des sceaux nous demande de réfléchir à la justice du 21 siècle, je n’y vois que pure démagogie, une énième manœuvre de com’ politicarde, histoire de prouver qu’un politique ça réforme ça disperse ça ventile…

Pour rester dans Audiard j’ajouterai même que les politiques ça osent tout c’est même à ça qu’on les reconnaît !

J’aimerais que Mme Taubira m’explique pourquoi sa réforme ne serait pas une énième annonce démagogique de plus. Son monde à elle, n’étant pas le notre. La justice demande du temps et de la sagesse tout le contraire de la com’politicarde immédiate.

Alors voilà Me Eolas.
Tu l’as voulu, tu l’as eu, la logorrhée !

Et j’ai pas terminé.

Je vais relativiser votre vision pour le moins idyllique du greffe.

Si le greffe est majoritairement féminisé, c’est parce que le plus gros des embauches s’est fait dans les années 70 et début 80 à une époque ou c’était le second Job de la famille. Celui qui permettait de payer les traites de la maison !

Alors j’ose le dire, la notion de justice et de service publique est parfois une notion assez secondaire chez la plupart de mes collègues.

Par contre je reconnais une évolution de la motivation dans les jeunes générations.

Je reconnais aussi avoir côtoyé des personnages fascinants qui m’ont appris beaucoup.

Mais ne soyons pas dupe, j’ai bien peur que ce mouvement de grogne ne finisse noyé comme c’est hélas trop souvent le cas, dans des demandes corporatistes minables, et l’on passera une nouvelle fois sur ce qui est le plus dur à obtenir, c’est à dire une gestion rationnelle de cette institution essentielle à la démocratie. Pour être respecté il faut être respectable.

Nos dirigeants politiques ne le sont plus.

De toutes nos institutions républicaines fondamentales, le seul aspect respectable de la Justice étant sa pauvreté. Ça reste un peu juste pour bien faire. Du moins pour faire au mieux.

Malgré tout ça , j’aime toujours mon Palais de Justice. Tout simplement parce que tous les jours je vois des personnes, greffiers ou magistrats heureux que je les dépanne. J’aimerais bien que tout ça conserve du sens.

Merci pour votre accueil, Me Eolas.

Bien cordialement,
François

Quelques explications sur ma colère...

Par Greffierencol


Puisque ce blog nous est ouvert (merci pour l’invitation), puisqu’il n’est pas lu uniquement par d’éminents juristes et pour vous permettre à vous lecteurs de comprendre ce mouvement de colère si discret aux yeux du grand public, si fort et si puissant à nos yeux, ainsi que la grève prévue le 29 avril prochain, quelques explications s’imposent. Je ne reprendrai pas ici le portrait si juste dressé de nos fonctions par le maître de ces lieux, j’ajouterai simplement quelques précisions et quelques exemples qui, s’ils ne concernent pas tous les personnels de greffe, en concernent tout de même un certain nombre.

Plusieurs corps de métiers composent les greffes des tribunaux de l’ordre judiciaire : les secrétaires administratives, les adjoints techniques, les adjoints administratifs, les greffiers et les greffiers en chef. Et le mouvement actuel concerne tous ces personnels, qu’ils relèvent des catégories A, B ou C. Traditionnellement, à chaque catégorie correspond des fonctions différentes et des responsabilités différentes qui exigent un niveau de diplôme différent et une rémunération adaptée.

Toute la difficulté réside aujourd’hui dans ces deux derniers paramètres.

A la suite d’une politique de restriction budgétaire désastreuse menée par différents gouvernements successifs, les recrutements de magistrats, de greffiers en chef, de greffiers et d’adjoints ont été en totale inadéquation avec les nécessités induites par les évolutions de notre société. Ils ont ainsi été presque inexistants plusieurs années durant. Et, s’il faut reconnaître que tel n’est plus le cas depuis l’année 2012, cette situation a amené à la pénurie de magistrats, de greffiers en chefs et de greffiers que nous connaissons actuellement et qui ne va cesser de s’accentuer avec les très nombreux départs à la retraite que les années à venir nous promettent. Mais elle a également amené un grand nombre d’étudiants en droit, s’étant initialement destinés à des concours de catégorie A, à présenter des concours de catégorie B voire de catégorie C, comme par exemple les concours de greffier et d’adjoint administratif. Ainsi, un très grand nombre de jeunes adjoints et de jeunes greffiers sont beaucoup plus diplômés que ce qu’exigent les conditions légales de présentation aux concours. Or cette situation n’est plus tenable dès lors qu’aucun perspective d’évolution ne leur est offerte tandis qu’au quotidien, ils assurent de plus en plus souvent une grande partie des fonctions de greffier pour les adjoints et une partie (si petite soit elle) des fonctions de magistrats pour les greffiers. Elle l’est d’autant moins lorsque leur rémunération, correcte pendant la période de formation, atteint péniblement 1600 euros après quatre ans de titularisation et quelques 2300 euros maximum en fin de carrière pour les greffiers. La situation devient proprement inacceptable pour les adjoints qui commencent leur carrière à 1200 euros et la terminent à 1800 euros mensuels maximum bien qu’ils aient pu assurer des fonctions de greffier toute leur vie professionnelle durant, un « SMIC amélioré » en somme.

C’est ainsi que les personnels de greffe, qu’ils soient greffiers, adjoints administratifs ou adjoints faisant fonction de greffier, revendiquent des évolutions notables de leurs statuts et de leurs rémunérations.

Au quotidien, nous assurons indifféremment, par manque de personnel, des tâches de secrétariat pur, de greffier, parfois même de magistrat sans parler des tâches de concierge, d’électricien, de technicien informatique ou de bonne à tout faire que nous devons ponctuellement assurer lorsque certains de nos magistrats sont quelque peu assistés. Et je n’exagère rien : quid de ce magistrat nouvellement affecté dans une juridiction labyrinthe qui nous demande de venir le chercher parce qu’il n’a pas de temps à perdre à chercher la salle d’audience ? quid de celui-ci qui nous demande de venir chercher un dossier à l’autre bout du Palais, parce qu’après tout ce n’est pas son travail ? Je passe sur les nombreux fax et photocopies que nous seuls sommes habilités aptes à exécuter voire à réparer (parce que nous seuls nous sommes posés cette question essentielle : Comment fonctionne ce photocopieur ? Comment fonctionne ce fax? A quoi sert ce gros bouton vert ? Si j’ouvre cette petite trappe, vais-je pouvoir le réparer ?), la liste serait trop longue et déprimante.

Il me paraît nécessaire d’insister à ce stade sur une mission essentielle que nous devons assurer au quotidien et qui explique, entre autre, pourquoi notre mouvement ne s’est pas encore radicalisé. Il s’agit de l’accueil qui, téléphonique comme physique et pour paraître la moins technique de nos tâches, n’en est pas la moins difficile. Difficile et sensible lorsqu’il s’agit d’accueillir un public de justiciables angoissés et exaspérés après avoir déambulé des heures durant avant d’avoir pu trouver le service adéquat, lorsqu’il s’agit d’accueillir des « collaborateurs de justice » tels que les interprètes et experts qui, après n’avoir pas été payés des années durant, rechignent un peu à accepter de nouvelles missions ou bien encore lorsqu’il s’agit d’avocats désespérant d’obtenir une réponse à leur demande, un entretien avec un magistrat malgré deux courriers, trois fax et cinq appels en ce sens. Et pour l’exécution de cette fonction, nous sommes là encore seuls, greffiers comme adjoints. Nous sommes seuls et protégeons régulièrement nos juges qui, d’un tour de main, peuvent se réfugier dans leur bureau quand nous ne pouvons pas nous dérober à nos interlocuteurs.

Puisque le temps m’est ici donné, j’en profite et je continue, à titre personnel, en me désolant par exemple d’avoir dû rappeler, à plusieurs reprises, les termes de la loi à certains de mes magistrats, d’avoir du attirer leur attention sur certaines de leurs propres décisions pour éviter des requêtes en omission de statuer, de m’être surprise à vérifier que, passé minuit, la date de notification d’une ordonnance change. Tous ne sont pas assistés bien sur, certains sont de véritables encyclopédies juridiques sur lesquelles il fait bon de pouvoir compter mais pour les autres, il est d’autant plus facile de se reposer sur un greffier lorsque celui-ci est parfois plus diplômé que lui et pour lequel les bancs de l’université sont un souvenir beaucoup plus vivace.

Alors nombreuses sont les frustrations, les colères quotidiennes que nous ne pouvons plus garder pour nous. Trop d’injustices, trop peu d’équité, trop peu de réflexion, de concertation au sein de notre ministère. Nous avons trop accepté sans broncher, tenté en vain de digérer des réformes indigestes, d’accepter des conditions de travail inacceptables, de cautionner des situations iniques. Encore quelques petits exemples qui n’engagent que moi mais auxquels je sais que quelques uns de mes collègues seront sensibles : lorsque mon juge et moi nous déplacions pour cause de permanence et de grands méchants en liberté, nous étions indemnisés tous deux 40 euros pour la journée. Il va maintenant être indemnisé à hauteur de 110 euros tandis que je continuerai à réclamer 40 euros, bien qu’arrivée avant lui et repartie bien après… Tiens d’ailleurs, une grosse enveloppe budgétaire vient d’être débloquée pour pouvoir payer tout ça….

D’autres indemnités me sont inaccessibles telles que la prime de risque liée au contentieux antiterroriste, parce que sans doute, lorsqu’ils viennent dans mon service, les mis en examen terroristes ne doivent plus l’être le temps de l’audience. Audience qui, sans doute, doit être fictive et à tout le moins terminer avant 17h30 puisque je n’ai pas non plus droit à la NBI. Voilà ce que je me répète à chaque fois qu’à 2h30 du matin (les joies du JLD pénal à Paris), je cherche en vain un taxi aux abords du Palais pour pouvoir rentrer chez moi. Alors, certes, ces primes ou indemnités, si elles m’étaient accordées, ne changeraient pas radicalement mon quotidien mais elles démontreraient un certain souci de justice et de réflexion lors de l’élaboration des statuts et des rémunérations, ce qui nous fait aujourd’hui cruellement défaut.

Mais que je me rassure, le SAR (service qui établit les fiches de paye et ordonne les virements de nos salaires) n’a pas oublié que j’avais droit à la prime liée à la vie chère. Parce que oui, grâce à ces 50 euros mensuels, mes 800 euros de loyers me semblent plus légers. Ah mais ai-je oublié de vous parler des logements publics inexistants pour les seuls fonctionnaires du ministère de la Justice ?

Ici encore, la liste des raisons de notre colère, de ma colère n’est pas exhaustive et un dernier exemple s’impose. Jeune greffier que je suis, naïve et pleine de bonne volonté, je me suis portée volontaire pour participer à certains des grands projets mis en place dans ma juridiction. S’il s’agissait de concertation, celle-ci a systématiquement trouvée ses limites lorsque j’émettais un avis contraire aux informations propositions qui m’étaient formulées, osant expliquer (petite impertinente que je suis) qu’elles étaient simplement incompatibles avec la réalité de mon service.

Alors un nouveau grand débat, sur la Justice du XXIème siècle, ce sera sans moi si cette fois encore on ne commence pas parler de la situation actuelle, si dans le même temps tel service doit se battre pour avoir un standard téléphonique qui fonctionne, tel autre un logiciel dont le contrat de maintenance soit renouvelé, si le budget de fonctionnement de la quasi totalité des juridictions continue à être épuisé au mois de mai, quand ce n’est pas avant et si, au préalable, les conditions de travail et le statut des différents personnels de greffe ne sont pas réexaminés sérieusement.

Et comme un mouvement quotidien respectueux des justiciables, des magistrats, des avocats et de tous les intervenants de Justice, n’est pas écouté, alors oui, le 29 avril prochain je ferai grève.

Greffier dans une grande juridiction de province…

Par un greffier (presque) à la retraite


Je suis greffier d’un tribunal de grande instance, à peu près 280 fonctionnaires.

Comment çà fonctionne ? Cela fonctionne avec de la bonne volonté actuellement, je n’en dirai pas plus.

Pourquoi en parler ? Je le fais parce qu’en pré-retraite : en réalité, je serai en retraite pour l’été et je récupère actuellement toutes les nuits passées au tribunal correctionnel, ce qui représente 90 jours de congés. Et encore, je m’en suis fait payer quelques 50 jours sans compter les heures dites de dérogation qui se montaient à 800 et que j’avais récupérées il y a 2 ans sur mon temps de travail ; j’ai alors subi les foudres des greffiers en chef qui se sont plaints de retard dans le travail me collant un rapport au passage. J’ai finalement dû arrêter la correctionnelle pour finir au greffe pénal.

Alors, vous me direz dépressif ! Pas du tout, je n’y mettrai plus les pieds, c’est tout. Autant le travail est passionnant, je parle des audiences, pas de l’administratif, autant les conditions de travail sont désastreuses et cassent le moral.

Mais oui, c’est cela la vie de greffier, un métier avec des hauts et des bas et toujours l’impression d’écoper un bateau qui prend l’eau de toute part. Maintenant, je suis un vieux greffier perforé de douleurs pour n’avoir pas su me préserver.

Une seule consolation : avoir eu des collègues et des greffiers en chef ouverts, des magistrats aussi avec lesquels j’étais en communion, des avocats en général sympathiques ou carrément antipathiques. Et un pot de départ pas trop triste, plutôt heureux de m’en sortir.

Signé : Un greffier bac +2, 36 ans de carrière dans le même TGI avec quasiment tous les services à son actif mais une retraite au rabais pour n’avoir pas les annuités pour une retraite à taux plein.

PS : je suis actuellement à 2382,32 euros : en retraite, faudra compter 800 euros en moins…

Le bâtonnier et le greffier

Un greffier me signale cet échange qui révèle hélas la méconnaissance et l’injuste mépris ressenti parfois par les greffiers


En marge d’un article dans un quotidien de la Réunion sur le “divorce par consentement mutuel sans juge”, voici ce que dit des greffiers un bâtonnier :

Extraits choisis :

“j’ai un grand respect pour le corps de greffier, mais son rôle se limite à l’administratif, à l’économie de la juridiction et à la préparation des audiences. Ce n’est pas son rôle de tenir des audiences” (sic)

avec un juge aux affaires familiales (…) nous parlons le même langage, nous sommes toujours à égalité de hauteur de point de vue (…)” (resic)

” (…) leur diplôme aux greffiers est très pointu, mais le droit n’est pas leur matière (…)” (reresic)

Réponse dans le Quotidien du 4 février 2014

Les greffiers prennent la parole !

Dans l’ambiance particulière des salles d’audiences , il est un acteur qui sera le seul à ne pas s’exprimer pendant les débats judiciaires : le Greffier. Personnage énigmatique tantôt assimilé à un secrétaire de séance, tantôt à un scribe des temps anciens, que le cinéma ou la télévision cantonne à un rôle de gratte papier derrière un bureau … ce métier souffre depuis des décennies d’un manque de connaissance du public et de reconnaissance professionnelle .

Le débat qui nous anime aujourd’hui en est l’illustration la plus éclatante ! Comment ne pas réagir devant tant d’ignorance sur ce que constitue la compétence professionnelle d’un greffier lorsque, qui plus est, elle émane d’un auxiliaire de justice qui monopolise le temps judiciaire : l’avocat.

Il semble qu’un petit cours de rattrapage sur ce qu’est un greffier ne soit pas de trop, même pour un bâtonnier qui fréquente les prétoires depuis 35 ans. Nous allons essayer de le faire avec toute la « hauteur de point de vue » dont nous sommes capables, même si nous avons bien conscience que nous n’appartenons décidément pas au même monde …

Ainsi, il semble important de vous rappeler – voire peut être de vous indiquer – que le greffier est l’assistant du magistrat, la « sentinelle de la procédure », le garant et l’authentificateur de la procédure (faute de sa présence ou de sa signature authentifiant l’acte, celui-ci n’aura aucun effet juridique puisqu’il pourrait être frappé de nullité).

Le greffier est donc un VRAI professionnel du droit et de la procédure. Désolé de vous contredire sur ce point cher maître, notre rôle ne se limite pas « à l’administratif, à l’économie de la juridiction » (qui sont du domaine du greffier en chef) et ne se limite pas « à la préparation des audiences » !!

Minorer notre rôle de la sorte, c’est très clairement faire injure à notre profession et l’usage de précautions oratoires du type « j’ai un grand respect pour le corps de greffier » ne suffit pas à atténuer l’outrance de vos propos.

Savez-vous cher Maître que 57% des candidats admis au concours de greffier en 2013 étaient titulaires d’un BAC+5 , (cursus suivi en faculté de droit ) ? Ignorez vous que les greffiers stagiaires suivent ensuite une formation de 18 mois à l’ENG de Dijon avant d’être titularisés ? Tout ça pour s’entendre dire « que le droit n’est pas notre matière » ?

Mais revenons un instant sur cette réforme envisagée qui a fait couler tant d’encre et qui a provoqué le désaccord entre votre profession et la nôtre. Vous avez au moins raison sur un point : l’importance de cette réforme. Car c’est bien un parfum de jasmin qui flotte dans les airs depuis quelques mois et c’est bien à un « printemps judiciaire pour le greffier » que nous appelons de nos vœux, depuis plus de 10 ans que nous attendons une revalorisation de notre statut.

La création du greffier juridictionnel, proposée par l’un des groupes de travail, aboutirait en effet à transférer un certain nombre de compétences du magistrat au greffier, dont l’homologation de certains divorces par consentement mutuel n’est que l’une des propositions parmi tant d’autres : 268 au total .

Citons à titre d’exemples les compétences qui pourraient être les siennes dans le domaine civil : ( gestion de la mise en état avec les possibilités pour le greffier de faire des injonctions de conclure, de faire des ordonnances de clôture, de relever les incompétences d’office) , de gérer la matière gracieuse …. ou en matière pénale (réquisition d’extraction, suivi des enquêtes, rejet des appels manifestement irrecevables …).

Il est clair qu’avec le greffier juridictionnel, on change carrément de format pour se rapprocher d’un être hybride façon Rechtspfleger - Nous invitons notre ami avocat qui a le grand respect pour le greffier, à consulter l’abondante documentation éditée par la CEPEJ (commission européenne pour l’efficacité de la justice) sur le modèle du greffier allemand, autrichien ou espagnol.

La proposition du greffier juridictionnel a été faite après de longs mois de réunions au sein des groupes de travail, entre professionnels du droit, universitaires, organisations syndicales, des avocats, …

Tout ce travail de consultation a donné lieu à l’édition de 4 rapports représentant plusieurs centaines de pages (croyez-vous cher Maître qu’il y ait autant de meubles que cela à caler place Vendôme ?) ; rapports dont la qualité et les compétences de leurs auteurs sont unanimement reconnus.

Madame la Ministre a souhaité ensuite réunir les magistrats, greffiers, fonctionnaires de justice, avocats … à des débats nationaux sur le sujet du juge (et du greffier) du XXIème siècle (2000 personnes déplacés, en matière d’économies, cher maître, on a déjà fait mieux non ?).

Avec tout le respect que nous avons pour votre profession, permettez aux greffiers que nous sommes , cette fois-ci, d’être votre contradicteur : Le propos n’est pas de faire des économies dans la justice, mais de ne pas faire l’économie - justement – d’un corps de fonctionnaires qualifiés et dont les qualités de techniciens de la procédure sont incontestables et à ce jour – enfin - incontestées .

Des assemblées générales sont désormais organisées un peu partout dans les juridictions pour en débattre encore.

Alors oui, nous avons la faiblesse de penser que le changement pour le greffier c’est enfin maintenant, pour un rôle à la mesure de ses compétences reconnues par tous.

LioneL Caminade
Philippe Delise ,
représentants du SDGF FO CA St Denis Réunion

À S., à C. et à tous les autres…

Par Chat-Chuffit


Je ne pensais pas que je serais déjà désabusée au bout de 6 ans de carrière. Et pourtant…

Laissez-moi vous parler de mon quotidien de greffier en tutelle dans un petit TI de province. Le matin, dès mon arrivée, une enveloppe m’attend par terre. Elle est glissée là, toute sale parce qu’il a déjà bien plu. Cette enveloppe, pas besoin de savoir de qui elle provient. C’est Mme B. (S., son prénom, pour les intimes que nous sommes devenues).

S… nous écrit quasiment tous les jours pour nous dire ce qu’elle fait, pour nous mettre ses tickets de caisse, pour nous conter ses malheurs avec ses voisins. S… nous confond avec son tuteur. Doit-on lui en vouloir ? Non, bien sûr que non. Après tout, elle est venue nous voir pour qu’on la mette sous tutelle.

Le téléphone sonne, et il peut sonner énormément en une seule journée.

Petits morceaux choisis de conversations :

— “Bonjour (pleurs). Ma mère a Alzheimer et il faudrait la mettre sous tutelle. Mon dieu, j’ai honte de demander ça… Qu’est ce que vous allez penser?”

—“Bonjour, je voudrais savoir si X… est sous mesure de tutelle?”

—“Bonjour, je vous appelle parce que ma sœur, elle est tutrice et bien, je dois vous dire qu’elle dilapide l’argent de notre mère. Faut faire quelque chose… Moi j’en ai marre”

Ou alors, le summum de la conversation :

— “Bonjour, vous êtes le juge des tutelles?”

—“Non, son greffier”.

—“Donc sa secrétaire”.

—“Non, son greffier. Un juge n’a pas de secrétaire”;

—“Donc, ce n’est pas vous qui gérez ses rendez-vous ?”

—“Le juge n’a pas de rendez-vous mais des audiences. Et oui, c’est donc moi qui gère ses audiences.”

—“Oui bon, je voudrais décaler le rendez-vous (AUDIENCE !!!! Boudiou!!!!) parce que vous voyez, je travaille ce jour là MOI (et moi ? J’enfile des perles ?)”

Tiens, on frappe à la porte. C’est Monsieur S… (C… pour les intimes etc.) qui veut que je mette sa tutrice en prison parce qu’il en a marre d’elle.

Je me disais que ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu depuis longtemps, C… Ça commençait même à m’inquiéter un peu. Au final, après 20 minutes d’explication, C… repart. Il est content, il a peu vidé son sac et j’ai réussi à le calmer…

Avec tout ça, je suis en retard dans ma frappe de jugements et je dois encore convoquer mes prochaines auditions. D’ailleurs, pour la prochaine, on fait un transport (on va voir les gens qui ne peuvent se déplacer à leur domicile ou à leur maison de retraite). J’aime bien les transports. Ça nous permet de voir comment sont les maisons de retraite et aussi comment vivent les gens.

Parfois, on a peur (parce qu’au final, nous ne sommes que deux, le magistrat et moi et parfois, on est dans des endroits totalement isolés). Parfois, on rigole bien. Parfois, on est juste bien parce qu’on tombe sur une gentille dame reposante qui nous raconte sa vie, passionnante. On voudrait rester des heures mais on ne peut pas. Parfois, on se transforme en personnel soignant. Passage obligatoire pour faire des transports : avoir le permis de conduire des fauteuils roulants.

Parfois, on nous offre à boire, à manger, on nous montre les photos de toute la famille. Il ne faut pas leur en vouloir. Pour certains, nous sommes leur seule et unique visite.

Parfois, on ne nous ouvre pas. Pourquoi ? Je ne sais pas. Pourtant, on sait qu’ils sont là parce qu’ils demandent à “pupuce” le chien de se taire…

Pendant mes convocations, la directrice de greffe arrive dans mon bureau. Autant je l’adore, autant je déteste quand elle arrive avec une pile de documents dans les mains. Car ça veut dire: statistiques. Et là, il faut tout lâcher parce qu’évidemment, on nous les demande aujourd’hui pour hier. Et surtout, on nous en demande des nouvelles. Des choses qu’on doit compter à la main parce que notre logiciel ne nous permet pas de les calculer.

En fait, j’ai appris au fur et à mesure du temps qu’un greffier devait être multi-tâches.

On est tour à tour assistante sociale, punching ball sur lesquels les justiciables déversent leur colère (parfois à raison), réparateur de photocopieur/fax/ordi/porte de toilette cassée et j’en passe. On nous en demande toujours plus et toujours plus vite et avec le sourire en prime !

Parfois, un avocat vient nous voir parce qu’il ne sait tout simplement pas comment faire. Certains nous en sont reconnaissants (la meilleure preuve reste les boîtes de chocolat à Noël). Certains nous prennent de haut croyant faire ce qu’il faut faire. Et là, je prends un malin plaisir à les remettre dans leurs 22 mètres et disant que non, ce n’est pas comme ça qu’il faut faire. Et oui, je connais l’existence du CPC[1] ET je sais le lire ET l’analyser ET le comprendre. Parfois c’est le juge qui nous demande quelle décision prendre parce qu’il est paumé et qu’il ne sait pas quoi faire. Parfois, ce sont les justiciables qui viennent nous voir complètement perdus et qui nous demandent, parfois les yeux remplis de larmes, un conseil qu’on ne peut pas leur donner parce que nous ne sommes pas des conseillers juridiques.

Il ne faut pas oublier qu’on a aussi un métier à “risques”. Je pondère le “à risques” mais il n’est pas rare de se faire agresser physiquement par les justiciables. Oui, ça existe. Même s’il y a des vigiles. Le temps d’être prévenus et d’arriver à nous, il est déjà trop tard.

Alors aujourd’hui, quand je vois ce que nous prévoit cette réforme de la justice du XXIeme siècle, je pense à S…, à C… et à tous les autres.

Si le TPI[2] est départementalisé, si les juridictions existantes ont leur contentieux propre, où S… glissera-t-elle ses petits courriers au juge ? Où C viendra-t-il quand il sera angoissé et qu’il voudra parler ? Qui ira voir ma petite mamie dans sa maison de retraite ?

Vu que le but de cette départementalisation est la mutualisation des moyens, qui calmera C…, parce que C… ne parle qu’à moi, même pas à ma collègue qui est dans le même bureau que moi?

Je pense aussi au pauvre SMICARD (vu qu’on nous taxe des privilégiés qui ne sont pas à plaindre) qui vient de se faire licencier et qui voudra contester son licenciement. Osera-t-il saisir le Conseil de prud’hommes s’il sait qu’il faudra faire X kilomètres pour aller défendre sa cause ? En aura-t-il les moyens ?

Je pense à ceux qui nous appellent pour déplacer leur audience “parce que ce mois-ci, c’est difficile de mettre 20 euros d’essence”.

Je pense à ceux qui sont en surendettement et qui doivent être présents à l’audience. En auront-ils également les moyens ?

Alors NON, je ne pense pas qu’à ma petite gueule de fonctionnaire. Tout le monde peut être confronté à la Justice. Tout le monde doit pouvoir y accéder…

Je pense également aux éventuelles erreurs qu’il pourrait y avoir et surtout, aux victimes de ses erreurs. L’équation est simple (même pour les non matheux) Mettez un greffier qui n’y connaît rien dans un service sensible (j’ai nommé l’instruction par exemple) et un avocat qui s’y connaît lui. Vous risquez de faire relâcher le pire des criminels[3]. Et là, j’entends la vindicte populaire s’écrier “Ben elle est belle la Justice!”

Je pense également à mes collègues C qui font fonction de greffier (les fameux FF) et qui sont parfois plus compétents que nous les B alors qu’ils sont payés bien plus bas que nous.

Je pense à mes collègues C dits “techniques” qui nous réparent nos toilettes, nos portes, ferment le Palais après une longue audience correctionnelle ou une présentation qui se termine à 2h30 du matin et qui l’ouvrent à 7 heures le lendemain matin.

Je pense à mes collègues à qui on demande encore plus et qui, pour certains, sont au bord du burn out.

Je pense à ce Budget, parmi l’un des plus bas d’Europe, qui ne nous permet pas d’avoir du matériel de base pour travailler. On en vient même à prier pour éviter que notre matériel tombe en panne.

Quand je pense à tout ça, même si j’adore mon métier que je trouve passionnant, j’en commence à devenir désabusée.

Désabusée parce que j’explique encore et toujours ce qu’est un greffier (même à des proches). Désabusée parce que nous sommes des fonctionnaires de l’ombre, ceux dont personne ne connaît l’existence.

En revanche, quand je constate que je ne suis pas seule dans ce cas, que le ras-le-bol est général, ça me met du baume au coeur et ça me donne encore plus envie de me battre.

Notes

[1] Code de procédure civile.

[2] Tribunal de Première Instance, un projet en cours à la Chancellerie, regroupant les contentieux et annonçant la suppression des 297 tribunaux d’instance au profit d’un tribunal par département.

[3] Je préfère le mot “client”.

Voici une petite anecdote qui date de quelques mois…

Par Maurice, greffier, 21 ans d’ancienneté, affecté au parquet général d’une cour d’appel


Voici une petite anecdote qui date de quelques mois, relative à une procédure de mandat d’arrêt européen qui illustre, à mon sens, le quotidien des greffiers des juridictions françaises.

Une personne recherchée par une autorité étrangère (européenne) est arrêtée dans notre ressort dans le cadre d’une infraction connexe. Il est déféré devant la juridiction compétente.

J’avise le magistrat du parquet général qu’il y aura une possible présentation de la personne à la Cour, dans le prolongement de sa comparution immédiate devant le tribunal. Le magistrat me demande de recueillir le signalement Schengen, de préparer le dossier et tout, et tout…

Le lendemain, je m’inquiète de la décision prise par le tribunal dont je n’ai pas de nouvelle. Là, on m’avise que la personne n’a pas fait l’objet d’un placement en détention et qu’il est donc libre… Enfin… libre, pas vraiment… Il est dans l’attente de sa libération dans les geôles du tribunal. Sur ce, je tente d’aviser “mon” magistrat… que je ne trouve pas. Petite précision, on est vendredi après-midi… J’appelle sur son portable. Je relate la difficulté, il me répond que si la juridiction l’a libéré, c’est tant mieux pour l’intéressé, et qu’il ne le fera pas présenter devant lui. Je lui réponds que c’est délicat, dans la mesure où l’intéressé est toujours sous le coup de la demande d’arrestation de l’autorité étrangère. Et que si on le libère, cette même autorité demandera des comptes à la justice française sur la “disparition” de la personne arrêtée. Il me répond qu’il est déjà en week-end, qu’il est à l’aéroport et qu’il ne va pas revenir pour ça. Et il me laisse avec mon gars… et ma conscience professionnelle !

Sur ce, l’escorte au tribunal me rappelle pour me demander les instructions. Elle ne peut plus attendre, il faut prendre une décision. Le laisser libre ou le retenir ?!

N’ayant pas de magistrat immédiatement sous la main, je prends sur moi de faire retenir l’intéressé par les forces de l’ordre (alors qu’évidemment seul un magistrat a ce pouvoir) et le présenter au parquet général. Entre temps, j’ai trouvé un magistrat à qui j’ai expliqué la situation et qui lui notifiera, un peu plus tard, le mandat d’arrêt européen. Il décidera de l’incarcérer (c’était avant le changement de jurisprudence européenne), décision qui sera confirmée par la Chambre de l’instruction qui ordonnera également la remise de l’intéressé à l’autorité étrangère.

Le récit se termine ainsi un peu abruptement, je reprends la plume pour une brève conclusion. Ce récit, qui n’est pas à la gloire du magistrat intéressé montre le degré qu’atteinte la débrouille et l’improvisation. Ici, la ligne de la légalité est clairement franchie. On atteint le stade où le respect de la loi n’est plus compatible avec le mode normal de fonctionnement des juridictions. On commence à s’inquiéter ou on attend encore un peu ? — NdEolas

Témoignage

Par Colère des Greffes


La colère gronde dans les greffes !!!! pour ma part, je travaille depuis 17 ans au ministère de la justice. Je suis adjoint administratif, mais de part mon contentieux, je suis un faisant-fonction de greffier, cela consiste à la tenue d’audience, permanence week-end, ainsi qu’au responsabilité donnée à un greffier. Ma colère est toute simple, je suis payé à la hauteur de mon grade (adjoint administratif) rémunéré soit 1.450 € alors qu’une personne au grade de greffier dans le même poste que moi est rémunéré 1.850 €.

Il est de coutume aussi que certains de nos magistrat avec qui nous travaillons, n’hésitent pas à la sortie de l’audience à nous dire tout simplement de rédiger et de motiver les décisions (!) en nous précisant quand même “confirmation”, “infirmation” ou “appel sans objet” etc…

Je ne rentrerai non plus dans le débat quant au magistrat de permanence qui oublie trop souvent de prendre son téléphone de permanence pour le week-end, tout en prétextant après prise de contact téléphonique, qu’il l’a tout simplement oublié et, qu’habitant trop loin pour venir récupérer son portable, nous demande gracieusement de bien vouloir prendre son téléphone et de répondre aux sollicitations téléphoniques, en sachant que notre présence le samedi dans la juridiction est indispensable, contrairement à celle du magistrat, mais bien heureusement l’indemnisation pour notre week-end reste bien entendu à la même hauteur que celle du magistrat qui reste bien au chaud chez lui !

Nous parlons de délocalisation des entreprises français pour profiter d’une main d’oeuvre pas chère et bien l’état français, sans délocaliser ses tribunaux, arrive à profiter d’une main d’oeuvre pas chère… Tout en sachant qu’aucune passerelle ou reconnaissance n’est à attendre de notre ministère…. si l’on se pose encore la question de savoir pourquoi les greffes sont en colère, j’espère que mon post aura éclairé certaines personnes…

Cyber-manifestation des greffiers

Par ZusticePourTous


Cher Maître EOLAS,

Comme vous avez souhaité donner la parole à la défense (des greffiers), je ne résiste pas à la tentation de prendre la plume, ou plutôt le clavier, pour vous apporter mon modeste témoignage vu de l’intérieur de ce qu’il est déjà convenu de considérer à mon sens et quel-qu’en soit l’issue, comme une magnifique mobilisation et une belle leçon de démocratie directe.

Ce mouvement est en effet sans précédent de par son originalité : l’appel a été lancé par des collègues (et non par des syndicats) et sur le net avec très vite l’idée de se servir de ce moyen de communication comme une arme.

Dans cette lutte armée, les premiers « pruneaux » sont partis d’Agen (ça ne s’invente pas). Un premier mail d’un collègue faisant part de son agacement de voir se mettre en place une réforme aussi importante visant à mettre en place à la fois un « greffier juridictionnel » aux fonctions élargies (mais pour lequel aucune revalorisation n’était encore chiffrée) et le TPI - tribunal de première instance – destiné à remplacer sous cette seule entité judiciaire toutes les juridictions du premier ressort (Tribunaux d’instance, Conseils de prud’hommes et tribunaux e grande instance) d’un même département.

Ce mouvement d’humeur aurait pu n’avoir que peu de conséquences, si ce mail n’avait pas été adressé … à toutes les juridictions de France via les listes structurelles. Une, puis deux puis trois puis cent réponses à ce mail … Le phénomène s’est rapidement transformé en une chaîne de courriels avec toujours le même objet « la charrue avant les boeufs », avec l’idée suggérée et de plus en plus assumée de vouloir bloquer la messagerie électronique et tout intranet, chacun pouvant recevoir près de 1000 mails par jour. La première cyber-manifestation était née !! Comme l’a dit le syndicat des greffiers de France, « si la justice du XXIème siècle reste à inventer, pour le mouvement social du XXIème c’est fait, les collègues s’en sont chargés ».

Le mouvement commencé un mercredi et que l’on croyait s’éteindre au bout de quelques jours, d’autant plus avec l’arrivée du week-end, s’est néanmoins poursuivi la semaine suivante sans s’essouffler bien au contraire, d’autres chaînes de mails s’ajoutant à celle de la « charrue avant les bœufs », notamment « bordeaux voit rouge », afin d’alimenter les « barricades virtuelles » et afin de contourner les règles de messagerie qui se mettaient en place pour éviter la prolifération des courriels de tous ces grognards de la justice devenus apprentis cyber-pirates.

Le mouvement s’est ainsi installé sur plusieurs semaines dans une joyeuse pagaille désordonnée aux élans soixantuitards (les plus anciens collègues indiquaient d’ailleurs avoir l’impression de faire un bond en arrière dans le temps) jusqu’au moment où le Ministère a décidé de réagir à sa façon : LA CENSURE !!!

Les services informatiques du Ministère ont décidé en effet un lendemain de week-end de purement et simplement censurer tous les mails adressés par les collègues qui tentaient de faire « réponse » à des chaînes de courriels (ceux-ci nous parvenaient donc vidés de leur contenu, absolument vierges).

Cette honteuse manœuvre n’a pas eu l’effet escompté et n’a pas diminué pour autant la colère des collègues qui s’est exprimée autrement . Entre création de site internet www.justiceencolere.fr et de page facebook « bordeaux voit rouge », le mécontentement s’est propagé sur les marches des palais de justice et dans la presse, avec l’appui des syndicats appelés en soutien.

La suite, vous la connaissez : une absence totale de considération de la part de la Garde des Sceaux qui ne propose pas autre chose aux greffiers que le NES qu’ils ont refusé en 2010 (et alors qu’il n’était pas question pour eux d’effectuer des fonctions supplémentaires normalement dévolues aux magistrats) et qui ne propose RIEN aux adjoints administratifs. Bien sûr, le TPI est toujours d’actualité, même si notre Ministre reste très discrète sur ce sujet …

Voilà tout le témoignage que je souhaitais vous apporter et le moment pour moi de me présenter (ça fait partie du contrat je crois). Je suis greffier à la Réunion et délégué syndical (et de ce fait très facilement identifiable). Je serai bien sûr en grève et sur les marches de ma cour d’appel le 29 avril prochain.

Bien cordialement.

Zusticepourtous

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