Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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samedi 5 mai 2018

« Aujourd’hui, j’ai découvert que le droit à la sûreté n’était pas garanti en France en 2018 »

Aujourd’hui, j’accueille sur mon blog un confrère, BetterCallBen, qui a voulu exprimer par écrit son désarroi après avoir assisté en garde à vue un mineur interpellé lors de la manifestation du 1er mai dernier. Voici son récit, que je commenterai ensuite dans une postface. Bonne lecture.%%Eolas

Je suis avocat. D’aucuns diraient un jeune avocat puisque je n’exerce que depuis un peu plus de 3 ans. Je pratique essentiellement le droit des étrangers et le droit pénal, que j’enseigne par ailleurs à l’Université depuis plusieurs années. Au travers de ces enseignements, je distille modestement à mes étudiants un certain nombre de principes, dont certains me semblaient jusque-là immuables et inscrits dans le marbre de l’évidence : le principe de légalité, impliquant que nul ne peut être poursuivi ni condamné sans texte ; le principe d’interprétation stricte de la loi pénale, qui veut que celle-ci soit claire et intelligible pour que personne ne puisse être poursuivi ou condamné pour un comportement qui ne serait pas strictement prescrit ; ou encore le droit à la sûreté, entendu comme la garantie de ne pas être poursuivi, condamné ou détenu arbitrairement. En somme, le sceau de la confiance des citoyens en une réaction de l’État justifiée, nécessaire et proportionnée. Erigés au rang de droits de l’Homme en 1789, héritage de la pensée précurseure de Cesare Beccaria, je n’avais naïvement que peu de doute dans leur parfaite effectivité, tant ils relèvent aujourd’hui de l’évidence.

Or, sans doute tout aussi naïvement, j’ai pu récemment faire le constat de mon erreur en croisant le chemin de celui que l’on appellera Paul, un mineur de 15 ans, privé pendant plus de 50 heures de sa liberté pour avoir simplement décidé, un mardi 1er mai 2018, de se rendre à sa première manifestation.

Paul a 15 ans donc. Il vit dans un milieu social en apparence confortable, en banlieue parisienne. Précoce à la curiosité débordante et doté d’une maturité certaine pour son âge, Paul se passionne pour nombre de sujets qui croisent son quotidien, un jour la mécanique, un autre la photo, et ce jour ce fût les mouvements sociaux se cristallisant en cette grande messe annuelle qu’est le 1er mai. « Je veux y aller pour défendre tes droits » dira-t-il à sa mère. Il veut surtout y aller par goût de la curiosité, de la découverte du monde des adultes, l’envie de jouer les reporters en culotte courte et sans doute aussi par le caractère transgressif de la contestation sociale, fût-elle légalement orchestrée. Derrière son côté tête brûlée, Paul reste raisonnable et se renseigne sur Internet sur ce qu’implique la participation à une telle manifestation, sa première ! Il découvre les risques d’échauffourées, les groupuscules extrémistes sources de violences et de dégradations, et la réaction étatique au goût âcre et asphyxiant des lacrymos. Prudent, il décide donc de se munir d’un masque de ski et d’un masque de chantier pouvant filtrer l’air ambiant, celui que l’on trouve à la quincaillerie du coin de la rue, rudimentaire mais qui fait le job.

Et le voilà parti pour Paris, accompagné de son Sancho Pança, à la conquête de l’assouvissement de sa curiosité juvénile. Il se mêle à la foule, sous les banderoles de la CGT. Il filme la foule, en immersion avec sa Go Pro, se sentant l’âme d’un journaliste d’investigation. Quand soudain, son périple le conduit dans une masse plus sombre, plus enragée, plus vindicative. Et tout s’accélère. Il voit la masse se mettre à courir, s’en prendre au mobilier urbain, envahir et mettre à sac un fast-food, piller une concession automobile, tout ça au vu et au su de tous. Mais où est passé l’État ? Notre Bernard de la Villardière en herbe constate les stigmates de ces invasions barbares au moment où les CRS interviennent enfin, exhortant les badauds présents à se réunir à distance des assaillants, entre deux rangées de l’unité d’intervention.

Ai-je croisé le chemin de Paul à l’occasion de cette manifestation, dans ce groupe de rescapés ? Non, je n’y étais pas. J’avoue que cela ne m’intéresse guère et pour en avoir vu le déroulement, je loue mon désintérêt. Puis, je ne l’aurais sans doute jamais remarqué. Ou bien si, et je l’aurais sans doute jugé du haut de son mètre soixante et à son air de poupon. Jugé sa présence à un tel évènement, sur fond d’une morale sans origine ni fondement, dictant qu’il serait trop jeune, qu’il n’aurait rien à faire, « mais que font ses parents ?! » Bref, une morale qui n’a finalement que peu lieu d’être, la sagesse n’attendant pas le nombre des années et, en tout état de cause, la loi n’interdisant pas une telle présence à un tel évènement. Non. J’ai croisé le chemin de Paul en garde à vue après avoir reçu un appel me désignant pour l’assister dans le cadre de cette procédure.

Car la prétendue oasis de protection formée par les unités d’intervention se mua progressivement, sans crier gare, sans violence ni d’un côté ni de l’autre, sans heurts, sans cris, en une nasse d’interpellation, arbitraire, indifférenciée, impartiale, conduisant tout ce beau monde en fourgons vers le SAIP (service d’accueil et d’investigation de proximité) compétent. Ils partirent 34.500 ; mais par un prompt renfort, ils se virent 102 à payer le prix fort. 102 placés en garde à vue. Taclé de toute part pour sa carence dans la gestion des violences et dégradations, l’exécutif a fait le coq en s’enorgueillissant de ce chiffre brandi comme une panacée. 102 parmi lesquels Paul, 15 ans. Première manifestation, première garde à vue, grosse journée pour notre assoiffé de curiosité.

Motifs de la garde à vue ? Participation à un groupement en vue de commettre des violences et/ou dégradations, d’une part, alors qu’il n’était qu’un marcheur passif, qu’un témoin malgré lui ? et port d’arme catégorisée d’autre part. Comment ? une arme ? Ah oui, ce qui sera considéré comme un masque à gaz, soit ce qui s’analyse en une arme défensive (Catégorie A-2) suivant le procès d’intention aux termes duquel la détention d’un tel objet est la preuve d’une volonté de participer à un groupement dont les agissements sont de nature à entrainer la projection de gaz et donc susceptible de commettre des violences et/ou dégradations. CQFD, la boucle est bouclée, au trou le présumé forcené.

Et c’est donc là que j’interviens enfin, « dès le début de la garde à vue », suivant les prescriptions de l’article 63-3-1 du Code de procédure pénale ? Si seulement.

Car voyez-vous, le scénario n’est pas nouveau et se déroule de façon similaire à l’issue de chaque mouvement social, de chaque manifestation. Arrestations en masse, engorgement du commissariat compétent, nécessité d’un « dispatching » des gardés à vue dans d’autres commissariats de la capitale aux geôles vacantes et donc transport subséquent des susnommés pour qu’enfin l’effectivité des droits de la défense puisse pleinement s’exprimer. Si on n’est pas au milieu de la nuit et si on n’a pas d’autres chats à fouetter.

Bilan : un mineur de 15 ans (il n’est pas vain de le rappeler), placé en garde à vue vers 18h, dont l’avocat est prévenu vers 19h, et qui cherche en vain à joindre un service compétent et rencontrer son client, mineur, de 15 ans, jusqu’à ce qu’il apprenne la localisation de ce dernier 10h plus tard, soit à 4h du matin, tandis que l’audition matérialisant la substance même de la garde à vue ne se fera que 10 nouvelles heures plus tard, soit à 14h, donc 20h après le début de la garde à vue, par des services débordés et exsangues, également victimes de ces décisions d’arrestation massive et irréfléchie et contraint de multiplier la paperasse pour des dossiers vides de tout fondement infractionnel.

Et Paul subit cette mesure, dans l’incompréhension la plus totale, ses parents ayant été prévenus de façon sibylline quelques heures après le début de la mesure, les laissant dans la même ignorance et incompréhension, quand d’autres ne furent informés que par un message furtif laissé sur un répondeur sur les coups de 4h du matin, soit plus de 10h après le début de la mesure, 10h à ignorer où leurs progénitures étaient passées et se morfondre en conséquence.

Je découvre alors un garçon fluet, un esprit mature dans un corps d’enfant, un ado à la nature hyperactive qui, enfermé entre 4 murs depuis près de 20h, cherche des réponses à des questions qu’il ne connait pas et qu’il se doit d’inventer, se dessine des griefs pour donner un sens à une mesure qui n’en a pas, intellectualise l’inique pour ne pas perdre la raison. Et, alors que son audition touche à sa fin et que le glas des 24h tinte déjà au loin, l’évidence d’une libération s’impose tant cette garde à vue paulienne n’a de sens. Une querelle de clochers intra/extramuros se fait alors jour au sein du ministère public : à un ordre parisien de prolongation répond un ordre ultrapériphériquien de classement 21 (infraction insuffisamment caractérisée ; en d’autres termes, il n’y a pas d’infractions, pas de motifs, nada, peanut), battu en brèche du quasi tac au tac par un contrordre capital imposant la prolongation. Vous n’y comprenez rien ? Moi non plus. Du jamais vu. D’autant plus que la prolongation dans une garde à vue de mineur est un fait relativement rare, qui se doit d’être justifié par l’impérieuse nécessité de réaliser des actes d’enquêtes cruciaux pour la révélation de la vérité, souvent en réaction à la gravité ou la complexité des faits reprochés. Ici, le fait d’avoir manifesté et d’avoir pris les précautions nécessaires pour le faire. Crime de lèse-majesté.

Si le doute eut pu être permis jusque-là, il n’en est plus rien. L’opportunisme supplante la raison, le coup de filet se mue en coup de com’ numérique. Ils partirent 102, mais par un prompt renfort, ils se virent 43 à en subir le sort. 43 prolongations, quasi exclusivement des mineurs dans le commissariat dans lequel j’interviens tandis que la plupart des majeurs sortent. Mais 43 prolongations sur lesquelles on ne manquera pas de communiquer, de gloser, de pavaner comme une fierté du devoir étatique accompli.

En définitive, la garde à vue de Paul est levée au bout de 46 heures d’enfermement et de privation de liberté, après qu’une exploitation de ses appareils d’enregistrement ait révélé des photos de lui avec son chat, un cliché d’une blessure soignée par 5 points de suture après une chute à vélo qu’il conserve comme un trophée, et quelques photos et vidéos de la mobilisation en journaliste d’investigation du dimanche qu’il était, maigre butin qui le conduira à poser régulièrement la question « c’est grave d’avoir pris ces photos ? Je vais avoir des ennuis ? » se voyant déjà devant un juge, puis envoyé en foyer. Il psychote, il délire, on le rassure, on le tempère face à l’hérésie de ces hypothèses incongrues.

Pourtant, l’épilogue de ces 46 heures sonne comme un coup de théâtre. Du classement 21 envisagé avant la prolongation, on passe à un déferrement pour rappel à la loi qui se muera en réparation pénale, soit un stage de citoyenneté de 2 jours, mesure bénigne en apparence mais empreinte d’une symbolique nauséabonde, celle d’un ministère public s’arrogeant le monopole de la morale au-delà du droit, au-delà de la vacuité des faits reprochés. Rappel à la loi, mais quelle loi ? Réparation pénale, mais réparation de quoi ?

Si la pédagogie doit rester le leitmotiv de toute intervention de la justice répressive, cette pédagogie ne peut être effective sans que la sanction soit comprise et que donc que la procédure engagée à l’encontre d’un individu et les raisons sous-jacentes à celle-ci soient entendues et assimilée par ce dernier, qu’il y ait donc une cohérence et une proportionnalité entre les faits et la réponse. Comme j’ai pu le lire « il aura compris la leçon comme ça ». Oui mais quelle leçon ? Quel est le contenu de cette leçon ? Ne participe pas à des manifestations publiques et légalement organisées ? Ne te retrouve pas au mauvais endroit au mauvais moment ? Cette leçon m’échappe tout autant qu’elle échappe au droit.

Si la mésaventure de Paul peut sembler anodine et si elle sera peut-être un jour le point de départ du récit quasi héroïque d’un militantisme naissant, ou restera une simple anecdote de vie, elle est le reflet, espérons ponctuel et isolé, mais non moins alarmant, d’une justice instrumentalisée à des fins de communication politique que l’on fait peser sur les épaules d’un gamin de 15 ans, un axiome de la démonstration d’un exécutif omnipotent et répressif, et conduit à remettre en cause la confiance que chacun se devrait d’avoir dans la justesse de la réaction étatique, ce droit à la sûreté proclamé il y a près de 230 ans qui, force est de constater, ne relève toujours pas de l’évidence.


Merci à BetterCallBen pour ce témoignage. Quelques commentaires de ma part, pour anticiper d’éventuelles questions et remarques de mes lecteurs, on se connait bien depuis le temps.

Rappelons d’abord pour les mékéskidis que la garde à vue est l’état d’arrestation d’une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit passible de prison. Sur le principe, nul ne conteste que la police judiciaire, chargée de rechercher les infractions, d’en réunir les preuves et d’identifier leurs auteurs, doit avoir les moyens légaux de s’assurer de la personne d’un suspect pendant un laps de temps nécessaire à sa mission. Le problème est ailleurs. Il est dans l’arbitraire dans lequel baigne cette mesure. J’y reviendrai.

La place de Paul était-elle à cette manif ? En tant que parent, j’opinerais que la place d’un mineur n’est en principe pas dans des endroits potentiellement dangereux, ce qu’est toujours une foule en colère. En tant que juriste, j’opinerai qu’aucun texte ne l’interdit, et que la manifestation publique au soutien d’une cause est une façon légale et légitime d’exprimer et soutenir cette cause, et qu’il serait absurde de vouloir qu’un mineur se mue en citoyen actif et éclairé le jour de ses 18 ans mais ne soit pas autorisé à exprimer une quelconque opinion avant cette date. Ainsi, le droit est du côté de Paul.

Le masque à gaz est-il une arme ? Oui, de catégorie A2, 17°, armes et matériel de guerre. Sa détention est punie de 5 ans de prison, autant qu’un fusil d’assaut. Mais il est douteux qu’un masque de peinture, dont le port est obligatoire sur les chantiers, soit qualifiable de matériel spécialement conçu pour l’usage militaire de protection contre les agents chimiques, sauf à faire des magasins de bricolage des dépôts d’arme. Mais lors pourquoi cette garde à vue ? Excellente question. J’y reviendrai.

Pourquoi la querelle de clocher entre deux parquets ? J’ai déjà connu une situation similaire en 2013, lors de la manif pour tous du mois de mai qui a dégénéré esplanade des Invalides. Beaucoup de manifestants interpellés (plus de 200), au point de saturer les commissariats parisiens, et du coup certains ont été envoyés en banlieue, donc dans des ressorts périphériques (Bobigny, Nanterre ou Créteil). Du coup leur parquet devenait compétent pour surveiller la mesure. Sauf que les déferrements (pour des rappels à la loi, seule fois de ma vie que j’ai vu cela) ont bien eu lieu à Paris. J’aime autant vous dire qu’une telle procédure devant un tribunal aurait eu une espérance de vie inférieure à celle d’un débat serein sur Twitter.

Ce que ce récit montre, une fois de plus dirai-je, est le problème fondamental de la garde à vue. Elle a une tare congénitale : elle a été conçue pour violer les droits de la défense. Elle est née d’une pratique apparue avec la loi de 1897 qui a fait entrer l’avocat dans le cabinet des juges d’instructions, qui à l’époque du code d’instruction criminelle instruisait quasiment toutes les affaires pénales, hormis les contraventions. C’était le juge de la mise en état du pénal, l’instruction pouvant se résumer à une audition, avec ordonnance de renvoi rendue dans la foulée. En 1897, après un siècle de tranquillité, les avocats arrivent dans les cabinets d’instruction. Fureur des juges d’instruction, qui perçoivent cette mesure comme dirigée contre eux, et y voient la fin de la répression et l’aube de l’ère du crime impuni (oui, la même ritournelle qu’en 2011 lors de l’arrivée de l’avocat en garde à vue, on a l’habitude d’être mal accueillis). Et pour contourner la loi, ils vont avoir une idée géniale. Le code d’instruction criminelle, comme le code de procédure qui lui a succédé désormais, prévoit que le mis en examen (l’inculpé, à l’époque) ne peut être interrogé que par le juge d’instruction, la police se contentant de recueillir les témoignages. Or le suspect, avant d’être coupable de son crime, en est forcément le témoin. Il peut donc être entendu comme témoin avant d’être inculpé et qu’un vilain avocat ne vienne déranger une si belle machine à punir. Voilà la naissance de la garde à vue. Qui, par retour de karma, va devenir la norme avec la généralisation de l’enquête préliminaire, et a fait que le juge d’instruction ne s’occupe plus que de 5% des procédures, et a rendu possible d’envisager sa suppression en 2008.

Cette tare congénitale a encore des effets sensibles aujourd’hui. La garde à vue est conçue comme le règne de l’arbitraire, pudiquement dissimulé sous des paillettes et des fanfreluches juridiques pour faire semblant que c’est rigoureusement encadré. Par exemple, en empilant des droits inutiles, qui alourdissent inutilement la tâche des enquêteurs (et du coup rallongent la garde à vue), comme l’obligation de recueillir les observations du gardé à vue sur une éventuelle prolongation. Vu qu’il est contraint de rester là, on se doute qu’il n’est pas d’accord, et qu’il le dise ne changera rien. À Paris, on lui notifie même les droits liés à une arrestation en haute mer. Oui, à Paris. (C’est sur le PV de notif, entre le droit de faire des observations et la remise du document prévu par l’article 803-6 qu’en fait on ne lui a pas remis mais on lui fait signer un papier qui dit que si). La jurisprudence veille à protéger cet arbitraire, même si la CEDH tente d’y mettre bon ordre, et y parviendra, quitte à ce que ça mette le temps. Ainsi, la cour de cassation fait de la décision de placement en garde à vue une décision souveraine, ce sont ses mots, de l’officier de police judiciaire. Pas de contrôle de nécessité ou de proportionnalité.

La garde à vue a lieu sous le contrôle du procureur de la République, sauf quand elle a lieu dans le cadre d’une instruction. Oui, le juge d’instruction, qui seul peut interroger les mis en examen, chapeaute leur audition par les services de police tant qu’ils ne sont pas mis en examen. La loi a consacré leur rébellion de 1897 et a fait de cette tartufferie la loi.

Ce contrôle suppose l’information immédiate du procureur. Qui à Paris se fait par… l’envoi d’un fax. Qui entre 19 heures et 9 heures arrivera dans un bureau vide. Mais la cour de cassation juge que cette information est suffisante. Le procureur a ensuite des compte-rendus téléphoniques avec l’OPJ. Il ne lit aucun PV (et certainement pas les observations de l’avocat). Ça ne lui est pas interdit, il n’a pas le temps. Il ne sait du dossier que ce que l’OPJ lui en dit. C’est là le seul contrôle que prévoit la loi. Il n’existe aucune action permettant de contester devant un juge une privation de liberté en cours pouvant aller jusqu’à 48 heures, et même dépasser cette durée, mais cette fois avec l’autorisation du juge des libertés et de la détention, devant qui le gardé à vue comparaît. Tout va bien alors ? Ahah. Devinez qui n’est pas invité ? L’avocat. Oui, le JLD rend une décision sur un maintien de privation de liberté sans que l’avocat ne soit entendu, ce même si le gardé à vue en a choisi un dès le début.

L’avocat, enfin, qui peut assister son client lors des auditions et confrontations, mais depuis 2011 seulement, les lecteurs de ce blog auront suivi ce combat en direct. Sa présence a été imposée par la CEDH. Mais le législateur a veillé à entraver au maximum sa tâche, en lui interdisant l’accès au dossier. Pourquoi ? La réponse figure aux débats parlementaires de l’époque, et se trouve dans la bouche du garde des Sceaux de l’époque : mais parce que le dossier n’existe pas en flagrance. D’où mon combat pour un usage plus répandu du droit de garder le silence : l’OPJ aura accès à mon client quand j’aurai accès à son dossier. Donnant donnant.

Enfin, cerise sur le gâteau : vous ne pouvez contester la légalité d’une garde à vue que devant la juridiction de jugement. Ce qui implique nécessairement une chose et en suppose une autre. Cela implique que la garde à vue est nécessairement terminée, donc aussi illégale fut-elle, elle sera allée à son terme sans que vous n’ayez rien pu y faire ; et cela suppose qu’un tribunal soit effectivement saisi, faute de quoi, vous n’avez aucun recours (mais hey vous dira-t-on, de quoi vous plaignez-vous, vous n’êtes pas poursuivi ?). C’est précisément le cas de Paul, qui au terme de sa garde à vue a semble-t-il accepté une alternative aux poursuites, c’est à dire accepté une sanction, donc reconnu sa faute, donc admis que sa garde à vue était justifiée, en échange de quoi cette mesure alternative, qui n’est pas une peine, n’est pas inscrite à son casier judiciaire. Aucun juge ne connaitra jamais de cette procédure.

Ceci est le mode normal de fonctionnement de la garde à vue, et, hormis les avocats, personne ne trouve à y redire, tant le “on a toujours fait comme ça” est un argument puissant dans le monde judiciaire. La loi prévoit que votre liberté peut être suspendue discrétionnairement, arbitrairement, sans recours, pendant 48 heures, sans que vous n’ayez aucun moyen de le contester.

Ceci, BetterCallBen a raison, viole le droit à la sûreté proclamé par les Révolutionnaires. Nous sommes indignes de leur héritage.


Retrouvez BetterCallBen sur Twitter : @BetterCallBen

dimanche 27 novembre 2016

Au commencement était l'émotion

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lundi 8 septembre 2014

Monopole, sucré monopole

Par @Twitnotaire, vous devinerez jamais, mais oui, notaire, à qui je prête volontiers mes colonnes pour vous parler de son métier, et de pourquoi le monopole de sa profession n’est pas pour unique raison d’être que de capter les richesses. Le notaire est un officier ministériel, titulaire d’un office délivré par le ministère de la justice qui a pour mission de dresser des actes ayant une force probante quasi-invincible (c’est pourquoi un notaire qui commettrait un faux serait justiciable non de la vulgaire correctionnelle mais des assises). La loi impose de passer par un tel acte, qu’on appelle acte authentique, pour certaines démarches, comme les ventes de bien immobilier (que ce soit un immeuble parisien ou un lopin agricole de peu de valeur) ou un contrat de mariage. Il peut aussi conseiller et rédiger tout acte juridique, et c’est le spécialiste, en concurrence avec l’avocat, du patrimoine et de la fiscalité de celui-ci. Pour les actes pour lesquels seul un notaire peut instrumenter, son tarif lui échappe et est fixé par la loi, supprimant la concurrence économique. Nos professions, ou plutôt nos instances représentatives, ont actuellement des relations tendues. Ce n’est pas mon cas, et @Twitnotaire est le bienvenu ici, ainsi que ses confrères.

Ah, j’oubliais, new rule : tout emploi graveleux du mot cravate entraînera l’intervention de Troll Detector.

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Fut un temps, j’étais sollicité chaque année par la fac pour expliquer le métier de notaire.

Je commençais par me présenter puis leur demandais quelles étaient leurs questions. On m’avait indiqué que chacun s’était volontairement inscrit pour entendre un notaire1.

J’ai toujours gardé cette entrée en matière, et chaque année, un grand silence suivait. Le plus poli finissait par lever la main pour me demander ce qu’était au juste un notaire.

J’y répondais brièvement, ayant découvert qu’en réalité la séance n’avait pas encore « vraiment » commencé.

Puis, passé un second silence, le petit malin de la salle finissait toujours par demander :

«— et ça gagne combien un notaire ? ».

Enfin.

On pouvait commencer à discuter, et spontanément, je racontais mon avis sur le métier, puis mon histoire.

J’ai 35 ans et je gagne bien ma vie. Je travaille beaucoup, le job est stressant et j’engage ma parole, ma réputation et ma responsabilité pour chacun de mes actes. Ils commencent tous par la date, puis vient mon nom. Je dors parfois mal, mais ce n’est pas l’usine et j’y suis bien. Si je change de job, ça ne sera pas pour quitter le notariat mais pour faire autre chose.

Mon risque entrepreneurial est clairement moins important que celui des avocats.

D’abord parce qu’une partie de l’activité de ma profession bénéficie d’un marché exclusif : si un bien immobilier doit changer de propriétaire, que ce soit volontairement ou par décès, vous devez vous adressez à un notaire.

Egalement parce que je rachète une entreprise existante : la structure et l’organisation existe, ainsi qu’un fichier client.

Et enfin parce que le maillage des études est juste assez serré.

Mais il est absolument faux de parler d’absence de concurrence2. La concurrence entre notaires est une réalité.

Elle est d’autant plus dure qu’elle ne se fait pas sur les prix pratiqués. En effet, l’autre originalité du statut du notaire est que dès lors que vous devez vous adresser à un notaire, sa rémunération est fixée par décret et ne peux varier en fonction de la complexité du dossier ou de tout autre critère subjectif3.

La concurrence entre notaires se fait donc uniquement sur les qualités juridiques et relationnelles du titulaire. J’ai ainsi déjà vu une reprise d’étude financièrement solide lors du changement de titulaire mais fragile en terme de bassin de population, et qui s’est mal terminée. Le nouveau titulaire n’était visiblement pas à la hauteur de l’ancien.

Restait la seule question4. Qu’est-ce qui justifie un tel monopole ?

C’était généralement à ce moment que les étudiants commençaient à m’écouter.

On termine ses études de notaire par un stage de deux ans. Ce stage est en réalité surtout un stage de rédacteur d’acte, entrecoupé de séjours à la fac ou au CFPN. On y apprend le métier de clerc, indispensable à la compréhension de la fonction de notaire. On passe ainsi ses journées à rédiger toutes sortes d’actes5.

On y apprend aussi à se tromper, et à se faire engueuler. On y apprend le rapport particulier entre le clerc chargé du dossier et le client (chargeant le dossier). On y apprend à se contrôler face au type odieux. Finalement, un peu tout ce qu’on apprend dans chaque entreprise.

Parfois le dossier décourage tout le monde, du notaire à la secrétaire. Le client est très exigeant et la servitude porte sur une parcelle à 100 €. Et toi, le stagiaire, tu y passes des heures/jours. Quand tu grognes auprès du boss, il hausse les épaules avec un air résigné. Ou alors, il peste plus fort que toi, c’est une question de style.

Sur le moment, cette résignation te surprend mais ce petit haussement d’épaule, je te conseille de ne jamais l’oublier. Il signifie que tu ne pourras pas refuser un acte sauf s’il est illégal6.

Tu fais des actes. Beaucoup. De tous genres. Tu les trouves désincarnés et ils le sont : tu ne connaîtras de la maison que le plan de cadastre, et du client que la voix.

Tu ne décides rien. Tu n’étais pas dans le bureau lors du premier rendez-vous, tu ne connais pas les données du problème. Le sel de l’élaboration de la solution n’est pas encore pour toi.

Et un jour, tu en as marre de ça. C’est bon signe : tu es prêt pour changer de job. Souvent ça correspondra à la fin de ton stage.

Tu cherches alors une autre place, en demandant/exigeant des responsabilités. On te dit oui, mais tu vas vite comprendre que tu n’auras jamais ce que tu souhaites. Car ce que tu souhaites c’est voir les gens, les écouter puis apparaître auréolé d’une lumière bleutée pour leur dire comment régler leur problème7. Bref, tu veux RECEVOIR.

Là … c’est fini. Je te conseille toutefois de continuer à acquérir de l’expérience, mais le point de non-retour est passé. Soit tu trouves un job salarié en ville avec ce genre d’attributions8 (rare), soit tu t’installes.

Au fond de toi, tu as toujours cru qu’après tant d’années d’étude, puis de stage, puis de cléricature, tu n’aurais qu’à appeler le président du CSN9 qui te répondrait « j’ai ce qu’il vous faut ». Et bien…non10. Tu dois chercher une entreprise à racheter. C’est rude, pénible, mais c’est comme ça. Tu grognes, mais tu vas comprendre.

En ce qui me concerne, je voulais m’installer tout de suite. J’habitais dans la jolie banlieue nantaise et je n’ai trouvé aucune étude à vendre dans l’année (ou dans l’année suivante). J’ai compris que j’allais devoir m’inscrire dans un processus long si je voulais ce genre d’étude, car (quelle surprise), tout le monde veut s’installer dans les endroits sympas.Les avocats ne connaissent pas autre chose quand ils s’entassent à Paris ou sur la Côte d’Azur…

J’ai donc changé d’approche, et je me suis installé là où il y avait de la place. Sans aucun problème j’ai trouvé. C’est à 170 kms de mes parents, le thermomètre a perdu 2° et j’en peux plus des galettes saucisses, mais j’ai trouvé. En centre Bretagne, dans un canton (très) rural.

Je n’avais pas un sou, j’ai tout emprunté (même les droits d’enregistrement…). Mon cédant m’a trouvé sympa et dynamique, il m’a fait confiance. Qu’il en soit remercié. En même temps, j’étais le seul candidat depuis 8 mois.

Voilà. Personne ne m’avait expliqué ça, il m’a fallu le découvrir assez brutalement : vouloir devenir notaire, c’est accepter d’abandonner une partie de sa liberté.

C’est la contrepartie de ce monopole.

J’ai pesté en mon temps, mais aujourd’hui je comprends que sans ces contraintes, qui serait allé s’installer à Kerbiniou la Forêt, riante commune de 3000 habitants qui peinera à remplacer son médecin ?

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La première année de cet exposé, me taisant alors, je fus un peu surpris de ma propre franchise. Mais chaque année je m’y tenais, et je finissais alors mon propos :

Pour être notaire vous devez avoir un rapport assez particulier à l’autorité. Les notaires obéissent. Ils collectent les impôts, appliquent les réformes, travaillent où on leur dit de travailler, facturent ce qu’on leur dit de facturer et font les actes qui leur sont demandés. Ils s‘inscrivent dans l’histoire d’une étude, dont ils reprennent les actes (boulettes éventuelles incluses). Ils doivent rester neutres en toutes circonstances11.

Les avocats ont pour eux la liberté. Ils s’installent où ils veulent et peuvent se spécialiser. Ils facturent ce qu’ils veulent, acceptent ou refusent leur client et/ou l’AJ. Ils sont libres de partir de rien puis de tout fermer s’ils le souhaitent. Ce sens de la liberté va de pair avec une méfiance souhaitable à l’égard de toute autorité12. Ils sont engagés et portent la parole de leur client. Je verrai d’un mauvais œil que mon avocat obéisse à une quelconque injonction.

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Je crains que nos deux professions ne se comprennent jamais, et finalement ce n’est pas si grave. Nos clients savent jouer avec ces différences, faisant appel à leur avocat ou leur notaire quand ils ont besoin de l’un ou de l’autre.

Les limitations et les devoirs du notaire façonnent son identité professionnelle en le contraignant. Son monopole permet de les assumer sur tout le territoire, et pour tous les actes13. Mais dès lors que vous imposerez l’organisation et le business model des avocats à la profession de notaire, inévitablement, vous aurez des avocats.

Chaque année, sur ces mots, je laissais alors aux étudiants le soin de trouver une conclusion, puis de faire leur choix.

1 J’ai appris par la suite qu’une bonne moitié de ces étudiants arrivait là car « il n’y avait plus de place pour avocat » (alors que chacun sait qu’il y a trop de place pour avocat).

2 Une telle affirmation vous permettra sans faille de détecter un discours orienté.

3 Et il ne peut pas refuser de faire le travail si le dossier est financièrement inintéressant.

4 Que l’on découvre aujourd’hui.

5 Et on découvre avec stupeur que le charabia incompréhensible sur la TVA immobilière sert vraiment à quelque chose.

6 Et se faire payer des cacahuètes pour des jours de travail n’est pas illégal.

7 Enfin moi, c’est comme ça que je voyais ça.

8 Il y aurait à redire sur ce genre de poste, et je ne suis pas fâché que la profession s’oblige à 1000 notaires de plus dans les deux ans.

9 Conseil supérieur du notariat : instance nationale des notaires.

10 J’ai essayé.

11 Et parfois, c’est dur.

12 Coucou Tracfin

13 Le système est perfectible, notamment dans ses excès. Il faudra l’adapter à la réalité de l’immobilier des années 2000.

mardi 22 avril 2014

L'envers du décor

Un greffier, qui signe Cat’s chief (le lien entre greffiers et chats est une symbiose quasi fusionnelle, les premiers ont donné leur nom aux seconds, qui décorent les bureaux des premiers sur des cartes postales), avait écrit un texte en réponse à mon billet “maman !” que le couperet de la fermeture anticipée des commentaires a privé de publication. Je le publie donc en guise de billet, pour donner envie aux greffiers qui hésiteraient encore de s’exprimer pour demain et en vue de leur journée d’action du 29 avril. C’est une version imaginée de la même scène, mais vue du bureau de la greffière, spectatrice muette et que quasiment personne ne remarque, mais qui est là, voit tout et n’en pense pas moins. Merci à Cat’s chief de ce témoignage et de cet hommage à mon humble billet qui n’en méritait pas tant.

NB : les notes de bas de page sont de votre serviteur.

Eolas


— Alors, madame la greffière, elle arrive cette procédure?

— Je regarde ça…

La greffière attrape son combiné, tapote un numéro sur le clavier. Vu l’heure tardive, elle n’est pas même certaine de trouver quelqu’un encore présent au greffe de l’instruction. Les sonneries retentissent à intervalles réguliers, puis un grésillement. Une voix essoufflée s’annonce; une collègue greffière ayant tout juste terminé une confrontation et sur le point de quitter son bureau pour rejoindre les siens.

— Ils sont encore en IPC[1] Je ne sais pas pour combien de temps ils en ont …

— OK merci… Bonne soirée.

La greffière repose le combiné. Le choc sur le plastique provoque une réaction immédiate dans le bureau voisin.

— Alors?

— Toujours en IPC…

Elle se détourne vers l’embrasure du bureau. Elle sait qu’il va surgir tel une furie et s’époumoner contre ses propres collègues, comme si elle y pouvait quelque chose. Depuis cinq ans qu’elle le pratique, son juge, elle peut anticiper la moindre de ses réactions. Et c’est là tout l’intérêt d’un binôme greffier-JLD!

— Mais il fout quoi? Il ne faut pas 3 plombes pour mettre un gamin en examen! Il a été identifié par sa victime et il n’a même pas cherché à nier! Ça aurait dû être bouclée depuis longtemps cette histoire! Il disparaît du bureau tout aussi furtivement qu’il y est apparu, continuant à grommeler.

La greffière jette un regard sur l’horizon violacé peu à peu happé par la nuit. Peu de temps auparavant, elle a prévenu son époux de ne pas l’attendre. Une nouvelle fois, elle ne sera pas présente pour le coucher de ses enfants.

Une sonnerie stridente l’extrait de ses rêveries de câlins avec ses deux garçons.

Le parquetier de permanence…

— On en est où?

— Toujours en IPC…

Elle le sent lui aussi en venir aux jérémiades, à la critiques acerbes de la maniéré de travailler de ses collègues de l’instruction. Elle coupe court à tout:

— Je vous préviens dés qu’ils ont terminé…

— OK

La conversation prend fin sans autre forme de courtoisie. Elle y est habituée et ne s’en offense même plus. Et c’est peut être là tout le drame !

Le téléphone sonne à nouveau. Les quelques mots qu’elle lit sur le petit écran digital dessinent un sourire de satisfaction sur ces lèvres : Cabinet JI 1

On va pouvoir commencer…


***

Un cliquetis métallique. Le mis en examen sort du cabinet, entouré de l’escorte, suivi de son avocat.

Un gamin ! Ce n’est qu’un gamin, à peine plus âgé que son aîné !

Durant tout le temps du débat contradictoire, elle a bien pris conscience qu’il était perdu, qu’il ne comprenait pas l’enjeu. Pour lui, ce n’était qu’une réitération de ce qu’il avait dit lors de sa garde à vue et devant le juge d’instruction. Espérons que son avocat saura lui faire comprendre…

La porte du bureau voisin claque un peu trop violemment à son goût. Son juge vient de se retirer pour délibérer. Lui met toujours un point d’honneur à respecter cette phase de délibéré, il ne prend que rarement de décision sur le siège, et uniquement dans des cas exceptionnels. D’ailleurs, ses collègues fonctionnaires du greffe correctionnel se plaignent ouvertement de sa manière de conduire ses audiences à juge unique et de leurs heures tardives de fin. Lorsqu’elle aborde ce sujet avec son magistrat, il lui rétorque dans un sourire qu’il préfère prendre son temps et rendre de bonnes décisions qu’expédier des jugements médiocres qui viendront encombrer le greffe de la Cour, comme certain de ses collègues. Puis, il ajoute dans un haussement d’épaule que lui n’a pas la gestion de la charge d’audience, seul le parquet est fautif!

Mais, pour ce qui est de l’affaire de ce soir, elle le connait son juge, il ne laissera pas passer ça! Le gamin avait déjà reçu un coup de semonce avec le contrôle judiciaire. Cette fois ci, il n’y échappera pas… Elle clique sur l’onglet décision de son applicatif métier à l’acronyme mythologique[2], sélectionne l’ordonnance de placement en détention provisoire et coche le mandat de dépôt. Immédiatement après le prononcé, elle remettra l’original à l’escorte et en faxera une copie à la maison d’arrêt. Rien n’est pire qu’une détention arbitraire et personne ne lui pardonnera la libération d’un individu faute d’avoir transmis l’ordre d’incarcération dans les temps. Et lorsque avocat et juge se seront enfuis de ce palais de justice, lorsque l’escorte se dirigera vers le lieu de détention, elle, elle restera encore quelques minutes à son bureau, à se demander si elle n’a rien omis, si tout a été fait selon les règles applicables. Puis, dès le lendemain, elle épluchera les fax reçus dans la nuit à la recherche de l’acte d’appel. Car il y aura appel. Il y a toujours appel…

Derrière elle grince la porte du bureau voisin. Son juge dépose le dossier devant son écran jumelé, celui lui permettant de suivre la saisie du procès-verbal durant les débats.

— Je vous ai envoyé la motivation.

A ces mots apparaît le pop-up de réception d’un mail. Elle ouvre le fichier, s’intéresse directement au dispositif.

Placement DP[3].

Elle fusionne l’ordonnance, corrige les coquilles habituelles, insère la motivation de la décision la relisant rapidement. Après une dernière relecture, par son juge, de l’ordonnance mise en forme, elle lance les impression, se lève, passe la tête par l’entrebâillement de la porte du cabinet:

— Vous pouvez entrer…

Rapide coup d’oeil par la fenêtre au retour à son bureau. Il fait nuit noir.

Elle s’installe derrière son écran, son regard se posant sur ce futur détenu tout juste libéré de son entrave d’acier. Il peine à étouffer un bâillement.

Elle soupire.

Il n’a toujours pas compris…

Notes

[1] Interrogatoire de première comparution, préalable à la mise en examen et le cas échéant à la saisine du juge des libertés et de la détention (JLD) pour un débat contradictoire en vue d’un éventuel (Ah ! Ah ! Pardon) placement en détention provisoire).

[2] CASSIOPÉE, acronyme de Chaîne Applicative Supportant le Système d’Information Orienté Procédure Pénales Et Enfants, qui a détrôné Clippy dans les cauchemars hantant les nuits des greffiers. Si seulement on avait consacré autant de temps à son développement qu’à lui trouver un joli acronyme…

[3] Détention provisoire.

dimanche 29 septembre 2013

Qu'en termes galants ces choses là sont dites

Par Dadouche, qui espère que les plus anciens lecteurs de ce blog ne l’ont pas oubliée depuis le temps



“Passion interdite”, “amour hors norme”, “liaison particulière” : c’est dans ces termes choisis que plusieurs journalistes ont évoqué les poursuites engagées contre une professeure de collège du chef d’atteintes sexuelles sur mineure[1] de 15 ans sans violence ni contrainte ni menace ni surprise par personne ayant autorité, la mineure en question étant l’une de ses élèves à l’époque des faits.

Les faits les voici, tels qu’ils ressortent des articles de François “Carte du Tendre” Caviglioli (le Nouvel Observateur) et de Stéphanie “Fleur Bleue” Maurice (Causette), qui ont suscité de nombreuses réactions à leur parution voici quelques mois :
Géraldine [2], professeure, a entretenu pendant quelques semaines une relation amoureuse avec une de ses élèves de troisième qui était dans sa classe depuis l’année précédente, âgée de 12 ans à leur rencontre et de 13 ou 14 ans[3] lorsqu’elles ont eu des relations intimes. La découverte de SMS par la mère de la jeune fille a sonné le glas de cette liaison. Le signalement fait par le centre médico-psychologique et/ou le principal du collège au Parquet a conduit à une enquête pénale puis à des poursuites devant le tribunal correctionnel, qui font encourir à l’adulte une peine de 10 ans d’emprisonnement.

Les mots pour le dire…

Ce sont les mots et le ton utilisés par ces journalistes qui ont suscité l’indignation de beaucoup, conduisant même le magazine Causette à présenter des excuses pour sa “maladresse” après avoir été accusé de “prôner la pédophilie”. Et quels mots… Doux ou lyriques, mais toujours sur le thème de l’Amûûûûûr parfois courtois et à jamais maudit

Pour François Caviglioli, l’enseignante est passée de “la danse pédagogique” à la “danse nuptiale”, destinant à son élève “une chorégraphie qui se fait de jour en jour plus sensuelle”. Plus tard, “leur ardeur et leur impatience sensuelle sont telles qu’elles ne craignent pas de se livrer à l’intérieur du collège à des étreintes furtives pimentées par le risque d’être surprises”. Dans une note aux lecteurs suscitée par les réactions à son article, il précise qu’ “une jeune élève s’est sentie pour la première fois exister sous le regard d’une enseignante qui ne ressemblait pas aux autres”.

Stéphanie Maurice donne la parole à l’enseignante qui se décrit comme “plutôt fleur bleue” et est, comme souvent dans ce type d’affaire, dans l’autojustification “Elle ne voulait parler qu’à moi (…) je craignais que si je lui claquais la porte au nez elle ne se mette en danger”. La journaliste a aussi rencontré son avocate “qui elle referme le couvercle de la boîte à fantasmes : « atteintes sexuelles», ce sont des caresses et des baisers, commis sans violence, sans contrainte, sans menace, sans effet de surprise. Sinon,la justice parlerait d’«agressions sexuelles»”.

Quant à Didier Specq, commentateur habitué et avisé de ce blog, son récent récit de l’audience (ou de ce que la presse en a perçu puisque le huis clos a été ordonné) questionne la légitimité de ce type de poursuites dès la première phrase : “homophobie ou répression d’actes illicites”. Il s’étonne d’un réquisitoire[4] qu’il juge sévère pour ces deux amoureuses qui, paradoxalement, ne violeraient pas la loi aujourd’hui puisque la jeune fille a plus de 15 ans et que l’adulte n’est plus son professeur et n’a donc plus autorité sur elle.

Les réactions aux premiers articles ont été vives, et ont rappelé que les mots auraient sans doute été très différents si l’enseignante avait été un enseignant[5]. La blogueuse Gaëlle-Marie Zimmermann a réagi fermement à l’article du Nouvel Observateur, l’accusant notamment de “réduire ainsi le volet pénal et judiciaire de l’affaire au symptôme de l’intolérance d’une société qui refuserait d’admettre le véritable amour et l’ivresse sensuelle”. Une riveraine de Rue 89, Lila B., réagit quant à elle aux excuses de Causette en racontant comment, à l’age de 14 ans, flattée qu’une “femme adulte, brillante, ayant tellement de prestance et d’assurance s’intéresse à elle”, elle a été traumatisée par leur liaison. Elle souligne notamment le choix d’illustrations très fleur bleue, très douces, dans “un décor de fleurs et de petits oiseaux”.

…la loi pour le réprimer

Entre l’image Barbaracartlandesque de ces “amours interdites” et le cliché de la pédophile prédatrice, il y a la loi. Et plus précisément les articles 227-25, 227-26 et 227-27 du code pénal, qui répriment les “atteintes sexuelles sans violences ni menace ni contrainte ni surprise sur mineur”.

Le code pénal est construit en livres, chapitres et sections, dans un ordonnancement qui montre quelles valeurs la société entend protéger en réprimant tel ou tel comportement. Les agressions sexuelles et viols, qui sont des atteintes sexuelles imposées par violence, menace, contrainte ou surprise, sont ainsi réprimées au titre des atteintes à l’intégrité physique et psychique de la personne.
Les atteintes sexuelles SANS violence sont quant à elles réprimées en tant qu’atteintes aux mineurs et à la famille et plus précisément (comme la privation de soins, la provocation d’un mineur à l’usage de stupéfiants ou à la consommation “habituelle et excessive” de boissons alcoolisées, la corruption de mineur, la pédopornographie ou le refus d’inscription scolaire) au titre de la mise en péril des mineurs. C’est donc bien l’enfance qui est d’abord protégée par cette infraction.

Quinze ans et toutes ses dents

Ce sont ces articles 227-25 et suivants du code pénal qui conduisent à dire couramment que la “majorité sexuelle” est à 15 ans. La loi présume en quelque sorte qu’avant cet âge, face à un adulte, un enfant ou adolescent ne peut véritablement consentir, en toute connaissance de cause, à des relations sexuelles quelqu’elles soient, et que le risque est trop grand d’une manipulation, même inconsciente de l’enfant par l’adulte. Contrairement aux agressions sexuelles, pour lesquelles on distingue le viol, crime caractérisé par une pénétration sexuelle imposée, et les “agressions sexuelles autres que le viol”, délit caractérisé comme son nom l’indique comme une atteinte sexuelle sans pénétration imposée à la victime, les “atteintes sexuelles sans violence” peuvent en effet être constituées par tout acte de nature sexuelle.
Pour n’importe quel majeur, les relations sexuelles [6] avec un mineur de 15 ans (mineur au sens de “âgé de moins de”) dont il connaît l’âge sont purement et simplement illicites, et se livrer à une “passion interdite” fait encourir une peine de 5 ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende, outre une inscription automatique au FIchier Judiciaire des Auteurs d’Infractions Sexuelles (FIJAIS).

Est-ce à dire que les mineurs de 15 ans sont condamnés à la chasteté sous peine d’exposer au cachot l’objet de leur affection ? Non, la loi autorise la luxure pour tous, mais avec quelqu’un de leur âge ou à peu près. Des amours d’accord, mais adolescentes.

Cette limite d’âge est-elle adaptée ? C’est au législateur de le dire. Certains pays fixent la majorité sexuelle beaucoup plus tôt (9 ans au Yémen[7]), d’autres plus tard (17 ans dans certains Etats américains). On peut relever qu’en France, jusqu’à une date récente, les filles pouvaient se marier à 15 ans, limite d’âge relevée à 18 ans par une loi de 2006 destinée à lutter contre les mariages forcés.
Certains estiment qu’une limite liée à la maturité du mineur concerné au cas par cas serait plus adaptée, soulignant à juste titre que tous les adolescents de 15 ans n’ont pas le même degré d’éducation sexuelle, la même maturité affective, la même conscience des enjeux. Cela me paraît une fausse bonne idée car ce type de limite doit être parfaitement claire et ne laisser place à aucune interprétation sous peine de toujours ergoter alors même que l’adolescence est un moment de tels bouleversements qu’un jeune peut avoir atteint dans différents domaines des degrés de maturité différents et variables et que ce que l’infraction réprime c’est aussi le fait pour un adulte de profiter de cette confusion. Les parquets font par ailleurs preuve de discernement dans les poursuites, généralement réservées à de grandes différences d’âge ou à des “histoires” initiées dans des circonstances troubles

Pédophilie or not pédophilie ?

Les vives réactions aux articles du Nouvel Observateur et de Causette ont porté essentiellement sur le fait que ces textes auraient présenté des actes pédophiles sous un jour favorable.

Rien, dans la qualification pénale retenue à l’égard de la professeure, ne permet de la qualifier de pédophile. Cela dit, rien dans les qualifications qui auraient été retenues à l’égard de Marc Dutroux s’il avait été jugé en France n’auraient davantage permis d’user de ce terme à son égard.
Pour la simple et bonne raison que la loi ignore la pédophilie en tant que telle[8].

En effet, la pédophilie est un trouble de la préférence sexuelle, une déviance, une perversion, bref son diagnostic relève du domaine de la psychiatrie et non du droit. Un certain nombre d’abuseurs sexuels, particulièrement dans des cas de viols incestueux sur mineurs, ne sont pas considérés comme pédophiles, bien qu’ agresseurs sexuels de mineurs de 15 ans et lourdement condamnés comme tels. Les juridictions de jugement s’intéressent évidement à la dimension pédophile ou pas de la personnalité du prévenu ou accusé au moment de fixer la peine mais cela n’a aucune incidence sur la qualification des faits.

Rien dans les éléments portés à notre connaissance sur cette affaire ne permet de qualifier la professeure de pédophile.
Ce qui n’enlève rien à la gravité de ce qui demeure un abus sexuel par personne ayant autorité.
Ce qui pourrait en revanche conduire à se réinterrroger sur l’opportunité d’inscrire automatiquement les personnes condamnées pour ces faits au FIJAIS.[9] (ami législateur, si tu m’entends…)

“A 3 mois près…”

L’article de Causette souligne que la jeune fille “frôlait la majorité sexuelle à 3 mois près”, comme si ce que l’on reprochait à l’enseignante était de ne pas avoir su se contenir quelques semaines de plus. Sauf que… pas du tout.
En effet, dans le cas de la “liaison particulière” qui nous intéresse, les choses se corsent. La prévenue était au moment des atteintes l’enseignante de la mineure de 15 ans[10] et avait à ce titre autorité sur elle. Dans ce cas, non seulement la peine encourue est aggravée (10 ans d’emprisonnement, 150.000 euros d’amende), mais de telles relations sont interdites aussi après le quinzième anniversaire et jusqu’à la majorité de l’adolescente (sauf à encourir 3 ans d’emprisonnement)[11].
Oui, Gabrielle Russier, dont on a parfois évoqué les mânes dans cette affaire, serait encore aujourd’hui susceptible de poursuites pénales pour ses relations avec un élève de 16 ans[12].
Et encore heureux. Car, rappelons le encore et toujours, cet “amour hors norme” c’est une ENSEIGNANTE qui a eu une liaison avec une de SES élèves, pas Roméa et Juliette. Pas une camarade majeure depuis peu, pas juste une femme beaucoup plus âgée, pas quelqu’un rencontré dans un contexte neutre : une personne qui, par sa fonction de professeur, est une figure d’autorité, dont l’intérêt est en lui même flatteur pour une adolescente, comme le relèvent d’ailleurs à la fois François Caviglioli ET Lila B.. C’est cette relation d’autorité qui teinte la relation amoureuse de tous les soupçons et justifie qu’on l’interdise et que l’on poursuive l’adulte qui s’y est livrée.

Le dgèndeur[13] idéal

Contrairement aux articles qui ont fait polémique[14], je pourrais écrire le paragraphe précédent au masculin/masculin, au masculin/féminin, au féminin/masculin sans que cela change rien à mon propos. Car juridiquement cela ne change rien.
En revanche, manifestement, dans l’imaginaire de beaucoup, l’absence de pénétration, la “douceur féminine” rendraient tout cela beaucoup plus acceptables[15].
Rappelons le : oui il y a des femmes agresseuses sexuelles, oui il peut y avoir des viols lesbiens[16] , non les hommes n’ont pas besoin de leur pénis pour traumatiser des petites filles ou petits garçons (ni des adultes d’ailleurs).
C’est à l’adolescent de découvrir la sexualité, à son rythme, pas à l’adulte, et surtout pas à l’adulte à qui l’enfant est confié, de lui imposer (même de façon “fleur bleue”) la sienne.

Notes

[1] je sais que je devrai le repréciser plusieurs fois pour éviter les commentaires “vous avez oublié des mots” : mineur de x ans ça veut dire “âgé de moins de x ans”

[2] ce n’est évidemment pas son vrai prénom, mais on s’en fiche, tous les articles ont affublé les protagonistes de prénoms divers et variés, sans qu’on sache d’ailleurs ce qui dictait leur choix de la consonance dudit prénom

[3] ça n’est pas très clair dans les chronologies rapportées par les articles, et ça ne change pas grand chose

[4] 8 mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve avec interdiction d’exercer un métier en lien avec des mineurs, obligation de soins, interdiction de rencontrer la victime, outre l’automatique inscription au FIJAIS

[5] Soulignant par exemple l’improbabilité d’un titre comme “Antoine 12 ans, et le curé de sa paroisse, 30 ans : une passion interdite”

[6] qu’elle soient hétérosexuelles ou homosexuelles, il n’y a plus de discrimination en la matière depuis 1983

[7] sans commentaire

[8] oui, amis mekeskidis et surtout amis journalistes, “condamné pour pédophilie” ça ne veut RIEN DIRE

[9] si on pouvait d’ailleurs un jour se repencher sérieusement sur le FIJAIS et son utilité tout court,ça serait pas mal hein

[10] oui, toujours au sens de “âgée de moins de 15 ans”

[11] Pour éviter à nos lecteurs jeunes majeurs de se trouver dans une fâcheuse position, précisons que les autres circonstances aggravantes prévues par la loi sont : la qualité d’ascendant de la victime, l’abus de l’autorité que confèrent les fonctions (même si le majeur n’a pas directement autorité sur la victime), la commission des atteintes par plusieurs adultes, la mise en contact avec la victime par Internet (pas de Meetic pour les ados) et enfin l’ivresse (alcoolique ou “stupéfiante”) manifeste de l’auteur.)

[12] même si le traitement judiciaire de l’affaire serait très différent, particulièrement quant à la détention provisoire

[13] désolée pour cette private joke de twitto follower du Maître de ces lieux #paspurésister

[14] Imaginez comme Slate : Une liaison particulière. C’est une histoire de passion interdite. A Lille, un homme, un prof, est tombé amoureux, à en perdre la raison de David, son élève, un collégien de 14 ans. Il a dix-neuf ans de plus que son amant. Il risque dix ans de prison”. Y a un truc qui passe pas hein ?

[15] le lyrisme et le champ lexical employés dans l’article de Caviglioli sont assez révélateurs à cet égard

[16] lire ce témoignage publié par Gaëlle-Marie Zimmermann, qui pourrait bien être une version plus longue de celui de Lila B.

vendredi 9 novembre 2012

Institut contre la justice

Par Gascogne


Lorsque je recherche la définition d’un “institut”, outre le côté beauté de la chose, je tombe le plus souvent sur la définition suivante : “établissement de recherches scientifiques et d’enseignement supérieur”. De manière assez étonnante, je n’arrive dès lors pas à comprendre comment l’Institut pour la justice peut relever d’une telle définition.

Non pas que je ne comprenne pas comment ses membres peuvent réfléchir à l’avenir de l’institution judiciaire française. Qu’ils le fassent comme n’importe quel autre citoyen est non seulement normal mais encore salutaire. Qu’ils le fassent par le biais de vidéos virales est pourtant déjà plus troublant. Est-il en effet besoin d’appeler tous les citoyens de France et de Navarre à témoins pour réfléchir sur les modifications à apporter au système judiciaire ? En dehors d’une élection démocratique, s’entend… Est-il besoin d’utiliser la douleur de la famille d’une victime pour mettre en avant sa propre conception de ce que doit-être le système judiciaire français ?

Il est bien évident que tout un chacun est en droit d’exiger un débat démocratique, même en dehors de périodes électorales, sur n’importe quel sujet, l’institution judiciaire n’échappant ni à la critique, ni à la discussion. Mais cela suppose que l’on accepte en retour la critique… de la critique. D’autant plus lorsqu’elle est systématique. Alors je dois reconnaître un certain étonnement lorsque j’ai appris que l’Institut pour la Justice avait diffusé sur son blog[1] un billet d’humeur suite au discours du président de l’Union Syndicale des Magistrats lors du congrès annuel de ce syndicat, en présence du Garde des Sceaux, et, fait exceptionnel, du Ministre de l’Intérieur, à Colmar.

Cette association, qui se veut proche des “victimes”, mais qui l’est surtout de partis politiques, a publié sur son site, avant même de l’avoir envoyé à son destinataire naturel, la lettre suivante :

Monsieur le Président,

Je me permets de vous écrire suite à votre discours lors du Congrès de l’USM, le 19 octobre dernier, à Colmar.

Je tenais à vous faire part de ma stupéfaction à la lecture de celui-ci. Vous n’avez, en effet, pas hésité à attaquer violemment l’Institut pour la Justice, en utilisant des mots particulièrement discourtois et mensongers à notre égard, évoquant « un discours populiste et extrémiste », « des amalgames pathétiques » ou des « voix qui tentent de faire croire qu’elles défendent les victimes ».

Je me permettrai de revenir sur le fond de vos attaques très rapidement, mais j’aimerais auparavant souligner une contradiction particulièrement manifeste dans votre discours. Après avoir invectivé publiquement et de manière éhontée l’Institut pour la Justice, vous ajoutez, dans votre discours, que vous croyez « au nécessaire dialogue républicain », que vous êtes « ouverts au dialogue et au compromis » et concluez par « nous préférons infiniment aux oppositions frontales du passé le débat d’idée ! ».

A la lecture de ces mots, je suis pris d’un sérieux doute sur votre sincérité et votre volonté de parvenir à un dialogue constructif, ce qui ne veut pas dire sans oppositions. En ayant recours à l’amalgame, l’invective et même la stigmatisation systématique, vous utilisez des procédés qui sont à l’opposé de vos déclarations et vous rapprochent de partis ou mouvements qui n’hésitent pas à recourir, eux, à des « discours populistes et extrémistes ». Vous critiquez les méthodes de certains syndicats de policiers à l’encontre de l’USM mais usez des mêmes procédés à notre égard. En ce sens, je dois reconnaître mon étonnement, pour ne pas dire plus.

Par ailleurs, vous faites une erreur – dont j’espère qu’elle n’est pas volontaire – en laissant croire que nos analyses sur les dysfonctionnements de la justice visent les magistrats. Si des critiques individuelles peuvent être faites à l’égard de certains magistrats, ce dont vous ne vous privez pas à l’égard de M. COURROYE, il n’en est pas moins vrai que les juges appliquent, plus ou moins strictement, les lois pénales décidées et votées par les pouvoirs exécutif et législatif.

Or, ce sont ces lois que nous dénonçons et que nous souhaitons voir modifier dans le sens des préoccupations et idées qui sont les nôtres. Je vous saurai donc gré de ne pas simplifier nos discours et nos propositions qui reçoivent, par ailleurs, le soutien de nombreux magistrats, professionnels et experts du monde judiciaire.

Vous revendiquez, et c’est une idée à laquelle nous ne sommes pas insensibles, l’instauration d’un véritable pouvoir judiciaire dans notre pays, symboliquement matérialisé par une réforme de notre Constitution. Or, je ne doute pas que comme nous, vous souscriviez à l’idée qu’il n’est de plus grand danger dans une démocratie, qu’un pouvoir sans contre-pouvoir.

La Justice est rendue dans notre pays au nom du peuple français. Sans céder à quelque populisme que cela soit, refuser d’entendre l’opinion publique ne peut être compatible avec la mission même de la Justice. Instaurer un pouvoir judiciaire digne de ce nom en France, nécessiterait dans le même temps que des contre-pouvoirs forts soient mis en place. Cette remarque s’applique d’ailleurs à l’ensemble de nos institutions, notre pays souffrant, sans aucun doute, de l’absence de véritables contre-pouvoirs.

La démocratie et l’information des citoyens sont un combat et une mission de chaque jour. Certes, nous sommes sans doute en désaccord sur l’orientation des réformes qui seraient nécessaires à notre système judiciaire, mais je vous prierai de ne pas recourir à des discours ou à des procédés que vous condamnez légitimement lorsqu’ils sont adressés à votre encontre.

Nous sommes tout à fait disposés à vous rencontrer et à multiplier les échanges avec l’Union Syndicale des Magistrats. Le débat démocratique a tout à y gagner à condition que les invectives ne soient pas l’instrument privilégié par votre organisation pour nous décrire.

Je crois qu’il était nécessaire que l’Institut pour la Justice vous fasse part de sa préoccupation à l’égard des propos qui sont les vôtres. Je ne doute pas que nous aurons l’occasion d’échanger à ce sujet.

Restant à votre disposition, je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’expression de mes salutations cordiales.

Alexandre GIUGLARIS Délégué général adjoint de l’Institut pour la Justice

L’IPJ s’est entendu faire la réponse suivante :

Monsieur le délégué général adjoint,

J’accuse réception ce jour de votre courrier du 25 octobre dernier qui m’est tardivement parvenu, mais dont je n’avais pas manqué de prendre connaissance, puisque vous l’avez concomitamment diffusé sur votre site internet sous forme de lettre ouverte.

Vous semblez me reprocher un passage du discours que j’ai prononcé en présence de Mme TAUBIRA et de M. VALLS à l’occasion du 38ème congrès annuel de l’USM à Colmar le 19 octobre dernier.

Je me félicite de l’intérêt que vous portez à nos travaux. Néanmoins, vous me permettrez de trouver inapproprié d’extraire quatre lignes d’un discours de 45 minutes en en modifiant le sens et la portée.

Après m’être félicité du discours respectueux du Ministre de l’Intérieur à l’égard des magistrats et de leurs décisions, ouvrant la porte à un travail serein et consensuel gage de succès dans la lutte contre la délinquance et la récidive, j’ai émis des inquiétudes quant aux oppositions de certains, tant au sein de la police qu’au sein de la magistrature, à cette attitude responsable.

J’ai ajouté : « D’autres voix, qui tentent de faire croire qu’elles défendent les victimes, mais véhiculent un discours populiste et extrémiste, les rejoindront. Comment ne pas condamner les derniers amalgames pathétiques diffusés sur internet, par ceux qu’il faudrait plutôt appeler ICJ, « l’Institut contre la Justice » ! »

Je conçois que ces propos vous soient désagréables, mais ils correspondent au ressenti de très nombreux collègues après les multiples attaques dont l’IPJ est coutumier à l’égard des magistrats.

Il m’avait en effet échappé que c’étaient les lois et procédures que vous contestiez et non les magistrats et leurs décisions. Le visionnage intégral des vidéos diffusées sur votre site internet, les raccourcis saisissants que vous opérez, les approximations et les amalgames flagrants prouvent qu’au-delà des lois, ce sont également les décisions de justice et ceux qui les rendent que vous attaquez. Vous êtes naturellement libre de penser ce que vous voulez des magistrats et fonctionnaires de greffe qui servent pourtant la justice avec abnégation et sans les moyens suffisants pour faire face à l’ensemble de leurs missions.

Vous avez le droit de porter des idées qui n’ont été efficaces dans aucun pays au Monde et de faire du lobbying pour les imposer dans notre pays.

Mais vous ne pouvez pas, comme vous le faites, systématiquement stigmatiser la Justice, laissant entendre que les magistrats, par esprit partisan, sont laxistes, font fi des victimes et favorisent en réalité les délinquants. Ou si vous le faites, acceptez au moins, sans vous victimiser, que ceux qui majoritairement représentent les magistrats fassent part publiquement de leur réprobation !

« La démocratie (j’ajouterai la séparation des pouvoirs et l’indépendance des magistrats) et l’information des citoyens sont un combat et une mission de chaque jour » écrivez-vous.

Je partage ce sentiment, mais, à l’USM, nous considérons que la démocratie ne peut se mettre en œuvre que si les organes régulateurs de la société, au rang desquels nous plaçons naturellement l’institution judiciaire, sont respectés.

Quant à l’information donnée, encore faudrait-il qu’elle soit juste et exprimée avec sincérité, ce qui, j’ai le regret de vous le dire, n’est pas le sentiment principal qui émane de vos publications.

Vous comprendrez que tant que ces deux conditions préalables ne sont pas remplies, il ne peut être envisagé un quelconque travail entre l’USM et votre institut

Je vous prie d’agréer, Monsieur le délégué général adjoint, mes salutations distinguées.

Christophe REGNARD Président de l’Union Syndicale des Magistrats

Je ne suis certes en rien objectif, comme membre du syndicat si honni de l’IPJ, et par ailleurs fort peu adhérent dudit institut. Mais tout de même, il me semble qu’à la démagogie d’un tel regroupement qui se positionne sur l’échiquier politique, et en matière de justice, à l’extrême de ce qu’une démocratie peut accepter, il faut systématiquement répondre, pour ne pas leur laisser le champ libre de la discussion démocratique. Si tant est que la réponse à la réponse ne soit pas la plainte en diffamation, solution facile de celui qui finalement refuse toute forme de dialogue.

Une chose est claire : je ne laisserai jamais cet “institut” discourir seul de ce qui est sa vision extrême de la justice. Je suis immodestement persuadé que je suis mieux placé que n’importe quel de ses membres pour savoir ce qu’est la justice en France et ce dont elle a réellement besoin. Et je continuerai à le dire, à le réclamer, à la critiquer. Fut-ce au prix d’une assignation en justice pour “diffamation”, puisqu’il semble que la seule réponse de cette association à la critique de sa vision du monde judiciaire soit le recours à cette justice qu’elle semble pourtant tant détester.

Note

[1] je vous laisse faire toutes recherches utiles sur Google, n’entendant pas me faire le publicitaire de cette association

vendredi 30 décembre 2011

Le Sage, le Flic et le Suspect

Par Simone Duchmole, officier de police judiciaire, que mes lecteurs actifs en commentaires connaissent bien, à qui je souhaite la bienvenue comme auteur invitée et que je remercie pour sa participation à ce débat.


Je ne vous le cache pas : je me réjouis de la décision du Conseil Constitutionnel en date du 18.11.2011 sur l’audition dite « libre » des suspects et sur l’impossibilité pour les avocats d’accéder, au moment de la garde à vue, aux pièces du dossier.

J’entends bien ceux qui y voient une démission des Sages de la rue de Montpensier, arguant, consternés, que ces derniers font fi des règles fondamentales pourtant réaffirmées avec force depuis plusieurs années par les magistrats européens de Strasbourg (où l’herbe est si verte). Oui, j’entends tout cela. Mais je ne peux m’empêcher de me réjouir car je constate que cette prestigieuse institution (cela dit sur ce point le doute m’assaille, il suffit notamment de voir son attitude vis à vis des comptes de campagne du candidat Balladur en 1995 pour se rendre compte du malaise)… que cette prestigieuse institution, donc, garde une conception du « procès pénal » proche de la mienne. En tout cas, c’est comme cela que je l’interprète. Et cette joie m’a donné envie de coucher quelques remarques sur le papier. Je remercie donc Maître Eolas de m’avoir ouvert son blog malgré nos avis très divergents sur le sujet.

Pour mieux comprendre mon point de vue, commençons par des choses simples, ce qui, pour une fonctionnaire de police, n’étonnera personne. Nous, les flics, à quoi servons nous exactement, à part bien sûr harceler les automobilistes ou déloger brutalement de sympathiques manifestants ? L’article 14 du Code de Procédure Pénale résume, en quelques mots, notre mission, en tout cas celle de la Police Judiciaire à laquelle j’appartiens : nous sommes chargés de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, et ce tant qu’une information n’est pas ouverte (donc tant qu’un juge d’instruction n’est pas saisi). Comme vous le voyez, nous n’intervenons que de manière limitée dans le « procès pénal », concept beaucoup plus large comprenant notamment la phase essentiel du jugement. Pour faire simple, nous recherchons, au cours de nos enquêtes, tous les éléments utiles permettant à la Justice de se prononcer d’abord sur les éventuelles poursuites puis sur la culpabilité de la personne poursuivie.

Et dans le cadre de cette recherche, il nous arrive de mettre en œuvre une mesure devenue emblématique : la garde à vue.

Évacuons tout de suite la question des conditions matérielles de cette dernière. On en parle depuis longtemps et c’est bien souvent le premier grief formulé par ceux qui ont la « chance » de passer dans nos locaux, dans ces cellules exigües, inconfortables et bien souvent malodorantes. L’État estime peut-être que la brièveté du séjour ne mérite pas que soit consenti un effort particulier. On s’en tient donc au strict minimum, aussi bien en ce qui concerne le mobilier (le béton redevient cependant tendance) que la propreté (un coup de serpillière quand le personnel en charge du ménage y pense, c’est largement suffisant). Voilà un chantier qui aurait du être engagé depuis longtemps.

Évacuons ensuite son caractère d’« indicateur d’activité ». C’était le cas il y a encore quelques mois mais la politique en la matière a changé. Il y a peu, plus vous faisiez de gardes à vue, plus vous montriez le dynamisme de votre service. Aujourd’hui, tout cela est bien fini. En caricaturant un peu, je dirais qu’il ne faut dorénavant faire de la garde à vue que lorsque vous ne pouvez pas faire autrement. Convoquer votre mis en cause pour le lendemain, en vue d’une audition libre, au lieu de régler le problème immédiatement est l’attitude préconisée, du moins pour les plus petits délits… même si cela complique votre tâche. Et tout cela pourquoi ? Parce que l’augmentation du nombre de gardes à vue a fini, assez logiquement, par marquer les esprits et parce que, très certainement, la présence accrue des avocats au cours de ces mesures a un coût que l’administration compte bien minorer.

La réforme adoptée en 2011 et entrée en vigueur en juin dernier a posé les bases suivantes : Ne peut faire l’objet d’une garde à vue que la « personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement ». Il s’agit d’une mesure de contrainte décidée par un Officier de Police Judiciaire, seul (mais pas de façon arbitraire) ou sur instruction du Procureur de la République. Cette mesure doit constituer l’unique moyen de parvenir à l’un des six objectifs énumérés par l’article 62-2 du Code de Procédure Pénale (1-Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne, 2-Garantir sa représentation devant le procureur afin que ce dernier puisse apprécier la suite à donner à l’enquête, 3-Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices, 4-Empêcher la personne de faire pression sur les témoins ou les victimes, 5-Empêcher que la personne ne se concerte avec les éventuels co-auteurs ou complices, et enfin 6-Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit).

Très souvent, j’entends que les policiers se contentent de vagues soupçons pour placer en garde à vue leurs clients alors qu’ils feraient mieux de pousser un peu leurs investigations avant de les passer à la question. Cette attitude s’expliquerait par leur probable fainéantise et surtout le culte sans pareil voué aux aveux. Non, les enquêteurs ne se disent pas en recevant leurs dossiers : « Il y aurait bien quelques trucs à faire pour démontrer l’infraction et confondre son auteur, mais je vais me contenter de placer en garde à vue le suspect et lui faire avouer son forfait. »

Ce sont les circonstances qui l’emportent bien souvent. La plupart des dossiers donnant lieu à des gardes à vue sont a priori traités en flagrance, c’est à dire quand le crime ou le délit se commet au moment de l’intervention des forces de l’ordre ou quand il vient de se commettre. Et là c’est l’urgence qui prédomine. Le suspect est interpellé puis interrogé en même temps que sont récoltés les éléments de preuve. Il est difficile de remettre une convocation pour la semaine suivante à une personne poursuivie par la clameur publique et « accusée » d’avoir commis dix minutes plus tôt un vol avec violences, un viol ou un meurtre. Oui, de simples soupçons suffisent pour que l’on décide de vous retenir un moment afin d’y voir plus clair. Comment faire autrement lorsqu’une femme de ménage sort d’une chambre d’hôtel en accusant un client de l’avoir agressée ? Comment faire autrement lorsqu’un jeune homme connu pour agression sexuelle présente des griffures au visage et a été aperçu en compagnie d’une camarade de classe peu de temps avant que celle-ci ne disparaisse mystérieusement ?

Nos dossiers permettent heureusement parfois que soient engagées de multiples investigations avant l’audition du suspect. Mais l’absence d’élément probant, en raison par exemple de l’ancienneté des faits, ou l’existence d’un simple faisceau d’indices, ne rend pas pour autant injustifiées les auditions sous le régime de la garde à vue. Et il arrive de devoir précipiter une garde à vue parce qu’un événement inattendu bouleverse le déroulement normal de l’enquête.

Privé de liberté (rassurez vous, pour une durée très limitée), contraint de rester à la disposition des policiers pour tous les actes qu’ils jugeront utiles à la manifestation de la vérité (cette fameuse vérité que les avocats nous présente toujours comme une chimère), le suspect dispose néanmoins (et fort heureusement) de droits. Ils ne sont certes pas très nombreux mais permettent de ne pas se sentir isolé, seul face à l’oppresseur. Le suspect peut donc (n’est évoqué ici que le régime de droit commun, histoire de ne pas compliquer mon propos), et ce depuis le 01.06.2011 (ne revenons pas sur les régimes antérieurs), après avoir été avisé de la nature et de la date des faits reprochés :

- faire prévenir un proche (et non pas passer un coup de téléphone lui-même, nous ne sommes pas aux États-Unis)

- être examiné par un médecin qui se prononcera sur la compatibilité de son état de santé avec la mesure de garde à vue et administrera des soins si nécessaires

- s'entretenir avec un avocat au début de la mesure ainsi qu’au début de l’éventuelle prolongation, de manière confidentielle et pendant 30 minutes (Une demi-heure durant laquelle aborder le fond de l'affaire n'est pas interdit. Néanmoins le suspect ayant la fâcheuse tendance à mentir, même à son avocat, nous comprenons la difficulté de la tâche de ce dernier) et se faire assister au cours des auditions (mais pas des autres actes, comme les perquisitions par exemple). Cette assistance est bien sûr gratuite, laissée à la charge des contribuables, et ce quels que soient les revenus du suspect. Bien évidemment, si celui-ci choisit d’être assisté par un avocat particulier, ce sera à lui de régler les honoraires. D’où parfois la réticence de certains avocats à se déplacer et/ou rester pour des clients qu’ils connaissent peu ou pas et dont ils redoutent l'insolvabilité.

L'assistance de l'avocat au cours des auditions est donc la grande avancée de la dernière réforme sur la garde à vue. Cette dernière, adoptée dans la difficulté sous la pression des instances judiciaires nationales et supra-nationales, laisse cependant les avocats toujours aussi insatisfaits. En effet, si les portes de nos bureaux leur sont désormais ouvertes, ils enragent de ne pouvoir intervenir au cours des auditions (peur du syndrome de la plante verte ?). Certes ils peuvent toujours rédiger des observations sur ce qu'ils voient et entendent, et même poser des questions à la fin de chaque audition (ce qui n’est pas rien), mais ils voudraient prendre la parole pour orienter, au fur et à mesure de l'audition, leurs clients.

Ils exigent aussi et avant tout de pouvoir prendre connaissance du dossier pour organiser la défense. C’est le nœud principal de la discorde et un des objets de la récente décision, négative (mais très positive) du Conseil Constitutionnel. Les avocats s'estiment particulièrement floués puisque selon eux l'accès au dossier est un élément fondamental dans l'organisation de la défense, défense qu'ils doivent pouvoir exercer librement. « Comment défendre mon client si je ne sais pas ce qui lui est reproché ? » En réalité, en s'entretenant avec leurs clients puis en écoutant les questions posées par les enquêteurs, il leur est certainement possible de se faire une idée plus ou moins précise de la nature exacte des faits reprochés, des circonstances dans lesquelles ils ont été commis et des éléments en possession des enquêteurs.

La Cour Européenne des Droits de l'Homme, dans son interprétation du « procès équitable », exigerait, selon eux, que les suspects bénéficient d'une défense sans entrave, et ce dès le début de l'enquête. C’est oublier que la Cour a eu l’occasion d’indiquer que cette équité s’apprécie au regard de la procédure pénale dans son ensemble. C'est aussi refuser de voir dans le procès pénal un processus complexe composé de plusieurs phases. Et celle qui nous intéresse ici, l'enquête policière, doit être distinguée, selon moi, des phases d' « inculpation » et de jugement. Comme l'ont rappelé les Sages, lors de la garde à vue, qui n'est qu'un acte d'enquête parmi d'autres au moment où les policiers et gendarmes tentent de recueillir tous les éléments utiles à la manifestation de la vérité, l'avocat présent n'a pas vocation à plaider et à discuter du bien-fondé des actes accomplis. Les bureaux des forces de l'ordre ne sont pas des prétoires. Nous agissons dans une phase qui ne laisse sciemment pas le contradictoire prendre sa pleine mesure. Il le fera éventuellement par la suite (notamment au moment du jugement, du moins en théorie). Nos investigations sont certes attentatoires aux droits et aux libertés, mais c'est la nature même de notre mission qui l'exige. Les preuves, il faut que nous allions les chercher, les débusquer et parfois les arracher.

L'égalité des armes à ce stade des investigations est une vaste plaisanterie. Il ne faut absolument pas « juridictionnaliser » la garde vue, ni d’ailleurs l'enquête de police dans son ensemble. Certains exigent en effet que la garde à vue, et d’une manière générale la phase d’enquête, devienne pleinement contradictoire. Cette volonté provient certainement du fait que le contradictoire semble aujourd’hui malmené au cours de nombreuses procédures de jugement (notamment celles dites simplifiées). Le voir, pour pallier cette situation, s’installer dans les bureaux des enquêteurs peut paraître séduisant mais ce serait une erreur. La phase d’enquête n’a pas à souffrir des problèmes liés à l’engorgement des tribunaux.

Je le répète, je suis donc contre l'accès au dossier à ce stade des investigations Le mis en cause n'a pas à prendre connaissance de l'intégralité des éléments à disposition des enquêteurs. Pour arriver à savoir ce qu'il s'est vraiment passé, il faut parfois mettre le suspect face à ses contradictions, ses incohérences, ses élucubrations, en passer par des questions auxquelles on sait pertinemment qu'il mentira pour ensuite lui présenter, de manière calculée, les éléments qui démonteront son discours. Lui présenter dès le départ les pièces du dossier par le biais de son conseil, c'est l'éclairer totalement sur ce que nous savons (et donc ce que nous ne savons pas encore), c'est lui permettre d'élaborer un discours adapté.

Je suis également contre l'accès aux dossiers car certains d'entre eux contiennent des informations qui ne peuvent être divulguées, à ce stade de l'enquête. Je fais référence ici à tous les actes en cours ou à venir qui seraient mis en danger en cas de « publicité ».

Et ce n’est pas jeter la suspicion sur les avocats que de leur refuser, à ce stade du processus pénal, l’accès à notre procédure. Mais tout bon avocat utilisera les éléments qui lui seront présentés (tous, y compris et surtout ceux qui pourraient réduire à néant l’enquête) pour mener à bien sa mission, à savoir défendre les intérêts de son client (intérêts qui n’ont parfois rien à voir avec la manifestation de la vérité), et ce, sans enfreindre la moindre règle déontologique.

Alors, certes, beaucoup de dossiers ne contiennent pas grand chose et leur caractère confidentiel ne rime pas à grand chose. Mais accepter un accès total et sans condition à la procédure c'est potentiellement mettre en péril des dossiers complexes et/ou sensibles.

Maître Eolas a évoqué un compromis, à savoir un système dans lequel l’accès au dossier serait de droit mais susceptible de faire l’objet d’un report sur décision des autorités judiciaires. C'est une solution envisageable (mais que je ne souhaite pas) même si je reste persuadée que les avocats monteront au créneau à chaque fois que cet accès leur sera refusé.

La garde à vue ne concerne, faut-il le rappeler, qu'environ un mis en cause sur deux. 50% des suspects sont donc entendus en « audition libre ». Comme chacun sait, cette question me tient à cœur car c'est une vieille pratique que je défends ici depuis longtemps. Mes dossiers ne nécessitent pas souvent la mise en œuvre d'une garde à vue. Et cela n'a rien à voir avec le fait que l'audition se déroule hors présence d'un avocat. Contrairement à ce que sous-entend souvent le Maître des lieux, on ne choisit pas l'audition libre pour se débarrasser des avocats (c’est une vision assez nombriliste de la situation), on le fait parce qu'elle s'adapte mieux aux circonstances. La lourdeur et le caractère infamant (entre autres) de la garde à vue me paraissent suffisamment importants pour que je n’use de cette mesure qu’avec parcimonie.

Bref, le Conseil Constitutionnel a défendu l’existence d’une telle audition, malgré le contexte actuel, au grand désespoir des avocats qui ne se voient toujours pas invités à y assister. Les Sages exigent néanmoins que soit réelle la liberté dont jouissent ceux qui sont ainsi interrogés hors du régime de la garde à vue par les forces de l’ordre. A titre de garantie, les informations suivantes doivent être délivrées aux mis en cause avant toute question sur le fond :

- nature et date de l’infraction que la personne est soupçonnée avoir commise

- droit de mettre fin à tout moment à l’entretien en quittant les locaux de police ou de gendarmerie.

Pour info, je n’ai pas attendu la décision des Sages pour informer mes convoqués de leur possibilité de mettre fin à tout moment à l’entretien. Je le fais depuis plusieurs mois, et jusqu’à présent personne ne s’est levé pour quitter mon bureau. Personne n’est monté sur ses grands chevaux pour exiger la présence d’un avocat à ses côtés. Et tous, avec plus ou moins d’entrain, ont bien voulu répondre à mes questions. Le désir de donner leur vision des évènements était visiblement plus fort que le reste.

Alors, bien sûr, j’entends d’ici ceux qui prétendent que notre suspect n’a pas vraiment le choix, que, malgré ces petites garanties procédurales, il n’acceptera son sort qu’en raison de la menace sourde qui pèse sur lui (serait-ce la présence de mes bottins, négligemment posés sur le bord de mon bureau ?). Pourtant, que risque le suspect qui n’apprécie pas ce choix ? Au mieux, rentrer tranquillement chez lui. Au pire, se retrouver en garde à vue et donc bénéficier de ces droits dont il rêvait tant et que le fourbe enquêteur n’avait pas voulu lui accorder. Je précise, en ce qui me concerne, que seule la première option trouve grâce à mes yeux. En effet, si j’ai choisi d’entendre librement mon suspect, ce n’est pas pour changer d’avis en chemin uniquement parce que celui-ci ne veut pas répondre à mes questions. Si j’avais voulu le contraindre à passer quelques heures en ma compagnie, je l’aurais placé en garde à vue tout de suite. La poursuite de mes investigations m’obligera cependant peut-être à le recroiser dans des circonstances moins agréables pour lui.

Malgré cette sage décision du Conseil Constitutionnel, nous constatons que la mobilisation des avocats reste entière. Ils continuent de demander l’accès au dossier et estiment que tout suspect, privé ou non de liberté, doit pouvoir être assisté d’un conseil. Bien que de nombreux parlementaires semblent aujourd’hui prêter une oreille attentive à ce discours, les espoirs de ces auxiliaires de justice reposent toujours sur les magistrats de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui, espèrent-ils, condamneront la France pour être restée sourde à leurs revendications. Mais attention, de grands espoirs peuvent parfois déboucher sur de grosses déceptions.

jeudi 20 octobre 2011

Accusé, levez vous.

“Par Fantômette et Gascogne”


A l’heure où la France s’en va vers des rives lointaines de finale de coupe du monde de rugby, là où personne ne la voyait pourtant, il me semble d’une importance particulière de livrer au grand jour un procès qui n’aurait pas dû attendre, celui de l’accusé Christian Jeanpierre, dont le procès, largement trop reporté, n’a pu encore avoir lieu.

Ainsi, et après quelques mises en cause médiatiques, la parole est à l’accusation, la vraie, l’officielle : la parole est donc à Monsieur l’avocat général Gascogne.

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Monsieur le président, merci de me laisser exposer à votre Cour et à Mesdames et Messieurs les jurés tout mon courroux, coucou, comme l’aurait clamé un grand avocat général aujourd’hui disparu. Nous sommes donc aujourd’hui réunis pour un procès à plus d’une part symbolique.

Symbolique tout d’abord pour démontrer à ceux qui dénigrent ce blog qu’il peut tout à la fois maintenir un haut niveau juridique, et nous amener d’une manière si jouissive vers une allégorie sportive qui nous ramène, quoique l’on en pense, toujours au droit, et à ses règles certes contraignantes, mais tellement agréablement contingentes.

Cette parenthèse effectuée, vous permettrez, Monsieur le président, Madame Monsieur de la Cour, Mesdames et Messieurs les jurés, que j’en vienne au cas qui nous occupe aujourd’hui, et quel cas ! Celui de Monsieur Christian Jeanpierre.

Qu’il fut bon, le temps de la télévision publique, des Albaladejo et autres Herrero !

Quel bonheur d’entendre pendant un match tendu son célèbre “il l’a coupé en trrrrranches !”. Il n’est que de lire la poésie qui se dégage d’un commentaire écrit de Daniel Herrero pour comprendre à quel niveau se situent ses commentaires.

Qu’il fut bon, le temps des commentateurs sportifs qui commentaient le sport qu’ils avaient connu. Pas seulement en temps que sportifs professionnels, car après tout, n’en avons nous pas vus des sportifs devenus ministre sans même que leur compétence politique fut jamais reconnue ? Ne parlons donc dès lors pas de leurs compétences journalistiques…

Ainsi, il fut un temps où celui qui parlait d’un sport retransmis à la télévision en connaissait un tant soit peu les règles. Je n’oublie pas que celles du beau sport, celui du ballon ovale, sont particulièrement complexes, et que celui qui dirait à l’antenne les maîtriser dans leur ensemble paraitrait extrêmement présomptueux.

Ceci étant, à qui viendrait l’idée de faire commenter un championnat de Judo à Chantal Jouanno ?

Sur quelle chaîne verrait-on Sébastien Loeb se permettre des commentaires techniques quant à la manière de tel ou tel coureur de grimper un col ?

Où verrait-on un journaliste sportif remettre en cause les explications techniques données par le quadruple champion du monde qui l’accompagne[1] ?

Pense-t-on sérieusement que Jeannie Longo serait à même d’instruire le procès Servier ? (bon, là, je ne dis pas, l’exemple n’est pas nécessairement le meilleur. Ce serait comme dire que Jean-Luc Delarue ne pourrait reprendre un cabinet de magistrat du parquet en charge des stupéfiants. Peu crédible).

Alors, que les choses soient claires, Monsieur Jeanpierre : pour parler dans un micro, je ne vous arrive pas à l’oreillette. Mais concernant ce sport que j’aime tant, le rugby, et même si je suis totalement opposé au retour en force du délit de blasphème, comment pouvez-vous oser dire que vous commentez fort bien les matches de rugby, et que ceux qui vous critiquent sont des jaloux ?

Comment pouvez-vous laisser penser que le seul fait de dire “Etlonouvre” ou encore “la charge de…” vous permet de croire ne serait-ce que le temps que met un ailier gallois à traverser le terrain que vous êtes apte à commenter ce si beau sport ?

Comment laissez croire qu’un commentaire qui consiste à dire au pire moment de la débâcle que tout va aller pour le mieux car le staff français va faire rentrer les “cadors” est un commentaire apportant une quelconque plus-value au spectateur estourbi par l’avance de l’équipe adverse ?

Non, mesdames et messieurs, vous ne laisserez pas l’infamie envahir le petit écran, pas plus que le prétoire. Je ne doute pas que la défense mettra en avant les états de service de l’accusé en matière de football, mais sincèrement, quoi de commun entre les joueurs du ballon rond, aux règles simples, si l’on excepte celle du hors-jeu, et les sportifs qui manient cet instrument si particulier qu’est la beuchigue, quand bien même ce jeu fut-il inventé par les anglais ?

C’est en conséquence en toute confiance que je vous demande de bien vouloir déclarer l’accusé coupable de mécommentaire sportif et que je requiers une peine qui ne saurait être autre qu’une véritable peine d’élimination : une interdiction d’exercer, pour une durée qui ne saurait être moindre que la présente coupe du monde et la suivante. Les amateurs de rugby vous en seront particulièrement reconnaissants.

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La parole est à la défense. Me Fantômette, la Cour et le jury vous écoutent.

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Monsieur le président, Mesdames, Messieurs de la Cour, c’est avec une grande fierté que je me présente devant vous ce jour pour défendre une noble cause, une cause digne, une cause –n’ayons pas peur des mots – admirable, celle de l’accusé, M. Christian Jeanpierre.

Cet accusé voué aux gémonies, cet accusé que l’on voudrait vous voir détester, dénigrer, mépriser et n’est-ce pas facile, en effet ? Il est facile de détester celui-là et son air de ne pas vouloir en avoir l’air, son passé sulfureux, ses passions déviantes – n’a-t-il pas le tort de préférer aux trajectoires fantasques du ballon ovale, les lignes droites et franches du ballon rond ?

Mais ne vous y trompez pas.

Cet accusé est en réalité le porte-parole étrange et fascinant d’une cause sublimée, qu’il porte hautement, et fièrement. Et cette cause porte un nom, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs de la Cour.

C’est celle de l’Imaginaire.

Car oui, si dans un passé trouble - dont on ne saurait parler qu’avec une infinie et douloureuse pudeur - M. Jeanpierre a pu s’égarer dans le milieu du FOOTBALL – il faut savoir nommer les choses, même celles qui choquent – je crois que tout, en réalité, tout, dans ce qui lui est reproché aujourd’hui vous démontrera que, sincèrement repenti, il est désormais voué corps et âme à la défense passionnée – que dis-je, passionnée, passionnelle ! Mesdames et Messieurs – des trajectoires heurtées et délirantes qui sont le monopole et la gloire des référentiels de forme ovale.

Dans un exercice d’une audace qui interpelle les plus blasés d’entre nous, au lieu de prétendre décrire par la grâce de mots qui lui échappent les subtilités d’un jeu et d’un règlement que nul en ce bas monde ne peut sérieusement prétendre connaitre, tel un prophète émerveillé, voilà qu’il ne peut que répéter « charge de truc », « ouverture de machin », sur le ton morne et obstiné de l’homme encore abasourdi par une épiphanie que son âme peine à concevoir.

Et comment ne pas comprendre ! Comment ne pas lui pardonner !

Qui trouve les mots justes, les mots qui disent la Vérité d’un jeu tombé du ciel telle une Apocalypse ? Qui parmi nous jettera la première pierre, à Jeanpierre?

Si son passé n’excuse pas tout, du moins la pitié qu’il nous inspire devra guider notre jugement.

Les mots qu’il ne trouve pas, son phrasé banalement répétitif et «blanc», comme l’on parle en littérature d’une «écriture blanche», est l’écrin banal qui n’en fait que mieux ressortir la beauté d’un sport que l’on ne saurait décrire sans l’affadir.

Vous l’avouerai-je ? Frappée jusqu’à l’âme par cet exercice de pauvreté stylistique, j’ai parfois été jusqu’à couper le son pour aller jusqu’au bout de cette géniale intuition, et mieux savourer encore la parfaite rencontre entre le vide intérieur d’un homme et la grâce du sport qu’il commente sans savoir en parler.

Au-delà de cette adaptation du style et du fond, je dois également admettre avoir admiré, profondément admiré, cette capacité de l’accusé à ne jamais douter. A voir, dans les moments les plus sombres, briller encore la possibilité d’une victoire, dans un délire si violemment positif qu’il suscite un mélange de bonheur et d’effroi.

Comment, voilà nos joueurs maltraités, perdus, malmenés par l’une des équipes les plus fortes du monde et l’accusé s’écrit, au beau milieu de nulle part, et alors que rien de précis ne se dégage d’un vague mouvement sur le terrain «HA HA ! Là les choses vont changer !».

Eh quoi ! La suite lui donnera tort, mais Monsieur le Président, Mesdames Messieurs de la Cour, qui sommes nous pour prétendre que ce n’est pas la Réalité qui se trompe ? L’espoir – l’espoir fou, l’espoir absurde, l’espoir vain, enfin – ne mérite-t-il pas néanmoins d’avoir trouvé son héraut ? Celui qui le soutiendra, envers et contre tous, et à commencer par ceux qui se contentent d’observer les faits, avec cette triste certitude qu’ils ne sauraient mentir…

Mais les faits mentent parfois, les faits nous leurrent! Ne vous laissez pas aveugler par eux, et regardez le dossier avec les yeux de la foi : que verrez-vous ?

Une équipe de France qui, sans sembler jamais être au meilleure de sa forme, jouera dans deux jours la finale de la Coupe du Monde.

Une équipe de France qui a magistralement éteint la vigilance de la Nouvelle-Zélande, notamment par le truchement de cette astuce géniale qui consista à perdre contre eux – ce qui aujourd’hui nous laisse dans la position confortable de ceux qui n’ont plus qu’à gagner – et c’est en partie grâce à des personnes comme l’accusé que nous en sommes là.

Nous avons perdu contre les Tongiens, non pas que nous avons mal joué, expliqua l’accusé, mais là encore, simplement pour préparer ce beau match qui nous vit triompher de l’équipe anglaise – avec une grâce que nous devons à des personnes comme lui, de ceux qui ne s’en laissent pas compter par la logique mortifère et calculatrice des scientifiques et des experts.

Nous avons gagné si petitement contre le Pays de Galles que l’effet en est presque identique – et ce, n’en doutons pas, afin de préparer encore le triomphe qui ne pourra manquer de suivre !

Astuce ! Génie ! Portés par les intuitions d’un entraineur de haute tenue et la Geste de son héraut le plus habile, nos joueurs du XV de France, habités par la grâce de ceux qui sont su perdre et vaincre néanmoins, n’ont plus qu’à parachever leur histoire, et nous, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs de la Cour, n’avons plus qu’à nous incliner devant la force de cette évidence : l’accusé n’est coupable en rien, sinon d’avoir mesuré l’impossibilité de sa tâche et de continuer à croire – et ce n’est pas un crime.

Vous ne pourrez donc que l’acquitter, et le laisser aller, petit homme gris, porter son rêve de victoire dans la litanie de ses mots creux, inoffensif et génial, et lancer avec lui, à tout moment, et ce dès la deuxième seconde de jeu : « HA HA ! Sera-ce le tournant du match ? »

Et vous tous et moi-même, l’écouterons, bienveillants et sereins, bercés d’espoirs infinis, jusqu’à l’ultime seconde de l’ultime rencontre, qui nous verra, sans nul doute, et grâce à lui, triompher sur le terrain imaginaire de nos espoirs les plus fous.

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Dans cet ultime moment de tension qui précède le départ de la Cour et du Jury pour le délibéré, le président donne la parole à l’accusé : “Accusé Jeanpierre, souhaitez-vous ajouter quelque chose pour votre défense ? - Fffff…. La charge de l’avocat général ! Heureusement que j’ai pu compter sur une défense hermétique de mon avocate…”

La dernière parole revenant en la matière au peuple, c’est avec une très grande confiance que nous laissons les commentateurs décider du sort de l’accusé.

Notes

[1] Malheureusement, j’ai entendu un journaliste sportif, Pierre Fulla, pour ne pas le nommer, dire à David Douillet que non, la technique qu’il disait être une technique de jambe était en fait une technique de hanche…

dimanche 11 septembre 2011

11 septembre 2001

11 septembre 2001. Depuis quelques jours, je suis un jeune juge d’instruction. J’étais juge de l’application des peines, juste avant. A peine deux ans de fonction. Je sors de l’Ecole Nationale de la Magistrature, et je prends mon premier poste loin de chez moi, dans le Nord. J’ai beaucoup de chance, après deux ans, délai minimum imposé par le Conseil Supérieur de la Magistrature (de manière prétorienne), je m’en reviens chez moi.

Je stresse. Une fonction complexe (Outreau viendra le démontrer au grand jour), une fonction technique, juridique. J’ai bien bûché pendant tout l’été. Et pourtant. Changement de fonction en juin, je ne comprends même pas les questions qui sont posées lors de mon stage de changement de fonction. J’ai encore beaucoup de boulot.

Je connais très peu la technique juridique. Je connais encore moins bien les gens avec qui je vais travailler, collègues, mais surtout greffiers en premier lieu : je suis effectivement le seul juge d’instruction, mais j’ai la chance d’avoir deux greffiers pour m’aider, avec les 160 dossiers que compte mon cabinet. Et je ne vous parle même pas des avocats du barreau, que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam.

Depuis quelques jours que je suis là et que j’angoisse des erreurs que je peux commettre, je demande de l’aide. Quel dossier est prioritaire ? Les détenus, d’accord. Mais après ? Dans quel ordre doit-on les prendre ?

Une semaine que je suis là. Quelques jours. Une éternité. Mes deux greffiers n’ont pas encore eu le temps d’évaluer le magistrat instructeur que je vais être. Les avocats pénalistes savent particulièrement bien qu’il ne faut pas se mettre à dos les greffiers des services judiciaires. Pire que les juges. Les décisions de ceux-là, ils les redoutent. Mais l’absence de coopération des premiers, ils les abhorrent. Les juges passent. Les greffiers restent. Malgré cela, les greffiers sont souvent en retrait avec “leur” juge, ils attendent de l’évaluer. Dans l’attente, le juge est vraiment seul.

Comme tout jeune magistrat, ou presque, je compense mon manque d’assurance par un brin d’autoritarisme. Ou de suffisance, je ne sais pas. Je sors de mon cabinet, pour la ixième fois de la journée, pour parler à mes greffiers d’un des dossiers urgents sur le moment, mais dont je suis bien incapable de me souvenir aujourd’hui. J’ai la chance d’avoir un greffier et une catégorie C faisant fonction, aussi compétent l’un que l’autre. Je dois bien reconnaître un léger avantage à la greffière, avec qui le courant passe mieux. Il passe toujours autant aujourd’hui, bien que j’ai pu professionnellement apprécier celui-là, décédé entre temps, paix à son âme.

Babeth ne me dit rien. Elle semble tétanisée. Voyant bien qu’elle n’est pas d’un naturel exubérant, cela ne me choque en rien.

Roland, par contre, est bien plus expressif. Il m’appelle : “Monsieur le juge, venez voir, c’est hallucinant…”. Moi, du haut de mes vingt huit ans, je le toise : “Quoi donc, Roland ?”. Je me demande ce qui peut bien me sortir de mes dossiers, si nombreux, si complexes, si forcément mal traités par mon prédécesseur, puisque je suis bien évidemment le seul magistrat pouvant correctement traiter des dossiers d’instruction.

Et là, Roland, vieux greffier d’instruction, qui a connu durant la quasi totalité de sa vie professionnelle la machine à écrire, la marguerite et le ruban carbone, me montre son écran d’ordinateur. A moi. Le jeune magistrat plein de vie, plus proche de la naissance que lui ne l’est de la retraite. Moi qui ai appris l’informatique pendant mon service militaire. Moi qui connais bien mieux les ordinateurs que mon vieux greffier. Oh, bien sûr, je l’apprécie, mon greffier, malgré ses carences (qui n’en n’a pas ?), pour ses connaissances du droit, des services judiciaires, du fonctionnement de l’instruction.

Mais j’ai beau l’apprécier, lorsqu’il me montre les images sur son écran d’ordi, sur internet, en cours de développement à cette époque, les images de ce symbole de l’Amérique, en flamme, figurez-vous qu’il me fait rire, mon greffier. Mon pauvre Roland, moi qui connais internet, bien que fort peu développé à cette époque, je le sais déjà que les images transformées, piratées, détournées, ça existe.

Roland, j’ai beau vous apprécier, avec votre mauvais caractère, si proche du mien, vous me faîtes pitié, à croire tout ce que vous voyez sur votre écran. Et encore heureux, les réseaux sociaux ne sont pas encore développés en septembre 2001.

Je ne connais pas encore internet comme je le connais aujourd’hui, je ne crois pas aux photos que je vois sur l’écran de mon greffier. C’est trop gros. C’est trop énorme. C’est trop horrible. C’est tellement incroyable. C’est tellement bouleversant. C’est encore une de ces conneries que l’on voit sur le net, encore qu’en septembre 2001, l’on n’a pas la conscience des dérives du net.

On m’appelle sur ma ligne directe. Le téléphone portable existe, bien sûr, mais les réseaux ne sont pas aussi développés qu’aujourd’hui. La nouvelle se répand, tant bien que mal. Les Etats-Unis ont subi la pire attaque terroriste de leur histoire. Pearl-Harbour était une attaque militaire. Le 11 septembre 2001 sera cataloguée par les historiens comme la pire attaque contre des civils qui aura lieu.

J’ai mis quelques temps à me rendre compte. J’ai mis quelques mois à comprendre l’ampleur des morts, des conséquences, de la riposte. Et même encore aujourd’hui, je ne suis pas sûr de comprendre ce que tout cela implique. Je ne vois que l’horreur, que les cendres, que les morts, que le traumatisme occidental. Je crois que je n’arrive pas encore à analyser ce que les populations afghanes ont pu comprendre de ce qui leur est tombé dessus ensuite. La chanson de Renaud et Axel Red a peut-être montré ce qu’il en était des deux côtés.

J’étais un jeune juge. J’étais un magistrat plein de ses angoisses, de ses doutes, de sa suffisance. J’étais un homme confronté à ses peurs professionnelles, et projeté sans le vouloir dans une guerre de civilisation.

Et que je l’ai voulu ou non, en ce 11 septembre 2001, I was american. Et l’athée que je suis ne peut devant l’horreur extrémiste que clamer : God bless America.

Et vous : vous faisiez quoi, ce 11 septembre 2001 ?

lundi 5 septembre 2011

Auditeur gardé à vue

Pour fêter la rentrée, je cède un instant la plume à un élève d’une école. Pas n’importe quel élève, pas n’importe quelle école. Citou, pseudonyme du signataire de ce billet, est un élève magistrat, le terme officiel étant auditeur de justice. Citou m’a fait l’honneur d’être mon stagiaire au cours de sa formation qui prévoit l’exercice de la profession d’avocat pendant 6 mois. Il en a passé une partie à mes côtés, sachant que j’étais également Maitre Eolas (les raisons pour lesquelles il le savait ne vous regardent pas).

Au cours de son stage, j’ai eu une exigence dont j’assume seul la responsabilité. J’ai convenu avec Citou que quand il m’accompagnerait en garde à vue, il n’indiquerait pas aux policiers sa qualité d’auditeur de justice, afin qu’il soit considéré comme un élève avocat. Je l’ai voulu afin que Citou voie comment les policiers se comportent vraiment en présence d’avocats. Je ne voulais pas que s qualité de futur magistrat, possiblement au parquet donc amené à les diriger, fausse leur comportement. Je ne voulais m’offrir des gardes à vue idéales grâce à Citou, mais qu’il voie des vraies gardes à vue, pour qu’il s’en souvienne le jour où il aura à connaître des dossiers en tant que magistrat, notamment des cas où quelque chose se passe mal. Comme vous le verrez, je n’ai pas été déçu.

Son stage terminé, je lui ai demandé un devoir de vacances : écrire un billet pour ce blog racontant ses impressions sur le cas des gardes à vue, puisque son stage a coïncidé avec l’entrée en vigueur de l’intervention de l’avocat. Je le publie tel quel, avec ses petites imperfections (écrire un billet de blog est un exercice de style particulier) et ses compliments immérités à mon égard qui froissent ma légendaire modestie, qui font partie de sa sincérité et de sa spontanéité. Je suis ravi et remercie Citou d’avoir été un témoin crédible de ce que je raconte et qui est parfois mis sur le compte d’affabulations ou d’exagérations.

Je dois à l’honnêteté, qui est une dame que je fréquente plus que je n’ose l’avouer pour tenir ma réputation, que dans la plupart des cas, les gardes à vue se sont passées correctement, sans tension, avec une application rigoureuse de la loi, et même courtoisement. Ce qui n’a pas empêché Citou d’être marqué par la violence qui leur est consubstantielle, car il y a coercition et le gardé à vue est entre les mains de l’officier de police judiciaire. Un peu moins maintenant, même s’il reste du travail.

Je n’ai pas bourré le crâne de Citou, qui a de toutes façons la tête dure comme tout magistrat, je me suis contenté de lui montrer la vérité. Il n’a pas fini anti-flic, pas plus que je ne le suis, il a réalisé les conditions déplorables de travail des policiers qui ont des répercussions sur la dureté de la garde à vue, et je pense que globalement son respect à leur égard s’en est sorti accru. Ce qui n’a pas empêché sa saine colère quand il a assisté à des anecdotes qu’il raconte, dont je confirme la parfaite authenticité, et qui relèveraient a minima d’une procédure disciplinaire. Elles sont minoritaires. J’aurais préféré pouvoir écrire le mot rare à la place, mais hélas…

En tout cas, je me réjouis que quelqu’un comme Citou soit bientôt magistrat. Je ne doute pas qu’il fera honneur à ses fonctions et sera un excellent magistrat. Et ma vanité me fera croire que j’y suis un peu pour quelque chose.

Une fois n’est pas coutume, l’avocat se tait, et cède la parole en dernier au (futur) magistrat.

Eolas


Gardé à vue, je le serai tout au long de ma carrière désormais. Par l’œil invisible de Maître Eolas, par sa voix, future Conscience de mes décisions : « N’oubliez jamais ce que vous avez vu ce soir», « Rappelez-vous toujours de cela quand vous serez juge ou substitut ».

En tout cas, je l’espère.

Je l’espère car cette garde-à-vue, contrairement à celles auxquelles j’ai pu assister à ses côtés, sera saine, protectrice et réconfortante.

Je suis Auditeur de justice, c’est-à-dire élève de l’École Nationale de la Magistrature et, à ce titre, membre du corps judiciaire. Ma formation se déroule en 31 mois, dont les 6 premiers s’effectuent en stage en cabinet d’avocats.

C’est à cette occasion que j’ai pu effectuer des journées de permanence auprès de mon Maître. Des « gardes-à-vue ». Expression que l’on rabâche en cours de procédure pénale tout au long de nos études. « Durée de 24h, renouvelable une fois », c’est ainsi que la règle apparait dans nos gribouillis d’étudiants, sans mesurer la réalité qu’elle recouvre.

Or, cette réalité, je l’ai approchée très rapidement. Et dans une période mouvementée puisque concomitante à l’entrée en vigueur du nouveau régime de la garde-à-vue.

Sur son invitation, je me permets de vous retranscrire mon expérience.

Premier jour de permanence : appel à 19h. Nous sommes attendus au Commissariat du 17ème arrondissement de Paris pour assister un dénommé Monsieur A. Rendu sur place rapidement, je pénètre pour la première fois l’enceinte d’un commissariat accompagné d’un avocat. Comment va-t-il être accueilli ? Comment lui se positionne-t-il par rapport à eux ?

Je suis imprégné de clichés en tous genres, et la réalité me rattrape : nous arrivons au moment des changements d’équipes et une impression de désordre général se dégage. À cela, s’ajoute le constat de conditions matérielles de travail déplorables.

Le PV de notification des droits nous est présenté. Toutes les informations doivent être étudiées minutieusement. Identité du mis en cause, heure de placement, faits reprochés, droits notifiés, avocat demandé (curieusement, il apparaitra parfois que la personne réclame un avocat pour l’entretien confidentiel mais ne souhaite pas en bénéficier pour les auditions. Après explications par l’avocat sur l’assistance à laquelle elle a droit, celle-ci changera toujours d’avis)… Puis, nous suivons le policier pour rencontrer « notre » client, à qui il est reproché des faits d’enlèvement, séquestration et violences volontaires.

C’est alors qu’en passant devant une cellule, je suis témoin d’une scène qui restera comme l’une des plus marquantes de mon stage. Un policier est en train de pratiquer une clé d’étranglement sur un homme, torse nu, rouge et respirant avec difficulté (par la force des choses).

Maître Eolas me fait remarquer que cela apparaîtra dans un PV sous la formule suivante : « Faisons application des gestes et techniques de sécurité en usant de la force strictement nécessaire pour maitriser l’individu ». Certes.

Voir cela est très choquant. J’ignore ce qui a justifié l’utilisation de cette mesure de contrainte, mais je sais simplement qu’elle ne devrait pouvoir être pratiquée. Je saurai m’en rappeler lorsque cette petite phrase anodine figurera dans mes dossiers.

L’entretien avec le client aura lieu dans une cellule vide, faute de local avocat en état (le commissariat est en travaux). Vive la confidentialité. Les policiers font avec les moyens du bord.

Les explications du gardé à vue sur les faits sont embrouillées, la conclusion étant qu’il n’a rien fait et qu’il ne comprend pas sa présence en garde-à-vue. Une nouvelle idée reçue s’effondre : moi qui pensais que l’avocat était le premier confident de ses clients, à qui ils révélaient la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Loin de là, et cela me sera confirmé par la suite.

Or, en l’absence d’accès au dossier, comment confronter le client aux éléments de l’enquête pour préparer au mieux sa défense et la rendre effective ?

Toute la difficulté de l’exercice s’impose à moi. Les incohérences législatives également.

Tant mieux, c’est le but. Je vois les choses d’un œil différent.

Et puis il y a l’empathie ressentie pour la personne, la peur ou la colère qui se dégage d’elle, son visage lorsqu’on lui annonce que la mesure pourrait être renouvelée à nouveau durant 24h, le bruit, la chaleur, l’odeur…

Voilà ce qu’il y a derrière l’expression « 24h de garde-à-vue, renouvelable une fois ». Je la ressens cette durée. Là encore, ne pas oublier.

Pour des raisons de compétence, Monsieur A sera finalement transféré dans un commissariat de la région parisienne. Nous ne l’assisterons donc pas pour ses auditions, un autre avocat prendra le relai.

Des observations sont rédigées par Maître Eolas sur les conditions de la garde-à-vue, et notamment sur le refus d’accès au dossier.

Autre conseil, autre note intérieure : me faire communiquer les éventuelles observations de l’avocat quand je serai substitut de permanence.

Voici venue la fin de cette première garde-à-vue. Je rentre chez moi, je dors. Pendant ce temps Monsieur A est toujours dans sa petite cellule puante.

J’ai assisté à de nombreuses autres gardes-à-vue par la suite, et ai donc été présent aux auditions.

La plupart se sont déroulées de manière très convenable, les policiers n’étant visiblement pas hostiles à la présence de l’avocat et respectant en tout point son rôle, en tout cas tel que défini restrictivement par la loi.

D’autres au contraire m’ont profondément marqué. Il y a notamment cette audition au cours de laquelle on reproche à Monsieur B des faits de filouterie de taxi et d’outrage.

L’infraction de filouterie ne peut être constituée que si la personne se « sait être dans l’impossibilité absolue de payer » ou « est déterminée à ne pas payer » (Article 313-5 du code pénal). Sans cet élément intentionnel, l’infraction ne peut être caractérisée et la garde-à-vue est infondée (les faits supposés d’outrage ayant été commis au cours de la garde à vue, ils ne la justifieraient pas - NdEolas).

Or, au cours de l’entretien confidentiel, Monsieur B nous avait apporté des précisions laissant figurer qu’il n’avait aucunement été animé d’une telle intention. Cela ressortait notamment d’un appel téléphonique qu’il aurait passé à un proche durant le trajet.

A la fin de l’audition, très tendue de par les interventions incessantes et provocatrices d’un officier de police présent dans le bureau, Maître Eolas informe le policier de cet élément, et demande à ce que le téléphone de Monsieur B soit extrait de sa fouille pour vérifier qu’un appel avait bien été passé.

Malgré l’hostilité du commandant présent, le téléphone est apporté. iPhone flambant neuf dont la caractéristique est une faible durée d’autonomie. « Vous voyez, plus de batterie » fait remarquer le commandant avec fierté. Maître Eolas suggère qu’un chargeur de batterie soit prêté, étant donné que sur les trois policiers présents dans le bureau, deux étaient en possession d’un téléphone de marque similaire. Ils répondent tous ne pas en avoir sur place. Étrange. C’est alors que j’ai vu le commandant, qui était dans mon angle de vision sans qu’il ne le sache, dissimuler ce qui m’a semblé être un chargeur d’iPhone. En douce. (NdEolas : je confirme, je l’avais vu sur le bureau en entrant).

J’en suis ressorti révolté. Pourquoi nuire ainsi à la manifestation de la vérité ? Pourquoi vouloir éviter la levée d’une garde-à-vue infondée ? Un sentiment d’injustice s’est emparé de moi, mais il devait être faible à côté de ce qu’a vraisemblablement ressenti Monsieur B. Et l’on ne peut prédire les conséquences d’une telle sensation sur ce dernier.

Bien sûr, un tel comportement de la part d’un policier (haut gradé qui plus est) semble, du haut de ma petite expérience en commissariat, exceptionnel. Mais il a quand même eu lieu.

Note : S’en souvenir lorsqu’un avocat le plaidera devant moi.

Outre cette expérience très gênante, d’autres détails m’ont interpelé au cours de certaines des auditions auxquelles j’ai pu assister. Cette sensation de « rien à voir » entre la façon dont se déroule l’audition et la manière dont elle transparait à la lecture du PV. Également, cette facilité avec laquelle certains policiers soufflent les réponses au gardé-à-vue sans que cela ne figure dans le PV.

Exemple auquel j’ai assisté :

- « A quelle heure es-tu sorti de chez toi aujourd’hui ? » (le tutoiement est souvent de rigueur)

- « je ne sais pas »

- « Eh oh, on le sait hein, ton téléphone a activé telle borne à 10h05. Alors ? »

-« bah, je suis sorti vers 10h05 alors »…

La retranscription sera celle-ci :

« Question : A quelle heure avez-vous quitté votre domicile aujourd’hui ?

Réponse : Vers 10h05. »

Cela semble anodin mais pourrait revêtir une certaine importance selon l’affaire.

Enfin, et cela a déjà été abordé par mon Maître, j’ai été parfois frappé par la mise à l’écart physique de l’avocat. Positionné bien à l’arrière de son client, même dans des bureaux très exigus, de façon à ce que celui-ci en oublie jusqu’à sa présence.

Je ne fais aucune généralité sur les policiers, et ce stage m’a, la plupart du temps, permis de rencontrer des personnes scrupuleuses – parfois trop - tout en me faisant réaliser leurs difficiles conditions de travail. Notre formation prévoit d’ailleurs également un stage aux côtés des services de police et de gendarmerie. Mais il m’a également révélé un certain nombre de situations très regrettables et dont dans tous les cas, je me souviendrai.

Les magistrats ne sont pas en reste à cet égard. Comme ce Président d’audience qui peste contre Maître Eolas ayant déposé des conclusions en nullité de garde-à-vue, et l’incite à les retirer pour gagner du temps.

Ou comme moi-même, face à la lecture d’un dossier dont le mis en cause est renvoyé pour outrage, violences et rébellion. Je n’ai jamais vu le client et j’en ai malheureusement une image toute faite, celle de la « petite frappe de banlieue ». La claque quand celui-ci arrive au cabinet, poli, intimidé, confiant son angoisse, absorbant les conseils…J’ai honte.

Note : Se départir de ses propres clichés + derrière chaque dossier il y a une personne, une vraie.

Ce stage s’est ainsi révélé capital sur bien des plans. Je n’en ai ici abordé qu’une infime partie, axée sur la garde-à-vue, et n’ai pas décrit la difficulté, au quotidien, du métier d’avocat. Cette indescriptible attente, en permanence, partout. Ces heures de préparation anéanties en quelques secondes à l’audience par le client ou pour un renvoi. Les appels à 5h du matin. Ce client sous crack très agressif. Les conseils non suivis, notamment le très prudent « Taisez-vous ou dites la vérité, mais ne mentez jamais ». Le paiement des permanences, des honoraires. La déception du délibéré. La gestion des absurdités législatives… Cela devrait faire l’objet d’un article distinct.

J’ai avant tout souhaité décrire mon ressenti en tant que futur magistrat. Le bilan du stage est, me semble-t-il, très positif. Il l’a été pour nombre d’auditeurs de justice de ma promotion. Le fonctionnement de la justice vu d’un autre œil. L’œil qui, je l’espère, nous gardera tous à vue. A perpétuité.

Citou

vendredi 8 juillet 2011

Question de priorité

par Dadouche [1]


Ca sentait pas bon.

Que le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité concernant les assesseurs du Tribunal pour enfants, soulève d’office la question de l’impartialité du juge des enfants présidant le tribunal pour enfants avait mis la puce à l’oreille des spécialistes. Surtout s’agissant d’une question que la Cour de Cassation avait refusé de transmettre au Conseil Constitutionnel.
Les spécialistes ne sont pas déçus du voyage.

En effet, si le Conseil constitutionnel,dans sa décision de ce matin valide la présence d’une majorité de magistrats non professionnels au sein du Tribunal pour Enfants, il considère que la présidence du Tribunal pour Enfants par le juge des enfants qui a instruit le dossier et décidé du renvoi du mineur devant la juridiction porte atteinte au principe d’impartialité des juridictions.

C’est un véritable pavé dans le marigot du droit pénal des mineurs, qui va faire grincer beaucoup de dents et, sans doute mettre un joyeux bazar. Mais parfois les pavés peuvent avoir aussi du bon.

Reprenons les choses dans l’ordre

Le 4 mai 2011, la Cour de Cassation a transmis au Conseil Constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative la constitutionnalité “des articles L. 251-3 et L. 251-4 du code de l’organisation judiciaire relatifs à la composition du tribunal pour enfants en ce qu’ils portent atteinte au droit à un procès équitable et à une juridiction impartiale dès lors qu’ils autorisent des juges non professionnels en proportion majoritaire dans une formation collégiale, à prendre part à une délibération susceptible de conduire à une peine privative de liberté”

En effet, le Tribunal pour Enfants, seule juridiction pour mineurs qui peut prononcer des sanctions pénales, est composé d’un juge des enfants et de deux assesseurs non professionnels.

Ces assesseurs ne sont pas des jurés tirés au sort comme en Cour d’Assises et bientôt (enfin, jamais si l’on en croit Robert Badinter) en correctionnelle.
Ils sont nommés pour 4 ans auprès d’un tribunal pour enfants par arrêté du Ministre de la justice, après avoir été choisis sur une liste présentée par le Premier Président de la Cour d’appel concernée et composée de personnes “qui se sont signalées par l’intérêt qu’elles portent aux questions de l’enfance et par leurs compétences”. Ils prêtent serment avant d’entrer en fonction.

Une précédente décision du Conseil Constitutionnel, relative aux juges de proximité, avait ouvert la voie à cette question prioritaire de constitutionnalité. En effet, dans sa décision du 20 janvier 2005 relative à la loi créant notamment les juges de proximité et prévoyant leur présence en correctionnelle, le Conseil avait raisonné ainsi :
- l’article 66 de la constitution dispose que c’est l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, qui assure le respect du principe selon lequel nul ne peut être arbitrairement détenu
- cette disposition interdit que des mesures privatives de liberté puissent être prononcées par une juridiction qui ne serait composé que de juges non professionnels (et donc non membres de l’autorité judiciaire)
- cette disposition n’interdit en revanche pas que des juges non professionnels siègent dans une juridiction pénale de droit commun
- cependant pour garantir suffisamment à la fois l’indépendance de cette juridiction et sa compétence, la proportion de juges non professionnels dans les formations correctionnelles de droit commun doit rester minoritaire

En gros, un juge non professionnel ça va, deux ou trois, bonjour les dégâts.

Le suspense était donc à son comble : les assesseurs du TPE sont majoritaires dans la composition, mais le TPE n’est pas une juridiction de droit commun puisqu’elle a été créée spécifiquement pour juger les mineurs. De quel côté allait pencher le Conseil ?

Roulement de tambour…

Spécificité du droit des mineurs : 1 / Principes généraux de la procédure : 0.

Voici les considérants concernés :

4. Considérant qu’aux termes de l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ; que, si ces dispositions s’opposent à ce que le pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté soit confié à une juridiction qui ne serait composée que de juges non professionnels, elles n’interdisent pas, par elles-mêmes, que ce pouvoir soit exercé par une juridiction pénale de droit commun au sein de laquelle siègent de tels juges ;

5. Considérant, toutefois, qu’en ce cas, doivent être apportées des garanties appropriées permettant de satisfaire au principe d’indépendance, indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles, ainsi qu’aux exigences de capacité, qui découlent de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; que, s’agissant des formations correctionnelles de droit commun, la proportion des juges non professionnels doit rester minoritaire ;

6. Considérant d’une part, qu’en vertu de l’article L. 251-1 du code de l’organisation judiciaire, le tribunal pour enfants est une juridiction pénale spécialisée qui « connaît, dans les conditions définies par l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, des contraventions et des délits commis par les mineurs et des crimes commis par les mineurs de seize ans » ; que, dès lors, en prévoyant que siègent dans cette juridiction, en nombre majoritaire, des assesseurs non professionnels, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles précitées ;

7. Considérant, d’autre part, que l’article L. 251-4 prévoit que les assesseurs sont nommés pour quatre ans et « choisis parmi les personnes âgées de plus de trente ans, de nationalité française et qui se sont signalées par l’intérêt qu’elles portent aux questions de l’enfance et par leurs compétences[2] » ; que l’article L. 251-5 précise qu’ils prêtent serment avant d’entrer en fonction ; que l’article L. 251-6 dispose que la cour d’appel peut déclarer démissionnaires les assesseurs qui « sans motif légitime, se sont abstenus de déférer à plusieurs convocations successives » et prononcer leur déchéance « en cas de faute grave entachant l’honneur ou la probité » ; que, dans ces conditions, s’agissant de ces fonctions d’assesseurs, les dispositions contestées ne méconnaissent ni le principe d’indépendance indissociable de l’exercice de fonctions judiciaires ni les exigences de capacité qui découlent de l’article 6 de la Déclaration de 1789 ; que, par suite, l’article L. 251-4 du code de l’organisation judiciaire, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, est conforme à la Constitution ;


Le Conseil Constitutionnel valide en effet la composition majoritairement non professionnelle du TPE en poursuivant ainsi le raisonnement de 2005 ;
- pour être conformes aux exigences constitutionnelles, dans les juridictions pénales de droit commun la proportion de juges non professionnels doit rester minoritaires
- le tribunal pour enfants est une juridiction spécialisée, qui connaît des infractions commises par les mineurs
- ce n’est donc pas une juridiction pénale de droit commun
- la présence d’une majorité d’assesseurs n’est donc pas en soi contraire aux exigences constitutionnelles
- et ce d’autant plus que la façon dont ils sont choisis (pour leur compétence en la matière), nommés (par arrêté, avec prestation de serment) et éventuellement révoqués (en cas de faute entâchant l’honneur ou la probité) garantit suffisamment leur indépendance et leur compétence

En gros, dans une juridiction pénale spécialisée qui fait appel à des compétences particulières (ici sur les questions relatives à l’enfance), on peut faire appel à des non professionnels, même majoritaires, pourvu qu’ils ne puissent pas être nommés par copinage et qu’on puisse s’en débarrasser s’ils sont malhonnêtes.

Ca aurait pu s’arrêter là et les esprits les plus tordus auraient pu immédiatement commencer à rêver à la future décision du Conseil Constitutionnel saisi aujourd’hui de la loi instituant la présence de jurés en correctionnelle.

Las.

Par une lettre du 9 juin, le Conseil Constitutionnel avait soumis aux parties un grief susceptible d’être soulevé d’office.[3]

Il s’agissait en réalité d’une QPC dont la Cour de Cassation avait refusé la transmission au Conseil Constitutionnel par le même arrêt qui avait transmis la QPC sur les assesseurs[4].
Voici la motivation de la Cour de Cassation sur cette non transmission:

Attendu que le demandeur argue de l’inconstitutionnalité de l’article 8 de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante, en ce que le juge des enfants peut tout à la fois diligenter des poursuites en saisissant le tribunal pour enfants et présider cette juridiction, ce qui porte atteinte aux droits à un procès équitable et à une juridiction impartiale garantis par la Constitution ;
Attendu que la seule disposition législative invoquée n’emporte pas les conséquences juridiques critiquées par le demandeur[5] ;
D’où il suit qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel


C’est en réalité une question que beaucoup se posent depuis longtemps, et dont la résolution n’est pas simple.

Le juge des enfants est un juge spécialisé. Il a été “inventé” dans l’ordonnance de 45 pour avoir une plénitude de juridiction sur la situation d’un mineur, qu’il peut suivre aussi bien dans le cadre de l’assistance éducative qu’au pénal.
Au pénal, le juge des enfants, saisi par le Procureur de la République, est d’abord juge d’instruction. Il met en examen le mineur et peut procéder à toutes les investigations nécessaires non seulement sur la personnalité du mineur mais également sur les faits qui lui sont reprochés. C’est lui qui décide ensuite le renvoi du mineur devant une juridiction de jugement (juge des enfants ou Tribunal pour Enfants) ou un éventuel non lieu.
C’est ensuite lui qui juge le même mineur, dans le même dossier, soit en tant que juridiction “juge des enfants” en cabinet, où il ne peut prononcer que des mesures éducatives[6], soit en tant que président du Tribunal pour Enfants, qui peut prononcer des sanctions pénales.
C’est ensuite toujours le même juge des enfants qui exerce, à l’égard du même mineur, les fonctions de juge de l’application de peines.

Or, pour les majeurs, les dispositions du code de procédure pénale interdisent rigoureusement qu’un magistrat ayant poursuivi ou instruit un dossier puisse ensuite le juger[7].
Le juge d’instruction, qui mène l’enquête puis évalue s’il existe des charges suffisantes pour renvoyer devant une juridiction de jugement, ne peut en aucun cas siéger ensuite dans la juridiction qui décide si la culpabilité est établie.
Les dispositions de la CEDH sur le procès équitable et notamment l’accès à un juge impartial interdisent évidemment qu’il en soit autrement.
La décision du Conseil Constitutionnel du 2 février 1995 ne dit pas autre chose :

5. Considérant qu’en vertu de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ; qu’en vertu de l’article 66 de la Constitution, l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle ; que le principe du respect des droits de la défense constitue un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République réaffirmés par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958 ; qu’il implique, notamment en matière pénale, l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties ; qu’en matière de délits et de crimes, la séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement concourt à la sauvegarde de la liberté individuelle ;


Mais alors, personne n’avait lu l’ordonnance de 45 ou quoi ?

Que nenni chers lecteurs. C’est même un vieux serpent de mer.

Ainsi, par un arrêt du 7 avril 1993, la chambre criminelle de la Cour de Cassation avait validé la présidence du TPE par le juge des enfants qui a instruit le dossier, au motif que cette dérogation aux règles prévalant pour les majeurs était justifiée par “un souci éducatif” lié à la spécialisation du juge des enfants et qu’un éventuel soupçon d’impartialité était contrebalancé par la collégialité de la juridiction et la possibilité d’appel. Ce raisonnement a été repris dans un arrêt du 8 novembre 2000.

La position ultra majoritaire des juges des enfants était la suivante :
“le principe de spécialisation de la justice des mineurs est destiné à garantir que les décisions seront prises par un juge qui connaît bien le mineur, avec une certaine cohérence. C’est plus important que de garantir une séparation de l’instruction et du jugement, d’autant que les affaires de mineurs c’est jamais compliqué et qu’il n’y a presque jamais d’investigations supplémentaires sur les faits”.

En gros, comme une conversation avec un gamin :
- “Mais puisqu’on te dit que c’est mieux pour toi !”
- “Pourquoi c’est mieux ?”
- “Parce que c’est pour ton bien !”

Cette position était en apparence confortée par une décision de la CEDH rendue le 24 août 1993 dans une espèce qui concernait la justice néerlandaise (Nortier c/ Pays Bas).
Dans cette affaire, le juge des enfants de l’autre pays du fromage avait statué sur le placement en détention provisoire du mineur à quatre reprises, avait ordonné un examen psychiatrique et s’était prononcé sur l’existence d’ “indices sérieux” contre le mineur, qu’il avait ensuite jugé et condamné.
La Cour avait considéré que l’on ne pouvait considérer comme objectivement justifiée la crainte que le juge manquât d’impartialité compte tenu de ce que les questions tranchées avant le jugement ne coïncidaient pas avec celles qu’il avait du traiter en se penchant sur le fond, même à juge unique.
Dans un bel ensemble (pas unanime mais presque), les juges français lancèrent un grand “ouf” et s’accrochèrent à l’idée que “aux Pays Bas c’est comme chez nous”.

En oubliant par exemple que la Cour avait relevé dans sa décision que le juge des enfants néerlandais n’avait, en l’espèce, pas usé de ses pouvoirs de juge d’instruction, d’autant plus que le mineur reconnaissait les faits.

L’alerte aurait pu venir de la décision rendue le 2 mars 2010 dans une affaire concernant la Pologne.

Pour ne pas me lancer dans un paraphrase stérile, je reproduis ci-après certains attendus de cet arrêt du 2 mars 2010 (Affaire Adamkiewicz c. Pologne, Requête n° 54729/00) :

102. La Cour observe que l’ordonnance rendue à l’issue de l’instruction préliminaire et par laquelle le juge aux affaires familiales a déféré le requérant au tribunal pour enfants se fondait sur le constat de ce magistrat selon lequel « les éléments rassemblés au cours de l’instruction indiquaient que le requérant était auteur des faits ». Vu la teneur de cette ordonnance, force est de constater que la question sur laquelle ce magistrat avait statué avant l’ouverture de la phase juridictionnelle de la procédure coïncidait dans une large mesure avec celle sur laquelle il a dû ensuite se prononcer en tant que membre de la formation de jugement du tribunal pour enfants. Ainsi, il peut difficilement être affirmé que ledit magistrat n’avait pas d’idée préconçue sur la question sur laquelle il a été appelé à se prononcer ultérieurement en tant que président de la formation de jugement du tribunal pour enfants (voir, en ce sens Werner c. Pologne, no 26760/95, 15 novembre 2001, § 41). Du reste, le Gouvernement l’a également admis dans ses observations. 103. La Cour relève également que dans l’affaire Nortier c. Pays-Bas citée ci-dessus, un problème s’est posé quant à l’impartialité du tribunal, dans la mesure où toute la procédure dirigée contre le requérant mineur s’était déroulée devant le même magistrat. Toutefois, dans cette affaire, il a été jugé que l’article 6 § 1 de la Convention n’avait pas été violé, dès lors notamment que le juge en question n’avait presque pas entrepris d’activité d’instruction, le requérant ayant reconnu sa faute dès le début de l’instance (Nortier, §§ 34-35 et 38). 104. Contrairement à l’affaire Nortier, dans la présente affaire le juge aux affaires familiales a fait durant l’instruction un ample usage des attributions étendues que lui conférerait la loi sur la procédure applicable aux mineurs. Ainsi, après qu’il ait décidé d’office de l’ouverture de la procédure, ce juge avait lui-même conduit la procédure de rassemblement des preuves à l’issue de laquelle il avait décidé du renvoi du requérant en jugement. 105. La Cour note également qu’en l’espèce, pour justifier la pratique consistant à confier au magistrat ayant conduit l’instruction préliminaire l’exercice subséquent de la fonction juridictionnelle au sein du tribunal pour enfants dans la même affaire, le Gouvernement s’est référé à la nature singulière de la procédure concernant les mineurs. 106. La Cour admet que, du fait de la nature spécifique des questions que la justice des mineurs est amenée à traiter, elle doit nécessairement présenter des particularités par rapport au système de la justice pénale applicable aux adultes. Toutefois, il n’incombe pas à la Cour d’examiner in abstracto la législation et la pratique internes pertinentes, mais de rechercher si la manière dont elles ont été appliquées à un requérant dans une affaire donnée ou l’ont touché a enfreint l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (voir, entre autres, Hauschildt c. Danemark, précité, § 21). 107. La Cour se réfère ici à son constat de violation de l’article 6 de la Convention à raison de l’atteinte aux garanties d’équité lors de l’instruction conduite par le juge aux affaires familiales. Compte tenu de ce constat, la Cour ne décèle pas dans quelle mesure le fait que ce même magistrat ait subséquemment présidé la formation de jugement du tribunal ayant déclaré le requérant auteur des faits pouvait en l’espèce contribuer à assurer la meilleure protection de l’intérêt supérieur de l’enfant que le requérant était alors. 108. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant à l’exigence d’un tribunal impartial.

Ce qui donne, (très) grossièrement résumé :
- oui d’accord en 93 on a dit que le juge qui a renvoyé le dossier peut le juger, mais il n’avait pas contribué à rassembler les preuves de la culpabilité
- alors que là quand même il a signé une décision désignant le mineur comme l’auteur des faits avant de le juger pour ces faits
- vous êtes bien gentils les gars de tout justifier par la spécificité nécessaire de la justice des mineurs, mais faudrait quand même nous expliquer pourquoi c’est forcément mieux pour les gamins d’être jugés par quelqu’un qui a déjà une idée sur leur culpabilité
- il est pas impartial votre juge aux affaires familiales, allez zou circulez y’a plus rien à voir

Finalement, on s’aperçoit que la vraie question est la suivante : est-il davantage de l’intérêt du mineur d’être jugé par un juge qui ne connaît pas le dossier et est objectivement impartial ou d’être jugé par un juge qui le connaît bien, peut prendre les décisions les plus adaptées mais a déjà sa petite idée sur la culpabilité ?

Ce n’est pas une question simple.

Le droit pénal des mineurs français est fondé depuis 1945 sur la spécialisation du juge des enfants et sa connaissance de la personnalité du mineur, qu’il suit par ailleurs parfois en assistance éducative.
La primauté de l’éducatif, la nécessité d’une grande souplesse dans la mise en oeuvre des mesures pour coller le plus possible à la situation par nature évolutive du mineur, tout cela explique les choix qui ont été faits en 45 dans un texte assez révolutionnaire.
L’intérêt supérieur du mineur a justifié beaucoup de choses, y compris le non respect de la loi.
L’ordonnance de 1945 autorise en effet explicitement les juges des enfants à ne pas respecter les dispositions de droit commun du code de procédure pénale en permettant l’enquête “par voie officieuse”[8].
On avait donc admis dès le départ l’idée que les garanties procédurales apportées aux mineurs pouvaient être moindres que celles prévues pour les adultes quand c’était “pour leur bien”.

Elle est peut-être d’ailleurs finalement aussi là cette spécificité de la justice des mineurs qu’on évoque si souvent.

La décision rendue aujourd’hui va sans doute heurter bon nombre de juges des enfants, extrêmement attachés à ce principe cardinal de connaissance de la personnalité du mineur[9].

En voici les considérants sur ce point :

8. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » ; que le principe d’impartialité est indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles ;

9. Considérant, d’autre part, que l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ; que ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante ; que, toutefois, la législation républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives ; qu’en particulier, les dispositions originelles de l’ordonnance du 2 février 1945 n’écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n’excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ;

10. Considérant que l’ordonnance du 2 février 1945 susvisée, dont sont issues les dispositions contestées, a institué un juge des enfants, magistrat spécialisé, et un tribunal des enfants présidé par le juge des enfants ; que le juge des enfants est, selon l’article 7 de cette ordonnance, saisi par le procureur de la République près le tribunal dans le ressort duquel le tribunal des enfants a son siège et qui est seul chargé des poursuites ; qu’en vertu de l’article 8 de cette même ordonnance, le juge des enfants se livre à « toutes diligences et investigations utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et à la connaissance de la personnalité du mineur ainsi que des moyens appropriés à sa rééducation » ; que cet article dispose, en outre, qu’il peut « ensuite, par ordonnance, soit déclarer n’y avoir lieu à suivre et procéder comme il est dit à l’article 177 du code de procédure pénale, soit renvoyer le mineur devant le tribunal pour enfants » ; qu’aucune disposition de l’ordonnance du 2 février 1945 ou du code de procédure pénale ne fait obstacle à ce que le juge des enfants participe au jugement des affaires pénales qu’il a instruites ;

11. Considérant que le principe d’impartialité des juridictions ne s’oppose pas à ce que le juge des enfants qui a instruit la procédure puisse, à l’issue de cette instruction, prononcer des mesures d’assistance, de surveillance ou d’éducation ; que, toutefois, en permettant au juge des enfants qui a été chargé d’accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants de présider cette juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines, les dispositions contestées portent au principe d’impartialité des juridictions une atteinte contraire à la Constitution ; que, par suite, l’article L. 251-3 du code de l’organisation judiciaire est contraire à la Constitution ;


Le Conseil Constitutionnel, rappelant les différentes dispositions de l’ordonnance de 1945 qui font du juge des enfants un juge d’instruction, constate qu’aucune disposition de l’ordonnance de 45 n’interdit au juge des enfants de participer au jugement des affaires pénales qu’il a instruites.
Il fait apparemment une différence entre le juge des enfants statuant en tant que juridiction de jugement, qui ne peut prononcer que des mesures éducatives et pourrait, semble-t-il, statuer dans des dossiers qu’il a instruits, et le juge des enfants président du TPE, juridiction qui peut prononcer des sanctions pénales, qui ne peut participer au jugement des affaires qu’il a instruites.
La frontière de l’impartialité se situerait donc non sur la déclaration de culpabilité mais sur la possibilité ou pas de prononcer une mesure privative de liberté.
C’est du moins ce que j’en comprends, mais je ne suis pas constitutionnaliste.

Dans cette deuxième mi-temps, on a donc spécificité de la justice des mineurs : 0 / principes généraux de la procédure : 1

Pour être complet, précisons que le Conseil Constitutionnel a ainsi déclaré que l’article L 251-3 du Code de l’organisation judiciaire, qui fixe la composition du TPE sans préciser l’impossibilité pour le juge des enfants qui a instruit le dossier d’être le juge des enfants qui préside le TPE, est contraire à la Constitution. en principe, Une disposition déclarée contraire à la constitution en application d’une QPC est en principe abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil. En l’occurence, cela reviendrait à supprimer le Tribunal pour enfant (puisque le texte qui en définit la composition n’existerait plus). C’est pour éviter cette conséquence fâcheuse (et, pour le coup, très contraire à l’intérêt de tous les mineurs) que le Conseil a, comme la Constitution le lui permet, fixé au 1er janvier prochain 2013 la date d’abrogation.
Jusqu’à cette date, il serait à mon sens préférable que les juge des enfants appliquent immédiatement le principe défini sans attendre une nouvelle loi, mais je crains que cette position ne fasse pas l’unanimité.

Match nul ?

Est-ce la fin de la justice des mineurs, ou en tout cas un de ses jours les plus sombres, comme certains de mes collègues commencent à se lamenter[10] ?
Un coup-fourré pour démanteler le tribunal pour enfants, alors que le parlement vient d’inventer, sur idée du gouvernement, le tribunal correctionnel pour mineurs ?

Il me semble que cet affolement est prématuré.
D’abord parce qu’il n’est pas exact que les mineurs ne soient jugés devant le TPE que par le juge des enfants qui les connaissent. Dans les juridictions d’une certaine taille, il est instauré un système de permanence qui peut conduire un juge des enfants à mettre en examen et/ou juger en TPE un mineur qu’il ne connaît ni des lèvres ni des dents[11]. Ca n’est jamais très confortable parce que cela demeure rare, mais ça existe.
Ensuite, parce qu’on peut ressentir un réel malaise, dans des dossiers contestés, à présider une juridiction de jugement qu’on a soi même saisie. Quand l’avocat commence à plaider “Comme je l’avais indiqué, sans succès, à Madame le Président lors de la mise en examen”, c’est moyennement plaisant.
Enfin, parce qu’il me semble que l’ordonnance de 45 est un texte obsolète sur un plan purement procédural
Les exigences constitutionnelles et européennes en matière de libertés publiques et de procédure pénale n’ont en effet cessé d’évoluer depuis 1945. Les majeurs bénéficient de garanties toujours plus fortes, avec par exemple le développement du contradictoire dans la procédure d’instruction, qui sont de fait déniées aux mineurs pour lesquels on pratique encore beaucoup la “procédure officieuse”, qui relève de l’oxymore.
La société s’est judiciarisée, la réponse pénale aux actes délinquants des mineurs est systématique. Beaucoup de faits qui auraient donné lieu à une grosse engueulade par le maréchal des logis chef du coin finissent devant le délégué du procureur ou le juge des enfants. Les conséquences ne sont plus les mêmes. Les garanties apportées aux mineurs doivent en conséquence aussi évoluer.
Il nous appartient, à nous qui tentons de faire rentrer dans la tête de ces gamins à coup de mesure éducative voire de peines de prison, le caractère impératif de la loi, de la respecter nous mêmes, même si elle ne nous arrange pas, même si on trouve “ce serait tellement mieux si…”. Je crois que l’intérêt supérieur des mineurs est aussi là, particulièrement alors que certains encourent des peines planchers importantes.
Je suis la première à dire qu’on ne peut pas traiter les mineurs comme les adultes, que les principes qui fondent l’ordonnance de 45 (notamment la spécialisation des juges et la primauté de l’éducatif) sont essentiels et, qui plus est, les seuls efficaces pour lutter contre la délinquance des mineurs.
Mais il me semblerait paradoxal que, à force de traiter les mineurs différemment des adultes, on les traite moins bien.
Question de priorité.

NB : ne manquez pas de surveiller le blog Parole de Juge, où Michel Huyette, grand spécialiste de la justice des mineurs tendance légaliste, ne manquera pas (je l’espère ardemment) de faire une note sur le sujet

Edit le 9 juillet : Ne manquez pas non plus l’avis opposé mais passionnant et éclairé de Jean Pierre Rosenczweig, président du Tribunal pour Enfants de Bobigny

Notes

[1] avec le soutien du service de documentation du Conseil Constitutionnel, qui a mis en ligne un dossier très fourni. Parce que s’il fallait compter sur la Chancellerie…

[2] en pratique, on trouve parmi les assesseurs beaucoup d’enseignants, psychologues, éducateurs ou professionnels de santé

[3] j’ignorais qu’il pouvait faire ça, mais c’est en tout cas prévu par son règlement intérieur

[4] Si toi aussi tu trouves que ça se complique…

[5] et pour cause, puisque ce que le Conseil Constitutionnel va sanctionner, c’est en réalité l’inexistence d’une disposition dans le Code de l’organisation judiciaire

[6] pour un exemple concret, voir l’excellent “Soyez le juge” sur le sujet

[7] oui, il y a des articles de code quelque part, désolée, je les ai pas sous la main, je fais un peu ça dans l’urgence, mais please faites moi confiance

[8] article 8 de l’ordonnance de 45 : le juge des enfants procédera à une enquête, soit par voie officieuse, soit dans les formes prévues par le chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de procédure pénale = soit en ne respectant pas le code de procédure pénale soit en le respectant. précisons que les actes qui conduisent à des mesures de contraintes (mandat, contrôle judiciaire, détention provisoire) doivent impérativement être faits selon les règles du CPP

[9] Beaucoup réagiront sans doute de manière épidermique, prenant celà comme un insulte à leur professionnalisme, qui leur permet évidemment de toujours rester objectif, comme les parquetiers ont pris l’arrêt Winner comme un crachat en pleine gueule

[10] j’ai même entendu “ah mais ça va faire beaucoup plus de travail, il va falloir passer plus de temps à préparer des dossiers qu’on ne connaîtra pas”. Je précise qu’il s’agit d’une position non pas minoritaire mais unique !

[11] Oui, je SAIS que c’est “ni d’Eve ni d’Adam” mais ça m’a toujours fait rire comme ça

jeudi 9 juin 2011

La guerre de l'accès à l'intégralité du dossier en garde à vue aura-t-elle lieu ?

“Par Gascogne”


En quelques années, la Cour Européenne des Droits de l’Homme est devenue une Pythie, en charge d’interpréter un texte très large, et à qui chacun veut faire dire ce qu’il souhaite entendre. L’exécutif français a attendu d’être au pied du mur pour faire modifier la législation sur la garde à vue, et continue d’ailleurs dans le même sens en ce qui concerne les dispositions pénales relatives au séjour irrégulier des étrangers en France[1]. Les atermoiements des pouvoirs exécutifs et judiciaires ont conduit à la pagaille que l’on connaît depuis quelques semaines, et qui n’est pas près de s’éteindre.

De l’autre côté, les avocats, qui sont à l’initiative des divers recours et questions prioritaires de constitutionnalité ayant conduit aux changements législatifs actuels, tentent de pousser un peu plus l’avantage, en obtenant ce que la loi ne leur a pas encore donné en matière de garde à vue : je ne parle pas d’une rémunération correcte, mais de l’accès à l’intégralité du dossier d’enquête. Et pour justifier cette demande, la plupart d’entre eux s’appuie sur la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Dont il font une lecture qui relève plus de la divination ou de la méthode Coué que de l’analyse. Mais comme dirait quelqu’un que je connais, une affirmation n’a jamais valu argumentation. Alors plongeons nous dans les joies de l’analyse jurisprudentielle européenne[2].

A titre préliminaire, il faut en revenir au texte lui même, base du travail du juriste : l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme dispose que

Tout accusé a droit notamment à :

a.être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui;

b.disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;

c.se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent;

C’est beaucoup en terme de droits fondamentaux, mais textuellement, c’est tout. Tout personne faisant l’objet de poursuites pénales a le droit d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix.

On remarquera tout d’abord que l’article 6 ne parle que du droit à un procès équitable, ce qui en terme purement sémantique se rapporte donc à la phase de jugement, pas à celle de l’enquête. C’est l’article 5 de la convention (droit à la liberté et à la sûreté) qui se rapporte à la phase présentencielle, et particulièrement celle de l’arrestation. Les juges de Strasbourg ont cependant décidé dans le cadre du pouvoir d’interprétation qui est celui de tout juge d’étendre cette protection à la phase d’enquête, sur la base de l’article 6, depuis l’arrêt Imbriosca c. Suisse du 24 novembre 1993, qui soulignait que cet article “peut jouer un rôle avant la saisine du juge au fond si et dans la mesure où son inobservation initiale risque de compromettre gravement le caractère équitable du procès”. Autrement dit, le droit à un procès équitable commence avant la phase d’audience dans la mesure où cette phase risque de compromettre le droit à un procès équitable.

Cette jurisprudence ne s’est jamais démentie, et le désormais fameux arrêt Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008 a repris le même raisonnement, exactement dans les mêmes termes (et oui, tout n’a pas commencé avec cet arrêt, mais bien près de 20 ans auparavant). Plus encore, cet arrêt mettait en avant la “vulnérabilité” de la personne en garde à vue qui devait être compensée par l’assistance d’un avocat “dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé à ne pas s’incriminer lui même”. Bref, la Cour fait de l’avocat un garant du droit de se taire.

Il faudra attendre l’arrêt Dayanan c. Turquie le 13 octobre 2009 pour avoir une définition un peu plus précise du rôle de l’avocat dans le cadre de la garde à vue. Les juges estiment ainsi que “l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir tout la vaste gamme d’intervention qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer”.

Il n’est là nul part écrit que l’avocat doit avoir dès ce stade un accès total au dossier de la procédure, étant par ailleurs précisé qu’en France, la garde à vue d’une personne peut intervenir à divers moments de l’enquête, le “dossier” n’étant pas nécessairement formalisé comme il peut l’être à l’instruction[3].

Alors sur quoi s’appuient les tenants de l’accès à l’intégralité du dossier en garde à vue pour le réclamer. Pas uniquement sur l’arrêt Svipsta c. Lettonie, du 9 mars 2006.

En effet, un arrêt Lamy c. Belgique du 30 mars 1989 (Oui, vous avez bien lu, 1989), avait déjà indiqué qu’il existait un droit de communication aux “pièces du dossier qui revêtent une importance essentielle pour une contestation efficace de la légalité de la détention”.

Aucun des arrêts concernés ne traite de l’accès au dossier en garde à vue, mais à un stade plus avancé de la procédure, à savoir une détention provisoire dans le cadre notamment d’une instruction judiciaire. Et il ne viendrait jamais à l’idée en France à un procureur normalement constitué (Warning : appât à Troll) d’utiliser pour motiver des réquisitions de détention provisoire des pièces de procédure dont l’avocat de la défense n’aurait pas eu connaissance. L’article préliminaire du code de procédure pénale consacre d’ailleurs ce principe du contradictoire, qui paraît tout à fait naturel aux parquetiers[4].

Mieux : dans ce même arrêt Svipsta, la Cour affirme qu’existe “la nécessité d’une conduite efficace des enquêtes pénales, ce qui peut impliquer qu’une partie des informations recueillies durant ces investigations doivent être gardées secrètes afin d’empêcher les accusés d’altérer des preuves et de nuire à la bonne administration de la justice”. Un avocat qui a connaissance des pièces de procédure ne peut les cacher à son client, cela serait contraire à sa déontologie (que les quelques avocats qui me lisent me contredisent, si je m’égare dans cette matière que je ne maîtrise pas). Ce n’est donc pas leur faire injure que de leur dire qu’ils n’ont pas à avoir accès à l’ensemble du dossier, à ce stade de la procédure.

Le 27 juillet 2006, la Cour, dans son arrêt Horomidis c. Grèce, allait plus loin, concernant un requérant qui n’était pas incarcéré, et qui n’avait pas eu accès à l’intégralité du dossier le concernant, dans le cadre d’une instruction préparatoire : Pas de violation de la convention alors que “la procédure litigieuse n’est pas encore terminée, car aucune décision interne définitive portant sur les accusations qui pèsent sur le requérant n’est encore rendue. Or, à la lecture du dossier, la Cour ne saurait admettre que le seul refus d’accès au dossier, que les autorités compétentes ont opposé au requérant jusqu’au jour où ce dernier fut appelé à un interrogatoire, ait pu influencé en soi, à ce stade de la procédure, le caractère équitable du procès”.

Donc, toujours le même critère, évalué au cas par cas par la Cour. En l’état de la procédure, le refus d’accès à l’intégralité du dossier a-t-il pu influencer le droit à un procès équitable ?

A ce stade, en ce qui me concerne, je reste bien évidemment très humble. La jurisprudence n’est pas une science exacte, et je ne sais pas si la France sera condamnée sur ce point précis, dans un dossier donné, puisque la Cour statue au cas par cas. Mais tout ce que je sais en l’état de mes pauvres connaissances, c’est qu’une condamnation n’est en rien acquise, la Cour Européenne des Droits de l’Homme sachant parfaitement faire la part des choses entre les droits fondamentaux opposés que sont le droit à la sécurité pour les plaignants et le droit à une procès équitable pour les mis en cause. Car aucun de ces deux droits n’est supérieur à l’autre.

Je ne doute pas que l’on ne me dira plus que j’ai piscine, manière de dire que je n’argumente jamais, ou alors par allusion. En ce qui me concerne, cela fait un moment que je soupe des tribunaux correctionnels qui suivent des argumentaires par allusions, sans se plonger dans la véritable jurisprudence de la Cour Européenne, grand mal de nos juges nationaux. Mais je n’en veux pas aux avocats, qui ne font que leur travail.

En guise de conclusion, et pour éviter que l’on me serve à nouveau le désespérant argument du corporatisme, je vais me permettre de me ranger sous la bannière d’un avocat, qui n’a pas trop mal réussi en politique : Robert BADINTER, qui a tenu les propos suivants lors du débat au Sénat sur la réforme de la garde à vue :

Pour autant, madame la garde des sceaux, la présence de l’avocat n’implique pas la communication intégrale à celui-ci du dossier de l’enquête de police. Ceux qui ne connaissent pas assez bien la procédure accusatoire sont trop souvent victimes d’une confusion à cet égard : rappelons que l’obligation de communiquer la totalité du dossier ne vaut qu’au stade de la mise en examen, quand des charges suffisantes, et non une simple raison plausible de soupçonner qu’il ait commis une infraction, ont été réunies contre celui qui n’était jusque-là qu’un gardé à vue. Il s’agit alors d’un degré de gravité tout à fait différent, et l’avocat, qui devient dans ce cas le défendeur à l’action publique, doit évidemment avoir accès à toutes les pièces du dossier en vertu du principe du contradictoire. C’est un principe et une jurisprudence constants.” Mais, au stade de la garde à vue, la seule exigence est de communiquer les éléments du dossier –procès-verbaux, déclarations – qui justifient le placement en garde à vue. Dès lors, tout est simple et clair : il suffit de courage politique pour briser cette espèce de pesanteur multiséculaire qui accable notre justice dans ce domaine. Le temps est venu d’y remédier. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Permettez que je rajoute les applaudissements d’un modeste parquetier aux propos du grand homme.


Mise à jour du 12 juin par Eolas : les liens vers les arrêts de la CEDH marchent désormais.

Notes

[1] En l’occurrence, c’est la Cour de Justice de l’Union Européenne qui a œuvré en ce sens

[2] Que Marc ROBERT, procureur général près la Cour d’Appel de Riom, soit vivement remercié : j’ai puisé sans vergogne dans son extraordinaire travail d’analyse du 2 mai 2011 sur le sujet, qu’il a bien voulu mettre en ligne sur le site intranet de sa Cour

[3] Où les avocats n’ont d’ailleurs pas accès aux actes en cours, sans que cela n’ait posé le moindre problème jusqu’à présent

[4] parfois moins à certains avocats qui versent des conclusions dactylographiées de nullité à l’audience sans en avoir au préalable fait parvenir un jeu au parquet

mercredi 18 mai 2011

Allô la boucherie Sanzot ?

Par Dadouche



Driiiiiing Driiiing Driiing[1]

- Tribunal pour Enfants de Framboisy, bonjour

- Bonjour Madame, je voudrais parler au juge des enfants.

- Je ne peux pas vous passer directement le juge qui est en audience, mais je suis son greffier, c’est à propos de quel dossier Madame ?

- C’est pour ma fille, elle ne veut plus aller chez son père. Il faut que je voie le juge des enfants.

- Mais Madame, vous devez avoir déjà vu le juge aux affaires familiales ?

- Oui mais il n’a rien compris, ma fille ne lui a pas suffisamment bien expliqué qu’elle ne voulait plus aller voir ce connard.

- Vous aviez un avocat devant le juge aux affaires familiales Madame ?

- Il a dit qu’il ne pouvait rien faire. De toutes façons il n’a servi à rien celui-là. J’ai lu sur internet qu’il fallait contacter le juge des enfants.

- Mais vous savez madame, le juge des enfants ne peut intervenir que si un enfant est en danger, si c’est très grave quoi. De toutes façons, ce n’est pas le juge des enfants qui peut changer le droit de visite décidé par le juge aux affaires familiales. Si vous n’êtes pas d’accord avec la décision du juge aux affaires familiales, il faut faire appel. Vous devriez en parler à votre avocat plutôt.

- Mais ça sert à quoi un juge pour les enfants si ça peut rien faire ? Ah elle est belle la justice ! Il faut quoi, que ma fille se fasse violer pour qu’on ne l’oblige pas à aller chez son connard de père ? De toutes façons, je vous préviens, si le juge des enfants ne veut pas me voir, je vais écrire au Président de la République !

Clac (biiip biiip biip)
Soupir las de la greffière.

Cette conversation de fiction n’est malheureusement pas très éloignée de la réalité[2].

Le juge des enfants (et non “juge pour enfants”), au delà de son inaction laxiste à l’égard des multirécidivistes-qui-pourrissent-la-vie-des-honnêtes-gens-et-ne-sont-pas-les-mêmes-qu’en-1945, est assez méconnu. On sait vaguement qu’il arrache des enfants à leurs familles aimantes et incomprises et que, parfois, il ne sauve pas à temps un enfant martyr[3].

L’intitulé de sa fonction peut prêter à confusion : “juge des enfants” (enfin pour l’instant, certains veulent en faire le “juge des mineurs”), cela peut en effet faire penser qu’il se mêle de toutes les affaires judiciaires qui concernent les enfants.

Comme souvent, les apparences sont trompeuses.

Aux termes de l’article 375 du Code civil, qui figure dans le titre consacré à l’autorité parentale, le juge des enfants peut intervenir “si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises”. C’est déjà pas mal, mais c’est tout.

Pour éviter des erreurs d’aiguillage, faisons donc le point sur qui fait quoi dans les procédures judiciaires concernant des mineurs.

Peut-on faire un procès à un mineur ?

Il peut fréquemment arriver que des mineurs soient impliqués dans une procédure judiciaire tout ce qu’il y a de plus banale.
Un mineur a causé involontairement un dommage dont il est responsable, il est propriétaire d’un appartement dont le locataire ne paye pas le loyer ou encore il est héritier dans une succession difficile ou a été victime d’une infraction pénale. Dans toutes ces hypothèses, une action judiciaire peut être engagée pour son compte ou à son encontre
Les mineurs non émancipés n’ont pas la capacité juridique. Cela signifie notamment qu’ils ne peuvent exercer eux mêmes une action en justice et qu’ils doivent dans ce cadre être représenté par un adulte mais l’affaire est jugée par la juridiction normalement compétente.

Les représentants naturels d’un mineur sont ses parents, qui sont “administrateurs légaux purs et simples” s’ils exercent l’autorité parentale en commun (articles 389 et 389-1 du Code civil), le représentent dans les actes de la vie civile (signature d’un contrat par exemple) et agissent en justice pour lui ès qualités.

Le juge des tutelles, juge de la représentation légale et de l’administration du patrimoine de l’enfant

C’est là que le juge des tutelles peut faire son apparition :
- en cas de désaccord entre les parents ou pour certains actes particulièrement graves (renonciation à un droit) l’autorisation du juge des tutelles est nécessaire (article 389-5 du Code civil)
- si un seul parent est titulaire de l’autorité parentale, il est “administrateur légal sous contrôle judiciaire” et doit obtenir pour les actes graves (actes de disposition) l’autorisation du juge des tutelles, auquel il doit rendre des comptes
- si les parents sont tous deux décédés ou sont privés de l’exercice de l’autorité parentale ou hors d’état de l’exercer, le conseil de famille composé et présidé par le juge des tutelles désigne un tuteur qui “prend soin de la personne du mineur et le représente dans les actes de la vie civile” (articles 373-5, 390 et 408 du Code civil) et doit obtenir l’autorisation du conseil de famille, auquel il rend compte, pour les actes les plus graves.

Le juge des tutelles (ou à défaut le juge chargé de l’instance) peut également intervenir pour désigner un administrateur ad hoc, c’est à dire un tiers qui représentera l’enfant dans une instance spécifique, si les intérêts du représentant légal et du mineur sont en contradiction (article 388-2 du Code civil), par exemple si un mineur et un de ses parents sont en concurrence pour une succession ou si une action en responsabilité doit être engagée contre un parent indélicat qui a dilapidé le patrimoine de son enfant. Eh oui, parfois c’est dur dur d’être un bébé.

En l’absence de tout représentant légal, c’est également le juge des tutelles qui est en principe compétent pour la situation des mineurs étrangers isolés.

Le juge des tutelles est donc compétent pour tout ce qui concerne la représentation légale et l’administration du patrimoine de l’enfant, y compris pour décider qu’un mineur est apte à exercer lui même ses droits en l’émancipant (artice 413-2 du Code civil).

Bien sûr, d’autres procédures judiciaires concernant spécifiquement des mineurs.

Le tribunal de grande instance, juge de la filiation

Les procédures visant à établir ou contester un lien de filiation relèvent du tribunal de grande instance statuant en matière civile (articles 318-1 du code civil), de même que les procédures d’adoption.

Le Juge aux Affaires Familiales, juge de l’autorité parentale

Puis vient évidemment le gros morceau : le Juge aux Affaires Familiales (JAF), dont l’activité de masse père lourd dans les statistiques d’une juridiction. Par exemple, les quatre JAF de ma juridiction ont rendu en 2010 plus de 2500 décisions (contre 1800 pour la chambre civile).

Le juge aux affaires familiales est, entre autres[4], chargé de régler les conséquences d’une séparation et, de manière générale, de trancher tout conflit relatif à l’autorité parentale.

Il intervient nécessairement au moment d’un divorce, dont il règle les conséquences patrimoniales (liquidation du régime matrimonial, prestation compensatoire) ainsi que les modalités d’exercice de l’autorité parentale et de résidence des enfants s’il y en a.
Vu le nombre d’enfants nés dans le péché hors mariage, le juge aux affaires familiales peut également être saisi pour établir les modalités de l’exercice de l’autorité parentale de parents non mariés (séparés ou pas). Il peut soit homologuer une convention conclue entre les parents, si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, soit fixer lui même le cadre sur l’exercice de l’autorité parentale, la résidence, les droits de visite et la pension alimentaire.
Le juge aux affaires familiales peut aussi être amené à trancher un désaccord entre les titulaires de l’autorité parentale : école publique ou privée ? baptême ou circoncision ? traitement médical expérimental ou pas ? Les dilemmes peuvent être nombreux.
C’est également lui qui peut être saisi par les grands-parents ou par un tiers qui souhaite obtenir un droit de visite refusé par les titulaires de l’autorité parentale (article 371_4 du Code civil).

Rappelons que les décisions du JAF concernant l’autorité parentale s’appliquent, comme toute décision civile, uniquement si une des parties l’exige et décide de faire exécuter le jugement ou l’ordonnance. Le dispositif des décisions comporte d’ailleurs en général la précision “sauf meilleur accord des parents”. Le juge n’intervient et sa décision ne fixe le cadre qu’en cas de désaccord. Et si un autre accord est trouvé ultérieurement, la décision peut ne plus être appliquée.

Le juge aux affaires familiales est donc le juge de l’autorité parentale, qu’il peut déléguer (article 377 du Code civil) à la demande des parents ou en cas de désintérêt manifeste de leur part.

Cependant c’est le tribunal de grande instance qui est compétent (si une juridiction pénale ne l’a pas déjà fait) pour la décision la plus grave, le retrait d’autorité parentale (article 378-1 du Code civil) à des parents qui s’abstiennent volontairement d’exercer leurs droits et de remplir leurs devoir pendant deux ans si leur enfant est placé ou qui “soit par de mauvais traitements, soit par une consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques ou un usage de stupéfiants, soit par une inconduite notoire ou des comportements délictueux, soit par un défaut de soins ou une manque de direction, mettent manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de leurs enfants”. Précisons que cela demeure une procédure exceptionnelle et grave.

Le juge des enfants, juge de la défaillance de l’autorité parentale

Et le juge des enfants dans tout ça ?
Pour définir son domaine d’intervention, on peut mettre en parallèle les articles 371-1 et 375 du Code civil :

371-1 : L’autorité parentale appartient aux parents d’un enfant “pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement dans le respect dû à sa personne”
375 : le juge des enfants peut intervenir “si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises”

En gros, le juge des enfants est le juge de la défaillance de l’autorité parentale, puisqu’il intervient dans des hypothèses où les titulaires de l’autorité parentale échouent à remplir leurs obligations[5].
Il peut ordonner des mesures d’investigation et des mesures éducatives (placement ou intervention en milieu ouvert) pour protéger le mineur.
Le juge des enfants n’est donc pas compétent pour des situations de danger qui ne sont pas liées à des difficultés éducatives. Ainsi, un enfant qui relève d’une scolarisation spécialisée mais ne peut en bénéficier faute de place peut être considéré en danger, mais une telle situation ne relève pas en soi du juge des enfants puisque par hypothèse les parents ont fait les démarches nécessaires pour leur enfant. De même, l’expulsion locative d’une famille qui met tout le monde à la rue ne rend pas automatiquement le juge des enfants compétent. Il pourra l’être si les parents, qui refusent par exemple un hébergement précaire ou sont négligents dans les démarches à accomplir, ne font pas leur possible pour assurer un toit à leurs enfants.
Il n’est pas inutile de préciser ici qu’on ne place pas les enfants du fait de la précarité sociale de leur parents…
En revanche, des parents séparés et “bien sous tous rapports”qui prennent chacun parfaitement en charge leur enfants mais qui le rendent littéralement fou du fait de leur conflit permanent le mettent en danger au sens de l’article 375 du code civil.

Alors que les décisions du JAF ont vocation à s’appliquer jusqu’à la majorité de l’enfant s’il n’y a pas d’élément nouveau, la décision du juge des enfants est intrinsèquement liée à l’existence d’un danger et est prise pour une durée limitée.
La décision du juge des enfants peut parfois être contraire à celle du JAF, par exemple en confiant le mineur au parent chez lequel le JAF n’a pas fixé la résidence, uniquement si des éléments de danger nouveaux sont apparus depuis que le JAF a statué. C’est alors la décision du juge des enfants qui s’applique prioritairement. Mais le jour où la mesure de placement chez l’autre parent prend fin, c’est la dernière décision en date du JAF qui retrouve automatiquement à s’appliquer[6].

Enfin, le juge des enfants intervient à titre subsidiaire. Les premiers protecteurs de l’enfant sont ses parents. Si le comportement d’un des parents met l’enfant en danger, il appartient en priorité à l’autre parent de saisir le JAF pour solliciter par exemple la modification du droit de visite. Ce n’est que si le parent ne protège pas son enfant que le juge des enfants peut intervenir.

Le juge des enfants n’est donc PAS l’instance d’appel ou une juridiction de substitution du JAF.

Ces règles, si elles sont claires, s’appliquent à des situations qui le sont beaucoup moins et il est fréquent que le juge des enfants et/ou le JAF et/ou le juge des tutelles interviennent concomitamment dans une situation. Le Code de procédure civile prévoit d’ailleurs qu’ils doivent se communiquer leurs décisions et les éléments de leurs dossiers (par exemple article 1187-1 du Code de procédure civile).
C’est justement parce qu’il y a des compétences en apparence concurrentes mais en réalité différentes qu’il est important que chacun reste dans le rôle qui lui est dévolu par la loi et résiste à certaines demandes qui visent en réalité à obtenir d’un juge ce qu’un autre a refusé.

C’est bien compliqué tout ça. Pourquoi ne pas tout regrouper ?

Certains s’interrogent régulièrement sur la création d’un “super-JAF”, qui regrouperait entre ses mains toutes ces compétences. Ce rapprochement a d’ailleurs commencé puisque depuis 2009 les fonctions de juge des tutelles des mineurs sont exercées par le JAF (article 213-3-1 du Code de l’Organisation Judiciaire)[7].

Je pense pour ma part que cela serait tout à fait néfaste dans l’exercice de chacune de ces compétences, particulièrement pour le JAF et le juge des enfants.
D’abord, d’un point de vue purement pratique, les fonctions de JAF et de juge des enfants sont tout à fait différentes dans leur organisation. Le JAF gère des flux, en ce sens qu’il intervient au coup par coup, quand il est saisi d’une demande spécifique, même si l’instance peut parfois durer longtemps avant la décision finale qui le dessaisit. Le juge des enfants gère des stocks : une fois qu’il est saisi, il prend des décisions à intervalle régulier jusqu’à la disparition du danger (ou la majorité des enfants…). Cela peut paraître une considération triviale et bassement matérielle, mais ces deux types d’organisation ne sont pas simples à gérer en parallèle, et l’efficacité de l’organisation d’un cabinet joue un rôle indiscutable dans l’efficacité des décisions.

Mais surtout, le positionnement du juge dans ces deux fonctions est tout à fait différent. Le JAF, pour éviter d’aller au bout de la méthode Salomon et de trancher dans le marmot, doit souvent choisir entre deux parents par hypothèse tous deux capables de prendre en charge leur enfant. Le juge des enfants est confronté à des parents qui, même s’ils sont animés de la meilleure volonté du monde, sont par hypothèse défaillants d’une façon ou d’une autre. Les critères de prise de décision sont donc nécessairement fondamentalement différents : d’un côté on gère les conséquences d’une situation de fait incontournable (la séparation), de l’autre on tente de faire évoluer une situation de danger par une mesure de protection.
Le JAF, on l’a vu, statue “sauf meilleur accord des parties”. La décision du juge des enfants s’impose, même s’il a l’obligation de tenter de susciter l’adhésion des familles.
Une audience devant le JAF sert essentiellement à clarifier les demandes de chacun et les éventuels points d’accord, sur lesquels le juge tranchera à tête reposée. L’audience devant le juge des enfants est un des moments clé, où beaucoup de choses se jouent non seulement pour la prise de décision mais également sur la compréhension par les familles des difficultés rencontrées et sur leur collaboration à la mesure. La décision est d’ailleurs le plus souvent rendue immédiatement et expliqué en direct aux familles.
Le JAF est toujours perçu comme tranchant “en faveur” de l’un ou de l’autre. On entend d’ailleurs souvent “j’ai gagné/j’ai perdu devant le JAF”. Le juge des enfants ne peut pas donner l’impression de prendre partie, sous peine de perdre toute chance de collaboration de celui qui s’estime défavorisé.

Résumons

- “Mon fils est en danger le week end chez son père qui consomme des stupéfiants” : JAF
- “Ma petite fille est en train de se faire dépouiller de l’héritage de son père par sa mère” : juge des tutelles
- “Ma fille est déscolarisée, me tape dessus et m’impose son copain à la maison” : juge des enfants
- “Mon ex veut faire baptiser mon fils mais je suis athée” : JAF
- “Le fils du voisin se fait taper dessus à tout bout de champ” : attention c’est un piège, c’est au Procureur de la République (ou encore mieux au 119) qu’il faut s’adresser, puisque lui seul peut, hormis les parents ou le mineur lui même, saisir le juge des enfants
- “Je ne veux plus vivre chez ma mère parce que je ne m’entends pas avec mon beau-père” : d’abord en parler à ses parents dont l’un des deux peut saisir le JAF
- “Je veux utiliser les dommages et intérêts perçus par ma fille pour lui acheter un ordinateur” : juge des tutelles
- “Mon ex mari utilise des poupées vaudou pour me faire du mal et récupérer mon fils après ma mort. Je le soupçonne de venir d’une autre planète” : heu… probablement le juge des enfants là quand même (et peut être le juge des tutelles des majeurs)
- “J’arrive d’Angola où j’ai vu ma famille décimée sous mes yeux, j’ai une photocopie d’acte de naissance selon lequel j’ai 17 ans, je suis à la rue” : Aide Sociale à l’Enfance et juge des tutelles
- “Je ne veux plus payer de pension alimentaire pour cet enfant qui n’est pas le mien et que j’ai reconnu pour faire plaisir à ma femme quand je l’ai rencontrée” : tribunal de grande instance
- “Ma soeur m’a confié mon neveu et ne me donne plus de nouvelles” : JAF
- “Mon fils de 17 ans est apprenti et s’installe avec sa copine, il voudrait être indépendant” : juge des tutelles
- “Mon fils de 17 ans ne fait que des conneries, j’en ai marre d’être responsable, je veux l’émanciper” : juge des tutelles, qui va dire non et probablement transmettre au procureur pour saisine du juge des enfants
- “J’ai peur de mon mari qui nous frappe régulièrement moi et les enfants, je veux être protégée et je suis inquiète pour mon fils qui, à force de voir son père me traiter comme une merde, commence à m’insulter” : procureur, police, JAF et juge des enfants. Vite.

Et maintenant que personne n’a plus d’excuse pour s’adresser au mauvais juge, ma greffière va pouvoir reprendre une activité normale. Merci pour elle…

Notes

[1] Attention ce billet n’a rien à voir avec l’actualité

[2] dans la réalité elle serait probablement bien plus longue

[3] j’avais, en son temps, tenté d’expliquer à un ami buveur de café à quoi j’occupe mes journées

[4] pour une liste exhaustive de ses compétences, voir l’article L 213-3 du Code de l’organisation judiciaire

[5] Ce qui ne veut pas dire que ce sont de “mauvais” parents, concept abhorré des juges des enfants. On peut être défaillant avec la meilleure volonté du monde, face par exemple à un ado particulièrement mal dans sa peau qui se met en danger par des fugues ou des consommations massives de toxiques.

[6] d’où l’importance, chers collègues JAF, que vous ne refusiez pas de statuer quand vous êtes saisi d’une demande de résidence sous prétexte que “les enfants sont placés”. Si ça se trouve, le juge des enfants n’attend que la fixation de la résidence chez l’autre parent pour lever le placement.

[7] même si en pratique, dans de nombreuses juridictions, c’est encore un juge du tribunal d’instance qui est délégué au tribunal de grande instance pour exercer ces fonctions. Par ailleurs, c’est à ma connaissance toujours un service à part et les JAF n’interviennent en pratique pas dans la même situation en tant que JAF “pur” et en tant que juge des tutelles

mardi 26 avril 2011

Boîte à gifles

“Par Gascogne”


Il est un rapport qui est passé tellement inaperçu qu’il a même fallu une insistance syndicale particulière pour qu’il soit publié : il s’agit du rapport du Conseil Supérieur de la Magistrature[1] rendu le 21 mars 2011 dans le cadre de l’affaire de Pornic, suite à sa saisine par le Garde des Sceaux, conformément à l’article 65 de la constitution de 1958, tel que modifié par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008. En effet, il était auparavant arrivé que la Conseil Supérieur de la Magistrature donne spontanément son avis sur le fonctionnement de l’institution judiciaire, et particulièrement des entraves qui pouvaient voir le jour suite à des interventions politiques. Cette liberté a paru si démocratiquement honteuse que la réforme constitutionnelle de 2008 a estimé nécessaire de ne plus permettre au CSM d’intervenir hors saisine du Garde des Sceaux.

Suite au mouvement des fonctionnaires et magistrats du ministère de la Justice, après les propos du Président de la République sur les dysfonctionnements judiciaires ayant selon lui conduit au meurtre de Laëtitia Perrais, le Ministre de la Justice s’était engagé à saisir le CSM d’une demande d’avis portant sur deux questions principales :

- la qualité du suivi des personnes condamnées, élément fondamental de la lutte contre la récidive.

- l’exercice par les chefs de juridiction et de Cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci.[2].

Le rapport du CSM ne traitera pas la seconde question, précisant que la question de la répartition des compétences entre Premier Président de Cour d’Appel et Président de TGI est d’une telle importance qu’elle mérite à elle seule un rapport annuel.

Quant au traitement de la première question, le Conseil n’a pas attendu la deuxième page de son rapport pour ouvrir la boîte à gifles. Je ne sais pas si les membres du CSM renouvelé suite à la réforme constitutionnelle de 2008, et sur la nomination desquels des critiques ont pu être faites, ont voulu immédiatement marquer leur indépendance, mais je dois reconnaître que la lecture de leur avis est plus que réjouissante.

A titre préliminaire, le Conseil rappelle en effet que “le respect du principe de la présomption d’innocence, garanti par la Déclaration de droits de l’Homme et du Citoyen et le code de procédure pénale, s’impose à l’égard de toute personne mise en cause dans une affaire criminelle tant qu’elle n’a pas été jugée”. Si ça, ce n’est pas un message directement adressé au garant de l’indépendance de la Justice, je ne sais pas ce que c’est. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’il parlait d’un présumé coupable



Concernant le fonctionnement des juridictions, le CSM débute par un rappel salutaire : en matière de récidive, d’exécution et d’application des peines, 11 rapports se sont succédé entre 2002 et 2011. On a beau savoir depuis Clémenceau que lorsque l’on veut enterrer un problème, on créé une commission, qui pondra un rapport, cela commence à faire beaucoup. Et ce d’autant plus que selon le Conseil, une des rares dispositions reprise dans une loi a consisté à “inclure la prévention de la récidive dans la définition des missions des services pénitentiaires d’insertion et de probation”. De l’aspect magique de la loi… Et le Conseil de proposer qu’il soit établi une liste des recommandations déjà formulées et d’assurer la mise en œuvre de celles qui le méritent. Ou comment expliquer calmement qu’un énième rapport ne présente qu’un intérêt plus que relatif, et qu’appliquer les précédents serait déjà une bonne chose.

Le Conseil souligne ensuite que pour une lutte efficace contre la récidive, il conviendrait qu’existe une réelle stabilité législative, ce qui n’est plus le cas depuis quelques années, pointant la “succession trop rapide des textes”. On ne saurait mieux dire.

Une fois ces critiques faites (et bien faites), le rapport reprend à son compte différentes propositions qui avaient déjà pu être formulées, concernant la lutte contre la récidive. Il y souligne particulièrement une “recherche en criminologie” accrue, afin de mieux détecter la dangerosité criminologique des condamnés, qui ne peut se réduire à la dangerosité psychiatrique, concept plus restreint, puisque reposant essentiellement sur la recherche d’une pathologie mentale. Le Conseil ne met cependant en exergue que le manque de formation des conseillers d’insertion et de probation, ce qui me paraît trop limité. En effet, sauf changement intervenu depuis ma propre formation, l’ENM ne forme pas les futurs magistrats à la criminologie, ce qui est regrettable. Pas même une formation du Cesare Beccaria, que tout magistrat pénaliste se doit cependant d’étudier. La formation à la criminologie devrait également être proposée à tous les personnels pénitentiaires, et notamment aux directeurs et chefs de service, appelés à donner leur avis sur les aménagements de peine des personnes incarcérées. Sauf erreur de ma part, je ne crois pas que cela soit actuellement le cas à l’ENAP.

Suivent quatre propositions portant sur la nécessité de suivis pluridisciplinaires des condamnés, l’augmentation des moyens humains et matériels afin d’assurer efficacement ce suivi, et le nombre de médecins coordonnateurs, notoirement insuffisants en matière de suivi des délinquants et criminels sexuels. Bref, la reprise quasi intégrale des demandes portées par les syndicats depuis des années, et à nouveau malheureusement remise à l’ordre du jour suite au drame de Pornic.

Face à cette mise en cause claire et précise que la Chancellerie a tenté de camoufler, voici la réponse du Ministère, qui se passe de commentaire :

Communiqué de la Chancellerie

07 avril 2011 Avis du CSM relatif au fonctionnement de la Justice La qualité du suivi des personnes condamnées et l’exercice par les chefs de juridiction et de cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci.

Après avoir pris connaissance des rapports des inspections diligentées à Nantes à la suite du meurtre de Laëtitia Perrais, et en vertu de l’article 65 de la Constitution, Michel Mercier, Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés, a saisi le 22 février 2011 la formation plénière du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) d’une demande d’avis relative au fonctionnement de la Justice.

Les deux rapports d’inspection, celui de l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) concernant le service de l’application des peines du tribunal de grande instance de Nantes, et celui de l’Inspection des services pénitentiaires relatif aux conditions de prise en charge de Tony Meilhon par le service d’insertion et de probation de Loire-Atlantique, ont été communiqués au CSM.

Dans sa saisine, le Garde des Sceaux rappelait en particulier les éléments mis en lumière par le rapport de l’IGSJ : difficultés quant à la prise en compte et au relais par les chefs de juridiction et de cour des demandes de renfort en effectifs exprimées par les magistrats du service de l’application des peines, délégation par le président du tribunal de grande instance de Nantes de ses responsabilités d’administration de la juridiction à sa principale collaboratrice, carences dans la validation des orientations définies par ce service, insuffisante coordination entre les juges de l’application des peines et le service pénitentiaire d’insertion et de probation.

Dans son avis rendu le 21 mars 2011, le CSM a souhaité distinguer deux aspects :

- la qualité du suivi des personnes condamnées, - l’exercice par les chefs de juridiction et de cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci.

Sur la qualité du suivi des personnes condamnées :

- Le CSM établit la liste des différents rapports établis depuis 2002 sur la récidive et préconise un suivi des recommandations qui en sont issues. Il relève 5 thématiques ayant fait l’objet de développements et de préconisations dans les deux rapports d’inspection, qui lui paraissent intéresser et impacter le fonctionnement des juridictions :

* la formation à la recherche en criminologie,

* la nature du suivi par une équipe pluridisciplinaire,

* les moyens humains du suivi des personnes condamnées,

* le nombre des médecins coordonnateurs,

* les moyens matériels.

Sur l’exercice par les chefs de juridiction et de cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci :

Le Garde des Sceaux souhaitait connaître les préconisations du CSM afin d’améliorer l’exercice par les chefs de juridiction et de cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci et sollicitait particulièrement son avis :

* sur la possibilité, pour le président d’une juridiction de déléguer ses attributions en la matière,

* sur le rôle des chefs de cour au regard de leur faculté de recourir à l’emploi de vacataires, à l’affectation de magistrats placés ou à la délégation de magistrats de leur cour,

* sur les obligations incombant aux chefs de juridiction et de cour en matière de contrôle des modalités d’organisation décidées par les services de leur ressort.

En vertu de l’article 65 de la Constitution, le pouvoir de nomination des premiers présidents et des présidents de tribunaux de grande instance appartient en effet au CSM, dans sa formation compétente à l’égard des magistrats du siège. Cette même formation statue également comme conseil de discipline des magistrats du siège.

Le CSM relève que l’ensemble de ces questions porte sur le rôle et les missions de premiers présidents des cours d’appel ainsi que sur les compétences respectives du premier président et du président.

Il a toutefois estimé que l’importance de ces questions justifiait qu’elles soient traitées dans un futur rapport annuel qui leur serait consacré.

On mesure à la lecture du communiqué la parfaite analyse de la Chancellerie des critiques émises par la plus haute instance de régulation de la Magistrature. Qui s’en étonnera ?

Notes

[1] N’y cherchez pas le rapport, il ne s’y trouve pas

[2] Il était notamment reproché dans le rapport de l’inspection générale des services judiciaires au président du TGI de Nantes d’avoir trop délégué à sa première vice-présidente

mardi 8 février 2011

Les boules

Par Dadouche (revenante)


Appelons le Kevin[1].
Je le connais depuis que j’ai pris mes fonctions de juge des enfants il y a un peu plus de quatre ans. Il aura 18 ans en 2011.
La première fois que je l’ai condamné, c’était en qualité de présidente du tribunal pour enfants statuant en matière criminelle, pour sa participation à un viol en réunion. Il avait moins de 13 ans lors de ces faits et j’ai ordonné sa mise sous protection judiciaire jusqu’à sa majorité.
J’ai découvert un gamin, pas très futé mais pas idiot, qui a grandi entre deux parents toxico qui ont d’après ce que je sais tous deux connu la prison. Il avait été placé très jeune mais l’opposition massive de la famille et la relative amélioration de la situation des parents avait conduit le juge des enfants à mettre un terme au placement. Il était, à 14 ans, déscolarisé de fait après une exclusion de plusieurs collèges.
Je l’ai revu quelques mois plus tard, quand il a essayé avec d’autres gamins du quartier une recette de cocktail molotov sur un parking. Pas de dégât, pas de blessé. Je l’ai mis en examen quand il a été déféré, je l’ai confié à un établissement de la Protection Judiciaire de la Jeunesse dont il a très vite fugué. Le temps de le juger devant le tribunal pour enfants quelques mois plus tard, il avait commis de nouveaux délits, des vols en réunion si je me souviens bien.
Le tribunal pour enfants l’a condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis mise à l’épreuve. Qui a été partiellement puis totalement révoqué quand il a fugué du Centre Educatif Fermé où les éducateurs avaient fini par trouver une place puis quand il a commis d’autres délits.
Le tribunal pour enfants a prononcé des peines fermes, des peines avec sursis mise à l’épreuve. Il a été incarcéré plusieurs fois. On a tenté des aménagements de peine. La dernière incarcération, durant laquelle il a purgé plusieurs peines, a duré plus de dix mois.
Avant même sa majorité, il a une quinzaine de condamnations à son casier judiciaire. La prison a fini de l’endurcir et j’ai vu disparaître au fil des condamnations ce qui lui restait d’enfance. Cela fait des années qu’il est suivi (et de près) par la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Les éducateurs se sont relayés pour tenter de nouvelles approches. A son palmarès, des infractions contre les biens, des outrages, des violences au sein des différents établissements où il a été placé. Hormis la première condamnation, pour des faits criminels pour lesquels nous n’avons jamais craint de récidive, ce qu’on appelle de la délinquance de voie publique.

Kevin, je n’en ai pas encore fini avec lui. Je suis à peu près certaine que je le condamnerai encore avant sa majorité, ne serait-ce que pour ces procédures qui datent d’avant sa dernière incarcération mais qui viennent seulement d’arriver sur le bureau du substitut des mineurs. Les policiers traitent les affaires au rythme qu’ils peuvent en fonction des urgences, les fonctionnaires du greffe enregistrent ensuite les procédures transmises comme ils le peuvent vu les piles qui s’accumulent.
En ce moment, ça va à peu près pour Kevin : pas de nouvelle garde à vue depuis sa sortie de détention, un début de projet professionnel grâce à l’acharnement de son éducateur, qui suit plus de vingt autres jeunes. Ca durera ce que ça durera, je me dis que toute période d’ accalmie est bonne à prendre et lui permet de faire quelques pas en avant, même s’il doit ensuite reculer un peu.

Je n’ai pas de boule de cristal, mais je peux raisonnablement penser que Kevin commettra à nouveau des délits et sera jugé un jour, peut être très vite après sa majorité, par le tribunal correctionnel pour de nouveaux faits de vols avec violence ou d’outrage, ceux qui, il faut bien le dire, sans présenter une gravité extrême, empoisonnent la vie des gens. Vu son casier, il sera condamné à une peine plancher, peut être avec une partie avec sursis mise à l’épreuve.
Il rejoindra peut être la cohorte des “19000 personnes qui ont plus de 50 affaires” dont Bruno Beschizza, l’inénarrable ancien dirigeant de Synergie et nouveau conseiller régional UMP en Ile de France, nous rebat les oreilles à longueur de plateau télé.

Je n’ai pas de boule de cristal mais je peux raisonnablement penser que le risque que Kevin étrangle un jour une jeune femme ou commette un acte qui le fasse qualifier par le même Bruno Beschizza de “monstre prédateur” est, non pas nulle, peut être même un peu plus élevée que le reste de la population, mais tout de même assez proche du néant. De même que Bafodé, Steven ou Muhammat, que je connais bien aussi. Ou leurs grands frères que j’ai condamnés en correctionnelle.
Et si une part significative de ceux qui ont “plus de 50 affaires” se mettaient à tuer des jeunes filles, je pense que ça se verrait un peu.

Je n’ai pas de boule de cristal, mais je peux raisonnablement penser que Djamel, que je connais aussi bien que Kevin, passera un jour en Cour d’assises. Oh, rassurez-vous il est en prison. Il n’a pas seize ans. Il n’existe aucune structure qui le “supporte” plus de quelques mois. La prison non plus ne le supporte pas d’ailleurs. Il est dangereux pour lui et pour les autres, mais tous les experts m’écrivent qu’il ne relève pas d’une hospitalisation. Et bientôt il sortira de prison. Parfois ça m’empêche de dormir. Mais je n’ai aucune solution durable à ma disposition. Alors, quand je le condamne, je le condamne à des peines un peu plus lourdes que celles que je prononcerais pour d’autres. J’en ai un peu honte, mais je ne sais pas quoi faire d’autre.
Je n’ai pas de boule de cristal mais je me doute que, le jour où il commettra un acte encore plus grave, on viendra me demander pourquoi je ne l’en ai pas empêché. Je répondrai que je ne pouvais pas faire grand chose d’autre que tout ce que nous avons tenté depuis des années. On me dira sans doute que c’est quand même ma faute, parce que le Président avait dit “plus jamais ça”. Et s’il se suicide en prison, ce sera sans doute aussi de ma faute.

Je n’ai pas de boule de cristal mais je sais, depuis bientôt 10 ans que je suis magistrat, qu’un vrai suivi social et judiciaire ça n’empêche pas la récidive mais ça en diminue la probabilité. Que quand on a un logement, un travail, une famille, on a quelque chose à perdre et ça peut aider à réfléchir avant de commettre un délit. Parce que quand on est incarcéré, on ne perd pas que la liberté pour un temps. Souvent on perd bien plus. Quand on a rien a perdre, on réfléchit beaucoup moins.
Je sais aussi que quand un conseiller d’insertion et de probation “suit” 135 condamnés, il ne suit rien du tout. Il gère comme il peut, il priorise, il tente de marquer à la culotte ceux qui ont commis les faits les plus graves, ceux qui sont en aménagement de peine.

Je ne fais pas d’angélisme. Des peines d’emprisonnement j’en prononce régulièrement au tribunal pour enfants, en correctionnelle et aux assises.
La douleur des victimes je la connais. J’en ai vu assez pour toute une vie, notamment quand j’étais juge d’instruction.
J’ai assisté à des autopsies de victimes de meurtre, j’ai rencontré leurs parents, j’ai tendu des boîtes de kleenex à des victimes de viols.
Le Président de la République n’a pas de leçon à donner aux magistrats sur la douleur des victimes, celle que nous nous prenons en pleine figure. La douleur brute d’une mère à qui on annonce que le corps de sa fille a été retrouvé. Celle, mêlée d’incompréhension, d’enfants dont “Papa a tué Maman”. Celle, sourde, de parents auxquels on explique, pour qu’ils l’apprennent avec précaution dans la quiétude du cabinet d’instruction plutôt qu’en recevant notification d’un rapport d’expertise ou à l’audience, combien de véhicules ont probablement roulé sur le corps de leur fils après son accident de moto. Celle, paralysante, d’une jeune fille de 17 ans traitée de pute par ceux qui l’ont violée.

Et pour moi ce qui est indécent c’est de s’approprier la douleur de ces victimes pour faire de la désinformation. Pour promettre l’intenable : “plus jamais ça”.
Je n’ai pas de boule de cristal, mais je sais que d’autres victimes seront tuées, violées, agressées. Et que ce sera d’abord la faute du meurtrier, du violeur, de l’agresseur. Pas de ceux qui n’avaient aucun moyen de prédire un passage à l’acte ou même parfois de l’empêcher.
Ou alors c’est Elizabeth Teissier qu’il faut nommer Garde des Sceaux.

Ce qui est décent et responsable, c’est de dire la vérité.
Non, le risque zéro n’existe pas. Dans n’importe quelle société humaine, il y a des crimes.
Non, les magistrats, les policiers, les conseillers d’insertion et de probation ne considèrent pas la récidive comme une fatalité. Ils luttent chaque jour pour la prévenir, avec les moyens matériels et juridiques qu’on veut bien leur donner.
Non, les magistrats ne sont ni irresponsables ni intouchables. Ils répondent de leurs fautes. Mais seulement de leurs fautes,

Je n’ai pas de boule de cristal.
Là, j’ai juste les boules.

Notes

[1] les prénoms des mineurs sont modifiés

vendredi 17 décembre 2010

Les leçons données à la France par l'Europe

Dominique Coujard, magistrat, ancien président de la cour d’assises de Paris de 2000 à 2009 qui n’a laissé que des regrets en partant pour Rouen, a écrit une tribune libre destinée à être publiée dans Le Monde. Hélas, la grève du syndicat du Livre a fait que ce numéro n’a jamais été distribué.

Avec l’accord de l’auteur, je reproduis ici cette tribune écrite par un magistrat de qualité, excellent connaisseur de la procédure pénale. Car au-delà des réticences face au changement et de l’incompréhension que les bouleversements actuels peuvent provoquer, la controverse sur la garde à vue n’est pas une guerre entre les avocats, les magistrats et les policiers. C’est une avancée des droits de la défense, qui sont des droits de l’homme. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

Et puis c’est la moindre des choses que j’invite à mon tour un président à l’heure du déjeuner.


L’arrêt Moulin, rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 23 novembre, vient de donner un coup d’arrêt spectaculaire à une dérive procédurale française qui allait s’accélérant depuis quelques années.

Notre paysage judiciaire était, jusque dans les années 1980, dominé par deux figures tutélaires : le juge et le procureur. Les avocats, considérés comme des gêneurs étaient réduits au rôle d’utilité.

Est-ce dû au besoin grandissant de sécurité de nos concitoyens ? Cet équilibre entre les juges et les procureurs s’est déplacé, au fil du temps vers un nouvel équilibre entre les procureurs et la police.

Le phénomène fut tel que de nombreuses missions jusque-là dévolues aux juges, ont été confiées aux procureurs de la République et à leurs substituts. Ces derniers se virent confier un attribut nouveau : celui de prononcer des peines, et non plus seulement de les requérir.

Non pas toutes les peines, mais certaines, avec l’accord des bénéficiaires. Outre l’instauration de la procédure de composition pénale, de médiation pénale, du plaider coupable à la française, ils se virent également confier des pouvoirs accrus dans les enquêtes préliminaires, et la suppression, apparemment abandonnée, du juge d’instruction en est la plus spectaculaire illustration.

L’argument avancé pour justifier le fait que les magistrats du parquet fassent une grande partie du travail des juges, était que les uns comme les autres étaient des magistrats.

Le Conseil constitutionnel, lui-même a apporté son onction à cette idée puisque dans une décision du 11 août 1993, reprise régulièrement depuis, il affirma que "l’autorité judiciaire qui, en vertu de l’article 66 de la Constitution, assure le respect de la liberté individuelle, comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet".

Autrement dit : pourquoi ne pas confier aux procureurs certaines des missions des juges dès lors que les uns comme les autres sont magistrats, gardiens de la liberté individuelle ? A force de recours devant la plus haute juridiction européenne, Strasbourg a fini par mettre les points sur les I.

On sait que depuis l’arrêt Medvedyev du 29 mars 2010, les magistrats du parquet français ne satisfont pas aux standards européens permettant à l’Europe de les considérer comme tels. La notion de magistrat, elle-même, est devenue un concept prétorien, c’est-à-dire défini par les juges, et non par la loi, comme on pouvait jusque-là le penser.

L’arrêt Moulin, qui vient d’être rendu fin novembre est plus précis encore, puisqu’il affirme que "l’indépendance compte au même titre que l’impartialité parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de magistrat au sens de l’article 5 § 3…", lequel concerne, notamment, la garde à vue.

Ainsi donc, la CEDH nous dit-elle que même si on devait décider de le rendre indépendant, le procureur, qui a fonctionnellement la charge de la poursuite, ne pourra jamais être ce magistrat impartial qu’elle exige pour contrôler les atteintes aux libertés.

Jusque-là, certains avaient pu croire qu’il suffirait de donner leur indépendance aux magistrats du parquet pour lever la contradiction. Ils devront changer d’avis.
Deux conséquences majeures doivent être tirées de cette jurisprudence européenne. La première, c’est qu’en France, le seul garant de la liberté individuelle, c’est le juge. On s’en doutait, mais cela va mieux en le disant.

La seconde est que cette fameuse décision du Conseil constitutionnel du 11 août 1993, évidemment incompatible avec la jurisprudence Moulin, est obsolète.

LE COUPLE POLICE-PARQUET

On objectera que les normes conventionnelles ne s’imposent pas hiérarchiquement aux normes constitutionnelles. C’est exact, mais imagine-t-on le Conseil constitutionnel soutenir longtemps encore que le parquet, comme le siège, assure le respect de la liberté individuelle, au risque d’être désavoué à l’occasion du moindre recours devant la CEDH ? Ni magistrat amphibie, ni chauve-souris de l’ordre judiciaire tenant à la fois du rat et de l’oiseau, du juge et du soldat, pour paraphraser Victor Hugo, le magistrat du parquet ne perdra rien à être pleinement le défenseur de l’intérêt général. C’est, depuis toujours, sa noble mission. C’est d’ailleurs le sens du mot avocat général, synonyme de procureur devant les cours d’assises.

Liberté individuelle, d’un côté, intérêt général, de l’autre, il fallait bien qu’un jour ces deux exigences qui s’affrontent si souvent dans l’espace judiciaire, soient représentées par des acteurs distincts, bien identifiés par les justiciables. Ce jour semble venu.

Au-delà de l’affirmation que, seul, le juge garantit la liberté individuelle, quelles leçons devons-nous tirer de ces deux arrêts pour les réformes à venir ? Que le rééquilibrage de la procédure pénale est indispensable et urgent, et qu’il ne peut être réalisé qu’en redonnant sa place à un juge réellement indépendant au milieu d’un dispositif où la défense constitue un réel contrepoids à ce que le Pr Delmas-Marty appelle le couple police-parquet.

Que le temps n’est pas encore venu où l’exigence de sécurité fera oublier l’aspiration à la liberté.

Dominique Coujard

dimanche 12 décembre 2010

Tu in mulieribus



par Sub lege libertas


Lucy n'a pas deux fois dix-huit ans, ni même une fois. Lucy est pourtant deux fois mère, déjà. Mère ? Lucy aimerait se dire telle, mais Lucy ne se dit rien de bon de sa vie, ni d'elle. Lucy se dit qu'à douze ans, elle devint femme sous le toit de sa mère qui l'hébergeait, elle et les vingt ans passés de Bruno qui la fit femme et mère en un soir, enfin neuf mois plus tard. Sa mère était contente d'avoir un nouvel enfant, sa petite-fille comme elle ne l'appelait pas.

Lucy crut qu'elle serait à treize ans mieux la mère de sa fille, si elle quittait la sienne et Bruno. Lucy crut qu'elle serait à treize ans mieux la mère de son enfant, quand elle suivit Joris et ses vingt-cinq ans de désoeuvrement embrumé de cannabis et de houblon, les jours où le malt faisait défaut, moins souvent que le lait maternisé. Lucy offrait son sein aux coups de Joris, et sa fille finit par en recevoir d'elle et de lui. Lucy devait « la crier » comme le disait Joris, qui lui reprochait de ne pas savoir l'élever, cette fille qui mange salement à deux ans, cette fille qui crie indistinctement à deux ans, cette fille qui ne marche pas à deux ans.

Lucy avait beau pincer, fesser, frapper, rien n'y faisait, elle n'était pas obéie. Lucy crut Joris ; elle était une mauvaise mère, elle pinça, fessa, frappa, plus fort comme lui faisait. Lucy crut sa mère ; elle était une mauvaise mère, elle pinçait, fessait, frappait, trop fort comme elle le lui reprochait. Lucy se brouilla avec Joris qui la renvoya chez sa mère. Lucy se brouilla avec sa mère qui l'envoya au commissariat de police.

Lucy se dit qu'à seize ans, elle devint adolescente sous le toit d'un foyer qui la recueillit, elle sans sa fille qui, placée chez une nourrice, évita l'emprise des bras trop intéressés de sa grand-mère, soudain si prompte à dénoncer les coups subis, espérant le retour de l'enfant en son giron. Lucy, vierge d'enfance, se prend à rêver de jeunesse, d'amour. Aimée de Johann, elle croit que le fruit nouveau de ses entrailles sera la bénédiction de sa vie neuve de grande fille arrivant à l'âge adulte, à l'âge de devenir mère, non seulement de l'être.

Lucy n'a pas deux fois dix-huit ans, ni même une fois. Mineure, Lucy est donc devant le tribunal pour enfants. Enfant, Lucy aimerait se dire tel simplement, mais Lucy doit aussi se dire mère, cette mère poursuivie pour violences volontaires sur mineure de quinze ans par ascendant. Lucy aimerait sans doute comprendre ce qu'on lui reproche, mais Lucy, enfant-mère à treize ans, n'a pas su retenir ses leçons d'écriture et ne lit qu'à peine. Lucy quitta la salle de sa classe primaire pour celle de travail de la maternité.

Lucy sent bien qu'elle devrait dire des choses. D'autres choses ou les choses autrement. Peut-être, le sent-elle. Mais le sens des mots du tribunal lui reste obscur ou incertain, angoissant même : violence, volonté, intention, discernement, obligation, affection... Le juge, ses assesseurs, le procureur, les avocats questionnent, reformulent les questions ; Lucy ne leur répond qu'avec son absence de mot et l'ignorance des leurs.

Coupable, fallait-il dire que tu l'étais, Lucy ? Alors je me pris à rêver à haute voix, cela s'appelle requérir, qu'il conviendrait au bien de la justice de te reconnaître mineure incapable de discernement. Nul trouble psychique ou neuropsychique n'altérait ou n'abolissait ton discernement : non, ton enfance simplement. Pour te rendre juridiquement cette enfance à laquelle tu n'as pas eu droit, point même d'avertissement solennel. Te laisser irresponsable, Lucy, toi cette enfant, si peu mère, trop peu fille, si peu bénie entre toutes les femmes. Cette grâce, juridique, te fut même refusée. Te voilà avertie entre toutes les femmes.

samedi 4 septembre 2010

Le simplisme est-il soluble dans la démagogie ?

Par Gascogne


Bon, je sais, vous allez me dire qu’en posant la question, j’y réponds déjà. Et puis vous commencez à me connaître, je ne peux pas m’empêcher de tirer sur mes cibles préférées, notamment certains syndicats de police. Ceci étant, des fois, c’est presque trop facile

Et vous savez aussi que sur ce blog, nous préférons la pédagogie à la démagogie. Alors quelques éléments à titre préliminaire :

✔ la détention provisoire en France est un outil de politique pénale dont l’institution judiciaire n’arrive pas à réellement fléchir l’utilisation. Pour vous en convaincre, lisez le trés instructif rapport 2007 de la Commission de suivi de la détention provisoire, instituée par la loi du 15 juin 2000, et particulièrement ce passage des conclusions du rapport :

Enfin, les nombres de prévenus dans les établissements pénitentiaires doivent être considérés avec précaution, comme il a été indiqué. La baisse marquée du ratio prévenus/détenus, qui passe de 52% en 1984 à 30,7% au 1er janvier 2007, doit se lire surtout comme traduisant la forte augmentation de détenus condamnés. Quant aux flux d’entrée en détention, elle traduit, s’agissant des entrées de prévenus, la baisse des prévenus faisant l’objet d’une instruction.

Il signifie que si, en pourcentage, le nombre de détentions provisoires semble diminuer, ce n’est que parce que le nombre de condamnés à de l’emprisonnement ferme augmente d’année en année, notamment du fait du nombre toujours plus important de poursuites. Et les dernières lois de procédure pénale, comme celle du 10 août 2007 sur les peines planchers, ne vont rien faire pour arranger la tendance (c’est d’ailleurs le but assumé). Rajoutez à cela que la moyenne du temps passé en détention provisoire augmente sensiblement, et vous aurez une vision claire de la justice prétendument laxiste que d’aucuns se plaisent à dépeindre.

Le législateur tente pourtant de limiter au maximum la détention provisoire. La dernière loi en date, celle du 29 novembre 2009, est venu modifier l’article 137 du Code de Procédure Pénale :

Toute personne mise en examen, présumée innocente, demeure libre.

Toutefois, en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté, elle peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire ou, si celles-ci se révèlent insuffisantes, être assignée à résidence avec surveillance électronique.

A titre exceptionnel, si les obligations du contrôle judiciaire ou de l’assignation à résidence avec surveillance électronique ne permettent pas d’atteindre ces objectifs, elle peut être placée en détention provisoire.

Cela signifie que lorsqu’une personne est mise en examen par un juge d’instruction, elle doit normalement être laissée libre. Si pour les nécessités de l’enquête, des mesures coercitives doivent être prises, elle peut alors être placée sous contrôle judiciaire. Si cette mesure contraignante n’est pas suffisante, elle peut alors faire l’objet d’une assignation à résidence sous surveillance électronique (c’est l’ajout de la loi). Enfin, et en dernier ressort, si les trois premières solutions ne sont pas satisfaisantes, la détention provisoire peut être envisagée, sous réserve de la réunion des critères de l’article 144 du CPP.

Bref, le législateur (actuel notamment) veut que la détention provisoire soit évitée à tout prix, et ne soit utilisée que dans les cas les plus graves.

Et bien évidemment, si le juge des libertés et de la détention (notez l’ordre des mots voulu par la représentation nationale) a un doute sur la participation de la personne qui lui est déférée aux faits qui lui ont valu une mise en examen, il va hésiter à plus forte raison à prononcer une détention dont on sait qu’elle est lourde de conséquences. L’opinion publique y a été particulièrement sensibilisée via Outreau.

✔ Deuxième point de droit, tout aussi simple que le premier. Tous les citoyens sont égaux devant la loi. Cela signifie que le droit s’applique de la même manière à chacun d’entre nous, quel que soit son statut social, ou son origine, qu’il s’appelle Eric, Brice, Monsif ou Lies. Dés lors, la présomption d’innocence s’applique à tout justiciable, qu’il soit Ministre de la République ou habitant d’une banlieue difficile.

Bref, vous comprendrez que les déclarations des syndicats de police et du Ministre de l’intérieur, ainsi d’ailleurs que du président de la République, suite à la libération sous contrôle judiciaire d’un mis en examen dans l’affaire dite du “casino d’Uriage”, ont fait tiquer le juriste que je suis (oui, je manie la litote à merveille).

D’une part, sur le fond du dossier, j’ai cru comprendre que notre “présumé braqueur” comme disent les journalistes, niait les faits, ce qui en soit est assez fréquent, mais surtout avait un alibi et deux témoins à décharge, ce qui déjà l’est beaucoup moins.

Ensuite, je rappellerai à Monsieur le Ministre ainsi qu’aux syndicalistes avertis de la police nationale que la critique publique d’une décision de justice est une infraction pénale. Je sais, j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, mais que voulez vous, la pédagogie suppose la répétition. Surtout avec les élèves les plus lents.

Et lorsque je lis le communiqué du ministère de l’intérieur, je dois avouer un certain étonnement :

Cette affaire démontre une nouvelle fois que certes, la protection de nos concitoyens doit passer par l’action déterminée et très professionnelle de la police et de la gendarmerie, mais impose aussi des décisions de justice mettant effectivement les délinquants hors d’état de nuire

Le travail de l’institution judiciaire, pour Brice Hortefeux, consisterait simplement à donner un blanc-seing à la police, et à mettre les délinquants hors d’état de nuire. En les exécutant ? Une conception bien simpliste de l’office du juge, qui doit tout de même et avant tout s’approcher le plus possible de la vérité, élément qui semble peu intéresser le Ministre. Et conception très primitive de la peine, qui ne doit pas juste “mettre hors d’état de nuire” (sans même parler du fait qu’une détention provisoire n’est pas une peine, mais là, ça devient visiblement trop technique).

Enfin, pour ce qui est des déclarations des syndicalistes policiers, je laisse la parole à Patrice Ribeiro, secrétaire général du syndicat national des officiers de police (vous savez, celui qui estimait dans son premier communiqué que ces gauchistes de juges n’étaient pas là pour “dire le droit”), qui a visiblement mal réagi en apprenant que jeter le discrédit sur une décision de justice est une infraction pénale :

J’ai l’impression de vivre sous l’Inquisition. Le magistrat est comme le Pape, infaillible? Le JLD a passé un concours à bac + 5, comme les policiers, sauf que son concours est inscrit dans la Constitution, c’est tout.

Apparemment, certains policiers ont manqué quelques années de droit…

Heureusement, la Garde des Sceaux ayant indiqué dans une tribune du Monde, en date du 30 juillet 2010 et en défense du procureur Courroye, qu’elle ne tolèrerait aucune attaque contre les magistrats, je ne doute pas de la virulence de sa riposte devant de telles agressions. Je devrais ?

samedi 21 août 2010

C'est la faute à mon père (justice fiction)

Par Dadouche et Gascogne


Tribunal de Framboisy, audience correctionnelle à juge unique du 35 mai 2013. L’huissier appelle : “Dossier 15, Rabachon Michel et Michu Jocelyne épouse Rabachon”.

Un couple s’avance à la barre. Il n’est pas très à l’aise, elle est manifestement un peu remontée. Après la vérification d’identité, la présidente entonne son couplet : “Vous comparaissez aujourd’hui tous les deux devant ce tribunal car il vous est reproché de vous être, à Framboisy, courant 2011, soustrait, sans motif légitime, à vos obligations légales, au point de compromettre la moralité de votre enfant mineur Matthieu Rabachon, en l’espèce en ne prenant pas les mesures appropriées pour lui faire respecter les obligations fixées judiciairement par le jugement du tribunal pour enfants de céans du 13 janvier 2011, infraction prévue et réprimée notamment par l’article 227-17 du Code Pénal”. Il se renfrogne, elle commence à protester. La présidente l’interrompt : “Madame, je vais d’abord rappeler les faits tels qu’ils ressortent de la procédure et des éléments transmis par le tribunal pour enfants, vous pourrez ensuite vous expliquer”.

La présidente résume le parcours judiciaire et familial de Mathieu. Tout commence par des problèmes de comportement en milieu scolaire, dès la fin de l’école primaire. Ses parents le font suivre par un psychologue, sans résultat. Le juge des enfants est finalement saisi en assistance éducative après son exclusion du collège à la suite d’insultes envers un professeur et d’absences non justifiées. Le rapport d’investigation et d’orientation éducative souligne des incohérences éducatives entre les parents, entre une certaine rigidité de la mère et un plus grand laxisme du père, qui est peu présent et “achète” sa tranquillité quand il est là en cédant facilement à ses enfants. Matthieu est intelligent et réussit plutôt scolairement quand il ne perturbe pas les cours (et quand il y va…). La situation se tend au domicile et Matthieu commence à réagir avec violence aux tentatives de sa mère de maintenir des règles. Après trois portes cassées, un canapé mis en lambeaux et une perquisition des gendarmes à la suite de vols d’autoradios commis avec des copains plus âgés, le père prend la mesure du problème et décide de “reprendre les choses en main”. Il déclare forfait quand Matthieu, avec lequel il avait une relation plutôt chaleureuse quand il ne lui refusait rien, l’insulte à la moindre frustration . Parallèlement, le juge des enfants est saisi des procédures pénales et ordonne une mesure d’aide réparation puis une mesure de liberté surveillée. Après que Matthieu a menacé sa mère et son frère avec un couteau parce qu’on lui refusait de sortir un soir, un placement est décidé dans une Maison d’Enfants à Caractère Social (MECS), qui accueille des adolescents en petit collectif. Les parents, au bord du divorce, pensent pouvoir souffler un peu . Ils ont la surprise, au bout de quelques jours, de voir Matthieu arriver pour dîner comme si de rien n’était, décrétant qu’il est hors de question qu’il reste au foyer où on prétend lui interdire de téléphoner à sa copine à minuit passé. Les parents, qui ont en mémoire les propos du juge des enfants qui leur a doctement expliqué que Matthieu a besoin d’un cadre que seuls peuvent désormais lui apporter des professionnels, appellent aussi sec le foyer, qui envoie un éducateur chercher l’ado récalcitrant. Au bout d’une dizaine de fois, le foyer n’envoie plus personne, l’Aide Sociale à l’Enfance demande au juge des enfants la mainlevée du placement et les parents commencent à trouver que les professionnels ne sont pas bien doués. Le juge des enfants résiste un peu mais doit déposer les armes quand le foyer refuse d’accueillir à nouveau le jeune, qui se montre violent avec les autres gamins accueillis, et que l’ASE fait savoir qu’elle n’a aucune structure actuellement capable d’accueillir Matthieu.

Retour chez Papa-Maman, qui se braquent contre les éducateurs et le juge des enfants “qui ne savent pas mieux y faire qu’eux”. Matthieu sort quand à lui renforcé de cet intermède et nargue ses parents à chaque occasion, particulièrement le jour où son père, à bout, est sur le point de le frapper et où la prunelle de ses yeux le menace d’aller porter plainte à la gendarmerie. Les parents baissent les bras et se contentent de tout faire pour éviter que le jeune tyran ne s’énerve. Jusqu’à son interpellation au petit matin, au volant d’une voiture volée. Matthieu est déféré devant le juge des enfants, qui souhaiterait le placer en Centre Educatif Fermé (CEF). Matthieu a en effet 15 ans et demi et n’a fait l’objet de poursuites “que” dans trois affaires (les autres procédure dans lesquelles il est impliqué ne sont en effet pas encore parvenues au Parquet). Une détention n’est évidemment pas envisageable, ni juridiquement ni en opportunité, mais un cadre ferme est indispensable. Manque de chance, ou plutôt manque de place, aucun des 12 CEF contactés en urgence par les éducateurs de permanence de la Protection Judiciaire de la Jeunesse ne peut accueillir Matthieu dans l’immédiat. Peut être plus tard… En attendant, on dégotte miraculeusement une place dans un foyer de la PJJ à Ponponville[1]. Matthieu est placé sous contrôle judiciaire avec obligation de respecter le placement, sans retour chez ses parents le week-end pour l’instant. Le vendredi soir il sonne chez ses parents, qui appellent le foyer. Mais Ponponville c’est loin, c’est vendredi soir, les éducateurs ne se déplaceront pas. Les parents, qui ne voient pas comment faire rentrer de force leur Tanguy nouvelle manière dans la voiture familiale, baissent les bras et attendent la fin du week-end. Le lundi matin, l’éducateur de la PJJ qui suit Matthieu à Framboisy vient le chercher et réussit à le convaincre de monter dans la voiture. Il en sautera quasiment en marche quelques centaines de mètres plus loin. Dans le même temps, le foyer de la PJJ fait savoir que le jeune “se met en danger et met en danger les autres” (il a déjà provoqué trois bagarres en une semaine) et demande la mainlevée du placement “le jeune ne correspondant pas au projet de l’établissement”.

Retour à la case départ, et toujours pas de place en CEF. Matthieu est condamné par le Tribunal pour enfants à une peine de deux mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve, assorti d’une obligation de formation, de soins psychologiques et de respect du placement en CEF qui sera ordonné dès qu’on aura une place. Deux mois plus tard, Matthieu est toujours désœuvré (il ne s’est plus levé au bout de deux jours pour aller au stage que son père lui avait trouvé). Il a ricané quand on lui a parlé d’aller voir un psychologue, et ses parents envisagent de mettre le petit frère en internat pour le protéger. Matthieu, qui semblait avoir compris qu’il valait mieux se tenir à carreau, ne commet plus d’infraction jusqu’à un nouveau vol de voiture avec course-poursuite avec les gendarmes. Cette fois on trouve une place en CEF, où il est expédié manu militari. Il sera plus tard incarcéré après avoir fugué du CEF et commis de nouveaux faits.

C’est pour la période de quelques mois durant lesquels Matthieu était au domicile de ses parents sans respecter l’obligation de formation et soins, et qui s’est soldée par son départ effectif en CEF, que Michel et Jocelyne sont poursuivis. Les gendarmes ont en effet noté dans le PV de synthèse de cette procédure que la famille “a montré depuis des années un grand laxisme face aux dérives de leur fils, bien connu de nos services”. On lit entre les lignes que les militaires ont peu apprécié les réflexions de Michel qui lors d’une première procédure pour des dégradations sur la commune, leur avait en substance reproché de ne pas plutôt s’occuper des trois cambriolages qui venaient de se produire à côté de chez lui. Le substitut de permanence, emporté par son élan et agacé d’avoir du passer un week-end entier à gérer l’interpellation de Matthieu, décide, ne connaissant de la situation que ce que l’OPJ lui en a dit, qu’il n’y a pas de raison de ne poursuivre que le mineur et qu’il va faire application du nouveau texte qui permet de poursuivre les parents. C’est forcément de leur faute, ils sont laxistes.

La présidente interroge Jocelyne et Michel : pourquoi n’ont-ils pas sollicité une aide éducative dès que Matthieu a rencontré des difficultés de comportement en milieu scolaire ?

Jocelyne lève les yeux au ciel et se tourne vers Michel : “Vas y toi, explique…”. Et Michel, reprenant courage, commence : “Pour ce que ça sert les éducateurs…”. L’air exaspéré de Jocelyne l’arrête net. il reprend : “je pensais que les éducateurs c’était pour des cas plus graves, je ne trouvais pas que c’était bien méchant, moi aussi j’étais un peu chahuteur. Et puis les professeurs l’avaient dans le nez”. Soupir excédé de Jocelyne. Michel reprend : “C’est vrai que je ne me suis pas rendu compte au début, j’ai voulu tout faire pour mes enfants, j’ai été trop gentil et ça se retourne contre moi. On a des milliers d’euros de dommages et intérêts à payer, on a failli se séparer, et maintenant on est là.”

La présidente reprend : “Je vois dans les rapports des différents services éducatifs et dans les décisions du juge des enfants que Matthieu a souvent profité de certaines incohérences entre vous”. Jocelyne, de plus en plus agitée, prend la parole : “Les services et la juge, ils écrivent bien ce qu’ils veulent, ils n’y étaient pas. Matthieu a toujours été un enfant dur, il fallait toujours le surveiller et le punir.” Se retournant vers son mari : “c’est vrai aussi que tu ne m’as jamais beaucoup soutenue quand tu étais là”. Michel lui répond “quand je rentrais on ne pouvait jamais rien faire parce que Matthieu était puni pour quelque chose. Dès que tu étais agacée par quelque chose, c’était de sa faute”.

La présidente, qui voit la petite aiguille de l’horloge monumentale de la salle d’audience se rapprocher dangereusement du VIII et qui sait qu’il reste encore 4 dossiers, tente de recadrer le débat sur la période des faits poursuivis : “Enfin quand même, il semble qu’avant de partir au CEF, Matthieu faisait ce qu’il voulait à la maison”. Jocelyne, piquée au vif, lui répond : “Vous croyez que ça nous plaisait ? Tout ce qu’il a appris dans les foyers, c’est des insultes et des menaces. C’était invivable à la maison, j’en étais venue à avoir peur de mon fils”. Elle s’arrête net, s’effondrant en sanglots. Elle reprend : “Et une fois au CEF, vous croyez que ça a été mieux ? C’est après le CEF qu’il est parti en prison ! Et ça va encore être de notre faute, comme si la juge des enfants ne nous l’avait pas assez seriné pendant les audiences du Tribunal pour enfants”. La présidente tente plus prudemment “Mais ces difficultés ne sont pas venues en un seul jour, et les services éducatifs ont tenté de vous expliquer qu’il fallait être plus ferme”. Pour toute réponse, Jocelyne lève les yeux au ciel. Michel tente timidement “Le jour où j’ai failli lui mettre une gifle pour le calmer, il a voulu aller porter plainte ! Comment voulez vous qu’on fasse alors que même les éducateurs n’y arrivent pas ?” Jocelyne enchaîne “Dans les foyer, ils font ce qu’ils veulent ! Au début, on a joué le jeu, on les prévenait chaque fois qu’il rentrait, ils ne venaient même plus le chercher. Quand la juge nous a dit que le placement était levé, alors que devant nous elle et le Procureur lui avaient dit qu’il partirait en prison s’il fuguait, qu’est ce qu’on pouvait faire ?”.

La président, qui a été juge des enfants dans une autre vie, bafouille quelques chose sur “le manque de place dans les foyers” et, après avoir demandé à Jocelyne et Michel s’ils ont quelque chose à ajouter, donne la parole au Procureur.

Le procureur se lève, excédé par le déroulé des débats, non pas que sa collègue du siège ne les ait pas bien tenus (encore que, si on l’écoutait ne serait-ce qu’un peu lors des assemblées générales…), mais par le discours des parents :

“Madame le président, j’ai toujours quelques difficultés à entendre à l’audience des parents vous dire que, finalement, si leur enfant a fait tout et n’importe quoi, c’est nécessairement à cause des éducateurs qui ont moins bien fait leur travail qu’eux, du juge qui n’a rien compris à la souffrance de leur enfant, ou encore des institutions qui n’ont pas donné la place adéquate à leur rejeton. Que les choses soient claires dans l’esprit de M. et Mme Rabachon, si quelque chose à échoué au niveau de la prise en charge éducative de Matthieu, c’est bien d’abord vers ses parents qu’il faut se retourner.

Et je ne néglige pas, bien évidemment, les difficultés auxquelles ils ont été confrontées. Mais si leur fils a bien fait “ce qu’il voulait” en foyer, c’est d’abord parce que, à la base, il faisait ce qu’il voulait au foyer parental.

Alors qu’a bien pu tenter la société, que je représente à cette audience. Elle a d’abord limité en bons d’achat les allocations qu’ont touchées M. et Mme Rabachon lors de la rentrée scolaire de leur fils, au cas où ceux-ci auraient préféré acheter un écran plat plutôt que des cahiers et des crayons. Et comme cela n’a pas été suffisant, il a bien fallu passer au stade supérieur. Ainsi, la représentation nationale a souhaité que les parents qui n’acceptaient pas que leur rejeton soit sous contrôle de la justice, et qui n’obligeaient pas leur enfant à respecter ses obligations judiciaires, soient sanctionnés. Le député Ciotti, après avoir lutté contre l’absentéisme scolaire, a-t-il proposé à l’assemblée nationale de punir de peines allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement les parents dont les enfants ne respecteraient pas leurs obligations. Un parent ne doit-il pas en effet être responsable du comportement de sa progéniture ?

J’entends déjà les oulémas des droits de l’homme vous dire que la responsabilité pénale ne saurait être que personnelle. Et après ? La représentation nationale n’est-elle pas en droit de modifier les règles ? Il existait bien une époque où le groupe était responsable du comportement de l’un de ses membres. La répression des Hooligans nous a bien démontré que cette responsabilité collective était une bonne chose. Les parents ne peuvent dés lors qu’être pénalement responsables du comportement de leurs enfants.

Je ne reviendrai dés lors pas sur la constitution de l’infraction, et son imputabilité. Matthieu n’a en rien respecté ses obligations judiciaires, ses parents ne l’ont en rien obligé à s’y conformer, comme nous avons pu le comprendre lors de leur déposition à la barre de votre juridiction. Vous ne pourrez dés lors qu’entrer en voie de condamnation.

Je me pose cependant la question de l’implication des autres membres de la famille de Matthieu. En effet, si les parents n’ont pu le forcer à respecter ses obligations, qu’en est-il de ses grands-parents, tant paternels que maternels, habitants Framboisy ? Et que dire des oncles et des tantes, substituts paternels et maternels, qui habitent également la même ville ? Je compte sur la jurisprudence de votre juridiction pour démontrer que nous pouvons aller encore plus loin dans la responsabilité familiale.

Devrais-je d’ailleurs, peut-être dans le sens de la défense, aller jusqu’à exiger que soit mise en cause la responsabilité des services sociaux, et pourquoi pas du juge des enfants, qui n’ont su, pas plus que les parents, encadrer ce jeune délinquant ?

Je n’irai bien sûr pas jusqu’à mettre en cause la société elle-même, qui n’a pas su empêcher Matthieu de persévérer dans son parcours délinquant. Puisque je la représente, je me verrais dans l’obligation de m’accuser moi-même, ce qu’aucune convention internationale portant sur la procédure pénale n’admet.

Et puis, il faut savoir s’arrêter quelque part dans la recherche de responsabilités.

Reste à savoir quelle peine infliger à M. et Mme Rabachon, leur culpabilité ne faisant aucun doute.

Je ne vous apprends rien en affirmant que la peine que vous prononcerez se doit d’avoir un caractère pédagogique. Qu’en outre, elle doit permettre d’éviter la récidive. Qu’enfin, elle se doit de favoriser la resocialisation des condamnés. Alors quoi de mieux, leur casier ne portant trace d’aucune condamnation, qu’une peine alternative à l’emprisonnement. Et particulièrement d’un stage de parentalité, qui va enfin leur apprendre comment éduquer un enfant.

Car je reste intimement persuadé que l’échec éducationnel de ces parents pourra être compensé par deux journées de ce stage mis en place par l’État, qui leur apprendra comment éduquer un enfant. A leur frais. Enfin.

Il me semble évident qu’élever un enfant, cela s’apprend.

Et ce sera justice[2].

Notes

[1] ne cherchez pas sur Mappy, vous risquez de ne pas trouver…

[2] mais bien évidemment, les lecteurs de ce blog sont invités à délivrer leur propre verdict…

mardi 17 août 2010

De l'injustice en dictature

Par Gascogne


La Juge Afiuni en cellule

Sans séparation des pouvoirs, il n’y a pas de démocratie. C’est au moins ce que l’on retire de l’article 16 de la déclarations des droits de l’homme et du citoyen :

Article 16 - Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.

J’en déduis que le Vénézuela, dirigé par le tonitruant président Hugo Chavez, est une dictature comme en ont tant connues les pays sud-américains.

Comment définir autrement un pays où le chef de l’exécutif peut faire en toute impunité embastiller un juge qui a remis en liberté un opposant notoire au régime ? C’est en effet la triste mésaventure qui est arrivée à la juge Maria Lourdes Afiuni, qui a ordonné la libération sous surveillance d’un prévenu qui attendait son jugement depuis trois ans en détention provisoire (en conformité avec la loi, est-il besoin de le préciser). La magistrate était interpellée le 10 décembre 2009, quelques heures après sa décision, en lien semble-t-il avec les déclarations présidentielles, dans sa propre émission télévisée, où le conducator de la chaîne orientale des Andes avait insulté la juge et demandé qu’elle soit condamnée à 30 ans de prison pour corruption, semblant regretter au passage le bon temps où les pelotons d’exécution réglaient les problèmes de manière bien plus rapide.

Et qu’attendre d’un procès quelconque où le juge en charge du dossier a d’ores et déjà indiqué qu’il donnerait sa vie pour la révolution et qu’il ne serait jamais déloyal au président Chavez ? A part une condamnation à 30 ans de réclusion, bien sûr.

Humiliation suprême, la “justice” vénézuelienne a incarcéré la juge Afiuni au sein de l’établissement de son tribunal, la mettant ainsi en contact avec les détenues qu’elle avait elle-même incarcérées. Les tentatives de représaille n’ont bien sûr pas tardé. Et l’on comprend d’ailleurs dans le courrier qu’elle a réussi a faire publier sur un blog (en langue espagnole) que le Ministère Public a joué tout son rôle répressif dans cette parodie de justice. Le lien avec le pouvoir exécutif est décidément une bien mauvaise chose…

Lorsque l’on sait qu’elle avait en outre eu l’audace de prétendre créer une association de magistrats, on ne peut que comprendre l’ire du chef de l’État. Un pouvoir judiciaire indépendant, qui ne répond pas aux ordres, est proprement insupportable.

Inutile de dire que les demandes pressantes de la communauté internationale tendant à sa libération ont été à peu près autant entendues que les condamnations de la France par le comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU.

Maria Lourdes Afiuni prend aujourd’hui place, à côté de Shirin Ebadi ou de Aung San Suu Kyi, dans mon panthéon personnel des femmes qui luttent contre toutes les formes d’oppression. Même si je suis sûr qu’elle ne souhaitait qu’une chose : faire correctement son métier, en toute sérénité.

Je lui laisse la parole, ou du moins le peu qui lui en reste, en dernier :

Desde lo más profundo de mi corazón espero que este sufrimiento, este sacrificio, este acto de injusticia padecido por mi familia por mis seres queridos y mi persona no sea en vano.

Je ne peux malheureusement pas grand chose pour cette collègue, si ce n’est lui apporter tout mon soutien moral dans cette triste affaire et espérer comme elle que les épreuves qu’elle traverse ne seront pas vaines.

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