Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Iou héssé

Nous leur avons donné les French Fries, ils nous ont donné leur droit.

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mercredi 8 octobre 2014

8 mots, 35 Etats

Huit mots. Huit mots banals. C’est tout ce qu’il a fallu à la Cour Suprême des États-Unis pour que le mariage homosexuel devienne légal dans 35 États fédérés, par une décision qui a pris de court tous les observateurs et qui a des conséquences que son laconisme ne laisse pas deviner. Petites causes, grandes conséquences, c’est la devise du juriste. Voyons donc ce qui s’est passé avec son œil acéré.

Un peu de procédure

La Cour suprême a pour fonction première d’interpréter la Constitution des États-Unis, notamment sur un point fondamental : la répartition des compétences entre les États fédérés et l’État fédéral, qu’on appelle United States au sens strict. Les États-Unis sont en effet avant tout l’agglomération de 50 États, qui ont chacun leur exécutif, dirigé par un gouverneur, leur parlement, généralement bicaméral, qui vote leurs propres lois s’appliquant dans leurs frontières, et leur Cour suprême. Ils ont en se réunissant créé un gouvernement fédéral à qui ils ont délégué une part de leur souveraineté, notamment tout ce qui concerne l’international : négociation des traités, action militaire. Cette délégation est a minima : tout ce qui n’est pas expressément confié à l’État fédéral relève de l’État fédéré. Au fil des ans, cette compétence n’est allée qu’en s’élargissant. Ainsi la lutte contre le crime organisé a été confiée à la police fédérale face à l’incapacité des polices locales de résister à la corruption de la Mafia, et c’est la naissance de la police fédérale, le FBI. Le trafic de drogue lui a été confié dès qu’il concerne plus d’un Etat ou qu’il y a importation, c’est le rôle de la DEA. La lutte contre le terrorisme et le contre espionnage ont été confiés au FBI et à la NSA, tandis que la CIA s’occupe du renseignement extérieur. Enfin, dernier exemple qui a son importance ici, la lutte contre les discriminations, raciales, religieuses ou sexuelles, relèvent de l’État fédéral depuis que les États du sud ont montré leur trop peu d’enthousiasme en la matière. L’opposition Républicains / Démocrates se situe essentiellement ici : les Républicains défendent les droits des États fédérés et veulent un État fédéral réduit au minimum nécessaire, tandis que les Démocrates souhaitent un État fédéral intervenant dans des domaines de plus en plus large du fait de sa plus grande efficacité et de son traitement égalitaire. Les Républicains n’ont pas toujours été dominé pas des culs-serrés comme c’est le cas actuellement. N’oubliez pas que l’esclavage a été aboli par le premier président Républicain, Abraham Lincoln. Dans toutes les affaires qui lui sont soumises, deux questions se posent toujours : que dit la Constitution en la matière, bien sûr, mais aussi et avant tout trouve-t-elle à s’appliquer en l’espèce ? Les choses ses compliquent quand on sait que quelques années après avoir adopté la Constitution US, qui ne règle que le fonctionnement de l’État fédéral, le Congrès a adopté et obtenu la ratification d’une série d’amendements qui proclament une série de libertés fondamentales qui s’imposent ainsi aux États fédéraux. On appelle ces amendements le Bill of rights, la déclaration des droits. Vous en connaissez surement deux, le Premier, qui garantit la liberté d’expression (et la laïcité de l’État, beaucoup de gens l’ignorent) et le Second, qui garantit le droit du peuple américain de porter des armes dans le cadre d’une milice organisée, cette dernière précision ayant été curieusement oubliée. Mais il y en a bien d’autres : le 3e garantit les citoyens de ne pas être obligé à loger des militaires en temps de paix (il a des raisons historiques et ne s’invoque plus jamais), le 4e protège des fouilles et perquisitions déraisonnables (si dans les séries US, vous entendez “Vous avez un mandat ?”, c’est à cause du Quatrième) ; le 5e protège le droit à ne pas s’auto-incriminer (il n’aura fallu que 230 ans à la France pour le reconnaître à son tour), le 6e protège les droits des accusés (ce n’est pas un hasard si l’article 6 de la CEDH fait de même : c’est voulu), le 7e garantir le droit à être jugé par un jury, même au civil, et le 8e protège le droit au bail, c’est à dire à une caution raisonnable permettant d’échapper à la détention provisoire (DSK lui dit merci, à celui-ci). Le 9e exclut que cette liste soit exaustive, le 10e est celui qui limite les pouvoirs du gouvernement fédéral à ce qui lui est expressément donné.

Retenez cette règle, elle est ici déterminante.

Au début se trouve toujours un litige. Qui est soit porté devant une juridiction fédérale, parce qu’elle relève de sa compétence naturelle, soit parce qu’au cours d’un litige de droit interne, un droit garanti par la Constitution fédérale est atteint, et qu’un des plaignants estime que la cour suprême de l’État en cause a violé la Constitution fédérale. La partie ayant perdu porte son litige devant la Cour par un writ of certiorari, qui va examiner les mérites du recours. En effet, la Cour Suprême n’est tenue de juger un cas soumis par un citoyen que dans un cas : si deux cours d’appel fédérales ont statué de façons incompatibles. La Cour Suprême agit ici comme notre Cour de cassation et unifie la jurisprudence. Dans le cas où le problème de droit est nouveau, elle décide souverainement de ce qu’elle va juger.

A l’ouverture de la session, en octobre, elle publie donc la liste des affaires retenues, et de celles dont le writ of certiorari a été rejeté.

SCOTUS 2014 Edition

Cette année, les affaires les plus alléchantes sur le bureau de la Cour étaient 7 affaires venant de trois cour d’appel fédérales qui toutes avaient cassé des législations fédérées interdisant le mariage entre personnes du même sexe, en invoquant l’arrêt de juin 2013 United States v. Windsor (ceux qui me suivent sur Twitter connaissent et ont suivi avec moi en direct ce merveilleux dénouement d’une histoire d’amour comme il y en a peu), qui avait renversé le DoMA, Defence Of Marriage Act, loi votée sous Clinton qui définissait dans tous les textes fédéraux le mariage comme étant l’union d’un homme et d’une femme, avait à leur tour cassé des législations fédérés ayant le même objet ou un effet similaire. Mais l’arrêt Windsor était une victoire sans bataille, puisque personne ne défendait vraiment le DoMA, pas même ceux l’ayant voté. Il en fut de même d’une autre décision du même jour, disant n’y avoir lieu à juger le recours contre la Proposition 8, la loi référendaire californienne limitant le mariage entre personnes du même sexe, puisque personne ayant pouvoir pour ce faire n’avait introduit de recours contre la décision de la cour d’appel fédérale annulant cette loi. Autant dire qu’après avoir autant botté en touche, on se disait que ces 7 affaire arrivaient à point nommé pour la Cour pour trancher clairement. D’autant que dans ces 7 affaires, les deux parties demandaient à la Cour d’examiner l’affaire, ce qui est rare (la partie gagnante étant d’ordinaire peu enthousiaste) et assure en principe l’examen de l’affaire. En outre, la Cour Suprême avait suspendu les effets de 3 des décisions cassant les lois anti mariage gay, ce qui semblait indiquer une intention de se saisir de ces affaires.

Il sera décidément dit que la cause de l’égalité ne sera pas frustrée de victoires, mais seulement de batailles. En effet, alors qu’on s’attendait à ce qu’une ou deux affaires emblématiques voient leur writ of certiorari accordé, la Cour suprême a laconiquement mis ces 7 affaires dans la liste des affaires où “The petition for writ of certiorari are denied”. La Cour n’examinera aucune de ces affaires.

Fus Ro Dah

Vous n’imaginez pas la stupéfaction dans le Landernau juridique de Washington. Les correspondants de la presse à la Cour ont mis un certain temps à réaliser cela à la lecture de la liste des affaires actualisée, et n’y croyaient pas jusqu’à ce qu’ils se confirment leurs impressions mutuelles.

Quelles sont les conséquences de ce refus d’examiner ? Oh, elle sont simples : les trois cours d’appel fédérales (4e, 7e et 10 Circuit) sont tacitement approuvées d’avoir statué comme elles l’ont fait. Cinq États concernés par ces recours sont désormais obligés d’accorder sans tarder des licences de mariage à des couples de même sexe. Il s’agit de la Virginie, de l’Indiana, du Wisconsin, de l’Oklahoma et de l’Utah. Mais il y a plus. Ces cours d’appel fédérales ont un ressort qui couvre plusieurs États fédérés, dont certains ont des lois restreignant le mariage qui n’ont pas encore été portées devant elles. Sans aller jusqu’au procès, ces États savent désormais que leurs législations sont condamnées. Il s’agit des Caroline du Nord et du Sud, de la Virginie Occidentale, du Colorado, du Kansas, et du Wyoming, rejoignant ainsi les États des ces ressorts qui avaient déjà subi des revers et s’y étaient pliés : l’Illinois (Bonne nouvelle pour Kalinda), le Maryland (c’est Omar Little qui va être content), et le Nouveau Mexique (Breaking Gay). Sachant qu’en prime, les cours d’appel des 5e, 6e, 9e et 11e Circuits sont elles aussi saisies de recours contre de telles lois, et que la Cour Suprême vient de faire passer le message que sa position est favorable à la cassation de ces lois, le compteur ne va pas s’arrêter tout de suite, et d’ailleurs, on vient d’apprendre que la cour du 9e Circuit vient de rendre sa décision : le mariage homosexuel devient légal dans 5 nouveaux États, l’Alaska, l’Arizona, l’Idaho, le Montana, et le Nevada.

Il ne reste que 15 États ayant encore une telle interdiction, dont les cours d’appel fédérales n’ont pas encore été saisies. Mais le mouvement mis en route semble se diriger vers le grand chelem. Sous réserve qu’une cour d’appel fédérale n’interprète pas ce refus d’examiner, qui n’institue donc aucun précédent jurisprudentiel, comme une hésitation et une permission d’agir à sa guise. Auquel cas, si une décision était rendue qui valide une de ces lois, la Cour n’aurait plus d’autre choix cette fois que de se saisir.

Nous allons au-devant de temps de délicieuse incertitude. Décidément, les américains sont les rois du cliffhanger.

vendredi 1 juillet 2011

Lisons un peu nos classiques

J’ai redécouvert récemment ce passage d’une œuvre[1] que tout honnête homme se doit d’avoir lu, et qui m’a laissé un sentiment de sidération admirative, quand bien même son auteur est déjà connu et loué pour sa clairvoyance étonnante.

Je vous livre cet extrait tel quel, vous trouverez à la fin le nom de cet auteur et les références du texte, notamment sa date de rédaction.

La sagesse est intemporelle.

Ah, au fait, il y a une audience DSK demain.


« On a remarqué souvent qu’en Europe un certain mépris se découvre au milieu même des flatteries que les hommes prodiguent aux femmes : bien que l’Européen se fasse souvent l’esclave de la femme, on voit qu’il ne la croit jamais sincèrement son égale.

Aux Etats-Unis, on ne loue guère les femmes ; mais on montre chaque jour qu’on les estime.

Les Américains font voir sans cesse une pleine confiance dans la raison de leur compagne, et un respect profond pour sa liberté. Ils jugent que son esprit est aussi capable que celui de l’homme de découvrir la vérité toute nue, et son cœur assez ferme pour la suivre; et ils n’ont jamais cherché à mettre la vertu de l’un plus que celle de l’autre à l’abri des préjugés, de l’ignorance ou de la peur.

Il semble qu’en Europe, où l’on se soumet si aisément à l’empire despotique des femmes, on leur refuse cependant quelques-uns des plus grands attributs de l’espèce humaine, et qu’on les considère comme des êtres séduisants et incomplets; et ce dont on ne saurait trop s’étonner, c’est que les femmes elles-mêmes finissent par se voir sous le même jour, et qu’elles ne sont pas éloignées de considérer comme un privilège la faculté qu’on leur laisse de se montrer futiles, faibles et craintives. Les Américaines ne réclament point de semblables droits.

On dirait d’autre part qu’en fait de mœurs, nous avons accordé à l’homme une sorte d’immunité singulière; de telle sorte qu’il y ait comme une vertu à son usage et une autre à celui de sa compagne; et que, suivant l’opinion publique, le même acte puisse être simultanément un crime ou seulement une faute.

Les Américains ne connaissent point cet inique partage des devoirs et des droits. Chez eux, le séducteur est aussi déshonoré que sa victime.

Il est vrai que les Américains témoignent rarement aux femmes ces égards empressés dont on se plaît à les environner en Europe; mais ils montrent toujours, par leur conduite, qu’ils les supposent vertueuses et délicates; et ils ont un si grand respect pour leur liberté morale qu’en leur présence, chacun veille avec soin sur ses discours, de peur qu’elles ne soient forcées d’entendre un langage qui les blesse. En Amérique, une jeune fille entreprend seule et sans crainte un long voyage.

Les législateurs des Etats-Unis, qui ont adouci presque toutes les dispositions du code pénal, punissent de mort le viol; et il n’est point de crime que l’opinion publique poursuive avec une ardeur plus inexorable. Cela s’explique: comme les Américains ne conçoivent rien de plus précieux que l’honneur de la femme, et rien de plus respectable son indépendance, ils estiment qu’il n’y a pas de châtiment trop sévère pour ceux qui les lui enlèvent malgré elle.

En France, où le même crime est frappé de peines beaucoup plus douces, il est souvent difficile de trouver un jury qui condamne. Serait-ce mépris de la pudeur, ou mépris de la femme? Je ne puis m’empêcher de penser que c’est l’un et l’autre…

Les Américains, qui ont laissé subsister dans la société l’infériorité de la femme, l’ont donc élevée de tout leur pouvoir, dans le monde intellectuel et moral, au niveau de l’homme, et en ceci ils me paraissent avoir admirablement compris la notion du progrès démocratique. »

Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Vol. 2, chap. XII, “Comment les Américains comprennent l’égalité de l’homme et de la femme”, 1840.

Notes

[1] Citée par jean-Claude Casanova dans la revue Commentaire, n°134.

dimanche 4 octobre 2009

Justice à Vegas

Arte est en train de diffuser une série de documentaires réalisée par Rémy Burkel et produite par Denis Poncet, qui s’est déjà illustré en produisant des documentaires consacrés à la justice américaine (Soupçons, Un Coupable Idéal), intitulée Justice à Vegas.

Arte permet de les revisionner sur internet, avec des images d’une excellente qualité. À voir absolument en VO sous titrée, la version doublée (je ne suis même pas sûr qu’elle soit disponible en ligne) étant franchement ratée.

Je vous conseille de visionner au préalable l’entretien avec Denis Poncet et Rémy Burkel qui expliquent les conditions de tournage et les principes essentiels du procès.

L’affaire de cette semaine est très dure : meurtre et tentative de meurtre, sur des enfants de 3 et 10 ans, par un jeune homme de 19 ans et sa sœur mineure. C’est une affaire où la peine de mort est susceptible d’être prononcée ; je vous laisse découvrir si elle sera requise et le cas échéant, votée.

On voit les audiences, mais aussi, ce qui me chiffonne et me réjouit, les entretiens préparatoires de la défense avec leur cliente (le documentaire suit surtout la sœur mineure, défendue par les special defendants du Comté, les avocats commis d’office, les avocats choisis du frère ayant refusé que leur client s’exprime).

C’est du réel, certes mis en scène par les documentaristes qui se sont largement inspirés des séries américaines, et vous verrez, on est vite hameçonné. Je rends hommage au travail de mes confrères névadais.

C’est deux fois 52 minutes, mais de toutes façons, il n’y a rien de bien à la télé ce soir.

Prochain épisode samedi prochain, l’intégralité peut être achetée sur iTunes ou en DVD qui sort le 7 octobre.

vendredi 14 août 2009

Hora­tio Caine va-t-il deve­nir un per­son­nage de la série Cold Case ?

Question angoissante : quitter la chaleur tropicale de la Floride pour les frimas de Philadelphie lui feraient courir le risque du choc thermique (outre le fait qu’il n’aurait plus guère de raisons de tripoter ses lunettes), et le changement de méthode de travail (abandonner la preuve scientifique pour aller accuser du crime tous les survivants de l’époque jusqu’à ce que l’un d’entre eux passent aux aveux), à son âge, est un traumatisme.

On comprend donc que ce soit la Cour Suprême des États-Unis qui ait eu à trancher la question.

Pourquoi un tel transfert est-il envisagé ? À cause de ce diable d’Acide Désoxyribo-Nucléique, l’ADN. Pour tout savoir sur cet assemblage de molécules, la piqûre de rappel est ici. Pour les fainéants, voici la version courte.

L’ADN a révolutionné les enquêtes policières en permettant une nouvelle méthode d’identification des suspects. Si une goute de sang, un cheveu ou du sperme est retrouvé sur une scène de crime, l’ADN permet de dire avec une quasi-certitude que l’échantillon témoin correspond à telle personne dont on a l’ADN, et surtout de dire avec une certitude absolue s’il ne lui correspond pas. Si le positif s’exprime toujours en probabilité (de l’ordre de 1 sur plusieurs dizaines de milliards, soit plus que la population terrestre…), le négatif est une certitude absolue. Si une signature moléculaire précise (un allèle) figure sur un échantillon mais pas sur l’autre, il est rigoureusement impossible que les deux échantillons proviennent de la même personne.

Mais cette technique n’est au point que depuis une dizaine d’années environ (outre qu’elle coûte cher à mettre en œuvre, plusieurs milliers d’euros par test). Des tests ADN plus rudimentaires existaient auparavant, mais avec des probabilités d’erreur bien plus élevées, comme vous allez voir.

Enfin, son utilité, surtout en matière de viols où le sperme de l’auteur a été retrouvé et conservé, est évidente.

À tel point qu’aux États-Unis, nombre de condamnés ont souhaité bénéficier de tels tests a posteriori afin d’obtenir le révision de leur condamnation. Comment les en blâmer : 240 prisonniers ont ainsi été innocentés.

Parmi ces candidats au test, William Osborne, pensionnaire du système pénitentiaire de l’Alaska.

Le 22 mars 1993, Williaw Osborne et un de ses amis ont sollicité les services d’une prostituée d’Anchorage. Après une prompte négociation, la prestation est arrêtée ainsi que son prix : 100 dollars pour une procédure orale sur les deux messieurs. La prestataire de service monte dans leur voiture, et pour jouir en paix de la tranquillité de la nature, ils se rendent de conserve à Earthquake Park, ainsi baptisé en souvenir du terrible tremblement de terre du 27 mars 1964, le second plus fort tremblement de terre jamais enregistré (magnitude 9,2, soit 2,8 millions de fois Nagasaki ; ça méritait bien un parc).

Là, l’affaire tourne très mal. La prostituée demande à être payée d’avance. Aussitôt, l’un des hommes sort une arme de poing et sous la menace, l’obligent à avoir une relation orale avec l’un d’eux et vaginale avec l’autre, utilisant un préservatif de la prostituée. Une fois leur affaire terminée, ils disent à la prostituée de s’allonger sur le ventre dans la neige. Refus de la prostituée, craignant pour sa vie. Furieux, les deux hommes vont l’étrangler et la frapper avec la crosse de l’arme. Elle tentera de prendre la fuite mais sera rattrapée, battue avec un manche de pioche (de hache, en fait) et finalement, l’un des hommes lui tirera une balle dans la tête. Ils la laisseront pour morte, après l’avoir recouverte de neige à la hâte, et partiront.

Heureusement, l’ange gardien de la prostituée a fini par se réveiller : la balle n’a fait qu’effleurer sa tête. Elle a pu se relever, rejoindre la route et arrêter une voiture. La police arrivera très vite sur les lieux et retrouvera une douille, le manche de pioche, et le préservatif.

Quelques jours plus tard, lors d’une verbalisation banale pour usage intempestif des feux de route, un policier va arrêter et contrôler le véhicule de Dexter jackson. À l’intérieur, la police va découvrir un pistolet correspondant au calibre utilisé lors de l’agression de la prostituée, et divers objets personnels appartenant à celle-ci. La voiture correspond à la description faite par la victime. Très vite, Dexter Jackson va avouer être le conducteur lors de l’agression, et donnera le nom du coauteur : William Osborne, un militaire. L’enquête va retrouver des témoins affirmant avoir vu Osborne et Jackson monter ensemble dans la voiture peu avant le crime. Une perquisition au logement d’Osborne va permettre de trouver un manche de pioche identique à celui laissé sur les lieux du crime. La victime l’identifiera formellement au procès. Enfin, un test ADN va être effectué sur le sperme retrouvé dans le préservatif, selon une méthode dite DQ Alpha, méthode rudimentaire qui ne permettait pas une certitude très élevée (On peut dire que c’est une méthode traître génétique). Et de fait, le test sera positif, mais en retenant des caractéristiques communes à 16% des Noirs américains, dont Osborne fait partie. Enfin, des poils pubiens retrouvés n’ont pas permis de test DQ Alpha, mais l’examen microscopique concluait qu’ils correspondaient à ceux d’Osborne.

Sur ces preuves, Osborne, qui niait sa participation aux faits, a été reconnu coupable, mais tenez-vous bien : d’enlèvement, violences et agression sexuelle. Il a été acquitté pour la tentative de meurtre (oui, malgré le tir d’une balle dans la tête) et n’a même pas été poursuivi pour viol, la victime étant prostituée, Ah, le rude charme de l’Alaska, ou le droit de porter une arme est mieux protégé que le droit d’une prostituée de dire non.

Osborne a été condamné à 26 ans de prison.

Très vite après sa condamnation, il va faire appel et demander à bénéficier d’un nouveau test plus performant. Il va faire procéduralement des pieds et des mains pour obtenir la révision de son procès. Ses requêtes seront rejetées, car la cour d’appel d’Alaska estimera que le choix de son avocate de ne pas demander de tests plus précis lors du procès était un choix tactique de la défense (l’avocate pensait son client coupable et préférait plaider le doute avec une marge d’erreur de 16% plutôt que de se tirer une balle dans le pied en obtenant des résultats positifs plus fiables), et retiendra qu’Osborne a reconnu les faits devant le tribunal d’application des peines pour demander une libération conditionnelle, or mentir devant ce tribunal est un crime. Il ne peut invoquer sa propre turpitude.

Osborne ayant perdu en droit alaskain, il va donc jouer la carte fédérale : il va alléguer avoir un droit constitutionnel à l’accès à la contre-expertise génétique à ses frais, en raison du Due Process Clause, ce que nous appelons en droit européen le droit à un procès équitable. Le juge fédéral de première instance rejettera sa demande pour des motifs techniques : il estimera que sa demande relève de la procédure d’ habeas corpus puisqu’il prétend être détenu à tort. La cour d’appel fédérale va casser cette décision en estimant que le due process est le fondement correct de cetet action, sans trancher sur son bien fondé et va renvoyer devant le juge fédéral. Le juge va donc statuer à nouveau et va estimer qu’eu égard aux circonstances, il existe un droti constitutionnel limité pour fonder une demande de nouveau test[1]. La cour d’appel va confirmer cette décision, en estimant que le droit constitutionnel d’accès aux preuves, qui ne fait plus débat depuis longtemps (depuis Brady v. Maryland, 373 U. S. 83 (1963) exactement) s’applique également à l’accès post-condamnation, en vue d’une procédure de révision. C’était là une nouveauté qui a fait bondir le procureur fédéral sur le gros bouton rouge caché dans un tiroir de son bureau : le recours devant la cour suprême.

Et bien lui en a pris car la Cour suprême va casser cette décision (District Attorney’s Office for Third Judicial Dist. v. Osborne, 557 U. S. ____ (2009)”, pdf).

Il n’y a pas de droit constitutionnel à l’accès au test ADN dans un cadre post-condamnation, dit en substance la Cour. La Constitution protège les droits de toute personne accusée d’un crime. Pas condamnée pour un crime.

Entendons bien la Cour, dont l’opinion majoritaire est co-signée par les originalistes[2] de la cour ce qui ne surprendra personne. Elle ne dit pas qu’il est interdit à un condamné d’avoir accès à ces preuves. Au contraire, elle en rappelle l’efficacité en notant que 240 personnes ont ainsi été innocentées après avoir été condamnées. Elle dit que ce droit relève de la compétence du législateur des États fédérés, qui seul peut fixer les modalités et conditions d’exercice de ce droit. La cour relève d’ailleurs innocemment que 47 des 50 États ont d’ores et déjà adopté une telle législation, façon de pointer du doigt le législateur alaskain qui est en retard sur la question (mais comment lui en vouloir si ses électeurs considèrent qu’on ne peut violer une prostituée et que lui tirer une balle dans la tête avant de la recouvrir de neige n’est pas une tentative de meurtre…).

La Constitution ne doit pas tout faire à la place du législateur, quelque regrettable que soit sa carence.

Horatio Caine va donc continuer à s’occuper de cadavres encore chauds sous le soleil orange de Miami, laissant l’anoréxique Lilly Rush à ses hallucinations.

Et Osborne ? Libéré en conditionnelle en 2007, il a été arrêté peu de temps après pour avoir commis un délit pendant cette mesure et est à nouveau incarcéré. La libération conditionnelle est en cours de révocation. Il doit avoir ça dans le sang.

Prochain épisode : peut-on laisser les Blancs du Sud rédiger le Code électoral ?

Notes

[1] “there does exist, under the unique and specific facts presented, a very limited constitutional right to the testing sought.”Les italiques sont d’origine.

[2] Doctrine juridique voulant que la Constitution ne s’interprète qu’en référence à ce qu’ont voulu ses rédacteurs.

vendredi 7 août 2009

Sonia Sotomayor confirmée par le Sénat

C’est fait. Par 68 voix con­tre 31[1] (Majo­rité = 51 voix). Le séna­teur John McCain, rival mal­heu­reux du pré­si­dent Obama lors des der­niè­res élec­tions, a voté con­tre.

Sonia Soto­mayor devient donc le troi­sième Jus­tice femme et le pre­mier d’ori­gine his­pa­ni­que. Elle pren­dra ses fonc­tions offi­ciel­le­ment demain 8 août.

Let’s hope that this wise latina woman will help these white men to reach bet­ter con­clu­sions.

Notes

[1] Mes lec­teurs auront noté que le total est de 99 alors que le nom­bre de séna­teurs est de 100. Ted Ken­nedy, séna­teur du Mas­sa­chu­setts, n’a pu pren­dre part au vote pour des rai­sons de santé. Il n’y a pas qu’en ex-URSS que seule la mort fait lâcher son siège.

jeudi 6 août 2009

Horatio Caine va-t-il devoir s'acheter une cravate ?

Et la réponse est oui, car il va devoir aller témoi­gner au tri­bu­nal, nous dit la Cour Suprême dans un arrêt qui est comme un coup de ton­nerre dans un ciel bleu pour les experts scien­ti­fi­ques prê­tant leur con­cours à une enquête cri­mi­nelle.

Le sys­tème pénal anglo-saxon repose sur deux prin­ci­pes essen­tiels, qui sont inter­dé­pen­dants : sup­pri­mez-en un et tout l’édi­fice s’écroule.

Pre­mier prin­cipe : tout accusé, même d’un délit mineur, a le droit d’être con­fronté à son accu­sa­teur. C’est la Con­fron­ta­tion Clause, le Sixième Amen­de­ment à la Cons­ti­tu­tion des États-Unis.

Dans tou­tes pour­sui­tes cri­mi­nel­les, l’accusé aura le droit d’être jugé promp­te­ment et publi­que­ment par un jury impar­tial de l’État et du dis­trict où le crime aura été com­mis — le dis­trict ayant été préa­la­ble­ment déli­mité par la loi —, d’être ins­truit de la nature et de la cause de l’accu­sa­tion, d’être con­fronté avec les témoins à charge, de dis­po­ser de moyens légaux pour con­train­dre la com­pa­ru­tion des témoins à décharge, et d’être assisté d’un con­seil pour sa défense.

Ce Sixième amen­de­ment rap­pel­lera aux juris­tes l’arti­cle 6 de la Con­ven­tion euro­péenne des droits de l’homme. La dif­fé­rence est que l’arti­cle 6 a été adopté en 1950, et le Sixième Amen­de­ment en 1791.

On vous accuse d’avoir grillé un feu rouge en état d’ivresse ? Si vous allez au pro­cès (ce “si” est l’expres­sion du deuxième prin­cipe ci-des­sous), le poli­cier qui vous a ver­ba­lisé vien­dra au tri­bu­nal dépo­ser sous ser­ment que oui, il vous a vu griller le feu rouge, et que quand il vous a demandé si vous aviez bu, vous lui avez répondu : “Non, je vous jure, chuis pas bourr­glbl…” avant de lui vomir sur le pan­ta­lon. Et votre avo­cat aura le droit de le con­tre-inter­ro­ger pour ten­ter de démon­trer que ce témoi­gnage n’est pas pro­bant (Par exem­ple, de l’endroit où il était, le poli­cier pou­vait-il voir la cou­leur du feu ?) Et si le poli­cier (ou tout autre témoin) ne vient pas à l’audience, vous serez acquitté (d’où tous ces films et séries sur les témoins que la police cache et pro­tège et que le méchant cri­mi­nel cher­che à faire assas­si­ner par tous les moyens).

Le deuxième prin­cipe est le plea bar­gai­ning. Le pro­cès pénal com­mence par une audience pré­li­mi­naire (Pre­li­mi­nary hea­ring) où le juge vous deman­dera ce que vous plai­dez (What is your plea ?). Si vous plai­dez cou­pa­ble (guilty plea), le juge fixera direc­te­ment une audience de pro­noncé de peine. Si vous plai­dez non cou­pa­ble (not guilty), vous deman­dez à être con­fronté à vos accu­sa­teurs. Le juge sta­tuera alors sur votre sort : pla­ce­ment en déten­tion ou en liberté sous cau­tion (bail). Le sys­tème pénal amé­ri­cain ne pour­rait pas faire face à tous les pro­cès. La très grande majo­rité des cas sont réglés en amont par une négo­cia­tion : le par­quet mon­tre à votre avo­cat les preu­ves qu’il a réu­nies, et lui pro­pose une peine (voire une qua­li­fi­ca­tion) moin­dre. Si vous l’accep­tez, vous plai­dez cou­pa­ble et il n’y a pas d’audience sur la cul­pa­bi­lité, uni­que­ment sur la peine. Car les pei­nes pro­non­cées en audience sont par­ti­cu­liè­re­ment sévè­res : la pri­son ferme est fré­quente et le sur­sis inconnu (les États-Unis ont plus recours à la libé­ra­tion con­di­tion­nelle, appe­lée parole). Notons qu’il existe dans cer­tains endroit un troi­sième plea, le nolo con­ten­dere, ou no con­test, mais il est rare et com­pli­qué dans ses effets. Res­tons-en à la dicho­to­mie cou­pa­ble/non cou­pa­ble.

Par exem­ple, vous avez télé­chargé de la musi­que illé­ga­le­ment. C’est un délit fédé­ral, prévu par le code pénal amé­ri­cain, c’est à dire le titre 18 du Code des États-Unis (USC), sec­tion 2319, noté 18 U.S.C. §2319. Vous avez mis ces mor­ceaux à dis­po­si­tion (cir­cons­tance aggra­vante) par un acte de télé­char­ge­ment (uploa­ding), cir­cons­tance aggra­vante. Vous ris­quez une peine de 10 à 16 mois de pri­son. Le pro­cu­reur vous pro­pose d’oublier l‘upload (réduc­tion à 6-12 mois) et une peine de 3 à 6 mois, c’est à dire le mini­mum avec libé­ra­tion con­di­tion­nelle pos­si­ble dans trois mois, et une libé­ra­tion cer­taine au bout de six. Trois à six mois, ou dix à seize mois ? Fai­tes vos jeux.

Jusqu’à pré­sent tou­te­fois, une caté­go­rie de témoins échap­pait à cette obli­ga­tion de com­pa­raî­tre devant le tri­bu­nal : c’était les experts scien­ti­fi­ques de la police. Hora­tio Caine et ses hom­mes n’avaient pas à aller témoi­gner au tri­bu­nal : leur rap­port (affi­da­vit, attes­ta­tion) suf­fi­sait. Après tout, il s’agit d’emprein­tes digi­ta­les (en fait, on dit papil­lai­res), d’ADN, de rayu­res sur une balle : ça cor­res­pond, ça ne cor­res­pond pas, point. C’était ce que la jus­tice con­si­dé­rait une preuve prima facie (oui, c’est du latin) : une preuve suf­fi­sante en soi, incon­tes­ta­ble en ce qu’elle rap­porte.

Mais un dea­ler de Bos­ton va cham­bou­ler tout ça.

En 2001, Tho­mas Wright, un employé d’un super­mar­ché de la capi­tale du Mas­sa­chu­setts va être inter­pellé par la police après une sur­veillance (un infor­ma­teur ano­nyme avait informé la police qu’il s’absen­tait fré­quem­ment après avoir reçu des coups de fil), por­teur de sachets con­te­nant une pou­dre blan­che sem­blant être de la cocaïne. Dans la voi­ture qui venait de le dépo­ser se trou­vait Luis Melen­dez-Diaz, qui est éga­le­ment arrêté.

Au cours de leur trans­port vers le com­mis­sa­riat, les poli­ciers remar­quent que leurs deux pas­sa­gers sem­blent se tor­tiller dis­crè­te­ment. Arri­vés au poste, les poli­ciers exa­mi­nent la ban­quette et trou­vent un sac con­te­nant 19 sachets de pou­dre blan­che. La pou­dre fut ana­ly­sée par un labo­ra­toire de la police scien­ti­fi­que qui ren­dit un rap­port : c’était de la cocaïne.

Devant le tri­bu­nal, Luis Melen­dez-Diaz va con­tes­ter l’ana­lyse faite par le labo­ra­toire de la police scien­ti­fi­que et va deman­der à être con­fronté à l’ana­lyste. Refus du tri­bu­nal : ce rap­port est une preuve prima facie, con­for­mé­ment à la juris­pru­dence de la Cour Suprême du Mas­sa­chu­setts Com­mon­wealth v. Verde, 444 Mass. 279, 283–285, 827 N. E. 2d 701, 705–706 (2005)[1]. Son appel sera rejeté pour ce motif.

C’est cet arrêt que va con­tes­ter Melen­dez-Diaz devant la Cour Suprême, esti­mant que la juris­pru­dence Com­mon­wealth v. Verde viole le Sixième Amen­de­ment.

Et le requé­rant va trou­ver une oreille atten­tive en la per­sonne du jus­tice Sca­lia, farou­che par­ti­san de la Con­fron­ta­tion Clause. Il va donc s’allier avec les trois juges les plus à gau­che de la cour (les Jus­ti­ces Ruth Bader Gins­burg, David H. Sou­ter et John Paul Ste­vens) et sera ral­lié par un autre con­ser­va­teur, Cla­rence Tho­mas, ce qui est un peu con­tre nature pour ceux qui con­nais­sent Sca­lia et Tho­mas, tan­dis que les Jus­ti­ces con­ser­va­teurs John G. Roberts, Jr., et Samuel A. Alito, Jr., ainsi qu’un des juges mar­qué à gau­che, Ste­phen G. Breyer, vont écrire une opi­nion dis­si­dente rageuse expli­quant que cette déci­sion va allour­dir con­si­dé­ra­ble­ment la charge des par­quets.

Sca­lia leur répond avec un cer­tain à-pro­pos que d’une part, un petit nom­bre d’États a expres­sé­ment prévu cette pos­si­bi­lité de con­tre-inter­ro­ga­toire des experts, et que leur sys­tème pénal ne s’est pas écroulé, et que d’autre part, ce ne sera pas tou­jours dans l’inté­rêt de la défense de faire citer l’expert, qui ris­que de mar­quer des points pour l’accu­sa­tion. Son argu­ment déci­sif est que si la science est infailli­ble, les experts ne le sont pas, et qu’ils peu­vent com­met­tre des erreurs au cours de l’exa­men, ou attri­buer à un résul­tat des con­sé­quen­ces qu’il n’a pas. Une expé­rience scien­ti­fi­que est une chose, son inter­pré­ta­tion en est une autre, et seule la pré­sence phy­si­que de l’expert per­met cette con­tes­ta­tion. Par exem­ple, pour savoir si une sub­stance est de la cocaïne, on place un échan­tillon dans une éprou­vette et on le sou­met à du thio­cya­nate de cobalt ou du p-dimé­thyl­ben­zal­dé­hyde, qui don­nent une colo­ra­tion bleue ou rouge, res­pec­ti­ve­ment. cette colo­ra­tion indi­que la pré­sence de cocaïne. Mais il suf­fit que l’éprou­vette en ques­tion ait con­tenu de la cocaïne sans être cor­rec­te­ment net­toyée pour que du talc prenne une colo­ra­tion bleue ou rouge. Ce n’est pas le p-dimé­thyl­ben­zal­dé­hyde qui s’est trompé, c’est le mani­pu­la­teur. Sca­lia con­clut à la néces­sité d’écar­ter les experts frau­du­leux et les incom­pé­tents.

Et cette règle s’appli­que désor­mais sur tout le ter­ri­toire des États-Unis.

Source : ”Melen­dez-Diaz v. Mas­sa­chu­setts”, 557 U. S. ____ (2009) (pdf)


Pro­chain épi­sode : Hora­tio Caine va-t-il deve­nir un per­son­nage de la série Cold Case ?

Notes

[1] Le Mas­sa­chu­setts ne porte pas offi­ciel­le­ment le titre d’État mais de Com­mon­wealth, comme la Vir­gi­nie et la Penn­syl­va­nie.

lundi 20 juillet 2009

Les anti-inflammatoires permettent-ils de voir des jeunes filles nues ?

La Cour Suprême se pen­che par­fois sur des ques­tions fon­da­men­ta­les, sans mau­vais jeu de mot. L’une d’entre elles est celle de la pri­vacy, mal tra­duit par “vie pri­vée”, le con­cept de pri­vacy étant plus large que cela. Il s’agit du droit reconnu à tout indi­vidu de gar­der secret ce qui la con­cerne, et de ne révé­ler publi­que­ment ou aux auto­ri­tés que ce qu’elle veut bien révé­ler, sans pou­voir être forcé de révé­ler plus. Cela inclut notre vie pri­vée, mais aussi l’inté­grité cor­po­relle et le patri­moine (la per­qui­si­tion, la réqui­si­tion d’un bien est une atteinte à la pri­vacy). 

Ce droit est con­sa­cré par le Qua­trième amen­de­ment à la Cons­ti­tu­tion des États-Unis.

Le droit des citoyens d’être garan­tis dans leurs per­sonne, domi­cile, papiers et effets, con­tre les per­qui­si­tions et sai­sies non moti­vées ne sera pas violé, et aucun man­dat ne sera déli­vré, si ce n’est sur pré­somp­tion sérieuse, cor­ro­bo­rée par ser­ment ou décla­ra­tion solen­nelle, ni sans qu’il décrive avec pré­ci­sion le lieu à fouiller et les per­son­nes ou les cho­ses à sai­sir.

Quand, dans nos séries pré­fé­rées, un citoyen refuse d’ouvrir la porte à un poli­cier qui n’aurait pas « un man­dat » (search war­rant), il invo­que le Qua­trième amen­de­ment. Le poli­cier ne peut en effet entrer de force que pour des rai­sons ne souf­frant pas dis­cus­sion (cris d’au secours, coups de feu, tra­ces de sang récen­tes…), ou si un juge l’y a au préa­la­ble auto­risé, en déli­mi­tant stric­te­ment les lieux à fouiller et les cho­ses recher­chées. Il existe l’équi­va­lent de notre enquête de fla­grance, si le poli­cier a pu cons­ta­ter de l’exté­rieur l’exis­tence d’une infrac­tion sur le point, en train ou venant de se réa­li­ser, qui auto­rise aussi son inter­ven­tion. Le juge amé­ri­cain exerce un con­trôle de pro­por­tion­na­lité et de néces­sité de la mesure, qui ne s’appli­que pas qu’aux poli­ciers mais à toute per­sonne exer­çant une par­celle de l’auto­rité publi­que. Comme les ensei­gnants.

Là encore, on voit com­ment les rédac­teurs de la Cons­ti­tu­tion ont eu le souci cons­tant de pro­té­ger les géné­ra­tions à venir des abus pos­si­bles de l’auto­rité, y com­pris celle con­fiée aux États et à l’État fédé­ral. S’il est un point résu­mant toute la dif­fé­rence cul­tu­relle entre la France et les États-Unis, c’est bien celui-là : les amé­ri­cains ont com­pris depuis le début que l’État était un tyran poten­tiel et ont voulu s’en pro­té­ger, tan­dis que les Fran­çais le voient comme le gar­dien de l’inté­rêt géné­ral, expres­sion de la majo­rité et qui ne peut donc mal faire. Hob­bes con­tre Rous­seau. La leçon de 1941 n’ayant que peu servi, les droits indi­vi­duels s’effa­cent dans notre tra­di­tion face à la puis­sance de l’État. Heu­reu­se­ment, nous avons l’Europe qui a intro­duit ces pro­tec­tions indi­vi­duel­les face à la puis­sance de l’Auto­rité dans notre droit.

Et c’est sans se dou­ter qu’elle allait être plu­tôt bru­ta­le­ment con­fron­tée à cette ten­dance à la tyran­nie de celui qui a une par­celle d’auto­rité que la jeune Savana Red­ding, alors âgée de 13 ans, s’est ren­due à son cours de math du col­lège public de Saf­ford, 8900 habi­tants, dans le Comté de Gra­ham, Ari­zona, (c’est ce bâti­ment-là)ce jour d’octo­bre 2003.

Le règle­ment de l’école est plu­tôt rigou­reux. Sur la liste des cho­ses inter­di­tes dans l’enceinte de l’éta­blis­se­ment se trou­vent divers objets parmi les­quels, je ne sais pour­quoi, les anti-inflam­ma­toi­res, qu’ils soient sur ordon­nance (pres­crip­tion drug) que sans ordon­nance (over-the-coun­ter). Je sais que l’anglais uti­lise le même mot pour les médi­ca­ments et les dro­gues (je ne dis pas que c’est à tort), mais tout de même, si un phar­ma­cien ou un méde­cin pou­vait m’expli­quer pour­quoi, il me paie­rait de ma peine. 

Au beau milieu du cours, l’assis­tant du prin­ci­pal du col­lège, Kerry Wil­son, fit irrup­tion et demanda à Savana Red­ding de le sui­vre dans son bureau. Là, on lui pré­senta un orga­ni­seur lui appar­te­nant (une sorte de gros agenda se fer­mant par une fer­me­ture-éclair) con­te­nant divers objets pro­hi­bés par le règle­ment de l’école : cou­teaux, mar­queur indé­lé­bile, bri­quets, et, hor­resco refe­rens, une ciga­rette. Inter­ro­gée sur ces objets, elle déclara que l’orga­ni­seur lui appar­te­nait bien mais qu’elle l’avait prêté il y a quel­ques jours à une amie, Marissa Gli­nes. Elle nia que ces objets fus­sent siens. 

L’assis­tant du prin­ci­pal sor­tit alors les élé­ments les plus acca­blants : 4 pilu­les d’Ibu­pro­fène® 400mg (anti-inflam­ma­toire vendu uni­que­ment sur ordon­nance) et une de Naproxène® 200mg, un anti-inflam­ma­toire vendu sans ordon­nance, médi­ca­ments dont la déten­tion est inter­dite sans auto­ri­sa­tion préa­la­ble de la direc­tion de l’éta­blis­se­ment. Kerry Wil­son informa alors Savana Red­ding que des sour­ces con­fi­den­tiel­les (vous ver­rez plus loin les­quel­les) l’avait informé que Savana Red­ding dis­tri­bue­rait ces pillu­les dans l’éta­blis­se­ment. Ce que Savanna Red­ding nia farou­che­ment. Kerry Wil­son lui demanda si elle accep­tait que l’on fouillât ses affai­res per­son­nel­les, ce qu’elle accepta. Kerry Wil­son appela alors une assis­tante admi­nis­tra­tive, Helen Romero, et tous deux fouillè­rent le sac à dos de Savana, sans rien trou­ver.

Notons d’ores et  déjà que jusqu’à pré­sent, une jeune fille de 13 ans est seule con­fron­tée à des adul­tes, sans que ses repré­sen­tants légaux (c’est ainsi que les juris­tes appel­lent les parents) ne soient infor­més. Il est per­mis de tiquer (mais vous ver­rez qu’à ce stade, le juge amé­ri­cain ne fron­cera pas les sour­cils). Mais l’affaire va pren­dre un tour pro­pre­ment incroya­ble.

En effet, Kerry Wil­son ne va pas s’avouer vaincu. Il va ordon­ner à Helen Romero de con­duire Savana chez l’infir­mière de l’école pour qu’elle fouillât ses vête­ments. Savana Red­ding dut donc, en la pré­sence cons­tante d’Helen Romera et de l’infir­mière Peggy Sch­wal­lier (mais hors la pré­sence de Kerry Wil­son pour des rai­sons qui vont être de plus en plus évi­den­tes), ôter sa veste, ses chaus­set­tes, et ses chaus­su­res. Lais­sée ainsi en t-shirt et pan­ta­lon “stretch” (donc sans la moin­dre poche), elle atten­dit que les deux fem­mes eus­sent fini d’exa­mi­ner ses vête­ments. Chou blanc. Déci­dé­ment têtues, les deux fem­mes lui firent ôter son pan­ta­lon, son t-shirt, et ne trou­vant tou­jours rien, son sou­tien-gorge, qu’elle dut tenir à bout de bras et secouer, puis lui firent tirer sur l’élas­ti­que de sa culotte, révé­lant ainsi sa poi­trine et sa région pel­vienne. Aucune pilule ne fut décou­verte.

April Red­ding, la mère de Savana, fut d’une grande modé­ra­tion dans son appro­ba­tion de la chose, et pour­sui­vit aus­si­tôt en jus­tice l’école, Wil­son, Romero et Sch­wal­lier (Ah, la Sainte femme…), pour vio­la­tion du Qua­trième amen­de­ment (donc com­pé­tence du juge fédé­ral). La Cour de Dis­trict rejeta la plainte de madame Red­ding, esti­mant qu’il n’y avait pas eu vio­la­tion du Qua­trième amen­de­ment du fait de l’Immu­nité Qua­li­fiée (Qua­li­fied Immu­nity), excep­tion (au sens juri­di­que de moyen de défense) qui exo­nère de leur res­pon­sa­bi­lité des per­son­nes inves­ties de l’auto­rité publi­que ou char­gée d’une mis­sion de ser­vice publi­que qui auraient violé les droits cons­ti­tu­tion­nels d’une per­sonne, si une per­sonne rai­son­na­ble (rea­son­na­ble per­son) n’aurait pas dans la même situa­tion réa­lisé cette illé­ga­lité, ce qui est exclu quand le droit pro­té­geant la per­sonne fouillée est clai­re­ment éta­bli. Les juris­tes recon­naî­tront ici une appré­cia­tion in abs­tracto, la rea­son­na­ble per­son de nos amis amé­ri­cains n’étant autre que notre bonus pater fami­lias.

En appel, la cour d’appel fédé­rale con­firma ce rejet en for­ma­tion res­treinte (panel, com­posé de trois juges), qui fut porté devant la for­ma­tion plé­nière (en banc). Atten­tion, vous allez décou­vrir le rai­son­ne­ment gigo­gne qu’affec­tion­nent les juges amé­ri­cains.

La for­ma­tion plé­nière appli­qua le test en deux éta­pes fixé par la juris­pru­dence de la cour suprême : Sau­cier v. Katz, 533 U. S. 194, 200 (2001). D’abord, la fouille était-elle illé­gale ? Ensuite, cette illé­ga­lité était-elle évi­dente ?

Sur l’illé­ga­lité, oui, répond la cour, au regard des cri­tè­res de fouille des élè­ves des éco­les fixés par l’arrêt New Jer­sey v. T. L. O., 469 U. S. 325 (1985). Cet arrêt de 1985 a posé le prin­cipe que le droit des école de main­te­nir l’ordre était une cause légi­time pou­vant l’empor­ter que le droit à la pri­vacy, donc que la direc­tion pou­vait effec­tuer une fouille sans man­dat de jus­tice à con­di­tion que soit rem­pli… un test en deux éta­pes. Il faut l’école ait une sus­pi­cion rai­son­na­ble (rea­son­na­ble sus­pi­cion), carac­té­ri­sée par (1) le fait que l’action était jus­ti­fiée dès son début (une fouille ne sau­rait être jus­ti­fiée par le fait qu’elle a per­mis de décou­vrir quel­que chose) et (2) que la fouille était pro­por­tion­nelle aux cir­cons­tan­ces ayant jus­ti­fié cette cette fouille à son com­men­ce­ment. Ici, selon la cour d’appel, si l’orga­ni­seur jus­ti­fiait la fouille, le carac­tère pro­por­tion­nel fai­sait défaut 

Cette fouille était illé­gale, mais la direc­tion en avait-elle cons­cience ?
Oui, répond encore la cour d’appel, esti­mant qu’ici, il était clai­re­ment éta­bli que le droit à la pri­vacy de la col­lé­gienne s’oppo­sait à une telle fouille. Motif un peu vague, me direz-vous à rai­son ,ce qui expli­que que l’affaire soit remon­tée à la Cour Suprême.

Et la Cour a sta­tué le 25 juin der­nier, dans un arrêt Saf­ford Uni­fied School Dis­trict #1, et al, v April Red­ding, 557 U. S. ____ (2009) (pdf), en con­fir­mant que la fouille était illé­gale. 

La cour com­mence par recon­naî­tre que le règle­ment de l’école, aussi strict soit-il, est légal et sensé : les ensei­gnants ne sont pas des phar­ma­ciens, ne peu­vent recon­naî­tre des médi­ca­ments, et l’effet de sub­stan­ces acti­ves sur des orga­nis­mes juvé­ni­les ne sont pas ano­dins. Sans par­ler de la pro­hi­bi­tion des armes, du tabac ou du mar­queur indé­lé­bile, qui sert plus à dégra­der qu’à s’expri­mer.

Puis elle va entrer dans les détails de ce qui s’est passé ce jour funeste. C’est sur dénon­cia­tion d’un élève ayant été malade après avoir pris une pilule que lui a remis Marissa Gli­nes que Kerry Wil­son a mené son enquête. Il a fait appe­ler Marissa Gli­nes hors de sa classe et a saisi l’orga­ni­seur qui était en sa pos­ses­sion, avec les objets que nous avons vu. Il a ensuite con­vo­qué Marissa Gli­nes et, en pré­sence d’Helen Romero, lui a fait vider ses poches. Où furent décou­ver­tes les pilu­les d’Ibu­pro­fène (blan­ches) et une de Naproxène (bleue), et une lame de rasoir. Kerry Wil­son demanda à Marissa Gli­nes qui lui avait donné cette pilule bleue. Marissa répon­dit qu’elle avait dû se glis­ser avec cel­les qu’elle lui avait don­nées. Qui est ce “elle”, demanda Wil­son ? Savana Red­ding répon­dit Marissa Gli­nes (qui elle aussi subit une fouille cor­po­relle qui ne donna rien. 

La Cour va cons­ta­ter que c’est sur la foi de ce seul témoi­gnage, sans ques­tions plus pous­sées pour savoir s’il y avait une pro­ba­bi­lité que Savana Red­ding eût en sa pos­ses­sion actuelle d’autres pilu­les pro­hi­bées, et après qu’une fouille de ses affai­res per­son­nel­les n’ait rien donné, que Kerry Wil­son va ordon­ner qu’il soit pro­cédé à la fouille cor­po­relle.

Or si cette fouille du sac à dos et des vête­ments était jus­ti­fiée aux yeux de la Cour vu les élé­ments en la pos­ses­sion des auto­ri­tés sco­lai­res et son carac­tère rela­ti­ve­ment peu intru­sif (notez le con­trôle de pro­por­tion­na­lité), ce que d’ailleurs Savana Red­ding n’a jamais con­testé d’ailleurs, la fouille cor­po­relle atteint un tel degré de gra­vité dans l’atteinte à la pri­vacy que la Cour doit invo­quer le test en deux éta­pes de l’arrêt T.L.O. Et la Cour cons­tate que les indi­ces ayant con­duit à déci­der de la mesure, donc sa jus­ti­fi­ca­tion dès le début, étaient lar­ge­ment insuf­fi­sants pour jus­ti­fier une telle atteinte. Non, le fait de lut­ter con­tre le tra­fic d’anti-inflam­ma­toi­res, cette cause fût-elle légi­time, ne per­met pas de con­train­dre une jeune fille mineure à se désha­biller. Cette dis­pro­por­tion carac­té­rise la vio­la­tion du Qua­trième amen­de­ment, par 8 voix con­tre 1 (Seul Cla­rence Tho­mas a dis­con­venu), ce qui en fait un des rares arrêts de cette ses­sion adopté à une large majo­rité.

Cepen­dant, ajoute la cour, la juris­pru­dence con­cer­nant les fouilles sco­lai­res est actuel­le­ment tel­le­ment con­tro­ver­sée qu’on ne peut dire que la loi est clai­re­ment éta­blie en la matière (de fait, la série de tests en deux éta­pes à faire abou­tit à déchi­rer les juges : peut-on deman­der à des ensei­gnants d’être plus sages qu’eux en cette matière très juri­di­que ?). Dès lors, la Cour Suprême accorde l’Immu­nité Qua­li­fiée à l’assis­tant du prin­ci­pal, à l’assis­tante admi­nis­tra­tive et à l’infir­mière sco­laire. Seule l’école est décla­rée res­pon­sa­ble. Un juriste fran­çais dirait que la faute des trois per­son­nels ensei­gnants n’est pas déta­cha­ble du ser­vice.

Cet arrêt, outre le fait qu’il me per­met de faire un titre de billet avec les mots « jeune fille nue » qui va faire beau­coup pour aug­men­ter le nom­bre de visi­teurs clients poten­tiels, trouve un écho en France où le Gou­ver­ne­ment s’inter­ro­geait il y a peu sur la pos­si­bi­lité de créer un corps spé­ci­fi­que d’agents pour fouiller les car­ta­bles des élè­ves, et où des fouilles spec­ta­cu­lai­res ont eu lieu dans le cadre d’opé­ra­tions anti-dro­gue menées par la gen­dar­me­rie, avec des chiens et même des fouilles à corps. Ce que les parents d’élève n’appré­cient guère, et on peut les com­pren­dre. 

La solu­tion fran­çaise, abou­tis­sant à ne pas vou­loir attri­buer de pou­voirs de police aux ensei­gnants (alors que rien ne s’y oppose, et même que les prin­ci­pes géné­raux du droit admi­nis­tra­tif le per­met­tent) et à réser­ver cela à la police abou­tit à un résul­tat plus trau­ma­ti­sant encore pour les élè­ves tout en ren­for­çant une image d’impuis­sance nui­sant à l’auto­rité. Je ne sais pas si elle est due à une résis­tance des ensei­gnants qui ne vou­draient pas de ce pou­voir, ou à un choix de l’État qui veut réser­ver toute coer­ci­tion à la police, au ris­que de dété­rio­rer son image, en sou­li­gnant la répres­sion au détri­ment de la pro­tec­tion qui est pour­tant l’essence de la police. Une solu­tion rai­son­na­ble est cepen­dant dif­fi­cile à trou­ver, les juges amé­ri­cains se déchi­rant eux-même sur l’enca­dre­ment de ce pou­voir de police. Voilà un thème de débat qui méri­te­rait la séré­nité et le dépas­se­ment des cli­va­ges poli­ti­ques. 

Pro­chaine épi­sode de notre rubri­que de droit amé­ri­cain : Hora­tio Caine va-t-il devoir s’ache­ter une cra­vate ?

vendredi 10 juillet 2009

Faut-il se chauffer au gaz pour être juge en Virginie occidentale ?

Lors de sa récente session, la Cour suprême a rendu un arrêt important changeant de manière spectaculaire sa position sur la très délicate question de l'indépendance de fait des juges élus.

Les juges exercent en démocratie le troisième pouvoir, le pouvoir judiciaire : celui de trancher un différend selon la loi. Cette mission essentielle en démocratie suppose deux qualités essentielles : l'indépendance, et la compétence.

En démocratie, trois systèmes de désignation sont envisageables : la désignation par l'autorité publique (les modalités peuvent varier de la désignation discrétionnaire au concours, en passant par la désignation ratifiée), l'élection, et le tirage au sort.

La France a recours à un panaché des trois systèmes. La majorité des juges administratifs et judiciaires sont désignés par l'autorité publique sur la base d'un concours (c'est un décret signé par le président de la République en personne qui leur confère leurs fonctions ; Chirac pour Gascogne, Dadouche, Sub lege libertas, Paxatagore et Lulu, René Coty pour Anatole). Certains de ces juges sont désignés par l'autorité publique sans concours (les “sur titre” ; par exemple, Rachida Dati n'a jamais passé le concours d'accès à l'ENM— mais la plupart des “sur titre” sont de très bons magistrats ; citons aussi les membres du Conseil constitutionnel, nommés discrétionnairement par les trois présidents de la République, du Sénat et de l'Assemblée nationale). Les conseillers prud'hommes sont élus par les salariés et les employeurs, de même que les juges de commerce le sont par les commerçants. Le jury d'assises est quant à lui tiré au sort parmi le corps électoral.

Ce dernier système peut surprendre, mais il est selon Montesquieu le plus démocratique puisqu'il respecte l'égalité des chances (même si dans tous les systèmes de droit, le tirage au sort est toujours tempéré tant par des restrictions pour l'accès au tirage —conditions d'âge et de probité— que par une influence sur le tirage —droit de récusation d'un juré tiré au sort.

La désignation par l'autorité publique se fait en principe sur un critère de compétence technique. C'est le cas du concours, mode de désignation au mérite par excellence, mais aussi de la nomination par le pouvoir politique, qui si elle est encadrée par des contre-pouvoirs peut être satisfaisante. Ainsi les juges à la Cour Suprême des États-Unis sont-ils désignés par le président des États-Unis mais avec ratification par le Sénat ; les plus hauts postes de magistrats français sont soumis à l'avis (pour le parquet) ou à l'accord (pour le siège) du Conseil Supérieur de la Magistrature, ce qui rend particulièrement scandaleux le coup de force qui viendrait de se produire pour muter un procureur général, j'y reviendrai dans un prochain billet.

Notons que les nominations au Conseil constitutionnel n'étaient soumises à aucun contrôle ni contre pouvoir jusqu'à la révision constitutionnelle de juillet 2008, ce qui était une carence à mon sens mais a permis d'éviter la politisation du Conseil. On verra ce que donnera la nouvelle procédure, qui n'a pas encore eu à s'appliquer (les prochaines nominations sont pour février 2010 avec le départ d'Olivier Dutheillet de Lamothe, Dominique Schnapper et Pierre Joxe.

Aux États-Unis, qui vont nous occuper, 39 des 50 États de l'Union ont recours partiellement ou totalement à l'élection des juges et procureurs généraux. C'est donc un sujet sensible, qui reflète la méfiance traditionnelle du peuple américain envers l'État, et qui a ainsi voulu garder la mainmise sur la désignation de ceux chargés de dire le droit.

L'invonvénient d'un tel système de désignation est qu'il se politise forcément. Les campagnes électorales pour élire tel juge ne sont pas toujours compatibles avec la dignité inhérente à la fonction, et l'argument de la promesse de sévérité (promesse tenue, les États-Unis ont un taux d'incarcération dix fois supérieur au nôtre) est un des plus porteurs. Se pose aussi la question de l'indépendance du juge, dont la campagne est financée par des gens susceptibles un jour d'être justiciables devant lui. Or un principe constitutionnel aux États-Unis est celui du procès équitable, le due process of law.

Or la position de la Cour suprême a toujours été de dire que le juge ne doit pas voir son impartialité remise en cause à la légère : il prêtent serment de respecter la loi et la Constitution, et doivent bénéficier d'une présomption d'honnêteté. De fait, deux cas seulement constituent selon elle une situation objective où le juge doit se récuser : quand le juge a un intérêt financier dans le litige —Tumey v. Ohio, 273 U. S. 510, 523 (1927)— et quand le juge statue sur un délit d'audience (contempt of court) dont il a été la victime directe —Mayberry v. Pennsylvania, 400 U. S. 455 (1971). Ces décisions ont d'ailleurs été reprises dans des lois fédérales depuis lors. En dehors de ces cas, le demandeur en récusation doit prouver la partialité (bias) du juge, ce qui est très difficile, d'autant plus que généralement, il faut bien le dire, les juges se déportent volontiers quand ils estiment ne pas être neutres.

Intéressons-nous à présent à l'industrie du charbon en Virginie occidentale.

Ah, Charleston[1], ton univers impitoya-able. Un géant du charbon y règne sur les Appalaches : Massey Energy®, sous la forme de sa succursale locale :A. T. Massey Coal Co., Inc. Massey est le 4e producteur de charbon des États-Unis avec 40 millions de tonnes par an (vous voyez que le réchauffement de la planète a de beaux jours devant lui), et le premier de la région des Apalaches. Face à Goliath, quatre David : Hugh Caperton, Harman Development Corp.,Harman Mining Corp., et Sovereign Coal Sales (que j'appellerai Caperton tout court, comme la Cour Suprême). Quatre petits exploitants de mines de charbon qui vont tous faire faillite à cause selon eux de manœuvres déloyales et illicites de Massey.

Si en France, tout finit par des chansons, aux États-Unis, tout finit par des procès. Et pour cause : ça marche. Le géant se prend la pierre judiciaire en plein front. En août 2002, un jury déclare A.T. Massey coupable de comportements commerciaux déloyaux et illicites et le condamne à payer à Caperton 50 millions de dollars. En juin 2004, la cour d'appel rejette le recours de A.T. Massey par un arrêt cinglant qui établit formellement sa culpabilité. Massey forme un pourvoi en cassation devant la Cour Suprême de l'État de Virginie Occidentale.

Or fin 2004 se tenaient les élections judiciaires à la Cour Suprême : le juge sortant était l'Honorable Justice McGraw, candidat à sa succession. Son principal adversaire était l'avocat Brent Benjamin.

Le Groupe Massey va décider de soutenir le candidat Benjamin, farouche partisan du libre marché. Et quand je dis soutenir, je dis soutenir. Outre les 1.000 dollars, don maximum au candidat selon la loi de Virginie Occidentale, Massey va faire un don de 2.500.000 $ à une association qui s'opposait à McGraw et soutenait Benjamin. Le nom de l'association est, pour la petite histoire « Pour le Bien des Enfants ». En fait, c'était plutôt pour le bien des mineurs.

Et pour faire bonne mesure, Massey va dépenser 500.000 $ en courriers et campagnes diverses appelant à faire des dons pour Benjamin. Hypocrisie de la législation américaine : on ne peut donner plus de 1000 dollars à un candidat mais on peut dépenser 500.000 $ pour encourager les gens à lui faire des dons plafonnés à 1000 $ chacun. Sachant que les comités de soutien des deux candidats ont dépensé à eux deux 2.000.000 $, Massey va dépenser 3 millions pour soutenir un candidat.

Qui sera élu avec 53,3% des votes. Ramené au nombre de suffrages exprimés, cela fait 8 dollars par vote pour Massey.

Une fois Brent Benjamin devenu Justice Benjamin, Massey forme son pourvoi en cassation en octobre 2005. Aussitôt, Caperton dépose une requête en suspicion légitime à l'encontre du Justice Benjamin, lui demandant de se déporter, le demandeur étant son principal soutien financier. En avril 2006, le Justice Benjamin rejette cette requête, s'estimant tout à fait impartial.

Et en novembre 2007, la cour suprême annule le jugement, par trois voix contre deux. Trois voix, dont celle de Benjamin : son vote fut donc décisif. Dans l'opinion dissidente du Justice Albright, cosignée par le Justice Cookman, on peut lire ces lignes impitoyables “Non seulement l'opinion de la majorité ne repose sur aucun fait établi ou un précédent jurisprudentiel, mais elle est fondamentalement injuste. Malheureusement, la justice n'a été ni honorée ni servie par la majorité". Ambiance. ”

Caperton n'en démordant pas, il porte son affaire devant la Cour Suprême.

Qui va se déchirer à son tour mais, par un vote de 5 contre 4, donner raison à Caperton. L'argument central est le suivant : même si aucun élément ne permet d'affirmer la partialité du Justice Benjamin, il existe ici une telle probabilité de partialité (probability of bias) qu'il aurait dû se récuser. la femme de César ne doit pas être soupçonnée même si elle n'a rien à se reprocher : il en va de même de ses juges. À l'argument de l'atteinte de la confiance publique dans les juges et le risque de raz-de-marée de recours en récusation Caperton, le Justice Kennedy, qui a rédigé l'Opinion de la Cour réplique que non, il s'agit d'un cas d'espèce eu égard aux circonstances extrêmes (un soutien “disproportionné” du demandeur)

Le Chief Justice Roberts, dissident, s'étouffe d'indignation, soutenu en cela par le bloc conservateur de la cour : les Justice Scalia, Alito, et Thomas (les usual Suspects). Le Chief Justice Roberts ne parvient pas à accepter cette décision ne reposant pas sur des critères objectifs (contrairement à Tumey ou Mayberry) mais sur l'appréciation du juge. Il soulève dans son opinion dissidente (page 28 et suivantes du pdf) 40 questions que cet arrêt laisse selon lui irrésolues. Certaines sont pertinentes (par exemple : et si le litige portait sur un enjeu de 10.000 $, soit bien moins que le soutien financier de la campagne, peut-on soupçonner Massey d'acheter son juge ?), tandis que d'autres sont teintées de mauvaise foi par une reductio ad absurdum classique : par exemple : “Et si un juge est élu sur une promesse de sévérité envers le crime, doit-il se récuser de toute affaire criminelle ?” ; et pourquoi pas l'obliger à se chauffer au gaz pour juger une entreprise de charbon (d'où le titre du billet).

Les règles objectives dégagées par la Cour dans ses arrêts Tumey et Mayberry ont été reprises dans des textes de loi, ce qui montre au passage le respect à la limite de la crainte révérencielle du législateur américain envers le juge, tandis que le législateur français vote sans vergogne des lois pour contourner les objections du juge, fût-il constitutionnel (Rétention de sûreté, HADOPI 2…). Gageons que cette fois, le législateur américain se gardera bien de s'aventurer sur ce terrain glissant.

Alors, Caperton, révolution jurisprudentielle ou cas d'espèce sans lendemain ?

Prochain épisode : les anti-inflammatoires permettent-ils de voir des jeunes filles nues ?

Notes

[1] Qui est comme tout le monde le sait la capitale de la Virginie Occidentale.

mercredi 1 juillet 2009

Les pompiers de New Haven sont-ils plus sages qu'une vieille dame hispanique ?

Je sais que ce titre est mystérieux de prime abord. Mais laissez-moi vous l'expliquer en inaugurant une nouvelle rubrique (qui se caractérisera pas des titres aussi incompréhensibles de prime abord que celui-là). Le droit comparé est en fac de droit une matière noble et prestigieuse. Comprendre : personne ne prend cette matière.

Et c'est dommage car étudier des systèmes de droit différents du nôtre est passionnant. Tout particulièrement le pays du droit que sont les États-Unis(sauf pour la Chine, pour qui c'est la France[1]).

L'actualité juridique de ce pays n'ayant rien à envier à la nôtre, je parlerai régulièrement dans ma rubrique Iou Héssé de ce qui se passe là-bas et dont on ne parle pas assez ici. Mes lecteurs antiaméricains pourront arrêter là leur lecture et se remettre au boulot, et ainsi grâce à moi augmenter leur productivité et obtenir une promotion après avoir fait péter leurs objectifs.

Et commençons tout de suite en parlant de Sonia Sotomayor.

Sonia Sotomayor, 55 ans tout juste, est née à New York, dans le Bronx, d'une famille portoricaine. Après des études à Princeton et Harvard, elle est aujourd'hui juge à la 2e cour d'appel fédérale (qui couvre le Connecticut, l'État de New York, et le Vermont). Elle a été nommée par le président Obama pour siéger à la Cour Suprême des États-Unis en remplacement du Justice[2] David Souter, qui a pris sa retraite hier, après avoir laissé une dernière mine pour son successeur. Sonia Sotomayor et son sourire carnassier - image Wikipedia

Aux États-Unis, la nomination des juges est une affaire politique, et celle des juges à la cour suprême une affaire suprêmement politique. Ho, ne vous gaussez pas. Je vous montrerai bientôt qu'il en est désormais de même en France, à ceci près qu'aux États-Unis, on respecte la loi pour ces nominations.

Le président désigne librement son candidat, qui doit être approuvé par le Sénat (article 2 de la Constitution). La nomination est à vie, soit jusqu'à ce que le Justice prenne sa retraite (Option Souter) ou décède agrippé à son siège (Option Rehnquist). Le nombre de juges à la cour suprême est fixé à neuf depuis 1869. Ha, et pour faire pleurer les petits pois, le salaire des Justice est de 12 370 euros mensuels, 13 000 euros mensuels pour le Chief Justice. Je pense qu'on est aux environs du double de notre Chief Petit Pois.

Ordoncques, le président Obama a désigné comme candidate à la succession de Souter Sonia Sotomayor, une femme hispanique, à la carrière brillante et à la réputation sans tache. L'opposition républicaine s'est donc empressée de tâcher de la tacher. Cela peut paraître terriblement mesquin ; mais en fait, oui, ça l'est. Et les démocrates ont montré qu'ils n'avaient rien à envier aux républicains à ce petit jeu, même si rares sont les nominations qui n'aboutissent pas. La dernière en date est le fiasco Harriet Meiers en 2005, qui avait contre elle de ne pas avoir d'expérience de juge, de ne rien connaître au droit constitutionnel, et pas grand chose au reste du droit, et pour elle d'être la grande qualité d'être la copine du président. Qui a dit “ Rachida ” ?

Aussitôt la candidature de Sotomayor annoncée, les Républicains se sont jetés sur sa carrière et l'ont passé au peigne fin pour trouver la preuve de ce qu'elle n'était pas à la hauteur du poste. La pêche fut maigre : d'une part, une déclaration lors d'un discours à Berkeley en 2001, où elle semblait considérer qu'une femme hispanique ferait un meilleur juge qu'un homme blanc[3]. Ce propos fut même qualifié de raciste. D'autre part : sa position dans une affaire Ricci v. DeStefano.

Et c'est ici qu'arrivent nos pompiers du Connecticut.

La ville de New Haven, berceau de la faculté de Yale (il faudra un jour que je vous raconte la vie d'un étudiant en droit à Yale : j'ai fait pleurer les petits pois, je vais aussi faire pleurer les étudiants français), a un service de pompiers. Jusque là, tout va bien. Il faut savoir que la loi fédérale américaine engage la responsabilité de toute autorité publique qui fait de la discrimination, volontairement ou non (Civil Rights Act de 1964). Un mode de sélection qui a pour effet même non voulu de discriminer selon la race ou le sexe engage la responsabilité de l'autorité. Et là-bas, c'est pas l'euro symbolique, c'est plutôt le million de dollar symbolique.

En novembre et décembre 2003, la ville de New Haven a organisé un concours pour accéder aux grades de lieutenant (chef d'une caserne) et capitaine (chapeautant plusieurs casernes et siégeant dans les conseils décisionnaires). Les concours se passent en un écrit (60%de la note) et un oral (40% de la note). Sont reçus sur la liste de promotion les candidats qui atteignent 14/20 (70 sur 100 aux États-Unis). Sachant que la loi laisse libre choix dans la liste, à ceci près qu'il faut toujours prendre un des trois premiers par ordre de classement (Rule Of Three). C'est à dire que si Alceste, Bonaventure, Calliste , Désiré et Enguerran sont respectivement 1er, 2e, 3e , 4e et 5e au concours, l'autorité peut promouvoir qui elle veut entre Alceste, Bonaventure et Calliste. Ce n'est qu'une fois un de ceux-ci promus qu'elle pourra envisager de promouvoir Désiré, qui figurera parmi les trois premiers de la liste. Enguerrand ne pourra espérer de promotion qu'une fois un de ceux-là promu à son tour. Et on peut être premier de la liste et ne jamais être promu.

118 candidats se présentent pour 8 places de Lieutenant et 7 de capitaine. Pour avoir un espoir de promotion, il faut donc être respectivement dans les 10 et 9 premiers. Les résultats tombent, et il s'avère qu'aucun noir n'est admissible à la promotion, même avec le tempérament de The Rule Of Three. Les juristes de la mairie alertent le maire démocrate John DeStefano Jr qu'il existe un risque de procès des candidats noirs évincés pour discrimination. Le maire décide que le fait qu'aucun noir n'ait été reçu révèle que le processus de sélection était discriminatoire, et annule le concours.

Mais au pays des procès, on n'échappe à son destin, et ce sont des pompiers blancs qui vont faire un procès pour discrimination, faisant valoir qu'ils ont réussi le concours et qu'on leur refuse leur promotion parce qu'ils sont blancs. Le principal plaignant est Franck Ricci, pompier depuis 11 ans, frappé de dyslexie, qui a payé 1000 dollars un lecteur pour lui enregistrer les cours sur cassette faute de pouvoir les retenir par la lecture, qui a abandonné son deuxième travail pour se consacrer au concours et a travaillé comme un fou pour finir 6e sur 77. D'où le nom de l'affaire : Ricci v. DeStefano.

Le 28 septembre 2006, le juge fédéral Janet Bond Arterton donne raison au maire de New Haven pour la raison suivante : il n'y a pas eu discrimination, car personne n'a été promu.

Le 15 février 2008, la 2e cour d'appel fédérale rejette l'appel de Ricci par une décision non motivée rendue par une section (panel) de trois juges, dont Sotomayor. Un des juges de la cour trouvant que c'est un peu court va demander que l'affaire soit examinée par tous les 13 juges assemblés (en anglais on dit en banc, oui, c'est du français). Face à cette demande, la section va retirer sa décision non motivée et va rendre à la place un arrêt motivé et commun (en anglais per curiam, oui, c'est du latin) par opposition à un arrêt signé par le rédacteur (en France, tous les arrêts sont rendus per curiam, et en plus, il n'y a pas d'opinions dissidentes). La motivation faisait huit phrases, ce qui pour la cour de cassation est beaucoup (ses arrêts font une phrase) mais aux États-Unis est peu. Pour la sous-section, le jugement est sensé, équilibré, et il n'y a pas de bonne solution, désolé m'sieur Ricci. La motion visant à une révision en banc est rejeté 7 voix à 6, ce qui révèle que le sujet faisait débat. Deux juges minoritaires vont demander à la cour suprême de se saisir de l'affaire, ce qu'elle va faire.

Et ce lundi 29 juin, dernier jour de travail du Justice Souter (mais je dois à la justice de signaler que Souter a rendu une opinion dissidente), la cour a rendu son arrêt Ricci v. DeStefano. Par 5 voix contre 4, elle casse l'arrêt de la 2e cour d'appel et dit qu'il y a eu discrimination à l'encontre des candidats blancs, faute pour la ville de New Haven de pouvoir démontrer avec une base solide de preuve (strong basis of evidence) que si elle n'avait pas fait l'acte reproché (annuler le concours), elle aurait engagé sa responsabilité selon le Civil Rights Act de 1964.

Voici une première occasion de réflexion sur les mérite et dérives de la discrimination positive. Faut-il annuler un concours sous le prétexte qu'aucun candidat issu des minorités ne l'a réussi, sans qu'on soit sûr que c'est la façon dont le concours a été organisé qui a provoqué ce résultat disparate ? Pour le moment, la tradition française s'y oppose absolument, ne serait-ce que parce que la loi interdit de répertorier la race ou l'origine ethnique des candidats (ce qui fera dire aux partisans de la discrimination positive que c'est un moyen de cacher la discrimination) et que le classement final est déterminant pour les admissions (on ne peut pas sauter un candidat pour prendre le suivant).

Et pour en revenir à Sotomayor, elle a désormais un caillou dans la chaussure : la cour suprême a, deux semaines avant son audition par le Sénat (qui commence le 13 juillet) déclaré qu'une décision qu'elle a rendue (c'est une décision per curiam, qui l'engage donc au même titre que ses deux collègues) violait la loi. Si en France, quand on est préfet, on a une médaille et une promotion pour cela, aux États-Unis, ça fait tache.

En soi, ça ne justifie pas un rejet par le Sénat. Mais sa position est moins solide. Les républicains vont l'attaquer à fond sur le problème racial, rappelant ses propos de 2001 et l'accusant d'être une raciste anti-blanc (reverted racist). Elle ne pourra pas se permettre le moindre faux pas. Sotomayor a du talent et du répondant et elle ne joue jamais la défensive mais toujours l'offensive. Les débats promettent d'être passionnants.

Prochain épisode : faut-il se chauffer au gaz pour être juge en Virginie occidentale ? (Rien que pour le titres qu'il me permet, j'adore le droit américain)

Notes

[1] En Chinois, France, 法國, se dit Fǎ guó, le pays du droit et États-Unis, 美國, se dit Měi guó, le beau pays. Rien à voir avec la déclaration des droits de l'homme et le Grand Canyon, le Chinois traduit en prenant un mot à la sonorité proche, de préférence flatteur. France = Fa, avec un a trainant qui descend vers les graves avant de remonter vers les aigus (cliquez pour le son). America = Mei (cliquez pour le son). Guó veut dire pays et clôt la plupart des noms de pays.

[2] Le titre de Justice désigne aux États-Unis un juge à une cour suprême, que ce soit d'un État ou la fédérale. Le président d'une cour suprême s'appelle le Chief Justice, et c'est autrement plus la classe que Premier Président de la Cour de cassation.

[3] « Je m'attends à ce qu'une femme latina ayant de la sagesse avec la richesse de ses expériences aboutirait plus souvent qu'à son tour à une meilleure décision qu'un homme blanc qui n'aurait pas vécu cette vie. (I would hope that a wise Latina woman with the richness of her experiences would more often than not reach a better conclusion than a white male who hasn't lived that life).

mercredi 5 novembre 2008

Il y a des matins comme ça...

.. ou on a juste envie de chanter.

Le grand, l'immense Marvin Gaye chantant l'hymne américain, 1983.

jeudi 12 juin 2008

En V.O. pour le moment

Billet rapide pour mes lecteurs anglophones. Mais c'est tellement beau et tout frais, je ne veux pas vous en priver.

(…)Our basic charter cannot be contracted away like this. The Constitution grants Congress and the President the power to acquire, dispose of, and govern territory, not the power to decide when and where its terms apply. Even when the United States acts outside its borders, its powers are not “absolute and unlimited” but are subject “to such restrictions as are expressed in the Constitution.”

(…) Because our Nation’s past military conflicts have been of limited duration, it has been possible to leave the outer boundaries of war powers undefined. If, as some fear, terrorism continues to pose dangerous threats to us for years to come, the Court might not have this luxury. This result is not inevitable, however. The political branches, consistent with their independent obligations to interpret and uphold the Constitution, can engage in a genuine debate about how best to preserve constitutional values while protecting the Nation from terrorism. (…).

(…)We hold that petitioners may invoke the fundamental procedural protections of habeas corpus. The laws and Constitution are designed to survive, and remain in force, in extraordinary times. Liberty and security can be reconciled; and in our system they are reconciled within the framework of the law. The Framers decided that habeas corpus, a right of first importance, must be a part of that framework, a part of that law.

The determination by the Court of Appeals that the Suspension Clause and its protections are inapplicable to petitioners was in error. The judgment of the Court of Appeals is reversed. The cases are remanded to the Court of Appeals with instructions that it remand the cases to the District Court for proceedings consistent with this opinion.

It is so ordered.

Supreme Court Of The United States, 553 U. S. (2008), Boumediene v. Bush, 12 juin 2008. (PDF)

lundi 14 avril 2008

La vengeance est un plat qui se mange froid

Vous vous souvenez d'Alberto Gonzalez ? Mais si, Alberto Gonzalez, l'ancien Attorney General de l'Administration Bush, équivalent lointain du ministre de la justice (“Avocat de l'État Fédéral” serait sans doute une dénomination plus exacte), distingué dans l'exercice de ses fonctions d'un prix Busiris pour une superbe déclaration sur l'habeas corpus

Las! Le prix décerné par l'Académie Busiris ne lui a pas porté bonheur : il a été poussé à la démission en août dernier, empêtré dans un scandale lié au limogeage de plusieurs procureurs fédéraux, outre un témoignage pas très sincère sur une affaire d'écoutes illégales.

La communauté des juristes américains n'a pas apprécié les performances de M. Gonzalez, tant sur le droit constitutionnel que sur le respect de la vie privée de ses concitoyens que sur la gestion des ressources humaines.

Et le lui fait savoir par un terrible silence.

Ainsi, apprend-on à la lecture du New York Times, celui qu'on présentait comme étant le probable premier juge à la Cour Suprême d'origine hispanique, licencié de Harvard, et qui a sur son CV une expérience d'Attorney General of The United States… est au chômage. (traduction de votre serviteur)

Malgré ce CV, [M. Gonzalez] a dû quitter son poste en août dernier avec une image ternie à la suite de son rôle dans le limogeage de plusieurs procureurs fédéraux et la sincérité douteuse de son témoignage sur un programme d'écoutes secrètes. Il n'a eu depuis aucun travail à plein temps, et sa principale source de revenus a été sa rémunération pour quelques conférences dans des facultés ou des groupes d'affaires privés.

“Peut-être que le temps passant, des opportunités se présenteront pour lui,” nous a déclaré un avocat de Washington qui a été informé d'un démarchage par un collaborateur de Gonzalez. “Je ne dirais pas qu'il a été "rejeté" ”, a ajouté cet avocat, qui a demandé à ce que son nom ne soit pas cité car la situation est embarrassante pour M. Gonzalez. “ Disons… qu'il n'a pas été pris ”.

L'article ajoute que l'enquête dont il fait l'objet pour son témoignage douteux pourrait conduire à sa radiation du barreau.

Ce qui me fait penser… Ce garde des Sceaux qui, pour étouffer une affaire concernant l'épouse du maire de Paris d'alors, avait fait envoyer aux frais de la République un hélicoptère dans l'Himalaya chercher le seul procureur qui aurait pu discrètement classer sans suite l'enquête plutôt qu'ouvrir une instruction… Que lui est-il arrivé ?

Ah. Il est devenu conseiller à l'Élysée, Député européen, et a rédigé un rapport prônant la création d'un musée dont il a été nommé le directeur par l'ancien président, juste avant qu'il ne quitte son office.

Quand les américains comprendront-ils que le secteur public est là pour pallier les carences du privé ?

mercredi 5 mars 2008

Autodérision

Je le répète régulièrement en ces lieux : je suis un grand ami des Etats-Unis. Parce que les américains sont de grands enfants.

L'arme nucléaire en plus.

C'est un pays qui a gardé deux héritages précieux de son passé de colonie anglaise : la langue, et la capacité d'autodérision.

En voici un parfait exemple.

Les élections de la fin de l'année se préparent déjà au sein des deux grands partis, républicain (conservateur, favorable à l'autonomie des Etats fédérés) et démocrate (progressiste, favorable à l'extension des compétences fédérales). Ces deux partis organisent leurs primaires au sein de chaque Etat, afin de désigner des délégués qui eux-même éliront le candidat du parti à la Convention qui se tiendra du 25 au 28 août 2008 à Denver, Colorado, pour les démocrates, et du 1er au 4 septembre à Saint-Paul, Minnesota, pour les républicains.

Actuellement, deux candidats peuvent prétendre remporter l'investiture chez les démocrates : Barack Obama et Hilary Clinton. Chez les républicains, les choses sont pliées, ce sera le sénateur de l'Arizona John McCain, qui a une avance définitive sur son rival l'ancien gouverneur[1] de l'Arkansas Mike Huckabee.

Pourtant, Mike Huckabee n'a pas encore reconnu sa défaite.

Et le 23 février dernier, il est passé à l'émission comique Saturday Night Live, une émission en direct émise chaque samedi depuis New York (d'où son nom) depuis le 11 octobre 1975. C'est cette émission qui a découvert de grands acteurs comiques comme Dan Aykroyd, Eddie Murphy, ou Mike Myers. Des personnages récurents créés pourdes sketchs dans l'émission ont donné naissance à des films cultes : citons les Blues Brothers par exemple, nés à l'époque ou Dan Aykroyd officiait dans l'émission avec John Belushi, à la fin des années 70. C'est une émission phare de la télévision américaine où il faut être vu, même quand on est politique. Les Nuls avaient tenté la même expérience avec un certains succès quand ils ont fait Les Nuls : L'Emission, d'octobre 1990 à mars 1992.

Voici donc le passage du gouverneur Huckabee lors du journal télévisé parodique qui se moque de l'actualité, sous-titres de votre serviteur. Imaginez François Bayrou faire le même genre de numéro après le premier tour. Ca décoincerait un peu la politique, non ?

Autre exemple de cette capacité d'autodérision dimanche prochain histoire de faire un billet qui vous fera franchement rire pour le week end.

Notes

[1] Le gouverneur est le président d'un des 50 Etats de l'Union, le Sénateur est un élu au parlement fédéral représentant un des Etats.

vendredi 11 mai 2007

Après le plaider coupable, le plaider rapide

La France semblant s'inspirer de la procédure américaine, avec l'introduction du plaider coupable sous forme de procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, voici une innovation, le plaider-rapide, que le législateur pourrait bientôt introduire en France.

Bien sûr, il s'agit d'un gag, puisque c'est une publicité pour une chaîne sportive, Fox Sports Net, annonçant un match entre les Los Angeles Angels Of Anaheim, ou Angels tout court, une équipe de Base Ball de Los Angeles, et les San Diego Padres, l'équipe de San Diego, l'audience étant supposée se passer le jour où cette chaîne va retransmettre ce derby prometteur.

Au-delà de la drôlerie de cette saynète qui m'a beaucoup fait rire, il est à noter que le réalisateur a néanmoins respecté la procédure américaine, qui est le fameux modèle accusatoire, auquel on oppose le modèle inquisitoire français.

Donc, après avoir souri, cultivons nous.

Vous noterez d'abord la stricte égalité des parties : le procureur est la jeune femme en tailleur beige, accompagné d'un assistant. Ils sont en habits civils et sont assis à une table rigoureusement identique à celle de la défense, à droite de l'écran. L'avocat est l'homme en costume sombre, assis à côté de son client, l'homme aux cheveux blonds.

Le juge est un juge arbitre, et non un juge pilote du procès comme en France. Il ne tranche que sur les points de procédure et veille à l'égalité des parties.

A son entrée, l'huissier (clerk), qui assure le service d'ordre, s'exclame "All rise !" : Levez-vous. Le juge invite les parties à s'asseoir (sit, sit...).

La première question qu'il pose est "Plea ?", c'est à dire what is your plea, que plaidez-vous ?

La défense répond : not guilty. Non-coupable.

Si l'accusé plaide coupable, l'audience ne portera que sur la peine. La présence du jury révèle que le tribunal savait déjà que ce serait un plaidoyer de non culpabilité, mais il doit le dire lui-même et peut changer d'avis au dernier moment. La procédure anglo-saxonne punit le coupable qui a plaidé non-coupable en prévoyant qu'une peine plus sévère sera prononcée.

L'enjeu du débat est fixé. Le juge donne donc la parole à l'accusation : Prosecution ?

La procureure propose alors des preuves : evidence en présentant une liasse de feuilles au tribunal.

Le juge répond alors : inadmissible : irrecevables.

La défense n'a rien demandé, c'est donc le juge qui soulève d'office une irrecevabilité. La procureure ne contestant pas cette irrecevabilité, l'incident ne va pas plus loin. La procédure américaine étant orale, et supposant que les témoins viennent témoigner en personne, y compris les officiers de police ayant procédé à l'arrestation (c'est ce qui justifie la sévérité d'une condamnation sur un plaidoyer de non culpabilité : cela a fait perdre du temps au juge, aux policiers, et aux témoins), on peut supposer que le juge écarte des preuves écrites.

L'accusation n'ayant pas d'autres éléments à apporter, elle annonce qu'elle en a fini : prosecution rests.

Le juge donne donc la parole à la défense : Defense ?.

La défense invoque un témoignage qui innocenterait son client : Alibi, du latin alius ibi, autre lieu, qui signifie que l'on prouve que l'accusé était en un autre lieu au moment où le crime a été commis.

L'accusation estime que cet alibi devrait être écarté comme irrecevable. Elle saisit donc le juge de cette question, qu'on appelle un incident en procédure, par le célèbre : Objection !, interjection emblématique de la profession d'avocat qui n'est pourtant absolument pas utilisée en droit français.

Le juge rejette aussitôt l'incident : overruled, objection rejetée.

Satisfaite, et un poil pressée, la défense estime en avoir terminée : Defense rests.

Le jury, qui s'est contenté de suivre l'audience sans pouvoir intervenir ni poser la moindre question, contrairement au jury français, doit alors rendre sa décision. Le juge lui demande : verdict ? du latin vere dictum, dire la vérité, la vérité judiciaire bien sûr (le mot verdict ne doit être utilisé que pour la cour d'assises).

Le jury répond : not guilty, non coupable. C'est tout ce qu'on lui demande au criminel. Le jury ne prononce pas la peine, c'est là le rôle du juge. Ici, son rôle est simplifié, il ne peut que constater l'acquittement, et se contente de lever l'audience : adjourned.

Après une journée bien remplie, chacun rentre donc chez soi avec la satisfaction du devoir accompli. Notons enfin que le prévenu fraîchement relaxé ne commet pas une récidive à la fin du sketch, faute de condamnation définitive.

Ou comment en trente secondes un réalisateur américain arrive à respecter le droit et la procédure ce qu'un réalisateur français semble incapable de faire en 52 minutes ni même en 90 minutes. Je vous reparlerai bientôt des séries judiciaires américaines qui peuvent faire rougir de honte les productions françaises, au sujet d'un moment extraordinaire dans l'une de ces séries diffusée il y a quelques jours aux Etats-Unis. Il faut que je trouve le temps de traduire l'intégralité de la plaidoirie de cet avocat, qui est une gifle adressée tant à l'administration Bush qu'au Congrès. Un superbe moment d'insolence et de liberté.

vendredi 13 avril 2007

Les Stella Awards 2006 - les vrais

J'avais déjà parlé, au tout début de ce blog, de l'affaire Stella Liebeck, qui a donné bien malgré elle naissance aux Stella Awards, alors qu'en réalité, elle ne méritait pas d'entrer ainsi dans la postérité.

Rappelons que les Stella Awards récompensent les actions judiciaires les plus frivoles et fantaisistes, motivées manifestement par l'appât du gain, dont les organisateurs ont eu connaissance aux Etats-Unis. Encore une fois, il s'agit des actions judiciaires intentées, pas des jugements rendus, qui eux sont généralement d'une banalité judiciaire affligeante. Pas toujours, vous allez le voir, du fait que la Constitution permet de demander pour toute affaire dépassant 20 dollars[1] d'être jugé par un jury.

Régulièrement, des amis ou lecteurs bien intentionnés me font suivre un célèbre e-mail qui est censé relater les derniers prix Stella, qui sont en fait tous faux et inventés de toutes pièces : on y parle d'une mère qui a obtenu un dédommagement princier car son propre fils l'avait bousculée dans un supermarché, ou d'un automobiliste qui poursuivait son constructeur qui avait un régulateur de conduite (autodrive) qu'il a cru être un pilote automatique.

Alors, histoire de sourire un peu, voici les vrais Stella Awards 2006. Tous ces cas ont été vérifiés dans la presse locale avant d'être validés.

5e prix : attribué à Marcy Meckler. Après avoir fait ses courses dans un centre commercial de Floride, Madame Meckler est sortie et a été "attaquée" par... un écureuil qui vivait dans les arbres et fourrés voisins. Et "alors qu'elle essayait frénétiquement de fuir l'écureui let le détacher de sa jambe, elle est tombée et s'est gravement blessée", explique sa plainte. Ce serait de la faute du centre commercial, conclut-elle à l'appui d'une demande de plus de 50.000 $, du fait de la carence du centre commercial à l'avertir que des écureuils vivaient autour du centre, et du fait que non seulement le centre n'a rien fait pour chasser les écureuils, mais que son personnel les encourageaient à rester en les nourrissant. Affaire pendante.

4e prix : Ron et Kristie Simmons. Leur fils de 4 ans, Justin, a été tué dans un accident tragique par une tondeuse à gazon dans une crèche agréée, et la mort a été causée par une négligence manifeste du personnel de la crèche. La responsabilité de la crèche était évidente, mais quand les Simmons ont découvert que l'assurance de la crèche ne couvrait que jusqu'à 100.000 $ de réparations, ils se sont désistés et ont assigné le fabriquant de la tondeuse à gazon, un modèle vieux de seize ans, parce que la tondeuse n'avait pas un système de sécurité qui n'avait pas été inventé à l'époque de la construction de la tondeuse, et qu'aucune agence publique de sécurité n'avait suggéré, le constructeur l'ayant de lui même ajouté sur des modèles postérieurs. Grand bien leur en a pris : un jury compréhensif a condamné le fabriquant à leur verser deux millions de dollars (ils en demandaient six).

3e prix : Robert Clymer. Cet agent du FBI était en mission à Las Vegas, Nevada. Il a eu un accident avec son véhicule (un pick-up) à cause d'un état alcoolique avancé : environ 2 g d'alcool par litre de sang, plus de trois fois la limite légale au Nevada. Il a plaidé coupable à une conduite en état d'ivresse, son avocat expliquant à cette occasion "qu'on est en droti d'attendre des agents publics qu'ils reconnaissent leurs erreurs et les corrigent". Ce qui n'a pas empêché Clymer de poursuivre le constructeur de son véhicule et le concessionnaire auquel il l'a acheté du fait qu'en le conduisant, il avait "D'une façon ou d'une autre"[2] perdu conscience et que le moteur du camion avait "d'une façon ou d'une autre" pris feu et produit une épaisse fumée qui avait envahi l'habitacle et aurait pu le tuer. Le fait qu'il venait de sortir de la route du fait de son ivresse n'étant naturellement pas un facteur pertinent. Comme conclut le rédacteur : C'est le genre de type qu'on a envie de voir porter une arme au nom de la loi.

2e prix : Kinderstart.com. Le moteur de recherche spécialisé dans l'enfance a attaqué Google en prétendant avoir été victime d'une désindexation, c'est à dire d'avoir vu son Pagerank réduit à néant, avec à la clef une baisse de 70% de son trafic en provenance des moteurs de recherche et de 80% de ses revenus de publicité AdSense (géré par Google). Kinderstart affirme qu'en ne lui rendant pas un PageRank plus élevé, Google viole sa liberté d'expression protégée par le Premier amendement. Google objecte que le PageRank équivaut à une opinion, et que les forcer à émettre une opinion favorable en notant bien un site serait violer leur liberté d'expression. Kinderstart a perdu, Google ayant démontré lors du procès qu'ils publient les règles de référencement et avaient averti le webmestre de ce qu'il envisageait le déclassement, motivé par des pratiques douteuses dites "black hat", à savoir du texte invisible dans ses pages et des moyens pour gonfler artificiellement les liens entrant vers son site. Faire un procès quand on sait qu'on a tort, ça méritait un Stella.

Enfin, le premier prix est accordé à... (roulement de tambour)

Allen Ray Heckard. Bien que Monsieur Heckard mesure 10cm de moins, pèse 12 kilos de moins et est plus vieux de huit ans que le célèbre joueur de basket Michael Jordan, ce résidant de Portland (Oregon) affirme qu'il ressemble à Michael Jordan et est souvent confondu avec lui, et donc qu'il mérite 52 millions de dollars pour "diffamation et faute permanente[3], outre 364 millions de dollars de dommages intérêts punitifs pour "préjudice et souffrance moraux", plus LE MÊME montant du fondateur de Nike, Phil Knight, pour un total de 832 millions de dollars. Il s'est désisté de sa demande après un entretien avec les avocats de Nike, qui ont dû lui expliquer le sens de l'expression "demande reconventionnelle".

Tenez, soyez le juge : voici côte à côte Messieurs Heckars (à gauche) et Jordan (à droite).

Vous vous demanderez "Est ce que ça arrive en France" ? La réponse est non et oui. Non, on voit très peu d'affaires de ce type devant les juridictions civiles. Les juges français sont notoirement radins en matière de responsabilité civile, notamment en dommage corporel. De telles actions ne seraient pas rentables. Mais oui, il y a des demandes farfelues ou visant à nuire, mais on les trouve au pénal. Je ne crois pas qu'il y ait un juge d'instruction en France qui n'ait pas vu arriver sur son bureau une plainte avec constitution de partie civile, surtout quand l'aide juridictionnelle dispense le plaignant de l'obligation de consigner, qui, pour le moins, a de quoi laisser perplexe.

Alors, sommes nous plus intelligents que les américains, ou bien est le secret de l'instruction qui préserve nos illusions ?

Notes

[1] Le montant a été fixé lors de la rédaction de la constitution en 1787 et n'a pas été modifié depuis. 20 dollars de 1787 équivaudraient aujourd'hui à environ 5000 dollars.

[2] "Somehow" est le terme utilisé dans l'assignation.

[3] Defamation and permanent injury", inury ayant perdu le sens d'injure et s'entendant de blessure, dommage, ou de manière générale de faute civile.

vendredi 15 décembre 2006

Les Démocrates risquent de perdre leur majorité au Sénat

La presse française s'en fait fort peu l'écho, et pourtant la nouvelle est d'importance. Un mois à peine après leur victoire au mid-term elections, le parti démocrate risque fort de perdre sa majorité au Sénat. Il est vrai que l'explication est un peu compliquée, et que les médias détestent embêter leurs lecteurs avec des choses compliquées.

Alors, y a-t-il eu un coup d'Etat ? Une trahison ? Non point.

Rappelons tout d'abord qu'au lendemain des élections du 7 novembre dernier, les démocrates avaient obtenus une courte majorité de 51 sièges contre 49 aux Républicains (le Sénat américain à cent sièges, deux par Etat).

Le sénateur Démoctate Tim Johnson, sénateur du Dakota du Sud (capitale Pierre, 14.000 habitants, comme tout le monde le sait) vient d'être frappé par un accident vasculaire cérébral et a été opéré à l'hôpital George Washington, à Washington D.C. Son état est critique mais stable.

Vu la gravité de cette attaque, il ne devrait pas être en état de tenir son mandat de sénateur américain (Notons ici la supériorité de la France qui a depuis longtemps permis l'accession aux plus hautes responsabilités aux grands malades).

Que prévoit la loi en l'occurrence ?

La Constitution américaine, pas grand chose. Elle précise (Article Premier Section 3) que

Le Sénat des États-Unis sera composé de deux sénateurs pour chaque État, choisis pour six ans par la législature de chacun, et chaque sénateur disposera d'une voix.

et le 17e amendement que

En cas de vacance dans la représentation d'un Etat au Sénat, l'exécutif de cet Etat devra convoquer des élections pour y suppléer ; toutefois, le législatif de cet Etat pourra donner pouvoir à l'exécutif pour désigner provisoirement un remplaçant jusqu'à ce que le peuple comble la vacance par voie d'élection conformément à ce que le législatif décidera.

Or le gouverneur du Dakota du Sud, Mike Rounds, est Républicain. Les deux chambres du parlement du Dakota méridional sont également républicaines. Il ne fait donc aucun doute que le remplaçant de Tim Johnson sera républicain. La Constitution laissant une large maîtrise du processus électoral aux Etats, et le mandat de Johnson expirant en 2008, le Dakota du Sud pourra aisément désigner un remplaçant et renvoyer la désignation de son successeur aux élections de 2008.

Mais, me direz-vous, on retombe dans une hypothèse de parité : 50-50. Les républicains n'ont pas la majorité.

Certes. Mais c'est là que j'invoque l'article Premier, Section 3, alinéa 4 de la Constitution américaine :

Le Vice Président des Etats-Unis sera Président du Sénat, mais sans droit de vote, sauf en cas de partage des voix.

Le Vice Président est le Républicain Richard Bruce "Dick" Cheney. Voilà la cinquante et unième voix donnant la majorité sénatoriale aux républicains.

Les démocrates américains n'ont donc jamais été aussi soucieux de l'état de santé d'un de leurs sénateurs. La presse française ayant visiblement décidé que ce qui nous intéressait, c'est le voyage en Suisse de Johnny Halliday, la suite de ce suspense politique sera à lire sur ce blog.

mardi 6 juillet 2004

Elections américaines (2)

Rappelons tout d’abord quelques points simples : Les Etats Unis forment une fédérations d’Etats, d’où le nom Etats-Unis.

50 Etats forment actuellement cette fédération, alors qu’au début, ils n’étaient que treize (c’est pourquoi le drapeau américain a treize bandes rouges et blanches, et cinquante étoiles blanches dans la carré bleu).

Une Fédération — on en parle beaucoup au sein de l’Union européenne ces temps ci— est un Etat composé lui même de plusieurs Etats autonomes (les Etats fédérés) qui ont abandonné certaines compétences à l’Etat fédéral (principalement la défense extérieure et la diplomatie ainsi que la lutte contre la criminalité qui dépasse les frontières d’un seul Etat), Etat auquel ils ont le droit de participer et la garantie d’être représentés. La France est un Etat unitaire. L’Allemagne et la Suisse sont des Etats fédéraux (nonobstant le terme de confédération helvétique, ces Suisses ne savent décidément pas parler français).

Un Etat fédéral se caractérise par une Constitution, une confédération par un traité. C’est pourquoi le projet de « Constitution » européenne est impropre : cette Constitution est en réalité un Traité, et l’Union Européenne deviendrait une confédération et non une fédération.

Les Etats Unis sont donc une fédération. La Capitale fédérale est la ville de Washington, située le district de Columbia (qui n'est pas considéré comme un Etat du fait de sa dépendance directe de l'Etat fédéral : le représentants du DC au Sénat ne votent donc pas. On parle de Washington D.C. pour la distinguer de l’Etat de Washington, au nord ouest des Etats Unis (capitale Olympia, principale ville Seattle, spécialités : la pomme, les avions de ligne et les multinationales de l’informatique voulant être maître du monde).

Chaque Etat fédéré a ses propres lois, son chef de l’Etat (il a le titre de gouverneur), son parlement, ses juges.

L’Etat fédéral se superpose à l’ensemble de ses Etats et a ses propres institutions : un exécutif, un parlement bicaméral (c’est à dire composé de deux chambres, comme en France) et un judiciaire : la Cour Suprême, composée de neuf juges nommés à vie qui juge des litiges portant sur l’application de la Constitution.

La Fédération est donc dirigée par un Président, le Président des Etats-Unis. On ne dit pas Président de la République des Etats-Unis. Il est élu selon les modalités que nous verrons plus loin en même temps qu’un vice-président. Le Vice Président a pour fonction de suppléer le président qui viendrait à décéder en exercice (ainsi Lyndon Johnson a succédé à John Kennedy en 1963), révoqué ou démissionnaire (Gerald Ford a ainsi succédé à Richard Nixon en 1974). L’actuel président des Etats Unis est George W Bush (qui l’ignore ?) et le vice président Richard Cheney. A noter : George Bush senior était le vice président de Ronald Reagan de 1980 à 1988.

La fédération a un pouvoir législatif : le Congrès, qui désigne les deux chambres du parlement fédéral : Le Sénat, présidé par le Vice Président des Etats Unis sans droit de vote, représente les Etats sur un strict pied d’égalité à raison de deux sénateurs par Etat (il y a donc 100 sénateurs), élus pour 6 ans et la Chambre des représentants (House of representatives), au nombre de 435, qui sont élus pour 2 ans et représentent l’ensemble des citoyens des Etats Unis en fonction du poids démographique. Son président (Speaker) est élu en son sein.

Ainsi, la Californie, Etat le plus peuplé (34 millions d’habitants) a autant de sénateurs que le Vermont, l’Etat le moins peuplé (203 000 habitants), mais a 53 représentants, le Vermont se contentant de Bernie Sanders comme unique Représentant.

Le système électoral doit prendre cette réalité en compte.

Elire le président au suffrage universel direct revient à donner un poids considérable aux Etats les plus peuplés que sont la Californie, la Floride, le Texas, l’Illinois et l’Etat de new York (dont la capitale comme tout le monde le sait est Albany et non New York), au détriment d’Etats comme le Vermont, l’Alaska, l’Iowa, l’Idaho, qui n’auraient plus la moindre importance. Ce serait contraire au principe d’égalité des Etats fédérés.

Elire le président par vote des Etats sur un pied d’égalité aurait l’effet opposé, et ignorerait l’importance des Etats sus-mentionnés.

La question n’est pas neutre. Aujourd’hui, le premier système donnerait un considérable avantage aux Démocrates tandis que le second assurerait durablement la présidence aux Républicains, qui ont une forteresse inexpugnable dans le Sud et le middle west.

La solution de compromis trouvée par les rédacteurs de la Constitution en 1787 est celle du Collège électoral.

Chaque Etat désigne un nombre de grands électeurs égal à sa représentation au Congrès, soit son nombre de Représentants + 2.

Ainsi, chaque Etat a au minimum trois grands électeurs, jusqu’à 55 pour la Californie, suivie par le Texas, 34 grands électeurs, la Floride, 27, New York, 31 et l’Illinois, 27.

Il y a en tout 538 grands électeurs

Pour que cette représentation pondérée joue à plein, une désignation proportionnelle a été écartée, au profit de la règle « the winner takes all » , admirablement mis en musique par ABBA, mais je m’égare. Le candidat arrivé en tête dans un Etat remporte tous les grands électeurs. Les grands électeurs sont désignés au mois de novembre de l’année de fin de mandat du président en exercice et se réunissent chacun dans leur capitale d’Etat pour exprimer leur vote en décembre. En cas d’égalité, avantage au poids démographique : c’est la Chambre des Représentants qui élit le président. Le nouveau président prend ses fonction au mois de janvier de l’année suivante, en même temps que le vice président.

Ainsi, dire, comme je l’ai encore entendu ce matin à la radio, que Kerry est donné gagnant parce qu’il est en tête de 5 points dans les sondages ne veut absolument rien dire avec une si faible avance. La question est : dans quels Etat est-il en avance ?

Certains Etat sont traditionnellement acquis à un parti. La Californie ira à Kerry, le Texas à Bush.

Au passage, quelqu'un de plus pointu que moi en vie politique US pourrait il m'expliquer ce paradoxe qui veut qu'un Etat qui vote sans cesse pour un Présdident démocrate élise si souvent un gouverneur républicain ?

La campagne va se jouer à couteaux tirés dans les « battleground states », les Etats ou l’écart entre candidats est si faible que tout peut s’y jouer. L'Ohio et ses 20 grands électeurs (légèrement à Kerry) et le Michigan qui en a 17 éveillent des appétits. Mise à jour : tout semble indiquer que les élections se joueront en Floride, 27 grands électeurs, l'Ohio, 20 et la Pennsylvanie, 21 : celui qui aura deux de ces trois Etats sera élu Président des Etats Unis.

A ce jour, d’après le site electoral vote, Bush est sûr d’avoir 154 grands électeurs, et Kerry 168 (ce sont les Etats ou l’écart entre les candidats est supérieur à 10 points, écart irrattrapable en pratique). Il en faut 270 pour être élu. Vous voyez que rien n’est joué, d’autant plus que quand un Etat passe d’un candidat à l’autre, l’écart creusé est du double du nombre de grands électeurs, puisqu’il sont soustraits à l’un ET additionnés à l’autre.

Quand on sait que pour 129 d’entre eux, tout se joue dans un écart inférieur à 5% avec une marge d’erreur admise de 3%, n’enterrez pas trop vite l’éléphant.

On se dirige en tout cas, sauf événement imprévu d’ici novembre, à une nouvelle élection dans un mouchoir de poche.

Au sommaire de la prochaine note : les critiques habituellement faites à ce système et leur réponse, et l’explication juridique de la crise de Floride lors des élections de 2000 (ou : Bush a-t-il vraiment volé les élections de 2000 ? Comme vous le verrez, la réponse est non).

lundi 5 juillet 2004

Elections américaines (1)

Un événement aux répercussions mondiales va avoir lieu à la rentrée. Il s’agit de l’élection du 44e président des Etats-Unis, ou de la ré-élection du 43e, c’est selon.

La Constitution américaine n’est pas d’une approche facile, et l’imbroglio des élections en Floride en 2000 n’a pas aidé à en comprendre le fonctionnement.

Il s’agit d’une question juridique, puisque c’est du droit constitutionnel, et son impact sur le monde me semble justifier que j’y consacre quelques billets pour tenter d'éclairer la question.

Cela me donnera l’occasion de balayer quelques clichés que l’on ressasse régulièrement sur le système électoral américain, qui avait amené en 2000 à des commentaires très suffisants de la part d’éditorialistes et hommes politiques français, jusqu’à ce qu’un certain jour d’avril 2002, ce soit le monde entier qui se gausse de la France et de son merveilleux système électoral qui a privé la moitié des Français de représentation au second tour, et les a tous privé d’une vraie liberté de choix, aboutissant à la ré-élection avec un score digne de république bananière d’un président à la probité contestée.

Tenez, un premier cliché à balayer d’entrée de jeu : les États Unis ne seraient pas une vraie démocratie car les élections présidentielles n’ont que deux candidats, tandis que la France avait 16 candidats au premier tour, ce qui laisse un plus large éventail d’opinions.

C’est archi faux et explique en partie les difficulté du dépouillement de Floride (j’y reviendrai). En effet, il y avait 16 candidats aux élections présidentielles : Harry Browne, Patrick J. Buchanan, George W. Bush, Earl F. Dodge, Al Gore, John S. Hagelin, James E. Harris, Jr., Denny Lane, David McReynolds, Monica Moorehead, Ralph Nader, Howard Phillips, L. Neil Smith, Randall Venson et Louie G. Youngkeit.

Les partis républicains (Republican National Comitee – RNC - habituellement appelé the GOP, the Grand Old Party et symbolisé par un éléphant) et le parti démocrate (Democratic National Comitee, DNC, symbolisé par un âne) dominent la scène politique des Etats Unis. Mais c’est là le seul fait des électeurs.

Autre cliché : Les partis démocrates et républicains sont tous deux de droite et s’accaparent le pouvoir, leur mainmise prouve que toute autre idée (sous entendu de gauche) n’a pas droit de cité.

C’est on ne peut plus faux.

Certes, les communistes américains ont peu de chance d’arriver un jour au pouvoir (leur candidate, Monica Moorehead, a obtenu en 2000 en tout et pour tout 4.795 voix, et elle n’en a obtenu aucune dans 46 Etats). Pour ma part, je pense que c'est plutôt un signe de démocratie saine. De même, l'extrême droite a des scores microscopiques : 0,42%. Ca fait rêver.

La division droite gauche qui a cours en France n’a aucun sens aux États Unis. Rappelons sa naissance : lorsque les États Généraux se sont proclamés assemblée générale constituante, les tenants d’une monarchie constitutionnelle se sont regroupés sur la droite de l’assemblée, pour former un bloc contre les réformateurs voulant abolir la monarchie et proclamer la République, qui firent bloc sur la gauche de l’assemblée.

Aux États Unis, la division ne se fait pas entre les monarchistes et les républicains. Elle se fait entre les tenants d’un État Fédéral fort, et ceux tenants de l’indépendance des États fédérés.

Ainsi, à sa naissance en 1856, le parti républicain était marqué à gauche au sens européen. Il s’est constitué autour de la lutte contre l’esclavage (Lincoln était Républicain, c’est même le premier président républicain), et la revendication de terres gratuites à l’ouest pour les colons (une réforme agraire en somme), et s’est illustré dans la cause de l’égalité féminine : il est le premier à avoir exigé le droit de vote des femmes et a fait élire au Congrès la première femme en 1917.

Et avant 1856 ? Le bipartisme s’était déjà installé entre les Démocrates (fondés par Thomas Jefferson en 1792) et les Whigs, ou Parti fédéraliste. Les whigs n’ont pas survécu à la querelle sur l’esclavage et à la guerre de Sécession.

Il est donc possible pour un parti de déboulonner l’un des deux grands.

J’inaugure donc par ces prolégomènes une visite aux Etats-Unis, avec analyse du sytème électoral (les primaires et caucus, les conventions nationales, le système des grands électeurs) jusqu’à l’élection elle même.

Pour ceux que le thème n’intéresse pas, j’intercalerai quelques billets plus habituels, rassurez vous.

Ceux qui n’ont que « i nou fon chié lé states » à dire sont invités à aller cliquer ailleurs voir si j’y suis.

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