Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Les leçons de Maître Eolas

Le droit compréhensible.

Fil des billets - Fil des commentaires

mercredi 2 mai 2007

La classification tripartite des infractions

Après mon billet sur les sursis, j'avais envie de vous expliquer ce qu'est exactement la récidive au sens légal, mais je me rends compte qu'un préalable est indispensable pour la clarté de l'exposé. Ce préalable porte sur un point fondamental du droit pénal français, la classification tripartite des infractions. Maîtriser ce concept très simple rendra mes billets sur le droit pénal bien plus compréhensibles.

En droit pénal, on appelle infraction tout acte ou abstention d'agir qui est puni par la loi d'une peine. Traverser en dehors des clous ou commettre un génocide sont des infractions.

La loi répartit les infractions en trois catégories : c'est la classification (la répartition) tripartite (en trois) des infractions. Le critère est celui de la gravité de l'acte, qui se traduit par la peine encourue. Pour savoir à quelle catégorie appartient une infraction, il suffit de regarder quelle peine elle fait encourir. Rappel important : le code pénal ne donne que le maximum de la peine, le juge est libre de descendre en dessous, le minimum étant un euro d'amende et un jour de prison (sauf dans deux cas, nous allons le voir).

Ces catégories sont : les contraventions, les délits et les crimes. Chacune de ces catégories est divisée en échelle de peines, le législateur choisissant quand il définit une infraction l'échelon qui lui paraît le plus approprié compte tenu de sa gravité. Il peut aussi décider de changer une infraction d'échelon sans changer sa définition pour faire passer aux juges le message d'une plus grande sévérité.

La plus grave est la catégorie des crimes. Les crimes sont punis de prison, et parfois d'une amende, mais c'est rare. On est dans des cas d'atteinte tellement grave à l'ordre social que seule une longue privation de liberté est adéquate pour la réparer : viols, homicides, terrorisme, grand banditisme. L'échelle des peines (posée à l'article 131-1 du code pénal) commence à quinze années encourues, puis monte à vingt années, trente années, et se termine sur le dernier échelon : la perpétuité. On parle d'ailleurs non pas d'emprisonnement mais de réclusion criminelle. C'est ici que sont les deux exceptions au principe que le juge peut descendre aussi bas qu'il le souhaite. Un crime ne peut être puni de moins d'un an d'emprisonnement, et de moins de deux ans quand il est puni de la perpétuité.

Par exemple, les coups mortels, ou violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner (article 222-7 du code pénal), sont passibles de 15 années de réclusion criminelle (premier échelon), le meurtre (article 221-1 du code pénal) de 30 années de réclusion criminelle, l'assassinat (qui est le meurtre avec préméditation) de la perpétuité (article 221-3 du code pénal).

Les délits sont une catégorie intermédiaire : on n'est pas dans la gravité du crime, mais la privation de liberté doit parfois être prononcée : ce sont les violences volontaires, les vols, les escroqueries... La catégorie est vaste. Les délits sont punis de peines d'amende et d'emprisonnement[1] (on ne parle pas de réclusion quand la peine est inférieure ou égale à dix années, même si elle est prononcée par la cour d'assises), parfois d'amende seulement, mais de très fort montants (le délit de publication d'information sur les résultats d'une élection avant la fermeture des bureaux de vote est un délit puni seulement d'une peine d'amende, mais de 75.000 euros quand même). L'échelle des peines (article 131-4 du code pénal) est la suivante : 6 mois, un an, deux ans, trois ans, cinq ans, sept ans et dix ans. Il n'y a pas d'échelle pour l'amende délictuelle, le législateur fixe le montant librement.

Les délits passibles de dix années d'emprisonnement sont un peu à part, on est dans le quasi-crime, et la loi les assimile parfois à des crimes, comme pour la récidive par exemple.

La consommation de stupéfiant (article L.3421-1 du code de la santé publique) est punie d'un an de prison et 3750 euros d'amende, le vol simple (article 311-3 du code pénal) est puni de trois années d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende, l'escroquerie (art. 313-1 du code pénal) de cinq années et 75.000 euros d'amende, l'extorsion (art. 312-1 du code pénal) de sept années et 100.000 euros d'amende, et le trafic de stupéfiant (art. 222-37 du code pénal), de 10 années d'emprisonnement et de 7.500.000 euros d'amende (oui, sept millions et demi).

Les contraventions sont les infractions les moins graves et aussi les plus fréquentes. Contrairement à son acception la plus répandue, la contravention n'est pas limitée au domaine de la circulation routière, même si le Code de la route est une mine inépuisable de contraventions et que ce sont celles auxquelles nous sommes le plus fréquemment confrontés. Le Code du travail en contient aussi beaucoup (notamment les règles en matière d'hygiène et de sécurité et de représentation du personnel), le code de la consommation (règles d'affichage des prix et de conservation des denrées) et le code pénal aussi. Les contraventions ne sont passibles que de peines d'amende. L'échelle des peines est ici plus visible puisque les contraventions sont réparties en cinq classes, la définition des contraventions se contentant de dire "sera puni des peines prévues pour les contravention de troisième classe le fait de...". Cette échelle (article 131-13 du code pénal) est la suivante : 38 euros (1e classe), 150 euros (2e classe), 450 euros (3e classe), 750 euros (4e classe), et 1500 euros (5e classe). Les contraventions de 5e classe sont des presque-délits et traités comme tels : ils sont jugés non pas par le juge de proximité mais par un juge professionnel, le juge de police, et la récidive peut exister sur une contravention de 5e classe si la loi le prévoit.

Traverser en dehors des clous (art. R.412-43 du code de la route) est une amende de la 1e classe, de même que l'injure non publique non précédée de provocation (article R.621-2 du code pénal), les violences n'ayant entraîné aucune incapacité totale de travail sont une contravention de la 4e classe (article R.625-1 du code pénal), les dégradations légères, de la cinquième classe (art. R. 635-1 du code pénal).

Les conséquences de cette classification sont très importantes. Je ne vais pas vous en faire la liste, mais la conséquence essentielle est procédurale : les crimes sont jugés par la cour d'assises, trois juges et neuf jurés, et une instruction judiciaire est obligatoire (seul le juge d'instruction peut saisir la cour d'assises). Les délits sont jugés par le tribunal correctionnel (trois juges en principe, les délits les poins graves sont jugés par un juge unique), et l'instruction judiciaire est facultative et n'est utilisée que pour les affaires complexes. Les contraventions sont jugées par la juridiction de proximité pour les quatre première classes, par le juge de police pour la cinquième classe, toujours à juge unique, et l'instruction judiciaire est possible, mais exceptionnelle.

Notons enfin que les même faits peuvent traverser tout l'éventail des infractions selon leur gravité. Prenons l'exemple des violences volontaires : A frappe B.

Hypothèse 1 : A met une gifle à B, qui a juste la joue un peu rouge et son orgueil froissé, c'est une contravention de 4e classe (750 euros d'amende encourue) jugée par la juridiction de proximité. Article R.624-1 du code pénal.

Hypothèse 2 : Cette fois, A a fermé sa main et a donné un coup de poing, qui inflige à B cinq jours d'incapacité totale de travail : c'est une contravention de 5e classe, 1500 euros d'amende encourue, jugée par le tribunal de police. Article R.625-1 du code pénal.

Hypothèse 3 : Le coup de poing a été porté sur le nez qui s'est cassé : 10 jours d'incapacité totale de travail. C'est un délit, passible de trois années d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende, jugé par le tribunal correctionnel, qui peut siéger à juge unique. Article 222-11 du code pénal.

Hypothèse 4 : Le coup de poing a crevé l'oeil de B. Ce sont des violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente. C'est un délit, passible de dix années d'emprisonnement et de 100.000 euros d'amende (et la prison ferme devient probable même en l'absence de casier judiciaire), jugé par le tribunal correctionnel, obligatoirement en formation collégiale (trois juges). Article 222-9 du code pénal.

Hypothèse 5 : Le coup de poing a provoqué une hémorragie cérébrale et B est mort. Ce sont des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner : quinze années de réclusion criminelle encourue, instruction judiciaire obligatoire, puis jugement par la cour d'assises. Article 222-7 du code pénal.

Voilà, en résumé, retenez que le terme "infraction" est générique, que la contravention est passible d'amende, les délits de 10 ans de prison maximum, et que les crimes vont de 15 ans à la perpétuité et sont jugés par la cour d'assises. Vous serez armés pour chercher dans les articles de journaux les incorrections de vocabulaire commises par les journalistes, et pour bien comprendre les règles de la récidive au sens légal.

Notes

[1] J'ajoute pour que mon propos soit complet que la loi prévoit que le juge peut prononcer des peines d'une autre nature que l'emprisonnement ou l'amende, comme le jour amende, le stage de citoyenneté, la sanction-réparation, mais ces peines sont rarement utilisées et sortent du sujet de ce billet.

jeudi 19 avril 2007

Les sursis

Il s'agit ici d'une réédition d'un billet du 23 mars 2005, qui n'était plus à jour, du fait notamment du passage de la loi Clément sur la récidive. Le voici actualisé.

Il existe deux types de sursis : le sursis simple (la peine n'est pas exécutée si le condamné se tient à carreau) et les sursis que nous appelleront "complexes" : la peine n'est pas exécutée si le condamné se conforme à des obligations fixées par le tribunal (mise à l'épreuve, accomplissement d'un travail d'intérêt général), qui supposent un suivi judiciaire. Le sursis peut être total ou partiel : dans ce dernier cas, on parle de peine "mixte" : une part de prison ferme pour réprimer, une part avec sursis pour dissuader.

Une autre distinction à faire est celle entre une peine privative de liberté (i.e. de la prison) et les peines non privatives de liberté.

Le sursis peut en effet s'appliquer aussi à des peines autres que la prison : l'amende (délictuelle et pour les contraventions de la 5e classe, les plus graves), aux jours-amende (ça doit être rare, je ne l'ai jamais vu), aux peines alternatives à l'emprisonnement (prononcées aux lieux et places d'une peine d'emprisonnement) des articles 131-6, 131-7 et 131-14 du Code pénal sauf la confiscation, et aux peines complémentaires (prononcées en plus d'une peine d'emprisonnement) des articles 131-10, 131-16 et 131-17 sauf les confiscations, fermetures d'établissement ou affichage de la condamnation.

Les effets des sursis sont les mêmes : passé un certain temps sans incident (5 ans pour un sursis simple, le délai d'épreuve fixé par le tribunal pour les sursis complexes), la condamnation est réputée non avenue. Elle figure quand même au bulletin n°1 du casier judiciaire, mais elle ne fait plus obstacle à un nouveau sursis, ne peut mettre en état de récidive, et bien sûr ne peut plus être mise à exécution.

  • Le sursis simple (ou sursis tout court) :

Il ne peut être prononcé que pour les peines d'amende ou d'emprisonnement n'excédant pas 5 ans. Le prévenu ne doit pas avoir été condamné à de la prison avec sursis dans les 5 ans précédents. On ne peut avoir qu'un seul sursis simple en cours.

Si le prévenu a été condamné à une peine non privative de liberté, assortie du sursis, le tribunal peut encore prononcer une peine de prison avec sursis simple, mais pas une nouvelle peine non privative de liberté, mais d'une autre nature.

Exemple : A a été condamné à 500 euros d'amende avec sursis. S'il est jugé à nouveau dans une délai de 5 ans pour un délit ou crime, il peut être condamné à de la prison avec sursis, mais pas à une amende avec sursis.

Toute peine de prison ferme, même d'un jour, révoque automatiquement tous les sursis (sauf si exceptionnellement le tribunal en décide autrement, ce qui est très rare).

Toute peine non privative de liberté ferme révoque tous les sursis sauf celui accompagnant un emprisonnement. La loi estime que dans ce cas, la condamnation prononcée par le tribunal aurait des conséquences excessives par rapport à la peine qu'il a jugée adéquate.

  • Les sursis "complexes" : le sursis avec mise à l'épreuve (SME) ou le sursis avec obligation d'accomplir un travail d'intérêt général (sursis TIG).

Ces sursis ne peuvent accompagner qu'une peine privative de liberté. Leur intérêt est qu'ils peuvent être prononcés quand le prévenu a déjà une peine de prison avec sursis au casier. Ils peuvent se cumuler à hauteur de deux, sauf si l'intéressé est poursuivi pour un crime, un délit de violences volontaires, un délit d'agressions ou d'atteintes sexuelles ou d'un délit commis avec la circonstance aggravante de violences, auquel cas un seul SME est permis : s'il en a déjà un, le juge ne peut que prononcer une peine de prison ferme. J'en ai déjà vu en prononcer en exprimant ses regrets de n'avoir pas d'autre choix. Merci la loi Clément.

Ils impliquent un suivi du condamné par le juge d'application des peines qui s'assurera du respect de ses obligations par le condamné, faute de quoi il pourra révoquer le sursis.

Le tribunal quand il prononce une de ces peines doit en fixer les modalités. C'est a dire préciser la durée de l'emprisonnement, toujours dans la limite de 5 ans (10 ans si la personne est en état de récidive légale, mais en cas de peine mixte, la partie ferme ne peut excéder cinq ans), et soit la durée et la nature des obligations de la mise à l'épreuve, soit le nombre d'heures de TIG

Le sursis avec mise à l'épreuve (SME) : Le délai d'épreuve est compris entre 12 mois et 3 ans. Ce délai est porté à 5 ans si le prévenu est en état de récidive, ou à sept ans si la personne a déjà été condamnée en état de récidive.

Tout SME entraîne automatiquement les obligations suivantes pour le condamné, sans même que le tribunal ait à les prononcer (article 132-44 du code pénal).

  1. Répondre aux convocations du juge de l'application des peines ou du travailleur social désigné ;
  2. Recevoir les visites du travailleur social et lui communiquer les renseignements ou documents de nature à permettre le contrôle de ses moyens d'existence et de l'exécution de ses obligations ;
  3. Prévenir le travailleur social de ses changements d'emploi ;
  4. Prévenir le travailleur social de ses changements de résidence ou de tout déplacement dont la durée excéderait quinze jours et rendre compte de son retour ;
  5. Obtenir l'autorisation préalable du juge de l'application des peines pour tout déplacement à l'étranger et, lorsqu'il est de nature à mettre obstacle à l'exécution de ses obligations, pour tout changement d'emploi ou de résidence.

En plus, le tribunal peut prononcer les obligations qu'il souhaite parmi cette liste (qui figure à l'article 132-45 du code pénal) :

  1. Exercer une activité professionnelle ou suivre un enseignement ou une formation professionnelle ;
  2. Établir sa résidence en un lieu déterminé ;
  3. Se soumettre à des mesures d'examen médical, de traitement ou de soins, même sous le régime de l'hospitalisation ;
  4. Justifier qu'il contribue aux charges familiales ou acquitte régulièrement les pensions alimentaires dont il est débiteur ;
  5. Réparer en tout ou partie, en fonction de ses facultés contributives, les dommages causés par l'infraction, même en l'absence de décision sur l'action civile ;
  6. Justifier qu'il acquitte en fonction de ses facultés contributives les sommes dues au Trésor public à la suite de la condamnation ;
  7. S'abstenir de conduire certains véhicules déterminés par les catégories de permis prévues par le code de la route ;
  8. Ne pas se livrer à l'activité professionnelle dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise ;
  9. S'abstenir de paraître en tout lieu spécialement désigné ;
  10. Ne pas engager de paris, notamment dans les organismes de paris mutuels ;
  11. Ne pas fréquenter les débits de boissons ;
  12. Ne pas fréquenter certains condamnés, notamment les auteurs ou complices de l'infraction ;
  13. S'abstenir d'entrer en relation avec certaines personnes, notamment la victime de l'infraction.
  14. Ne pas détenir ou porter une arme ;
  15. En cas d'infraction commise à l'occasion de la conduite d'un véhicule terrestre à moteur, accomplir, à ses frais, un stage de sensibilisation à la sécurité routière ;
  16. S'abstenir de diffuser tout ouvrage ou oeuvre audiovisuelle dont il serait l'auteur ou le co-auteur et qui porterait, en tout ou partie, sur l'infraction commise et s'abstenir de toute intervention publique relative à cette infraction ; les dispositions du présent alinéa ne sont applicables qu'en cas de condamnation pour crimes ou délits d'atteintes volontaires à la vie, d'agressions sexuelles ou d'atteintes sexuelles ;
  17. Remettre ses enfants entre les mains de ceux auxquels la garde a été confiée par décision de justice ;
  18. Accomplir un stage de citoyenneté.
  19. En cas de violences conjugales, s'abstenir de paraître au domicile conjugal.

Il va de soi que le tribunal choisit celles en relation avec l'infraction ou ses causes. Les plus fréquentes sont et de loin l'obligation de travail, de soins et d'indemnisation (1°, 3° et 5°).

Le stage de citoyenneté est une invention de la la loi Perben II, une session (jusqu'à un mois, 6 heures par jour maximum) de propagande républicaine aux frais du condamné, auquel je prédis un succès mitigé auprès des juridictions, sauf si le prévenu est animateur à la télévision.

Le sursis TIG : trois différences essentielles dans le régime du sursis TIG : il est applicable aux mineurs de 16 à 18 ans, il doit être accepté par le prévenu (le président lui demande son accord avant de délibérer pour savoir s'il peut envisager la possibilité de prononcer un TIG) et il ne peut être que total : pas de peine mixte prison + TIG. Les TIG doivent être accomplis dans le délai de 12 mois à compter de la condamnation, le délai d'épreuve est donc fixe.

La durée est de 40 h à 210 heures, fixée par le tribunal.

Les sursis complexes ne sont jamais révoqués automatiquement, contrairement au sursis simple. Ils sont révoqués soit par le juge d'application des peines en cas de non respect des obligations du condamné, soit par un tribunal statuant sur une nouvelle infraction commise pendant le délai d'épreuve.

Enfin, sachez que les TIG peuvent dans certains cas être prononcés à titre de peine principale et non comme modalité du sursis, auquel cas la violation des obligations constitue un délit à part entière, une sorte d'évasion atténuée. Je n'entrerai pas dans les détails, l'application de ce texte étant problématique et hors sujet.

Quelques exemples pour mettre tout cela en pratique.

''X. est poursuivi pour vol. Il n'a pas de casier, il se prend deux mois avec sursis. Un an plus tard, il commet des dégradations (il n'y a donc pas récidive). Le sursis simple n'est plus applicable. Le tribunal prononce 4 mois de SME pendant 2 ans avec obligation de travailler et d'indemniser la victimes (132-45, 1° et 5°). Un an plus tard, il commet à nouveau un vol. Le tribunal le condamne à 6 mois fermes. Le sursis simple est automatiquement révoqué : il fera donc 8 mois ; le tribunal peut en outre décider de révoquer le SME (on se demande d'ailleurs comment en prison il respectera ses obligations), ce qui fait un total de 2 mois + 4 mois + 6 mois = 12 mois.''

''Y. est poursuivi pour des dégradations. Il n'a pas de casier. Il prend 1000 euros d'amende avec sursis. Un an plus tard, il est à nouveau poursuivi, pour un vol. Le tribunal ne peut plus prononcer d'amende avec sursis. Il peut prononcer de la prison avec sursis et le condamne à un mois avec sursis. Un an plus tard, nouvelles poursuites pour abus de confiance (Y. suit décidément une bien mauvaise pente). Il est en état de récidive. Il se prend 3000 euros d'amende. Le sursis est révoqué automatiquement pour l'amende, mais pas pour la prison. Il doit donc payer 4000 euros d'amende. Un an plus tard, revoilà notre Y. devant le tribunal correctionnel. Le tribunal peut soit prononcer une peine de prison ferme, à laquelle viendra s'ajouter automatiquement un mois du sursis révoqué, soit prononcer un sursis SME qui n'entraînera pas révocation. Vu le casier du garçon, gageons que le procureur exigera de la prison ferme, et qu'il l'obtiendra.''

vendredi 30 mars 2007

Un point sur les comparutions immédiates

Je profite du fait que la 23e chambre du tribunal de Paris, qui juge les comparutions immédiates, soit devenue hier la chambre star pour expliquer un peu comment ça marche et ce qui s'est passé.

Les comparutions immédiates sont ce qu'on appelait autrefois les flagrants délits, et font partie de ce qu'on appelle le traitement en temps réel (TTR en jargon).

Quand une personne est interpelée pour des faits venant d'être commis, voire commis sous les yeux des policiers, la personne est d'abord placée en garde à vue pour que la police puisse réunir les preuves de l'infraction. Dans bien des cas, en quelques heures, toutes les preuves sont réunies, les témoins et la victime entendus, et les faits sont même souvent reconnus par le gardé à vue. La garde à vue dure 24 heures maximum, et peut être renouvelée une fois avec l'autorisation écrite du parquet.

Le parquet est tenu informé de l'état de la procédure, dès le placement en garde à vue, puis dès que les policiers ont besoin d'instructions ("On a entendu tout le monde, voilà ce qu'on a, on fait quoi ?"). C'est un procureur de permanence (il y en a au moins un joignable 24h/24 dans chaque tribunal de France ; l'invention du portable a changé leur vie) qui décide des suites.

La suite peut être :

- La remise en liberté du gardé à vue et le classement sans suite de l'affaire. Tel est le cas de la directrice de l'école maternelle Rampal, qui était intervenue lors de l'interpellation d'un grand-père chinois la semaine dernière.

- La remise en liberté avec une mesure alternative aux poursuites. Cela va du simple rappel à la loi à des mesures plus contraignantes (comme obliger le mari violent à quitter le domicile conjugal...) dont le non respect entraînera l'exercice de poursuites judiciaires. Il y a aussi la composition pénale, mais elle est rarement employée.

- La remise en liberté du gardé à vue avec une convocation en justice (on appelle ça une Convocation par Officier de Police Judiciaire, COPJ) pour être jugé : le gardé à vue devient prévenu[1]. Cela indique que les faits méritent sanction mais que la privation de liberté n'apparaît pas indispensable : les faits sont d'une gravité limitée, le prévenu a commis sa première infraction, il a un travail ou suit des études. Le prévenu a tout le temps de solliciter l'aide d'un avocat, le procureur n'est pas remonté contre le prévenu, bref, ce sont de très bonnes conditions pour être jugé.

Ensuite, on passe aux mesures excluant la remise en liberté immédiate du gardé à vue : les faits sont graves, le gardé à vue a déjà des antécédents judiciaires (ce qui ne signifie pas récidiviste, pour les ministres qui me liraient), bref, une réponse immédiate s'impose.

On parle ici de déferrement (car autrefois on ôtait les fers au prisonnier, qui était dé-ferré) : le déféré n'est plus gardé à vue, et il doit être présenté au procureur dans un délai de 20 heures. Les palais sont munis d'une mini-prison, qu'on appelle "le dépôt", où sont gardés les déférés dans l'attente de leur présentation. Un procureur reçoit les déférés, et peut décider :

- soit de les convoquer pour une audience ultérieure mais avant de les remettre en liberté, de les présenter au juge des libertés et de la détention pour un placement sous contrôle judiciaire. C'est surtout utilisé en matière de violences conjugales.

- soit de saisir un juge d'instruction si les faits nécessitent des investigations plus poussées ou constituent un crime ;

- soit enfin, nous y voilà, de faire passer le prévenu en comparution immédiate, le jour même.

Une fois le déféré devenu prévenu, sa situation change du tout au tout. Certes, on lui remet les menottes qu'il avait en entrant, et on le ramène dans sa même cellule : le changement peut lui échapper. Mais il a droit à un avocat, qui a accès au dossier, et peut contacter la famille du prévenu pour se faire amener des documents utiles. Le prévenu est également conduit devant un enquêteur de personnalité qui va faire son CV en tâchant de vérifier les déclarations du prévenu sur son domicile, son travail, etc.

L'avocat consulte le dossier le plus vite possible (c'est une gymnastique intellectuelle épuisante, et en plus vous êtes sous pression : "Maître, vous êtes bientôt prêt ? Le tribunal attend... »), s'entretient brièvement avec le prévenu, appelle la famille... Il faut prendre des notes car il faut rendre le dossier en arrivant au prétoire, on n'a pas de copie du dossier sous les yeux. C'est en arrivant dans le tribunal que l'huissier lui remet la dernière pièce du dossier : l'enquête de personnalité.

Quand vient le tour de l'affaire du prévenu, le président commence par constater son identité complète, lui rappelle les faits qui lui sont reprochés, sous la forme "...d'avoir, à Paris, le 27 mars 2007, en tout cas sur le territoire nationale depuis temps n'emportant pas prescription, volontairement commis des violences sur la personne de Monsieur Lecontroleur, personne chargée d'une mission de service public, faits prévus et réprimés par les articles...".

Puis il lui demande s'il accepte d'être jugé tout de suite, ou demande un délai pour préparer sa défense. Ce délai est de droit, le tribunal ne peut pas le refuser. Le tribunal peut aussi décider d'office de renvoyer cette affaire s'il lui apparaît que le dossier n'est pas en état d'être jugé.

Dans ces deux cas, le tribunal ne statuera que sur le sort du prévenu en attendant cette audience : remise en liberté, contrôle judiciaire, ou détention provisoire ? Un débat a lieu, parole à l'avocat de la partie civile s'il y a lieu, au procureur et à la défense en dernier. Le tribunal fixe la date d'audience de renvoi, qui doit avoir lieu entre deux et six semaines[2], sauf si le prévenu accepte d'être jugé à plus bref délai, et statue sur le sort du prévenu.

C'est ce qui s'est passé hier pour notre resquilleur et un des casseurs. Tous deux ont été placés en détention provisoire et ils seront jugés respectivement le 2 mai et le 25 avril.

Si le prévenu accepte d'être jugé tout de suite, les faits sont abordés, puis la personnalité du prévenu est examinée. La parole est ensuite donnée à la partie civile s'il y en a une présente, qui demande une réparation pécuniaire, au procureur, qui demande une peine, et enfin à l'avocat, qui essaye d'être intéressant et de dire le moins de fois possible "effectivement" (c'est très dur). Ca va très vite : rares sont les dossiers jugés en plus de quinze minutes (plaidoirie de l'avocat non comprise, c'est l'élément incontrôlable).

Le tribunal rend ses décisions à la suite, en fin d'audience.

La particularité de la comparution immédiate, je veux dire à part toutes ces particularités déjà citées, est que le tribunal peut décider du maintien en détention du prévenu quelle que soit la peine prononcée. L'article 723-15 du CPP ne s'applique pas, on va directement à la case prison sans passer par la case juge d'application des peines, et je vous rassure, l'avocat ne touche pas 20.000 francs. L'idée de la comparution immédiate est de prononcer immédiatement une sanction sévère sans être forcément longue. Pour les audiences ordinaires, le tribunal ne peut prononcer un mandat de dépôt que si la peine ferme dépasse un an.

C'est ce qui est arrivé à deux prévenus qui ont commis des actes de violence contre les policiers, et qui ont été condamnés à quatre mois de prison ferme et trois ans d'interdiction du territoire pour l'un d'entre eux qui était en situation irrégulière (lui), et qui ont été conduits immédiatement en prison pour purger leur peine ; un troisième qui a cru que c'était les soldes chez Foot Locker a été condamné à quatre mois avec sursis et a été remis en liberté après l'audience.

Les appels sont rares pour les petites peines, car par un malicieux tour du code de procédure pénale, le fait de faire appel ne fait pas bénéficier des réductions de peine, et un appelant risque de sortir de prison après un condamné n'ayant pas fait appel de sa condamnation, si la peine est courte (c'est certain pour une peine n'excédant pas deux mois, et probable jusqu'à six mois).

Le droit pénal est très taquin, parfois.

Notes

[1] Et comme un homme prévenu en vaut deux, il y aura association de malfaiteurs selon le ministre de l'intérieur.

[2] Entre deux et quatre mois si la peine encourue est supérieure à sept ans d'emprisonnement.

mercredi 31 janvier 2007

La récusation des jurés

Beaucoup de lecteurs m'ont interrogé, que ce soit à la suite de mon vademecum du juré d'assises, ou lors de billets précédents, sur cette curiosité procédurale qu'est la récusation des jurés. Tout le monde ou presque a vu un jour un feuilleton, téléfilm ou film montrant aux Etats-Unis la longue et minutieuse constitution d'un jury, où les jurés potentiels sont interrogés par les deux parties puis agréés ou non.

En France, il en va différemment, et la récusation est un terrible casse-tête, et disons le tout de gob, le royaume inexpugnable de l'arbitraire et du délit de sale gueule.

Nous recevons donc très peu de temps avant le procès (au plus tard l'avant-veille) la liste des 62 jurés (40+12). Elle n'est pas alphabétique mais par ordre de tirage, et mentionne le nom, les prénoms, la date et le lieu de naissance du juré ainsi que sa profession telle qu'il l'a déclarée. C'est tout.

Nous la parcourons attentivement afin de repérer les jurés qui apparemment risqueraient d'avoir un préjugé défavorable à notre client. Mais chaque fois, je ne peux m'empêcher de penser à ce que racontait Robert Badinter (était-ce dans l'Exécution ? Je n'ai pas retrouvé le passage) lors du procès de Bontems.

Il devait défendre Roger Bontems, aux côtés de Claude Buffet. Ceux-ci, détenus à la Centrale de Clairvaux, s'étaient mutinés et avaient pris en otage un gardien et une infirmière. Buffet les avait tous deux tués dans des conditions sordides, Bontems n'étant que présent, et accusé de complicité.

Dans la liste des jurés se trouvait une infirmière. Il prit le parti de la récuser si elle était tirée au sort, craignant une identification à la victime poussant à la sévérité.

Le jour de l'audience, elle fut tirée au sort, et conformément à sa résolution, la récusa.

Lors d'une suspension d'audience, elle vint le voir pour lui demander pourquoi il l'avait récusé, et lui révéla qu'elle faisait partie du comité départemental de la ligue des droits de l'homme et militait activement contre la peine de mort.

Rappelons que Roger Bontems fut condamné à mort et guillotiné.

Nous établissons donc une liste des jurés où une hésitation existe.

Le jour de l'audience, nous profitons du laps de temps entre l'ouverture des portes et la formation du jury pour examiner discrètement les jurés sans donner l'impression de les dévisager. Les grandes assises à Paris, où les avocats sont assis perpendiculairement à l'axe de la salle, permettent de se livrer à cet exercice sans trop de difficulté, les troisièmes assises encore mieux, la salle étant plus petite ; les petites assises, par contre, nous font tourner le dos au public, et l'exercice est plus délicat. Nous nous accoudons nonchalamment au box des accusés pour cela.

Nous ne savons pas qui est qui, les seul détails nous permettant d'identifier éventuellement un juré est le sexe et l'âge (une fois un juré avait 82 ans, il était facile à repérer). Là, nous établissons mentalement une deuxième liste des jurés douteux, basée uniquement sur les apparences. Les alcooliques sont faciles à identifier avec la couperose sur les joues et le nez, ou les manifestement dépressifs (je me souviens d'une jurée vêtue tout de noir, avec des lunettes de soleil alors que nous étions en janvier, se déplaçant au ralenti sous l'effet de calmants ; l'avocat général ne m'a pas laissé le temps d'ouvrir la bouche qu'il l'avait déjà récusée). Après ça, c'est une question de goût. Pour ma part, fort de la jurisprudence Badinter, je ne retiens que ceux posant le plus manifestement un problème.

Puis, le tirage au sort commence. Là, ça va très vite.

"Juré numéro X, Monsieur Y (ou Madame Z) !"

Les têtes se tournent vers la salle, vers celui qui se lève. Il prend son manteau, s'excuse auprès de ceux qui le sépare de la travée centrale, s'y engage, passe au niveau des avocats et de l'avocat général. C'est là que la récusation a lieu, habituellement.

C'est un simple "Récusé !" qui scelle le sort du juré. Le président met les formes : "Monsieur (ou Madame), vous êtes récusé. Nous vous remercions d'être venu, vous êtes libéré pour la durée de cette affaire. Merci de revenir jeudi à 9 heures précises. Vous pouvez rester dans la salle ou rentrer chez vous si vous le souhaitez."

Il y a bien des histoires qui circulent, tel cet avocat qui expliquaient qu'il récusait toujours le premier juré tiré au sort d'un ton féroce, avant de sourire aimablement à tous les suivants, afin qu'ils se sentissent "ses invités".

Les présidents d'assises avec qui nous discutons nous disent tous de toutes façons que tel juré que l'on croit faible et influençable peut se révéler un Démosthène dans la salle des délibérations, tandis que tel autre colosse à la bedaine rebondie a une voix toute fluette et ose à peine s'exprimer.

Dans ces conditions, pour ma part, je respecte le hasard, sauf pour quelques cas ou vraiment il est évident qu'on a affaire à un juré qui serait partial, mais dans ce cas, le ministère public a tôt fait d'intervenir lui aussi. Je ferais peut être une exception si un juré figurant sur ma première liste établie au cabinet figure aussi parmi les jurés dont le comportement me paraît bizarre, mais ça ne m'est jamais arrivé.

Je n'ai jamais constaté qu'un avocat général cherchait avec ses quatre récusations à former un jury plus favorable à l'accusation. Avec quelle science le ferait-il d'ailleurs ? Le ministère d'avocat est déjà assez lourd à porter pour qu'en plus nous jouassions les aruspices. Je n'accorde aucune foi à l'idée reçue qui veut qu'en cas de viol, un jury féminin soit plus enclin à la répression. Les femmes ne se font aucun cadeau entre elles, et j'ai déjà vu des jurés majoritairement féminin, qui plus est avec des cours majoritairement féminines, acquitter au bénéfice du doute.

De fait, je ne pense pas que l'âge, le sexe ou même la profession, qui est l'indice le plus révélateur à mon sens que nous ayons, soient des critères suffisants pour estimer la valeur d'un juré. Leur expérience, leur vécu sont bien plus importants, et ça, nous n'avons aucun moyen de le savoir. Ce chef d'entreprise au look versaillais tendance Villiers vous paraît avoir tendance à penser que la victime du viol qui va être jugé a sans doute un peu cherché les ennuis en se rendant un samedi soir chez son copain en sachant que que les parents de celui-ci étaient absents ? Pas de bol, sa fille a été violée dans les mêmes circonstances il y a quelques années.

Donc, dans le doute, je ne récuse pas. Ainsi, si le jury est mauvais pour mon client, je peux blâmer le sort, mais pas moi. Et les règles de vote sur la culpabilité tempèrent la sévérité de tel ou tel juré. De plus, la solennité de l'audience et la méticulosité avec laquelle faits et personnalité de l'accusé sont abordés fait bien plus pour museler les enragés que l'intuition irrationnelle qui reposerait sur tel ou tel délit de faciès.

Il ne faut pas attribuer des vertus thaumaturgiques au droit de récusation. C'est tout le contraire : c'est la consécration légale d'une superstition irrationnelle qui veut que le destin existe et qu'il faut pouvoir le conjurer. Sa justification est aussi de pur ordre pratique : plutôt que de laisser des débats s'engager sur l'opportunité d'écarter tel ou tel juré, débats qui seraient vexants pour le juré et remettraient en cause son impartialité ("Monsieur le président, le juré numéro 17 a de toute évidence fumé un joint avant de venir !"), la loi permet aux deux parties d'écarter un certain nombre de jurés, discrétionnairement et sans discussion possible. Cela coupe l'herbe sous le pied de la défense qui voudrait former un pourvoi contestant l'impartialité du jury en raison de sa composition : après tout, la défense pouvait récuser, qu'elle ne vienne pas se plaindre après coup.

De même, quel avocat ne s'est jamais dit, au cours des débats, où l'on peut observer à loisir le comportement des jurés, "Mais pourquoi diable n'ai je pas récusé ce juré ?".

Ce droit est aussi une malédiction.

vendredi 19 janvier 2007

Petit vademecum à l'usage des jurés d'assises (3)

Nous en arrivons maintenant au jugement proprement dit.

Une fois l'accusé interrogé sur son identité et le jury constitué, les avocats des parties civiles se lèveront et déclareront se constituer partie civile au nom de leurs clients respectifs. Si la défense soulève une irrecevabilité de constitution de partie civile, elle est réglée immédiatement par la cour seule (les trois magistrats). Puis les débats commenceront.

Ils vont commencer par une longue lecture par le greffier, celui de l'ordonnance de mise en accusation. Il s'agit de l'acte, rédigé par le juge d'instruction, qui fait la synthèse de ce qu'il a pu établir au cours de l'instruction et qui, selon lui, fait résulter contre l'accusé des charges suffisantes d'avoir commis le crime pour lequel il est jugé. Cette lecture peut être fastidieuse si le greffier le lit avec la même conviction qu'une liste des courses, et pourtant elle est très importante.

D'où mon premier conseil, qui est valable pour toute l'audience : prenez des notes. Ca vous évitera la narcose due à la monotonie, et quand vous serez dans la salle des délibérés, vous n'aurez pas le droit de consulter le dossier. La cour vous fournira du papier en quantité illimitée, alors lâchez-vous. Une page par événement, que vous numéroterez et daterez avec l'heure, avec en haut de la première page, écrit en gros, l'intitulé « Accusé », « Dr Machin, expert », « Victime »... Ca vous aidera à vous y retrouver. Si un passage vous semble important, marquez un astérisque dans la marge pour le retrouver par la suite.

Une fois cette lecture terminée, l'audience se déroulera en deux temps. L'ordre n'est pas immuable, il aura été fixé par le président en accord avec l'avocat général et les avocats des parties. Car il se passe des choses dans votre dos. Les avocats, l'avocat général et le président se concertent. Il est d'usage que tous se retrouvent dans le bureau du président avant l'audience pour se présenter, se saluer et se mettre d'accord sur le déroulement de l'audience, les témoins de dernière minute, etc.

Les deux temps sont : les faits, et la personnalité.

Les faits :

L'accusé sera interrogé sur ce qu'il a fait, ou prétend avoir fait ; la partie civile, si elle est encore de ce monde, racontera sa version, puis les éventuels témoins, qui ont attendu en dehors de la salle d'audience dans une pièce à cet effet, viendront à leur tour raconter ce qu'ils ont vu. Les policiers ou gendarmes ayant procédé à l'enquête sont également convoqués, du moins l'officier de police judiciaire qui dirigeait l'enquête, et les éventuels experts ayant procédé à des expertises sur les faits (l'expert balistique pour l'arme, l'expert biologiste sur l'ADN, j'ai même vu une fois un expert acoustique pour démontrer que l'un des témoins ne pouvait pas ne pas avoir entendu un coup de feu...).

Chaque déposition suit le même schéma : le président pose les questions qu'il souhaite, demande aux jurés s'ils ont des questions à poser, généralement en leur demandant de la lui transmettre par écrit pour éviter toute déclaration malheureuse contraire au devoir d'impartialité, puis demande à l'avocat des parties civiles, puis à l'avocat général, puis à l'avocat de la défense s'ils ont des questions à poser. L'étiquette impose de ne pas s'adresser directement à la personne à la barre, car nous sommes censés demander au président de poser la question. Le code de procédure pénale prévoyait autrefois que les questions devaient être posées ainsi. Ce n'est plus le cas mais la pratique reste et cela évite un ton trop virulent avec un expert hésitant ou un témoin récalcitrant. Ca donne ceci :

« Monsieur le président, pourriez vous demander au témoin s'il a vu l'accusé l'arme à la main ? », le président disant au témoin : « Veuillez répondre, je vous prie. » Ca, c'est la vieille école. Plus simplement, ça peut aussi donner :

« Monsieur l'expert pourrait-il nous dire si la blessure révèle à quelle distance le coup a été tiré ? »

Toutes les personnes entendues sont censées s'adresser directement au président, et seront rappelées à l'ordre si elles se tournent vers une des parties. La disposition de certaines salles, comme les petites assises de Paris ou la 3e section, font que les avocats sont derrière la personne à la barre, et s'adresser directement à elle revient à tourner le dos à la cour, ce qui est grossier, et gêne l'acoustique. De même, elles ne doivent jamais s'adresser directement à l'accusé. Les débats doivent se dérouler dans la dignité. Les explosions sont rares, mais quand elles se produisent, elles sont violentes.

La personnalité :

La encore, témoins et experts vont se succéder. Les témoins seront les proches de l'accusé ou de la victime : les parents, s'ils sont vivants et connus, les amis, mais aussi les assistants sociaux, les éducateurs, tout ceux qui auront des éléments à apporter pour connaître l'accusé, d'après le président, le parquet ou un des avocats.

Les experts seront au nombre de deux : l'enquêteur de personnalité, psychologue de formation, qui expliquera ses valeurs, ses motivations dans la vie, les expériences passées ayant influé sa personnalité ; et l'expert médico-psychologique, psychiatre de formation, qui de son côté recherchera si une pathologie mentale a influé son comportement, et quels sont les traits psychiques marquants de sa personnalité (personnalité narcissique, paranoiaque, voire perverse). D'autres experts peuvent être cités, notamment si une contre expertise a été demandée.

Je vous assure qu'à la fin de cette partie, vous n'aurez jamais connu quelqu'un aussi bien, pas même vous-même. C'est une mise à nu terrible : vous saurez tout de lui. A quel âge a-t-il eu son premier rapport sexuel (même s'il est jugé pour meurtre et non pour viol), ses complexes, ses obsessions, ses blessures secrètes.

Une fois tout le monde entendu, le président donnera lecture de pièces du dossier qu'il estime utile de porter à la connaissance du jury, et demandera aux parties, ministère public inclus, quelles pièces non citées il souhaite entendre lire aux jurés. C'est un moment important, car une fois les débats clos, le dossier ne sera plus touché, et ne suivra pas la cour dans la salle des délibérés.

La cloture des débats.

Le président déclarera enfin les débats clos. Après une courte suspension d'audience pour permettre au jury de se rafraîchir (il y en aura eu d'autres, notamment pour déjeuner), la parole sera donné aux avocats des parties civiles, puis à l'avocat général pour ses réquisitions, et après une nouvelle suspension d'audience, à l'avocat de la défense pour sa plaidoirie.

La partie civile souhaitera démontrer la culpabilité de l'accusé, et porter la parole de la victime. Elle ne suggérera pas de peine, tout au plus indiquera espérer de la sévérité ou au contraire de l'indulgence. Et tentera par avance de démonter les arguments les plus probables de la défense.

L'avocat général parle au nom de la société qui poursuit l'accusé. Sa parole est libre. Il peut très bien requérir un acquittement si les débats l'ont convaincu de l'innocence, ou tout simplement l'ont fait douter de la culpabilité. Le plus souvent, il démontrera la culpabilité et évaluera la dangerosité de l'accusé, la conclusion de ce raisonnement étant une proposition de peine. C'est une simple proposition, qui ne vous liera pas. Vous pouvez aller au-delà, la seule limite étant le maximum prévu par la loi, et le minimum, qui est d'un an, ou de deux si la réclusion criminelle à perpétuité est encourue.

L'avocat de la défense prendra enfin à son tour la parole. Ecoutez-le attentivement. C'est peut être moi. Selon le dossier, il tentera soit de démontrer l'innocence, ou à tout le moins que la culpabilité n'est pas prouvée, ou si elle l'est vous rappellera tout ce qui a été apporté aux débats qui milite en faveur de l'indulgence, de l'espoir de réinsertion, de l'opportunité d'une peine légère.

Ne commettez pas l'erreur de la plupart des jurés : prenez des notes pendant ces plaidoiries et réquisitions. Vous en aurez aussi besoin lors du délibéré. Notez les arguments-lefs, les points forts, les moments où vous vous dîtes : "Là, il a raison, c'est important" ou au contraire "Ca ne tient pas parce que...". Les autres auront besoin de ces éléments pour se décider.

Les parties civiles et le parquet peuvent demander au président de répliquer, mais l'avocat de la défense aura toujours la parole en dernier.

Le silence vient de retomber sur le prétoire. le président va se tourner vers l'accusé pour lui dire ces célèbres mots : "Accusé, levez-vous". Il lui demandera s'il a quelque chose à ajouter. C'est un moment de terreur pour l'avocat de la défense car ce sont ces mots que vous allez emporter dans la salle des délibérés.

Puis le président déclarera les débats clos. Il ordonnera que le dossier de la procédure soit déposé entre les mains du greffier, et ne gardera avec lui que l'ordonnance de mise en accusation. Cela a pour but d'assurer l'oralité des débats devant la cour d'assises.

Le président donnera ensuite lecture des questions qui vont être posées au jury. Ce sont sur ces questions et elles seules que vous délibérerez. Les parties peuvent demander par voie de conclusions que telle ou telle question soit posée, ou qu'elle soit formulée différemment. La cour statue seule (les trois juges uniquement) sur ces conclusions. Elles commencent toutes par : "L'accusé est-il coupable d'avoir...". Vous n'avez pas idée du casse tête juridique que peut être la rédaction de ces questions, et la loi prévoit que vous soyez tenu à l'écart. Sachez qu'on en fait des thèses et que la jurisprudence de la cour de cassation est volumineuse. Avant l'appel criminel (qui remonte à 2001 seulement), la formulation des questions était le principal socle d'un pourvoi en cassation. Des têtes dépendait que telle ou telle formulation. Si les faits peuvent faire l'objet de plusieurs qualifications, des questions subsidiaires sont posées.

Exemple de question : A est accusé d'avoir tué B. Le fait qu'il ait acheté l'arme du crime la veille laisse supposer une préméditation. Afin de faire passer le meurtre pour un crime crapuleux, il aurait également volé le portefeuille de la victime qui contenait mille euros, portefeuille qu ia été retrouvé chez A.

Première question : L'accusé est-il coupable d'avoir volontairement oté la vie à B ?

Deuxième question : S'il a été répondu oui à la première question, a-t-il agi avec préméditation ?

Troisième question : L'accusé est-il coupable d'avoir frauduleusement soustrait le portefeuille de B ?

S'il est répondu oui à la première question, A est déclaré coupable de meurtre et encourt trente ans de réclusion. S'il est répondu oui aussi à la 2e question, il est déclaré coupable d'assassinat et encourt la perpétuité. S'il est répondu oui à la troisième, il encourt trois ans d'emprisonnement, ce qui est un détail s'il y a déjà eu un ou deux oui.

On peut aussi ajouter des questions sur les causes d'irresponsabilités, ce qui change la formulation :
Exemple pour la légitime défense.

Première question : L'accusé a-t-il oté la vie à B. ?

Deuxième question : L'accusé bénéficie-t-il pour ce fait de la cause d'irresponsabilité pénale prévue par l'article 122-5 du code pénal selon lequel n'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte. ?

une fois que tout le monde est d'accord avec les questions ou a émis ses réserves, le président prend une dernière fois la parole. C'est pour moi un des moments les plus forts de l'audience. Il va dire qu'avant que la cour ne se retire, la loi lui fait l'obligation de lire cette instruction, qui est affichée en gros caractère sur les murs de la salle des délibérations.

C'est pour moi un des plus beaux textes qu'ait produit la langue française : c'est la définition même du travail du juge. Admirez la précision des termes employés, la beauté de la langue. Quand on lit le J.O. aujourd'hui, on a honte pour les parlementaires.

La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : "Avez-vous une intime conviction ?"

Si l'accusé est prisonnier, il ordonnera à l'escorte de le retirer de la salle d'audience. S'il est libre, il lui enjoindra de ne pas quitter le palais de justice pendant le délibéré. Le service d'ordre y veillera. En effet, les décisions de cour d'assises sont immédiatement exécutoires et l'accusé libre condamné sera immédiatement arrêté et conduit en prison. Il invitera le chef du service d'ordre à garder les issues de la salle des délibérations dans laquelle nul ne pourra pénétrer, pour quelque cause que ce soit, sans l'autorisation du président.

"L'audience est suspendue" conclura-t-il, avant de se lever avec la cour et le juré et d'aller dans la salle des délibérés. Les jurés supplémentaires iront au secret dans la salle des témoins à présent vide, au cas où un des jurés devait être remplacé. Cela n'arrive jamais, et les pauvres ont eu droit à tous les débats, attendront des heures isolés sans qu'à la fin quiconque leur ait demandé leur avis. Voilà pourquoi je vous disais de prier de ne pas être juré supplémentaires.

Les délibérations.

Vous allez vous retirer, les neuf jurés et les trois juges, dans la salle des délibérations. Vous la connaîtrez déjà : c'est là que vous serez réunis lors des suspensions d'audience. C'est même là que vous laisserez vos manteaux. Généralement, un petit buffet est installé : café, boissons, sandwiches, car les délibérations prennent du temps.

La loi ne prescrit aucune organisation particulière : c'est le président qui décide du déroulement. Généralement, chacun est invité à donner ses impressions et à poser les questions qu'ils souhaitent au président. Exceptionnellement, si la consultation du dossier se révélait nécessaire, le président ordonnerait que le dossier soit amené dans la salle des délibérations, et ferait entrer les avocats et l'avocat général. Il ouvrirait le dossier devant eux, consulterait la pièce en question, et le dossier serait rapporté au greffe, tandis que les avocats et l'avocat général quitteraient la salle. Il leur est interdit de prendre la parole, ils ne sont là que pour constater quelles pièces sont consultées. En pratique, c'est rarissime.

Une fois que chacun s'est exprimé, le président fait procéder au vote. Chaque juré prend un bulletin marqué du cachet de la cour, où est écrit "En mon âme et conscience, ma réponse est : ...". Il écrit dessus "oui" ou "non", et remet le bulletin plié dans une urne. Une fois les douze bulletins déposés, le président décompte les voix sous la surveillance de tous. Chacun peut vérifier les bulletins. Pour toute décision défavorable à l'accusé (y compris qui refuse une cause d'irresponsabilité), il faut une majorité de huit voix au moins.

Pourquoi huit ? Car si les trois magistrats votent dans un sens défavorable, il faudra en plus la majorité absolue du jury (5 voix sur neuf). Si les trois magistrats votaient au contraire en faveur de l'accusé, pour contrebalancer leur vote, il faudrait que tout le jury sauf un juré vote dans un sens contraire (huit voix sur neuf), donc qu'il y ait une quasi unanimité de leur part. C'est une pondération des votes.

Chaque vote n'a lieu qu'une fois, sauf si des réponses sont contradictoires, auquel cas il faut revoter. Après chaque vote, les bulletins sont immédiatement brûlés (dans certaines cours d'assises modernes, les architectes n'ayant pas prévu de cheminée, les bulletins sont passés à la broyeuse ; il faudra que je soumette ça un jour à la cour de cassation).

Si une culpabilité a été voté, les délibérations ont lieu sur la peine. Une nouvelle discussion a lieu, et chacun peut proposer la peine qui lui semble adéquate. La peine s'adopte de la même façon ("en mon âme et conscience, ma réponse est : X années") à la majorité absolue, donc 7 voix au moins ,sauf si c'est le maximum qui est proposé, auquel cas il faut huit voix au moins.

Si au bout de deux tours de scrutin, aucune majorité ne se dégage, la peine proposée la plus haute est écartée, et on revote. Et à chaque tour de scrutin, la peine la plus haute est écartée, jusqu'à ce qu'une majorité absolue se dégage.

Si la peine prononcée est de cinq ans ou moins, la cour peut voter sur le point d'accorder ou non un sursis. Elle peut également voter des peines complémentaires prévues par la loi, mais c'est rare en cours d'assises. De même, la cour peut voter pour savoir si la peine aura l'exécution provisoire, ce qui implique l'arrestation immédiate de l'accusé libre.

Une fois que toutes les questions auront été traitées et la peine votés (une seule peine est votée quel que soit le nombre de chefs d'accusation, qui couvre l'ensemble des faits retenus), le président fait informer le greffier de ce que le verdict va être rendu.

Et pendant ce temps, il se passe quoi, dehors ?

Dès que vous serez entrés en délibérations, le greffier prendra le numéro de portable des avocats, qui pourront vaquer librement.

L'avocat général ira attendra dans son bureau, qui a un téléphone interne. Tout le monde sait que la délibération durera longtemps (je mettrais une moyenne à deux ou trois heures). L'accusé reste sous garde policière. Les avocats vont se précipiter sue leur téléphone portable afin de répondre aux messages de la journée, donner des consignes et engueuler les collaborateurs. Ils sont là pour ça : pour que leur patron se passe les nerfs sur eux. Pas vrai, chers jeunes confrères ? Puis ils iront se réfugier, si l'heure leur permet, dans un café voisin, sinon ils feront les cent pas dans les couloirs déserts. Pour ma part, je ressens toujours le besoin de m'isoler au moins une heure, le temps de maîtriser l'angoisse, de pouvoir analyser à froid les impressions que j'ai eues, car ma première impression est toujours pessimiste, et la deuxième trop optimiste.

Décrire ce qu'on ressent pendant le délibéré est difficile. C'est puissant, en tout cas : un mélange de peur, d'excitation, des phases d'abattement (j'ai été nul, j'ai oublié de dire ça...) et d'euphorie (le deuxième juré a hoché la tête quand j'ai dit ça, je pense que je l'ai convaincu...). L'adrénaline est là, en tout cas : j'ai les mains qui tremblent, la respiration courte, et je ne peux pas rester en place. C'est une sorte de transe. Et quelle que soit mon angoisse, j'adore ces moments. Les dés sont jetés, il n'y a plus qu'à attendre, le poids de la responsabilité a disparu provisoirement, on est léger, aérien, on a le cerveau qui fonctionne à cent à l'heure, les sentiments se succèdent dans un maelström. On se sent vivant.

Quand je retrouve un état normal, je peux enfin discuter un peu avec mon client, sa famille, avec le greffier aussi, dont les impressions sont précieuses. Avec le service d'ordre aussi. Et même l'avocat général, qui revient quand il pense que le jury a bientôt terminé. Tout le monde est en attente, c'est comme un entracte, ça facilite considérablement le dialogue. Après tout, on a vécu ensemble intensément ces derniers jours, et on est sur le point de se quitter, mais la chute est encore inconnue. C'est une fraternité qui apparaît. C'est généralement dans ces moments là que les familles des victimes et des accusés se parlent, parfois pour la première fois, en tout cas sur un ton apaisé. C'est une atmosphère vraiment extraordinaire.

Puis le moment arrive. Si on est ailleurs, nos mobiles sonnent "Maitre Eolas ? Monsieur Scribe, greffier de la cour d'assises. La cour a fini de délibérer, nous vous attendons". Branle bas de combat, on file vers la salle en enfilant sa robe. Le coeur bat à cent à l'heure, les mains tremblent, c'est reparti.

Quand tout le monde est là, le greffier va informer le président, les mines sont graves.

Le verdict.

La cour fait son entrée, chacun reprend sa place. Les avocats scrutent les jurés qui semblent être devenus des sphynx (ils sont épuisé, il faut dire).

Le président fait entrer l'accusé, et donne lecture des réponses aux questions. A ce stade, seuls les avocats savent ce qu'il en est, car cela donne :

"A la question 'l'accusé est-il coupable d'avoir volontairement oté la vie à X ?', il a été répondu "oui" à la majorité de huit voix au moins..."

Traduction : l'accusé est coupable de meurtre.

Puis le président doit donner lecture des articles punissant ces faits. En pratique, il énumère les numéros et demande à l'avocat de la défense : "Maître, ces articles peuvent-ils être considérés comme lus ?", ce à quoi nous répondons toujours oui, pressés que nous sommes de savoir. La même question est posée à l'avocat général et aux parties civiles, qui sont toujours d'accord aussi.

Et il reprend : "En conséquence, la cour condamne (nom de l'accusé) à la peine de ... années de réclusion criminelle (si la peine est supérieure à dix années, sinon, ce sont des années d'emprisonnement)". A ce moment là, quelqu'un se met toujours à pleurer. Que ce soit la victime si la peine est légère ou la mère de l'accusé si elle est lourde. Parfois les deux pleurent, ce qui est contrariant pour la cour, je suppose.

Si l'accusé est détenu, sa condamnation emporte maintien en détention ; s'il est libre, sa condamnation à de la prison ferme entraîne mandat de dépôt et il est immédiatement interpellé par les policiers ou gendarmes présents.

Bien sûr, il y a une variante.

"A la question 'l'accusé est-il coupable d'avoir volontairement ôté la vie à X ?', il a été répondu non par cinq voix au moins. En conséquence, la cour prononce l'acquittement de (nom de l'accusé)."

Bien évidemment, dans ce cas, la cour n'aura pas voté sur la peine. L'accusé est le cas échéant immédiatement remis en liberté.

Aussitôt l'arrêt rendu, le président libérera le jury en le remerciant, et déclarera que l'audience sur l'action publique est levée. Il ajoutera que l'audience sur l'action civile aura lieu dans quelques minutes.

Et après ?

Pour les jurés, c'est terminé. Ils peuvent rentrer chez eux, sous réserve d'être présent au prochain tirage au sort. Mais la cour n'en a pas fini. Il reste la question des dommages-intérêts, qui peuvent dans certains cas être dus même en cas d'acquittement (acquittement pour démence, existence d'une autre source de responsabilité que la faute pénale...). Vous pouvez rester, même s'il est tard, car cela fait partie du dénouement. Et c'est TRES rapide. Et vous verrez, le prétoire est désert.

Cinq minutes plus tard environ, la cour revient, seule, c'est à dire sans le jury. Elle déclare l'audience civile ouverte. L'avocat de la partie civile dépose des conclusions qu'il avait préparé préalablement demandant le prononcé de telle condamnation à titre de dommages-intérêts, outre une somme au titre de l'article 375 du CPP, c'est à dire le paiement des frais d'avocat. L'usage veut que l'on plaide brièvement, tout le monde étant épuisé ; et on est entre juristes : cette audience ressemble beaucoup aux audiences ordinaires. Les demandes sont écrites, on sait de quoi on parle, le vocabulaire est technique. La parole est donnée à l'avocat général, qui dira "je m'en rapporte", comprendre : ... à la sagesse de la cour. Le parquet n'estime généralement pas avoir à intervenir dans les affaires d'ordre privé entre les parties. L'usage veut également que l'avocat de la défense s'en rapporte. Il peut éventuellement contester telle ou telle évaluation lui semblant démesurée, mais l'heure n'est plus aux grandes plaidoiries et la cour a sa jurisprudence.

La cour se retirera pour délibérer et reviendra cinq minutes plus tard avec un arrêt sur intérêt civil qui sera prononcé sur le champ.

le président se tournera alors vers l'avocat général. "Monsieur l'avocat général, avez vous d'autres réquisitions ?". Non répondra l'avocat général.

"L'audience de la cour d'assises est levée. Elle reprendra demain matin à neuf heures", sauf si l'affaire est la dernière de la session, auquel cas le président déclarera close la session.

L'affaire est terminée. Les parties ont dix jours pour faire appel si elles le souhaitent. Si l'appel ne porte que sur les intérêts civils, il sera jugé par la chambre des appels correctionnels.

La cour d'assises d'appel.

Depuis le 1er janvier 2001, il est possible de faire appel d'une décision d'assises. La cour d'assises d'appel est désignée par la cour de cassation. La procédure est identique, à quelques différences près :

Le jury est composé de douze jurés au lieu de neuf. Il y a donc quinze personnes qui jugent.

La majorité doit être de dix voix au moins pour une décision défavorable à l'accusé, et non pas huit.



Il faut à présent ôter sa robe, ranger son dossier étalé sur toute la table consacrée aux avocats, pendant que le chef du service d'ordre attend pour fermer à clef la porte de la salle d'audience. On retrouve la famille de son client, quand il en a une, pour discuter de la décision, des suites éventuelles : faut-il faire appel ? Quand sortira-t-il ? Ou au contraire célébrer l'acquittement. Il fait souvent nuit. Des verdicts tombent parfois très tard (deux, trois heures du matin). Cela contribue à cette atmosphère unique de la cour d'assises, quand on traverse le palais désert et silencieux. D'autres affaires nous attendent, mais là, il est l'heure d'aller dormir.

mardi 16 janvier 2007

Petit vademecum à l'usage des jurés d'assises (2)

Nous voici donc le jour de la convocation.

Particularité de la cour d'assises, qui vous aidera à comprendre son fonctionnement, il s'agit d'une juridiction temporaire. Elle siège par sessions, en principe quinze jours par trimestre. En cas de charge de travail, des sessions extraordinaires peuvent être convoquées, mais toutes font quinze jours, sauf si une affaire exceptionnelle nécessite plus de temps (le procès Papon a ainsi duré six mois, d'octobre 1997 à avril 1998, le procès d'Angers, quatre mois, de mars à juin 2005. A Paris, trois cours siègent toute l'année dans trois salles différentes. En dehors de ces sessions, la cour n'existe pas, et c'est la chambre de l'instruction qui est compétente pour statuer sur les mesures provisoires comme une demande de mise en liberté de l'accusé.

Le président de la cour a également un rôle hors session, qui est de la préparer, tout simplement, mais c'est un travail d'Hercule. On parle de "mise en état", expression employée pour désigner la phase préalable à l'audience où l'affaire est mise en état d'être jugée.

Sachez en tout cas qu'il aura reçu l'accusé quelques semaines avant l'audience (en tout cas pas moins de 5 jours). Le fond de l'affaire n'est pas abordé lors de cet interrogatoire. Le président aura vérifié son identité complète, s'assurera que l'accusé à bien connaissance de l'ordonnance de mise en accusation qui va en faire la vedette du procès à venir, l'invitera à choisir un avocat s'il n'en a pas, ou en désignera un d'office le cas échéant. A titre exceptionnel, le président peut autoriser l'accusé à prendre pour conseil un parent ou ami : c'est l'article 275 du Code de procédure pénale. C'est rarissime, et si ledit conseil n'est pas familier avec la procédure d'assises, c'est une folie.

Mais revenons au jour d'ouverture de la session. Les 52 jurés (40 titulaires + 12 suppléants) sont tous convoqués pour la première séance de la session : elle est consacrée à la révision de la liste des jurés. Dans la salle d'audience, les jurés sont invités à se présenter à l'huissier d'audience, qui vérifie leur identité et note leur présence sur une liste, puis attendent dans la salle.

La cour, au sens strict, c'est à dire le président (toujours en robe rouge) et ses deux assesseurs (en robe noire), entre. Le public se lève, le service d'ordre salue.

Selon le grade du magistrat président la cour, il portera soit la simple robe rouge s'il est conseiller à la cour d'appel :

soit s'il a le titre de président de chambre, la robe à revers bordés d’hermine, qui est la réunion en un seul costume de la robe de clerc (que nous portons nous aussi) avec le manteau royal, qui rappelle que c'est le souverain qui juge en personne ici, incarné dans le jury populaire.

Les assesseurs porteront la robe noire s'ils sont juges du tribunal de grande instance, et rouge s'ils sont conseillers à la cour d'appel.

(Image : cour d'appel de Paris)

Le parquet porte la même robe : noire si l'avocat général est en fait un substitut général ou un procureur du tribunal de grande instance, rouge s'il est magistrat à la cour d'appel, et à revers d'hermine s'il a le titre d'avocat général. A titre d'illustration, je remercie Philippe Bilger de m'avoir autorisé à reproduire ici la couverture de son livre "Un avocat général s'est échappé" (Seuil, 2003), où il est revêtu de son costume d'audience.

image

La cour s'assiéra face au public, l'avocat général[1] ayant une tribune à lui, sur le côté, face au box des accusés. Une urne sera posée sur la table de la cour, devant le président.

Après un petit mot d'accueil et de remerciement d'être présent, le président demandera au greffier de procéder à l'appel des jurés présents par ordre de tirage au sort. La cour statuera sur le cas des absents, en pouvant prononcer jusqu'à 3750 euros d'amende. De même, si la cour constate que des jurés sont incapables ou incompatibles, ou décédés, ils sont retirés de la liste. Il en va de même des conjoints, parents ou alliés jusqu'au degré d'oncle et neveu d'un juré figurant avant lui dans la liste, mais pour cette liste de session seulement.

Si le nombre des jurés présents et aptes n'atteint pas 23, un tirage complémentaire est fait dans la liste des suppléants, non par tirage au sort mais dans l'ordre de leur inscription.

Une fois les opérations terminées, elles sont constatées par un arrêt rendu par la cour. La liste de session est constituée.

Aussitôt, la cour appellera la première affaire devant être jugée. On n'en a pas fini des tirages au sort, mais celui-ci se répétera au début de chaque affaire.

L'accusé est introduit dans la salle. Rien ne s'oppose à ce que son avocat ait assisté à la révision de la liste de session, révision qui est publique, auquel cas il sera également présent.

Le président demande à l'accusé ses nom, prénoms, date et lieu de naissance.

Le greffier procès à l'appel des jurés non excusés. Pour la première fois, pas de problème, tout le monde est présent dans la salle, par définition. A chaque "présent", une carte portant leur nom est déposée dans l'urne par le président.

Une fois l'appel terminé, la cour décidera par un arrêt rendu sur le siège de tirer au sort un ou plusieurs jurés supplémentaires (généralement, deux). Priez pour ne pas être de ceux là.

Puis le tirage au sort du jury aura lieu.

Le président plongera sa main dans l'urne et en tirera une carte, appelant aussitôt "Juré numéro X : Monsieur Untel". Le juré en question doit se lever et venir se placer aux côtés de la cour, sur les sièges à cet effet, le premier à droite de l'assesseur à droite du président, le deuxième à gauche de l'assesseur à gauche du président, le troisième à droite du premier juré, le quatrième à gauche du deuxième juré, et ainsi de suite. Le temps qu'il parcoure ces quelques mètres, il sera scruté attentivement par l'avocat de la défense et l'avocat général, qui auront quelques secondes pour le récuser. Cette récusation se fait sans forme particulière : un simple "récusé !" suffit. La récusation n'a pas à être motivée. Le parquet peut récuser quatre fois, la défense, cinq fois. S'il y a plusieurs accusés, le nombre de récusation ne change pas, elles sont partagées par les accusés.

Je consacrerai un billet entier à la récusation, qui est un casse tête et une angoisse terrible.

Neuf jurés sont ainsi tirés au sort : neuf plus trois magistrats font douze, le compte est bon.

Les jurés supplémentaires sont tirés au sort (priez, priez, il est encore temps), et prennent place sur des sièges à l'écart ; avec un peu de chance, ils ont une table devant eux. Le greffier dresse procès verbal des opérations.

Le président va alors inviter les jurés à se lever et se découvrir, et prononcer le serment des jurés et demander à ce que chacun, à l'appel de son nom, lève la main droite et dise "je le jure". Cette formule est magnifique, aussi belle que l'instruction des jurés au moment de délibérer (voir le billet suivant) même si le législateur s'est cru obligé de l'alourdir en ajoutant une mention aux intérêts de la victime et un rappel à la présomption d'innocence : c'est tout à fait l'air du temps, mais vous verrez que ça n'apporte rien à la phrase qui était bien assez claire comme cela. Les portions rajoutées par la loi du 15 juin 2000 sont en italique.

Vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X..., de ne trahir ni les intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui l'accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu'après votre déclaration ; de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection ; de vous rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d'après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions.

Encore une loi qui a modifié le texte d'un serment pensant ainsi réformer la justice. Les lois d'affichage, une des plaies de notre république.

Le jury est alors déclaré constitué.

Les jurés non tirés au sort sont libérés de leurs obligations jusqu'à la convocation de l'affaire suivante, dont la date et l'heure sont indiquées par le président : "Revenez jeudi à 9 heures", par exemple. Ils peuvent rester dans la salle pour assister aux débats ou vaquer à leurs occupations.

La cour d'assises siège et va juger. Ce sera l'objet d'un troisième et dernier volet de ce vade-mecum, où vous découvrirez pourquoi les jurés supplémentaires sont à plaindre. Pour nous, l'audience est levée.

Notes

[1] Je ne parlerai plus désormais que d'avocat général, qui est le titre du représentant du parquet devant la cour d'assises, peu important son rang hiérarchique au sein du ministère public : la fonction prime le grade, comme à l'armée.

lundi 15 janvier 2007

Petit vademecum à l'usage des jurés d'assises (1)

Un lecteur qui a été tiré au sort pour être juré d'assises m'a demandé de lui expliquer à quelle sauce il allait être mangé. En espérant qu'il n'est pas trop tard pour lui, et à l'usage des futurs tirés au sort, voici à quoi ressemble la mission d'un juré ordinaire.

Une réserve d'emblée : les avocats ne voient la cour d'assises fonctionner que depuis le prétoire. Ce qui se passe derrière les portes closes nous est parfaitement inconnu, hormis ce que nous disent d'anciens jurés et des magistrats ayant siégé ; leurs confidences étant restreintes par le secret du délibéré, je serai peu disert sur les parties se passant nécessairement hors ma présence.

Acte I : Comment devient-on juré d'assises ?

En ayant de la chance, ou pas de chance, selon son point de vue.

Il faut en tout cas avoir la nationalité française, puisque les jurés exercent le pouvoir judiciaire, attribut de souveraineté ; être âgé de plus de 23 ans le jour du premier tirage au sort (la condition étant remplie le lendemain de son 23e anniversaire), savoir lire et écrire, puisque le vote se fera par écrit, et jouir de ses droits civils, civiques et de famille. Ces droits sont perdus temporairement en application d'une peine complémentaire prononcée par une juridiction répressive (tribunal correctionnel ou cour d'assises). Ajoutons une condition supplémentaire de bon sens : il faut être inscrit sur les listes électorales, puisqu'elles servent de liste de tirage au sort.

Ne peuvent être jurés, même s'ils remplissent les conditions ci-dessus :
- Les personnes ayant été condamnée à une peine d'emprisonnement de 6 mois ou plus, avec ou sans sursis ;
- Les personnes devant elles même comparaître devant une cour d'assises (on parle d'état d'accusation), ou qui font l'objet d'un mandat de dépôt ou d'arrêt. En effet, elles sont censées être en prison, toutes présumées innocentes qu'elles puissent éventuellement être.
- Toute personne agent de l'état ayant fait l'objet d'une révocation.
- Toute personne ayant fait l'objet d'une mesure de radiation professionnelle ;
- Toute personne déclarée par un tribunal de commerce en faillite personnelle ;
- Toute personne ayant déjà été défaillantes alors qu'elles avaient été tirées au sort pour être juré et ayant été condamnées pour ce fait ;
- Toute personne sous tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice, et les personnes hospitalisées d'office pour raisons psychiatriques.

En plus de ces incapacités, il existe des incompatibilités, qui ne relèvent pas tant de la personne que de ses fonctions. Ne peuvent donc être jurés dans l'exercice de leurs fonctions :
- les membres du Gouvernement, du Parlement, du Conseil constitutionnel, du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil économique et social : séparation des pouvoirs oblige pour le gouvernement et les parlementaires ;
- les magistrats de tous ordres en exercice : judiciaires et administratifs : l'idée d'un juré est d'avoir des esprits neufs et différents, mais les magistrats à la retraite peuvent être jurés ;
- les fonctionnaires des services de police ou de l'administration pénitentiaire ou militaire, en activité de service.
- Les personnes ayant été juré depuis moins de cinq ans.

Le tirage au sort s'effectue en plusieurs temps.

Premier temps : la liste préparatoire.

Dans chaque commune est effectué annuellement et publiquement un tirage au sort d'un certain nombre de noms, qui varie en fonction de la population du département (1800 à Paris, un pour 1300 habitants partout ailleurs sans que ce nombre puisse être inférieur à 200). Un arrêté préfectoral de répartition fixe au mois d'avril le nombre de jurés par circonscription, le nombre tiré est le triple de ce nombre. Les électeurs qui n'auront pas atteint 23 ans au cours de l'année civile suivante, au cours de laquelle ils sont susceptibles d'être jurés, sont écartés. Les citoyens tirés au sort sont informés par lettre qui leur demande leur profession et les informe de la possibilité de demander avant le 1er septembre si elles ont plus de soixante dix ans, n'ont pas leur résidence principale dans le département ou pour tout motif grave. Cette liste préparatoire est transmise au secrétariat greffe de la juridiction où siège la cour d'assise : elle siège dans toutes les cours d'appel et dans certains tribunaux de grande instance. Le maire est tenu de faire connaître les motifs d'impossibilité d'être juré dont il a connaissance parmi les tirés au sort, et peut faire connaître ses observations sur telle ou telle personne peu apte à être juré selon lui.

Deuxième temps : la liste annuelle.

L'ensemble des listes préparatoires est révisée par une commission qui siège au mois de septembre. Elle écarte les incapables et les incompatibles énumérés ci-dessus, et statue sur les demandes de dispense. Puis parmi les noms restant, un certain nombre est tiré au sort, conformément à l'arrêté préfectoral cité plus haut. Dans certains département, une liste spéciale de jurés suppléants est établie, uniquement parmi les personnes résidant dans la ville où siège la cour : elles seront convoquées si la liste de session (voir plus bas) est insuffisante. La liste est communiqué à chaque maire, qui doit informer le président de la juridiction où siège la cour de tout événement frappant une personne figurant sur cette liste et de nature à remettre en cause sa capacité à être juré : par exemple, elle est morte. La liste est donc tenue à jour tout le long de l'année.

Troisième temps : la liste de session.

Trente jours au moins avant l'ouverture de la session (je reviendrai dans le prochain billet sur ce qu'est une session d'assises, en attendant, considérons : trente jours au moins avant que ne soit jugée la première affaire inscrite au rôle), le président de la juridiction effectue publiquement et en présence du parquet un tirage au sort de quarante noms sur la liste annuelle, et douze noms sur la liste spéciale. Si des noms tirés au sort doivent être écartés pour des motifs légaux, d'autres noms sont tirés au sort jusqu'à ce que les quarante et les douze noms soient au complet. Aux motifs déjà cités vient s'ajouter le fait d'avoir déjà été tiré au sort au cours d'une session précédente : on ne peut être juré que pour une session tous les cinq ans. Les heureux élus sont avisés par lettre recommandée quinze jours à l'avance, lettre qui leur rappelle que leur participation est obligatoire. Si le récépissé joint à la lettre n'est pas retourné, le greffe peut envoyer la police ou la gendarmerie voir si tout va bien et si le juré tiré au sort a besoin d'un stylo ou d'un timbre pour répondre.

Détail qui est peu connu : cette liste de session, comportant les nom, prénoms, date et lieu de naissance et profession, est signifiée par huissier à l'accusé, au plus tard la veille de l'audience, qui peut la garder avec lui en cellule s'il est emprisonné.

Quatrième temps : la liste du jury.

C'est le dernier acte avant le procès, et il a lieu juste avant. Il sera donc décrit dans le prochain billet, qui commencera quand les jurés arrivent, l'air perdu, leur convocation à la main, dans la salle d'audience ou virevoltent déjà bien des robes de différentes couleurs, autour de képis tout propres.

Pour le moment, la séance est levée.

jeudi 27 juillet 2006

Les actes du palais pour les nuls

Où l'auteur abandonne un temps son lectorat habituel pour tenter de devenir une icône vénérée de ses jeunes futurs confrères égarés dans les méandres de la procédure civile.

Lire la suite...

vendredi 14 juillet 2006

Faut-il une Class Action en France ?

Où l'auteur abandonne les billets ras-du-gazon pour regagner les hauteurs de l'Olympe du droit, ce qui n'est pas facile avec des crampons.

Lire la suite...

mercredi 12 juillet 2006

Prolongations sur un coup de tête

Où l'auteur tire profit d'un fait d'actualité pour revenir à son violon d'Ingres : la procédure pénale.

Lire la suite...

lundi 10 juillet 2006

Le coup de boule de Zidane est il passible de la correctionnelle ?

Où l'auteur se demande si les sportifs en général et un certain footballeur en particulier ne relèveraient pas des mêmes juridictions que les mortels.

Lire la suite...

jeudi 29 juin 2006

Les violences faites au droit

Où l'auteur enseigne le droit à un atelier sponsorisé.

Lire la suite...

lundi 12 juin 2006

Apprenons la procédure pénale grâce à une violation du secret de l'instruction

Où l'auteur tire sans vergogne profit des turpitudes du Figaro pour instruire (c'est le cas de le dire) ses lecteurs.

Lire la suite...

vendredi 16 décembre 2005

Pourquoi on peut commenter une décision de justice

Un commentaire de Raphaël A. fait état de sa surprise de me voir critiquer le jugement rendu par le tribunal correctionnel d'Orléans dans l'affaire des faucheurs d'OGM. Il expose avoir tant entendu dans les médias la phrase « il est interdit de commenter une décision de justice » qu'il pensait que c'était effectivement prohibé.

Ce thème revenant assez souvent dans la presse, voici l'occasion de lui faire un sort.

Il n'est absolument pas interdit de commenter une décision de justice en France. Dieu merci, sinon je serais en prison depuis longtemps.

Songez à l'absurdité d'une telle interdiction : quand je fais appel d'une décision, je ne pourrais devant la cour que vanter l'excellence du jugement que j'attaque ? La cour elle même ne pourrait que le confirmer avec des éloges à peine de se voir convoquée devant le Conseil supérieur de la magistrature ?

Quant aux critiques entendues sur l'affaire d'Outreau, elles seraient donc hors la loi, et le procureur général de Paris devrait donc être jeté dans une cellule, idéalement sur la paillasse encore chaude laissée par un des accusés.

Il est des revues spécialisées rédigée par d'éminents professeurs de droit qui ne font que commenter des décisions, et les magistrats les lisent avec beaucoup d'intérêt, y compris et surtout ceux qui ont rendu la décision commentée. Tous les étudiants en droits perdent les plus belles années de leur vie à commenter sans fin des décisions de justice, à disséquer leur sens, leur valeur et leur portée.

Rien de sacrilège donc.

Alors, sur quoi repose donc cette légende urbaine ?

Sur l'article 434-25 du Code pénal, qui sanctionne

Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance.

Notez que ce qui est interdit est de jeter le discrédit dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance.

Pour être parfaitement clair, le législateur précise à l'alinéa suivant que ces dispositions

ne s'appliquent pas aux commentaires techniques ni aux actes, paroles, écrits ou images de toute nature tendant à la réformation, la cassation ou la révision d'une décision.

Concrètement, quand je dis qu'un juge a estimé qu'il y avait état de nécessité alors qu'à mon sens ces conditions n'étaient pas remplies, je n'encours nulle foudre. Cet article sanctionnera en revanche celui qui dira que les juges qui ont rendu telle ou telle décision étaient soit ivres soit corrompus, que ce jugement fera rire pendant des années dans toutes les facs de droit de France, ou encore, pour citer une juridprudence réelle, qu'une décision est «un chef d'œuvre d'incohérence, d'extravagance, et d'abus de droit », et que « rarement les annales judiciaires françaises, pourtant assez bien pourvues d'ordinaire en pareille sorte, n'en ont recelé de telles ».

Le parallèle doit être fait avec le délit d'outrage à magistrat, auquel il est apparenté. Notons toutefois que s'agissant d'un délit par voie de publication, il obéit à la prescription de trois mois.

Donc quand un homme politique déclare, la main sur le cœur, qu'il ne peut commenter une décision de justice, vous saurez désormais que de deux choses l'une : soit cette décision le dérange tant, par exemple parce qu'il a totalement omis de s'informer de son contenu, qu'il préfère esquiver la question, soit le seul commentaire qu'il pourrait faire chercherait immanquablement à jeter le discrédit sur cette décision dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance.

Et s'il invoque la séparation des pouvoirs, exigez donc, au nom de ce même principe, la suppression du poste gouvernemental de ministre de la justice, qui en est alors une violation bien plus grave.

vendredi 22 juillet 2005

Au fait, comment on fait un procès ? 3ème et dernière partie

Phase 3 : L'audience

Il va de soi que cette audience, vous l'aurez préparée. Non, ça ne va pas de soi ? Ma parole, il faut tout vous dire !
Ha bah oui, c'est vrai.

Relisez plusieurs fois votre dossier, pour vous imprégner des éléments qu'il contient. Une audience est un peu comme un oral : vous aller devoir exprimer  votre point de vue, le soutenir, et répondre aux questions que vous posera le juge. Méfiez vous de l'impression trompeuse que vous connaissez forcément votre dossier car vous l'avez monté vous même. Faites vous une fiche reprenant les différentes dates (contrat, incident, mise en demeure, réponse adverse...), et citant les textes de loi que vous comptez invoquer. En cas de trou à la barre (c'est fréquent), vous n'aurez pas ainsi à fouiller fébrilement dans votre dossier dans un silence de plomb sous les regards moqueurs de l'assistance.

Enfin, si vous avez bien suivi, vous aurez remarqué qu'à ce stade, le juge n'a pas vos pièces. Vous les lui laisserez à la fin de l'audience. Il faut donc lui préparer une copie des pièces à son attention. Si vous ne pouvez pas en faire et lui laissez les originaux, il vous faudra venir les chercher au greffe une fois que le jugement aura été rendu. Certains greffes les renvoie par courrier, mais pas tous et la loi ne les y oblige pas. Préparez donc une chemise en carton (une simple, format A3 pliée en 2, évitez les fermetures à élastique, ça complique inutilement le travail du juge lors du délibéré), écrivez dessus de votre plus belle écriture, si possible au marqueur "Pièces du demandeur", ou pièces du défendeur si vous êtes en défense, ça arrive aussi.

Lire la suite...

mercredi 20 juillet 2005

Au fait, comment on fait un procès ? 2e partie

Continuons notre exploration de la machine judiciaire avec la

Phase 2 : la saisine du tribunal.

La saisine est l'acte qui va porter officiellement votre demande à un juge, qui sera obligé d'y répondre par un jugement.

Il a principalement un rôle d'information : il doit informer votre adversaire de ce que vous lui reprochez, et informer le juge du problème dont il est saisi. Deux moyens s'offrent à vous : la voie normale, celle de l'assignation, et la voie simplifiée, pour les litiges inférieurs à 4000 euros: la déclaration au greffe. Désormais, la déclaration au greffe correspond donc au seuil de compétence du juge de proximité. On peut donc dire que pour saisir le juge de proximité, il faut faire une déclaration au greffe tandis que devant le juge d'instance, on procède par voie d'assignation. Toutefois, signalons que l'assignation est toujours valable, quel que soit le juge et le montant.

Lire la suite...

mardi 19 juillet 2005

Au fait, comment on fait un procès ?

Je continue dans mes posts didactiques, inspiré par une mésaventure arrivée à Versac. En effet, voici un esprit brillant, cadre supérieur, une star de la télé et du web, aux prises avec un service client récalcitrant, décidé à porter le fer jusqu'au prétoire, mais qui du coup, réalise avec stupéfaction qu'il ne sait pas comment faire.

Et la même mésaventure arrive aux étudiants en droit tout frais émoulus de la fac, ayant décortiqué un semestre durant les arcanes de la procédure civile, la théorie de l'action, la différence entre les exceptions et les fins de non recevoir, la litispendance et la connexité, la répartition des compétences entre le juge des référés et le juge de la mise en état, mais incapables de mettre en branle la machine judiciaire, comme je faisais remarquer récemment à l'un d'eux.

Alors, si vous voulez faire un procès à votre voisin, mais ne voulez pas aller voir un avocat, le montant de l'enjeu étant dans ce triangle d'incertitude où il est trop élevé pour qu'on veuille baisser les bras, mais pas assez pour justifier l'intervention d'un justicier tout de noir vêtu (non, pas Batman, moi), comment faire ?

Voici un petit vade mecum.

Lire la suite...

lundi 18 juillet 2005

Rediffusions : l'Aide juridictionnelle

L'été, c'est la saison des rediffusions. Je ne ferai pas exception et remets en ligne une note de mon ancien blog sur l'aide juridictionnelle.


***********

La nécessité de l’accès à la justice pour les plus démunis s’est toujours posée avec acuité. Autrefois, le problème était résolu par les « audiences de charité » et par l’obligation qui était faite aux avocats de prendre des dossiers pro bono, c’est à dire pour le bien, c’est à dire encore, non rémunérés.

L’augmentation considérable des actions en justices, qui ne révèle pas une judiciarisation à outrance de la société française comme on en entend parfois le diagnostic alarmiste, mais est plus à mon avis une conséquence de l’inflation législative, a conduit l’Etat à prendre en charge le coût de cet accès à la justice pour les plus indigents. C’est l’aide juridictionnelle, l’AJ dans l’inévitable jargon à base de sigles que je déplore régulièrement. Mais j'avoue que le sigle AJ est devenu un réflexe, aide juridictionnelle étant aussi un peu long à prononcer et à écrire.

Lire la suite...

page 3 de 3 -

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.