Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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dimanche 22 novembre 2009

Avis de Berryer : Vincent Elbaz

La Conférence Berryer poursuit ses travaux sur un rythme stakhanoviste et vous invite ce jeudi 26 novembre, salle des Criées du Palais de justice, à partir de 21h15 (mais fol serait qui viendrait à cette heure là) où elle recevra le comédien Vincent Elbaz.

Le rapport sera rendu par monsieur François Géry, qui vous démontrera pourquoi il porte bien son nom, et les sujets proposés seront les suivants :

Premier sujet : Le dernier gang a t il fait bang?
Deuxième sujet : Le péril jeune a t il vieilli?

Les candidats pourront utilement contacter la charmante Rachel Lindon (qui nous fera faux bond ce soir là en raison d’obligations professionnelles dirimantes, vous l’aurez deviné, pour qu’elles la tiennent éloignée de Vincent Elbaz) : rachellindon[at]hotmail.com

jeudi 19 novembre 2009

Le brigadier Guissé est bien français

La cour d’appel de Rouen vient de confirmer purement et simplement le jugement du tribunal de grande instance de la même ville qui avait débouté le parquet de sa demande de contestation de la nationalité formée à l’encontre du brigadier Ounoussou Guissé (voir ce billet pour les détails de l’affaire). Le parquet est déclaré forclos à agir, les faits invoqués ayant plus de trente ans, qui était l’ancien délai de prescription de droit commun (rappel : il est désormais de cinq ans). C’est à dire que la cour d’appel approuve les juges qui ont dit que la question de la nationalité du père du brigadier Guissé ne se pose même pas, le parquet ayant trop attendu pour se la poser.

Vous pourrez relire avec profit dans ce deuxième billet sur l’affaire le communiqué du ministère des Auvergnats En Surnombre, il prend avec le recul une certaine saveur.

Et pour le coup de pied de l’âne, qu’il me soit permis de faire remarquer à notre excellent ministre qu’avant de parler d’identité nationale, il faudrait peut-être qu’il apprenne à reconnaître un Français quand il en voit un. Surtout s’il porte l’uniforme de l’Armée dans un théâtre d’opération hostile et ce faisant expose sa vie. C’est plus que ce que ceux qui lui contestaient sa nationalité ont fait eux-même.

Peut-être que maintenant, la France pourra permettre à son citoyen de faire venir son épouse et ses enfants, ce qui lui était jusqu’à présent refusé par le pays qu’il sert et pour lequel il s’est battu.

Tout est bien qui finit bien ? Non. Dans cette affaire, le déshonneur des ministres de l’Immigration (qui s’est mêlé d’une affaire qui ne relève pas de ses attributions pour se faire mousser), de la Justice (qui a piloté l’action en justice) et des Affaires étrangères (qui refuse depuis des années l’entrée du territoire à deux enfants français donc) demeure. Je ne suis pas sûr qu’il se prescrive, même par trente ans.

samedi 14 novembre 2009

Forfaiture

— Mon cher maître, que vous arrive-t-il ? Je vous vois le tein rougeaud, le souffle court, la robe débraillée et vous seriez échevelé si la nature n’y avait astucieusement pourvu.

— Ma chère lectrice, vous ici ? Quelle joie de vous voir. Comment êtes-vous entrée ?

— Votre stagiaire m’a ouvert la porte. Et vous, comment en êtes-vous arrivé là ?

— Ah ! Mon amie, je suis sous le choc de la nouvelle que je viens d’apprendre. Je n’arrive pas à croire ce qu’a osé faire le conseil d’administration de l’Office Français de Protection des réfugiés et Apatrides (OFPRA).

— Et qu’a-t-il fait que vous ne parveniez à croire ?

— Avant de vous le dire, un peu de thé et de droit. L’un et l’autre me remettront d’aplomb. Pour le thé, je prendrai du Darjeeling Castleton 2nd flush FTGFOP. Pour le droit, je prendrai le Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile (CESEDA).

— Je m’occupe du premier, entretenez-moi donc du second.

— C’est à son livre VII que je vais m’intéresser, qui traite du droit d’asile et du statut de réfugié.

— Comment ? Ce n’est pas la même chose ?

— Certainement pas, et c’est un des nœuds du problème dont je vais vous entretenir. 

— Expliquez-moi la différence pendant que l’eau chante dans la bouilloire.

— Le statut de réfugié est, en principe, accordé à toute personne « qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »

— C’est le code ?

— C’est la Convention.

— Quelle convention ?

— La Convention de Genève du 28 juillet 1951, qui définit en son article 1A ce qu’est un réfugié.

— Et donc l’asile…?

— L’asile est un droit provisoire : c’est le droit qu’a un demandeur du statut de réfugié à séjourner dans le pays dont il sollicite la protection et d’être protégé contre tout risque de renvoi dans son pays d’origine. Il s’applique du moment où le demandeur pose un orteil sur le territoire national en s’exclamant : « je demande l’asile ! » jusqu’au moment où la France statue définitivement sur sa demande. Là, soit il devient réfugié, soit il redevient un étranger pouvant être éloigné de force dans son pays d’origine. 

— J’ignorais cette distinction.

— Vous n’êtes pas la seule. Brice Hortefeux, quand il était ministre des auvergnats, ne savait pas faire la différence. Témoin cette déclaration lors de l’ouverture des débats sur la future loi du 20 novembre 2007 : «L’asile n’est pas et ne sera pas la variable d’ajustement de notre politique d’immigration. Il a sa finalité propre : protéger les personnes qui ne le sont plus dans leur pays.»

— En effet, la confusion est patente. Quelle fut la réaction des députés face à cette erreur grossière qui ne pouvait leur échapper dans une matière sur laquelle ils se préparaient à légiférer ?

—  “Applaudissements sur les bancs du groupe UMP”.

— Je préfère me taire et verser l’eau dans la théière.

— Vous avez bien raison. Le Darjeeling l’emporte sur monsieur Hortefeux en ce qu’il en sort toujours quelque chose de bon. Ce droit d’asile, précisément, est à la source du prédicament qui m’a mis dans tous mes états.

— Je crois deviner. Le droit d’asile donne un droit au séjour sur le territoire… C’est donc une chatière dans la Grande Muraille dont le législateur rêve d’enceindre la France…

— Avec la même efficacité que la première, gageons-le. En effet, à force de multiplier les obstacles sur la route des étrangers qui voudraient venir chercher en France les deux piliers sur lequel on bâtit l’espoir…

— Et qui sont…?

— Le pain et la liberté. L’asile est devenu disais-je une voie d’entrée pour des gens qui ne relèvent pas en réalité de ce statut. Surtout qu’autrefois, le statut de demandeur d’asile donnait un droit au séjour qui autorisait à travailler. 

— Comment ? Ce n’est plus le cas ?

— Non.

— Mais comment font-ils pour vivre ?

— Ils touchent une allocation au nom charmant d’Allocation Temporaire d’Attente, payée par les ASSEDIC (ne me demandez pas pourquoi) de l’ordre de 300€ par mois. Quand elle est payée, puisque de 2002 à 2008, le budget alloué à cette ATA est passé de 162 millions d’euros à 28 millions. Le nombre des demandeurs est passé, sur la même période, de 52000 à 48000. Notez l’intelligence de la politique : avant, les demandeurs d’asile travaillaient et cotisaient aux ASSEDIC. Maintenant, ils n’y travaillent plus et touchent des allocations. Et après, on les traitera de parasites.

— Il y a donc de la fraude à l’asile ?

— Des demandes mensongères, oui, c’est certain, c’est même une majorité. D’où l’importance de la vigilance des personnes en charge d’instruire ces demandes, qu’on appelle Officiers de Protection (OP), du fait qu’ils travaillent pour l’Office Français de Protection des Réfufiés et Apatrides (OFPRA). Ils doivent chercher la pépite, le vrai dossier, parmi les fantaisistes.

— Et ils y arrivent ?

— C’est bien là le problème. Tout se joue lors d’un entretien en tête à tête (ou en tête à tête à tête, dans l’hypothèse fréquente où un interprète est nécessaire). En théorie, ça marche bien. Les OP sont spécialisés dans leur région du monde (qui à l’OFPRA est divisé en quatre : Europe, Asie, Amérique-Maghreb et Afrique) et connaissent fort bien à la longue la situation politique des pays de leur secteur. On ne la leur fait pas. En outre, la forme du récit, la richesse des détails fournis, la cohérence et la crédibilité de l’ensemble sont déterminants. Une personne qui raconte son viol par une milice en bâillant d’ennui n’est pas crédible. Mais cela suppose que l’OP ait le temps de potasser son dossier, de faire des recherches, bref ait les moyens de faire son travail.

— Je devine la suite.

— Dame ! La politique de la rustine et du chiffre. Les lois ont multiplié les moyens de bâcler les dossiers à moyens constants, en inventant des horreurs comme les procédures prioritaires (un préfet peut décider que tel dossier devra être traité en un temps réduit par l’OFPRA qui n’a pas son mot à dire) ou les pays d’origine surs (POS) et nous y voilà.

— À ce qui vous a mis dans cet état ?

— Absolument. Laissez moi boire un peu de thé, je vais en avoir besoin. 

— Du sucre ?

— Jamais de sucre, même face à l’apocalypse.

— Un non aurait suffit. Vous me parliez des pays d’origine surs ?

— L’idée de départ n’est pas mauvaise en soi. C’est une règle européenne (directe CE du 1er décembre 2005) qui permet à un État de fixer une liste de pays réputés sûrs qui fait présumer qu’une demande venant de ce pays est infondée.

— Comme la Suisse, Monaco ou les États-Unis ?

— Vous vous gaussez ? Non, ces pays ne sont pas réputés sûrs. Le sont en revanche l’Algérie, le Bénin, la Bosnie Herzégovine, le Cap-Vert, la Croatie, la Géorgie jusqu’à vendredi, j’y reviens, le Ghana, Haïti, l’Inde, la Macédoine, Madagascar, le Mali, la Mongolie, l’Île Maurice, la Tanzanie, et l’Ukraine. Pays fournissant pourtant pour certains un contingent de réfugiés non négligeable. Par exemple, les femmes maliennes menacées d’excision dans leur pays peuvent obtenir le statut de réfugié (en fait, la protection subsidiaire, qui est un statut de réfugié élargi à des cas n’entrant pas dans la Convention de Genève, mais passons). Je ne conteste pas que la Croatie y figure, elle est sur le point d’entrer dans l’Union. Mais la Bosnie, je tique.

— Qui décide de cette liste ?

— le Conseil d’administration de l’OFPRA. Ce conseil avait tenté d’ajouter à la liste l’Albanie et le Niger, ce qui, quand on connait la situation dans ces deux pays, était un outrage fait à la vérité. Le Conseil d’État, qui est plutôt coulant en la matière, a été obligé de censurer. 

— Vous dites que la Géorgie y figurait jusqu’à vendredi ?

— Oui. Il aura fallu presque un an et demi pour que le Conseil d’administration admette que le fait qu’un quart du territoire soit occupé par une puissance étrangère était peut-être bien un indice d’insécurité. Mais sans doute pris de vertige à l’idée d’avoir aidé des réfugiés, le conseil a rétabli la balance cosmique en ajoutant trois pays à la liste : l’Arménie, la Serbie et, voilà l’origine de mon émoi, la Turquie.

— Mais je croyais que vous étiez favorable à l’entrée de la Turquie en Europe ?

— Non : la Turquie EST en Europe, c’est un fait géographique, historique et culturel (elle participe à l’Europa League de football et à l’Eurovision…).C’est à son entrée dans l’Union Européenne que je suis favorable. Mais certainement pas demain : elle n’est pas au standard européen en matière de protection des droits de l’homme. Elle est un des pays les plus condamnés par la Cour européenne des droits de l’homme (avec la France, c’est vous dire si nous avons des points culturels communs) et est l’origine d’un grand nombre de réfugiés relevant de la division Europe de l’OFPRA.

— Vraiment ? Midnight Express est encore d’actualité ?

— Non, la Turquie change. Mais elle a encore deux problèmes : les Kurdes et les militants d’extrême gauche. Les premiers sont une minorité qui parle sa propre langue (qui s’écrit en caractères arabe alors que le turc a recours à l’alphabet latin) et qui a longtemps été privée de tout droit à vivre dans sa spécificité. Les choses changent, des partis kurdes existent et il y a même une télévision publique en langue kurde. Mais souvenir des années de lutte féroce, il existe des mouvements indépendantistes violents, comme le Parti des travailleurs du Kurdistan (Partiya Karkerên Kurdistan, PKK) d’Abdullah Oçalan qui ont recours au terrorisme et font des opérations de guérilla dans le Kurdistan turc (sud est du pays, près de la frontière irakienne et syrienne). La population, coincée entre le marteau et l’enclume, fuit cette zone et vient se réfugier en France. Certains ne fuient que la misère. Quant à l’extrême gauche turque, elle est restée très old school : la dictature du prolétariat doit au besoin être imposée par la force. D’où une collection de lois d’exception où toutes les libertés sont mises de côté sous prétexte de la lutte contre le terrorisme. Quand je vous dis que la Turquie est proche de nous culturellement… 

— Vous êtes ironique : n’exagérez-vous pas un peu ?

— Je vais donner la parole à une spécialiste de la question. Je cite : 

Cette demande [du statut de réfugié de la part de ressortissants turcs, 2732 dossiers en 2008] traditionnelle ne connaît aucune évolution notable et est toujours composée au moins à 80 %de demandeurs d’origine kurde qui revendiquent soit un militantisme personnel au sein de partis kurdes, généralement le DTP (Demokratik Toplum Partisi, Parti de la Société Démocratique), soit une aide et une assistance apportée aux combattants du PKK. Par ailleurs, les militants de cette organisation, qui disaient venir des camps du nord de l’Irak et dont le parcours et la provenance restaient difficiles à établir, semblent moins nombreux. Un nombre croissant de demandes est en fait constituéde 2ème ou 3ème demandes émanant de personnes déclarant être rentrées en Turquie après avoir été déboutées. Elles invoquent alors une courte détention à l’aéroport et affirment avoir par la suite repris leur militantisme, ce qui les aurait conduits à fuir après avoir de nouveau subi des persécutions. L’Office reçoit toujours un petit flux régulier de militants syndicaux ou d’extrême gauche ainsi que des demandeurs invoquant des motifs relevant de la protection subsidiaire. Il s’agit souvent de femmes mettant en avant des difficultésd’ordre privé ou déclarant fuir un mariage forcé.

— Et qui dresse cet état des lieux sans complaisance ? Une association de gauchistes ?

— Non. C’est l’OFPRA, dans son rapport 2008 (pdf, page 23).

— L’OFPRA ? Dont le Conseil d’administration vient de décider…

— Que la Turquie est un pays sûr. Formidable cas de schizophrénie administrative. 

— Et quels sont les conséquences pour les demandeurs turcs ?

— Elles sont terribles. Ils n’ont plus de droit d’asile : ils peuvent être reconduits en Turquie pendant l’examen de leur demande. Ils ont des délais réduits pour présenter leur demande et n’ont pas droit à l’Allocation Temporaire d’Attente ni à être logé en Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile (CADA). Et ils n’ont bien sûr pas le droit de travailler. Enfin, leur demande peut être rejetée sans entretien avec un OP, alors que je vous ai expliqué que cet entretien est l’élément essentiel de la prise de décision.

— Mais quelle proportion des dossiers présentés par des turcs aboutit à un octroi du statut de réfugié ?

— En 2008, un sur quatre, 704 exactement (source : rapport 2008, op. cit.).

— Vous voulez dire que le Conseil d’administration de l’OFPRA a déclaré sûr un pays qui fournit chaque jour deux réfugiés au sens de la Convention de Genève ?

— Oui. Tout comme il a considéré sure la Bosnie, qui détient le record du taux d’accord pour la zone Europe avec un dossier sur deux accepté.

— Mais… C’est une honte ! Un scandale ! Une forfaiture !

— Ma chère lectrice, vous voilà à présent dans le même état que moi, le rouge aux joues, le sein bondissant d’indignation, et la tasse de thé tanguant dangereusement. Oui, ma chère, c’est à un attentat contre l’asile que nous venons d’assister. Je sais que le GISTI et d’autres usual suspects préparent un recours. Je croise tout ce que la Nature m’a donné de doigts pour que le Conseil d’État y mette bon ordre promptement. Je confesse un optimisme modéré, vu la jurisprudence de ce dernier en la matière.

— Mais comment une telle décision peut-elle être prise ?

— Mais la politique, la pure politique, ma chère. 

— Comment pouvez-vous en être si sûr ?

— Lisez cet extrait du journal officiel des débats parlementaires, séance du Sénat du 22 septembre 2009. Mais d’abord, laissez-moi vous ôter des mains cette tasse de thé, sinon vous allez tacher mes codes tout neufs. 

jeudi 12 novembre 2009

Prix Busiris pour Éric Raoult

L’Académie Busiris, réunie en sous-section, vient de décerner le prix Busiris à monsieur Éric Raoult, député de la 12e circonscription de Seine Saint Denis et maire du Raincy, dans le même département. Éric Raoult, photo officielle de l'Assemblée nationale, cherchant des yeux une nouvelle occasion d'outrager son devoir d'intelligence.

Les propos primés ont tout particulièrement retenu l’attention de l’Académie car ils ont été publiés au Journal Officiel de la République (dans son édition consacrée aux débats parlementaires) le 10 novembre dernier (question n°63353). Les voici, tels qu’à jamais gravés dans la mémoire de la république, c’est-à-dire avec les approximations grammaticales (et bien sûr juridiques) non corrigées.

M. Éric Raoult attire l’attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur le devoir de réserve, dû aux lauréats du prix Goncourt. En effet, ce prix qui est le prix littéraire français le plus prestigieux est regardé en France, mais aussi dans le monde, par de nombreux auteurs et amateurs de la littérature française. À ce titre, le message délivré par les lauréats se doit de respecter la cohésion nationale et l’image de notre pays. Les prises de position de Marie Ndiaye, prix Goncourt 2009, qui explique dans une interview parue dans la presse, qu’elle trouve « cette France [de Sarkozy] monstrueuse », et d’ajouter « Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux », sont inacceptables. Ces propos d’une rare violence, sont peu respectueux voire insultants, à l’égard de ministres de la République et plus encore du chef de l’État. Il lui semble que le droit d’expression ne peut pas devenir un droit à l’insulte ou au règlement de comptes personnel. Une personnalité qui défend les couleurs littéraires de la France se doit de faire preuve d’un certain respect à l’égard de nos institutions, et de respecter le rôle et le symbole qu’elle représente. C’est pourquoi il lui paraît utile de rappeler à ces lauréats le nécessaire devoir de réserve, qui va dans le sens d’une plus grande exemplarité et responsabilité. Il lui demande donc de lui indiquer sa position sur ce dossier, et ce qu’il compte entreprendre en la matière.

Tout d’abord, et le ministre de la culture et de la communication aura rectifié de lui-même, le devoir de réserve ne peut en tout état de cause être dû aux lauréats mais dû par les lauréats : cette erreur de préposition fait du lauréat le créancier alors que dans l’esprit la tête du député, il en serait évidemment le débiteur. 

Le propos juridiquement aberrant est donc qu’un écrivain serait soumis à un devoir de réserve sous prétexte qu’il aurait été honoré d’un prix littéraire. À cette lecture, et sans violer le secret des délibérations, l’Académie unanime s’est exclamée : « Gné ? » ce qui révèle sa surprise, son désarroi et pour dire le tout, sa détresse face à ce naufrage.

Rappelons les textes applicables en la matière à toute personne, ce qui inclut, vérification faite, les écrivains, mais aussi, même si parfois on en vient à le regretter, les députés.

À tout seigneur tout honneur, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui est en vigueur et a même valeur constitutionnelle, c’est à dire supérieure à la loi, en son article 10 : 

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

Reconnaissons qu’à l’époque, les députés savaient manier la langue française.

L’Europe est aussi de la partie puisqu’un autre article 10, celui de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, dite Convention Européenne des Droits de l’Homme brevitatis causa.

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

 « 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

 Et n’en déplaise à monsieur le député, l’expression critique à l’égard du pouvoir en place, si elle peut troubler la digestion d’un député de Seine Saint Denis, ne trouble pas l’ordre public, la sécurité nationale, la sûreté publique, la santé, ou la morale. J’ajouterais même qu’elle est, y compris dans ses excès, nécessaire dans une société démocratique.

Et ce fameux devoir de réserve, alors ?

C’est une création jurisprudentielle du Conseil d’État (CE, Ass., 28 mai 1954, Barel, n° 28238). au domaine très délimité : il frappe les fonctionnaires et agents publics (les magistrats ne sont pas des fonctionnaires au sens strict car ils ont leur statut propre, mais ils sont soumis au devoir de réserve), et eux seulement.

Le statut général des fonctionnaires (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983) en son article 6 proclame la liberté d’expression des fonctionnaires, qui sont des citoyens comme les autres. Mais le Conseil d’État a apporté une limite à cette liberté, le devoir de réserve, que le Conseil n’a pas défini (que diantre, il n’est pas législateur) mais qui apparaît au fil des décisions comme une obligation de modération sur la forme, liée à l’obligation de neutralité de l’État qui s’exprime à travers ses agents, et à l’obligation de loyauté de ceux-ci envers l’État dont il se sont faits les serviteurs. Question de cohérence, en somme. Le Conseil d’État ayant précisé que les élus syndicaux sont largement déliés de ce devoir, l’action syndicale s’accompagnant volontiers d’une certaine outrance revendicative.

Le devoir de réserve est souvent invoqué à tort et à travers par des gens qui n’y ont rien compris comme interdisant à un fonctionnaire de s’exprimer, y compris parfois sur des affaires purement privées. Éric Raoult, à son corps défendant, nous en fournit un exemple qui va encore plus loin puisqu’un écrivain, fût-il primé, n’est pas fonctionnaire pour autant, d’autant que le prix Goncourt (d’un montant rappelons-le de dix euros) est remis par la société littéraire des Goncourt, association loi 1901 reconnue d’utilité publique, c’est-à-dire une personne privée.

La question qui a fait débat est celle de la mauvaise foi. Éric Raoult n’est-il pas, au fond, convaincu que les écrivains seraient tenus à un devoir de réserve, et n’est-il pas sincère dans son interpellation, ce qui exclurait le Busiris ?

Plusieurs éléments ont fait opiner en faveur de la mauvaise foi. L’élément essentiel est la publicité donnée par ce député à la question qu’il se préparait à poser, au mépris de la courtoisie élémentaire due à un ministre qui voulait qu’on lui en réservât la primeur. La recherche manifeste de médiatisation crée une présomption de mauvaise foi. 

De plus l’Académie a estimé que s’agissant d’une personne qui a été député depuis 1986 (avec une interruption de 1997 à 2002), deux fois ministre, et aujourd’hui vice président de l’assemblée nationale, une certaine connaissance du droit pouvait sinon s’induire, du moins être exigée.

Ajoutons à cela qu’en 2005, en tant que maire du Raincy, lors des émeutes de l’automne, il fut le premier à proclamer l’état d’urgence dans sa commune pourtant épargnée par les actes de violence afin de griller la politesse au premier ministre, ce qui montre une certaine tendance à la gesticulation inutile pour attirer l’attention sur lui. 

Ce qui établit en même temps le mobile d’opportunité politique, et emporte la décision. 

Le prix lui est donc décerné avec la mention très déshonorable

L’Académie adresse ses félicitations à l’heureux gagnant et remercie ses collègues de l’Académie Goncourt de lui avoir fourni cette occasion de poilade.

Un peu de rigueur ne fait pas de mal

Des lecteurs m’ont signalé que mon billet précédent, rédigé un peu rapidement, était erroné dans son titre. C’est tout à fait exact, et je suis assez sévère avec les approximations des autres pour ne pas me pardonner les miennes, et je vous présente mes excuses.

Le jugement du tribunal administratif n’ouvre pas la porte à l’adoption pour les couples homosexuels puisque la loi n’ouvre l’adoption plénière qu’aux célibataires et couples mariés : c’est l’article 346 du Code civil

Nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n’est par deux époux.

Le principe est en effet que l’adoption ne concerne que deux personnes : l’adoptant et l’adopté. Par exception, la loi permet à aux deux membres d’un couple marié d’adopter; l’adoption visant à recréer un lien de filiation, la loi permet d’aller au bout de la logique : le mari sera père adoptif, l’épouse la mère adoptive. La loi exige pour cet exception le cadre légal le plus stable qui soit : le mariage. En effet, une séparation supposera nécessairement le passage devant le juge, qui pourra alors statuer sur le sort de l’enfant adoptif en s’assurant que son intérêt est respecté.

Or, comme je vous en avais entretenu il y a fort longtemps, le mariage n’est pas possible entre personnes de même sexe (il est possible pour deux homosexuels de se marier, s’ils sont de sexe différent, mais la chose présente dès lors moins d’intérêt pour eux). 

Donc, la situation actuelle est la suivante : si deux homosexuels (je rappelle que le masculin est neutre en grammaire, et que deux femmes vivant en couple sont des homosexuels comme les autres) vivent en couple, seul l’un d’entre eux pourra adopter un enfant.

Néanmoins, là aussi, les choses évoluent, et une autre décision récente apporte un sérieux tempérament.

La cour d’appel de Rennes vient d’accepter qu’une femme, ayant vécu en couple avec une autre femme et qui s’en était séparée, et qui avait eu un enfant à la suite d’une insémination artificielle pratiquée en Belgique (où la législation est plus souple qu’en France), qu’elles avaient élevé ensemble, délègue son autorité parentale à son ex-compagne. Notons au passage que le parquet a appuyé la requête de la mère en requérant que le juge y fît droit, ce qui semble exclure un pourvoi (encore qu’il y a des précédents…). 

La délégation de l’autorité parentale (art. 377 du Code civil) permet à un des parents de déléguer tout ou partie de son autorité à un “proche digne de confiance”. Cette délégation a lieu par un jugement du juge aux affaires familiales, s’il estime que c’est conforme à l’intérêt de l’enfant. Et ici, tel était le cas, pour que l’ex-compagne garde des liens quasi-maternels avec l’enfant, ui la considère comme sa deuxième mère.

Cette décision va même assez loin puisque cette délégation a été demandé par un couple séparé : ce n’est même plus le couple marié qui est recréé ici mais le couple divorcé. 

Donc un homosexuel vivant en couple pourra désormais adopter un pupille de l’État, puis, le jugement prononcé, demander une délégation de l’autorité parentale au profit de son compagnon. 

C’est une avancée certaine, mais pas encore une victoire, car le compagnon n’aura aucun lien de paternité avec l’enfant, et cela a des conséquences, notamment fiscales. 

Ce qui ne retire rien à l’inexactitude de mon titre d’hier, ce dont je vous demande encore pardon.

Et puisqu’on en est aux excuses, je suis désolé de mon absence des commentaires. Je n’arrive plus à les suivre, au rythme de 200 par jour. N’hésitez pas du coup à me signaler les commentaires que vous estimeriez douteux ou déplacés (page me contacter).

Bonne journée à tous.

mardi 10 novembre 2009

Premier agrément à l'adoption donné à un couple homosexuel

C’est tombé ce matin : le tribunal administratif de Besançon a annulé un refus d’agrément à l’adoption opposé à un couple homosexuel. La nouvelle n’était pas totalement inattendue, puisqu’il survient après la condamnation de la France par la Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) dans cette affaire dont je vous avais entretenu ici.

C’est donc la fin d’une formidable hypocrisie vieille de plus de 20 ans. La France n’interdit pas en effet l’adoption par un couple homosexuel. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le Gouvernement français qui expliquait cela benoîtement devant la CEDH (je me demande si Christine Boutin était au courant que son Gouvernement soutenait ça devant la cour…). Seulement, c’est ballot, en 20 ans, aucun couple homosexuel candidat à l’adoption n’offrait les garanties d’équilibre et de stabilité exigés pour cet agrément, préalable indispensable à ce qu’un jeune enfant adoptable leur soit confié en vue de l’adoption. C’est dingue, parfois, les probabilités…

Je vous renvoie à mon précédent billet sur cette affaire où vous verrez comment on évite soigneusement la question de l’homosexualité du requérant en s’interrogeant sur une conduite d’évitement de la « violence » de l’enfantement et de l’angoisse génétique à l’égard d’un enfant biologique, ou comment on parle pudiquement de “contexte d’accueil” et de “cadre de vie”.

Hop, dans les poubelles de l’histoire. Décidément, les 10 novembre, les murs ont tendance à tomber.

vendredi 6 novembre 2009

Faut-il un couvre feu pour les mineurs de 13 ans, ces « gamins du soir » ?

Par Justice, juge des enfants, invité de ce blog. Mes lecteurs se souviendront de cette première contribution il y a un an déjà.


L’idée fait son chemin et on peut reconnaître aux hommes politiques leur persévérance … En effet, chacun se souvient des arrêtés communément appelés « couvre feu pour les mineurs » pris par certains Maires, soucieux de la protection des mineurs : Sorgues, Gien, Dreux, Orléans, etc..

Celui de la commune de Cagnes-sur-Mer (50.000 habitants) , pris le 28 décembre 2000, exigeait par exemple que les enfants mineurs de moins de treize ans devaient être accompagnés par une personne majeure entre 22 heures et 6 heures du matin, lorsqu’ils se déplaçaient dans trois secteurs géographiques de la commune. Cet arrêté prévoyait également que tout mineur non accompagné serait conduit au commissariat de police qui prendrait contact avec les parents et que ceux-ci s’exposaient aux poursuites pénales sur la base de l’article R. 610-5 du Code pénal

Aujourd’hui, Brice Hortefeux, Ministre de l’Intérieur, lance une « réflexion » autour d’un couvre-feu ciblé sur des mineurs délinquants:

«je suis de plus en plus partisan d’une mesure qui aurait le mérite de la simplicité, de la lisibilité et de l’efficacité : qu’un jeune de moins de 13 ans qui aurait déjà commis un acte de délinquance ait une interdiction de sortie nocturne s’il n’est pas accompagné d’un adulte »

Il s’agit, ni plus ni moins, de la même idée, vous l’aurez noté … un peu comme du copier coller.

Mon propos n’est pas d’aborder la légalité de tels « couvre-feu ». Le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de se pencher sur ce point (pdf).

Non, il s’agit plutôt, en tant que juge des enfants, de se questionner sur l’intérêt d’une énième loi en matière de sécurité (qui serait d’ailleurs difficilement applicable mais c’est un autre problème) sachant que l’objectif affiché est : la protection des mineurs de moins de 13 ans trainant le soir …

Nos concitoyens doivent en effet savoir que, depuis 1945, il existe en France un magistrat spécifiquement chargé de la délinquance des mineurs. Vous me direz, il n’a rien à voir dans l’affaire puisqu’un gamin de 12 ans, livré à lui-même la nuit dans les rues, n’a pas forcément commis de délits. Et vous avez raison ! C’est précisément pour cela que le législateur, dès 1958, a étendu la compétence du juge des enfants aux mineurs en danger. Depuis 51 ans, ce magistrat a la lourde charge de protéger les mineurs confrontés à une situation de danger au sein de leur famille.

Alors, pourquoi donc ne pas parler du juge des enfants lorsque l’on se préoccupe réellement de la protection des mineurs livrés à eux mêmes ? A chacun de se faire sa réponse. Peut-être pense-t-on qu’il est inefficace puisque par définition les mineurs commettent toujours plus de délits (je vous invite quand même à aller consulter les derniers chiffres officiels commentés sur la délinquance des mineurs ; ils sont de 2007 mais je n’y peux rien, ce sont les derniers …) et trainent en bande la nuit !

Il serait quand même intéressant de savoir comment est traité le problème de ces gamins en France car nous en sommes tous d’accord, un enfant de 12 ans n’a rien à faire dans les rues en pleine nuit. De nombreuses questions méritent alors d’être posées sur ses conditions d’éducation. C’est le boulot du juge des enfants et des services travaillant à ses côtés que d’y répondre.

Des « sanctions » existent contre les parents défaillants, allant du retrait de l’autorité parentale (article 378-1 du code civil) à la condamnation devant un tribunal correctionnel s’ils ont, par leur comportement, mis en danger leur enfant (article 227-17 du Code Pénal).

Mais la difficulté doit avant tout passer par une « aide » pour ces parents qui ne savent pas ou plus donner de bons repères à leur enfant.

L’assistance éducative, c’est à dire la saisine du juge des enfants, est donc pleinement justifiée.

Il faut espérer que les communes particulièrement confrontées à ces « gamins du soir » alertent les services sociaux et le Procureur de la République. Dans ce cas, on voit mal pourquoi le débat vient d’être lancé de cette façon aussi biaisée.

Pour parler de ce que je connais, à savoir les moyennes agglomérations, je n’ai jamais reçu une information de la Police m’informant qu’un jeune avait été contrôlé dans la rue en pleine nuit. Peut-être que le problème n’existait pas dans ces départements… Il faut alors s’en réjouir !

Commençons par « exploiter » (à l’heure où la fonction du juge des enfants est ponctuellement remise en cause pour les volets répressif et protecteur qu’elle comporte) le dispositif de protection de l’enfance qui existe en France. Signalons aux Procureurs de la République ces gamins errants, ces « gamins du soir » et demandons aux travailleurs sociaux d’évaluer leur situation familiale. Certains diront : mais nous n’aurons pas suffisamment de moyens ! Est-ce dire que les Préfets, les Policiers en auront de meilleurs ? Au surplus, une fois le gamin raccompagné dans sa famille par des policiers, le problème demeurera entier …

jeudi 5 novembre 2009

Qu'est-ce qu'être français ?

Cette question semble ainsi obnubiler un ministre qui n’a visiblement pas d’autres préoccupations plus importantes, c’est dire si la France va bien et est admirablement gérée.

Comme d’habitude, on oublie de se tourner vers le droit, qui a pourtant des éléments de réponse.

Pour parodier un grand spécialiste de l’identité nationale, quand un juriste entend le mot “nationalité”, il dégaine son Code civil.

C’est là que sont définies les conditions très strictes de l’acquisition de la nationalité. Je rassure toutefois notre ministre bien-aimé, le droit se contente en fait de dire qui est français, pas ce que c’est. Le droit est en effet une matière bien trop sérieuse pour perdre son temps avec des questions qui n’ont pas vraiment de réponse, puisque chacun a la sienne et qu’aucune ne peut prétendre être la bonne. 

► La première catégorie de Français, et la plus nombreuse, est la catégorie des Français qui se sont donnés la peine de naître, pour citer Beaumarchais, né à une époque où la nationalité française n’existait pas (c’est une invention révolutionnaire). Ce sont les Français d’origine, ainsi appelés car ils sont français dès l’instant de leur naissance, sans avoir rien demandé à personne. Ils se divisent en deux (car si la Nation est Indivisible, le droit de la nationalité adore les divisions, c’est son côté rebelle).

D’abord, les Français par filiation : est français l’enfant de Français (art. 18 du Code civil). C’est le fameux droit du sang, le jus sanguini, qui pose qu’est de telle nationalité l’enfant de ce lui qui est de telle nationalité, par opposition au droit du sol, jus soli, qui veut qu’est de telle nationalité celui né sur le territoire de tel État, qui sont les deux façons envisageables d’attribuer une nationalité, chaque pays recourant à l’une ou l’autre de ces règles en les assaisonnant à sa façon. 

Mes lecteurs les plus sagaces auront tout de suite vu la difficulté : le problème n’est pas réglé, il n’est que transféré à la génération précédente. Comment le père ou la mère (un seul des deux suffit) était-il lui-même Français ? 

D’où la deuxième catégorie, mélange de droit du sang et de droit du sol, qui sert de filet de sécurité : est Français l’enfant né en France d’un parent lui-même né en France quelle que soit sa nationalité (art. 19-3 du Code civil). Ainsi, si vous êtes né en France et qu’un de vos parent est lui-même né en France, vous n’avez pas à vous soucier de prouver sa nationalité, vous avez prouvé la vôtre. Et si vous êtes né à l’étranger, il vous suffit de prouver qu’un de vos parents est né en France d’un grand-parent né en France, et vous voilà cocardisé. Sauf que pour les Français dont les parents sont nés dans les anciennes colonies, qui ne sont pas considérées comme territoire français avant la décolonisation pour ce qui concerne la nationalité française, le casse-tête reste entier, avec parfois des conséquences traumatisantes.

Il y a aussi des exceptions même pour ceux nés en France métropolitaine (le droit est la science des divisions et des exceptions) : si les parents nés en France ont vécu un demi-siècle à l’étranger et n’ont pas la possession d’état de français, et que leur enfant n’a pas non plus cette possession d’état, l’acquisition de la nationalité ne joue pas (article 30-3 du Code civil) et le parquet peut faire retirer la nationalité française de celui qui étant dans cette situation l’aurait néanmoins obtenue (art. 23-6 du Code civil). Création des abjectes lois Pasqua de 1993, une des pires œuvres législatives de la République qui s’y connait pourtant en la matière. 

Un mot sur la possession d’état, notion importante, à tel point que le législateur s’est abstenu de la définir. C’est un concept emprunté au droit romain de la filiation, les règles de nationalité s’étant largement inspirée de ce droit (le citoyen est un peu l’enfant de la mère patrie, patrie venant d’ailleurs du latin pater, le père (le nationalisme relèverait-il donc d’un Œdipe mal réglé ?), et qui suppose trois conditions : que la personne se dise française (le nomen), soit traitée comme un français par les autorités (le tractatus) et soit considérée par son entourage comme française (la fama). Il faut dire que dans la plupart des cas, la personne se croit vraiment française. J’y reviendrai lors de l’examen de la troisième catégorie.

Ajoutons quelques cas particuliers : l’enfant né de parents inconnus et l’enfant qui sinon naîtrait apatride en France, se voient conférer la nationalité française ; on ne peut naître apatride en France. Mais la générosité de la France a ses limites : si au cours de sa minorité on découvre que l’enfant né apatride ou de parent inconnus acquiert la nationalité d’un de ses parents (l’un des parents inconnus se manifeste et il est Syldave, or la loi syldave donne la nationalité syldave à l’enfant d’un syldave même né à l’étranger), l’enfant perdra la nationalité française et même sera réputé ne jamais l’avoir été. Oui, côté mère adoptive, la France est vraiment pas terrible (art. 19 et 19-1 du Code civil).

Comme vous le voyez et contrairement à une légende colportée par le Front national, le seul fait de naître en France ne suffit pas à conférer la nationalité française. Le droit du sol existe, mais pour faire effet dès la naissance, il faut que ce soit un double droit du sol : être né en France d’un parent lui-même né en France. Et pour ceux qui voudraient supprimer cette catégorie pour satisfaire leurs instincts xénophobes, je précise que c’est elle seule qui leur donne la certitude de pouvoir prouver leur nationalité française le jour où on leur demandera. Attention donc, à force de haïr les étrangers, de ne pas en devenir un soi-même. Le droit du sol simple existe certes, nous allons le voir tout de suite, mais le sol français est aride : il y a d’autres conditions à remplir avant que la nationalité française n’y germe.

► La deuxième catégorie est celle des Français par acquisition.
Non, ce ne sont pas les descendants d’esclaves achetés pour les colonies, ce sont les Français qui ne sont pas nés Français mais le sont devenus par la suite. 

D’abord (par ordre d’apparition dans le Code) viennent les conjoints de Français. Au bout de quatre ans de mariage, cinq ans si le conjoint n’a pas vécu au moins trois ans en France, et à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé et que le conjoint ait une connaissance suffisante de la langue (la communauté de vie est vérifiée par la convocation simultanée des deux époux pour la déclaration, la maitrise de la langue par le fait que toutes les questions sont posées au conjoint étranger ; le conjoint français a vraiment l’impression de perdre une demi-journée, et ce n’est pas une impression, mais depuis le jour de ses noces on lui fait comprendre qu’il est suspect du fait d’avoir épousé un étranger ; je parle d’expérience), le conjoint peut déclarer acquérir la nationalité française. Cette déclaration se fait au tribunal d’instance. Dans le délai d’un an, le ministre chargé des naturalisations peut s’opposer par décret à cette acquisition pour indignité ou défaut d’assimilation, autre que linguistique (ce point a été vérifié par le juge d’instance). C’est ce qui s’est passé dans l’affaire dont je vous avais parlée de cette femme qui portait le Niqab. Article 21-2 du Code civil.

Viennent ensuite les conjoints du président de la République, qui bénéficient d’une procédure médiatique à effet immédiat. (Aucun article de loi ne prévoit cela, mais depuis quand la loi s’applique-t-elle au plus haut du pouvoir ?)

Voici venir à présent le droit du sol, les Français par la naissance et la résidence en France (j’insiste sur le et la résidence) : devient automatiquement Français le jour de ses 18 ans l’enfant né en France de parents étrangers qui réside en France le jour de ses 18 ans, et qui y a résidé au moins 5 ans, de manière continue ou non, depuis ses 11 ans. Qu’une seule condition défaille, et il n’y a pas d’acquisition de la nationalité. Article 21-7 du Code civil.

L’intéressé peut renoncer à la nationalité française dans les six mois précédant son 18e anniversaire et les 12 mois le suivant, s’il prouve avoir une autre nationalité (on ne devient pas apatride en France). Dans ce dernier cas, il est réputé n’avoir jamais été français.

À l’inverse, l’enfant né en France de parents étrangers peut anticiper cette acquisition par déclaration : soit lui-même à partir de ses seize ans, soit ses parents en son nom à partir de ses treize ans. Dans ce dernier cas, la condition de 5 ans de résidence court à compter de ses 8 ans. Article 21-11 du Code civil.

► troisième catégorie : les Français par déclaration. La loi permet à des étrangers se trouvant dans certaines situations précises d’obtenir la nationalité par déclaration. C’est automatique mais suppose une démarche volontaire (auprès du juge d’instance), et la vérification que les conditions légales sont remplies.

Il s’agit d’abord des mineurs adoptés par des Français, recueilli légalement par des Français depuis 5 ans, ou l’Aide Sociale à l’Enfance depuis 3 ans, ou par un organisme agréé qui lui a permis de suivre un enseignement en France pendant 5 ans. Article 21-12 du Code civil.

Cela recouvre aussi les étrangers invoquant 10 ans de possession d’état de français. Article 21-13 du Code civil.

C’est d’ailleurs ce que suggère, toute honte bue (mais on sait sa soif inextinguible) Éric Besson au brigadier Guissé. Il a la possession d’état de français : il se dit français (et se croyait sincèrement français), est traité comme français par l’armée de terre et par l’administration qui lui a délivré deux certificats de nationalité, et il porte l’uniforme et les armes françaises (Nomen, Tractatus, Fa-Mas). En somme, “rendez moi votre nationalité, je vous la rends tout de suite (enfin un ou deux ans plus tard, ça prend du temps ces procédures. Bon, vous serez humilié et rayé des cadres de l’armée, dans l’intervalle, et alors, où est le problème ?)”. 

On rattache à cette catégorie les français par réclamation : il s’agit des étrangers privés de la nationalité française par filiation du fait de la résidence prolongée à l’étranger de leurs parents (art. 21-14 du Code civil). La loi leur permet de réclamer la nationalité française, à condition qu’ils aient conservé ou acquis avec la France des liens manifestes d’ordre culturel, professionnel, économique ou familial, soit effectivement accompli des services militaires dans une unité de l’armée française ou combattu dans les armées françaises ou alliées en temps de guerre.

► Quatrième et dernière catégorie : les français par décision de l’autorité publique. Ce sont les naturalisés. 

Le cas le plus fréquent est celui de l’étranger qui le demande. La demande se fait en préfecture, et c’est là sans doute le service préfectoral le plus sinistré de tous. C’est une honte, un scandale sans nom. Le délai en région parisienne est de deux ans pour avoir un rendez-vous rien que pour retirer le formulaire de demande de naturalisation. Sachant qu’une fois que vous l’avez, vous devez réunir des pièces administratives en nombre, certaines de votre pays d’origine et traduites à vos frais, d’autres datées de moins de trois mois, et que si vous ne les avez pas réunies dans les six mois, votre demande part à la poubelle, tout est à refaire : art. 35 du décret du 30 décembre 1993.

Une fois le dossier déposé, il n’y a plus qu’à attendre. Attendre. Attendre. Face à ces délais de traitement, la loi Sarkozy de 2006 a donné à l’administration les moyens de faire son travail (Ah ! Ah ! je plaisantais, bien sûr) imposé un délai de 18 mois pour traiter le dossier, réduit à 12 si l’étranger est en France depuis 10 ans (art. 21-25-1 du Code civil), mais faute de sanction, je n’ai jamais vu ce délai respecté (sauf pour la naturalisation de Carla Bruni, qui est allé tellement vite qu’il est considéré comme une preuve scientifique de la téléportation quantique). Je connais un couple de marocains qui vient d’avoir son décret de naturalisation ; ils ont engagé la procédure début 2000. 

Pour demander la naturalisation, il faut : avoir 18 ans, résider en France, et y avoir résidé 5 ans, 2 ans si on a fait des études supérieures en France ou si on a rendu ou on peut rendre des services importants à la France, et sans condition de délai (qu’on appelle stage) pour les ressortissant de pays francophones, les réfugiés et les étrangers ayant contracté un engagement militaire (concrètement, pour la Légion étrangère). De toutes façons, vu la durée de la procédure, cette condition de délai tient du gag.

Il faut également être de bonnes vie et mœurs (art. 21-23 du code civil) ; certaines condamnations pénales sont un obstacle insurmontable à la naturalisation (terrorisme, atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation). 

Il faut enfin justifier de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française et des droits et devoirs conférés par la nationalité française. Si quelqu’un a trouvé la liste de ces droits et devoirs, je lui en saurai gré, parce qu’à part le droit de vote, je vois pas, je crois que je serais recalé.

Ajoutons (et j’en aurai fini) que peuvent aussi être naturalisés à la demande du ministère de la défense les militaires étrangers ayant servi dans l’armée française en temps de guerre, et toute personne sur proposition du ministre des affaires étrangères à tout étranger francophone qui en fait la demande et qui contribue par son action émérite au rayonnement de la France et à la prospérité de ses relations économiques internationales. Le piston est parfois institutionnalisé. 

Voilà, vous pouvez souffler, on a fait le tour.

Quelques précisions : si la loi distingue les façons d’acquérir la nationalité française, elle ne distingue pas les nationalités françaises. Un français d’origine est aussi français qu’un naturalisé ou qu’un déclaré. Il n’y a pas de français de 1e classe et de 2e classe. Et quand on voit ce par quoi ils sont passés, je dirais même que ceux qui arrivent à passer le cap de la naturalisation ont plus de motifs d’être fiers de leur nationalité que moi qui fais simplement partie de la catégorie des français d’origine, ceux qui se sont donnés la peine de naître.

À ce propos, je voulais revenir sur cette citation de Beaumarchais que je citais en exergue. Il s’agit d’un extrait de la tirade de Figaro dans la Folle Journée, ou le Mariage de Figaro, Acte V, scène 3 : 

Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire ; tandis que moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes…

C’était en 1784, 5 ans avant la Révolution, qui a aboli le 4 août 1789 les privilèges et l’état de Noblesse. 

Et je ne saurais assez décrire mon malaise quand je réalise qu’aujourd’hui, cette nationalité française, qui n’est juridiquement qu’un état, est considérée par certains de mes concitoyens, souvent français d’origine, comme une nouvelle Noblesse dont ils prétendent tirer gloire et fonde un mépris de leur part pour la roture du reste de l’humanité, sans qu’on en perçoive la raison, ni pour la gloire ni pour le mépris. On peut tirer gloire de ce qu’on fait, pas de ce qu’on est ; de cela il faut simplement être digne

À tel point que Figaro pourrait être un étranger en remontrant à un Français d’origine. Tenez, ça donnerait cela : 

Nationalité, Sécurité sociale, des métiers réservés, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire ; tandis que moi, morbleu ! perdu dans l’humanité obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour obtenir ma carte de séjour seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner tous les EPAD…

Et une fois de plus, Figaro dirait la vérité (enfin, sa plus vraie, bien sûr). Troublant, n’est-ce pas ?

mercredi 4 novembre 2009

Ma contribution au débat sur l'identité nationale

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lundi 2 novembre 2009

Un moment de justice

Je ne suis pas le dernier à critiquer la justice quand j’estime qu’elle faillit à sa mission, aussi difficile soit-elle. Je me dois donc aussi de saluer ses réussites, surtout quand elles sont inattendues.

Je craignais le pire avec le procès de Francis Évrard devant la cour d’assises de Douai, la semaine dernière. Tous les ingrédients étaient réunis pour faire dérailler le procès.

La médiatisation à outrance : on se souvient que la disparition de la victime, en août 2007, peu de temps après les élections présidentielles et législatives, a été suivie en direct par la France entière, à l’occasion d’une Alerte Enlèvement.

Les faits, qui sont de nature à déchaîner les passions : un pédophile, le prédateur absolu de notre temps, récidiviste, alors que le parlement discutait la loi sur les peines planchers, une victime âgée de 5 ans. 

Certains hommes politiques n’ont d’ailleurs pas hésité longtemps à surfer sur la vague médiatique de l’abject. Castration chimique obligatoire ici, quand bien même on sait qu’elle a des effets secondaires très lourds sur la santé et qu’elle est inadaptée dans bien des cas (dont celui d’Évrard), et castration physique de l’autre ; les testicules de Francis Évrard on eu droit à l’attention des plus hautes autorités de l’État.

Et pourtant, ces vents mauvais se sont arrêtés à la porte de la salle d’audience. Conjonction du père de la victime qui a fait preuve d’une grande dignité depuis le début de cette affaire, d’un accusé qui reconnaît sa responsabilité, d’un président, Michel Gasteau, d’un avocat général, Luc Frémiot, et de deux avocats, Emmanuel Riglaire pour la partie civile et Jérôme Pianezza pour la défense qui ont su donner à ce procès la sérénité dont il avait besoin.

Avec comme résultat l’impossible équilibre qui a été trouvé, une décision qui satisfait tout le monde : 30 ans de réclusion criminelle dont 20 de période de sureté, ce qui signifie que Francis Évrard ressortira au mieux à 81 ans. La défense combattait la peine d’élimination de perpétuité qui était requise, et la victime voulait simplement être sure que plus jamais il ne pourrait nuire. On est loin des surenchères politiques sur cette affaire. Je tenais à rendre modestement hommage aux acteurs de ce procès.

Ce qui ne signifie pas que la Justice doit s’enorgueillir de cette affaire. Du procès oui, de l’affaire, non. Le père de la victime a annoncé son intention d’attaquer l’État en responsabilité et il a mille fois raison. Car ce drame a été rendu possible non par l’incurie de quelques-uns, cette fois, pas de juge d’instruction tête-à-claque pour servir d’exhutoire, mais par le fonctionnement normal de l’institution, normal au sens de : ce dossier a été traité comme tous les autres. 

Vous m’entendez et m’entendrez régulièrement ici pester contre le manque de moyens de la Justice. C’est tellement habituel pour les acteurs de la justice que la réponse consiste le plus souvent à soupirer que décidément, on ne pense qu’à ça et que de toutes façons on en aura jamais assez (donc autant ne pas nous en donner du tout, on fait des économies). 

Alors si vous voulez voir ce que ça donne, ce fonctionnement à l’économie de bouts de chandelles, à l’anémie de personnel et aux réformes bricolées sans recul, installez-vous confortablement.

Au cours des sept années qui ont précédé la libération de Francis Évrard, il a pu avoir trois rendez-vous par an avec un psychiatre. Un tous les quatre mois. Je vous laisse deviner quels résultats on peut espérer avec ce genre de prise en charge, si on peut appeler ça ainsi.

La CIP (Conseillère d’insertion et de Probation) qui suivait son dossier en prison a été incapable de lui trouver un logement pour sa sortie de fin de peine, après 20 années de détention (il a pour le moment passé 37 des 63 ans de sa vie en prison). Quelques structures existent, mais le genre de profil de Francis Évrard est refusé. Donc à sa sortie de prison, il est à la rue avec une liste d’hôtels, le 115 à appeler en cas d’urgence, et 4000 euros de pécule, 20 années d’économies. C’était en juin 2007, 2 mois avant son passage à l’acte. Voilà comment il a été libéré.

À sa libération, Francis Évrard est allé à Caen, puis à Rouen. Son dossier doit le suivre : il est libre de ses mouvements, mais doit les signaler au juge d’application des peines car il fait l’objet d’une “surveillance judiciaire”, création de la loi Clément, dite “Récidive I”, du 12 décembre 2005. Problème : le système informatique ne prévoit pas ce dispositif, le logiciel n’a pas été mis à jour de la loi. Cette loi si indispensable est d’ailleurs tellement appliquée que jamais le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de Rouen n’en avait eu un auparavant. Quant au dossier papier, il n’est jamais parvenu au service pénitentiaire d’insertion et de probation car il a été envoyé au juge d’application des peines. Résultat : le 10 juillet 2007, le SPIP de Rouen reçoit Francis Évrard… en ignorant tout de son dossier et notamment de l’obligation de suivre un traitement anti-hormonal auquel il est censé être astreint. La question de ses obligations ne sera pas abordée lors de cet entretien.

J’ajoute que ce genre de problème, je le constate quotidiennement. Dans mes dossiers devant le Juge d’application des peines, c’est toujours moi qui fournis au juge la copie du jugement de condamnation, et les pièces pénales du dossier qui peuvent éclairer le juge sur la personnalité du condamné et l’aider à prendre sa décision. Comment fait-on pour les condamnés qui, c’est la majorité, n’ont pas d’avocat au stade de l’exécution de la peine ?

Le dossier papier arrivera finalement quelques jours plus tard sur le bureau du juge d’application des peines (JAP), qui ignorait que le SPIP avait déjà convoqué l’intéressé (le JAP siège au palais de justice, car il a souvent d’autres fonctions judiciaires à exercer, le SPIP a ses propres locaux, car il relève de la Pénitentiaire). Mais il arrivera le jour de son départ en vacances. La période des services allégés fera que le collègue JAP de permanence, qui n’avait aucun moyen d’être alerté de ce dossier spécial, n’y touchera pas : il a déjà assez à faire avec les délais à respecter, les audiences à tenir, et les collègues à remplacer pour aller vérifier par curiosité le courrier non signalé de sa collègue. Le juge de l’application des peines ne découvrira ce dossier qu’à son retour de congés, mi-août… au moment où Francis Évrard récidive.

Voilà. Pas de juge fainéant, pas de fonctionnaire inattentif ou démissionnaire : Francis Évrard a été traité comme n’importe quel autre justiciable, et même plutôt mieux : il a été reçu par le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation de Rouen dans des délais très brefs, mais par un service matériellement incapable de faire quoi que ce soit. Et les personnes en charge de ce dossier, qui sont allées témoigner devant la cour d’assises, devront vivre avec la culpabilité d’avoir failli sans avoir pu faire quoi que ce soit.

C’est le fonctionnement ordinaire, quotidien de votre justice. Voilà, concrètement, ce qu’est le manque de moyens. Donc oui, j’encourage le père de la victime dans son action en responsabilité de l’État, que ce dernier paye le prix de ne pas vouloir donner à la justice les moyens qu’elle mérite. Et la prochaine fois que ces mêmes causes produiront les mêmes effets, on vous distraira encore en vous promettant de couper la tête du juge d’instruction ou les c… aux violeurs d’enfants. Ça, ça ne coûte rien : comptez sur le Gouvernement pour être généreux là-dessus.

vendredi 30 octobre 2009

Quelques mots sur l'affaire Chirac

Ainsi, Jacques Chirac est renvoyé en correctionnelle dans l’affaire dite des chargés de mission de la ville de Paris. La machine à com’ s’est mise en route et les « éléments de langage » comme la novlangue appelle les arguments à répéter comme des perroquets dès qu’un micro apparaît commencent à circuler, de manière surprenante des deux côtés de l’échiquier politique.

Alors un peu de décryptage s’impose.

De quoi s’agit-il ?

Les faits remontent à l’époque où Jacques Chirac était maire de Paris. Il est soupçonné d’avoir recruté des “chargés de mission”, trois mots pour ne rien dire, rémunérés par la mairie mais qui en réalité travaillaient à plein temps pour le parti politique que dirigeait Jacques Chirac. C’est pourquoi on parle d‘“emplois fictifs” : ce n’était pas des gens payés à ne rien faire, ils étaient payés par la mairie sans travailler pour elle.

Quelle est la qualification retenue est les peines encourues ?

Abus de confiance (article 314-1 du Code pénal), 3 ans et 375000 euros d’amende, et détournement de biens publics (article 432-15 du Code pénal) : 10 ans de prison et 150000 euros d’amende.

Ça veut dire que Jacques Chirac va être condamné à 15 ans de prison ?

Non. D’abord, rien ne dit qu’il sera condamné : une relaxe est possible, ou un non lieu prononcé par la cour d’appel. Et en cas de culpabilité, d’une part, les peines seront confondues et d’autre part ne pourront dépasser le maximum prévu pour le délit le plus grave. Donc au pire, ce sera les dix ans de prison du détournement, et les 375000 euros d’amende de l’abus de confiance.

Mais s’il est coupable, il va faire de la prison ?

Non, les chances sont nulles. Jacques Chirac est un prévenu comme les autres et sera jugé comme les autres. En supposant qu’il est coupable, le tribunal devra prononcer une peine selon les critères fixés par l’article 132-24 du Code pénal : « La nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l’insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions. » Le tribunal doit de plus motiver spécialement le choix d’une peine de prison ferme : article 132-19 du Code pénal (cette règle ne s’applique pas en cas de récidive, mais ce n’est pas le cas ici).

En supposant Jacques Chirac coupable (ce n’est qu’une hypothèse pour l’intérêt de la discussion, bien sûr), la société n’a plus besoin d’être protégée et le renouvellement des infractions est impossible, M. Chirac n’ayant plus de mandat électif lui permettant de décider de l’engagement de dépenses. La réinsertion du condamné est acquise, car outre sa retraite de l’Inspection du Trésor la Cour des Comptes (et on ne peut reprocher à Jacques Chirac son désintérêt pour les comptes), il a un travail stable au Conseil constitutionnel et préside une fondation portant le nom d’un ancien président de la République. Enfin, son casier judiciaire ne porte mention d’aucune condamnation. Outre une trajectoire professionnelle assez hors du commun et passée, ne serait-ce qu’en partie, au service de la chose publique. 

Au vu de ces éléments, je n’envisage pas un seul moment un tribunal correctionnel prononcer une peine ferme.

Pourquoi la justice a-t-elle été si lente ?

L’argument est souvent entendu, et même à gauche : pourquoi maintenant, et pas, au hasard, au moment de la campagne présidentielle 2002, quand le scandale avait un intérêt politique ? Poursuivre un retraité populaire ne présente plus le même charme pour les ennemis d’hier qui ont trouvé une nouvelle tête de turc hongroise. 

La Justice n’a pas été lente ! L’article 67 de la Constitution, modifiée en cours de route pour assurer une meilleure protection du président de la République, l’empêchait de témoigner, et prohibait toute action, acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Cette protection prend fin un mois après la cessation du mandat présidentiel. Et à peine ce délai écoulé en juillet 2007, Jacques Chirac a été mis en examen. L’instruction est clôturée et l’ordonnance de renvoi rendue à peine deux ans plus tard. C’est un rythme très honorable. Si les politiques souhaitent qu’elle soit plus rapide, je leur suggère de lever les obstacles qu’eux même ont mis, je n’ose leur suggérer de lui donner les moyens de faire son travail.

En attendant, la Justice est une dame patiente. Si on lui dit d’attendre, elle attend. Mais elle n’oublie pas.

Le parquet n’avait-il pas requis un non lieu ?

Oui. Cela montre l’urgence qu’il y a à supprimer le juge d’instruction. Si cette réforme avait été réalisée, le dossier serait déjà au pilon. C’est ce qu’on appelle une justice moderne et entrée dans le 21e siècle. 

Mais du coup, le parquet ne va-t-il pas refuser de soutenir l’accusation à l’audience et requérir la relaxe ?

Ça reste à voir. Dans l’affaire Clearstream, le parquet a montré qu’il savait effectuer des virages au frein à main dans ses opinions : le non lieu requis pour Dominique de Villepin s’est mué en réquisitions aussi sévères que créatives, puisqu’on imputait au prévenu une complicité passive qui a dû plonger bien des étudiants en droit dans des abîmes de perplexité.

Et est-ce que cela a encore un sens de poursuivre un homme âgé aussi longtemps après ?

La question n’est pas juridique mais morale. Je vais donc ici donner mon opinion. Qui est oui, sans hésiter. Le président de la République n’est qu’un citoyen ordinaire à qui est confié par ses concitoyens une charge extraordinaire, à titre temporaire. Une fois cette charge terminée, il redevient un citoyen ordinaire, et la parenthèse qui justifiait une protection extra-ordinaire est refermée. Cette charge comme cette protection sont conçues non pour son intérêt personnel mais pour le bien de la fonction. Il ne doit donc pas pouvoir en profiter pour ne pas avoir à rendre de comptes sur ses éventuelles turpitudes. 

J’ajoute qu’il est sain que l’illusion de l’impunité, qui est extrêmement criminogène, se dissipe aux yeux de quiconque exerce une charge publique. Un peu plus de vertu ne fait jamais de mal en république disait l’oncle Charles-Louis, qui avait oublié d’être sot.

D’autant que le prévenu ne risque pas de connaître la paille humide des cachots que lui promettaient des troubadours dans un excès d’enthousiasme. Au pire risque-t-il une tache sur la statue du commandeur qu’il était en train de sculpter à sa propre gloire. 

Et pour des hommes qui ont embrassé une carrière nécessitant d’être un peu narcissique, c’est peut-être un châtiment bien pire.

Avis de Berryer : Frédéric Taddei

Peuple de Berryer, beautiful people, la Conférence a repris son rythme de croisière et reçoit à nouveau.

Et ce vendredi 6 novembre, à 21h15 en la salle des Criées du Palais, la Conférence recevra ce soir ou jamais Frédéric Taddei, journaliste et animateur, tant il est vrai que ces deux professions sont en train d’opérer leur fusion.

Les sujets qui seront traités sont les suivants : 

1er sujet : Faut-il parier sur la dernière ?

2e sujet : Le journaliste est-il un écrivain raté ?

Le rapport sera rendu par l’excellent troisième secrétaire, Pierre Combles de Nayves.

Les candidats peuvent contacter l’excellente quatrième secrétaire madame Rachel Lindon (rachellindon[chez]hotmail.com).

Rappel des règles : entrée libre, sortie tout autant (ce qui au Palais n’est pas si évident), dans la limite des places disponibles. Il vaut mieux arriver en avance. 

mercredi 28 octobre 2009

Angolagate : une plume et du vitriol

Pascale Robert-Diard publie sur son blog des extraits choisis du jugement rendu hier dans l’Angolagate, procès qu’elle avait abondamment couvert sur son blog (si cette affaire vous intéresse, ses archives sont un trésor).

La plume, très élégante, du président Parlos a été trempée dans le vitriol. Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer deux extraits du jugement, concernant la relaxe de Jacques Attali et Georges Fenech. Souvent une personne bénéficiant d’une relaxe vient parader devant les micros en disant que son innocence a été reconnue et son honneur lavé par la justice. La vérité n’est pas toujours mon alliée, alors de temps en temps, je me dois de lui rendre ce qui lui appartient. Les gras sont ajoutés par moi.

Sur la relaxe de Jacques Attali :

Pris isolément ou considérés ensemble, ni les éléments qui fondent la poursuite, ni ceux qui la combattent n’emportent la conviction, après avoir rappelé que la réprobation que peut susciter un comportement ne saurait être un critère d’appréciation des preuves ou un motif de culpabilité. Dès lors, le tribunal n’a pu se départir d’un doute sur l’existence d’une contrepartie convenue préalablement aux interventions de M. Attali auprès du ministre des affaires étrangères pour le compte de M. Guilloux [l’avocat fiscaliste de MM. Gaydamak et Falcone]”

Sur la relaxe de Georges Fenech :

Après dix-sept ans d’expérience professionnelle, M. Fenech s’est certainement aperçu que la société Brenco France ne disposait pas du volume d’activité ou de la notoriété des bailleurs de fonds comme l’IUMM ou le groupe AXA, qui avaient estimé utile d’apporter leur appui à l’association professionnelle des magistrats [APM].

Ayant eu à connaître d’infractions économiques et financières, la plus simple des arithmétiques lui a sûrement fait remarquer que la somme de 100.000 francs allouée [par M. Falcone] représentait environ la moitié du budget annuel de son association (…) Même dans l’enthousiasme d’une collecte fructueuse, il n’a pu s’abstraire des interrogations de bon sens que pouvait susciter la conversion de cette somme en cinquante abonnements à une revue d’intérêt relatif [Enjeu Justice, la revue éditée par l’APM, dont je confirme l’intérêt relatif], destinés à une société dont il disait presque tout ignorer.

Il n’est toutefois pas possible de déduire (…) que ce qui relève, au moins, d’un manque patent de prudence et de discernement caractérise l’intention constitutive d’un délit de recel.

Faute d’éléments objectifs apportant la preuve de l’intention délictueuse et permettant de forger une conviction qui, pour être intime, ne saurait valablement reposer sur des présomptions, si fortes soient-elles, M. Fenech doit être relaxé”.

Après ça, vous viendrez le parler du corporatisme des magistrats.

L’intégralité des motifs individuels est sur le billet de Pascale Robert-Diard, à qui vous pouvez dire merci de ce travail de retranscription fait dans l’urgence, pour vous informer. Merci, chère Pascale.

mardi 27 octobre 2009

L'hygiène n'a pas de prix (en fait si)

Une fois n’est pas coutume, je vais faire un billet peu juridique. Je souhaite juste relayer une info dont je crains qu’elle passe inaperçue. Je vais encore me faire traiter de gauchiste par mes amis de droite car je vais donner du grain à moudre à ceux qui aiment critiquer l’action du président de la république, mais en l’occurrence, je crois que même une personne favorable au président de la République et approuvant son action sachant garder sa bonne foi ne pourra qu’émettre des réserves.

Je refuse l’ignorance de mes concitoyens ; informés, qu’ils décident ce qu’ils doivent penser.

Si on devait résumer l’actualité de cette année 2009 à deux thèmes, ce serait la crise, et la grippe A. La première impose des économies drastiques, un endettement important et un effort fiscal, la seconde, une hygiène rigoureuse.

Et ce dont je vais vous parler réunit fort bien ces deux thèmes.

La Cour des comptes, saisie par la commission des finances du Sénat, a rendu un rapport sur la présidence française de l’UE au second semestre 2008, la dernière de l’histoire puisque le traité de Lisbonne va entrer en vigueur dans les prochains mois et mettre fin à ce système de présidence tournante.

Passons sur le fait que le logo de la présidence a été payé 57.000 euros à Philippe Starck pour représenter… un drapeau français à côté d’un drapeau européen (quel génie !). Quand on voit qu’aujourd’hui, pour 41.000 euros, on n’a même pas un site internet potable. Tout au plus regrettera-t-on que le logo a été sous-traité ce qui le contrat ne permettait pas, et que le cahier des charges excluait que le logo représentât… le drapeau français et le drapeau de l’UE. Quand on est un génie, on ne lit pas le cahier des charges.

[presidence-francaise-logo.jpeg]

Je voulais juste attirer votre attention sur un événement passé inaperçu vu son résultat et sa date : le 13 juillet 2008, la France a invité 43 chefs d’État dans un sommet visant à faire la promotion de la lubie présidentielle (à présent en état de mort clinique), l’Union pour la Méditerrannée (UPM, attention à l’ordre des lettres). La réunion a eu lieu au Grand Palais à Paris. Pour mes excellents quoique provinciaux lecteurs, le Grand Palais se trouve sur les Champs Élysées, de l’autre côté du palais de l’Élysée. Il n’y a que la célèbre avenue à traverser. Tenez : le point bleu, c’est le Grand Palais, le rouge, l’Élysée.


Afficher Grand Palais-Élysée sur une carte plus grande

Là encore, je passerai sur le dîner à un million d’euros pour 43 couverts. Le président aime inviter ses amis à dîner sur les Champs-Élysées, on le sait depuis le début. Et en France, on sait recevoir : 400 464 euros de mobilier, écrans plats inclus, 194 977 euros pour des jardinières et 91 456 euros de moquette. L’installation, le nettoyage et le démontage auront, eux, coûté 4 383 614 euros.

Le sommet incluait une salle d’entretiens bilatéraux, comme on dit en diplomatie, où les chefs d’États pouvaient discuter en tête à tête (si on appelle tête à tête deux délégations entières plus les interprètes). C’est normal. Non loin, le président s’était fait aménager un bureau. Normal aussi. Mais en France, on aime être propre et sentir bon.

La cour nous apprend donc qu’une douche a été installée dans ce bureau. Enfin, une douche… la Rolls des douches. Jets multi-directionnels, radio étanche incorporée. Le Grand Palais n’étant pas aménagé pour ça (c’est une énorme et superbe coquille vide), il a fallu installer un ballon d’eau chaude et un réceptacle à eaux usagées. 245 572 euros le bureau équipé. Allez, comme cette douche, c’est un peu la vôtre puisque vous l’avez payée, voici des photos souvenirs, prises par des ouvriers et publiées par Médiapart.

La douche en question, située à 400m à vol d’oiseau des appartements présidentiels à l’Élysées (refaits à neuf cet été d’ailleurs, vivement le rapport 2010 de la Cour des Comptes), n’a finalement jamais servi, la réunion ayant duré à peine quatre heures. Le lendemain, tout était démonté. 245.572 euros. Soit en gros la moitié de ce que gagnera un smicard dans toute sa vie. Je crois que même quand on est de droite, il y a de quoi s’indigner, la droite que je sache exécrant les gaspillages autant que la gauche.

Voilà, je dédie ce billet à Zythom, dont les expertises ne sont plus payées depuis un an et demi, son tribunal n’ayant plus les moyens, mais qui continue à les faire. Je dédie ce billet à Dadouche, privée de greffière depuis des mois, faute de poste budgétaire suffisant, et qui fait tourner quand même son cabinet, nous privant du coup de ses billets (oui, c’est un message), et à tous ses collègues magistrats dont seule l’abnégation fait que la machine judiciaire ne s’écroule pas du fait des moyens insuffisants. Je dédie ce billet à toi, mon client à Fleury, qui va prendre sa douche une fois par semaine sous un filet d’eau au milieu des cafards, sans ôter tes sandales pour ne pas attraper des champignons. Pour vous, l’État est fauché, les caisses sont vides.

L’État a le sens des priorités. Pas de bol.

lundi 26 octobre 2009

Explication de peine

Ce vendredi 23 octobre, le tribunal correctionnel a rendu son jugement dans une affaire dont j’avais déjà parlé au moment où les faits étaient survenus.

Rappelons-les brièvement : le 23 juin 2007, un gardien de la paix stagiaire, c’est à dire sorti il y a peu de l’école de police et dans la période probatoire qui suit, période à l’issue de laquelle il est titularisé ou déclaré inapte, se rendait à l’hôpital Nord de Marseille où il allait, avec son équipe, relever des collègues. Il n’y avait aucune urgence, mais il circulait néanmoins à vive allure en agglomération — je crois que l’instruction a retenu une vitesse de 74 km/h au lieu de 50. En chemin, il a fauché un jeune garçon de 14 ans, Nelson, qui traversait la rue à vélo sur un passage piéton. Le jeune garçon succombera le lendemain. Hasard du calendrier, Nelson aurait eu 17 ans aujourd’hui.

Déjà, une certaine émotion avait eu lieu à l’époque quand le juge des libertés et de la détention de Marseille avait décidé de laisser en liberté le policier stagiaire, âgé de 24 ans. J’avais à l’époque manifesté mon approbation de cette décision, et deux ans plus tard, je n’ai pas changé d’avis.

Ce vendredi, le policier, depuis titularisé, a été condamné pour homicide involontaire à un an de prison avec sursis, son permis de conduire est annulé avec un délai d’un an avant de pouvoir le repasser. peine conforme aux réquisitions du parquet. Le chef d’équipe, qui se trouvait à l’arrière du véhicule, et qui avait été renvoyé lui aussi pour homicide involontaire, a été relaxé.

Plusieurs personnes m’ont écrit pour me demander ce que je pensais de ce jugement, soupçonnant que la Justice ait eu pour les policiers les yeux de Chimène, eu égard à la légèreté de la peine prononcée.

Il n’en est rien. 

Ce niveau de condamnation correspond à la fourchette ordinaire pour ce type de délit et un tel profil de prévenu : pas de casier, intégré, un travail stable (il a été titularisé entre l’accident et le jugement). Cela peut susciter une certaine incompréhension, ce qui rend d’autant plus nécessaire une explication.

Nous mettons ici le doigt sur l’aspect le plus délicat et le plus difficile à comprendre pour le grand public des infractions involontaires, dont je vous avais déjà parlé ici : la faute est légère et le résultat terriblement grave. Or la peine vient sanctionner la faute, tandis que les dommages-intérêts viennent réparer les conséquences.

C’est cette terrible injustice qui se retrouve dans chaque accident de la circulation. Certes, celui qui roule trop vite, qui prend le volant en ayant bu un verre — ou une bouteille— de trop, qui grille un feu, prend en connaissance de cause un risque, ce qui justifie sa condamnation, mais il espère et même est convaincu que ce risque ne se réalisera pas tant il est peu probable, ce qui justifie que sa place ne soit pas en prison. De fait, vous l’aurez noté, la faute est rigoureusement la même qu’il y ait un accident ou non.

Un autre aspect de la situation peut être difficile à comprendre. Malgré cette faute commise pendant son service et ayant entraîné la mort d’un enfant, il a été titularisé dans son poste, et n’a semble-t-il pas fait l’objet de poursuites disciplinaires. Son chef d’équipe, seul policier titulaire à bord, a quant à lui été relaxé, mais a fait l’objet de poursuites disciplinaires et a écopé d’un blâme.

Là encore, il faut examiner la situation froidement. Le policier au volant a certes commis une faute. Mais il était sous la responsabilité de son chef d’équipe, et il n’a jamais été prétendu que c’était lui qui de son propre chef avait mis le deux-tons et foncé à travers les rues. Son chef d’équipe, interrogé lors du procès, a reconnu que c’était une habitude à Marseille (et pas qu’à Marseille…). 

Le problème est que le droit pénal, pour déclarer coupable, exige un lien de causalité directe entre la faute et le dommage. Le fait de conduire à 73km/h en ville, sans qu’une urgence ne le justifie, est une faute, et si elle n’avait pas été commise, Nelson soufflerait 17 bougies aujourd’hui et je me demanderais bien quel billet écrire. Cela constitue le lien de causalité.

Quant au chef d’équipe, il était derrière et n’a pas dit à son collègue de lever le pied. Le tribunal a estimé que cette faute n’avait pas directement causé le dommage, probablement faute pour le chef d’équipe d’avoir le moindre contrôle sur le véhicule. Il est fautif (ce qui justifie son blâme, qui n’est pas une sanction légère, toute sa carrière s’en ressentira), mais pas au point d’être pénalement responsable. Je ne connais pas assez le dossier pour contredire le tribunal ou l’approuver, mais le raisonnement ne paraît pas en lui-même vicié.

Enfin, sur la peine elle même. Une peine ne doit pas insulter l’avenir. Les malheurs s’additionnent toujours, ils ne se soustraient point. Certaines victimes, de peur de succomber au désespoir, se réfugient dans la colère ; comment les en blâmer ?

Mais fallait-il envoyer en prison et refuser la titularisation de ce fonctionnaire de police, dont le parcours a été en dehors de cet accident dramatique sans accroc pendant 21 ans ? Briser sa carrière avant qu’elle ne commence, faire en sorte qu’un drame qui s’est joué en quelques secondes anéantisse ce qu’il a mis des années à préparer, le condamner à vivre avec le poids d’avoir tué un enfant, et lui ajouter la sensation d’avoir gâché sa vie à 21 ans, est-ce là justice ? Croyez-vous que les victimes verront leur chagrin allégé en quoi que ce soit à la pensée que le responsable de leur malheur souffre presque autant qu’eux ? Les malheurs s’additionnent, ils ne se soustraient point.

Souvent, la colère des victimes à l’annonce d’un jugement est due à ce que j’appelle la grande chimère : l’espoir irrationnel que l’audience a une vertu thaumaturgique qui, par la magie d’une peine, va faire disparaître d’un coup leur insupportable souffrance. Même quand c’est la peine maximum qui est prononcée, ça n’arrive pas. La douleur est toujours là, car rien ne peut combler le vide laissé par la mort d’un enfant. La justice est ici impuissante, et on ne le lui pardonne pas. 

On ne peut revenir sur le malheur une fois qu’il est survenu. Il faut rétablir le lien social un temps abimé par l’infraction. Ici, il faut compatir avec la peine et la souffrance des parents de Nelson, mais il n’y a rien d’obscène non plus à offrir son soutien moral à ce jeune policier qui toute sa vie sera suivi par l’Ombre de Nelson, ou à son chef d’équipe qui sait la part de responsabilité qu’il porte dans la mort de cet enfant et qui n’oubliera jamais le bruit du corps sur le capot de la voiture qu’il commandait.

Moi-même, bien que je n’y ai été pour rien, et malgré les années qui ont passé, je n’ai toujours pas oublié la petite A

dimanche 25 octobre 2009

Shimewaza

Par Gascogne


L’on sait tout le mal que les mass média, comme on disait autrefois, peuvent bien vouloir au pouvoir en place. Les affaires récentes l’ont a elles seules démontré.

Mais les média sont me semble-t-il restés fort silencieux sur un document pourtant officiel qui a été diffusé dans une administration auprès de certains fonctionnaires, si ce n’est l’intervention d’Edwy Plenel dans médiapart.

Ce document n’a pas eu la publicité qu’il mérite, et vous comprendrez pourquoi je souhaite revenir dessus.

La première de ces raisons est que les techniques, dites de “régulation phonique” (un simple bouchon auditif ne semble pas suffisant), sont purement et simplement des cours de ju-jitsu. Je pratique les arts martiaux depuis un certain nombre d’années maintenant, et j’ai beaucoup appris grâce à ce manuel. Quelques techniques d’étranglement sur un tatami vous montreront mieux que n’importe quel discours que les policiers de la police de l’air et des frontières ont tout a gagner à passer les portes d’un dojo, ne serait-ce qu’en terme de formation continue. Ils y retrouveront les facilités pratiques du port du keikogi (improprement appelé “Kimono”), notamment lorsqu’il s’agit pour étrangler d’utiliser tout à la fois le vêtement du partenaire et ses propres bras, comme indiqué sur le schéma de la page 36 (le vieux t-shirt mité du reconduit ne permettant pas une excellente saisie).

Pour les éléments spirituels des pratiques martiales, cela demanderait cependant un peu trop de temps.

Alors, certes, ces techniques sont extrêmement dangereuses. Elles peuvent soit couper la circulation sanguine via les carotides, ce qui est peu douloureux, mais entraîne très rapidement perte de conscience et coma, puis bien sûr décès passé un certain nombre de minutes, soit les techniques constituent des étranglements respiratoires, beaucoup plus douloureux (on appuie notamment sur la trachée), mais plus rapidement efficaces lorsqu’un “reconduit” serait un peu trop récalcitrant. Fort heureusement, le schéma de la fin du document démontre les risques que ces pratiques font encourir aux étrangers.

Ceci étant dit, que les policiers de la PAF permettent à un magistrat pratiquant d’arts martiaux de leur donner quelques conseils techniques (en droit, plus qu’en pratique martiale). Le fait d’avoir recours à ces techniques de “régulation phonique” pourrait pour un esprit pénaliste quelque peu pervers (et je ne doute pas que chez les avocats, il y ait quelques pervers qui se perdent à s’inscrire au barreau) , se traduire par le bien vilain terme de droit pénal spécial suivant : violences volontaires commises par une personne dépositaire de l’autorité publique (art. 222-13 7° du code pénal). Trois ans d’emprisonnement sont encourus, en l’absence d’incapacité de travail. Le séjour irrégulier n’est lui puni que de un an d’emprisonnement (art. L 621-1 du CESEDA). Mais rassurez vous, ne pas appliquer ces techniques pourrait vous rendre coupable d’aide au séjour irrégulier, infraction punie quant à elle de cinq années d’emprisonnement (art. L 622-1 du CESEDA). L’échelle des valeurs est donc respectée, non ?

Cependant un professionnel du droit, fut-il parquetier, pourrait vous dire également que ces violences qui vous sont prescrites par votre administration n’ont rien de légitime. Tout être humain est en droit de protester contre son sort, tant qu’aucun outrage n’en ressort. Il semblerait même que cette convention internationale qui s’appelle Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales appelle cela “liberté d’expression”. Et si cette même convention, dans son article 10, parle de “formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi”, concernant d’éventuelles limitations à la liberté d’expression, les techniques d’étranglement pour éviter qu’une personne ne se plaigne ne semblent pas entrer dans le cadre des limitations tolérées par la jurisprudence européenne. Ou alors, que l’on me donne les références d’un arrêt, et je m’en servirai avec grand plaisir à ma prochaine audience, certains contradicteurs de la défense me donnant parfois envie de les inviter sur un tatami.

Je passe sur l’ensemble de recommandations très détaillées du fascicule, qui vont jusqu’aux délais à respecter pour conduire l’étranger aux toilettes.

Je ne peux par contre pas passer sur les dernières photographies du manuel, yeux bandés et bouteille d’eau à la main, qui m’ont fait penser, pour une raison que j’ignore, aux techniques dites de la baignoire ayant cours à Guantanamo. Quelqu’un pourra-t-il m’expliquer la nécessité de pratiquer en plus de la régulation phonique une régulation visuelle qui n’apporte rien, à mon sens, en terme de sécurité ?

Vian, Sagan, et d’autres ont pu dire que l’humour et l’ironie étaient la politesse du désespoir. Je ne prétends bien sûr pas manier avec brio l’ironie dans ce billet. J’espère cependant que vous comprendrez mon désespoir, lorsque j’ai eu connaissance de ces recommandations officielles.

Mesdames et messieurs de la PAF, je travaille suffisamment avec vous pour savoir que si vous faites globalement bien votre métier, vous n’êtes pas toujours fiers d’appliquer les directives de votre ministère. Mais à partir du moment où l’on frise l’illégalité (vous comprendrez la litote, devoir de réserve oblige), rangez ce fascicule au seul endroit qu’il mérite : la poubelle.


Addendum, par Eolas

Ce document, que je découvre avec vous (Merci Gascogne), me laisse pantois. Ainsi que, je l’avoue, les commentaires de ceux qui veulent à tout crin y voir de l’humain là où il n’y a que la machine administrative en action.

Deux liens vers des anciens billets de votre serviteur pour alimenter votre réflexion : un exemple de geste technique professionnel d’intervention (GTPI, c’est le vrai jargon) non réglementaire, Air Chiotte (mon client, deux ans plus tard, et toujours en France, sans me vanter, m’a confirmé ce récit, et je n’ai aucune raison de douter de sa sincérité vu le bonhomme et vu sa situation actuelle).

Rappelons que ces gestes techniques non réglementaires ont déjà fait deux morts en 2003 : Air Chiotte est-il possible ?

samedi 24 octobre 2009

Justice à Vegas (5) :

Comme d’habitude, j’ouvre un fil de commentaire pour que nous puissions discuter du 5e épisode et dernier épisode de Justice à Vegas (ici en VOST), avec l’affaire Zeus Vega et Brian Baker. N’oubliez pas les scènes coupées.

Là encore, je n’ai pas pu voir l’épisode et prendrai le fil de discussion en route.

Enfin un épisode qui justifie les travelings sur les casinos, les boites de strip-tease et le décorum de Las Vegas. Dans les précédentes affaires, le monde des casinos n’était pas ou très indirectement concerné, les faits auraient pu se dérouler dans n’importe quel ville du sud des États-Unis. Cette affaire a plus une saveur de Vegas,

Première observation tout de même : il s’agit d’un meurtre et d’une tentative de meurtre au premier degré (avec préméditation et usage d’une arme mortelle), on est au sommet de l’échelle des peines encourues.

Et pourtant, tous deux ont été laissés en liberté sous caution (bail).

C’est ce genre de détails qui fait que je ne peux m’empêcher d’admirer certains aspects de la procédure pénale américaine (même si je suis loin d’être béat et que je ne souhaite pas sa transposition en droit français, juste qu’on se mette à niveau côté respect des droits de la défense : droit à la présence de l’avocat tout au long de la procédure dès l’arrestation, droit de se taire sans que ce silence ne soit retenu contre l’accusé, détention provisoire exceptionnelle.

Les peines sont très sévères, et souvent automatiques, dans ce système. Pourtant, Zeux et Brian ne se sont pas enfuis et se présentent 17 mois plus tard. Il y a matière à réflexion, tout de même.

Bon visionnage et merci à Arte d’avoir diffusé cette série de documentaires.

jeudi 22 octobre 2009

La rigueur d'un serment

Règlement Intérieur National de la Profession d’avocat, article 1.3 (je graisse).

1.3 Les principes essentiels de la profession guident le comportement de l’avocat en toutes circonstances.

L’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.

Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d’honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.

Il fait preuve, à l’égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence.

J’en connais un qui va avoir du mal au début.

Félicitations, cher confrère.

La décision HADOPI 2 expliquée à mon stagiaire

« Eh bien mon Jeannot, tu en fais une tête ? Tu t’es encore fait voler ton scooter ?

— Non maître, je viens de renoncer à l’iPod que mon papa voulait m’offrir. C’était le dernier modèle, à 1 Gigaeuros de budget.

— Je comprends ta frustration. Comment puis-je te consoler ?

— En m’expliquant la décision du Conseil constitutionnel de ce jour sur la loi HADOPI 2.

— Fayot. Mais tu fais ça très bien, alors soit. Commençons par un rappel des épisodes précédents.

— D’accord. Au commencement était la loi n°2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet. Elle crée une autorité administrative indépendante nommée la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HAdœpi, usuellement désignée la HADOPI). Cette Haute Autorité a un bras armé, la Commission de Protection des Droits (CPD). Le schéma devait être le suivant. Cette commission était saisie par des procès-verbaux dressé par des agents assermentés salariés des diverses société de perception de droit (SACEM, SACD, etc), des organismes de défense professionnelle et du Centre national de la cinématographie constatant des téléchargements d’œuvres protégées par telles adresses IP. La CPD se faisait alors communiquer par les fournisseurs d’accès internet (Orange, Free, Neuf…) le nom du titulaire de l’abonnement correspondant à cette adresse IP. La CPD lui envoyait alors, errarre humanum est, un premier avertissement par mail, puis, perseverare diabolicum, en cas de nouveau constat une lettre recommandée, et enfin, obstinare desconectum, pouvait prononcer une suspension d’un an de l’accès internet du titulaire de l’abonnement fautif.

— Fort bien résumé, et simplifié. Mais hélas…

Fatalitas…

— Le bel édifice chancela.

— Il s’effondra sous les coups de boutoir du Conseil constitutionnel, qui censura toute la partie obstinare desconectum, rappelant que l’internet étant fils légitime de la liberté d’expression et de communication, il fallait que toute atteinte à ces principes passât par le juge. Dès lors, il ne restait que l’e-mail et la lettre recommandée, et puis… plus rien.

— Fort bien, tu as bien lu mes premiers billets sur la question.

— Certes. Mais que se passa-t-il ensuite ?

— Le président actuel est d’un naturel obstiné. Il préféra changer de ministre et de loi plutôt que d’idée. Puisque le Conseil voulait un juge, il allait en avoir un, mais dans la version service minimum : le juge qui tient le stylo. L’idée était de remplacer la machine administrative à suspendre les accès internet par une machine judiciaire à suspendre les accès internet. 

— En transférant bien sûr les moyens budgétaires prévus pour la CPD à la justice afin qu’elle fasse face à ce surcroît de travail ?

— Ah ! Ah ! Ah ! Sacré Jeannot ! Mais restons sérieux, veux-tu ?

— Désolé, je ne recommencerai plus.

— L’idée du législateur fut donc d’utiliser une procédure jusque là cantonnée essentiellement aux délits et contravention routiers. Après tout, ne parle-t-on pas d’autoroutes de l’information ? Il s’agit de l’ordonnance pénale. On présente au juge le dossier avec toutes les preuves réunies. Si le président estime que la culpabilité est ainsi démontrée, il rend une ordonnance déclarant le prévenu qui en l’espèce ne l’est pas, prévenu, coupable et prononce une peine. Le condamné se voit notifier la décision et a 45 jours pour faire opposition, ce qui anéantit l’ordonnance et entraîne la citation de l’opposant devant le tribunal correctionnel où il peut, enfin, présenter sa défense. Au passage, la loi HADOPI 2 étend cette procédure à la contrefaçon, et prévoit en outre que ce délit relève désormais du juge unique pour que les oppositions, qui promettent d’être systématiques, n’engorgent pas trop les tribunaux, et crée une peine complémentaire de suspension de l’accès internet d’une durée d’un an. 

— En somme, un patch

— Exactement. La loi prévoit enfin que cette peine complémentaire peut être prononcée en cas de contravention prévoyant cette peine, si une négligence caractérisée peut être retenue contre le condamné.

— Mais de quelle contravention s’agit-il ?

— Pour le moment, aucune. Les décrets d’application créeront cette contravention.

— Je n’en vois pas l’utilité.

— Elle est pourtant évidente. Imagine que ton petit frère Loulou télécharge l’intégrale de Pocoyo® avec l’abonnement de ton papa. La CPD lui écrit un courriel d’avertissement.

— Papa ne sait pas ce qu’est qu’un e-mail.

— Peu importe. La loi ne lui demande pas de le lire, elle demande à la CPD de l’envoyer. Puis, la saison 2 y passant, c’est la lettre recommandée. Enfin, les agents assermentés constatent que c’est désormais l’intégrale de Caillou® qui est téléchargée : c’est la transmission au parquet. Il reçoit l’ordonnance, transmet à son redoutable avocat le dossier, qui accroche l’ordonnance à un croc de boucher en faisant opposition. À l’audience, il démontre que le jour des téléchargements, il était à une réunion de copropriété dans le Var, et que c’est son fils mineur qui est à l’origine de ces téléchargements.

— C’est la relaxe assurée.

— Et l’ordonnance pénale devient impossible pour punir le vrai coupable, puisque cette procédure est inapplicable aux mineurs : art. 495 du CPP.

— Par Portalis ! Mais la plupart des téléchargeurs sont des mineurs !

— Une grande partie, c’est sûr. Mais s’agissant d’une activité clandestine par nature, il n’existe pas de statistique fiable. D’où les pincettes géantes qu’il faut prendre avec les chiffres brandis par les premiers intéressés à l’affaire de 500.000 œuvres téléchargées par jour, qui tient plus de l’haruspice que du mathématicien, soit dit en passant. Une parade facile était de blâmer ses enfants mineurs et tout tombait à l’eau. 

— Ne pouvait-on saisir les juges des enfants ?

— Tu es vraiment désopilant, Jeannot. Les juges des enfants traitent des dossiers d’enfants battus, violés, martyrisés, ou sombrant dans la drogue, le vol, le recel, la violence, ou le trafic de stupéfiants, aucune de ces hypothèses n’excluant les autres. Ils sont déjà surchargés de travail et privés de greffier par dessus le marché. Déposer sur leur bureau des dossiers pénaux parce que Kévin a téléchargé le dernier Black Eyed Peas les fera éclater d’un rire nerveux, pour les plus polis. 

— Oui, dadouche serait plus grossière.

— Et qui l’en blâmerait ? D’où la solution de La Fontaine revisité : “si c’est toi, c’est donc ton père”. Le Gouvernement va créer une contravention de défaut de surveillance de l’accès internet qui permettra de condamner à une amende le titulaire de l’abonnement utilisé par un tiers (mineur vivant sous le toit ou même un tiers non identifié), cette contravention…

—…faisant encourir la peine complémentaire de suspension de l’accès internet ! C’est… comment dire ?

— Kafkaïen. Coûteux, mais kafkaïen.

— Venons-en alors à cette décision du Conseil.

— Tu as raison, le décor est planté, place à la tragédie. Elle se joue en un (second) acte et 5 scènes.

— Je bois vos paroles.

— Scène 1 : l’article 1er de la loi. Cet article pose la nouvelle procédure devant la CPD. Désormais, les agents de la CPD peuvent constater les infractions faisant encourir la peine complémentaire de suspension de l’abonnement. Étrange définition de la compétence relevant de la seule peine complémentaire.

— Quels sont les griefs soulevés ?

— J’ai presque honte de le dire. La loi ne serait pas intelligible, argument bateau qui ne tient pas ici, l’article étant parfaitement clair, et les parlementaires demandent au Conseil d’interpréter les termes “les faits susceptibles de constituer une infraction” comme impliquant nécessairement un complément d’enquête.

Interpréter ? Mais le Conseil n’interprète pas la loi, il en vérifie la conformité à la Constitution !

— Article 61 de la Constitution. Le Conseil renvoie donc les parlementaires à leurs chères études sans examiner plsu avant le contenu de l’article 1er. Ah, quousque tandem abutere, Legislator, patientia nostra ? Quand l’opposition chargera-t-elle un cabinet d’avocats constitutionnalistes de lui préparer ses recours plutôt que se ridiculiser en bricolant ce genre d’argumentation ? 

— Et la scène 2 ?

— C’est l’article 6, qui confie au juge unique le jugement des infractions entraînant la suspension de l’accès internet.

— Qu’est-ce qui chiffonne nos 60 députés au moins ?

— Ils invoquent une atteinte à l’égalité devant la justice, puisque certains auteurs seront poursuivis par ordonnance pénale et les autres devant le juge unique.

— Et que dit le Conseil ?

— Qu’eu égard à l’ampleur du phénomène, des mesures dérogatoires étaient justifiées, et que les règles ainsi instituées ne crée pas de différence de traitement entre les personnes se livrant à ces activités illicites.

— Est-ce tout ?

— Non. L’ordonnance pénale constituerait “une régression des garanties procédurales”, argument non juridique mais politique, et serait incompatible avec la complexité du délit de contrefaçon.

— Tiens ? Il me semble avoir déjà lu ça quelque part…

Je l’avais en effet soulevé dès que l’idée de l’ordonnance pénale a été invoquée. J’en concluais, et je maintiens, que la plupart des demandes d’ordonnances pénales seront rejetées. Mais l’inefficacité du procédé ne signe pas son inconstitutionnalité. Le Conseil rejette donc à raison.

— N’y a-t-il donc aucun argument qui trouve grâce aux yeux du Conseil ?

— Si, mais presque par accident. Les députés soulevaient le fait que la loi permette à la victime de présenter une demande de dommages-intérêts dans le cadre de cette procédure méconnaitrait le droit à un procès équitable.

— La Convention européenne des droits de l’homme, invoquée à l’appui d’une violation de la Constitution ?

— Original, n’est-ce pas ? L’argument est balayé par le Conseil : rien n’interdit au législateur de permettre à la victime d’intervenir dans la procédure d’ordonnance pénale, qui du coup prend un tour franchement cocasse puisque c’est une condamnation qui est prononcée après que le parquet ait soutenu l’accusation, la victime demandé réparation… mais sans que le prévenu ne soit seulement informé de ce qu’on allait le juger (je ne parle même pas de présenter sa défense). Mais le Conseil a déjà validé tout ça en août 2002…

— Alors, où le bât blesse-t-il ?

— Le législateur peut permettre à la victime de présenter sa demande, à condition de fixer tout le régime procédural de cette demande. Il s’agit de procédure pénale, domaine exclusif de la loi. Le législateur ne pouvait renvoyer au décret comme il l’a fait. Le Conseil censure cette partie du texte car elle est inapplicable faute de précision. le Conseil donne même le mode d’emploi : il faut prévoir les formes selon lesquelles cette demande peut être présentée, les effets de l’éventuelle opposition de la victime, et le droit du prévenu de limiter son opposition aux seules dispositions civiles de l’ordonnance pénale ou à ses seules dispositions pénales. Ce sera pour HADOPI 3 ?

— En attendant ? 

— Pour me citer moi même : les ayant droits ne pourront pas demander réparation de leur préjudice. Ils doivent sacrifier leur rémunération à leur soif de répression. Quand on sait que leur motivation dans ce combat est de lutter contre un manque à gagner, on constate qu’il y a pire ennemi des artistes que les pirates : c’est l’État qui veut les protéger.

— Que dit d’autre cette décision ?

— Brisons le suspens : le Conseil ne censurera rien d’autre. Sur l’article 7, qui prévoit la peine complémentaire de suspension de l’accès, le Conseil valide l’obligation de payer le prix de l’abonnement (qui résulte d’un contrat dont la suspension est due au fait du débiteur, ce qui est cohérent et logique), et écarte la rupture d’égalité due au fait que pour les zones où il est impossible de suspendre l’accès internet sans couper le téléphone et la télévision, cette peine complémentaire ne peut être prononcée, car il s’agit d’un obstacle technique et provisoire.

— En effet. Et pour l’article 8 qui prévoit la peine complémentaire en matière contraventionnelle ?

— Les auteurs de la saisine critiquaient son imprécision, notamment la référence à une “négligence caractérisée”. 

— Mais il s’agit de la définition d’une peine complémentaire, l’infraction principale restant à définir ?

— C’est exactement ce que répond le Conseil. Il appartiendra à qui le voudra d’attaquer le décret définissant cette contravention devant le Conseil d’État et au juge de rechercher une négligence caractérisée.  À mon sens, avoir un wi fi non sécurisé est une telle négligence, mais le fait d’avoir mis une clé, WEP ou WPA, suffira à écarter une négligence caractérisée

— Que reste-t-il ?

— Rien ou presque : l’article 11 institue un délit consistant à souscrire un nouvel accès internet malgré une peine de suspension judiciaire. Il est puni de deux ans de prison et de 30.000 euros d’amende.

— Et que trouvaient à y redire les parlementaires ?

— Que cette peine était manifestement disproportionnée.

— Disproportionnée ? Deux ans encourus pour violer intentionnellement une peine prononcée par un juge ?

— Vi.

— Et que répond le Conseil ?

— Que la peine n’est pas disproportionnée. Et rideau, c’est la fin de la décision.

— C’est donc une victoire pour le Gouvernement ?

— Politique, sans nul doute. L’affront du mois de juin est lavé, et le Gouvernement peut feindre de déposer aux pieds des artistes la dépouille de leur Némesis. 

— Et vous maintenez votre pessimisme sur l’efficacité de cette loi ?

— Absolument. C’est une journée des dupes. J’en veux pour preuve que la loi se fait seppuku à l’article 9, non soumis au Conseil, et pour cause !

— Que dit-il, cet article ?

— “Pour prononcer la peine de suspension prévue aux articles L. 335-7 et L. 335-7-1 et en déterminer la durée, la juridiction prend en compte les circonstances et la gravité de l’infraction ainsi que la personnalité de son auteur, et notamment l’activité professionnelle ou sociale de celui-ci, ainsi que sa situation socio-économique. La durée de la peine prononcée doit concilier la protection des droits de la propriété intellectuelle et le respect du droit de s’exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile”. Autant dire que face à autant d’obstacles à franchir pour prononcer une simple peine complémentaire que rien ne l’oblige à prononcer, la hargne répressive du juge sera mise à rude épreuve. Ajoutons à cela que les pirates auront désormais un sentiment d’impunité puisque tant qu’ils n’auront pas reçu le recommandé du deuxième avertissement, ils se sentiront à l’abri du risque de condamnation pénale (et de fait, ils n’auront pas complètement tort), et vous comprendrez que les torrents vont continuer à s’écouler et les mules à être chargées. Les artistes auraient bien tort de célébrer cette apparente victoire. Elle a été remportée à leurs frais.

dimanche 18 octobre 2009

Justice à Vegas (4) : Misérable solitude

Encore un billet pour ouvrir un espace de discussion sur le 4e épisode de la série Justice à Vegas (ici en VOST, disponible jusqu’à vendredi prochain). je n’ai pas encore eu le temps de le voir, mais je rattraperai la conversation en route.

Je propose de fixer la règle que les commentaires sont faits pour ceux qui ont vu l’épisode : ils sont donc tous susceptibles de révéler des éléments de l’histoire sans qu’il soit besoin de mentionner “Spoiler alert”.

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