Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 16 janvier 2007

Petit vademecum à l'usage des jurés d'assises (2)

Nous voici donc le jour de la convocation.

Particularité de la cour d'assises, qui vous aidera à comprendre son fonctionnement, il s'agit d'une juridiction temporaire. Elle siège par sessions, en principe quinze jours par trimestre. En cas de charge de travail, des sessions extraordinaires peuvent être convoquées, mais toutes font quinze jours, sauf si une affaire exceptionnelle nécessite plus de temps (le procès Papon a ainsi duré six mois, d'octobre 1997 à avril 1998, le procès d'Angers, quatre mois, de mars à juin 2005. A Paris, trois cours siègent toute l'année dans trois salles différentes. En dehors de ces sessions, la cour n'existe pas, et c'est la chambre de l'instruction qui est compétente pour statuer sur les mesures provisoires comme une demande de mise en liberté de l'accusé.

Le président de la cour a également un rôle hors session, qui est de la préparer, tout simplement, mais c'est un travail d'Hercule. On parle de "mise en état", expression employée pour désigner la phase préalable à l'audience où l'affaire est mise en état d'être jugée.

Sachez en tout cas qu'il aura reçu l'accusé quelques semaines avant l'audience (en tout cas pas moins de 5 jours). Le fond de l'affaire n'est pas abordé lors de cet interrogatoire. Le président aura vérifié son identité complète, s'assurera que l'accusé à bien connaissance de l'ordonnance de mise en accusation qui va en faire la vedette du procès à venir, l'invitera à choisir un avocat s'il n'en a pas, ou en désignera un d'office le cas échéant. A titre exceptionnel, le président peut autoriser l'accusé à prendre pour conseil un parent ou ami : c'est l'article 275 du Code de procédure pénale. C'est rarissime, et si ledit conseil n'est pas familier avec la procédure d'assises, c'est une folie.

Mais revenons au jour d'ouverture de la session. Les 52 jurés (40 titulaires + 12 suppléants) sont tous convoqués pour la première séance de la session : elle est consacrée à la révision de la liste des jurés. Dans la salle d'audience, les jurés sont invités à se présenter à l'huissier d'audience, qui vérifie leur identité et note leur présence sur une liste, puis attendent dans la salle.

La cour, au sens strict, c'est à dire le président (toujours en robe rouge) et ses deux assesseurs (en robe noire), entre. Le public se lève, le service d'ordre salue.

Selon le grade du magistrat président la cour, il portera soit la simple robe rouge s'il est conseiller à la cour d'appel :

soit s'il a le titre de président de chambre, la robe à revers bordés d’hermine, qui est la réunion en un seul costume de la robe de clerc (que nous portons nous aussi) avec le manteau royal, qui rappelle que c'est le souverain qui juge en personne ici, incarné dans le jury populaire.

Les assesseurs porteront la robe noire s'ils sont juges du tribunal de grande instance, et rouge s'ils sont conseillers à la cour d'appel.

(Image : cour d'appel de Paris)

Le parquet porte la même robe : noire si l'avocat général est en fait un substitut général ou un procureur du tribunal de grande instance, rouge s'il est magistrat à la cour d'appel, et à revers d'hermine s'il a le titre d'avocat général. A titre d'illustration, je remercie Philippe Bilger de m'avoir autorisé à reproduire ici la couverture de son livre "Un avocat général s'est échappé" (Seuil, 2003), où il est revêtu de son costume d'audience.

image

La cour s'assiéra face au public, l'avocat général[1] ayant une tribune à lui, sur le côté, face au box des accusés. Une urne sera posée sur la table de la cour, devant le président.

Après un petit mot d'accueil et de remerciement d'être présent, le président demandera au greffier de procéder à l'appel des jurés présents par ordre de tirage au sort. La cour statuera sur le cas des absents, en pouvant prononcer jusqu'à 3750 euros d'amende. De même, si la cour constate que des jurés sont incapables ou incompatibles, ou décédés, ils sont retirés de la liste. Il en va de même des conjoints, parents ou alliés jusqu'au degré d'oncle et neveu d'un juré figurant avant lui dans la liste, mais pour cette liste de session seulement.

Si le nombre des jurés présents et aptes n'atteint pas 23, un tirage complémentaire est fait dans la liste des suppléants, non par tirage au sort mais dans l'ordre de leur inscription.

Une fois les opérations terminées, elles sont constatées par un arrêt rendu par la cour. La liste de session est constituée.

Aussitôt, la cour appellera la première affaire devant être jugée. On n'en a pas fini des tirages au sort, mais celui-ci se répétera au début de chaque affaire.

L'accusé est introduit dans la salle. Rien ne s'oppose à ce que son avocat ait assisté à la révision de la liste de session, révision qui est publique, auquel cas il sera également présent.

Le président demande à l'accusé ses nom, prénoms, date et lieu de naissance.

Le greffier procès à l'appel des jurés non excusés. Pour la première fois, pas de problème, tout le monde est présent dans la salle, par définition. A chaque "présent", une carte portant leur nom est déposée dans l'urne par le président.

Une fois l'appel terminé, la cour décidera par un arrêt rendu sur le siège de tirer au sort un ou plusieurs jurés supplémentaires (généralement, deux). Priez pour ne pas être de ceux là.

Puis le tirage au sort du jury aura lieu.

Le président plongera sa main dans l'urne et en tirera une carte, appelant aussitôt "Juré numéro X : Monsieur Untel". Le juré en question doit se lever et venir se placer aux côtés de la cour, sur les sièges à cet effet, le premier à droite de l'assesseur à droite du président, le deuxième à gauche de l'assesseur à gauche du président, le troisième à droite du premier juré, le quatrième à gauche du deuxième juré, et ainsi de suite. Le temps qu'il parcoure ces quelques mètres, il sera scruté attentivement par l'avocat de la défense et l'avocat général, qui auront quelques secondes pour le récuser. Cette récusation se fait sans forme particulière : un simple "récusé !" suffit. La récusation n'a pas à être motivée. Le parquet peut récuser quatre fois, la défense, cinq fois. S'il y a plusieurs accusés, le nombre de récusation ne change pas, elles sont partagées par les accusés.

Je consacrerai un billet entier à la récusation, qui est un casse tête et une angoisse terrible.

Neuf jurés sont ainsi tirés au sort : neuf plus trois magistrats font douze, le compte est bon.

Les jurés supplémentaires sont tirés au sort (priez, priez, il est encore temps), et prennent place sur des sièges à l'écart ; avec un peu de chance, ils ont une table devant eux. Le greffier dresse procès verbal des opérations.

Le président va alors inviter les jurés à se lever et se découvrir, et prononcer le serment des jurés et demander à ce que chacun, à l'appel de son nom, lève la main droite et dise "je le jure". Cette formule est magnifique, aussi belle que l'instruction des jurés au moment de délibérer (voir le billet suivant) même si le législateur s'est cru obligé de l'alourdir en ajoutant une mention aux intérêts de la victime et un rappel à la présomption d'innocence : c'est tout à fait l'air du temps, mais vous verrez que ça n'apporte rien à la phrase qui était bien assez claire comme cela. Les portions rajoutées par la loi du 15 juin 2000 sont en italique.

Vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X..., de ne trahir ni les intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui l'accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu'après votre déclaration ; de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection ; de vous rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d'après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions.

Encore une loi qui a modifié le texte d'un serment pensant ainsi réformer la justice. Les lois d'affichage, une des plaies de notre république.

Le jury est alors déclaré constitué.

Les jurés non tirés au sort sont libérés de leurs obligations jusqu'à la convocation de l'affaire suivante, dont la date et l'heure sont indiquées par le président : "Revenez jeudi à 9 heures", par exemple. Ils peuvent rester dans la salle pour assister aux débats ou vaquer à leurs occupations.

La cour d'assises siège et va juger. Ce sera l'objet d'un troisième et dernier volet de ce vade-mecum, où vous découvrirez pourquoi les jurés supplémentaires sont à plaindre. Pour nous, l'audience est levée.

Notes

[1] Je ne parlerai plus désormais que d'avocat général, qui est le titre du représentant du parquet devant la cour d'assises, peu important son rang hiérarchique au sein du ministère public : la fonction prime le grade, comme à l'armée.

lundi 15 janvier 2007

Petit vademecum à l'usage des jurés d'assises (1)

Un lecteur qui a été tiré au sort pour être juré d'assises m'a demandé de lui expliquer à quelle sauce il allait être mangé. En espérant qu'il n'est pas trop tard pour lui, et à l'usage des futurs tirés au sort, voici à quoi ressemble la mission d'un juré ordinaire.

Une réserve d'emblée : les avocats ne voient la cour d'assises fonctionner que depuis le prétoire. Ce qui se passe derrière les portes closes nous est parfaitement inconnu, hormis ce que nous disent d'anciens jurés et des magistrats ayant siégé ; leurs confidences étant restreintes par le secret du délibéré, je serai peu disert sur les parties se passant nécessairement hors ma présence.

Acte I : Comment devient-on juré d'assises ?

En ayant de la chance, ou pas de chance, selon son point de vue.

Il faut en tout cas avoir la nationalité française, puisque les jurés exercent le pouvoir judiciaire, attribut de souveraineté ; être âgé de plus de 23 ans le jour du premier tirage au sort (la condition étant remplie le lendemain de son 23e anniversaire), savoir lire et écrire, puisque le vote se fera par écrit, et jouir de ses droits civils, civiques et de famille. Ces droits sont perdus temporairement en application d'une peine complémentaire prononcée par une juridiction répressive (tribunal correctionnel ou cour d'assises). Ajoutons une condition supplémentaire de bon sens : il faut être inscrit sur les listes électorales, puisqu'elles servent de liste de tirage au sort.

Ne peuvent être jurés, même s'ils remplissent les conditions ci-dessus :
- Les personnes ayant été condamnée à une peine d'emprisonnement de 6 mois ou plus, avec ou sans sursis ;
- Les personnes devant elles même comparaître devant une cour d'assises (on parle d'état d'accusation), ou qui font l'objet d'un mandat de dépôt ou d'arrêt. En effet, elles sont censées être en prison, toutes présumées innocentes qu'elles puissent éventuellement être.
- Toute personne agent de l'état ayant fait l'objet d'une révocation.
- Toute personne ayant fait l'objet d'une mesure de radiation professionnelle ;
- Toute personne déclarée par un tribunal de commerce en faillite personnelle ;
- Toute personne ayant déjà été défaillantes alors qu'elles avaient été tirées au sort pour être juré et ayant été condamnées pour ce fait ;
- Toute personne sous tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice, et les personnes hospitalisées d'office pour raisons psychiatriques.

En plus de ces incapacités, il existe des incompatibilités, qui ne relèvent pas tant de la personne que de ses fonctions. Ne peuvent donc être jurés dans l'exercice de leurs fonctions :
- les membres du Gouvernement, du Parlement, du Conseil constitutionnel, du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil économique et social : séparation des pouvoirs oblige pour le gouvernement et les parlementaires ;
- les magistrats de tous ordres en exercice : judiciaires et administratifs : l'idée d'un juré est d'avoir des esprits neufs et différents, mais les magistrats à la retraite peuvent être jurés ;
- les fonctionnaires des services de police ou de l'administration pénitentiaire ou militaire, en activité de service.
- Les personnes ayant été juré depuis moins de cinq ans.

Le tirage au sort s'effectue en plusieurs temps.

Premier temps : la liste préparatoire.

Dans chaque commune est effectué annuellement et publiquement un tirage au sort d'un certain nombre de noms, qui varie en fonction de la population du département (1800 à Paris, un pour 1300 habitants partout ailleurs sans que ce nombre puisse être inférieur à 200). Un arrêté préfectoral de répartition fixe au mois d'avril le nombre de jurés par circonscription, le nombre tiré est le triple de ce nombre. Les électeurs qui n'auront pas atteint 23 ans au cours de l'année civile suivante, au cours de laquelle ils sont susceptibles d'être jurés, sont écartés. Les citoyens tirés au sort sont informés par lettre qui leur demande leur profession et les informe de la possibilité de demander avant le 1er septembre si elles ont plus de soixante dix ans, n'ont pas leur résidence principale dans le département ou pour tout motif grave. Cette liste préparatoire est transmise au secrétariat greffe de la juridiction où siège la cour d'assise : elle siège dans toutes les cours d'appel et dans certains tribunaux de grande instance. Le maire est tenu de faire connaître les motifs d'impossibilité d'être juré dont il a connaissance parmi les tirés au sort, et peut faire connaître ses observations sur telle ou telle personne peu apte à être juré selon lui.

Deuxième temps : la liste annuelle.

L'ensemble des listes préparatoires est révisée par une commission qui siège au mois de septembre. Elle écarte les incapables et les incompatibles énumérés ci-dessus, et statue sur les demandes de dispense. Puis parmi les noms restant, un certain nombre est tiré au sort, conformément à l'arrêté préfectoral cité plus haut. Dans certains département, une liste spéciale de jurés suppléants est établie, uniquement parmi les personnes résidant dans la ville où siège la cour : elles seront convoquées si la liste de session (voir plus bas) est insuffisante. La liste est communiqué à chaque maire, qui doit informer le président de la juridiction où siège la cour de tout événement frappant une personne figurant sur cette liste et de nature à remettre en cause sa capacité à être juré : par exemple, elle est morte. La liste est donc tenue à jour tout le long de l'année.

Troisième temps : la liste de session.

Trente jours au moins avant l'ouverture de la session (je reviendrai dans le prochain billet sur ce qu'est une session d'assises, en attendant, considérons : trente jours au moins avant que ne soit jugée la première affaire inscrite au rôle), le président de la juridiction effectue publiquement et en présence du parquet un tirage au sort de quarante noms sur la liste annuelle, et douze noms sur la liste spéciale. Si des noms tirés au sort doivent être écartés pour des motifs légaux, d'autres noms sont tirés au sort jusqu'à ce que les quarante et les douze noms soient au complet. Aux motifs déjà cités vient s'ajouter le fait d'avoir déjà été tiré au sort au cours d'une session précédente : on ne peut être juré que pour une session tous les cinq ans. Les heureux élus sont avisés par lettre recommandée quinze jours à l'avance, lettre qui leur rappelle que leur participation est obligatoire. Si le récépissé joint à la lettre n'est pas retourné, le greffe peut envoyer la police ou la gendarmerie voir si tout va bien et si le juré tiré au sort a besoin d'un stylo ou d'un timbre pour répondre.

Détail qui est peu connu : cette liste de session, comportant les nom, prénoms, date et lieu de naissance et profession, est signifiée par huissier à l'accusé, au plus tard la veille de l'audience, qui peut la garder avec lui en cellule s'il est emprisonné.

Quatrième temps : la liste du jury.

C'est le dernier acte avant le procès, et il a lieu juste avant. Il sera donc décrit dans le prochain billet, qui commencera quand les jurés arrivent, l'air perdu, leur convocation à la main, dans la salle d'audience ou virevoltent déjà bien des robes de différentes couleurs, autour de képis tout propres.

Pour le moment, la séance est levée.

mercredi 20 décembre 2006

Pourquoi Seznec n'a-t-il pas été réhabilité ?

Je m'étais contenté dans mon premier billet sur le sujet de parler de la seule procédure de révision, n'ayant pas eu le temps de parcourir à loisir l'arrêt de la cour de révision.

Mais les points de vue partisans se multipliant, et, faute de pouvoir démontrer l'inanité de la décision, attaquant les juges l'ayant rendu quand ce n'est pas la justice en général, il me paraît opportun de faire un résumé du fond de la décision cette fois ci, pour que, sans avoir à lire l'arrêt, vous puissiez comprendre que la décision qui a été rendue n'a rien de scandaleux, et que l'on doit à la vérité de l'admettre : l'innocence de Seznec n'est pas aussi évidente que ses défenseurs le disent.

Qu'il soit clair ici que je ne prends pas partie dans un dossier que je ne connais pas en détail. Je n'ai pas d'opinion arrêtée sur le sujet, je ne suis ni parent, ni allié ni au service d'une partie. Je ne me fais ici que le porte-parole de la cour de révision. Mais je dois à l'honnêteté d'ajouter que mes doutes sur la culpabilité de Seznec ont été sérieusement ébranlés par la lecture de cet arrêt.

Récapitulons les faits, ce qui est déjà un sacré défi.

Les faits.

Le 25 mai 1923, Guillaume Seznec, entrepreneur de sciage mécanique à Morlaix, et Pierre Quéméneur, conseiller général du Finistère et négociant, prennent la route de Paris à bord d'une voiture de marque Cadillac, après avoir passé la nuit à Rennes, Hôtel de Paris. Le but de leur voyage est de négocier une vente à grande échelles de véhicules Cadillac, abandonnés par les troupes américaines après la guerre. D'après Seznec, Quemeneur devait rencontrer le lendemain à huit heures un certain Chardy, ou Sherdly. L'affaire était très prometteuse.

Quéméneur avait indiqué à sa famille qu'il serait de retour le 28. On ne le revit jamais. Seznec revint à Morlaix, avec l'automobile, le 27 mai au soir, seul.

La famille Quéméneur s'inquiéta et alla voir Seznec pour lui demander des nouvelles. Il leur dit qu'à cause de pannes de la voiture, il avait laissé Quéméneur à la gare de Dreux, où il avait pris le train pour Paris. Pour calmer leur inquiétude, il suggéra qu'il avait peut-être dû aller en Amérique.

Le 13 juin, un télégramme signé Quéméneur fut envoyé du Havre, principal port de départ vers l'Amérique, disant « Ne rentrerai Landerneau que dans quelques jours tout va pour le mieux - Quéméneur ».

Le 20 juin, un employé de la gare du Havre découvrit une valise avec des papiers au nom de Quéméneur. Sa famille fut avisé.

Le 22 juin, une instruction pour disparition suspecte fut ouverte à Brest. Dans le cadre de cette instruction, la valise fut saisie. Elle contenait notamment une promesse de vente dactylographiée (ce qui à l'époque est rare) portant sur un manoir situé à Plourivo, appartenant à Quéméneur, au bénéfice de Seznec et pour une somme ridicule : 35000 francs de l'époque, soit 35000 euros.

Le 26 juin, Seznec est entendu par les gendarmes. Il explique que cette promesse de vente a été rédigée par Quéméneur et lui a été consentie contre la remise de 4040 dollars or qu'il venait de changer à Brest, les 35 000 euros représentant le solde du prix de vente. Cette remise a eu lieu sans témoin. Quéméneur aurait souhaité avoir des fonds liquides pour traiter l'affaire qui l'appelait à Paris, sans que Seznec n'en sût plus, son rôle s'étant limité à recevoir pour Quéméneur des courriers adressés sur des enveloppes à en-tête de la chambre de commerce américaine de Paris.

Il raconte le détail du voyage vers Paris, et le fait que la voiture étant en panne, il avait laissé Quéméneur à Dreux et était rentré... à Morlaix. Rappelons que Dreux est à 80 km de Paris et 486 km de Morlaix...

L'instruction

L'instruction va découvrir les faits suivants :

Huit témoins les ont vu ensemble à Houdan, à 60km de Paris, où ils se sont renseignés sur l'heure du dernier train pour Paris ; celui-ci étant parti, ils ont repris la route ensemble. Quéméneur n'avait donc pas quitté Seznec à Dreux.

Un témoin a vu Seznec seul au volant de sa voiture, au petit matin du jour suivant, à la Queue Lez Yvelines, à 15 km d'Houdan sur la route de Paris. Ce témoin l'a aidé avec sa voiture en panne. Seznec a reconnu ce fait.

Le 12 juin, Seznec est parti en voiture (confirmé par son épouse), il a laissé sa voiture dans une ferme à Plouaret.

Le 13 juin, jour de l'envoi du télégramme signé Quéméneur, Seznec était au Havre. Il y a acheté la machine à écrire qui a servi à taper la promesse de vente. Cinq témoins ont confirmé ces faits. Il utilisait un nom d'emprunt lors de ce séjour. La boutique était proche du bureau de poste d'où le télégramme a été expédié.

Le même jour, il a été vu dans la soirée à la gare Montparnasse à Paris, à 21 heures, où il prenait le train pour Plouaret (deux témoins l'ont aidé à déposer un colis pesant, la machine à écrire probablement).

Le 14 juin au matin, il a récupéré sa voiture à Plouaret au petit matin, soit dans l'heure qui a suivi l'arrivée du train où il a été vu la veille.

Le 20 juin, deux témoins l'ont vu à la garde du Havre, porteur de la valise retrouvée plus tard avec les papiers de Quéméneur.

Le 6 juillet, la machine à écrire ayant servi à rédiger les promesses de vente a été découverte au cours d'une perquisition dans la scierie de Seznec.

Des experts vont examiner la machine et conclure qu'elle a bien servi à rédiger les promesses de vente, et dire que les mentions manuscrites prétendues écrites par Quéméneur sont en fait de la main de Seznec.

Ajoutons que dans la valise du Havre, il y avait aussi un carnet mentionnant des dépenses, notamment des billets de train Dreux-Paris et Paris-Le Havre, mais que les prix étaient erronés, ce qui exclut que ce soit le relevé de ses dépenses fait par Quéméneur. Ce d'autant que l'enquête va rapidement montrer, comme nous le verrons, que ce n'est pas à Dreux que Quéméneur est censé avoir pris le train, mais à Houdan, ce que Seznec sera obligé de reconnaître. Mais n'anticipons pas.

Les recherches du dénommé Chardy sont restées vaines, et la police en a conclu qu'il était inventé.

Le procès

Le procès s'est tenu à Quimper ; il a duré huit jours au cours desquels 124 témoins ont été entendus dont 26 par la défense.

Le jury a déclaré Seznec coupable de faux en écriture privé pour les deux promesses de vente et de meurtre sur la personne de Quéméneur, rejetant la préméditation (dans le cas contraire, la peine de mort aurait été prononcée).

les arguments développés en faveur de la révision et la réplique de la cour

1. La remise en cause des témoins d'Houdan.

L'instruction ayant révélé que Seznec et Quéméneur étaient à Houdan, Seznec changera de récit et dira s'être trompé et que c'est à Houdan et non à Dreux qu'il a laissé Quéméneur, vers 21 heures, après avoir soupé au restaurant « Le Plat d'Etain », à temps pour le dernier train pour Paris et qu'il l'a laissé, vivant, devant le café de la gare. Cela ne correspond pas au récit des témoins d'Houdan, qui précise qu'ils sont arrivés vers 21 heures, ont acheté une lanterne pour l'arrière de la voiture, ont soupé au Plat D'Etain, et ont demandé la route de Paris avant de se remettre en route tous les deux.

A l'appui de la version Seznec, les demandeurs soulignent que le témoignage de Jean Gérard, entendu six fois, donne bien 20 heures comme arrivée de Seznec à Houdan. Ils cherchent ensuite à écarter les déclarations des autres témoins, qui attestaient que Seznec et Quéméneur étaient arrivées bien plus tard, trop tard pour le train, ont dîné sur place et sont repartis ensemble.

La cour réplique à cela que Jean Gérard s'appelle en fait Paul Jeangirard et n'a été entendu en fait que trois fois, sous entendant que si les demandeurs veulent donner toute foi à ces témoignages, qu'ils commencent par bien les lire (ça fait mal, ces allusions...) ; qu'au-delà de l'heure qu'il indique, il y a des éléments concrets qui permettent de penser que ce qu'il a vu a eu lieu plus tard : ainsi, il a dit qu'il avait fini de souper, or il a déclaré qu'il soupait à vingt heures ; qu'au moment de l'arrivée de Seznec et Quéméneur, il avait dû allumer la lumière en raison de la pénombre, et que quand il leur a suggéré d'aller dîner Plat d'Etain, son épouse a fait remarquer qu'à cette heure là, il n'était pas sûr qu'ils fussent servis ; que les employés du restaurant ont tous témoigné que les deux hommes avaient dîné sur place et que lors de leur arrivée, les chaises étaient déjà renversées sur les tables comme à la fin de chaque service.

Les demandeurs ont également soulevé que le passage à l'heure d'été ayant suivi les faits pouvait expliquer que les témoins se trompassent. La cour écarte ce fait comme n'étant pas nouveau, puisqu'un supplément d'information a été ordonné dès 1923 sur ce point.

Ils soulèvent également que Quémeneur aurait passé un coup de fil depuis le Plat d'Etain, ce qui suppose qu'il y fut avant 21 heures, heure à laquelle le service téléphonique était interrompu. La cour l'écarte en relevant que cet élément n'est apparu qu'en 1930 des déclarations d'un « homme de lettre », Charles Huzo, et que ni les témoins ni Seznec n'avaient jamais parlé d'un coup de fil que Quéméneur. Cette affirmation n'est pas étayée.

Ils contestent également que les horaires des trains mentionnés sur le registre des cheminots à la date du 25 mai soient les bons, car ce registre mentionne à cette date une gelée nocturne alors que la station de Trappes avait relevé cette nuit là une température de 4,3°c. La cour leur répond que Trappes est à plus de trente kilomètres d'Houdan, que Seznec lui même a à neuf reprises maintenu que le 25 mai, il était à Houdan, a acheté une lanterne et laissé Quéméneur. J'ajoute qu'il est précisé plus hautcd'ans l'arrêt que deux des témoins ayant vu arriver les voyageurs à 21 heures étaient dans leur jardin, en train de protéger leur plante de crainte d'une nouvelle gelée nocturne.

Les demandeurs soulèvent que les témoins ayant assisté au départ ne relatent pas un léger choc de la voiture de Seznec avec une barrière, dont Seznec avait fait état, prouvant qu'ils ont pas assisté au départ de la voiture. La cour leur répond de relire avec profit le témoignage de Maurice Garnier, employé du chemin de fer, qui le relate avec précision.

Le ministère public y va de son grain de sel et soulève pour sa part qu'il n'y avait pas de café sur la place de la gare à Houdan, tandis qu'il y en avait bien un à Dreux, et donc, que les deux voyageurs n'ont pu se séparer à Houdan, ce qui serait un fait nouveau. La cour lui rétorque qu'un ingénieur des travaux publics de l'Etat a dressé un plan de la place de la gare à Houdan où est mentionné un café de la gare, et qu'à côté y figure une croix tracée de la main de Seznec quand le juge d'instruction lui a demandé de désigner l'endroit où il aurait laissé Quéméneur.

Exit donc la contestation des témoins d'Houdan.

2. Le témoignage de Pierre Dectot.

Un témoin, Pierre Dectot, circulant à vélo, aurait vu Seznec seul à 23 heures, ce 25 mai, en panne d'essence et lui aurait proposé de l'aide, ce qui, d'une suppose que le crime aurait eu lieu entre 22h10 (départ d'Houdan) et 23 heures, et que Seznec aurait fait disparaître le corps, qui n'a jamais été retrouvé, ce qui serait assurément trop court et de deux invalide le témoignage de l'automobiliste qui l'a vu à la Queue Lez Yvelines le lendemain à 5h30.

Mais la cour relève que rien ne démontre plus aujourd'hui qu'en 1923 que c'est bien Seznec qu'il a vu. Seznec lui même a toujours déclaré n'avoir aucun souvenir qu'un cycliste lui aurait proposé de l'aide ; de plus le témoin précisait avoir été ébloui par les phares alors qu'il résulte des témoins d'Houdan et des déclarations de Seznec lui même qu'une seule lanterne fonctionnait, et mal, faute d'ampoule de rechange.

Dès lors, le témoignage de Pierre Lectot est écarté par la cour comme il le fut par la cour d'assises de Quimper en 1923.

3. la machination policière.

C'est là le point principal de l'argumentation, qui repose sur l'argument suivant : la surabondance même de preuves accusant Seznec prouve qu'il y a eu machination.

On notera donc qu'en suivant ce raisonnement, seuls sont assurément coupables ceux dont rien ne prouve la culpabilité...

Voici la machination selon les demandeurs : Un dénommé Boudjema Gherdi a été identifié par Seznec dès 1926, grâce à des récits recueillis en détention à Saint Martin de Ré, comme étant le fameux Chardy. Colette Noll, résistante déportée, a identifié, tardivement il est vrai, Gherdi comme étant un traître l'ayant livrée à la police allemande, où travaillait Pierre Bonny, révoqué de la police en 1935, désigné par les requérants comme « l'agent essentiel de l'enquête » et l'auteur de la machination. Pierre Bonny sera d'ailleurs fusillé en 1944 pour collaboration. Bonny et Gherdi pouvaient donc être complices, Gherdi assassinant Quéméneur, et Bonny faisant porter le chapeau rond à Seznec, le tout étant lié à l'affaire que voulait traiter Quéméneur, qui était en fait un trafic de Cadillac très lucratif mais illégal vers l'Union soviétique, piste délaissée par les enquêteurs.

La cour réplique à cela que Bonny n'était pas « l'agent essentiel », mais policier stagiaire et secrétaire du commissaire Vidal, en charge de l'enquête ; que sur 500 pièces, son nom n'apparaît que sur quatre procès verbaux, établis soit par Vidal, soit par Doucet, un autre commissaire, et signés par eux, et sur cinq rapports.

De plus, Quéméneur avait déjà fait des affaires avec les Cadillacs, mais l'avait toujours fait au grand jour. Il avait de même fait état de ses projets à ses proches, au maire de Landerneau, et à son banquier.

La piste des affaires louches est affaiblie par le fait que les enveloppes utilisées à l'époque par la chambre de commerce américaine de Paris ne correspondaient pas à celles décrites pas Seznec. Enfin, aucune preuve n'existe de l'implication de Quéméneur, Gherdi ou Bonny dans un tel trafic, des investigations ayant déjà été menée dans les archives ministérielles, par la cour de révision précédemment saisie. Rien n'établit que Gherdi ait collaboré sous l'occupation, et en faire le correspondant parisien de Quéméneur dans cette affaire de trafic, alors qu'il ne savait ni lire ni écrire et que son affaire de pièces détachées avait cessé en 1922 quand le dépôt de voitures américaines du Champ-De-Mars a été démantelé ne repose sur aucun élément.

Enfin, la machination policière suppose que Bonny se soir rendu au Havre dès le 13 juin pour expédier le télégramme signé Quéméneur, soit à une date où aucune enquête de police n'est encore menée.

La cour se lance ensuite dans un méthodique démontage des témoignages invoqués qui sont tous soit indirects, soit circonspects. Deux exemples illustrent bien cet aspect.

Jemma Martin, entendue en mars 2002 sur commission rogatoire, a déclaré qu'à l'époque de son apprentissage à l'hospice de Quintin, qu'elle situait en 1954, une religieuse lui avait déclaré tenir de la mère Borromée, supérieure de la communauté, décédée depuis lors, que celle-ci avait rencontré Seznec, le 13 juin 1923, dans une gare dont le nom n'avait pas été précisé mais qui, pensait Jemma Martin, ne pouvait être que celle de Saint-Brieuc. Ce témoignage ne fait que rapporter des dires d'une personne les tenant d'une précédente et comporte un élément subjectif sur un point essentiel : la gare ne pourrait être que celle de Saint-Brieuc.

En 1993, Louise Héranval, vendeuse à la boutique où la machine à écrire a été achetée, a affirmé devant des journalistes qu'elle n'avait pu formellement reconnaître Seznec, qui ne lui avait été présentée que dans un couloir très sombre. Mais 38 ans plus tôt, elle avait soutenu le contraire, et la procédure révèle qu'elle a été confrontée à Seznec dans le bureau du juge d'instruction et aux assises de Morlaix, où elle l'a reconnu à chaque fois. Elle a été entendu par les magistrats de la cour de révision saisie en 1993 mais a déclaré n'avoir plus aucun souvenir, et pour cause : elle fut diagnostiquée d'un Alzheimer qui évoluait depuis... 1991.

Je ne reprendrai pas la litanie des témoignages écartés, mais si vous voulez lire l'arrêt, cherchez le paragraphe « - concernant les témoignages tendant à établir l'existence d'une machination policière : ».

Derniers points soulevés par les demandeurs, la contestation des expertises dactylographique et graphologiques, cette dernière ayant attribué à Seznec les mentions manuscrites sur les promesses de vente. La cour balaye les conclusions des deux experts invoqués par la défense, non pas en rappelant, si ce n'est incidemment, que cinq experts internationaux ont déjà conclu sur ce point, mais en rappelant que la question de savoir qui a écrit ces mentions n'est pas si importante, dès lors que Seznec reconnaît être le signataire, et que son caractère mensonger ne fait aucun doute. En effet, relève la cour, il est plus que douteux que Seznait ait jamais eu 4040 dollars or, lui qui avait emprunté 15 000 francs à Quéméneur fin 1922, gagé par sa Cadillac, et 5030 francs à sa domestique. Aux enquêteurs qui lui ont demandé combien pesaient ces pièces, il a répondu 500 grammes, alors que leur poids était de 6,744 kg : il a décrit la boite qu'il avait fabriqué lui même pour les contenir : reconstruite, elle ne pouvait contenir que 133 pièces de 10 dollars, quand la somme était prétendument de 99 pièces de 20 et 206 de 10. Comment donc aurait-il payé la première part du prix de vente ?

Ces promesses de vente ont été rédigées sur du papier timbré vendu par le buraliste de Morlaix. Une feuille identique a été trouvée chez Seznec. Or l'acte a été rédigé fortuitement à Brest, et Quéméneur vivait à Landerneau. Comment pouvait-il avoir sur lui deux feuilles vendues exclusivement à Morlaix ?

Reste l'expertise sur la machine à écrire, la Royal-10.

Un expert de la défense conclut que la même machine a bien fait les deux exemplaires, mais que l'exemplaire remis par Seznec présente des similitudes de doigté avec des fac-similés tapés le 6 juillet lors de la découverte de la machine par le commissaire Cunat, de la 13ème brigade mobile de Rennes, qui a entendu Seznec le 26 juin. Il serait l'auteur de l'un des faux, selon l'expert.

La machination policière ! La revoilà, mais la cour finit d'achever cette théorie en en démontrant l'absurdité : elle suppose donc que dès le 13 juin date de l'achat de la machine au Havre, alors qu'aucune enquête n'a été ouverte sur la disparition de Quéméneur qui n'est pas encore certaine, la machination policière était déjà en place : que les policiers conjurés aient provoqué les faux témoignages du vendeur de la machine et de ses trois employés, et aient envoyé le télégramme signé Quéméneur à 16h35 pour conforter leur faux témoignage, ce à une date où les policiers ignoraient l'existence d'une promesse de vente dactylographiée, forme rare à l'époque, promesse qui ne leur sera révélée que 13 jours plus tard à Paris. Une fois qu'ils auraient découvert qu'il y avait une promesse de vente, ils en auraient donc confectionné deux fausses, dont une par Cunat à Rennes, exemplaire qui aurait été authentifié en connaissance de cause par Vidal à Paris, ce qui suppose une collaboration au plus haut niveau de ces deux services : on est loin de la conspiration du secrétaire stagiaire Bonny. Plus extraordinaire encore, il eût fallu que les policiers suggérassent à leurs faux témoins le nom de Ferbour comme nom d'emprunt utilisé par Seznec au Havre, nom qui le 13 juillet s'avéra être celui d'un ami de Seznec, voyageur de commerce, dont les policiers ne pouvaient avoir entendu parler et qui à sa connaissance était le seul à porter ce nom là dans tout l'ouest de la France.

Ceci n'est qu'un pâle résumé de l'arrêt, qui est un travail extraordinaire de méticulosité et de démontage des témoignages invoqués par les demandeurs à la révision. Je vous encourage à le lire, surtout si des questions vous viennent à la lecture de ce billet : vous y trouverez probablement les réponses.

Et encore une fois, gardez bien à l'esprit que la cour de révision ne refaisait pas le procès de Seznec, mais cherchait à évaluer si des éléments inconnus du jury en 1924 et révélés postérieurement sont de nature à faire naître un doute sur sa culpabilité.

La cour ne dit pas : Seznec était coupable. Cela a déjà été dit.

Elle conclut que rien ne fait naître de doute à ce sujet. Et je voudrais que ceux qui considèrent cette vérité comme une évidence, parce que les larmes de Denis Le Her-Seznec sont sincères, parce que Tri Yan l'a chanté, parce qu'un policier parisien qui accuse un breton ne peut qu'être un menteur, parce que la justice ne peut que se tromper quand elle refuse de céder à l'opinion publique, je voudrais que ceux là écoutent un peu ce qui a été dit.

Traîter la justice de sourde, aveugle et folle, n'est ce pas plus facile que d'admettre que l'on est soi même autiste ?

vendredi 8 décembre 2006

Et pendant ce temps, le législateur...

J'avais abordé dans un précédent billet les projets de loi sur la réforme de la justice. Mon pessimisme naturel m'avait alors poussé à dire

Je vais la présenter plutôt succinctement, pour une raison simple : elle ne verra pas le jour. (…) le calendrier parlementaire est de toutes façons tellement rempli qu'il est impossible de faire passer deux lois ordinaires supplémentaires, sans compter une loi organique, d'ici le 19 juin 2007[1], date à laquelle la 12e législature prendra fin. Je ne pense pas que l'urgence soit déclarée pour éviter deux lectures avant une commission mixte paritaire. Comme il est de coutume que tous les textes non adoptés soient balancés à la poubelle pour faire table rase du passé, ce projet de loi est donc un hochet médiatique. Il suscite donc chez moi un intérêt proportionnel.

Las, mon pessimisme était trop optimiste. Le projet de loi est bien en discussion, puisqu'il a été inséré aux forceps dans l'agenda parlementaire. A la décharge des députés, la charge de travail, le manque de sommeil qui en découle et la précipitation imposée parle gouvernement peuvent expliquer certaines idées, disons... curieuses. Mais quand même.

Rappelons que le projet de loi se veut directement inspiré par l'affaire d'Outreau. Je cite l'exposé des motifs de la loi, deuxième et troisième paragraphes :

Les dramatiques dysfonctionnements de l’institution judiciaire lors de l’affaire Outreau ont mis en évidence l’impérieuse nécessité d’améliorer de façon substantielle le déroulement de notre procédure pénale.

S’il n’est pas envisageable de procéder dès maintenant à une réforme de notre procédure d’une aussi grande ampleur que celle préconisée par le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, des modifications très significatives et qui font l’objet d’un consensus peuvent toutefois être réalisées sans tarder, afin de supprimer les causes les plus flagrantes de ces dysfonctionnements.

Fort bien. Pas de réforme en profondeur qui nécessite temps, réflexion et concertation, mais il s'agit de remédier tout de suite aux défauts de la procédure révélés par cette affaire, notamment un certain déséquilibre au détriment des personnes poursuivies, dues peut être aux dix lois répressives qu'a votées cette même assemblée ?

Alors, quels sont les causes les plus flagrantes de ces dysfonctionnement sur lequel la commission des lois qui vient d'achever l'examen du texte a découvert un consensus ?

  • La modification du serment des magistrats.

A ce jour, les auditeurs de justice[2] prenant leurs fonction de magistrat prêtent le serment suivant :

Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat.

Comme on le voit tout de suite, l'affaire d'Outreau commence avec ce serment manifestement mal rédigé. Ha ! Si le juge d'instruction de Boulogne Sur Mer avait plutôt prêté ce serment :

Je jure de me comporter en tout comme un digne et loyal magistrat, impartial, libre, intègre, diligent, respectueux de la loi, des droits de toutes les parties, du secret professionnel et du devoir de réserve.

Bon, passons sur le fait que les droits des parties, le secret professionnel et le devoir de réserve résultant de la loi, il y a redondance à les citer en plus du respect de la loi. Ces subtilités ne peuvent qu'échapper au législateur : qu'est ce qu'il y connaît, à la loi ?

Car la commission des lois a trouvé encore mieux.

  • L'échevinage en matière correctionnelle.

Désormais, les tribunaux correctionnels, composés en principe de trois juges professionnels, principe qui connaît moult exceptions, tant un nombre important de délits peut être jugé par un juge unique, seront composés d'un juge président le tribunal et de deux citoyens tirés au sort sur les listes des jurés.

On croit rêver, et la suite le confirme, quand on voit avec quelle conviction le député Alain Marsaud (pourtant ancien magistrat) défend son amendement :

M. Alain Marsaud a reconnu que son amendement constituait d’abord un appel pour lancer la réflexion et que son adoption nécessiterait de nombreuses coordinations dans le code de procédure pénale. Par ailleurs, il a indiqué qu’une jurisprudence constitutionnelle, au demeurant discutable, posait le principe d’une présence majoritaire de magistrats professionnels dans la composition des tribunaux correctionnels, condition à laquelle ne satisfait pas l’amendement.

En clair : je dis ça mais c'est histoire de causer, de toutes façons, c'est contraire à la constitution.

Le président de la commission ne cache pas son enthousiasme :

Le président Philippe Houillon a rappelé que l’adoption de l’amendement entraînerait des conséquences considérables qu’il fallait avoir à l’esprit avant de se lancer imprudemment dans cette voie.

Et que croyez-vous qu'il arriva ?

La Commission a adopté l’amendement.

Rappelons que l'affaire d'Outreau n'a jamais relevé de la juridiction correctionnelle, qui juge les délits (infractions passibles de peines de prison pouvant aller jusqu'à 10 ans ou d'amendes supérieures à 1500 euros), mais de la juridiction criminelle, la cour d'assises ; et que la présence de neuf citoyens jurés n'a pas empêché sept des accusés innocentés d'être condamnés par la cour d'assises de Saint Omer. On est donc très loin des réformes consensuelles et urgentes induites par cette affaire.

Vous me direz, le fait d'adopter des lois inutiles n'a jamais effrayé l'assemblée, même en cas d'agenda surchargé.

Cela semble même stimuler l'imagination des députés, puisque certains d'entre eux ont eu le temps de déposer cette proposition de loi (qui, elle, n'a strictement aucune chance d'être adoptée), prévoyant le droit pour tout parlementaire de se constituer partie civile pour les délits d'outrage à l'hymne national et au drapeau national pendant une manifestation, et incidemment de percevoir à titre personnel les dommages-intérêts, il n'y a pas de petit profit, et créant une nouvelle infraction, qui est le plus bel attentat à la liberté d'expression depuis la proposition scélérate déposée par Eric Raoult visant à interdire la banalisation du blasphème religieux par voie de caricature, infraction intitulée "Atteinte à la dignité de la France" et ainsi rédigée :

Constitue une atteinte à la dignité de la France toute insulte, toute manifestation de haine publiée, mise en ligne sur Internet, télévisée ou radiodiffusée, proférée à l’encontre du pays, de ses personnages historiques, des dépositaires de l’autorité publique ou de ses institutions.

Constitue une atteinte à la dignité de la France le détournement du drapeau national.

L’atteinte à la dignité de la France est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

Ainsi, dire "Le Maréchal Pétain était une ordure" pourrait valoir trois années d'emprisonnement...

Evidemment, comme le commente Paxatagore,

On peut s'interroger, en strict droit pénal, sur la conformité de cette nouvelle infraction à la convention européenne des droits de l'Homme.

Se poser la question, c'est y répondre, à mon sens.

Ainsi, voilà les leçons que nos députés tirent de l'affaire d'Outreau : - Réécrire le serment des magistrats ; - des tribunaux correctionnels participatifs, c'est à la mode. Les magistrats peuvent se tromper, le peuple, lui, jamais ; - protéger la dignité de la France, contre ceux qui osent en dire du mal.

Au-delà du rire qui est impératif comme arme contre le désespoir à lire cela, le fil conducteur est hélas évident.

Réécrire un serment, instaurer des jurés correctionnels, créer des nouvelles infractions car on n'en a jamais assez, ça ne coûte rien (un juré est payé bien moins cher qu'un magistrat). Ca permet de parader en disant : "regardez, je réforme !" en évitant par dessus tout la Réforme Interdite : doter la justice du budget dont elle a besoin pour remplir correctement sa mission. Les candidats à l'élection otn d'ailleurs bien appris leur leçon. Interrogés sur la question, tous répondent invariablement le même couplet : « Ce n'est pas qu'une question de moyens. Il faut réformer, simplifier, moderniser, ...»

Ce ,'est pas qu'une question de moyens, je veux bien l'admettre. Mais s'agissant de réformer, je crois que là on verse dans l'excès. Pour ne pas dire le ridicule.

Notes

[1] En fait, c'est le 22 février que les travaux vont cesser, les députés repartant dès lors en campagne dans leur circonscription.

[2] Titre des élèves magistrats

jeudi 19 octobre 2006

Il suffisait d'y penser...

Je le savais. Au fond de moi, une étincelle d'optimisme refusait de se laisser éteindre par les douches froides à répétition que m'infligeait le gouvernement actuel et sa politique de réformes impulsives et dépourvues de réflexion d'ensemble, préférant les effets d'annonce et les réponses immédiates à des faits divers.

Un avocat place Beauveau et un autre place Vendôme, cela ne pouvait pas ne pas finir par tourner à l'avantage de ma profession.

Et voilà, c'est fait.

Pascal Clément et Nicolas Sarkozy ont annoncé, jeudi 19 octobre, leur décision de faire voter un texte prévoyant le renvoi devant les assises des agresseurs en "bande organisée" de policiers, gendarmes et pompiers. La création d'une "infraction spécifique de violences volontaires sur agent de la force publique commise avec arme et en bande organisée", qui rendra passibles de quinze ans de réclusion, contre dix aujourd'hui, ceux qui tendent des guet-apens contre les policiers, est en cours d'élaboration.

« De délit, nous passerons à la qualification de crime », a souligné le garde des sceaux, précisant que de telles mesures venaient sur proposition du premier ministre, Dominique de Villepin. « Tous ceux qui oseront des guet-apens aux forces de l'ordre sauront qu'ils pourront passer devant des cours d'assises, et nous espérons qu'ainsi il y ait une dissuasion par la gravité de la menace judiciaire », a-t-il encore expliqué.

Le ministre de l'intérieur a pour sa part annoncé qu'il ferait « voter un texte dans [son] projet de loi sur la prévention de la délinquance qui renverra devant les assises toute personne qui portera atteinte à l'intégrité physique des policiers, des gendarmes ou des sapeurs-pompiers », a déclaré Nicolas Sarkozy.

Il a estimé qu'il y avait plusieurs « avantages » à cette criminalisation, notamment parce qu'« aux assises, il y a des jurés et c'est donc le peuple français qui jugera ». « Il faut que ceux qui portent atteinte » aux personnes « qui portent des uniformes sachent que c'est grave, que c'est en vérité une offense à la République et que la République n'est pas décidée à l'accepter », a affirmé M. Sarkozy.[1]

Merci, les gars. Vous êtes géniaux. Grâce à vous, finies les comparutions immédiates des caillasseurs. Instruction obligatoire, certes avec détention provisoire à la clef, mais de toutes façons ils ne ressortaient pas libres de la 23e chambre. Et une détention provisoire, on peut en demander la levée, tandis que pour la libération d'un condamné, c'est une autre paire de manche. C'est possible dans certains cas, mais pas facile : les juges d'application des peines sont tatillons.

Mais surtout, grâce à vous, pour les - nombreux - agresseurs de policiers qui sont à l'aide juridictionnelle, là où je ne gagnais que 170 euros pour les défendre (420 euros dans les rares cas où il y avait une instruction, 590 au cas où il était mis en détention provisoire pendant cette instruction), je vais désormais gagner 1900 euros (instruction criminelle + un jour d'assises, je ne pense pas qu'un deuxième jour soit nécessaire) ! Champagne !

Et oui, je préfère en rire qu'en pleurer. Parce que des fois, c'est à se demander où nos dirigeants bien-aimés vont pêcher leurs idées. Et cette fois, ce n'est pas n'importe qui : le premier ministre, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et impétrant président, et le Garde des Sceaux, ministre de la justice. Une bande organisée, en somme.

En quoi est-ce n'importe quoi ?

L'idée est donc d'aggraver la répression des violences sur policiers commises en bandes organisées. La précision est importante : ce ne sont pas toutes les violences contre la maréchaussée qui seraient concernées (hélas... Mes 1900 euros !).

La bande organisée est définie à l'article 132-71 du Code pénal :

Constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions.

C'est assez large, mais il faut prouver : (1) une entente préalable établie en vue de la préparation d'une infraction, et (2) des faits matériels établissant cette préparation.

La bande organisée, ça peut venir vite. Imaginons cette saynette dans un quartier sensible de l'ouest parisien :

― Charles-Philibert, êtes vous oisif ?
― Si fait, Hubert-Jacques.
― Que diriez vous d'en découdre avec la maréchaussée ?
― Que voilà une galante idée. En vérité, je dis : fi de l'autorité ! Faille dze pot ouère, comme dit mon cousin anglois, sans que je n'ai jamais bien compris ce qu'il entendait par là. En tout cas, à son ton, sa conviction ne fait aucun doute.
― Assez parlé, Charles-Philibert : des actes ! Comment nous y prendre ?
― Rien de plus aisé, Hubert-Jacques. Boutons le feu à la Jaguar de Papa (il est assuré et voulait prendre une Aston-Martin). La police viendra constater les faits comme c'est sa mission. A ce moment, nous leur chercherons querelle.
― Charles-Philibert, les mânes de Sun Zi vous inspirent, assurément. Je m'en vais chercher des allumettes.
― Fort bien. De mon côté, je vais collecter fourches, bâtons, pierres et pavés. Allons poindre le guet, Hubert-Jacques !
― Taïault, mon cousin, il leur en cuira !

Laissons là ces dangereux délinquants. Nous avons ici une entente en vue de commettre des violences et des actes préparatoires (se procurer des allumettes, fourches, bâtons, pierres et pavés). La bande organisée est constituée.

Autant dire que seules les violences spontanées relèveront encore du tribunal correctionnel.

Dès lors qu'un crime est soupçonné, il est obligatoire de saisir le juge d'instruction, quand bien même les faits sont établis. Imaginons que nos apprentis Mandrin soient promptement maîtrisés par la maréchaussée. Ils sont arrêtés des pierres à la main, tandis que les allumettes sont dans la poche de l'un d'entre eux. Ils passent immédiatement aux aveux et expliquent en détail comment ils ont procédés, les vérifications de la police confirmant ce récit en tout point. Et bien il faudra conduire nos chenapans chez un juge d'instruction qui les mettra en examen, sera bien en peine de trouver des questions à leur poser, ordonnera une expertise médico psychologique et une enquête de personnalité obligatoires en matière criminelle qui constitueront de facto le seul acte de l'instruction. Une fois ces enquêtes déposées, le juge transmettra le dossier au parquet qui prendra des réquisisitions de mise en accusation, que le juge suivra forcément, et tout ce monde se retrouvera devant les assises. A Paris, un an aura passé, au minimum. Il est peu probable que nos galopins soeint encore incarcérés, en supposant qu'ils le furent au début. Et on va passer une journée au minimum à faire venir les experts, les policiers présents, les pompiers témoins des faits, bloquer neuf jurés tirés au sort pour prononcer une peine qui pourrait aller jusqu'à quinze ans mais concrètement se comptera en mois et sera assortie du sursis. Car les cours d'assises ne sont pas particulièrement répressives, tant les débats permettent de mettre à jour la personnalité des accusés et les humanisent. Là dessus, nos ministres qui rêvent de sévérité seront bien déçus. Je redoute plus le prétendu laxisme de la 23e que l'espérée sévérité des assises.

Et là où on croit rêver, c'est sur la justification de cette réforme sortie du chapeau.

Le premier ministre déclare : « nous espérons qu'ainsi il y ait une dissuasion par la gravité de la menace judiciaire ». Ahurissant. Il a plus de deux siècles et demi de retard sur la science pénale. Cela fait longtemps que l'on sait que la gravité de la menace pénale ne joue aucun rôle dans la prévention du crime. Comme si on n'assassinait pas quand la peine de mort était en vigueur.

Ce qui est efficace, c'est la promptitude de la sanction et la certitude de la sanction. C'est exactement ce qui fait le succès des rardars automatiques : tous les automobilistes qui sont flashés sont sanctionnés, l'amende arrive dans les jours suivants, il n'y a pas d'échappatoire. Peu importe qu'elles soient relativement modestes : tout automobiliste a les moyens de payer 90 à 135 euros. La certitude de devoir les payer suffit à faire lever le pied. Aggraver la répression ne sert à rien : c'est la rendre plus systématique qui marche. Tant que la plupart des agressions resteront impunies, les policiers préférant pour leur sécurité déguerpir, aggraver ne servira à rien, car tout agresseur aura l'espoir crédible d'échapper à la sanction.

Le ministre de l'intérieur y voit quant à lui l'avantage de faire juger ces affaires par des jurés, donc de permettre au peuple de juger. Sous entendu il pourra ainsi se faire entendre et imposer à ces magistrats laxistes de prononcer des peines très lourdes. Bon, nos deux ministres avocats n'ont visiblement jamais plaidé aux assises et n'y ont sans doute jamais mis les pieds. J'ai déjà indiqué que les jurés et la forme des débats sont plus souvent un élément de modération que de sévérité. Cette idée s'inscrit dans la continuité de sa proposition de généraliser le jury en matière pénale, proposition que même Philippe Bilger ne parvient pas à trouver intéressante. Je me demande au passage si nos ministres seraient vraiment d'accord pour être jugés par un jury populaire quand on leur demande des comptes pour des affaires de financement occultes des partis politiques... J'en connais qui ne seraient probablement jamais revenus du Canada. Mais bon, les délinquants, c'est les autres. Enfin, là encore, nous sommes dans de la gesticulation pré-électorale, la première étude du coût de cette réforme de jury correctionnel signera son arrêt de mort immédiat.

Cette réforme de criminalisation des agressions de policiers en bande organisée, serait-elle votée, ne serait pas appliquée, hormis peut être ponctuellement, à l'occasion d'une agression particulièrement spectaculaire et dangereuse.

Les cours d'assises n'ont pas une capacité de jugement infinie, et elles ont mieux à faire avec les meurtriers, les braqueurs et les violeurs qu'à juger des caillasseurs de policiers. Dès lors, les affaires seront correctionnalisées, c'est à dire que le parquet feindra de ne pas voir de bande organisée mais une simple réunion pour poursuivre en correctionnelle. Or les violences en réunion sont moins sévèrement sanctionnées que des violences en bande organisée (Cinq ans contre dix ans actuellement pour la bande organisée).

Et ainsi, paradoxe ultime, tant le droit pénal aime à se rire des apprentis sorciers de la réforme : voter cette loi répressive diminuera de fait la répression de ces violences.

Et je ne suis pas le seul à le dire, Paxatagore est également critique.

Alors, quand les organisations de magistrats vont protester contre cette réforme, ne laissez pas dire qu'elle ne font que défendre leur pré carré et sont trop politisées pour être honnêtes. Cette proposition est une vraie ânerie, certifiée et AOC. Espérons un retour à la raison.

Notes

[1] Source : Le Monde du 19 octobre 2006, auteur : Le Monde.fr avec Reuters et AFP.

mardi 10 octobre 2006

Apostille à « ça se passait comme cela ».

Mon billet d'hier, qui visait avant tout à commémorer un anniversaire, a comme c'était prévisible dégénéré en débat sur la peine de mort, les arguments de ceux qui se sont crus à l'endroit de les exposer me reprochant de faire de l'affectif par ce texte et d'oublier les victimes. S'il est un procès que je ne leur ferais pas, c'est celui de l'originalité.

Alors puisqu'il faut dire des évidences...

Oui, ce billet joue sur le registre de l'émotion. C'était le but. Pas par calcul : pour faire passer l'émotion que je ressens. L'écriture, ça sert à ça, à part rédiger requêtes et placets. Le but de ce texte n'est pas de démontrer l'absurdité ou l'ignominie de cette peine. Elle est abolie depuis 25 ans et je suis bien persuadé que je ne la reverrai jamais appliquée de mon vivant, et quand mes petits enfants auront l'âge que j'ai aujourd'hui, cette simple idée aura rejoint au rebut de l'histoire la question, le bagne et la mort civile. Ce récit n'est pas une argumentation, c'est un récit. Désolé pour la tautologie, mais cela a je le crains échappé à certains.

Ce récit raconte du point de vue d'un avocat le chemin qui mènait de la condamnation à l'exécution. Pourquoi du point de vue d'un avocat ? Parce que je suis avocat. Encore une tautologie, mais les mal-comprenants ont été légion.

J'ai déjà plaidé en défense aux assises. C'est une expérience épuisante. La préparation du dossier nécessite des heures de concentration, le suivi des audiences une rigueur de chaque instant, prendre la parole devant un jury est mille fois plus impressionnant que n'importe quel grand oral, et l'attente des heures durant du verdict est une petite mort. Et à chaque fois, je n'ai pu m'empêcher de penser que des confrères ont été à ma place et se battaient en plus contre l'ombre de la mort, sans la chandelle de l'appel. Je ne sais pas comment ils ont fait face à ce poids qui m'aurait écrasé. Je leur voue une admiration éperdue, sans bornes. Souvent dans les nuits qui précèdent l'audience j'ai fait le cauchemar que mon client était condamné à mort, que je devais un jour moi aussi me rendre à la Santé, ou à Fresnes, où ont en dernier lieu été entreposé les Bois de Justice, doux nom administratif de la guillotine, sans que jamais ils y aient servi. Les derniers moutons se sont abattus aux Baumettes, à Marseille.

C'est ce cauchemar que je raconte, transposé dans les années 70 où il était réalité. C'est ce à quoi j'ai échappé grâce à la loi du 9 octobre 1981. Ceux qui ont été touchés par ce récit ne se sont pas trompés : je l'ai écrit guidé par l'émotion, non par le calcul. Quel calcul, d'ailleurs ? On ne parle du rétablissement qu'à l'approche de chaque élection présidentielle. Ne rêvez pas : plus jamais on ne tuera en France. Trouverait-on une majorité suffisante pour voter cette loi, un gouvernement décidé à se mettre l'Europe à dos, à exposer son pays à l'opprobre du monde entier, à dénoncer la convention européenne des droits de l'homme, tout ça pour satisfaire les pulsions morbides de ses électeurs, il ne se trouverait jamais assez de jurés et de magistrats pour voter cette peine par deux fois, puisque désormais l'appel existe.

Oubliè-je les victimes ? Procès en sorcellerie qu'on m'a déjà fait mille fois et qu'on me refera dix mille fois. Non, je n'oublie pas les victimes. Je cite le nom d'Olibrius, qu'un commentateur plus prompt à trancher qu'à lire à hâtivement confondu avec le complice. La procédure est ainsi faite que la victime n'est pas associée au châtiment. Elle est l'une des dernières à s'exprimer au procès, avant l'avocat général qui parle au nom de la société, avant l'avocat de la défense, avant l'accusé qui a toujours la parole en dernier. Olibirus est mort puisque Quidam est condamné pour son assassinat. La famille d'Olibirus n'a pas été invité à l'exécution, depuis 1939 qu'elles ne sont plus publiques, les familles des victimes n'assistaient jamais à ces moments, et je ne crois pas qu'aucune en ait jamais exprimé le souhait. Les plus assoiffés de sang sont généralement des gens qui ne connaissaient ni l'auteur ni la victime.

J'aurais pu faire commencer mon récit deux ans plus tôt lors du crime, puis narrer l'instruction, et le procès par le menu. Et personne n'aurait lu cet interminable billet dont tout le début eût été hors sujet. Ne pas parler des victimes, ce n'est pas nier leur souffrance. Mais cette souffrance, quelle que soit la sympathie (du grec : souffrir avec) qu'elle génère en vous, n'est pas un argument en faveur de la peine de mort, sauf à ce que vous démontriez que la souffrance compense la souffrance, alors que tout le monde sait bien qu'elle s'additionne et ne se soustrait point.

Aucun des ardents partisans de cette peine, trop empressés à dénoncer mes manipulations imaginaires, n'a seulement eu la clairvoyance de relever que j'avais volontairement écarté l'argument abolitionniste le plus fort : celui du risque de l'erreur judiciaire. Quidam dans mon récit est coupable, ça n'est à aucun moment mis en doute. Même son avocat, lorsqu'il défend le recours en grâce, ne soulève pas cet argument. Oui, Quidam a tué Olibrius. C'est incontestable et incontesté. Je ne voulais pas créer de comité de soutien à Quidam ou d'association pour sa réhabilitation.

Mais mquand bien même serait-ce un assassin, le mettre à mort reste ignoble.

Quidam pleure en allant au supplice, sa mère pleure, et son avocat est bouleversé. Scandale chez les partisans du mouton, et d'invoquer encore le chagrin des victimes. Le chagrin, comme les souffrances, ne se soustraient pas mais s'additionnent, et si la mère d'Olibrius trouvait du réconfort dans les larmes de la mère de Quidam, malgré tout le respect que j'aurais pour sa souffrance, je dirais qu'elle ne vaut guère mieux que l'assassin de son fils, qui lui ne tire aucun plaisir de son chagrin.

Ces larmes de Quidam, qu'elles gênent les "rétablissionistes", pour qu'aussitôt ils invoquent celles d'Olibrius pour les balayer ! Car souvent, un argument invoqué est que l'assassin, le criminel est un "monstre froid", un "prédateur", un "animal", bref, "n'est pas humain". Toute trace d'émotion humaine chez lui est une idée insupportable, un sacrilège, une hérésie. Désolé, la réalité est têtue. Le condamné est un être humain. Il est terrifié à l'approche de la mort, terreur accentuée par son caractère inéluctable, car il sait quil n'a nulle pitié à attendre des gens qui l'entourent. Il ressent des émotions. Et il a une famille qui l'aime. C'est donc qu'il y a quelque chose à aimer chez lui. Le nier ne l'empêche pas d'être vrai.

La victime ! La victime ! Elle aussi avait des émotions, elle aussi a dû être terrifiée à l'idée de la mort, elle aussi a vu avec horreur qu'elle n'avait aucune pitié à attendre de Quidam. Et c'est vrai. Mais j'ai la faiblesse de croire la société moralement supérieure à un assassin. Et donc refuser de se comporter comme lui.

D'autant plus moralement supérieure qu'elle assume ses responsabilités. Son rôle est de garantir et protéger les droits de ses citoyens : la liberté, la propriété et la sûreté. En n'empêchant pas Quidam d'assassiner Olibrius, la société a failli à sa mission. Dès lors, de quel droit, pour réparer sa faute, perpétrerait-elle ce qu'elle devait empêcher Quidam de faire ? On nage en plein dans l'absurdité, et l'absurdité, pour justifier une mort, est un argument un peu trop léger.

Que la société sanctionne Quidam, oui. Qu'elle l'empêche de nuire, mille fois oui. Qu'elle indemnise sur les deniers publics la famille Olibrius au nom de la solidarité nationale, cent mille fois oui. C'est ce qu'elle fait désormais, mais depuis 1977 seulement (est-ce un hasard ? Dès que l'Etat a commencé à indemniser les victimes, il a cessé de tuer), cette indemnisation n'étant devenue digne de ce nom que depuis 1991.

Car l'ombre de la guillotine servait principalement à l'Etat pour se cacher derrière. La famille Olibrius aurait vu (au sens figuré) Quidam coupé en deux (au sens propre) ; mais elle n'aurait pas reçu le moindre centime d'ancien franc pour réparer la perte de cet être cher et surtout de faire face à la perte matérielle des revenus. L'Etat, en tuant en notre nom, s'estimait dégagé de toute obligation à l'égard des victimes. Comme c'est commode. Et c'est encore en leur nom qu'on veut faire à nouveau oeuvre de salubrité publique et reprendre des pratiques d'un autre temps. Et c'est moi qui méprise les victimes ?

Voilà ce que j'avais à ajouter à ce récit, n'ayant pas pensé sur le coup à devoir ainsi m'en expliquer tant il m'apparaissait clair dans son propos, qui n'était pas de déclencher un débat qui n'a pas lieu d'être. Néanmoins merci à ceux qui ont donné leur opinion : la mienne en est sortie revigorée.

mercredi 20 septembre 2006

Réponse à « Dur d'être avocat ! »

Pour compenser mon silence de ces derniers jours due à l'obsession quasi névrotique d'un quelconque préfet de ne plus vouloir voir un mien client sur le territoire, je vous invite à lire une belle réflexion sur le métier d'avocat de celui qui en porte le nom sans en avoir le titre, et qui les connaît mieux que personne, l'avocat général Philippe Bilger.

Dur d'être avocat, tel est le titre de son billet. Ceux qui le connaissent un tant soit peu, comme votre serviteur, savent que dès lors que le titre semble un hommage, le corps sera plus griffu, tant Philippe Bilger ne requiert jamais mieux que quand il a l'air de plaider.

Il pointe du doigt la contradiction qui menace tout avocat entre ses valeurs profondes et la cause qu'il doit défendre, en citant un exemple terrible : mon confrère Charles Libman, qui, alors qu'il était adversaire farouche et sincère de la peine de mort, a assisté des parties civiles dans une affaire d'assassinat qui a abouti à la condamnation à mort et à l'exécution de l'accusé.

Philippe Bilger conclut :

Je suis heureux que mon métier de magistrat m'ait toujours fait échapper à cette gestion de la complexité et du clair-obscur qui est au coeur de la profession d'avocat. J'ai commencé à requérir aux assises alors que la peine de mort était toujours en vigueur. Même si mes premières affaires l'avaient, par le comble de l'horreur, rendue plausible, je ne l'aurais pas requise. J'aurais seulement hésité sur la démarche à suivre. Aurais-je tenu ma place à l'audience en développant mon refus, aurais-je prévenu ma hiérarchie pour qu'elle me fasse remplacer par un collègue en phase avec ce qu'on attendait de lui ?

Dans la mission du magistrat, il y a une exigence, un sens de la responsabilité et un besoin de rectitude qui ne font jamais de la justice un jeu supérieur. Mais une gravité en action.

On n'est jamais magistrat par hasard.

Qu'il me soit permis d'ajouter mon grain de sel sur cette complexité et ce clair-obscur.

Le magistrat du parquet n'a qu'un client : la société, l'intérêt général, appelons le comme vous voulez.

L'avocat en a des dizaines simultanément.

Le magistrat du parquet n'est jamais seul. Il fait partie d'un service organisé, hiérarchisé : le parquet, et chaque élément est interchangeable. La présence d'un magistrat du parquet est indispensable à chaque audience, mais peu importe qui il est.

L'avocat est seul. Il peut avoir un collaborateur, mais celui-ci l'assiste et se contente de tâches subalternes. C'est Maître Machin qu'on vient voir, pas son collaborateur.

Cette organisation du parquet a une conséquence inéluctable : le fractionnement du travail. Un procureur ne connaît un dossier que ponctuellement. Entre le procureur de permanence lors de l'enquête policière, le procureur régleur lors de l'instruction, l'avocat général à chaque audience de la chambre de l'instruction, et celui de la cour d'assises, au moins quatre parquetiers ont suivi le dossier. Et je ne mentionne pas l'exécution de la peine, qui relève aussi du parquet.

L'avocat, lui, suit un dossier, parfois depuis la première heure de garde à vue de son client jusqu'à ce que la cour rende son verdict, et parfois au stade de l'exécution de la peine. Sans nier la qualité professionnelle des avocats généraux, l'implication n'est pas la même. Les dossiers ont pour nous un côté émotif, passionnel, qui est plus rare chez les magistrats du parquet qui ne s'investissent dans le dossier que le temps nécessaire à leur intervention.

Enfin, pourquoi le nier ? Le magistrat du parquet a un traitement fixe chaque mois, dépendant, hormis les primes, de son rang dans la hiérarchie et de son ancienneté. L'avocat dépend des honoraires de ses clients. Et quand on n'est pas Thierry Lévy ou Charles Libman, il n'est pas toujours loisible de refuser un client parce qu'on ne partage pas toutes ses vues. Dès lors, partie civile ou défense, le choix dépend parfois plus des circonstances que d'une décision réfléchie sur une position de principe.

Certains avocats se limitent à une seule position dans leur spécialité. Tel avocat ne défendra que des employeurs au Conseil de prud'hommes, tel autre que les victimes au pénal. Dès lors, c'est vrai, il ne risque pas d'être pris à contrepied d'une audience à l'autre. Ces avocats justifient ce principe par une question de cohérence : on choisit son camp et on s'y tient.

Je n'ai jamais adhéré à ce raisonnement.

La lutte des classes est une vision obsolète. Il n'y a pas le prolétariat contre le patronat aux prud'hommes, pas plus que le crime contre les victimes au pénal, les paparazzis contre les « peoples » devant la 17e chambre de la presse. Si un salarié était en butte à un petit tyran de SARL, je le défendrais avec plaisir et la même fougue que j'assisterais un employeur confronté à un salarié allergique au travail. Et je crois les conseillers prud'hommes assez intelligents pour le comprendre.

Mes goûts, mes valeurs, ma personnalité, à moins que ce ne soit mes névroses, ne m'étant guère penché sur la question, m'ont poussé vers la défense pénale. C'est dans ce type de dossiers que j'ai le sentiment de réaliser le mieux la passion qui m'anime dans ce métier. Mais si une personne qui a été volée, frappée ou pire encore frappe à ma porte[1], vais-je la renvoyer en lui demandant de m'envoyer son tortionnaire ? Certainement pas. Une personne qui m'appelle à l'aide (ad vocat en latin) me fait l'honneur de sa confiance. Je ne me vois pas la congédier sous prétexte qu'elle n'était pas du bon côté du manche. Je pense même que le fait que j'use ma robe régulièrement sur le banc de la défense me rend particulièrement compétent pour assurer la défense des intérêts d'une partie civile. Une réserve toutefois : en cas de préjudice corporel particulièrement lourd, je pense à de lourdes séquelles définitives laissant la victime en grande partie invalide, je sors de ma spécialité pour entrer dans celle très spécifique de la réparation du préjudice corporel (le "corpo" dans le jargon des avocats) et là, une fois la condamnation acquise, condition préalable du droit à indemnisation, je céderais la place à un confrère spécialisé en la matière. Mais cette réserve n'est pas une exception : je sortirais du domaine de ma compétence.

Dès lors, l'engagement de l'avocat, son attachement à son dossier, relève bien plus de la relation humaine qu'il a établi avec son client, qui peut parfois être très forte quand la confiance et le respect sont mutuels, plus que des valeurs en cause. Quand je défends un voleur, je n'attaque pas le droit de propriété. Je n'approuve pas ses actions et ne blâme pas la société de tolérer qu'Untel possède plus que Telautre. Mais je le défends avec passion, et mets tout en oeuvre pour lui éviter une sanction disproportionnée – voire toute sanction si le dossier justifie une relaxe. Et tous les dossiers ne sont pas tous blancs ou tout noirs, surtout ceux que connaît la cour d'assises.

La première fois que j'ai entendu Philippe Bilger requérir, j'étais encore étudiant en droit. Tout comme les jurés, j'ai bu ses paroles et l'ai suivi, presque main dans la main, du début à la fin de son raisonnement. Il s'agissait d'une affaire de meurtre, un homme passionnément amoureux de sa femme, qui était elle aussi passionnément amoureuse. Mais d'un autre. Il lui avait sacrifié toutes ses économies pour lui payer un restaurant qu'elle allait diriger. Un soir, je crois que c'était celui de l'inauguration, il est arrivé au restaurant et a surpris sa femme en train de fêter joyeusement le lancement de sa petite entreprise avec son amant. Fou de rage, il est allé dans la cuisine, a attrapé le plus grand couteau qu'il a vu et après voir poursuivi son cocufieur dans la rue, lui a enfoncé le couteau sous les côtes, le tuant sur le coup. Indiscutablement, il y avait meurtre. La préméditation avait été écartée, le fait d'aller chercher un couteau sous le coup de la colère ne pouvant relever de la froide détermination que suppose la préméditation. Et Philippe Bilger, dans ses réquisitions, a commencé par défendre l'accusé. Non, ce n'était pas un meurtrier par nature. Sa violence extraordinaire était due à des circonstances extraordinaires : le désespoir d'un homme qui, pour sauver son amour, avait sacrifié ses biens à son épouse, qui le payait fort mal de retour. Malgré ces faits, l'accusé ne présentait pas une dangerosité qui nécessitait une peine d'élimination. Il avait donc requis huit ans, m'avait convaincu que c'était la peine adéquate, et c'est exactement ce qu'a décidé la cour.

Philippe Bilger sait donc très bien que la sévérité systématique ne se justifie nullement, et sait fort bien s'y retrouver dans le clair-obscur qui le dérange pourtant chez nous.

Reste le cas extrême cité par celui qui a inspiré cette note : celui de Charles Libman assistant la famille des victimes et par son talent, peser dans le sens de la peine capitale, qui sera finalement prononcée. Là, il y a contradiction entre une conviction personnelle profonde et le résultat recherché.

Cette situation est pour moi toute théorique, qui ai prêté serment bien après la loi n°81-908 du 9 octobre 1981.

« Je n'avais pas le droit d'être tendre avec mes adversaires. Cela aurait été trahir ma mission d'avocat. » Telle est la réponse de Charles Libman.

Peut être y a-t-il choc des générations, pour moi qui n'ai pas connu la guerre et les audiences d'assises où planait l'ombre de l'échafaud, tandis que Charles Libman a connu les deux. Mais je me sens incapable de cette intransigeance inflexible.

Elle n'est pas inhérente à la profession d'avocat, et c'est là je pense, avec tout le respect que j'ai pour lui, que Philippe Bilger se trompe. On peut plaider toute sa vie, et bien la gagner sans devoir se mettre en porte à faux avec ses valeurs.

Peut être que ce que cette affaire a révélé en 1969, c'est qu'à l'époque, Charles Libman n'était pas l'adversaire aussi farouche de la peine de mort qu'il l'était aujourd'hui. Sans doute son hostilité de principe s'accommodait d'exceptions dans certaines affaires particulièrement répugnante, comme l'affaire Olivier l'a semble-t-il été. Je ne le blâme pas. La question de la peine de mort ne se résume pas à un débat binaire oui/non. Vouloir son rétablissement comme avant 1981 n'est pas la même chose que le souhaiter pour des cas plus restreints qu'avant, et entouré de plus de garanties procédurales. Il n'y a pas contradiction absolue à être hostile à la peine de mort en 1969 et accabler un accusé qui la risque. Rares sont les avocats qui avaient une conviction aussi inflexible que celle de Robert Badinter, qui osa plaider pour Patrick Henry dans la salle même où Bontems fut condamné à mort.

Et rétrospectivement, en revendiquant son devoir de ne pas être tendre avec ses adversaires à peine de « trahison », Charles Libman me semble pudiquement répugner à exprimer qu'au fond, il regrette de ne pas s'être mutiné. Car l'accusé n'est pas notre adversaire, ni notre ennemi. Nous ne sommes pas des poilus dans leur tranchée qui doivent tirer ou être fusillés.

Alors, oui, il est parfois dur d'être avocat, et il fut un temps où c'était encore plus dur.

Mais pas plus qu'on n'est magistrat par hasard, on n'est avocat par accident.

Notes

[1] C'est une métaphore, mon cabinet est équipé d'une sonnette électrique du dernier cri.

mardi 13 septembre 2005

Du rififi à la cour d'assises de Créteil

La cour d'assises de Créteil a tenté, en vain, de juger Jean-Claude Bonnal, dit le Chinois, cette semaine. La presse a rapporté sans toujours le comprendre l'incident déclenché par les avocats de la défense. Beaucoup de journalistes, soit qu'il soient sensibles à la frustration des parties civiles, soit qu'ils soient eux même déçus de ne pas avoir à couvrir ce procès, ont eu des commentaires peu amènes pour mes confrères du banc de la défense.

Une fois n'est pas coutume, c'est dans Libération (édition du 13 septembre 2005) que j'ai trouvé l'article qui a sans doute le mieux analysé l'incident (bravo à Marc Pivois). Sans avoir parcouru tous les organes de presse, je donne le Lol d'or, le prix du commentaire le plus creux, au chroniqueur judiciaire de France Info qui s'est contenté de résumer l'incident par "le procès n'a pas dépassé le stade de l'incident de procédure".

Ce qui s'est passé est intéressant à analyser. Il s'agit d'un bras de fer entre la présidente de la cour et la défense, et c'est, pour une fois, cette dernière qui a gagné, grâce au code de procédure pénale. Et les avocats de la défense ont bien fait leur travail, quelque sympathie qu'on puisse légitimement avoir pour les familles des victimes de ces terribles faits. Mais le bras de fer avec l'institution judiciaire continue comme le montre les derniers développements de cette affaire, où le parquet vole au secours du siège selon le principe de "à code de procédure pénal, code de procédure pénale et demi".

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jeudi 11 août 2005

L'appel des décisions des cours d'assises

Décidément, Alain est le documentaliste de ce blog : il me signale un nouvel article dans Le Monde qui publie une analyse de fond sur les appels de cours d'assises, article qui, comme tout ouvrage journalistique sur la justice, nécessite des précisions et des rectifications.

Cet article est intitulé Les appels de verdicts de cours d'assises relèvent du pari, in Le Monde du 11 août 2005, auteur : Nathalie Guibert.

J'utiliserai la même méthode que mon précédent billet : citation/commentaire, en mettant en italique les passages du paragraphe qui me font réagir.

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lundi 4 juillet 2005

Le droit, c'est magique

Dans à peine deux semaines, j'aurai entre les mains le sixième tome de Harry Potter. Voilà à quoi ça sert de bien bosser en anglais au collège : pas besoin d'attendre noël.

Pour tromper mon impatience et rendre hommage à cette formidable série, je vous propose un petit exercice de style, qui n'intéressera que les lecteurs de la série, enfin uniquement ceux ayant lu le 5e tome, Harry Potter et l'Ordre du Phénix. Si vous ne l'avez pas encore lu, désolé, arrêtez là votre lecture, je vais révéler des aspects du début du livre qu'il est mieux de découvrir au fil de la lecture.

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mardi 29 mars 2005

Irresponsabilité pénale : la démence

L'acquittement récent de Michel Perroy a de nouveau mis la question délicate de l'irresponsabilité pénale sur le devant de la scène.

Un petit point sur l'irresponsabilité pénale me paraît nécessaire, tant l'acquittement de quelqu'un qui a frappé sept personnes à coups de couteau, dont un enfant de 5 ans, a de quoi causer un émoi dans l'opinion publique.

Le Code pénal prévoit des cas où une personne qui a commis une infraction prévue et réprimée par la loi n'est pas pénalement responsable, c'est à dire doit être acquittée si c'est un crime, relaxée si c'est un délit ou une contravention, ou bénéficier d'un non lieu dès l'instruction. Ces cas sont limitativement énumérés aux articles 122-1 à 122-8 du Code pénal.

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lundi 14 février 2005

Politiquement correctionnel

Audience devant la chambre des appels correctionnels.

Le prévenu a fait appel de sa condamnation par le tribunal correctionnel. Il est accusé (et vous verrez que j'emploie ce terme qui a un sens technique précis à dessein) d'avoir fait irruption dans une agence bancaire, et de s'être fait remettre des fonds sous la menace d'un pistolet.

Le butin est plutôt modeste (de l'ordre de 6000 euros) mais une circonstance des faits est particulièrement révulsante : une des clientes présentes était une femme enceinte de sept mois et le braqueur, pour faire pression sur le personnel, a posé le canon de son arme sur le ventre de celle ci, menaçant de tirer sur le foetus.

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dimanche 16 janvier 2005

Le juge et la peine

Cette note a été inspirée par un commentaire sous le billet "deux poids, deux mesures, une démagogie", qui abordait la difficile comparaison des peines prononcés pour des faits différents (ce d'autant plus quand on ne connait pas le détail des faits ou la personnalité du condamné).

Il s'agit d'un billet à quatre mains, co-rédigé par un avocat, Eolas, et un magistrat, Anaclet de Paxatagore (Oui, ce sont des pseudos) qui la publiera également sur son site.

Comment les peines sont-elles déterminées en France ? A travers cette question, c'est le thème de l'arbitraire du juge qui se pose, étant entendu que le terme arbitraire n'a rien de péjoratif ici : le mot vient d'arbitre et désigne étymologiquement une décision prise par une personne neutre (un arbitre) sans qu'elle ait à s'expliquer sur son choix.

Quelle est la part de cette liberté du juge, et dans quelle mesure cette liberté peut elle s'avérer être un danger pour un autre principe fondamental : l’égalité des citoyens face à la loi ?

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jeudi 30 décembre 2004

Outrages

Ce billet est une réponse à trois commentaires sous le billet deux poids, deux mesure, une démagogie.

Manning ouvrait le ban en invoquant l'histoire de cestui là, condamné à deux mois de prison ferme pour avoir craché sur une voiture qui s'est avérée être celle d'un procureur. Il y voyait une justice de notable, totalement hors de proportion.

Une brève recherche m'a permis de retrouver la brève d'où était tirée l'information, dans L'Alsace Le Pays.

J'apprenais ainsi qu'en fait le prévenu venait d'être condamné à une peine avec sursis, et attendait à la sortie du dépôt le passage d'un ami, condamné à de la prison ferme. Voyant le procureur qui venait de requérir contre lui et son ami sortir, il a craché sur le véhicule. L'article ne donne pas plus de détail :a-t-il été condamné à une peine de prison ferme pour cela, ou plus probablement, a-t-il eu une révocation de sursis ? Toujours est-il que pour avoir craché sur la voiture d'un magistrat, ce jeune homme a été en prison.

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