Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Leçon de vie

Cabinet du juge d'instruction de permanence, interrogatoire de première comparution, dans la foulée de l'arrestation.

Le juge : Monsieur Machin, vous avez été arrêté par une patrouille de police appelée par des clients du bar tabac le Bartaba, qui ont indiqué que trois personnes étaient entrées et tenaient en respect les employés de ce commerce sous la menace d’armes de poing.

Le mis en examen : Hein ? Non, c’était des pistolets.

Le juge : oui, des armes de poing, ce sont des pistolets. Vous vous êtes rendus sans résistance et c’est compréhensible, les pistolets se révélant être des faux.

Le mis en examen : ouais, c’était des jouets, M’sieur.

Le juge : Des jouets très bien imités. La femme du patron a eu tellement peur qu’elle a fait un malaise et a dû être hospitalisée.

Le mis en examen garde le silence, regarde pensivement par la fenêtre. Visiblement, il s'en fiche.

Le juge reprend : lors de votre arrestation, vous aviez emporté la recette, soit 880 euros en billet, plusieurs cartouches de cigarettes, et tous les tickets à gratter. Et je vois dans le dossier que me transmet le parquet que ce n’est pas votre premier braquage, vous avez déjà braqué un autre bar tabac il y a 6 mois.

Le mis en examen sourit : ouais, M’sieur le juge, mais on était venu trop tôt le matin, on avait pu emporter que 60 euros.

Le juge : Oui, là c’était en fin d’après midi, il y avait la recette de la journée. Vous apprenez vite…

On frappe à la porte. Le procureur entre. [1]Il vient soutenir la demande de placement de détention provisoire.

Le mis en examen pâlit, sa voix se brise en sanglots retenus : Quoi ? J’peux aller en prison ? Mais… c’était des jouets ? J... j'étais pas tout seul... On n'a blessé personne....

Le juge : La loi assimile à une arme tout objet qui, présentant avec une arme une ressemblance de nature à créer une confusion, est utilisé pour menacer de tuer ou de blesser ou est destiné, par celui qui en est porteur, à menacer de tuer ou de blesser (article 132-75 du code pénal). Si vous étiez plusieurs, vous êtes tous coauteurs, et ça peut même être une bande organisée, c'est pire encore. Et si vous aviez blessé quelqu'un ou pire, ç'aurait été encore plus grave. Ne croyez pas que quand on ne blesse personne, on s'en tire. Monsieur le procureur, je vous écoute.

Le procureur est bref et efficace pendant que le mis en examen est agité de sanglots : c’est le 2e braquage en six mois, le vol à main armé est un crime, le mis en examen a montré qu’il ne réalisait pas la gravité des faits, un contrôle judiciaire serait insuffisant.

L’avocat fait ce qu’il peut : il sait que la détention est inévitable, son client s’est coulé tout seul par son attitude.

Le juge ordonne le placement en détention provisoire. Le mis en examen se met à chialer comme un môme.

Normal.

Il a treize ans et demi.

Notes

[1] Cette scène se déroule avant la réforme du 15 juin 2000 et la création du juge des libertés et de la détention ; le juge d'instruction décidait du placement en détention provisoire au cours d’un débat contradictoire dans son cabinet.

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