Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Vacances judiciaires, vacance de la justice

Je suis en colère aujourd'hui.

J’ai assisté ces jours ci à deux audiences de vacation, comprendre dirigées par un magistrat qui n’est pas le président habituel de la chambre. Deux affaires distinctes, deux présidents distincts : un homme, une femme, un jeune, un vieux, et la même méthode de direction d’audience qui donne envie de commettre un outrage à magistrat.

Quelle méthode ? L’engueulade complète et systématique. Tout le dossier n’est lu que dans un sens contraire à l’intérêt du prévenu, qui est condamné d’avance et méprisé en sa personne.

Les questions ne sont posées que pour l’enfoncer, et s’il a le malheur de vouloir y répondre, il se fait couper la parole en se faisant traiter de menteur (2e président) ou de voyou (1er président).

Les procès verbaux de la police contiennent nécessairement la Vérité car « les policiers sont assermentés »(sic). La bonne blague ! Nous autres avocats prêtons également serment : je voudrais que le tribunal en tirât la conclusion que tout ce que nous disons est vrai ! On en est loin.

Soumis à ce dur traitement, le prévenu perd son calme tôt ou tard (hélas, pas les avocats présents, sommes nous blasés à ce point ?), ce qui est utilisé contre lui par un procureur tout surpris de voir le président faire son travail à sa place.

Un président a même annoncé à un prévenu « Vous allez voir comment le tribunal traite les voyous de votre espèce, vous allez voir, ha ça oui »… avant de rajouter aussitôt, voyant que l’avocat se levait pour protester, « même si vous êtes toujours présumé innocent, bien entendu, tant mieux pour vous ».

L’avocat n’est pas non plus laissé en paix. Le tribunal, en juillet, est en guerre contre tout le monde, il a des comptes à régler avec le Barreau.

Tel avocat qui dépose des conclusions en nullité se fait tancer par le président qui lui reproche de ne pas les avoir déposé la veille au greffe. Alors qu’il n’est même pas tenu de déposer des conclusions écrites, et que l’usage a toujours été de les déposer en début d’audience, ce qu’il a fait.

Tel autre se voit mettre en cause par le tribunal (" si l'avocat de la défense avait fait son travail...") parce qu’il n’a pas conseillé à son client, qui prétend que la rixe qui l’amène devant le tribunal est due au vol de son portable par la victime, d’aller porter plainte au commissariat ce qui aurait apporté la preuve de la réalité du vol.

On croit rêver. Je sais fort bien ce qu’aurait dit le président si tel avait été fait : « Mais cette plainte ne contient que vos déclarations, ça ne prouve rien, vous êtes un voyou et un menteur ! ».

La suite le prouve : l’avocat qui connaît quand même son travail quoi qu’en pense le tribunal produit une attestation de l’opérateur qui reconnaît qu’on lui a demandé de suspendre la ligne le jour des faits. Réponse du président : « Mais cette attestation ne précise pas l’heure à laquelle cela a été fait, ça ne prouve rien ».

L’avocat proteste que son client était à l’hôpital à la suite de la rixe, où il a été placé en garde à vue, que dès lors il est absurde de supposer qu'il aurait suspendu sa ligne quand il était encore en possession de son téléphone et qu’il lui était impossible de le faire lors de la garde à vue, qu’on peut donc en déduire raisonnablement que cet appel a nécessairement eu lieu au cours de l’heure passé à l’hôpital, rien n’y fait. La preuve est écartée : le vol préalable du téléphone n’est pas prouvé, donc c’est lui qui a provoqué la rixe et a menti ensuite pour inventer un prétexte. Coupable, lourdement condamné.

Enfin, et c’est là le pire, les juges en question ne sont pas des pénalistes.

Comment sinon expliquer qu’un juge réussisse à rejeter une nullité de procédure tirée de la notification tardive des droits du gardé à vue effectuée près de huit heures après le début de celle-ci ? Les policiers prétendaient que son état d’ébriété était tel qu’il ne comprenait pas ce qu’on lui disait. Mais ils ont fait un prélèvement sanguin (avec le consentement du gardé à vue supposément ivre mort, mais pas assez pour ne pouvoir consentir à un tel examen, cherhcez l'erreur) qui a révélé 0,74 grammes d’alcool par litre de sang et négatif aux stupéfiants : il y a peu, il aurait pu conduire légalement dans cet état ! C'est une preuve objective, scientifique ! Pas grave. La police a dit que, donc c’est vrai, procédure valable (annulée par la suite par la cour d'appel ai-je appris depuis).

Comment expliquer que cette autre procédure soit validée alors qu’il n’y a pas du tout de notification, et que le tribunal ose prétendre que le prévenu est resté de son plein gré vingt trois heures et cinquante minutes d’affilée au commissariat ?

Vivement septembre et que nos juges habituels reviennent.

Je conclurai cette note en adressant à ces piètres juges le même mot de la fin qu’a eu un de ces présidents à un jeune homme de 19 ans, sans casier judiciaire, à qui il venait de coller un an de prison dont quatre mois ferme pour sa première bagarre : « Allez, ouste ! »

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