Tu pipoterais pas un peu, toi ?
Par Eolas le lundi 8 août 2005 à 12:56 :: Dans le prétoire :: Lien permanent
Les dossiers sont assez simples, condition sine qua non pour être utilement jugés en comparution immédiate. On le lit très vite, mais avec un oeil aiguisé : d'abord, on vérifie la procédure. Qu'est ce qui est à l'origine de l'arrestation ? Les policiers avaient-ils un motif légitime d'interpeler le prévenu ? Sa garde à vue lui a-t-elle été notifiée avec les droits afférents, dans les délais ? A-t-il eu un interprète s'il en avait besoin ? Les délais sont-ils respectés (24 heures, renouvelables une fois, plus 20 heures une fois déféré pour être vu par un juge) ? Une fois qu'un "oui" s'impose tristement à chacune de ces questions, ce qui est fréquemment le cas convenons en, on jette un coup d'oeil au casier judiciaire, qui nous indique si on se dirige vers du ferme ou pas, et on lit les procès verbaux relatant les faits : plainte de la victime ou constations des agents en patrouille, audition du prévenu, parfois un témoin.
Et là, je tiens à briser un des mythes qui a la peau dure sur la profession : celui de l'avocat-complice du client. C'est l'image complaisante du filou qui reconnaît son pair en face et lui chuchotte la vérité, tandis que l'avocat lui tricote instantanément un mensonge crédible qui corrobore son récit sans être démenti par le dossier. L'avocat, architecte en mensonge, en somme. Sans doute le cliché le plus répandu dans les séries télévisées.
Les clients nous mentent.
D'abord, la plupart d'entre eux sont des routards des comparutions immédiates, qui n'ont que peu de considération pour les avocats commis d'office, considérés, cliché n°2 sur la profession, comme des avocats trop mauvais pour avoir une clientèle payante. La seule utilité qu'ils voient en nous, c'est testeur de baratin. Ils nous racontent leur boniment, écoutent nos remarques dubitatives comme révélant les points faibles de leur récit, récit qu'ils n'hésiteront pas à présenter largement modifié à l'audience. L'art de l'avocat étant de rester impassible à l'écoute de cette nouvelle version, et de modifier mentalement son ébauche de plaidoirie pour s'adapter sans que le tribunal s'en rende compte ni se mélanger les pinceaux, tout en traitant son client éphémère de noms d'oiseaux empruntés au lexique fleuri du Capitaine Haddock.
Très souvent, dans un entretien qui dure 10-15 minutes, j'en passe les deux tiers à engueuler mon client pour le fait d'insulter mon intelligence à raconter des histoires pitoyables qu'un président de chambre spécialisé dans les comparutions immédiates entend dix fois par jour, et lui démontrer que ses mensonges ne sont pas crédibles, sachant que quand son récit est crédible, je ne suis pas sûr que ce ne soit pas aussi un mensonge, mais mieux trouvé.
Je crois que le numéro un au top 50 du mensonge le plus entendu est celui du dealer, arrêté en train de vendre, qui est trouvé en possession de plusieurs centaines d'euros en liquide, qui pour les justifier dit que ce sont "ses économies". Pas loin derrière sont les mensonges sur l'identité et la nationalité, qui peut faire effectivement obstacle à une mesure d'expulsion.
Encore faut-il être un tant soit peu crédible, et pour l'avocat, être assez cultivé pour découvrir le mensonge avant que ce ne soit le président qui le fasse.
Témoin ce prévenu qui avait affirmé à la police être égyptien. Il était déjà connu sous divers alias, la plupart marocains. Il avait d'ailleurs un fort accent de ce pays. Le président lit le procès verbal d'audition et lui demande innocemment : "Ainsi, vous déclarez que vous êtes égyptien, mais vous ne parlez pas la langue ?"
- Non, Monsieur le Président, je suis parti très jeune, j'ai tout oublié.
- Mais vous parlez arabe ?
- Oui Monsieur le Président.
Les trois juges se regardent en souriant. Le prévenu ignore qu'en Egypte, la langue officielle est l'arabe.
- Dites moi, qui est le président de l'Egypte ?
- Heu... Je sais pas.
- Allons, cela fait 25 ans qu'il est au pouvoir. Je veux bien que vous soyez parti il y a longtemps, mais quand même.
- Heu... Non, mais je me souvient de son prédécesseur.
- Ha ? Et c'était qui ?
- Nasser.
Re-sourire des juges. Il ne connaît pas Sadate. L'avocat de la défense semble réaliser que quelque chose lui a échappé.
- Et la capitale de l'Egypte, c'est quelle ville ?
- Heu... Je sais pas.
- Bon, on ne vas pas jouer à question pour un champion, non plus. Ha, si, une dernière question : qui est le roi du Maroc ?
Le visage du prévenu s'illumine :
- Mohamed VI !
Il réalise trop tard sa bourde, et finit par admettre qu'il est bien marocain.
Après la plaidoirie de son avocat, le président lui demande conformément à la loi s'il a quelque chose à ajouter.
- Ben... C'est qui le président de l'Egypte, alors ?
Comment voulez vous qu'on se fâche avec des prévenus pareils ?
Commentaires
1. Le lundi 8 août 2005 à 14:59 par Porfi
2. Le lundi 8 août 2005 à 15:11 par djehuti
3. Le lundi 8 août 2005 à 16:39 par Fabi
4. Le lundi 8 août 2005 à 17:40 par immortel95
5. Le mercredi 10 août 2005 à 02:57 par Maxime
6. Le mercredi 10 août 2005 à 10:09 par Eugène Etienne
7. Le mercredi 10 août 2005 à 20:24 par dda
8. Le mercredi 10 août 2005 à 23:51 par Apokrif
9. Le jeudi 11 août 2005 à 00:26 par Franck
10. Le mardi 16 août 2005 à 10:29 par Sébastien
11. Le lundi 22 août 2005 à 11:29 par karak
12. Le mercredi 24 août 2005 à 03:56 par Lunar
13. Le mercredi 24 août 2005 à 10:24 par Gagarine
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15. Le vendredi 20 janvier 2006 à 12:17 par Salomon Ibn Gabirol
16. Le lundi 20 février 2006 à 08:51 par nizar