Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Encore de l'information de qualité

Libération salue à sa façon la mort du 16e Chief Justice, William Rehnquist, président de la cour suprême des Etats Unis, en tentant de battre le record d'inexactitudes au centimètre carré de papier journal.

La Cour suprême des Etats-Unis décapitée (Libération du 5 septembre 2005, auteur : Philippe Grangereau).

La Cour suprême des Etats-Unis, qui a compétence pour déterminer les orientations de la société sur des sujets tels que la peine de mort, l'avortement, la liberté de la presse ou l'euthanasie, vient de perdre l'un de ses membres. Sur ses neuf juges, il n'en reste désormais plus que huit (...)

Impressionnant. Relevons donc les quelques erreurs contenus dans ces premières lignes.

  • La cour suprême n'est pas décapitée.

Certes, il s'agit d'une métaphore journalistique (qui se distingue de la métaphore littéraire en ce qu'elle n'a pas besoin d'avoir de sens) : la Cour Suprême a perdu son Président, celui qui est à sa tête, donc décapitée. Mais outre le fait que Rehnquist est mort de mort naturelle, ce que la décapitation n'est pas, un corps décapité ne peut plus fonctionner (c'est même généralement le but de l'opération). Or la Cour suprême des Etats Unis peut valablement statuer avec un quorum de six membres. Donc le décès de Rehnquist n'entravera en rien le fonctionnement de la cour suprème.

  • La Cour suprême n'a pas compétence pour déterminer "les orientations de la société sur des sujets tels que la peine de mort, l'avortement, la liberté de la presse ou l'euthanasie".

C'est grotesque. La Cour suprême a compétence pour juger "tous les cas de droit et d'équité ressortissant à la présente Constitution, aux lois des États-Unis, aux traités déjà conclus, ou qui viendraient à l'être sous leur autorité ; à tous les cas concernant les ambassadeurs, les autres ministres publics et les consuls ; à tous les cas relevant de l'Amirauté et de la juridiction maritime ; aux différends auxquels les États-Unis seront partie ; aux différends entre deux ou plusieurs États, entre un État et les citoyens d'un autre, entre citoyens de différents États, entre citoyens d'un même État revendiquant des terres en vertu de concessions d'autres États, entre un État ou ses citoyens et des États, citoyens ou sujets étrangers" (Constitution des Etats Unis, article III, section 2).

Bien sûr, il arrive que dans certains arrêts, qui ne tranchent que le litige qui lui est soumis, la Cour suprême estime que tel principe ou tel droit est protégé ou contraire à la Constitution. Mais à chaque fois, il s'agit de droits, et non "d'orientations de société". Jamais la Cour suprême n'est saisie d'une demande visant à établir telle ou telle orientation de société. Si de tels choix devaient être faits, ce serait par le pouvoir législatif.

Si le journaliste cite ces exemples, c'est que la Cour suprême a eu l'occasion de se prononcer sur ces droits : la peine de mort a été jugée anticonstitutionnelle par l'arrêt Furman v. Georgie en 1973 avant d'être rétablie par l'arrêt Gregg v. Georgie en 1976, après que les réserves émises par la cour eurent été levées ; l'avortement a été jugé comme un droit constitutionnel par l'arrêt Roe contre Wade (1973) ; la liberté de la presse a été abordé par biens des arrêts, comme Branzburg v. Hayes (1972), ou Miami Herald Pub. Co. v. Tornillo (1971). L'euthanasie n'a en revanche pas été abordée à ma connaissance par la cour suprême, l'affaire Terri Schiavo n'ayant pas atteint cette cour. Seule une affaire concernant l'Oregon est pendante sur ce thème, afin de savoir si une telle législation est de la compétence des Etats ou de l'Etat fédéral. Pas si c'est une orentation de société souhaitable ou non.

  • Il ne reste pas huit, mais sept membres à la cour suprême.

l'Associate Justice Sandra Day O'Connor a annoncé le 1er juillet 2005 qu'elle se retirait. Le processus de nomination de son successeur est en cours et n'est pas achevé. Il y avait donc bien une vacance avant le décès de Rhenquist, qui porte à deux le nombre de sièges vacants. La conséquence de ce décès est que le président Bush a aussitôt promu le juge John Roberts, qui devait succéder à O'Connor, comme candidat au poste de Chief Justice. Rappelons le jeune âge de Roberts (50 ans), ce qui annoncerait sans doute l'un des plus longs règnes de Chief Justice de l'histoire des Etats Unis. Et en plus, cela donnera au petit nouveau une réputation de chouchou du président : à peine arrivé, c'est lui le patron, alors qu'il est le plus jeune. Je parie qu'il se recevra des petits pois sur la tête à la cantine de la cour.

Bref, pour tout savoir sur ce qui se passer Maryland Avenue, c'est sur le blog de Paxatagore qu'il faut aller.

La discussion continue ailleurs

1. Le mardi 6 septembre 2005, 00:10 par Droopy au pays des pensées

S'il y a une chose que j'aime...

Je dis ça avec d'autant plus de facilite que j'ai fait partie de cette profession... Il arrive que le journaliste s'egare stylistiquement - ce qui est excusable, quoi que... Mais aussi sur le fond. Le "Journal d'un avocat" propose un exemple

2. Le mardi 6 septembre 2005, 00:46 par Diner's room

Après William Rehnquist...

Le décès du chief Justice Rehnquist ouvre une période décisive pour les Etats-Unis. A ce jour, le Président G. Bush doit nommer deux juges à la Cour Suprême. Le Juge Roberts, dont avait commenté la nomination ici est en phase de confirmation

Commentaires

1. Le lundi 5 septembre 2005 à 17:00 par Shift

En même temps Sandra Day O'Connor a annoncé dès la nouvelle du décès qu'elle reprendrait du service... on peut donc considérer qu'ils sont huit et non sept.

2. Le lundi 5 septembre 2005 à 17:01 par Bao-Ky

Petite précision, Justice O'Connor a dit qu'elle ne se retirait que lorsque son prédécesseur aura été désigné et confirmé par le Sénat. Or Roberts ne l'a pas encore été et viens en outre d'être désigné par Bush pour remplacer Rehnquist et non O'Connor. On ne sait pas encore qui la succédera ce qui veut dire qu'il y a bien pour l'instant 8 justices à la Cour Supreme.


8 Justices et deux procédures de nomination ? Voilà ce qui me chiffonne, mais on peut tout à fait estimer comme vous le faites qu'il y a bien huit Justices en place. A condition dans ce cas de préciser les raisons de ce calcul, ce que vous faites, mais ne fait pas Libé.

Eolas

3. Le lundi 5 septembre 2005 à 17:15 par K

Allez savoir si tout cela n'est pas la fait d'un SR un peu trop pressé quand il coupe.

4. Le lundi 5 septembre 2005 à 17:31 par BL

Décidemment, mes pauvres confrères de Libération écrivent trop vite... Mais n'oubliez pas que ce journal s'adresse à du grand public pour qui la précision juridique n'est pas la préoccupation majeure. Ainsi, même si Notre Maître a parfaitement raison lorsqu'il signale que la Cour Suprême n'a aucune compétence pour orienter les choix de société, il faut bien admettre que, dans la pratique, c'est tout de même un peu le cas ! Prenons un exemple. En France, l'abolition de la Peine de Mort a fait l'objet d'un vaste débat de société, d'un vote au Parlement, etc... Aux Etats-Unis, il y a juste eu un débat juridique sur la notion de traitement inhumain, appréciation tellement subjective que la Cour s'est, en quelque sorte, déjugée en interdisant puis en réautorisant la peine de mort, tout se jouant sur le fait que on a peut-être le droit de découper un criminel à l'épée laser mais à condition qu'elle soit bien affutée...


"ce journal s'adresse à du grand public pour qui la précision juridique n'est pas la préoccupation majeure". Says who ? Qui donc a décidé à Libé que la précision juridique n'était pas la préoccupation majeure de ses lecteurs ? Et si c'était le cas ? Permettez moi de penser que le succès, fut-il modeste, de mon blog, est dû précisément à la curiosité et au désir de comprendre précisément les problèmes juridiques de mes concitoyens. Je crains hélas que cette imprécision soit due à l'ignorance du rédacteur plus qu'à la paresse supposée des lecteurs.

Eolas

5. Le lundi 5 septembre 2005 à 19:02 par naf

Assez d'accord avec BL. Sans etre spécialiste du droit anglo-saxon, il me semble que la jurisprudence a un pouvoir de créer du droit beaucoup plus étendu que sur le continent. Sans aller jusqu'à dire que la Cour Supreme a compétence pour orienter des choix de société, son influence dans ce domaine est suffisamment grande pour que la succession de Rehnquist inquiète pas mal de monde au US.


Oui, la jurisprudence est créatrice de droit en common law, plus qu'en droit français (où quoiqu'on en dise elle est une source de droit, il n'est que regarder le droit de la responsabilité civile ou le droit administratif dans son ensemble), puisqu'il existe le principe du precedent (je n'ai pas mis d'accents exprès). Quand le même cas a déjà été jugé, le juge doit statuer de la même façon. Tout l'art des avocats étant alors de démontrer que cette affaire n'est pas identique à ce precedent si funeste pour eux, mais plutot conforme à celui-là qui reviendrait à leur donenr raison.

Quant à la succession de Rhenquist, on sait déjà qui est le futur Chief Justice. Ce sera assurément quelqu'un aux idées conservatrices, et dont les adversaires, ou ceux de Bush, feront iun abominable réac, prompt à interdire l'avortement, et enclin à condaner tout criminel à la lapidation à coup de table des dix commandements en marbre de Virginie. Ne croyez pas les catastrophistes qui vous serviront ces bien piètres analyses. Les juges à la cour suprême sont avant tout des juristes, pas des politiciens. Certains opposants rêvent d'imposer leur politique par la cour supreme faute de pouvoir l'imposer par le congrès : c'est le cas des pro-life/choice, et des adversaires de la peine de mort. De là à dire qu'elle accepte de gaité de coeur de jouer un tel rôle...Et cette cour version 2005 ne sera pas le temple de l'obscurantisme ultralibéral néo conservateur messianique qu'on vous annoncera ces prochains jours (je pense à Canal +). Pourquoi cet optimismes ? Parce que par exemple, la cour, en sa formation plénière incluant Rhenquist, présentée déjà comme la cour la plus conservatrice depuis l'âge de pierre, a rendu récemment un arrêt portant au droit de propriété privée un des plus rudes coups de son histoire, je pense à l'arrêt Kelo v. city of New London. Aux Etats Unis, rien n'est conforme aux caricatures. Lisez Paxatagore.

Eolas

6. Le lundi 5 septembre 2005 à 19:55 par Souplounite

Bravo Eolas ! Moi je retiens ses arguments et juge comme lui qu'il est honteux pour journal - surtout grand public - de ne pas veiller à l'exactitude (et même à la pertinence, tant qu'on y est - des informations qui sont rapportées. Les approximations, les a-peu-près, les en gros, c'est bon pour les journaux de lycée. Libé, qui fut autrefois un vrai journal, est aujourd'hui ) peu près aussi bien renseigné que Métro. Et oui. Pas difficile de faire de la réécriture de dépêches AFP - sans vérifier, ça vaut pas les coup, les lecteurs s'en foutent. Vraiment ? Alors pourquoi le nombre de lecteurs de quotidien diminue, alors ? Parce que les gens sont bêtes ? Je ne pense pas, au contraire. Je pense même que c'est ce genre d'a-peu-près qui les fait mépriser la presse.

Merci de ces précisions, Eolas. Et merci de rappeler ce qu'est la justice (au moins dans son principe, parce que dans les faits, hein !).

7. Le lundi 5 septembre 2005 à 22:02 par Gagarine

@Eolas : Pour vous paraphraser, cher confrère, je vous trouve bien catégorique pour affirmer tout de gob que l'arrêt Kelo v. city of New London aurait porté à la propriété privée l'un de ses plus rudes coups de son histoire. Il ne s'agit, après tout, que d'un arrêt décidant que l'autorité publique locale pouvait avoir recours à l'expropriation pour mener une opération d'aménagement public. C'est ce qui se passe dans n'importe quelle opération d'aménagement de type ZAC : on exproprie des gens pour réorganiser l'espace, et céder les biens expropriés à de nouveaux acquéreurs, ou à des promoteurs.

Par ailleurs, ces opérations d'aménagement sont généralement du Robin des bois inversé : prendre aux pauvres pour donner aux riches (pour citer O'Connor). On est donc bien loin d'un arrêt socialiste.


Vous faites bien de me reprendre. J'eusse dû préciser "aux Etats-Unis", où la propriété privée a joui d'une meilleure protection que dans notre république où elle est le droit de jouir des choses de la manière la plus absolue, si l'Etat n'y voit pas d'inconvénient.

Eolas

8. Le mardi 6 septembre 2005 à 00:38 par Emmanuel

"cour suprème", "record d'inexactitude", "erreurs contenus"

Eolas chercherait-il à battre le record du nombre de fôtes d'aurtografe au pixel carré de blog? ;-)


C'est là la supériorité de Libé sur moi : ce journal a des correcteurs a priori, je fais dans l'a posteriori.

Eolas

9. Le mardi 6 septembre 2005 à 00:56 par jules

Tiens, c'est amusant, je faisais justement l'observation de ce que l'imprécision avait été érigée en religion dans la profession journalistique, du moins dans les domaines juridiques et économiques (mais on me murmure que c'est le cas de toutes les questions scientifiques abordées auxquelles je n'entends goutte)...

dinersroom.free.fr/index....

La raison que j'y pointe (et qui m'a valu un commentaire sévère) : la nature de la formation reçue par les étudiants en journalisme. Certains de mes amis journalistes font également valoir les requêtes de leur rédaction quant aux attentes des lecteurs ; attentes que je juge fantasmées, car il me semblait que ceux-ci escomptaient de la part des organes d'information... de l'information.

10. Le mardi 6 septembre 2005 à 11:41 par marc

"Lisez Paxatagore". Malheureusement ledit Paxatagore énonce parfois aussi des énormités à faire pâlir Libération. Un exemple parmi d’autres, noté sur son blog le 28 août : "Pascal Lamy […] puise son inspiration : dans la social-démocratie allemande et non dans le socialisme (un mot marxiste au départ)." En fait la social-démocratie allemande était "marxiste au départ", alors que le mot "socialisme" est bien antérieur au marxisme.
Je ne suis pas certain non plus que vous fassiez preuve d’une grande rigueur quand vous prétendez que les adversaires de Bush feront du nouveau Chief justice "iun abominable réac, prompt à interdire l'avortement, et enclin à condaner tout criminel à la lapidation à coup de table des dix commandements en marbre de Virginie." Il s’agit là d’un procédé bien connu qui, sous couvert d’humour, consiste, pour discréditer une opinion raisonnable (une Cour suprême conservatrice sera prompte "à interdire l'avortement" ou du moins à en limiter sérieusement la possibilité), à la juxtaposer à une idée absurde ("condaner tout criminel à la lapidation à coup de table des dix commandements")


Si c'est là la pire énormité qu'ait jamais écrite Paxatagore, vous lui rendez hommage. Quant à ma figure stylistique, vous vous méprenez. L'effet de style ne visait pas à faire passer une idée raisonnable pour absurde par juxtaposition (mes lecteurs sont au dessus de ces effets médiocres, vous en êtes la preuve), mais à créer un effet de crescendo en partant d'une critique probable à une hyperbole sur une critique improbable, et pour tout dire, comique. Pour ma part, puisqu'il faut immanquablement être sérieux avec vous, je ne pense pas que la cour Roberts, même renforcée d'un autre conservateur, remettra en cause Roe vs Wade au point de remettre en cause le droit à l'avortement en tant que tel. De même que l'activité de la cour ne se résume pas, en trente années, à avoir rendu légal l'avortement. Et je reproche d'avance à ceux qui invoqueront cet argument contre la nomination de Roberts de le faire, car c'est utiliser la peur faute de pouvoir utilement recourir à la raison. C'est un procédé que je me refuse à employer pour ma part.

Eolas

11. Le mardi 6 septembre 2005 à 12:51 par guerby

"l'affaire Terri Schiavo n'ayant pas atteint cette cour" : la cour suprème des USA a explicitement rejetté le recours qui lui était adressé sur ce sujet, c'est à dire validé le jugement de la cour d'appel si je ne m'abuse, et vu l'ultra médiatisation du cas ca ne doit pas grand chose au hasard.

supreme.lp.findlaw.com/su...

"(ORDER LIST: 544 U.S.)

THURSDAY, MARCH 24, 2005

ORDER IN PENDING CASE
04A825 SCHIAVO, EX REL. SCHINDLER V. SCHIAVO, MICHAEL, ET AL.

The application for stay of enforcement of judgment pending the filing and disposition of a petition for writ of certiorari presented to Justice Kennedy and by him referred to the Court is denied. "

Laurent


Nous disons la même chose : la Cour suprême a refuse d'examiner cette affaire, elle n'a pas rendu d'arrêt. Cette affaire ne l'a donc pas atteinte. La cour ne s'est pas prononcée.

Eolas

12. Le mardi 6 septembre 2005 à 13:14 par Bertrand Lemaire

Argh ! J'ai failli avoir une crise cardiaque !
"Tiens, c'est amusant, je faisais justement l'observation de ce que l'imprécision avait été érigée en religion dans la profession journalistique"
Dieu merci ce n'est pas le cas ! Que je défende un peu mon honneur professionnel, que diable ! Cependant, il ne faut pas confondre des propos de spécialistes et des articles de la presse grand public. Libération, c'est vrai n'est pas le meilleur exemple (surtout depuis quelques temps). Mais, travaillant dans un journal d'informatique professionnelle, je relève fréquemment des choses qui me font frémir chez des confrères de la presse grand public ou économique. Je suppose que l'inverse est aussi vrai. Un journal normal a le niveau de précision demandé par ses lecteurs, ce qui est incontournable dans le cas d'une vulgarisation. Un manque de précision ne doit pas être confondu avec une erreur ou un contresens. Comme mentionné ci-dessus, même Notre Maître et ses propres références commettent quelques imprécisions sur des sujets qui ne sont pas leur tasse de thé habituelle (Darjeeling infusé 3 minutes, c'est ça ?). Selon le niveau de précision demandé par chacun sur chaque sujet, il convient donc de lire le(s) journal/aux approprié(s).
Sur mon site perso, il y a un petit texte qui fait le tour de la question (pardon pour la pub) :
www.bertrand-lemaire.com/...


Pas de problème : les liens sont automatiquement en "no follow"... Sur les journalistes, si je suis aussi pointilleux avec eux, ce n'est pas par mépris, mais par respect. J'ai la plus grande considération pour cette profession, qui est noble et indispensable, vitale même. Et précisément, je suis très sévère envers ceux qui ayant l'honneur d'appartenir à cette profession se laissent aller à la facilité en écrivant un "papier" se contentant de ressasser des lieux communs qu'un minimum de curiosité intellectuelle révélerait comme faux. Je ne demande pas aux journalistes de tout savoir sur tout. Mais de se renseigner eux même d'informer les autres. Car comment un ignorant peut-il informer autrui ?

Eolas

13. Le mardi 6 septembre 2005 à 14:07 par sircam

Bertrand,

Je ne peux personnellement pas souscrire à ton point de vue. La vulgarisation ou la simplification ne sont pas des raisons valables pour sombrer dans l'approximation.

"Un journal normal a le niveau de précision demandé par ses lecteurs"

Je suis Belge et je lis Le Soir et La Libre qui sont, si je ne m'abuse, des journaux "sérieux". Or, leurs imprécisions et erreurs grossières sont légions. Que puis-je lire d'autre ?

Récemment, un journaliste de La Libre écrivait, par deux fois dans le même article, qu'un règlement n'avait été "ni approuvé, ni improuvé". C'est à hurler ! Les exemples de ce type sont légions.

Les approximations coupables des journalistes sont dues à leur manque de formation. Je me souviens d'un procès médiatique du GIA à Bruxelles. Le réquisitoire, solide sur le fond, avait été prononcé de manière confuse et brouillonne par une magistrate manifestement mal à l'aise. N'importe quel étudiant en droit était à même de corriger les erreurs matérielles qu'il contenait. Mais tu peux imaginer les pauvres journalistes à la fin de l'audience, approchant les avocats pour demander des explications et s'échangeant fébrilement leurs maigres notes...

La réalité : rentabilité avant tout; il est plus facile de recopier des dépêches que de faire un travail de fond.

14. Le mardi 6 septembre 2005 à 14:38 par K

C'est incroyable toutes ces mauvaises intentions que nous prêtent les commissaires du peuple affectés au contrôle de la presse. A les écouter (les petits branleurs d'Acrimed en tête), nous ne serions qu'une brochette de valets dont le travail consiste à satisfaire les désirs de nos actionnaires. Mais ces gens-là ont-ils mis un jour ne serait-ce qu'un orteil dans une rédaction (celle de l'horrible Mondiplo ne compte pas) ?


Je ne me sens pas visé : je ne prête aucune intention, je constate le recours à la facilité. PS : j'aime beaucoup votre e mail.

Eolas

15. Le mardi 6 septembre 2005 à 14:43 par jules

Bertrand Lemaire, j'ai lu votre texte - puisque mon observation avait suscité votre incident cardiaque ;-)

Je suis globalement d'accord avec vos observations, si ce n'est que ce n'est pas la vulgarisation qui est en cause, mais l'imprécision et l'erreur. Il y en a.

Il y a un problème du journalisme en tant que tel, et un problème du journalisme français en particulier.

Sur le journalisme en général, le problème tient à ce que, comme vous le relevez, l'information délivrée est assujettie à une exigence de vérité, tout à la fois en raison du rôle qu'on lui assigne dans une société démocratique, et à cause de l'autorité qu'on su conquérir les media (sauf le web, comme vous le notez).

Pour cette raison, la responsabilité du journalisme par rapport à l'information qu'il donne n'est pas anodine, puisqu'il forme l'opinion du lecteur, de l'auditeur, ou du télespectateur. Par ailleurs, l'aspect unidimensionnel de l'information traditionnelle interdit le feddback des lecteurs (enfin, si elle ne l'interdit pas, il est rare qu'elle en tienne compte). J'ai l'expérience d'avoir écrit à plusieurs reprises à libération sur de grossières erreurs qui n'ont pas été modifiées. Mais on touche là davantage, je le crois, à la culture du journalisme français.

A cet égard, il me semble qu'elle est marquée par deux tendances complémentaires :

- une certaine indifférence à l'exactitude ; dans le doute, on écrit quand même, plutôt que de ne rien écrire. Par ailleurs, j'ai l'impression qu'il est rare que les journalistes se réfèrent à la source. Ainsi, le commentaire d'un texte de loi reposera souvent sur la lecture d'un communiqué de presse plutôt que de la lecture du texte lui-même. Vous en avez donné les raisons. Mais cela ne justifie pas les arguments d'autorité, et cela ne répond pas davantage aux exigences de la mission d'information dont la profession se dit investie. Je reconnais néanmoins que ma formulation était plus polémique que digne d'une position véritablement argumentée.

- La seconde tendance me semble liée à la première ; il s'agit de l'incapacité à concevoir que l'on n'est pas compétent dans un domaine. Au lieu de recourir à des spécialistes ou de confesser son ignorance, on préfèrera proposer un texte semé d'erreurs.

La consultation de la presse anglo-saxone, cependant, me laisse penser que cette tendance appartient pour l'essentiel à la culture française où la tradition de l'éditorialisme s'évince souvent du souci de rigueur informative (tendance à laquelle je cède du reste dans ce commentaire...). Dans les journeaux américains, l'éditorialisme est distingué nettement de l'information, et il n'est pas rare que l'information soit soumis au feu croisé de deux expertises contradictoires.


Marc,

Il y a sans doute chez Pataxagore comme dans d'autres blog des inexactitudes ; elles sont du reste relevées par ses commentateurs ce qui contribue à l'information du lecteur. Pour l'exemple que vous donnez, je ne suis pas certain de partager votre point de vue : si le socialisme est antérieur au marxisme, il ne se caractérisait pas par les aspirations social-démocrates. Il me semble que la social-démocratie est une doctrine issue des compromis de la fin du XIXe siècle, postérieurs, de ce point de vue, à la doctrine marxiste.

Concernant le conservatisme de Cour suprême, on sait aux Etats-Unis que l'avortement ne sera probablement pas un enjeu ; Roberts lui-même a dit qu'il lui semblait que cette position jurisprudentielle était, quoiqu'il puisse en penser d'un point de vue doctrinal et moral, un acquis de la jurisprudence de la Cour suprême.

La caricature d'Eolas répond à la présentation caricaturale qu'on fait parfois des juges conservateurs en France, présentation fort éloignée de la réalité. Il se trouve que sous la présidence de Rehnquist (et malgré l'opposition de ce dernier), la doctrine de Roe a été confortée, l'affirmative action n'a pas été mise en cause, les lois prescrivant les relations homosexuelles ont été déclarées contraires à la constitution, la peine de mort a été déclarée contraire à la constitution pour les mineurs. Comme rehnquist était un juge globalement hostile à ses évolutions, il est douteux que son remplacement modifie l'équilibre de la Cour à cet égard.

16. Le mardi 6 septembre 2005 à 16:07 par Bertrand Lemaire

Chers Sircam et Jules (mais est-on toujours dans le blog de Notre Maître ?)
"La réalité : rentabilité avant tout; il est plus facile de recopier des dépêches que de faire un travail de fond." C'est malheureusement exact. De même, je ne peux être d'accord avec le laisser-aller et le manque de rigueur de certains supports. Je ne jette cependant pas la pierre trop fort car nul n'est parfait en ce monde. Mais, par contre, je pense qu'il ne faut pas demander un support grand public une précision digne d'un journal spécialisé pour lecteurs experts d'un sujet. Il y a cependant un gros problème (spécifiquement français ?) qui est la légende selon laquelle un journaliste (ayant fait Sciences-Po et l'ESJ ?) est capable de faire des articles sur tout... un peu comme un Enarque est capable de diriger n'importe quoi ou un Polytechnicien est forcément le meilleur pour faire quoi que ce soit. Mais étant de formation gestion, je ne me sens pas visé par ceux qui souhaiteraient s'en prendre aux Sciences-Po/ESJ, aux Enarques et aux X... :-)

17. Le mardi 6 septembre 2005 à 16:10 par K

Cher maître, mon commentaire ne s'adressait pas à vous mais à Jules et Sircam.

Bien à vous

18. Le mardi 6 septembre 2005 à 16:17 par sircam

K > Pas plus qu'Eolas, je ne me sens visé. Pas plus que lui, je ne prête d'intention : je ne fais que constater et je motive mes propos.

Au passage, je ne suis pas un "commissaire du peuple".

19. Le mardi 6 septembre 2005 à 17:39 par jules

Je me sens davantage visé, du moins par la mention de mon nom, car je ne me souviens pas d'avoir mentionné les actionnaires quelque part. Enfin, je suppose que vous ne manquerez pas de contrarier l'opinion que je m'étais faite sur la facilité de l'imprécision journalistique en indiquant où vous avez lu cela.

Par ailleurs, pour répondre à votre question investigatrice, il se trouve que j'ai travaillé plusieurs semaines dans une rédaction, stagiaire discret et attentif. Mes commentaires d'aujourd'hui n'ont pas été contredit par cette expérience, il s'en faut de beaucoup.

A l'attention de Bertrand Lemaire : par goût, je consulte la presse spécialisée en informatique, et je vous accorde que les critiques que j'adresse à la presse généraliste ne tiennent pas. Certes, le contenu n'est pas toujours technique, mais, pour autant que j'ai pu en juger, l'effort de vulgarisation est exempts des défauts que je pointais plus haut.

20. Le mardi 6 septembre 2005 à 17:52 par Karak

Je n'ai qu'une chose à dire: MERCI... Le débat est riche et passionnant!! Laissons à Libération son "courrier des lecteurs" et rendons à Eolas ce qui lui appartient: le talent de provoquer de belles joutes oratoires...

21. Le mardi 6 septembre 2005 à 18:20 par K

Jules, l'allusion aux actionnaires répondait à l'allusion à la rentabilité évoquée par Jules.

Mais finalement, peu importe... Car je ne vois pas pourquoi je défendrais mes confrères "sérieux", ceux qui me méprisent, moi, le journaliste de presse de caniveau.

22. Le mardi 6 septembre 2005 à 18:36 par Eugène Etienne

Tiens, je soumets à votre appréciation cet attendu qui accompagne un refus de demande de remise en liberté (après deux ans et demi de détention dans une affaire criminelle pour empoisonnement d'enfant) :

" l'émotion qui subsiste ne pouvant qu'être ravivée par une remise en liberté prématurée de celui que, nonobstant la présomption d'innocence, une partie importante de la presse et de l'opinion publique considèrent depuis sa mise en examen comme le responsable du drame, et qui en tout cas reste à ce jour le seul suspect."

Une partie importante de la presse a pensé que le mis en examen était responsable du drame, elle a eu une influence sur l'opinion publique qui ne supporterait pas une remise en liberté, donc la juridiction attribue un pouvoir à la presse, puisqu'elle fonde son jugement sur celui-là.

Les mots dans un journal ont un pouvoir apparemment non, même sur l'administration judiciaire ?

23. Le mardi 6 septembre 2005 à 18:51 par jules

En quoi, K, vous vous êtes mépris, car je n'ai pas mentionné l'exigence de rentablilité, ni lui ai fait allusion (sauf à mettre mal exprimé). Mon propos visait pour l'essentiel à souligner la rapidité du travail journalistique (que je trouve peu conforme à l'exigence de rigueur), ainsi que (doublée de) le ton d'autorité qui inerve souvent leurs productions ; tout ceci, bien sûr, sous réserve des nuances que je n'ai pas apportées. Mais de "rentabilité", il n'était pas question.

Je ne vois pas du reste, pourquoi vous établissez une distinction entre des formes de journalisme que j'identifie mal, mais qui, je l'imagine, devraient être soumises l'une et l'autre aux mêmes exigences.

24. Le mardi 6 septembre 2005 à 19:39 par un passant

Quand K. parle des actionnaires, il ne s'adresse à personne ici en particulier mais fait référence à Acrimed (www.acrimed.org/), le site de critique des media qu'il cite d'ailleurs dans la même phrase. Personnellement je suis abonné à leur versant papier, PLPL (Pas Lu/Pour Lire: www.homme-moderne.org/plp... et je me tâte pour en reprendre pour 2 ans. C'est presqu'aussi bon que le courier des lecteurs de Rivarol (si si). En gros Bourdieu rencontre... Bourdieu, en plus violent et avec des attaques ad hominem dans tous les sens. Un régal, même si un peu bourratif au bout d'un moment. Faut aussi aimer la rhétorique marxiste.

25. Le mardi 6 septembre 2005 à 21:59 par K

Toutes mes excuses, Jules. Dans mon précédent commentaire, le second "Jules" aurait dû être un "Sircam" (voilà qui accrédite votre thèse sur la rapidité dénuée de rigueur des journalistes).

Quant au point relatif aux formes de journalisme, je faisais référence aux journaux qu'on qualifie souvent de "certaine presse" (et qui font bien bosser les avocats).

26. Le mardi 6 septembre 2005 à 22:05 par sircam

Je suis fort cité sur ce billet, cher K.

Je te sens un peu ironique; t'aurais-je vexé ?

27. Le mardi 6 septembre 2005 à 23:58 par K

Vexé certes non, j'ai l'habitude des donneurs de leçons :-)

J'arrête là, le blog du maître n'est pas le café du commerce. Merci de votre accueil, Eolas.

28. Le mercredi 7 septembre 2005 à 12:45 par Fred

vous êtes dur avec libé, c'est tout de même la conscience morale de l'univers ce canard

Comprenez un peu leur déprime du moment. Raffarin (leur fond de commerce) n'est plus là, depuis ils se demandent à quoi ils peuvent servir.

Ceci étant et sans vouloir polémiquer, on pourrait aussi faire un bétisier de certains avocats qui refond le procès à leur façon devant les caméras sur le perron du palais de justice..

C'est pas mal non plus!

29. Le mercredi 7 septembre 2005 à 13:57 par Della

Je ne suis pas d'accord avec votre conception de la "consience morale de l'univers"...

La ligne éditoriale de Libé ressemble de plus en plus à celle de M6 !

c'est vrai que l'information diffusée à un grand public ne souffre pas l'à peu près, la fonction pédagogique de l'information ne peut s'exercer convenablement si l'information en cause est tronquée.

c'ets presque le début de la manipulation !

30. Le mercredi 7 septembre 2005 à 16:33 par Fred

@Della, il y avait de l'ironie dans ma phrase.

31. Le mercredi 14 septembre 2005 à 23:30 par Apokrif

> Mais à chaque fois, il s'agit de droits, et non "d'orientations de société".

En théorie, oui. Dans la pratique, j'ai l'impression que dans les commentaires qui accompagnent la nomination des juges, il est question de leurs opinions politiques plus que de leurs compétences juridiques. D'ailleurs, on parle de la majorité libérale ou conservatrice de la Cour, comme s'il s'agissait d'une assemblée parlementaire.

32. Le samedi 17 septembre 2005 à 10:53 par Marie

Merci pour ces "instantanés de la justice et du droit". Je reviendrai lire vos billets.

Je viens de finir mes 2ères années de droit et je poursuis mon chemin en journalisme. Je me suis débattue très souvent avec l'aridité et la rigueur du droit mais je me rends compte aujourd'hui que cette expérience m'est (et me sera) très utile en journalisme où certains articles semblent privilégier les figures de style accrocheuses et négliger le fond au risque de provoquer des malentendus chez les lecteurs...

A la décharge des journalistes, il n'est vraiment pas évident de "décrypter" simplement un arrêt ou de comprendre la procédure... A fortiori dans "l'urgence" de l'actualité.

Marie (Belgique)

33. Le vendredi 23 septembre 2005 à 08:23 par NemR

Bonjour Eolas,

C'est un veritable plaisir de vous lire, à defaut de pouvoir nous oir à une audience.

Mais permettez moi de vous faire une remarque.

Voici le texte de liberation tel que vous le citez:


"La Cour suprême des Etats-Unis décapitée (Libération du 5 septembre 2005, auteur : Philippe Grangereau).

La Cour suprême des Etats-Unis, qui a compétence pour déterminer les orientations de la société sur des sujets tels que la peine de mort, l'avortement, la liberté de la presse ou l'euthanasie, vient de perdre l'un de ses membres. Sur ses neuf juges, il n'en reste désormais plus que huit (...)"

et en voici votre lecture:

"La Cour suprême n'a pas compétence pour déterminer "les orientations de la société sur des sujets tels que la peine de mort, l'avortement, la liberté de la presse ou l'euthanasie"."

N'auriez vous pas lu de travers?

Liberation dit que la Cour Suprême a compétences et vous semblez lire qu'il dit qu'elle ne l'a pas pour les mêmes compétences....

Quid?

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