Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Xavier Bertrand, nouveau prix Busiris

Photo : services du premier ministre.

C'est un grand honneur pour moi et avec une joie toute particulière que je remets à Xavier Bertrand le prix Busiris, mon émotion étant due au fait que j'ai eu le privilège d'être physiquement présent lorsque les propos objets de ce prix ont été tenus. Un prix Busiris en vrai, c'est impressionnant.

Ca commence par un froncement de sourcil inconscient. Une partie de votre cerveau qui vous dit "Attends... Il n'a pas dit ça ?". Aussitôt, vous sollicitez votre mémoire immédiate qui pourtant vous confirme la nouvelle tandis que le cerveau se concentre sur les propos qui continuent à être tenus et qui confirment également la nouvelle.

Un rapide coup d'oeil à votre voisin vous le montre lui aussi les sourcils froncés, l'incompréhension peinte sur son visage, tourné vers vous en espérant encore que vous allez lui dire "Non, il n'a pas dit cela". Las, quand il voit la même expression figurant sur votre visage, le doute n'est plus permis pour lui non plus. Vous regardez votre autre voisin, dont le sourire goguenard montre qu'habitué des contorsions verbales, il apprécie en connaisseur.

Vous vous tournez alors vers les journalistes présents, salivant d'impatience à l'idée de les voir se jeter sur l'énormité des propos. Las, leur visage détendus et inexpressifs montre que non, ils ne diront rien et ces propos passeront comme lettre à la poste.

Mais de quoi s'agit-il ?

Les propos peuvent être ouïs sur le site d'Europe 1, las guère pratique. Je n'ai trouvé que ce chemin là : sur cette page, cliquez sur PLAY. Un lecteur embarqué apparaîtra, il a tronçonné l'émission en tranches de quinze minutes. Cliquez sur suivant jusqu'à la tranche 19h30-19h45 (les premiers mots entendus sont "Parce que devenir propriétaire, ça apporte aussi des réponses, notamment pour la question de la retraite"). Glissez le curseur jusqu'à 3mn59, ou écoutez la discussion.

Interrogé par Alexandre Jardin venu poser la question "commentonfait.fr ?" aux candidats à la présidentielle sur le droit au logement opposable, qui voulait savoir comment un tel droit qui suppose une action en justice est une réponse à une question aussi urgente que le besoin d'un toit, Xavier Bertrand, ministre de la Santé et porte parole de Nicolas Sarkozy a tenu ces merveilleux propos :

La logique du droit opposable, c'est justement qu'on n'ait pas besoin de se tourner vers les tribunaux. Le droit au logement opposable, c'est en quelque sorte un peu cette épée de Damoclès pour montrer que l'on doit faire de ce droit non plus un droit virtuel mais un droit réel. C'est comme pour la scolarisation des enfants handicapés, c'est comme justement la garde des enfants. A partir du moment où vous savez que ce droit, vous pouvez le porter en justice, vous savez pertinemment que votre responsabilité politique et pas celle seulement de l'Etat, aussi des collectivités locales, c'est de créer ces places.

Alexandre Jardin n'étant pas sûr d'avoir compris lui demande donc :

Donc votre idée, c'est que... ?

Réponse du ministre :

C'est qu'à partir du moment où ce droit est inscrit [dans la loi], vous avez l'obligation de mettre en place le nombre de logements nécessaires.

Marine Le Pen s'exclamant "Ce n'est pas sérieux !", le ministre a jouté, d'un ton outré "Si, c'est sérieux". Et je vous assure qu'il n'a pas éclaté de rire.

Après la loi sur le CPE, le gouvernement a récidivé avec une nouvelle loi destinée à ne pas être appliquée, et Xavier Bertrand nous explique sérieusement que la loi crée un droit au logement, plutôt que des logements, afin qu'il y ait assez de logements pour que ce droit n'ait pas besoin d'être exercé. Tout en précisant qu'il s'agit là non pas d'un droit virtuel mais d'un droit réel.

Affirmation juridiquement (et logiquement) aberrante, teintée de mauvaise foi, et mue par l'opportunité politique plus que par le respect du droit. Les critères sont réunis. Félicitations donc à Monsieur le ministre de la Santé.

Commentaires

1. Le vendredi 2 février 2007 à 18:26 par Thesa

C'est à croire que les politiques ne lisent pas votre blog, Maître !

(Et toutes mes félicitations à Xavier Bertrand.)

2. Le vendredi 2 février 2007 à 19:04 par Mani

C'est beau les idées en action.

3. Le vendredi 2 février 2007 à 19:09 par Jules (de diner's room)

N'a-t-il pas ajouté - je n'ai pas le courage d'y revenir - qu'il ne s'agissait pas de se précipiter vers les tribunaux et qu'il fallait éviter la "judiciarisation" de la France ?

Tout ceci sachant que le projet de loi vise à créer un recours devant le juge.

4. Le vendredi 2 février 2007 à 19:35 par WS

Ne pourrait-on pas attribuer d'office un prix Busiris a toute personne prononcant les mots "droit au logement opposable" sans eclater de rire?

5. Le vendredi 2 février 2007 à 20:07 par Lavande & Coquelicots

Je détesterai plus que tout passer pour un défenseur zélé... mais :

Si tu as raison de pointer le fait que ce "droit opposable" (à l'égard duquel nous sommes tous dubitatifs pour ce qui est de son applicabilité) conduira forcément à une judiciarisation de cette question, Xavier Bertrand n'a-t-il pas raison de souligner que cette responsabilisation forcée des collectivités (qui auront effectivement à "répondre de", respondeo) devrait aussi inciter à la construction de logements supplémentaires ?

En somme, un Busiris juridique (c'est tautologique) mais qui pourrait avoir une véritable incidence politique, non ?

6. Le vendredi 2 février 2007 à 20:17 par Clems

Attendons surtout de voir le sort que vont lui faire subir les parlementaires...
La loi machin va être vidée de son contenu et son application renvoyée aux calendes grecques.

7. Le vendredi 2 février 2007 à 20:25 par nouvouzil

Pendant ce temps , sur le terrain, c'est apparemment un droit bien réel au non-logement opposable qui s'installe, avec la bénédiction de la préfecture

www.lemonde.fr/web/imprim...

Donc prix Busiris largement mérité.

8. Le vendredi 2 février 2007 à 20:35 par max

Cher Maître, puisque vous distinguer mon très cher ministre, je sollicite à votre attention cet arrêté sur les génériques:

www.cancava.fr/extranetrs...

Et plus particulièrement l'annexe 1, visiblement fumeuse pour peu qu'on cultiva les mathématiques, facilement excusable si l'on connais les laborieuses négociations, difficilement excusables si l'on ait cotisant.
Ceci dit, en l'occurrence, si une partie d'un arrêté est absurde, l'arrêté en lui même est-il atteint de nullité?

9. Le vendredi 2 février 2007 à 20:52 par BBBruno

Vous êtes sévère Maître. Sans doute que le discours est très imprécis voire juridiquement faux.

Mais son idée me semble claire, même si elle est un peu malheureuse.
En résumé, il pense que l'Etat suivra mieux sa ligne de conduite à partir du moment où les sanctions seront décidées par un contre pouvoir : la Justice.
Ca ne me semble pas illogique, au contraire. La nature humaine n'est pas parfaite : l'impunité incite fortement à ignorer les règles. L'Etat décide donc d'être "surveillé" par une entité indépendante.

Par contre, il est triste d'entendre un ministre expliquer que les pouvoirs publics sont incapables de remplir les objectifs qu'ils se fixent eux-mêmes.

10. Le vendredi 2 février 2007 à 21:17 par Frédéric Rolin

Entendu hier sur France INfo, dans la bouche d'un sénateur UMP : "il faut maintenant veiller à rendre ce droit opposable effectif"... no further comment

11. Le vendredi 2 février 2007 à 23:11 par Luc

@ Clems (#6) :
On doute que, même zélés, les parlementaires puissent vider de son contenu un projet qui n'en a aucun, puisqu'il n'est qu'un trompe-l'oeil (et le citoyen).

Il n'y a ni droit au logement ni - on le savait avant la confirmation de X. Bertrand - opposabilité quelconque. Que pourraient-ils donc retirer, hormis une apparence qui est l'essence même du projet

Autre chose : c'est effrayant ce que l'interface du site d'Europe 1 peut être mal foutue. Je ne savais pas que [Antoni Gaudi ( fr.wikipedia.org/wiki/Ant... ) avait conçu des interfaces de site web !

12. Le vendredi 2 février 2007 à 23:36 par waterloo

N'est-ce pas plutôt le porte parole de Nicolas Sarkozy plutôt que le ministre qui reçoit ce prix ?
Oui, je sais, je chipote ...

13. Le vendredi 2 février 2007 à 23:40 par Luc

Ceux qui n'auraient pas envie de se battre avec l'interface particulièrement infernale du site d'Europe 1 peuvent écouter Xavier Bertrand en ses oeuvres ici : www.francparler.eu/ (ils n'auront pas à chercher, il n'y a rien d'autre).

14. Le vendredi 2 février 2007 à 23:54 par Julien

Arrêtez, il a absolument raison, M. Bertrand. La preuve, c'est que depuis que les communes sont dans l'obligation de disposer de 20% de logement sociaux sous peine d'amende, il n'y a plus de problèmes pour loger les plus démunis !

De même que la prohibition des violences conjugales a mis fin aux maltraitances dans le couple.

Eolas

15. Le samedi 3 février 2007 à 00:49 par korn

Il y a du relâchement dans la sélection (peut-être dû à l'émotion d'être sur les lieux).
XB est porte-parole (en tout cas il ne parlait pas en tant que ministre). Traquer un porte parole pour un prix burisis, ça manque de Panache. Pourquoi ne pas prendre n'importe quel blabla de lang ou copé...

Un vrai prix estimable, il faut que la fonction de l'impétrant rende le popos impardonnable.


Reprocher à un porte parole d'embobiner... en France...

Que voulez vous. Le jury n'a pas encore acquis votre cynisme désabusé.

Eolas

16. Le samedi 3 février 2007 à 01:22 par Lucas Clermont

Oui bien sûr Maître, vous y étiez, intellectuellement, il est très bien,
mais en même temps depuis le prix decerné à Alberto Gonzales, on n'a plus goût à rien !

Et votre billet nous le démontre encore, Alberto Gonzales a bien cru qu'il était devant des journalistes et non des sénateurs.

Oserais-je ajouter : des journalistes français ?

Eolas

17. Le samedi 3 février 2007 à 01:59 par Esurnir

Ce prix Busiris vaut pas celui de Mr. Gonzales. Enfin bon un oiseau rare comme celui la, ca se voit pas souvent.

Monsieur Gonzales a mis la barre très haut. Ce n''est pas une raison pour devenir avare.

Eolas

18. Le samedi 3 février 2007 à 10:41 par Henri

C'est un peu pareil que le "droit" à la prison.
On y fourre des gens sans se préoccuper de savoir s'il y a des places.

19. Le samedi 3 février 2007 à 11:56 par Mouche du coche

C'est pas juste ! Pourquoi sont-ce toujours nos "élites" qui remportent le prix Busiris ?
Je suis candidat au prochain prix ! Et pour augmenter mes chances d'en dire une bien belle, je vais m'inscrire à l'ENA en candidat libre.

20. Le samedi 3 février 2007 à 12:31 par Martin K

Bonjour Maître,

J'ai découvert ce site il y a peu, tourné que je suis désormais vers le traitement médiatique des affaires judiciaires. Et je me régale de vous lire. Merci de contribuer à éveiller nos consciences et d'offrir à tous ce lieu de débat.

C'est ma première intervention. Je reviens régulièrement. J'interviendrai ponctuellement.

21. Le dimanche 4 février 2007 à 01:11 par bolloresz

De toute façon, ce dispositif est une très mauvaise idée teinte de précipitation, d'irréalisme et de démagogie.

Plutôt que de grever les budgets des collectivités par ces condamnations à venir, il aurait peut être mieux fallu revenir sur les bases de financement du logement social, l'améliorer et fixer des objectifs pluri annuels.

Un droit-logement créance impossible à recouvrir ?!

En cherchant pas très loin dans ce blogue, vous trouverez quelques billets expliquant que ce droit ne grèvera pas les budgets des collectivités territoriales, et ne surchargera pas le rôle des tribunaux administratifs.

Eolas

22. Le lundi 5 février 2007 à 01:03 par Akhenn

Suis-je le seul à me délecter de la partie "montrer que l'on doit faire de ce droit non plus un droit virtuel mais un droit réel" ? Il aurait voulu faire un jeu de mots qu'il n'aurait pas mieux réussi.

23. Le mardi 6 février 2007 à 16:50 par Guichardin

Xavier Bertrand n'a de fait pas grand mérite: il ne fait que reprendre ici l'argument sarkozyste officiel en faveur du "droit au logement opposable". C'est ce même argument qu'on trouvait développé sous la plume d'Henri Guaino (distingué sarkozyste) dans les colonnes des Echos début janvier (www.lesechos.fr/info/anal...

En résumé, le droit au logement opposable doit jouer un rôle dissuasif et contraindre les collectivités à construire pour éviter de se mettre hors-la-loi. Et c'est une façon de réguler par la responsabilité et non par la contrainte réglementaire (?). Evidemment c'est un fusil à un coup dont on ne sait même pas s'il effleurerait la cible, mais c'est fort bien raconté.

L'idée est donc de présenter le droit au logement opposable comme le nec plus ultra du libéralisme, ce qui permet de couper l'herbe sous le pied simultanément à Chirac, Bayrou et Royale. C'est fort ingénieux politiquement, et sans conséquences pratiques puisque, comme on le sait grâce à vous, les parlementaires se sont empressés de vider ce "droit" de son contenu (et en particulier de son influence hypothétique sur les collectivités qui, si j'ai bien retenu votre billet, ne sont pas visées).

Un exercice très académique de politique à la française. Dormez bonnes gens, rien à signaler.

24. Le mercredi 14 février 2007 à 23:29 par Un citoyen curieux

Coup médiatique parfaitement réussi dans les deux sens:
* Les enfants de Don Quichotte, association médiatique qui à poussé comme un champignon sur un terrain travaillé depuis des années par Emmaüs et autres vraies associations caritatives, ont eu leur pub.
* Le gouvernement a répondu par du vent, tablant sur le manque de connaissances du public et la complicité ou la mollesse des journalistes des grands médias (le gouvernement sait bien que ni TF1 ni les quotidiens régionaux ne relèveront le fait que le projet de loi est du vent).

25. Le dimanche 18 février 2007 à 08:55 par Laffaire

[Commentaire diffamatoire]

26. Le dimanche 18 février 2007 à 11:49 par Roland Garcia

@25 et ses ondes...

Exemple type de charabia pseudo-scientifique faisant dire à certains, et à juste titre, qu'il se dit à peu près n'importe quoi sur Internet.

27. Le lundi 19 février 2007 à 11:41 par Pluloin lanten

Ou y a t il un charabia pseudo scientifique? et sur quel sujet?

si c'est sur le sujet effacé , veuillez me contacter vous ne mourrez pas idiot.




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