Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Suites sur "Avocats d'Urgence"

A la suggestion d'un lecteur, j'extirpe des abîmes des commentaires que plus personne ne lit sous ce billet un petit échange entre votre serviteur et deux magistrats du parquet. Je pense qu'en effet, ils méritent une plus grande visibilité et intéresseront tous les lecteurs de ce blogue.

Lincoln est le premier à s'exprimer (j'ai ajouté au texte original quelques retours à la ligne pour faciliter la lecture ; les liens hypertexte sont de moi également) :


La lecture de certains commentaires appelle plusieurs observations de ma part:

- d'une part, sur le rôle, le ton adopté par certains magistrats du parquet: je crois qu'il faudrait réellement faire une vraie pédagogie sur le rôle du ministère public, sur ce qu'il est pour y voir plus clair. Je pense que le positionnement du parquet est sans nul doute le positionnement le plus difficile et étrangement actuellement, il est souvent très décrié. On le juge agressif: je trouve ça fort étrange lorsque l'on sait que le ministère public est justement là pour donner des repères, un cadre clair à des gens qui ont perdu tout repère.

Je prends l'histoire de l'extorsion: certes, ces jeunes évoluent dans un milieu difficile, pour autant, est-ce bien acceptable de violenter quelqu'un pour lui soutirer cinq euros ? Je rappelle souvent à mes déférés que dehors, ce n'est pas la loi de la jungle, œil pour œil, dent pour dent. On ne peut pas, sous prétexte que l'on s'estime ou se croit victime de tel ou tel, se faire justice, on ne peut pas non plus se revendiquer victime - de son milieu, de son quartier, de son histoire familiale - et se faire justice. Sans le respect des règles, notamment de droit, il n'y aurait plus de place pour la justice institutionnelle et chacun se croyant dans son bon droit appliquerait sa règle c'est à dire celle du plus fort.

En général, l'opposition systématique défense/ministère public repose sur la distinction philosophique libre arbitre/déterminisme. Nous (ministère public) rappelons toujours que chacun a toujours le choix - ce qui fait d'ailleurs qu'il est humain, civilisé -, le choix de ne pas franchir la ligne jaune, et qu'il n'y a donc pas de déterminisme. C'est parfois au prix d'efforts, de sacrifice, que ce choix doit être fait, mais il existe. Le déterminisme, c'est l'abolition de la responsabilité: or, ne plus être responsable de ses actes, c'est "vivre à la manière d'un caillou". Il y a un contexte évidemment qui permet de comprendre mais qui ne permettra jamais de justifier l'infraction - sauf cas très particulier: cf. les faits justificatifs -. Ce clivage est permanent et récurrent et il polarise souvent les débats.

Avoir un réquisitoire équilibré comme il est proposé, c'est aussi très souvent ouvrir la brèche à des plaidoiries assassines où le ministère public ( de plus en plus souvent mis en cause personnellement, avec, pour cette fois, une réelle agressivité de l'avocat et un président qui en général estime que finalement c'est le jeu si le parquet s'en prend plein la tête) est taxé de lâche, qu'il ne va pas jusqu'au bout de sa logique et donc finalement il est faible. Il est vrai de façon générale que plus un discours est fin, nuancé, plus il est exposé à la critique - ce que l'on constate très régulièrement sur ce forum -. Ayez un discours non monolithique, tentant de démontrer la complexité d'une situation - et il n'y a guère plus complexe que l'humain - et vous vous heurterez à des plaidoiries souvent très violentes.

Le réquisitoire du ministère public est, me semble-t-il, beaucoup plus complexe comme art oratoire que la plupart des autres discours du procès. On rappelle qu'il prend ses réquisitions, selon le CPP actuel, "pour le bien de la justice", ce qui n'est pas rien. Or, sollicitez la relaxe, et les victimes vous détesteront - d'autant que l'indivisibilité jouant, et la parole libre à l'audience ayant manifestement tendance à s'effacer des mémoires, vous êtes considéré à l'origine des poursuites -, demandez une peine qui n'est pas une peine plancher dans une situation de récidive, vous êtes un iconoclaste irrespectueux du désir divin du peuple français représenté par son chef de l'Etat et son parlement, demandez du ferme, vous êtes un répressif assoiffé d'incarcération, ne comprenant pas que "la prison, ça ne sert à rien, ça ne résoudra pas la situation "(quelle rengaine entendue mille fois dans la bouche des avocats... OK, mais que proposez-vous d'utile maître dans ces situations récurrentes où SME sur SME se sont succédés, que le sursis simple est impossible et que l'amende n'est manifestement pas adaptée, sans parler du TIG...) ?

En bref, le parquet est le récipiendaire permanent de toutes les frustrations, y compris à l'interne.

Le ministère public est décidément une fonction bien plus complexe qu'elle n'y paraît, très très loin de la caricature qu'on en fait du méchant - généralement un peu débile, du moins franchement pas fin -tendant son doigt vengeur vers le malheureux prévenu pris dans les rets d'une histoire familial chaotique. La fermeté s'impose dans le discours, d'une part par souci de rappel à la loi, d'autre part, parce que l'infraction, même sans victime, est toujours un heurt contre la société. Ce n'est guère par goût d'"engueuler" les gens (on s'en passerait bien) mais institutionnellement, le parquet a une fonction de "memento legis". La fermeté n'empêche pas l'humanité (thème à la mode), ni la lucidité, mais avant le pardon, il faut le temps de la sanction, de préférence intelligente.

Il faudrait aussi parler du risque acceptable pour le parquet qui est souvent un vrai casse-tête: jusqu'où peut-on aller pour le parquet dans l'admission du risque acceptable (ex sur la détention provisoire, les aménagements de peine milieu fermé) ? Il faudrait aussi parler du positionnement institutionnel: pourquoi demander la détention et pas le contrôle judiciaire dans ce cas précis en sachant que chaque acteur du procès va devoir jouer son rôle à plein et que les repères seront plus clairs pour la personne ?

A l'heure actuelle, le statut du ministère public est loin d'être enviable et de plus en plus complexe.

Exemple de schizophrénie massive: augmenter les aménagements de peine nous dit-on mais attention, au moindre incident pendant un aménagement, on viendra demander des comptes pour savoir pourquoi le parquet n'a pas fait appel du jugement de cet odieux pédophile qui a récidivé (alors que tout dans le dossier permettait de penser à une salvatrice réinsertion et une dangerosité encadrée). Diminuer les poursuites pénales, privilégier les alternatives aux poursuites sauf que les alternatives aux poursuites ont en fait mordu sur d'anciens classements, ce qui fait que désormais on est sommé de répondre à tout - et souvent n'importe quoi - et qu'au final, nul n'est satisfait car tout simplement la justice pénale n'a pas VOCATION, pas les MOYENS a tout régler - très très loin de là - et n'est souvent pas la bonne solution. Un ex: les non représentations d'enfants: il est génial de poursuivre quelqu'un qui refuse de laisser ses enfants (le tout après avoir fait des rappels à la loi, des médiations pénales etc...), mais le problème est-il résolu une fois le SME prononcé puisque personne ne le révoquera car "cela ne servira à rien".

Il y aurait tant de choses à dire et je sais que je m'éloigne très passablement du sujet premier mais je ne peux m'empêcher de bondir à certaines réactions (ce doit être le défaut de la jeunesse car j'oubliais quand on est jeune magistrat, on est incompétent, sans expérience et souvent très arrogant et méprisant pour rappeler la loi à des gens plus âgés...qui eux connaissent la vie ? Mais c'est à partir de quand que l'on a de l'expérience ? 40, 50, 60 ?). Pourtant, tous mes collègues savent que le parquet, bien au contraire, c'est l'école de l'humilité dans la magistrature mais c'est un autre sujet...


Réponse de votre serviteur :


Vous avez choisi le parquet pour être populaire ?

Plus sérieusement, pas grand chose à redire à votre point de vue. Pour ma part, je n'attaque jamais le procureur personnellement, pas plus que je ne le ferais à l'égard d'un confrère. Ca ne me viendrait pas à l'esprit. Généralement, quand les réquisitions sont sévères, je les ignore dans ma plaidoirie (ça fait un peu "ça ne vaut même pas la peine de parler de ça", mais c'est mieux que sauter à la gorge du procureur) et quand elles me plaisent (pas de prison ferme requise en comparution immédiate, ou pas de maintien en détention), je les approuve au contraire et y apporte mes arguments. Par contre, je n'hésite jamais à plaider sur la peine, voire à faire une contre-proposition aux réquisitions du parquet, c'est à mon sens comme ça qu'on est pris en compte par le juge.

Mais, car il y a un mais. (...)Il y a des maladresses de forme qui desservent le ministère du procureur, et une phrase de votre collègue Matthieu Debatisse qui m'a fait bondir.

Que le procureur parle au nom de la société, qu'il rappelle la responsabilité individuelle pour ses actes (j'exècre le déterminisme tout comme vous), fort bien. J'approuve, étant moi même un des membres de cette société et chérissant presque autant que vous la paix civile qui y règne (je fais aussi du droit des étrangers, je sais comment ça se passe ailleurs).

Mais la répétition et la routine font parfois donner dans la facilité. Vous êtes, face au prévenu, dans une position de supériorité à tout point de vue. Vous avez l'autorité. Vous avez le pouvoir. Vous avez l'éducation. Face à vous, aucun prévenu ordinaire n'a la moindre chance. Et en plus, les déférés, vous les voyez seuls. Alors vous pouvez retourner chacune de ses phrases contre lui, le mettre face à ses contradictions, démonter ses mensonges à mi mot. Il se noiera sans même que vous ayez besoin d'appuyer sur sa tête. Ajouter à cela l'humiliation en lui parlant avec une dureté excessive qui évoque du mépris, à mi chemin entre le père qui gronde un enfant et un instituteur qui corrige un cancre a un effet contre-productif : le prévenu laissera passer l'orage en vous disant ce que vous voulez entendre sans écouter ce que vous dites. Ce travers se retrouvant souvent chez les jeunes procureurs, je pense que c'est une façon de dépasser le manque de confiance en soi qui ne s'estompe qu'avec l'âge (et encore, partiellement).

Je le cite souvent en exemple, mais allez écouter Philippe Bilger requérir. Il ne crie pas, il n'humilie jamais l'accusé, au contraire, il cherche à le comprendre. Et souvent, il y parvient. Et du coup, il est très souvent suivi. Pour ce travers, je pense tout particulièrement au procureur de l'affaire d'extorsion dans le cadre du déferrement (rien à redire à l'audience, il a un ton plus modéré). Ce n'est pas nécessaire de se comporter ainsi. Appelez ça de l'humanisme d'avocat. Mais je ne crois pas que ça serve à quoi que ce soit.

La phrase du procureur Debatisse qui m'a faite bondir, d'autant plus haut que c'est un procureur que j'estime pour avoir croisé le verbe avec lui à la 23e et que je trouve excellent (réquisitions motivées, reprenant l'ensemble des éléments du dossier, qui montre qu'il le connaît ce qui dans le cas d'une CI n'est pas évident, et en cas de nullité soulevée, un vrai débat juridique en réplique, bref, le rêve des avocats et le cauchemar des prévenus), c'est au début du documentaire, après le déferrement pour menaces de mort pour 20 euros. Je le cite : "Il n'a pas encore vu son avocat, donc la sincérité qu'il va avoir devant moi, elle a à mon sens plus de valeur que celle qui vient après l'entretien avec l'avocat qui lui aura peut être expliqué un certain nombre de choses sur... (hésitations) sur l'intérêt qu'il aurait à dire de la vérité (...)".

Mon dieu. Le mythe de la vérité qui sort des gardes à vue et qui ne se manifeste que si l'avocat est tenu au loin. Celui qui a fondé les affaires Dils, d'Outreau. La légende de l'avocat qui bâtit le baratin de son client, qui l'aide à mieux mentir. On vous apprend encore ça à l'ENM ? En tout cas, la suite du documentaire démontre la fausseté de cette croyance : l'avocat commis d'office lui dit ce qu'il y a dans le dossier (c'est la première fois qu'on le lui dit), le fait parler de lui, mais ne lui dis "le mensonge qu'il faudra raconter" ; et in fine, le client ment à l'avocat, comme il a menti au procureur, comme il a menti aux policiers, il ne nous croit pas quand on lui dit que son intérêt est de dire la vérité car le déni face à l'évidence est interprété comme une absence de prise de conscience de la gravité de l'acte, et s'il estime finalement que le mieux, c'est de reconnaître après qu'on ait plaidé la relaxe, il le fera sans hésiter car il n'aura même pas compris ou écouté ce qu'on lui a expliqué lors de l'entretien. Voilà ce qui se passe dans les aquariums qui nous sont généreusement attribués au P12.


Là dessus intervient Parquetier :


j'lai pas vu, j'lai pas vu malheureusement,

Mais bon, sur les derniers commentaires au sujet du substitut du Procureur, lors du défèrement:

1°) l'intéressé sait-il à qui il a affaire ? normalement oui, car les policiers qui le défèrent ne manquent pas de le lui dire "maintenant tu vas voir le procureur" (oui, c'est souvent "tu", et pas forcément pour de mauvaises raisons), mais il est préférable de se présenter, beaucoup d'entre nous le font et c'est ce que j'enseigne à mes auditeurs en stage.

2°) sait-il qu'il a le droit de se taire ? oui. On doit lui dire: "voilà ce que je vous reproche, ce sur quoi vous allez être jugé", on détaille, et ensuite on lui dit que s'il a quelque chose à dire on l'écoute.

Pour que les choses soient bien claires et que le type ne croie pas qu'il est déjà en train d'être jugé, personnellement j'insiste bien là dessus: "vous allez être jugé tout à l'heure par le tribunal, mais si vous avez quelque chose à dire dès maintenant je le note". Histoire qu'il ne me refasse pas toute la garde à vue, d'ailleurs je n'aurais pas le temps ni les moyens de l'écouter pendant une heure. Contrairement à ce que vous pensez peut-être, les gens ont envie de réagir quant on leur dit ce qui leur est reproché,et on aurait plutôt envie de leur demander d'être un peu plus concis dans leurs observations. Et quand, rarement, ils vous répondent "j'ai rien à dire", croyez-moi on s'en contente parfaitement.

3°) sur la forme,
c'est vrai que beaucoup de jeunes collègues ont un air "forcé" quand ils montent sur leurs grands chevaux. Ce n'est pas facile. Certains parents à qui on dit "sois plus sévère" sont comme ça aussi. L'autorité c'est inné, mais ça s'acquiert aussi avec l'âge, et puis chacun son tempérament. Personnellement je préfère un ton mesuré, voire froid, (s'il est nécessaire de faire le méchant-ce n'est pas toujours nécessaire), d'autres sont plus dans le volume sonore et l'agitation. Les auditeurs en stage demandent souvent des conseils à ce sujet. J'aurais tendance à dire "sois toi-même, ne force pas ta nature, tu trouveras ton style", mais par contre je trouve désastreux qu'un magistrat du parquet soit incapable de dire avec force certaines vérités aux gens quand ça s'impose.

4°) faut-il faire "la morale" aux gens ? Au moment du déferrement, ce n'est pas très utile, sauf s'il y a un truc précis auquel on pense qu'ils devraient réfléchir avant l'audience, histoire de faire progresser un peu les choses, par exemple "et pour la victime, vous n'avez jamais envisagé de vous excuser?". C'est plutôt à l'audience que c'est parfois utile voire nécessaire. Personnellement je préfère d'ailleurs que ce soit le procureur qui fasse la morale plutôt que le Président, qui écorne parfois dans la foulée l'exigence d'impartialité. Il faut bien que le prévenu voie un peu les faits qu'il a commis, à un moment ou à un autre de l'affaire, avec d'autres yeux que les siens et que ceux de son avocat qui va plaider ensuite, qu'il entende comment c'est perçu par "la société qui l'accuse", d'autant qu'il va être puni, quand même. Autant qu'il comprenne pourquoi, si c'est possible. C'est le rôle pédagogique de l'audience, et il est important que le procureur y tienne pleinement sa place. Monter sur ses grands chevaux à cette occasion peut être nécessaire.

Et puis en conclusion, je dirais qu'on est pas des robots. S'il faut se garder de donner aux faits une résonance trop personnelle, il n'est pas forcément mauvais de laisser voir son indignation devant un comportement parfaitement odieux. Mais l'exercice est très difficile et une telle personnalisation peut être contre-productive: c'est là que le type n'écoute plus. Laisser voir l'indignation "type" du corps social est à mon avis suffisant...

A vrai dire je ne l'ai fait qu'une seule fois en 10 ans, dans un dossier d'accidents mortels du travail, où le type se foutait tellement de l'intégrité physique des gens, et le dossier révélait tellement le cynisme économique sous jacent, que ça donnait vraiment la nausée.


Bon, entre nous, c'est quand même pas mieux quand les magistrats du parquet s'expriment librement ?

Commentaires

1. Le jeudi 11 octobre 2007 à 20:58 par Nesquick

Ce que j'ai eu à reprocher en tant que prévenu, personnellement, aux procureurs, c'est moins le volume sonore de leurs interventions qu'un petit air de sous-entendu cynique qui semble vouloir dire "Tout ce que vous direz SERA retenu contre vous, quoi qu'il arrive. Je me fiche de savoir si vous avez raison ou tort, sur le fond comme sur la forme. Sur la forme vous ne m'apprendrez pas mon métier et je n'écouterais aucune de vos remarques sur le plan purement juridique, et sur le fond, n'essayez pas de me contredire car cela risquerait de me vexer et n'oubliez pas que j'ai tout le pouvoir entre les mains : j'ai le pouvoir absolu donc si vous voulez la moindre chance de vous en sortir, je vous recommande de baisser votre froc, car je serais sans pitié si vous avez le malheur de dire un truc qui me déplait, fut-il vrai".
J'ai eu aussi l'impression que les procureurs étaient des gens de mauvaise foi, soulevant des arguments qu'ils savaient non-valable pour "charger la mule" comme on dit, au point que je me suis demandé si les procureurs n'étaient pas des obsédés de la détention provisoire prêts à tout pour l'obtenir, y compris à inventer des délits dont ils savent qu'ils ne tiendront pas, mais dont ils savent aussi que d'ici à ce qu'on s'en aperçoive, le prévenu aura fait du temps derrière les bareaux. Et s'il soulève ce problème ? Hébien on en reviens au point un : "ne critique pas ceux qui ont ta vie entre leurs mains, sinon ils te le feront payer. Courbe l'échine et préfère prendre 4 mois pour 5 délits retenus dont 4 mensongers, que 12 mois pour un seul délit retenu qu'on t'aura fait payer au maximum".

Evidemment avec le recul, je me dis qu'il y a une part de jeu de rôle dans tout ça, qu'il y a aussi parfois de la maladresse involontaire, voire un délire interprétatif de la part du prévenu qui se sent persécuté à tort, je pense que c'est une réaction logique pour quelqu'un qui se sent aussi petit qu'un prévenu (vous n'avez pas idée comme un tribunal est grand, comme les magistrats sont intimidants, pour un homme qui a vu sa vie basculer il y a quarante-huit heures à 6h du matin).

Mais enfin ça mérite réflexion : les procureurs donnent parfois au prévenu l'impression d'être des tyrans injuste. A tort ou à raison ? Si à tort, que faire pour moduler cette impression ? Il me semble en effet que la justice gagnerait énormément à obtenir l'adhésion du prévenu, lorsque c'est possible évidemment.

2. Le jeudi 11 octobre 2007 à 21:15 par yves Duel

cher Maestro, j'adore quand tu es si délicat avec tes adversaires préférés ! A mon avis, choisir (car on choisit, contrairement à ce qu'un vain peuple pense !) de poursuivre au nom du, etc. c'est trop souvent régler des comptes... Et souventes fois aussi, ils ne sont pas bein jolis, les comptes !

3. Le jeudi 11 octobre 2007 à 21:52 par lincol

Je ne pense pas que le procureur ait à obtenir l'adhésion du détenu: tel n'est pas son rôle et accessoirement, je trouve que les CRPC par exemple contribuent grandement à brouiller les rôles pour tout le monde. Or, je pense que les rôles sont eminemment importants dans un procès parce qu'ils déterminent le cadre d'un bon procès mais comme je l'ai rappelé le rôle du parquet est toujours "spécial" dans le sens où ses réquisitions ne doivent viser qu'au bien de la justice. Si chacun joue son rôle parfaitement, le débat contradictoire sera nourri (de la multiplicité des points de vue naît la vérité), et mieux vaut deux sons de cloche (sans mauvais jeu de mots) pour un juge, qu'une cacophonie. Maintenant, la tension et le travail délicat pour le juge sera, pour le choix de la peine, la conciliation entre la gravité des faits (l'ordre public) et la nécessaire réinsertion de la personne (la liberté individuelle) (ou l'absence de récidive). Il s'agit du travail permanent macro/micro et cet équilibre sous tend tout le droit (notamment le droit public et de fait le droit pénal).

Concernant l'impression que le procureur est un tyran injuste, je pense que par définition et heureusement, le parquet a des pouvoirs. L'important n'est pas qu'il est des pouvoirs, l'important est que ces pouvoirs sont contrebalancés par d'autres pouvoirs. Et, en l'espèce, si le parquet a des pouvoirs sur l'enquête et les poursuites, il ne décide au final de rien. Aussi, un procureur méprisant, inutilement autoritaire avec un déféré se verra vite remis à sa place lorsqu'il aura gouté à deux ou trois relaxes par une juridiction. Faire le méchant et voir la personne sortir libre ne contribue guère à renforcer votre crédit. C'est ça l'humilité du parquet: c'est d'ailleurs parfois toute la difficulté du métier car à la différence du prévenu par exemple, le parquet, de plus en plus souvent, pour des raisons internes, se voit considérablement restreint dans ses capacités d'appel. Dans nombre de cours, le parquet ne peut plus faire appel s'il estime que le quantum de la peine est insuffisant par exemple car les instructions sont claires: ne pas engorger les chambres correctionnelles. De sucroit, il faut dire qu'interjeter appel signifie établir un rapport d'appel circonstancié à destination du magistrat du parquet général, et au vu de la charge de travail d'un parquetier moyen du premier degré, cela devient un véritable luxe, si ce n'est mission impossible. Il faut rappeler par exemple que dans le cadre d'un appel d'une ordonnance de refus de mise en liberté dans un dossier d'instruction par le mis en examen, le parquet doit systématiquement établir un rapport d'appel. La plupart du temps, ledit rapport doit être dressé en quelques jours: lorsque le dossier fait plusieurs tomes et que nulle synthèse n'a été encore établie, le travail est souvent colossal. Etre un tyran, c'est décider de tout, selon son bon vouloir. Un tyran qui ne décide de rien au final et qui n'a plus vraiment le droit de contester la décision d'un autre de facto est-il véritablement un tyran "modèle" ?.

Sur notre obession supposée de la détention provisoire, je tiens à dire deux mots.

le parquet ne décide pas de la détention provisoire, seul le juge le fait. Et dans les cas où le parquet le requiert, il le fait nécessairement de façon motivée. D'ailleurs, la restriction des cas de placement en DP depuis 2007 (abolition du critère de trouble à l'OP en matière correctionnelle) est considérablement de nature à limiter cette DP. Toutefois, à nouveau, je fais une digression: si le parquet n'est pas la société, il doit aussi se mettre au niveau du citoyen moyen qui regarde la justice de ce qu'il en comprend par les médias. S'il y avait moyen d'être plus pédogogue, ce serait beaucoup plus facile mais tel n'est pas le cas. Ex: Monsieur X frappe plusieurs fois à coups de couteaux Monsieur Z en pleine rue, au beau milieu de la journée parce que Monsieur Z a mal garé sa voiture. Les blessures sont sérieuses, justifiant une ITT d'une dizaine de jours mais le diagnostice vital n'est pas engagé. X reconnait parfaitement les faits, dit les regretter, et a un casier vierge. Il a eu un coup de sang et indique que cela ne recommencera plus. Admettons qu'une information judiciaire est envisagée - cela n'aurait pas été le cas mais admettons -: détention ou contrôle judiciaire ? Quel doit être le positionnement "institutionnel" du parquet ?

Je veux signifier que le parquet est au coeur de la problématique du seuil de tolérance d'une société confrontée à des faits. Dans 90% des cas, je requerrai ce que j'aurai décidé comme juge du siège. Il arrive toutefois - tout cela étant le fruit d'une mûre réflexion et je ne pensais pas cela à mes débuts - que je prenne des réquisitions différentes de ce que j'aurai décidé en tant que juge, notamment en matière de détention. Justement, car à la différence du magistrat du siège, le parquet doit nécessairement intégrer quelle serait la réaction du citoyen moyen. Il ne faut pas que ses réquisitions soient dictées par ce souci mais elles doivent être présentes.

Le courage est quelque peu l'apanage du parquet. Rien n'est pire à mon sens que la demi-teinte, la peine à la salomon qui permet au final d'éviter les problèmes, voire la confrontation pour avoir la paix. Il est tellement plus facile d'abonder dans le sens majoritaire..Or, il faut savoir dire des vérités à l'audience, notamment au prévenu, lorsque manifestement, il ment. Et ce rappel aux éléments objectifs du dossier ne peut se faire sans un minimum de conviction car le ministère public convainc ou non. J'estime pour ma part qu'une dénégation massive n'est certainement pas un gage d'amendement futur.

Il faut aussi, bien sûr, savoir requérir la relaxe et rien n'est plus dur, notamment dans le cas des dossiers d'agressions sexuelles, lorsque les victimes sont présentes. Il est incompréhensible pour une victime d'avoir des poursuites, une mise en examen, parfois une ORTC et puis une relaxe, surtout requise par le parquet. Ces moments, notamment lorsque l'on débute, sont très difficiles à assumer et il faut savoir faire preuve de pédagogie et de beaucoup de nuances. Mais en général, la colère de la victime demeure et le parquet est bien mal à l'aise. D'autant que la fameuse affaire d'outreau est dans la bouche de bon nombres d'avocats qui l'utilisent à tort et à travers dans nombre de dossiers, sans parfois même avoir regardé le dossier. La relaxe est également difficile car un parquet, c'est une équipe "indivisible". Or, requérir la relaxe, c'est aussi désavouer un collègue avec qui l'on travaille tous les jours et qui a exercé les poursuites et a pensé pour sa part que le dossier tenait. Il n'est pas question de requérir une condamnation si pour le magistrat à l'audience, sa conviction est toute autre mais il faut aussi pouvoir expliquer son point de vue au collègue qui peut ne pas être du tout d'accord. A nouveau, il en faut du courage...

Non, il est sûr qu'être parquetier n'est pas un gage de popularité et que tel n'est pas le but recherché. Mais la méconnaissance du travail du parquetier, de son vécu au quotidien est parfois source d'une véritable déception et lorsqu'elle se double de l'impopularité, ça fait beaucoup. Malgré tout, quel beau métier mais...quel dur métier...

4. Le jeudi 11 octobre 2007 à 22:14 par ferraille

Le procureur, parlant au nom de la société, a une sorte de monopole sur l’expression de la violence du corps social contre ceux qui ont violé l’ordre voulu par ce corps. Ce monopole n’est pas seulement personnification de la réprobation collective, mais aussi manière de la contenir, de la domestiquer. Grâce au discours de son accusateur, le prévenu échappe à bien pire que tout ce qu’il subira. Il échappe à une société accusatrice, composée d’individus prêts à se faire justice eux-mêmes et qui, dans l’exercice non réfréné de la vengeance, ne sont presque jamais renvoyés à leur propre condition humaine.

Si les figures du paternalisme judiciaire ne font plus aujourd’hui florès, cela exprime d’abord une forme de délitement social, en soi préoccupante, plus qu’une bonne raison de chercher à renouveler les modes d’expression de l’accusation publique.

Saisir le prévenu dans sa vérité, mais pourquoi donc ?

Cette société n’aura cesse de réduire l’espace dans lequel pourra s’exprimer la condition humaine de celui (ou celle) qu’elle a chargé d’exprimer et de personnifier la réprobation des actes contraires à son ordre.

En humanisant excessivement le prévenu, ce que l’on exige, en vérité, c’est la déshumanisation de son accusateur.

Le vœu que l’on forme ainsi secrètement, c’est de redonner toute leur plénitude aux pulsions mortifères qui ont été contenues par l’institution d’une justice publique.

5. Le jeudi 11 octobre 2007 à 23:20 par didier Schneider

"d'une part, sur le rôle, le ton adopté par certains magistrats du parquet..."

Quoi le ton ? n'est il pas normal de qualifier un prévenu de "charognard solitaire, crapuleux " ? ( www.lexpress.fr/info/info... . Grâce à ce réquisitoire, l'accusé trouvera là des repères, ainsi qu'un cadre clair.

Au fait, combien un quidam risque t il pour qualifier un magistrat en ces termes ?

Je m'interroge sur le fait qu'un procureur refuse de prononcer un réquisitoire éliquibré, pour éviter de se faire taxer de lâche.

Vous avez raison de dire que "Le courage est quelque peu l'apanage du parquet."

Vous aurez au moins eu le mérite de me faire sourire aux éclats, ce soir.


6. Le jeudi 11 octobre 2007 à 23:50 par toutankh

Telle que je la comprends, la phrase du procureur Debatisse (celle qui vous déplaît tant) signifie que si l'accusé dit la vérité avant d'avoir vu son avocat, cela n'en aura que plus de valeur, puisqu'il le fera de lui-même. Sous-entendu, l'avocat est susceptible de l'inciter à dire la vérité, mais si cela vient spontanément de l'accusé lui-même, c'est plus "significatif" que si on (vous) lui a expliqué avant que c'était dans son intérêt de ne pas mentir, auquel cas il se retiendrait juste de mentir par intérêt.

Cependant votre commentaire suggère un tout autre sens ; de plus, la phrase est tronquée. Mon interprétation est-elle fausse (auquel cas l'excuse de fatigue est déjà prête), improbable, candide ?

7. Le jeudi 11 octobre 2007 à 23:58 par Eowyn

@Didier Schneider
Vous oubliez qu'il y a et qu'il y eut des procureurs courageux. Assez pour résister aux éventuelles pressions du pouvoir dont ils sont les subordonnés.

8. Le vendredi 12 octobre 2007 à 00:35 par Juge du siège

Heureux de voir un parquetier décrire ainsi dans le détail son métier, ses interrogations et ses convictions.
J'avoue qu'après une session d'assises un peu houleuse, je commençais à me poser des questions sur le positionnement de certains de mes collègues magistrats du siège, qui ont tendance à considérer le représentant de l'accusation comme un simple "punching ball" destiné à recevoir tous les coups de la part de la défense, même ceux qu'un président n'accepterait en aucun cas s'ils venaient de l'accusation et se destinaient à la défense...
Lincoln, vous n'avez assurément pas choisi ce métier pour sa popularité; vous ne l'avez pas non plus choisi pour la tranquillité des nuits et des week-ends (merci les permanences...), ni pour la liberté (merci le parquet général...). Si j'étais vachard, je dirais que des gens comme vous doivent être bénis car ils nous permettent de choisir en toute sérénité des postes au siège ;-)
Si j'étais soucieux des libertés individuelles (et j'espère l'être), je vous remercierais de choisir un métier qui fait de vous le premier garant de ces libertés, face à l'afflux des procédures policières, plus ou moins bien rédigées, plus ou moins bien fondées, autant de couleuvres qu'on voudrait parfois faire avaler à la Justice.

9. Le vendredi 12 octobre 2007 à 00:53 par jmd

@ferraile
Bien que j'approuve pleinement l'exposé de la situation du procureur que vous faites dans le premier paragraphe, les conclusions que j'en tire sont presque opposées:
Loin de provenir d'un délitement social, la désapprobation de la sévérité (hypothétique?) du procureur me semble venir d'une plus grande faculté du corps social à la compassion. Un adoucissement des moeurs du corps social, qui est justement rendu possible par le transfert du droit à (et besoin pratique de) la violence retributive du particulier à l'état.

A la question "Saisir le prévenu dans sa vérité, mais pourquoi donc ?", je donnerai plusieur réponses, que je ne vous accuse pas d'ignorer:
1) Pour permettre l'exemplarité de la punition: comprendre et faire comprendre le prévenu permet au tiers de se mettre à sa place.
2) Pour assumer un rôle pédagogique envers le prévenu.
3) Pour constituer un rempart de plus entre le prévenu et une peine trop sévère.
4) Parce que le refus d'essayer de comprendre l'autre est la vrai déshumanisation.

Vous accusez la société (un terme un peu vague d'ailleurs) de déshumaniser la charge du procureur, mais cette fonction est elle-même déshumanisante pour la personne qui l'assume. Cela constitue justement la part d'héroisme du procureur, qui accepte d'être cruel ponctuellement pour que la société puisse devenir plus douce.

En conclusion, j'encourage les procureurs à regarder un certain nombre des critiques qui leurs sont adressées et des préjugés dont ils sont victimes, comme des manifestations de l'efficacité de leurs action pacificatrice sur la société. (Je ne prétends pas que c'est facile!)

10. Le vendredi 12 octobre 2007 à 02:58 par Nesquick

J'aimerais poser une question un peu impertinente, mais en toute bonne foi. Et je sais que beaucoup de prévenus et de condamnés se la posent, voire sont déjà persuadés de la réponse.
Ma question, qui s'adresse autant aux juges du siège qu'aux parquetiers, est :

Vous êtes comme collègues. Vous fréquentez le même tribunal, vous avez à peine quelques bureaux d'écart, vous vous croisez tous les jours. Procureurs et juges d'instructions travaillent ensemble sur certains dossiers, chaque jour le parquetier peut voir le juge d'instruction, lui parler, lui faire part de ses appréciations sur tel dossier quand l'avocat est à l'extérieur et ne viens donner ses remarques qu'une fois tous les six mois. Chaque jour le juge d'instruction croise le JLD dont le bureau est si proche, et peut lui reprocher personnellement d'avoir libéré un prévenu dont on demandait l'incarcération. Et chaque jour le JLD peut se dire que si sa si charmante et compétente collègue requiert l'incarcération, c'est qu'elle doit avoir raison. Vos carrières ne sont pas spécialisées et il n'y a pas de séparation très nette entre parquetier et juge du siège. Le juge d'instruction peut être un ancien procureur, le juge du siège un ancien juge d'instruction, le JLD est parfois même juge du siège lui-même crois-je savoir. Ces quatre magistrats se croisent, se parlent, voire s'apprécient, à tel point que l'avocat semble parfois perçu comme un étranger malvenu lorsqu'il arrive dans un tribunal (en province en tout cas).

Ma question, donc : n'y a-t-il vraiment aucune connivence entre les différents magistrats ?
Le juge d'instruction est-il vraiment indépendant du parquetier, ose-t-il vraiment le contredire chaque fois que cela est nécessaire ? Le juge du siège ose-t-il vraiment critiquer la faible teneur du dossier ou reconnaitre les erreurs de procédure manifestes de son collègue juge d'instruction, chaque fois que cela est nécessaire ?

Honnêtement, n'est-on pas tenté, par une forme, peut-être pas de corporatisme, mais de respect mêlé de certains a priori positifs, de préférer faire confiance à ses collègues qu'à un avocat étranger au groupe et à un prévenu qui somme toute tiens quand-même le rôle de salaud, même quand on est censé mener une instruction à charge et à décharge, prendre une décision de liberté ou détention en toute indépendance, ou donner un jugement impartial ?

Je pose la question parce qu'il arrive quand-même vraiment qu'on aie l'impression du contraire. Mais peu de gens connaissent les coulisses d'un tribunal et les relations réelles qui s'y tissent, en tout cas pas moi. Alors...

11. Le vendredi 12 octobre 2007 à 06:38 par ferraille

@Eolas.

Ne jouez pas au saint, Eolas. Nous ne sommes pas évaporés, mais bien incarnés.

En humanisant de manière excessive : en faisant entrer dans la détermination d’une sanction la considération que le coupable devient, à un certain stade, une espèce de « victime » du système judiciaire.

Au moyen-âge, les voleurs de pomme étaient pendus. On ne le conçoit même plus aujourd’hui : on a prohibé la peine de mort. Cf. la Civilisations des mœurs, de Norbert Elias.

Exiger la déshumanisation de la justice : évidemment, il s’agit d’une analyse des pressions que cette société fait peser sur la justice. Comme avocat, n’avez-vous pas représenté des personnes que beaucoup ne voient pas comme leurs égaux ? La société n’existe que par l’ordre qu’elle peut faire respecter.

On ne peut pas passer son temps, comme vous le faites, à gloser sur la justice qui écrase de manière aveugle ceux qu’elle juge, et ne pas jeter les yeux sur les blessures infligées aux victimes des crimes et délits.

Avant de réclamer de la compassion pour les coupables, il faut en montrer pour les victimes. Parlez-nous donc des femmes battues et violées, des personnes âgées détroussées et terrorisées, des commerçants agressés et rackettés. Osez ce genre de transgression.

@ jmd

Je n’ai rien à redire. Sauf que la justice est aujourd’hui mise en procès. Sur votre dernière phrase, je suis entièrement d’accord. Le rôle de la justice est de pacifier, alors que le rôle d’Eolas est de polémiquer.

12. Le vendredi 12 octobre 2007 à 09:15 par Opéra



Que dire Lincoln et Eolas, sinon merci pour ces posts. Je verrai le PR dans mes CI d'un oeil différent.



13. Le vendredi 12 octobre 2007 à 09:45 par zadvocate

@Lincoln: "On le juge agressif: je trouve ça fort étrange lorsque l'on sait que le ministère public est justement là pour donner des repères, un cadre clair à des gens qui ont perdu tout repère".

On peut donner des repères sans hurler et être méprisant tout en restant grave et crédible.

@"Avoir un réquisitoire équilibré comme il est proposé, c'est aussi très souvent ouvrir la brèche à des plaidoiries assassines où le ministère public".

En tant qu'avocat, je pense précisement le contraire. Comment attaquer des réquisitions qui tombent sous le sens ? Il est bien plus simple de hurler au scandale lorsqu'on juge les réquisitions excessives et bien plus difficile de rébondir sur des réquisitions trop clémentes.

Si un réquisitoire est équilibré, la défense n'aura parfois pas d'autre choix que de l'approuver ou bien d'éviter de l'évoquer dans sa plaidoirie.

Et à vous lire, on a le sentiment que vous prenez vos réquisitions en préparation de la défense qui va suivre. A mon sens, les réquisitions du Parquet se suffisent à elles même (sauf si la défense soulève éventuellement des points de droit particuliers, nullité ....)

@Or, sollicitez la relaxe, et les victimes vous détesteront (et inversement):

Etes-vous parquetier pour être aimé ? A mon sens, l'honnêteté intellectuelle devrait toujours conduire à un parquetier à ne requérir une sanction que lorsqu'il est persuadé de la culpabilité. Et si l'infraction ne tient pas, elle ne tient pas. Inutile et surtout injustifié de réquerir une sanction malgré tout contre quelqu'un qui n'a finalement rien à se reprocher.

Il m'est arrivé d'entendre des parquetiers hurler au scandale après avoir soutenu une nullité évidente. Plutôt que de reconnaître la situation, on s'est en pris à moi.

A l'inverse il y a 15 jours, l'avocat général à Versailles n'a pas hésité à reconnaître que l'une des infractions poursuivies n'était pas à ses yeux constituée.

Le parquet n'est pas la à mon sens pour aboutir à tout prix à une condamnation. C'est précisement en étant le plus honnête sur le plan intellectuel qu'il pourra être compris du justiciable.

Une petite reflexion générale sur le commentaire de Lincoln, à vous lire j'ai le sentiment que vous n'êtes pas bien dans vos baskets au parquet.

Je me trompe ?

14. Le vendredi 12 octobre 2007 à 09:55 par Anne

Maître,

Mon commentaire n'a pas de lien avec votre billet, mais je souhaitais vraiment vous communiquer cette information : seulement 2,5 % des OQTF/APRF sont exécutés. Ce chiffre signifie que les TA et les préfectures, engorgés par le contentieux des étrangers, travaillent dans le vide. Où va-t-on ?

15. Le vendredi 12 octobre 2007 à 10:01 par zadvocate

@nesquick 10

"Procureurs et juges d'instructions travaillent ensemble sur certains dossiers, chaque jour le parquetier peut voir le juge d'instruction, lui parler, lui faire part de ses appréciations sur tel dossier quand l'avocat est à l'extérieur et ne viens donner ses remarques qu'une fois tous les six mois"

Non non non, l'avocat n'est pas à l'extérieur. Certes il n'a pas son cabinet au palais de justice mais de mon expérience, je retiens que lorsque j'ai besoin de m'entretenir avec un magistrat (du siège du parquet à l'instruction) je ne rencontre aucun souci.

Et ces discussions au détour d'un couloir ou en dehors de toute convocation, audience ne posent aucun souci.

Je n'ai jamais eu le sentiment de déranger lorsque je souhaitais m'entretenir avec un magistrat que ce soit dans son bureau ou par téléphone.

Ce vous dénoncez existe surement mais je ne pense pas que l'on puisse faire des généralités. J'ai d'ailleurs souvenir d'un épisode qui contredit vos suspicions.

Il y a quelques années deux nouveaux JLD sont arrivés dans "notre" juridiction. Et il faut reconnaître qu'ils opéraient de façon bien plus objective que leurs prédecesseurs. Cela a entraîné des tensions assez vives avec les parquetiers et certains juges d'instruction.

Ils ont tenu bon et finalement les choses se sont tassées chacun se contentant de jouer son rôle dans la chaîne pénale.

J'ose être assez naif pour penser que les magistrats du siège et du parquet bien qu'en contact permanent n'en font pas moins leur travail honnetement.

Il existe surement des exceptions (qu'il faut combattre) mais comme dans toutes les professions.

16. Le vendredi 12 octobre 2007 à 10:26 par Rémi

Un thème qui me semble apparaitre en filigrane dans nombre d'interventions (en particulier Nesquick, Zadvocate ou Lincoln) est la perception par le grand public du fonctionnement du système et de l'indépendance mutuelle des participants (les différents juges, procureurs, etc.). J'ai souvenir d'articles où Eolas répondait aussi à l'objection du "ça fait bizarre de voir des avocats se taper dans le dos avant l'audience et défendre des côtés opposés pendant", qui révèle le même problème.

En fin de compte, j'ai le sentiment que ce qui gène sur la question de l'impartialité de la justice, ça n'est pas tant les procédures elles-mêmes (dont la plupart des acteurs montrent ici leur solidité, à quelques brebis galeuses près) que la perception que les gens -- les prévenus comme les victimes -- en ont.

C'est pour ça que j'apprécie ce blog et les commentaires qui permettent à tous les acteurs de raconter leur métier, de répondre à ce type d'interrogations, dans un cadre relativement informel. Mais j'ai dans l'idée que pour que les gens aient plus confiance dans la justice, c'est plus des initiatives pédagogiques de ce type, discrètes, plus proches du "bavardage amical" que du "discours officiel" qu'il faut que des nouveaux textes de loi ou des grandes opérations de communication nationales. Pour les juges comme pour les avocats, d'ailleurs.

17. Le vendredi 12 octobre 2007 à 12:36 par Elhana

fascinants dialogue et commentaires.
J'ai du mal à vraiment cerner la tâche du procureur. J'ai également du mal à comprendre son role par rapport à d'autres intervenants dans une affaire judiciaire. sans parler de connivence ou de rapprochement indu avec le juge d'instruction, ces deux personnages ont ils les memes pouvoirs dans une instruction? je parle d'ordonner des actions à la police par exemple, pour comprendre les faits. ne divergent-ils que dans les buts poursuivis?

18. Le vendredi 12 octobre 2007 à 14:32 par della

je voudrais venir une minute sur le sujet, l'objet, et l'enjeu premier d'une audience, à savoir le prévenu en ce qu'il a commis et quel avenir il se prépare, lui et donc la société.

les réquisitions musclées ne sont pas pour me déplaire, à mon sens, la solennité, voire la gravité d'une audience sont autant d'éléments supplémentaires qui permettent au prévenu de vivre ce moment cathartique et s'y trouver émotionnellement bouleversé, ou en tout cas suffisamment touché pour être marqué.

c'est pourquoi les procureurs qui "cognent" lorsque cela est exécuté avec respect évidemment, participent autant que nous, ou les magistrats qui ordonnent la peine, à l'aspect pédagogique de cette cérémonie.

ce n'est certes pas le rôle le plus facile, ni le plus valorisant de la mise en scène, mais c'est évidemment l'autorité et la règle dans toute son intransigeance qu'il faut rappeler au prévenu par la bouche des parquetiers.

merci donc à Messieurs les parquetiers de nous avoir éclairés sur leurs doutes et leurs difficultés et de continuer à veiller à ce que parmi eux certains égos tyraniques ne se servent pas de cette tribune à de seules fins narcissiques.

ce billet est très enrichissant pour l'avocaillone que je suis et qui ai pu être partagée entre rébellion infantile et partage de l'opprobe la tête basse devant des procureurs énervés...

merci de l'avoir initié et encouragé, cher Eolas.

19. Le vendredi 12 octobre 2007 à 14:32 par PEB

D'une certaine manière, le procureur ne peut-il pas être comparé avec les porte-sceptres de certains rois africains? Leur rôle est, en effet, de développer la parole du prince et de palabrer avec les requérants avant que le souverain ne prenne, en peu de mot, la décision.

Le parquet est ainsi apparamment là pour protéger le siège. La morale doit pouvoir s'enseigner debout! Je ne trouve pas très sain que le président soit bavard si ce n'est pour faire "accoucher" les parties en présence de leur vérité.

Mais comme disait un procurateur bien connu: "Quid est veritas?"

20. Le vendredi 12 octobre 2007 à 15:29 par parquetier

@ Elhana
Comme j'adôôôre expliquer les choses, je vais tâcher un petit topo très simple (donc simplifié, merci les puristes).
Le procureur se débrouille tout seul pour mettre le dossier en état quand une instruction n'est pas nécessaire (80% des dossiers poursuivis, au moins). Dans ce cas, c'est lui qui fait tout, depuis les premières constatations des policiers jusqu'à l'audience.
Lorsque le dossier est très complexe ou grave (crime), il fait la première partie tout seul, puis quand il décide qu'il ne peut pas aller plus loin (car n'étant pas juge il ne peut pas ordoner certaines investigations qui sont plus attentatoires aux libertés), il ouvre une instruction, c'est à dire qu'il demande au juge d'instruction de poursuivre la recherche de la vérité, dans le cadre qu'il a préalablement défini puisque c'est lui qui est le maître des poursuites (il peut par exemple laisser tomber une partie des faits, les requalifier en infractions moins graves etc, suivant ce qui est le mieux pour le dossier et pour le bon fonctionnement de toute la mécanique).
Lorsqu'une instruction est ouverte, en pratique le procureur n'a plus grand chose à y faire, c'est le juge d'instruction qui fait tout, mais le procureur a les mêmes droits que les avocats, il peut demander des investigations supplémentaires etc, et lorsque le JI estime que son instruction est terminée, le PR résume le dossier, en tenant compte de ce qui ressort de l'instruction (donc il laisse tomber ce qui ne tient pas, requalifie les faits qui ont été mal qualifiés etc) et demande le renvoi du dossier devant le tribunal.
Quant aux relations entre le PR et le JI, le JLD, et les juges qui jugent... ma foi c'est éminement variable. Nous sommes collègues, et on peut avoir de l'estime, de l'indifférence, voire du mépris pour un collègue, ça peut aussi être un ami, avec lequel on passe des vacances, pourquoi pas. Quant il s'agit des dossiers cependant, les magistrats quels qu'ils soient ont une conscience aigue, certains trouvent qu'elle est même exacerbée, de leur rôle et de leur fonction (vous l'avez peut-être remarqué sur le blog), et je ne crois vraiment pas que nous puissions nous influencer l'un l'autre.
Et pour finir de vous répondre je vous dirais que dans chaque dossier d'instruction, le JI voit beaucoup plus souvent les avocats, qui sont présents aux actes, lui écrivent etc, que le PR qui -même s'il le devrait- n'en a pas la possibilité et ne voit le dossier que lorsque le JI estime que l'instruction est terminée. En cela on peut dire que le PR fait confiance au JI, mais seulement jusqu'à l'issue de l'instruction. De toute façon toute la mécanique est faite de contre-pouvoirs entre-croisés, et la question ne se pose donc pas vraiment en termes de confiance.

Oh, et puis autant le dire, tout juge du siège se méfie un peu des parquetiers, même de ceux qui sont ses amis, lorsqu'ils sont l'un et l'autre dans l'exercice de leur fonction judiciaire. Ils nous trouvent pour tout vous dire un peu brutaux et mal dégrossis. Et à l'inverse il nous arrive de trouver qu'ils planent un peu dans les sphères éthérées alors que nous au moins on connaît la vraie vie. C'est tout à fait normal, et plutôt amusant.

Je crois que ce qu'il est très important de comprendre, c'est que le procureur n'est pas là pour "gagner". A partir du moment où il a choisi de faire juger quelqu'un (il a choisi les "poursuites"), évidemment c'est quil croit à la culpabilité et à la nécessité d'une sanction, donc il fait ce qu'il faut pour. Sachez que environ 70% des faits constatés avec un auteur identifié sont classés par le PR en amont, sans poursuites ou avec une alternative aux poursuites, c'est à dire sans jugement. Donc les 25 à 30% qu'il garde, c'est pour aller jusqu'au bout.
Mais pas à n'importe quel prix, ce serait ridicule puisqu'il oeuvre pour le bien public et pas pour lui-même.
De la même façon, il n'a aucun intérêt à prendre un marteau pour écraser une mouche, car sinon qu'est-ce qu'on fera de la mouche quand elle sera devenue un frelon furieux?
On ne travaille pas pour gagner -d'ailleurs quand les gens sont condamnés quelle satisfaction en retirerait-on personnellement ?- on fait ce qu'il semble le mieux de faire, à un moment , dans des circonstances, et pour une personne déterminée, dans l'intérêt du corps social qui nous a mandaté pour ça. Et personnellement je n'espère pas qu'on m'aime, qu'on me plaigne ou qu'on me remercie, je trouve mes satisfactions ailleurs. Mais vous savez quoi, j'adore ce boulot parce que j'aime les gens. Bizarre, hein ?

Oh, et au fait, sur ceux qui poussent des hauts cris quand l'avocat soulève une nullité. Un tuyau: en fait ils paniquent, la plupart du temps. Remarquez, mon petit sourire amusé et incrédule genre "ah, vous croyez vraiment" (je préfère ça que les hauts cris) cache exactement la même chose.

21. Le vendredi 12 octobre 2007 à 16:27 par Infreequentable

Absolument, Maître ! C'est mieux quand ils s'expriment.

Mais je m'incris EN FAUX sur une prétendue "pression" des avocats sur leurs clients.

D'accord, mon expérience dans le domaine pénal qui vous tient à coeur est parfaitement nulle, pour n'avoir jamais eu affaire avec aucun juge pénal en qualité de prévenu ou même de suspect !
Jamais.
Désolé...

Par contre, en matière de justice "civile" (commerce, TGI, TA, prud'hommes, etc.) je peux vous affirmer avec la plus grande certitude que ce n'est pas l'avocat qui dit à son client quoi dire et quoi faire, mais bien l'inverse !

D'accord, certains ne sont pas... toujours "au mieux de leur forme et talent" !

Mais pire que ça, même avec des "lumières", il faut quand même cornaquer son "baveux" pour que LUI ne raconte pas des çonneries inutiles qui vont perturber le bon déroulé d'une affaire ou oublie un point décisif !
Sans ça, la cause est perdue, foi de justiciable !

22. Le vendredi 12 octobre 2007 à 17:02 par Daniel Dravot

URGENT !

Mon Cher Confrère,
Ce commentaire sans le moindre rapport avec votre prose du jour: publiez donc quelque chose sur les dernières nouveautés datiesques concernant la réforme de la carte judiciaire, même si les avocats parisiens s'en foutent !
Nous étions une centaine ce matin, devant le TGI de LILLE, à accueillir FILLON et DATI venus présenter leur "projet de schéma d'organisation" pour la cour d'appel de DOUAI, alors que le rapport du Président de la Cour d'appel censé présenter ses propositions pour le ressort n'était toujours pas publié: la concertation annoncée était bien bidon...
Des confrères avaient réussi à venir de loin (MILLAU, MORLAIX, ...) alors que le déplacement de DATI n'a été annoncé qu'hier (la lecture de la prose destinée à la presse sur le site du ministère de la justice est riche d'informations...).
Bien à vous.

23. Le vendredi 12 octobre 2007 à 17:18 par Julien


Cà n'a rien à voir avec le sujet qui vous occupe mais que penser de la proposition de je ne sais plus quel sénateur de la Sarthe qui souhaite taxer les avocats qui ne font pas de commis d'office ?

Cela me parait tout à fait absurde.

D'abord, beaucoup d'avocats qui ne font pas de pénal (je suis le premier) seraient bien incapables de gérer correctement ce type de dossiers. Ensuite, ça me semble encore une réponse typiquement française à un problème. S'il n'y a pas assez d'avocats pour les commissions d'office, rendons celles ci plus attrayantes (en augmentant les honoraires) plutôt qu'en tapant sur la tête de ceux qui n'en font pas.


Ps : par ailleurs, j'attire votre attention sur l'article du Monde daté de demain (page 23) sur les conséquences perverses de la loi sur la récidive et la nécessité de revenir à une meilleure individualisation des peines.

24. Le vendredi 12 octobre 2007 à 17:29 par Julien

Bon, et à part ça, devine qui vient diner demain soir ?

25. Le vendredi 12 octobre 2007 à 17:39 par Opéra



HS mais à mon sens à lire d'urgence : une proposition UMP pour "rénover" l'AJ.
ici : Taxer les avocats qui ne font pas d'aide juridictionnelle

www.lemonde.fr/web/articl...

pourriez vous faire un post sur ce sujet ? il concerne tout le monde.


26. Le vendredi 12 octobre 2007 à 17:49 par fantômette

Aux magistrats en général et parquetiers en particulier,

Je suis avocate, et relativement jeunette dans la profession (un an et demi de barreau).

Peut-être bien suis-je donc celui ou celle que vous auriez été si vous n'aviez pas réussi l'enm... :-)

J'abonde dans le sens de ceux de mes confrères qui ont répondu plus haut.

A ceux d'entre vous qui se posent la question, et pour avoir encore fraichement en mémoire les leçons du crfpa, je vous assure qu'on n'apprend pas aux avocats en herbe à tenter de se montrer plus roublard encore que certains de leurs clients.

Tous les avocats qui sont venu nous entretenir de la plaidoirie au pénal nous ont inculqué - ou ont tenté de le faire - le respect dû non seulement au président, mais également au parquetier.

J'espère n'avoir jamais donné l'impression à un procureur de l'attaquer personnellement, et je ne crois franchement pas l'avoir jamais fait.

S'attaquer à des réquisitions dont on juge la sévérité excessive ne devrait pas être interprété comme une attaque personnelle à l'encontre du ministère public.

Inversement, lorsqu'un procureur requiert, à mon sens, trop sévèrement, je ne me sens jamais personnellement attaquée.

Mon client peut toutefois se sentir, quant à lui, injustement traité, et je me sens alors dans ma peau d'avocat de la défense lorsque je tente de me faire son porte parole.

Les intervenants au crfp, nous ont également tous dit qu'il était bien plus difficile de rebondir après un réquisitoire modéré et subtil qu'après un réquisitoire dont on sait à l'avance - parce que l'on connait notre juridiction - qu'il ne sera pas suivi car il est trop sévère.

Cela dit, d'après mon expérience, c'est à la fois vrai et pas vrai, car, à l'instar de mes confrères commentateurs, j'ai plaisir à démarrer une plaidoirie en disant : il me semble que le Procureur a très justement requis dans cette affaire et fait une juste appréciation des faits et de la personnalité du prévenu (quitte à préciser : une fois n'est pas coutume :-) ).

Cela ne me pose aucun problème d'éthique, et cela ne m'empêche pas de plaider - là aussi les instructions de mes professeurs ont toujours été claires - "ce n'est pas parce qu'un procureur requiert de façon clémente que le tribunal va le suivre. N'oubliez pas de plaider."

Cela dit, l'absence d'agressivité ne doit pas devenir de la complaisance, et cela également, a t-on tenté de nous l'inculquer.

Le procureur requiert, c'est son boulot. Je plaide, c'est le mien.

Lincoln, vous ne pensez pas devoir chercher l'adhésion du prévenu.

Je suis plutôt d'accord avec vous, étant précisé que l'intérêt de la société que vous défendez serait tout de même de l'obtenir, quitte à ne l'avoir pas cherché.

Quant à moi, mon travail d'avocat ne consiste pas à faire en sorte d'être approuvé par la collectivité. J'ai un mandat. Je travaille pour un seul gars. Et croyez-moi, pour la plupart d'entre eux, c'est un boulot à plein temps.

Le rappel de - et à - la loi fait partie de le mission du ministère public.

J'ai la tentation de croire qu'un avocat peut aussi faire du rappel à la loi, vis-à-vis de la société justement.

La loi la protège, parce que la loi l'encadre, et la contient. Et il me semble hautement souhaitable que la société l'entende, et que la société l'accepte.

Cela dit, si ce n'est pas le cas, ce n'est pas franchement mon problème. Je veux dire que cela peut être mon problème de citoyen, mais pas mon problème d'avocat de la défense.

Mon problème est que mon client est toujours membre de cette société, et que loi, qui est celle de tous, s'applique à lui non pas seulement dans toute sa sévérité, mais également pour ce qu'elle lui réserve de droits (et donc oui, je soulève des nullités) et l'espace de liberté qu'elle ouvre au juge du siège pour "s'offrir" l'adhésion du prévenu.

27. Le vendredi 12 octobre 2007 à 19:54 par ferraille

@Eolas

Je vous lis et j'ai mon opinion sur ce que vous écrivez.

28. Le vendredi 12 octobre 2007 à 20:13 par Delio

Dans le domaine du droit, que penser de la condamnation de Jean-Maurice Agnelet à vingt ans de prison pour l'assassinat d'une personne dont on ne sait quand ni où elle fut tuée et dont on n'a trouvé le cadavre (ni même un morceau d'icelui) ?

Agnelet ne me plaît pas, on sent qu'il trempe plus ou moins dans l'affaire, mais comment peut-on condamner quelqu'un pour un crime dont on ne sait même pas qu'il est avéré et sur la base de.... rien ?

J'attends avec impatience votre billet Eolas...

29. Le samedi 13 octobre 2007 à 00:02 par Robert Simon

Le français ça pue, c'est pas libre !

30. Le samedi 13 octobre 2007 à 16:16 par didier Schneider

@ Delio

on n'a pas retrouvé le corps, mais Agnelet avait déjà été condamné pour avoir volé la disparue. Et son alibi s'est écroulé il y a quelques années.

Mais était ce suffisant pour qualifier Agnelet de 'Charognard' comme l'a pu faire le proc ?

31. Le samedi 13 octobre 2007 à 16:40 par Nesquick

@parquetier : Vous dites qu'au final, les avocats voient plus les JI que les PR. Je voudrais bien vous croire, mais j'ai une affaire en tête - certes pas représentative de la justice française mais quand-même - qui tend à contredire cette idée : je veux parler de l'affaire d'Outreau. Il me semble qu'on a énormément tapé sur Monsieur Burgaud, mais qu'on a oublié l'importance de votre collègue monsieur Lesigne : pour ce qu'on a pu en savoir, il me semble qu'il a eu une certaine influence dans le dossier, qu'il a suivi de beaucoup plus près que les avocats.

Deuxième point, j'ai l'impression, à vous lire, que les parquetiers sont à la fois juge et partie : vous dites en effet commencer les instructions (et ça peut aller assez loin, il arrive que des dossiers ayant reçu une instruction soient au final composés à 75% de votre travail et notamment de la garde à vue), et quelque part vous les terminez puisque c'est vous qui requalifiez, renvoyez devant le tribunal etc. après la fin d'une instruction. Vous êtes en même temps, pendant l'instruction du JI, une sorte "d'avocat de l'accusation" : est-ce à dire que vous instruisez à charge et que le JI instruit à charge et à décharge ? Cela fait deux charges pour une seule décharge, ça.

Dernière question, le fait de parler "au nom de la société" et de tenir le rôle du "méchant" n'est-il pas parfois un peu contradictoire ? Il arrive en effet au procureur de requérir au nom de la société tout en n'étant pas du tout en phase avec celle-ci : je pense notamment aux dossiers d'euthanasie, où vos réquisitions sont parfois lourdes alors qu'une majeure partie de la population est du côté de l'infirmier ou du parent qui a provoqué l'euthanasie. Finalement, n'est-ce pas plutôt le juge du siège ou le JI qui, par son impartialité, mérite le plus d'être considéré comme parlant au nom de la société ?

32. Le mercredi 17 octobre 2007 à 20:00 par parquetier

@Nesquick Sorry, j’étais en mode “do not disturb” ces 3 jours-ci
vous posez plein de bonnes questions. Permettez moi de commencer par la dernière: Nous sommes les serviteurs de la loi, pas de “la majorité des gens qui pensent que”. Dans le cas de l’euthanasie, peut-être qu’à la marge il doit y avoir des classements sans suites en raison de l’inopportunité des poursuites, mais je n’en sais rien. Pour ma part je ne le ferais pas, s’agissant d’une atteinte à la vie, car j’estime que je n’aurais pas le droit de confisquer le débat qui devra s’instaurer devant les juges, s’agissant d’une question aussi grave. La loi nous oblige à protéger la vie, et punit l’interruption volontaire de la vie d’autrui. Si “la société” ne souhaite plus protéger la vie de cette façon, la loi changera. Maintenant, si devant la Cour d’Assises l’auteur est acquitté, eh bien, c’est la justice qui passe, et moi j’ai fait le boulot pour lequel la société m’a mandaté. Voyez l’idée ? Ce n’est pas que je “mérite ou pas” de représenter la société, c’est que la loi m’a mis dans ce rôle et que je dois le remplir, au cas par cas dans chaque dossier, comme je crois devoir le faire (eh oui, il y a forcément une part de libre arbitre, que d’aucuns voudraient éradiquer, mais la justice des hommes est exercée par des hommes, hé hé, c’est ainsi)

2e question, assez facile: je ne suis pas juge. Mais je ne suis pas tout à fait partie non plus. Ou plutôt, je ne suis partie qu’une fois qu’un juge est saisi. Il est tout à fait exact que tant qu’un juge n’est pas saisi, je conduis mes investigations tout seul, et il faudra me croire sur parole si je vous dis que j’investigue à charge et à décharge. Non, pas tout à fait sur parole, il y a aussi le bon sens: que gagnerais-je à monter un bobard qui exploserait en vol lorsque le juge serait saisi et que l’avocat présenterai les éléments de défense ? Et puis surtout où serait mon intérêt ? Je ne suis aucunement payé ni noté au résultat . Il faut bien quelqu’un pour commencer à rassembler les éléments en vue de la poursuite. Dans beaucoup de pays, c’est la police qui fait ça toute seule. Moi je préfère que ce soit un magistrat (même si les enquêteurs nous baladent parfois plus qu’on ne le souhaiterais), et c’est pourquoi je préfère que les parquetiers restent des magistrats, alors que certains voudraient en faire des fonctionnaires... pourquoi pas des stats de rendement, avec tableaux de chasses et graphiques au mur, tant qu’un y est, comme pour les reconduites à la frontière ? (et toc, sachez que quand les magistrats râlent et qu’on les taxe de corporatisme, on oublie qu’ils se battent d’abord pour préserver les grands principes démocratiques qu’on atteint à travers eux. Mais bon, j’ai laissé tomber ça, personne ne veut comprendre)


1e question: Lesigne aurait suivi le dossier d’Outreau de beaucoup plus près que les avocats. Ah ? Bon, c’est possible, dans la mesure où c’était un dossier couvert par les médias il devait avoir un rapport à faire à la Chancellerie tous les 6 mois environ, histoire de les tenir au courant. Mais autrement franchement je ne vois pas. Moi je crains au contraire qu’il n’y ait pas assez fourré le nez, pas plus que les avocats d’ailleurs, et qu’il aurait été bien inspiré, comme tout le monde dans ce dossier, de le relire soigneusement à chaque demande de mise en liberté par exemple, au lieu de reprendre sans même ouvrir le dossier le modèle de réquisitions de maintien en détention qui se trouvait dans son ordinateur. Bon, là attention, j’invente complètement, je ne sais pas du tout comment travaillait ce magistrat que je ne connais absolument pas, pas plus que le dossier d’ailleurs. Mais ce que j’aimerais vous faire comprendre c’est que pour éviter de nouveaux drames comme celui-là, nous on essaie plutôt de voir beaucoup plus les dossiers, et beaucoup plus les JI, qu’on avait pris l’habitude de (ne pas) le faire par manque de temps. Croyez moi, il nous arrive assez souvent de dire à un JI: "celui-là il faut le sortir", notamment quand leurs investigations n'avancent pas comme ils l'avaient prévu, mais que la longueur de la détention provisoire approche de trop près ce qu'il risque objectivement devant le tribunal. Parce que là dessus les JI qui ont le nez dans le dossier et ne vont pas à l'audience ne sont pas toujours alertés

33. Le vendredi 19 octobre 2007 à 13:26 par Kamizole

Outreau n'arrive jamais qu'après le procès de l'affaire Grégory, lequel a été mené à charge que par un journaliste de RTL qui avait tellement de casquettes différentes dans les médias - y compris avec son épouse - que l'on se demande comment les médias ont pu être à ce point abusés...
Taper comme un sourd sur le juge d'instruction, nouvelle sarkonneire, manière d'oublier qu'il existe une chambre de l'instruction.

34. Le dimanche 21 octobre 2007 à 13:12 par christine

J'ai plaisir à vous lire en diagonale.(j'ai un faible pour le parquetier....). Il fait beau, j'ai ri aux éclats. Vous êtes très fort....
christine

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.