Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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La Justice, "une conception bâtarde"?

Par Jojo, ancien assistant de justice affecté à un parquet de la grande couronne parisienne.


Avertissement d'Eolas : Ce billet vous propose de méditer sur les propos d'un magistrat en une période plus troublée de notre histoire. L'origine et l'auteur de ce texte sont donnés dès le début ; mais d'ores et déjà, je précise, pour ne pas parasiter la lecture, que l'auteur de cette contribution n'a absolument pas l'intention d'effectuer ou d'insinuer un quelconque parallèle entre les circonstances historiques d'alors et d'aujourd'hui ; mais de constater qu'il est des pressions et des résistances à cette pression depuis fort longtemps.


Extrait d'un rapport[1] du procureur général d'Alger du 3 décembre 1940 au représentant du gouvernement[2].

« IV - Indulgence due au manque de hardiesse des poursuites.

Cette partie de la critique de la Justice est la plus délicate à exposer, et les remèdes à proposer sont d'ordre essentiellement politique et même constitutionnel.

Nous vivons sous le régime de la séparation des Pouvoirs ; le pouvoir judiciaire devrait, en principe, être totalement indépendant des deux autres pouvoirs. Qu'est-ce que cela signifie? Que le magistrat devrait avoir une situation morale et matérielle telle qu'il n'aurait rien à redouter ni à attendre des autres pouvoirs de l'Etat ; et que tout changement, avancement, décoration, ne devrait pas être le fait d'un autre des trois Pouvoirs.

La réalité est toute autre ; depuis longtemps le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ont pénétré dans le domaine judiciaire qui ne garde que théoriquement son indépendance. Je ne crois pas qu'aucun magistrat ait jamais pu accepter de poursuivre ou de ne pas poursuivre, de condamner ou d'absoudre à la suite d'un ordre reçu. Un magistrat juge, il n'obeit pas.

Je crains, par contre, que l'intrusion de plus en plus grande du pouvoir administratif dans le judiciaire n'ait incité, indirectement, certains magistrats à une circonspection excessive. Il ne fallait pas d'"histoire", le moindre faux pas, même assorti de la plus absolue probité morale, était imputé à faute à un magistrat instructeur ; les inculpés de marque trouvaient pour les défendre des voix puissantes et haut placées.

Le remède à trouver est d'ordre essentiellement politique, au sens le plus grand et le plus noble de ce mot. Il ne peut être question dans ce court rapport, d'effleurer même le problème.

Qu'il me soit permis de dire cependant qu'à mon sens deux seules conceptions doivent rester en présence, et que c'est entre elles qu'il faut choisir :

1° Ou bien on maintiendra le principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire, en en faisant une réalité absolue et en écartant soigneusement du magistrat toute pression directe ou indirecte, d'où qu'elle vienne.

2° Ou bien on "intégrera" complètement la Justice dans le Gouvernement de la Nation, et elle deviendra une Administration comme les autres, dirigée et animée par le Pouvoir Central.

Mais ce qui ne doit plus subsister, c'est la conception bâtarde qui existait depuis trop longtemps : celle d'une justice théoriquement indépendante, mais qui, en fait souffrait de l'intrusion à peine voilée de l'exécutif et du législatif, et qui dépendait d'eux trop souvent.

Quelque soit le statut de la Justice de demain, j'estime que le point essentiel de son organisation est celui de son recrutement. Il est indispensable que le magistrat ait des connaissances générales fort étendues, et qu'il ait la "foi" dans sa fonction.

Jadis il pouvait suffire, pour être magistrat, d'être un bon juriste ; ce n'est plus suffisant ; le magistrat ne doit pas s'abstraire de la Société, et doit avoir le cerveau assez riche de pensées et de culture pour pouvoir comprendre et juger sainement les problèmes divers que posent les grandes transformations sociales et économiques du Monde moderne ; la vie, en effet, n'attend pas, c'est à la pensée juridique à savoir la suivre. (...) »

Notes

[1] L'oroginal de ce document est conservé aux Archives Contemporaines Nationales, site de Fontainebleau.

[2] Il s'agissait du Général Maxime Weygand, Délégué général du Gouvernement en Afrique française.

Commentaires

1. Le samedi 25 octobre 2008 à 02:12 par Vox Populi

Je pense que la justice devrait être totalement séparée, car l'inverse est l'une des composantes définissant une dictature.

L'idéal serait un Garde des Sceaux indépendant, non nommé par le Président mais élu par la profession juridique, et destituable sur motion par vote.

L'idéal serait de totalement détacher la justice du reste de la société ou de l'administration.

Malheureusement, le coeur de l'Homme est bifide et convoite le pouvoir. C'est humain.

Et la recherche de pouvoir veut que l'on s'octroie le pouvoir judiciaire.

C'est ce que fait Sarkozy en forçant se donnant la moitié décisionnelle des hautes instances juridiques et en plaçant Rachida Dati, une incompétente économiste qui le traite plus en père qu'en président, à la tête de cette profession.

Il apparaît donc comme nécessaire aujourd'hui d'avoir recours à une catharsis afin de reséparer des pouvoir trop rapprochés.

Mais comment procéder ? (Moi personnellement, je vote Bayrou entre autre pour cette idée, mais cela n'a pas été suffisant...)

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