Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Un jour à l'instruction

Par Wonderwoman


NB : on parle ici non pas de l’instruction publique donnée dans les écoles, mais de l’instruction judiciaire, c’est à dire, une enquête judiciaire approfondie sur un crime ou délit confiée à un juge enquêteur, le juge d’instruction. NdEolas

Idée reçue : un fonctionnaire ne travaille que de 8h à 12h00 et de 13h30 à 17h00. Si seulement !

7h30 : Arrivée au tribunal. Dans mon bureau, le fax est déjà plein à craquer. Des interpellations ont eu lieu la veille dans un gros dossier de stups, et 6 personnes ont été placées en garde à vue. Les défèrements sont prévus aujourd’hui, la journée promet d’être mouvementée. J’ai 1h30 avant l’ouverture au public pour travailler dans le calme et avancer le plus rapidement possible… Cassiopée me voilà ! Création, fusion, modification, impression… ça avance ça avance.

9h00 : premiers coups de fils et premières intrusions dans mon bureau. La famille de détenus me harcèle pour savoir quand vont être délivrés leur permis de visite, un avocat rentre pour me demander comment avance son dossier, le greffier en chef nous interrompt pour savoir si je ne peux pas remplacer une collègue absente à une audience, un autre avocat déboule pour consulter un dossier et le téléphone sonne, c’est l’accueil qui annonce que mon rendez-vous de 9h30 est arrivé !

9h30 : interrogatoire avec un type dédaigneux qui réfute l’irréfutable, preuve vidéo à l’appui « non non je ne me suis pas enfuis… », alors qu’il court comme un lapin sur la vidéo surveillance…

11h30 : fin d’interrogatoire. Le fax est de nouveau plein à craquer, les gardes à vue avancent, la juge fait le point au téléphone avec les enquêteurs sur le nombre de personnes présentées le soir même. Il y a encore tout le courrier à trier et à traiter. Zut ! Le parquet a encore oublié de me rendre ses réquisitions pour une demande de mise en liberté qui expire aujourd’hui ! Me voilà partie à l’étage chercher le substitut qui a oublié de me redonner mon dossier ! Une fois les réquisitions en main, je redescends et rappelle à ma juge qu’il faut motiver son ordonnance de saisine dans l’urgence… Il y a tout le courant à gérer en même temps, modification de contrôle judiciaire, ordonnance de règlement, permis de visite, délivrance d’attestation de fin de mission pour les avocats, demande de copie…

12h30 : ouf ! Enfin un peu de répit, je sors de mon bureau pour aller déjeuner. Je croise le juge des libertés et de la détention (JLD)qui m’annonce qu’il y a un débat, « Quand ? » dis-je innocemment, « Maintenant » répond-il. Évidemment ! Le Parquet a encore oublié de prévenir la greffière… Bon je déjeunerai plus tard… Escorte, avocat, détenu, substitut, JLD, débat, délibéré, décision… Celui-là ira en détention jusqu’à l’audience de comparution immédiate, pas de suspens quand on sait qu’il n’a pas de domicile fixe, question garantie de représentation il y a mieux…

13h30 : je déjeune finalement sur mon clavier en préparant les défèrements de l’après-midi.

14h00 : les premières escortes arrivent avec leur procédure, il faut que je m’assure que chacun à choisi un avocat, et si ce n’est pas le cas, je dois secouer l’ordre des avocats pour qu’il m’en trouve un immédiatement… Les enquêteurs se dirigent vers le bureau de la juge pour lui faire le point sur les déclarations des gardés à vue, pendant que je jongle avec les avocats qui veulent lire la procédure, le téléphone qui continue de sonner et le courrier qui doit partir impérativement avant mes interrogatoires de l’après midi. La photocopieuse en plein régime, je me mets en mode « certifié conforme le greffier ».

14h30 : le premier mis en cause peut entrer, tout le monde est prêt. « Je choisis de me taire » Parfait ! L’interrogatoire ira plus vite. Et de 2, et de 3… les escortes défilent avec leur gardé à vue. Pour certains ils ressortent libres sous contrôle judiciaire, pour d’autres direction le JLD qui va statuer sont son sort. Mais comme dans une petite juridiction les greffiers sont multi-tâches, la greffière de l’instruction est aussi la greffière du JLD. Il devra donc attendre qu’on ait fini nos défèrements à l’instruction.

18h00 : Enfin, les 6 mis en cause sont passés devant le juge d’instruction. Direction le bureau du JLD. Le juge - « Acceptez vous que le débat se déroule aujourd’hui ou souhaitez-vous un débat différé ? » Le mis en examen - « Je souhaite une débat différé ». C’est parti pour une incarcération provisoire de 4 jours maximum le temps que son avocat ait le temps de préparer sa défense. Une plaie pour la greffière qui devra faire extraction et convocation dans l’urgence pour que les services de la pénitentiaire prévoit le transfert de détenu dans les temps voulus pour le débat différé… Les autres mis en examen défilent, ce sera mandat de dépôt pour certains et contrôle judiciaire pour d’autres.

20h00 : je sors du débat, je retourne dans mon bureau qui est plein à craquer des procédures de garde à vue qu’il faudra que je côte demain à mon arrivée, juste après avoir fait l’extraction en urgence pour le détenu qui a demandé un débat différé.

20h30 : j’arrive chez moi dans mon petit studio vide… Car la réalité est bien là, les premiers postes « choisis » par les greffiers sortis d’école sont souvent très éloignés de leur famille. Le célibat géographique est connu de chacun et de chacune… Ce qui engendre double loyer et doubles charges, sans compter les frais d’essence et d’autoroute pour rentrer auprès des siens le week-end.

Et je suis loin de toucher les 2400€ par mois annoncés par M. WALLS comme étant le salaire moyen des fonctionnaires !

Alors pourquoi se dévouer autant me direz-vous ?

Parce que le poste de greffier à l’instruction est passionnant, enrichissant et épanouissant.

On résume souvent le métier de greffier à un métier de bureau. Mais pas un jour je suis restée assise devant mon écran d’ordinateur ! D’abord, j’adore ce métier pour sa diversité. Chaque jour est différent de la veille. Les dossiers ont toute une spécificité. Avec le temps, on connaît les mis en examen, les victimes, quand l’un ou l’autre nous appelle, on sait tout de suite répondre à leurs interrogations. En arrivant le matin, j’ai beau planifié ce que j’ai à faire, il y a toujours un imprévu, ce qui pimente ma journée. D’autant que ma double fonction Instruction-JLD me promet des débats impromptus au milieu de la journée. Et puis il y a les reconstitutions : convoquer les principaux mis en examen et victimes pour « rejouer » la scène selon les différentes versions ! Alors dit comme ça, ça paraît sympa, mais le travail du greffier est primordiale, car si le juge se « contente » d’interroger chacun, le greffier doit et noter les déclarations des uns et des autres, et noter précisément où la personne déclare s’être trouvée au moment des faits, à quel moment elle dit y être allée…Un peu comme un roman au final ! Et tout ça dans des conditions plus qu’inconfortables : pas question d’avoir un bureau ou de chaise au milieu d’un bois ! La reconstitution c’est ausi l’occasion de débarquer dans un restaurant pour la pause déjeuner avec une quinzaine de gendarmes en uniforme !

J’adore ce métier, ensuite et surtout pour les relations humaines que j’ai pu créer. Avec la juge surtout. L’instruction c’est un binôme juge-greffier. Soit ça passe, soit ça casse ! Après quelques semaines à s’apprivoiser l’une l’autre, nous voilà un binôme efficace, et au bout de quelques mois, plus besoin de se parler pour se comprendre, un simple regard suffit. En interrogatoire, grâce au double écran, je peux même lui écrire des blagues pour la faire sourire, le tout le plus discrètement possible, évidemment. Une réelle complicité c’est installée entre nous. Il faut dire que l’on passe plus de temps au travail qu’avec nos conjoints respectifs, il y a donc plutôt intérêt à bien s’entendre ! On fonctionne réellement à deux, je suis son pense bête notamment quant aux délais impératifs à respecter sans quoi notre tête de réseau de trafic de stupéfiants sort de prison prématurément ! Et la juge est là quand j’ai des coups de bourre. Je me souviens du jour où j’ai du envoyer 80 ordonnances de règlements en lettre recommandée, elle m’a aidée à mettre le tout sous pli… loin de sa fonction de magistrat ! Qu’est ce qu’on a pu rigoler toutes les deux ! Parce qu’il faut se le dire, les dossiers à l’instruction c’est loin d’être le pays des bisounours, entre les agressions sexuelles, les trafics de stupéfiants, les homicides involontaires, les escroqueries de grande ampleur… Il faut savoir décompresser !

Mon bureau, concomitant à celui de ma juge, est rarement vide… Toujours un enquêteur pour venir faire le point sur une enquête ou pour venir chercher sa commission rogatoire. Toujours un avocat pour venir consulter un dossier, ou déposer des demandes. Ma machine à café au sein de mon bureau a aidé à dépasser le simple rapport de travail, et nos relations sont devenues quasi-amicales, et cela a beaucoup facilité le travail au quotidien à l’instruction ! Finalement, certains ont pris l’habitude de venir simplement par sympathie et quand le temps nous le permet, on papote autour d’un café.

Enfin, mes collègues fonctionnaires. J’ai eu une immense chance de trouver des collègues qui sont devenus mes amis. Nos déjeuners donnent lieu très souvent à des fous rire, et nos longues soirées de célibataires se sont transformées en apéro-cacahuète ensemble !

Voilà pourquoi j’aime tant ce métier : les rapports humains, qu’ils soient avec le juge, les collègues, avec les acteurs extérieurs ou avec les personnes impliquées au dossier…

Ce métier il faut l’aimer pour l’exercer !

WonderWoman

Commentaires

1. Le mercredi 23 avril 2014 à 07:42 par Jean

Un triple post ! Un petit ménage s’impose, je pense.

2. Le jeudi 24 avril 2014 à 13:30 par M19

Ancienne juge d’instruction passée depuis quelques années déjà dans l’ambiance douce et feutrée d’une chambre civile dans un autre TGI, je vous remercie de votre contribution, qui m’a fait revivre cette adrénaline qui me plaisait tant dans ce métier, mais qui m’a tant usée…
J’ai souri à l’évocation du double écran pour communiquer en douce avec la greffière… et ces repas avec les gendarmes au fond d’une petite auberge dans la campagne, après la reconstitution… Que de bons souvenirs… C’est vraiment LA fonction dans laquelle on perçoit à quel point le juge et le greffier ne peuvent se passer l’un de l’autre…

3. Le vendredi 25 avril 2014 à 09:06 par WonderWoman

Cher M19,
Je suis ravie que mon expérience en rappelle d’autres, et surtout que ma relation avec ma juge n’est pas un cas exceptionnel. Je confirme, la cohésion juge-greffier est juste indispensable d’abord pour le bien être au quotidien et aussi pour la bonne marche du cabinet !

4. Le vendredi 25 avril 2014 à 12:01 par Balth

Quand je lis le récit de cette journée à l’instruction, j’ai l’impression de la vivre ou plutôt de l’avoir vécu, mais en spectateur.
OPJ dans un service de police judiciaire avec comme secteur quatre départements, mes collègues et moi sommes en relations avec de nombreux parquets et cabinets d’instruction.
En police judiciaire on travaille en étroite collaboration avec le juge d’instruction ou plus exactement avec la greffière car en réalité comme c’est elle qui va rédiger tous les actes en réponse à nos sollicitations elle devient notre interlocutrice principale, voir parfois même préférée…
Je pense que tous, acteurs de la justice, ou de la police, nous n’avons pas un travail mais plutôt une passion que nous exerçons par vocation, c’est pourquoi nous ne comptons pas nos heures…..
Je ne cache pas ma vision qui est qu’un juge sans un bon greffier n’est rien, tout comme un bon greffier sans un bon juge non plus.
L’idéal c’est quand deux personnes motivées par la même passion, par le même dévouement se trouvent et qu’elles ont la chance de travailler en binôme car de l’extérieur on a la vision d’une véritable équipe, d’un couple indissociable l’énergie et la bonne humeur de ce couple est contagieux, elle nous motive et nous pousse inconsciemment à nous surpasser.
Dans mon service pas d’échappatoire on assure depuis les soupçons, l’enquête, l’interpellation, les audition, les présentations (et oui nous ne sommes pas remplacés par une escorte) jusqu’à la maison d’arrêt
Un garde à vue à des droits, un enquêteur n’en a pas, donc en déferrement le repas n’est pas prévu pour les policiers et se retrouver dans le cabinet de l’instruction à manger des pizzas en compagnie du duo de choc juge/greffier, ça n’a pas de prix, ça restera à tout jamais grave…
Je pense que pour être greffier à l’instruction il faut avoir une âme de super héros, et être croise aussi avec un millepattes.

J’ai eu la chance de travailler avec Wonder Woman, merci à toi pour ton aide, ta patience (car pour travailler avec des flics il en faut), ton professionnalisme mais aussi pour ton caractère, pour les cafés partagés car après 96 heures de garde à vue on en a tous besoin.

A mon grand regret tu as été mutée, mais tu as fait le bon choix, car y’a une vie après le travail et c’est avec celui qui fait battre ton cœur

Tu m’as fait découvrir ton métier ;-) et tu m’as fait découvrir un côté beaucoup plus humain de la justice envers la police

5. Le vendredi 25 avril 2014 à 12:41 par M19

WonderWoman et Balth, çà ne vous étonnera pas si je vous dis que plusieurs années après avoir quitté l’instruction, ma greffière et certains OPJ sont les seuls, de cet ancien poste, avec lesquels on s’échange toujours un mail de voeux au Nouvel An…
Dans certaines affaires bouleversantes, les liens qui ont pu se tisser avec certains OPJ sont très forts. Pleurer ensemble sur les terribles violences faites à un enfant, parce que là, on a un coup de fatigue, on en peut plus, on est à cran, quitter un instant la robe ou l’uniforme pour s’afficher pudiquement dans toute notre humanité, çà rapproche tellement…

6. Le vendredi 25 avril 2014 à 13:55 par how to swing a golf club for beginners

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7. Le vendredi 25 avril 2014 à 15:41 par Balth

M19, j’imagine très bien…
En plus de 13 ans d’investigation sur une petite carrière de 16 ans, je pense qu’on a du rencontrer la même détresse humaines, enquêter sur des faits inimaginables et surtout inacceptables et c’est vrai qu’à ces occasions inhumaines certaines personnes m’ont vu, ont traversé avec moi des émotions que je n’ai jamais avoué à mes proches, car il faut connaître ces métiers pour les comprendre
Ça m a permis de rencontrer des personnes très chère à mon cœur pour qui je serai prêt à traverser la France à la moindre sollicitation …

8. Le samedi 26 avril 2014 à 02:08 par parfois-ras-la-couette

Les postes de sortie d’école sont parfois les plus redoutés mais une fois immergés, on a bien du mal à s’en détacher ! Je retrouve dans ce récit de journée-type à l’instruction quasi le même rythme, les mêmes tensions, les mêmes rencontres qu’au TTR… où je ne voulais surtout pas aller ! Les jours de répit étaient rares, les défèrements toujours de plus en plus nombreux (peut-être - non sûrement - pour une question de statistiques… toujours elles !), les compa, les présentations JLD ou CRPC défèrements aussi !

Et pourtant, pourtant ! comme j’aimerais retrouver ma petite juridiction, où le cumul des attributions a été si formateur… où les nocturnes étaient si nombreuses… où la cohésion entre collègues était réelle… où certaines parquetières sont devenues des amies..! Parce qu’on était soumises à la (presque) même tension ! C’était parfois usant mais J’ai adoré ma vie de Bébé-Greffier !!!
Et la meilleure récompense : les mots de ma GEC à mon départ :”Cessez de douter de vous, vous n’êtes plus un bébé-greffier ! Vous êtes un excellent greffier !”

Après l’obtention de ma mutation, je savais que je ne retrouverais pas le même univers ; mais le célibat géographique, effectivement, ça va bien un temps ! Et une grossesse avec ce stress, ce n’est pas forcément bon ! Alors nouveau TGI, nouveau service et vie de famille obligent, on se dit qu’on ne doit pas refaire la même chose, pas les mêmes “sacrifices” (je ne le ressens pas comme ça d’ailleurs), mais le manque de moyens, le manque de temps, et surtout, SURTOUT l’envie de faire bien son boulot font qu’on part du bureau en “débordant un peu” de ses horaires !
Donc je rejoins ta conclusion WonderWoman : Ce métier, il faut l’aimer pour l’exercer !

9. Le dimanche 4 mai 2014 à 09:49 par my web site

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