Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 29 septembre 2011

Petit Vade Mecum d'urgence sur la contribution pour l'aide juridique

Ce billet s’adresse avant tout à mes confrères, indirectement aux magistrats qui vont devoir dès samedi se dépatouiller avec ça, mais risque d’être abscons pour mes lecteurs mekeskidis, car je vais devoir employer un vocabulaire technique.

Samedi 1er octobre entre en vigueur la contribution pour l’aide juridique, un droit de 35 euros qui doit être acquitté pour l’engagement d’une procédure devant les juridictions judiciaires et administratives.

Le décret vient de sortir, et entre les exceptions et les exemptions, on s’y perd.

Donc voilà où on en est.

Le principe

Le principe est simple : une procédure engagée, 35 euros. Quel que soit le nombre de parties. La loi de finance rectificative qui a institué ce droit prévoyait un paiement par voie électronique pour les avocats et avoués, mais rien n’a été mis en place. le décret prévoit qu’en cas d’impossibilité, ce droit est acquitté par voie de timbre mobile, c’est à dire le bon vieux timbre fiscal (ça rappellera des souvenirs aux vieux publicistes). Premier problème : la loi ne prévoit pas cette possibilité pour les auxiliaires de justice, mais seulement pour les particuliers. Pas sûr que le décret soit légal, ce qui promet des recours en annulation. Vive l’incertitude juridique.

Les timbres sont à accoler sur l’acte introductif d’instance déposé au greffe de la juridiction (et non sur le greffier ou sur le juge) : sur la requête introductive devant les juridictions administratives, le second original pour une assignation (inutile d’envoyer un exemplaire timbré à l’huissier, collez-les lors du placement), ou la déclaration d’appel.

Le droit n’est dû qu’une fois par procédure, même si elle fait l’objet de saisines multiples d’une juridiction. Ainsi si vous relancez une procédure après péremption d’instance, désistement ou caducité de la citation, ou si vous saisissez une juridiction après une décision d’incompétence, vous n’avez pas à payer à nouveau (mais devrez produire la saisine originelle dûment timbrée pour prouver votre recevabilité).

Pour la même raison, une requête en rectification d’erreur matérielle, en interprétation ou en complément d’une décision, est exemptée. Idem pour la saisine en rétractation, modification ou contestation d’une ordonnance sur requête (mais l’ordonnance sur requête exigera elle le paiement du droit de 35€).

De même, si vous faites un référé expertise (qui suppose paiement du droit), et que vous saisissez ensuite au fond sur la base de cette expertise, la saisine au fond est exemptée du droit, qui a déjà été acquitté.

Enfin, bien que ce ne soit pas expressément dit, l’intervention n’est pas une introduction d’instance, et dispense donc du paiement de ce droit (voilà qui encouragera les parties civiles à se constituer devant le juge répressif).

Les exceptions

Elles sont nombreuses, sinon ce ne serait pas drôle.

Sont dispensés du paiement du droit de 35 euros :

  • - Les procédures au titre de l’aide juridictionnelle, totale ou partielle ;
  •  -Les procédures introduites par l’État (je mentionne pour info, je doute qu’Il me lise), et par le ministère public, qui est son Prophète, ce qui exclut toutes les instances pénales SAUF les citations directes par la partie civile et les plaintes avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction ;
  • - Les requêtes devant la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI), et les demandes au titre du SARVI, qui n’est pas une procédure judiciaire ;
  • - Les procédures devant le juge des enfants ;
  • - Les procédures devant le juge des libertés et de la détention ;
  • - Les procédures devant le juge des tutelles ;
  • - Les procédures de surendettement (on peut comprendre pourquoi…)
  • - Les procédures de redressement et liquidation judiciaire, et de redressement amiable des exploitations agricoles ;
  • - Les recours contre les décisions individuelles relative à l’entrée, au séjour et à l’éloignement d’un étranger sur le territoire français ainsi qu’au droit d’asile : refus de titre avec ou sans OQTF, recours devant la CNDA, contentieux des RATATA, etc. (Ouf) ;
  • - Le référé liberté devant le juge administratif (mais PAS le référé suspension ni le référé mesure utile) ;
  • - La demande d’Ordonnance de Protection devant le juge aux affaires familiales (c’est pour les victimes de violences conjugales) (art. 515-9 du Code civil) ;
  • - La demande d’inscription sur les listes électorales devant le président du tribunal d’instance (art. L. 34 du Code électoral) (ouf aussi, trouver des timbres fiscaux le dimanche, c’est pas évident) et les contestations d’élections professionnelles et de désignation de délégués syndicaux ;
  • - La contestation des dépens d’une instance devant le TGI).
  • - La saisine d’une juridiction de renvoi après cassation.
  • - Les procédures soumises au procureur de la République, au greffier en chef, ou au secrétariat d’une juridiction (certificat de nationalité par exemple) ;
  • - Les procédures aux seules fins de conciliation, de certificat, d’acte de notoriété, de recueil de consentement.
  • - Les demandes incidentes, à condition de mentionner l’instance principale à laquelle elle se rattache
  • - Les assignations en divorce, le droit de timbre ayant été acquitté lors de la requête initiale ; (Merci OlEB)
  • - Les demandes d’indemnisations de détention provisoire indue (1e instance et appel) ;
  • - La demande aux fins d’autorisation d’accueil d’embryon devant le président du TGI ;
  • - Les saisies des rémunérations du travail, sauf intervention d’un créancier extérieur à la procédure ; Rectificatif : les saisies des rémunérations du travail sont soumises au droit  de timbre, seules sont dispensées les contestations de la saisie et l’intervention à une saisie en cours quand on est déjà créancier (hypothèse de l’actualisation de la créance) (merci Ratapignata)et OlEB ;
  • - Opposition à ordonnance résiliant un bail d’habitation pour inoccupation ;
  • - Opposition à injonction de payer ou de faire, le droit ayant été acquitté pour obtenir l’injonction.
  • - Demande d’exécution d’une décision du juge administratif.

La sanction

C’est l’irrecevabilité, constaté d’office par le juge (président du tribunal, président de chambre, juge de la mise en état ou formation de jugement selon le cas), sans débat si c’est un avocat qui a présenté la requête ou déposé la citation. Sinon, il doit solliciter les observations des demandeurs sans avocat. Cette irrecevabilité n’empêche pas le juge civil de statuer sur les demandes d’article 700 (on pense bien sûr à celles présentées par le défendeur).

Attention, cette irrecevabilité n’est pas susceptible d’être couverte devant le juge judiciaire (art. 62-5 du CPC), mais elle peut l’être devant le juge administratif même après expiration du délai de recours (art. R.411-2 du CJA).Oui, c’est pas juste.

Le juge administratif est dispensé de demander la régularisation si le requérant est représenté par un avocat, sinon il doit demander la régularisation.

En cas de décision d’irrecevabilité erronée, vous avez 15 jours pour saisir le juge ayant prononcé cette irrecevabilité pour qu’il la rapporte sans débat. S’il maintient son refus, c’est le recours de droit commun.

La récupération

Ce droit est dû au titre des dépens par la partie qui succombe, sauf décision expresse du juge. Pour le civil/commercial/prud’hommal : art. 695, 1° du CPC. Pour l’administratif : Art. R. 761-1 du CJA.

Et l’aide juridictionnelle alors ?

Si elle est accordé, le requérant est exempté du paiement. Il en est justifié par la production d’une copie de la décision octroyant l’AJ avec l’acte introductif. Si la demande est en cours, il est produit copie de la demande. En cas de rejet de la demande d’AJ, de retrait ou de caducité, la contribution doit être acquittée dans le mois qui suit devant les juridictions judiciaires ; devant les juridictions administratives, le juge doit demander la régularisation avant de prononcer l’irrecevabilité (théoriquement il peut le faire sans solliciter la régularisation si un avocat représente le requérant, mais ce serait contraire au procès équitable à mon sens).

Merci de me signaler mes erreurs et oublis, je mettrai ce billet à jour si nécessaire.

À vos timbres fiscaux.
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Mise à jour 1 : ajout des élections professionnelles et interprétation de l’art. 1114 du CPC.
——
Mise à jour 2 : rectification sur la saisie des rémunérations du travail.

vendredi 4 juin 2010

Renatus

Cette année, le barreau de Paris fête une date importante, qui a par ricochet une importance certaine pour tous les avocats de France : le bicentenaire de son rétablissement par le décret impérial du 14 décembre 1810.

L’Ordre des avocats, et avec lui la profession d’avocat elle-même, avait en effet été supprimée par l’assemblée Constituante par la loi des 16 août et 2 septembre 1790 (qui abolissait les corporations d’ancien régime, dont l’ordre faisait partie), pour des raisons qui restent assez mystérieuses pour les historiens, puisque les avocats étaient majoritaires au sein de cette assemblée (165 sur 300 députés). Le rapporteur de la loi était lui-même avocat (le lyonnais Bergasse) et de fait, les comptes-rendus des débats nous apprennent que l’unanimité des avocats de l’assemblée ont voté cette loi, sauf un : le député de l’Artois Maximilien Robespierre.

Toute partie aura le droit de plaider sa cause elle-même, si elle le juge convenable et afin que le ministère des avocats soit aussi libre qu’il doit l’être, les avocats cesseront de de former une corporation ou un ordre, et tout citoyen ayant fait les études et subi les examens nécessaires, pourra exercer cette profession : il ne sera plus tenu de répondre de sa conduite qu’à la loi.

(Rapport du député Bergasse, cité dans Histoire des avocats en France, Bernard Sur, Ed. Dalloz, 1997, qui a largement inspiré ce billet).

Apparaissent à la place de la profession d’avocat les défenseurs officieux, et est créée la profession d’avoué, qui représente, rédige les actes et plaide devant la juridiction à laquelle ils sont attachés. Elle ne sera pas supprimée lors du rétablissement de l’Ordre, malgré les protestations des avocats. Les avoués près les tribunaux de grande instance seront supprimés en 1971 et la suppression des avoués d’appel est sur les rails et devrait devenir effective en 2011, ces deux professions fusionnant avec les avocats.

Les avoués sont les héritiers des procureurs d’ancien régime, qui étaient clercs (alors que les avocats étaient laïcs) et plaidaient principalement devant les juridictions ecclésiastiques où la procédure était écrite, tandis que l’avocat plaidait devant les juridictions séculières à la procédure orale, d’où la séparation des tâches : l’avoué rédige les placets et les conclusions, et l’avocat les plaide. En Espagne, les avoués existent encore et s’appellent… procuradores.

Paradoxalement, 1790, année de la suppression de la profession sera aussi celle de la naissance de la profession d’avocat moderne. La Révolution a en effet profondément modifié l’organisation de la justice, réforme dont les principes sont encore en vigueur aujourd’hui : instauration d’une justice de paix pour les petits litiges, devenue les tribunaux d’instance et de proximité. En Belgique, elle porte encore ce nom. Création de 545 tribunaux de première instance (devenus 157 tribunaux de grande instance, une fois la réforme de la carte judiciaire entrée en vigueur), l’appel se faisant d’un tribunal à l’autre, des tribunaux de commerce, héritiers des juges consulaires du Chancelier de l’Hospital, des tribunaux criminels, avec jury criminel, ancêtre des cours d’assises, et du Tribunal de cassation, qui deviendra Cour sous l’Empire.

L’instauration des tribunaux criminels, avec jury (douze citoyens mâles, délibérants hors la présence du juge sur la seule culpabilité, la peine étant prononcée par le juge seul) et loi de procédure unique pour toute la France qui prévoit le droit à un défenseur, est la naissance de la défense pénale moderne. Et très vite, ce sont les anciens avocats qui vont assurer la défense devant cette juridiction. Et face aux dérives des défenseurs officieux qui ne se caractérisaient pas par leur probité, ceux-ci vont fonder un groupe informel, “les avocats du Marais”, du nom du quartier où ils étaient établis (3e et 4e arrdt de Paris), instaurant entre eux une déontologie rigoureuse. Leurs noms sont entrés dans l’Histoire : Berryer père, Bonnet, Bellart, Target, Férey, dont nous reparlerons, Delamalle, Chauveau-Lagarde, De Sèze, Billecoq, Théloriern Tronson du Coudray, défenseur de la Reine, qui sera arrêté aussitôt sa plaidoirie terminée et déporté en Guyane pour avoir trop bien défendu sa cliente. Ils organisent aussi des cours privés pour former leurs successeurs, l’Université ayant aussi été abolie. C’est l’ancêtre des Centre Régionaux de Formation des Avocats.

Le premier grand procès pénal sera celui de Louis XVI, qui fera appel à Tronchet, dernier Bâtonnier des avocats en 1790, Malesherbes, qui sortira de sa retraite pour défendre le roi, sachant que cela pourrait lui coûter la vie (et de fait il fut condamné à mort sous la Terreur) et de Sèze.

L’heure de gloire des avocats du Marais sera l’heure la plus sombre de la Révolution : le Tribunal Révolutionnaire, créé par le décret du 13 mars 1793, qui précise que la défense y est “autorisée”. Les audiences sont publiques, et le public est souvent surexcité et en armes. Les avocats sont convoqués le matin du procès, à l’aube, pour une audience ouverte à douze heures, une éventuelle sentence de mort étant exécutée dans la foulée, l’avocat devant accompagner son client jusqu’à la Place de Grève (place de l’Hôtel de Ville, ce qui tombait bien, c’était sur son chemin pour rentrer au Marais).

En 1794, Fouquier-Tinville, l’accusateur public, en ayant assez de ces avocats qui plaidaient trop bien, exige qu’ils présentent un certificat de civisme pour pouvoir plaider. Sachant que si ce certificat leur était refusé, c’était la mort assurée en vertu de la loi des Suspects. Une loi du 11 juin 1794 prévoit que désormais, c’est le Tribunal lui-même qui désignera les défenseurs parmi des “patriotes”. Comme disait Couthon, membre du comité de salut public (dont le fauteuil roulant est conservé au musée Carnavalet), il est inconcevable que tyrans et conspirateurs puissent obtenir un défenseur qui se permette de les justifier et de critiquer la Révolution ; ces “mercenaires” doivent être interdits. Il finira par admettre son erreur deux mois plus tard, quand lors du9 Thermidor, il sera arrêté aux côtés de Robespierre et Saint-Just, et immédiatement conduits à la guillotine, sans avoir droit à un défenseur. Déjà, on voyait apparaître ce travers du législateur qui trouve toujours saugrenue l’idée qu’on lui applique la loi qu’il vote.

Le Directoire sera une période d’apaisement et dès 1795, les “avocats défenseurs” reprennent leur office (ils étaient 305), et les avoués, interdits aussi sous la Terreur, sont rétablis. Les avoués sont attachés à un ressort, pas les avocats.

L’Empire mettra fin à la Révolution, mais la réorganisation de la République ne verra pas tout de suite le rétablissement des avocats (la profession est rétablie par la loi du 13 mars 1804, dans la foulée de l’entrée en vigueur du Code civil). Napoléon, comme de manière générale tous les monarques jaloux de leur pouvoir, détestait les avocats, dont nombre d’entre eux critiquaient durement la politique autoritaire de l’empereur, comme le duo Bellart et Bonnet, qui défendit avec brio Cadoudal devant le tribunal d’exception qu’il avait créé pour le juger (vieille tradition reprise par le général de Gaulle), qu’il avait voulu pour ce fait envoyer au bagne de Cayenne. Quand son ministre Cambacérès lui soumit un projet de décret rétablissant l’Ordre des avocats, il annota dessus : « Tant que j’aurai l’épée au côté, jamais je ne signerai un pareil décret. je veux qu’on puisse couper la langue à un avocat qui s’en sert contre le gouvernement ». Mais s’il les détestait, l’Empereur savait reconnaître leurs mérites : ce sont quatre avocats qui rédigèrent le Code civil, dont le Bâtonnier Tronchet, le défenseur de Louis XVI.

Le seul avocat qui trouva grâce à ses yeux fut Férey, qui gagna même l’amitié de l’Empereur (ce fut le seul avocat à recevoir sous l’Empire la Légion d’Honneur ; la chose s’est depuis banalisée). Et Férey fut un avocat rusé jusqu’au bout. À sa mort en 1807, il légua sa bibliothèque à “l’Ordre des Avocats”. Ce legs devait être validé par décret, ce qui était tout sauf évident puisque l’Ordre des avocats n’avait pas d’existence juridique. Pourtant, par attachement à son ami, l’Empereur signa le décret, reconnaissant implicitement l’existence d’un tel Ordre. Et comme l’Empereur aimait l’ordre faute d’aimer l’Ordre, il lui fallut bien se résoudre à l’organiser. Ce sera fait par un décret du 14 décembre 1810, mais à quelles conditions ! Amis magistrats, cela va vous faire rêver.

Le tableau des avocats est dressé par le Procureur Général est approuvé par le Garde des Sceaux (Camabacérès). La totalité du Conseil de l’Ordre est désigné par le Procureur Général. L’avocat ne peut plaider que dans son ressort. Ils doivent prêter serment de fidélité à l’Empereur. Les décisions du Conseil de l’Ordre peuvent être portées en appel devant la cour d’appel (règle encore en vigueur), et le Garde des Sceaux a un pouvoir de sanction directe.Enfin, les avocats doivent mentionner leurs honoraires au pied des actes (Une ordonnance de Blois avait tenté d’imposer cette règle en 1602, provoquant la première grève des avocats).

C’est dit-on de ces années terribles que les avocats ont hérité leur passion pour la liberté, qui transcende leurs opinions politiques ou philosophiques.

Delamalle devient le premier Bâtonnier de l’Ordre recréé, Bellart et Bonnet siégeant au premier Conseil de l’ordre (ce qui convenons-en est une meilleure villégiature que le bagne). La première décision du Conseil est de rétablir le Bureau de Consultation gratuite pour les pauvres et la Conférence du Stage, ancêtre de l’actuelle Conférence. Celle-ci se réunira dans la Bibliothèque de l’Ordre, constituée avec le fonds légué par Férey et 2000 ouvrages de l’Ordre aboli en 1790 et retrouvés conservés à l’Arsenal. Aujourd’hui encore, c’est dans la Bibliothèque de l’Ordre que se réunit la Conférence pour le concours d’éloquence qui désigne ses douze membres. Le 2 juillet 1812, l’Ordre obtient le rétablissement du monopole de la plaidoirie, au détriment des avoués, qui perdure encore aujourd’hui, sauf pour les incidents et au pénal, encore qu’on les y voit rarement (et encore plus rarement l’année prochaine…).

Alors, comme on n’a pas tous les jours 200 ans, trinquons virtuellement pour la seule profession qui a obtenu son rétablissement de celui qui voulait sa mort, et qui depuis deux siècles se fait une joie d’être un caillou dans la chaussure de ceux qui veulent nous mener où ils veulent et non où nous voulons, qui se fait un honneur d’être le dernier soutien de ceux qui n’en ont plus, d’être aux côtés des pauvres, des sales, des aubains, des abimés de la vie, des petits truands ou des grands malfrats, pour rappeler qu’avant tout, ce sont des êtres humains, ce sont nos semblables.

Champagne.

vendredi 1 janvier 2010

Bonne année à tous

Bonne année à tous mes lecteurs, les anciens comme les nouveaux, qui me font l’honneur de venir me lire et pour certains de commenter.

2010 commence mal pour la justice, avec 178 tribunaux qui disparaîtront au douzième coup de minuit telle le carrosse de Cendrillon. 23 autres suivront dans un an. Je salue au passage mon ami Guillaume Didier, porte-parole du Garde des Sceaux, qui déclarait à ce sujet sur France Info que la justice de proximité, c’est important, mais il ne faut pas la confondre avec la proximité géographique : que la vraie proximité, c’est l’efficacité. La novlangue est entrée en vigueur avec 25 ans de retard, mais ça y est : la guerre, c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force, et la proximité c’est l’éloignement.

Pour ma part, j’ai une pensée pour le tribunal d’instance de Vincennes, où a eu lieu cette scène cocasse qui m’a inspiré un billet. J’ai une pensée pour Forbach (22 000 hab.), sous préfecture de la Moselle, qui perd son tribunal d’instance au profit de celui de Saint-Avold (16 000 hab.) à 20 km de là. Ca vous apprendra à avoir un maire PS. Saint Avold, mairie UMP, garde son tribunal.

Les avoués sont les prochains sur la liste des suppressions, la date restant à déterminer (le projet de loi est en attente de discussion en 2e lecture à l’assemblée). Survivront-ils à l’année 2010 ?

Et la garde à vue ? Les avocats ne lâchent pas le combat, et je piaffe d’impatience en attendant ma prochaine commission aux comparutions immédiates en janvier pour aller ferrailler avec le parquet.

Les juges d’instruction aussi sont sur la sellette, mais leur suppression n’est pas attendue avant deux ans. La réforme de la procédure pénale sera un gros morceau pour cette année. On en parlera ici, évidemment.

Je salue les secrétaires de la conférence 2009, qui vont rendre leur mandat sans avoir à rougir, et ceux de la promo 2010 qui leur succèdent. Soyez en forme, on aura besoin de vous.

Je salue également nos nouveaux bâtonniers, Jean Castelain et Jean-Yves Le Borgne, vice-bâtonnier, une nouveauté que nous inaugurons. Je me réjouis de savoir qu’un des meilleurs pénalistes de Paris veillera sur nos destinées pendant deux ans. Ceux qui l’auront vu faire une contre-correction à une conférence Berryer sauront pourquoi.

Je présente mes meilleurs voeux à mes colocataires, qui je l’espère vont à nouveau nous régaler de billets, tant ils ont eu l’occasion de se reposer de leurs activités bloguesques pour certain(e)s.

Je ne saurais commencer cette nouvelle année sans avoir une pensée pour tous les confrères et magistrats de permanence cette nuit, qui vont devoir gérer les débordements de certains de nos concitoyens. Une autre, naturellement, pour tous les policiers et gendarmes qui vont être en première ligne. L’année 2009 a mal fini pour eux, avec la mort du brigadier-major Patrice Point, 51 ans, mort au service en tentant d’arrêter des cambrioleurs. Ce n’est pas parce que je fais annuler leurs procédures que je ne respecte pas leur travail.

Bonne année 2010 à tous, et courage : plus qu’un an avant la coupe du monde de rugby.

mercredi 14 janvier 2009

Et ailleurs, ça se passe comment ? (1) L'Angleterre et le Pays de Galles

Avant de continuer à débattre sur le juge d'instruction en France, voyons comment ça se passe ailleurs.

Commençons par nos voisins dont nous avons su prendre le meilleur (la démocratie et le rugby) en leur laissant le pire (la Marmite® ) : le Royaume-Uni. Qui en l'espèce n'a d'uni que le nom, puisque le système judiciaire dont nous parlerons ne concerne que deux des quatre royaumes : l'Angleterre et le Pays de Galles.

L'Angleterre et le Pays de Galles ont un système accusatoire centré sur l'oralité des débats et la stricte égalité des armes. C'est le modèle anglo-saxon, dont des déclinaisons existent aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, à Hong Kong et dans les îles du Pacifique et qui a été adopté assez largement par les pays de l'est après la fin de la guerre froide.

Rez-de-chaussée : l'enquête de police

En Angleterre et au Pays de Galles, la police est sinon indépendante, du moins largement autonome pour mener les enquêtes criminelles. C'est la charge d'un service spécial, le CID, Criminal Investigation Department. Ses membres portent tous le titre de Detective, du grouillot de base le Detective Constable au chef, le Detective Chief Superintendant. Ce sont des policiers expérimentés (il faut au moins deux ans d'expérience en tenue pour passer Detective) qui sont sélectionnés sur dossier et suivent une formation spécifique. Cela s'apparente en France à l'examen d'habilitation d'Officier de Police Judiciaire. Les Detectives sont en civil pour opérer en toute discrétion. Historiquement ce sont les premiers à avoir ainsi opéré (les Français ont bien eu l'idée en premier, mais ne l'ont appliqué qu'à la police politique…). Notons que la police britannique n'est pas un corps national, mais divisé au niveau de chaque région (Londres étant une région à elle seule). Londres est le domaine de la Met, la Metropolitan Police Service, à l'exception de la City dont les 8000 habitants (plus 300.000 aux heures de bureau…) ont leur propre police pour des raisons historiques : la City Of London Police.

Dans la tradition anglo-saxonne, la police n'a pas de prérogative particulière, ni de statut spécifique. On est loin de la tradition française, qui donne des prérogatives particulières aux officiers de police, en contrepartie d'obligations déontologique et du serment. La police par exemple ne peut contraindre personne à venir témoigner. Alors qu'on n'a pas le choix de ne pas venir témoigner en justice.

Cela dit, les choses ont légèrement changé depuis tout de même un certain temps et la police a quelques petits pouvoirs. Ainsi, la police a le pouvoir d'arrêter un suspect (pouvoir en théorie dévolu à tout citoyen, mais qui engage alors sa responsabilité. La police n'engage sa responsabilité si elle arrête un suspect que de façon restreinte) et de le maintenir dans ses locaux pour quelques heures, pour y être interrogé. Ce qui ressemble à une garde à vue est contrôlé par un officier de police spécial, qui n'est pas en charge de l'enquête. Le délai de la garde à vue est normalement de 24 heures et il peut être porté à un maximum de 28 jours en matière de terrorisme.

L'interlocuteur judiciaire des CID est l'équivalent du Parquet, le Crown Prosecution Service (CPS). La police a normalement la charge de saisir la justice mais pour certaines affaires, les plus graves, cette responsabilité est contrôlée par le CPS dont c'est la responsabilité de s'assurer que les preuves suffisantes des éléments constitutifs de l'infraction ont été réunies. Il n'est pas hiérarchiquement supérieur à la police, la loi britannique ne parle que de conseils sur l'enquête, mais en pratique, ce conseil se rapproche bien d'un ordre. La politique pénale est donc entièrement entre les mains de la police, le CID n'ayant aucune prérogative à cet égard.
Les membres du CPS sont des fonctionnaires, totalement distincts des magistrats britanniques, recrutés, comme nous allons le voir, soit parmi des citoyens de bonne volonté soit parmi des avocats expérimentés et honnêtes (c'est dire si la sélection est relevée…).


Le Bail

Une fois un suspect arrêté, se pose la question de savoir quoi en faire.

La détention provisoire telle que nous la connaissons est quasiment inconnue en Angleterre et au Pays de Galles. Le principe est celui du Bail, prononcer Bé-il. Le Bail désigne historiquement une caution, une somme d'argent déposée par le suspect pour garantir sa représentation. Par extension, c'est devenu tout ordre de comparution en justice, même sans caution. Le Bail peut être délivré par la police quand la personne interpellée n'est pas poursuivie (l'enquête doit se poursuivre), soit pour se représenter au service tel jour à telle heure (Police Bail), soit de se présenter directement à la Cour (Police to Court Bail). Le Bail peut également être délivré par un magistrate (v. plus bas), avec ou sans caution dont le montant est alors fixé, si l'affaire n'est pas en état d'être jugée ou relève d'une juridiction supérieure.

Ne pas se présenter à la convocation quand on fait l'objet d'un bail est un délit grave, passible de prison de 6 mois à un trois ans, je reviendrai sur ce point). C'est d'ailleurs un problème car les populations les plus défavorisées ne comprenant pas l'importance de ce bail sont les plus enclines à ne pas y déférer (les juges français qui me lisent qui ont ordonné des renvois en correctionnelle dans des affaires où le prévenu est sans avocat comprendront) avec des conséquences dramatiques puisque la carence à un bail prive du droit au bail dans la même affaire.

Le Bail est en principe un droit : un suspect doit être relâché sous bail. Néanmoins, dans certains cas particulièrement graves, la loi autorise le juge à refuser le bail, ce qui signifie le placement en détention jusqu'au jugement. Ces détentions sont toutefois rares, et surtout courtes, le délai moyen entre l'arrestation et le passage devant la cour (y compris en matière criminelle) étant de treize semaines. Je peux vous dire que ça fait rêver un avocat français.


Premier étage : les magistrates.

La porte d'entrée de l'édifice judiciaire pénal de sa Gracieuse Majesté est le Magistrate's court. Un magistrate n'est pas en principe un juge professionnel. Ce sont en principe des citoyens qui assument bénévolement ces fonctions, seulement défrayés de certains frais, en tant que justice of peace, abrégé JP) (juge de paix, un peu comme nos juges de proximité aujourd'hui). Les JP siègent par trois (ils forment le Bench, le Banc) et doivent 26 demi-journées de service par an. Ils sont assistés d'un Clerk of Justices, qui est là pour leur apporter l'éclairage juridique indispensable quand des points de droit complexes sont abordés, ou pour leur signaler que la sanction qu'ils envisagent est illégale.

Il y a cependant des juges professionnels qui assument ce rôle, quand un tribunal ne parvient pas à avoir suffisamment de JP. Ces stipendiary magistrate ou depuis 1999 district judge, abrégé DJ, sont choisis parmi les avocats ayant 5 ans d'ancienneté (7 ans avant 2004). Ils siègent dans ce cas seuls (mais aussi assistés d'un Clerk).

En matière pénale, les magistrate's courts sont un passage obligé. La loi distingue trois catégories d'infractions passibles du juge : les summary offences, qui relèvent de la seule compétence du magistrate, qui peuvent être punies de prison pour un maximum de 6 mois, 12 mois en cas de récidive, les indictable offences, qui relèvent de la seule compétence de la juridiction supérieure, la Crown Court (cf. ci-dessous), et les offences triable either way : ces délits d'une certaine gravité peuvent être jugés par les magistrates mais s'ils estiment vu la gravité des faits et la personnalité du prévenu que la peine qui s'imposerait dépasse leur compétence (soit plus de 6 mois de prison ou 12 en cas de récidive), ils peuvent décider de renvoyer l'affaire à la Crown Court. Le prévenu peut demander lui-même à être renvoyé devant la Crown Court, pour bénéficier du jugement par un jury, mais il doit être averti du risque de se voir condamné plus lourdement. Enfin, les magistrates qui ont jugé une affaire et déclarent coupable le prévenu peuvent renvoyer le condamné devant la Crown Court pour le prononcé de la peine (sentencing) s'ils estiment qu'une sévérité plus grande que celle que leur permet la loi s'impose.

C'est aux magistrates de qualifier l'affaire qui leur est soumise (même si dans certains cas c'est une simple formalité) et de statuer sur le sort du prévenu dans l'attente du jugement : liberté, liberté sous caution (bail) ou détention provisoire. Ils ont donc ici le rôle dévolu en France au juge d'instruction de notification des charges (la mise en examen) et au juge des libertés et de la détention, mais n'ont aucun pouvoir d'interrogatoire sur les faits.

La défense pénale devant les magistrates est du domaine des Sollicitors, qui se rapprochent de nos avoués. Les barristers (les avocats) peuvent bien sûr aller plaider devant les magistrates, mais c'est rare (ils sont nettement plus chers). On s'adresse à un magistrate en lui disant Your Worships, ou si un District Judge est présent, Sir/Madam.


Deuxième étage : les judges and jury.

La Crown Court (il y en a 90 en Angleterre et au Pays de Galles) juge les délits les plus graves et les crimes. Elle est également juge d'appel des décisions des magistrate's courts. Elle est composée d'un judge et d'un jury de douze citoyens tirés au sort (dans le cas d'une offence triable either way, c'est le prévenu qui décide s'il veut un jury ou non). Le jury délibérera seul, et sur la seule question de la culpabilité. Le principe est l'unanimité, mais le juge peut décider d'accepter une décision majoritaire de 10 contre 2 (autant dire qu'en Angleterre, 12 hommes en colère aurait été un court métrage). C'est le juge qui décidera seul de la peine. Notons que les cours d'assises ont fonctionné ainsi en France jusqu'à une loi de 1941 (oui, de Pétain) validée à la libération qui a instauré le système actuel de délibération commune avec les magistrats sur la culpabilité et la peine (ce système est encore en vigueur en Belgique). Le juge est assisté d'un Clerk, qui tient ici plus du greffier français que du conseil, du cryer qui est notre huissier, outre un sténographe qui tient un compte-rendu détaillé des débats (un autre domaine où le droit français pourrait faire des progrès dans l'intérêt de la défense).

On s'adresse à eux en disant My Lord ou My Lady (attention, le port de la perruque et de la robe est trompeur).

Troisième étage : la High Court, la Court Of Appeal et la Chambre des Lords.

La High Court of Justice, juridiction unique siégeant en principe à Londres mais se déplaçant selon les besoins, juge les crimes les plus graves (selon une procédure avec jury similaire à la Crown Court mais étant présidée par des magistrats expérimentés et triés sur le volet). Les juges à la High Court étant systématiquement anoblis si besoin avec le titre de Chevalier Bachelier (Knight Bachelor) pour les hommes et Dames Commander of the Order of the British Empire pour les dames, on les appelle My Lord ou Your Lordship si ce sont des hommes, ou My Lady ou Your Ladyship dans le cas contraire. Quand on se réfère à eux, on fait précéder leur nom du mot Justice : Mr Justice Donaldson.

La Court of Appeal juge les appels des jugements des Crown Courts rendus avec l'intervention d'un jury, c'est-à-dire ceux où l'accusé plaidait non coupable (v. plus bas). Les jugements sur la peine relèvent de la High Court. Mêmes règles d'adresse que ci-dessus : le terme de Your honor étant réservé aux Circuit Judges, qui est un rang et non une fonction (équivalent de président de chambre de cour d'appel).

L'appel des décisions de la Court Of Appeal ou de la High Court sur la peine relève de la Chambre des Lords (pas en son entier, une formation restreinte, spécialisée et distincte de la fonction législative, qui va disparaître en octobre prochain au profit d'une Cour Suprême plus classique), avec cette particularité que l'appel doit être autorisé par la Court of Appeal ou la Chambre des Lords, au vu du sérieux des moyens soulevés.

Le droit anglais distingue les appels sur la culpabilité et les appels sur la peine. Tout simplement parce que la culpabilité est prononcée par un jury populaire et la peine par un juge. D'autant que comme nous allons le voir, le jury ne siège que si la culpabilité est niée : un accusé plaidant coupable n'a qu'un jugement sur la peine.


Le noyau du système : le plea.

Le système anglo-saxon repose sur un élément totalement ignoré de la procédure pénale française : la position de l'accusé sur sa culpabilité, ou plea, déformation du français plaid, racine de plaidoirie.

Le système anglais connaît une incitation à la reconnaissance de culpabilité : si l'accusé plaide coupable (guilty plea), le tribunal passe directement au prononcé de la peine. Pour le remercier d'alléger ainsi la charge de la justice, le tribunal prononcera une peine plus légère. Si la loi ne prévoit pas de droit à la réduction ni ne la quantifie, l'usage tourne autour d'un tiers en moins par rapport à ce qui aurait été prononcé en cas de culpabilité contestée. On peut contester ce marchandage au nom de la dignité et de l'égalité, mais reconnaître la culpabilité est généralement un signe de prise de conscience de la gravité et de l'acte, donc d'amendement. C'est de ce système qu'est inspiré la Comparution sur Reconnaissance Préalable de culpabilité, sauf que les parquets ont souvent du mal à intégrer le concept de carotte : il faut proposer une peine plus légère que celle qui sera prononcée, et non requise. La négociation actuelle tourne trop souvent sur le simple gain de temps ou la disparition de l'incertitude sur la peine. Il y a du progrès à faire.

Quand un accusé plaide non coupable, l'accusation (le Crown Prosecution Service, CPS, qui est un corps de fonctionnaires en Angleterre sans statut assimilé à celui de magistrat) doit présenter ses preuves (offer evidence), et l'accusé a le droit d'être confronté à ses accusateurs. Le principe est que les témoins et les policiers ayant procédé à l'enquête doivent venir déposer en personne, afin d'être interrogé par le CPS et contre-interrogé par l'avocat du défendeur. Si le CPS ne peut présenter de preuve, parfois pour de pures raisons techniques (les documents se sont égarés, ça arrive dans les dossiers de délits mineurs, ou le témoin n'est pas venu), c'est la relaxe ou l'acquittement assurée. Sinon, les preuves sont examinées par la juridiction qui Devant une cour avec jury, quand un dossier s'écroule en pleine audience, la défense peut demander que le juge constate que le dossier ne contient pas de base suffisante pour une accusation (a live issue) par une demande appelée submission of no case to answer ou motion for dismissal). Ça ressemble à un non lieu en pleine audience. Le juge qui constate que l'accusation est aussi insubmersible que le Titanic et que l'avocat de la défense a l'esprit ailleurs, peut d'office demander à l'accusation si elle maintient les poursuites (ce qui est une invitation à ne pas le faire). Si l'accusation jette l'éponge, le juge retire le dossier au jury (withdraws the case from the jury) et prononce un acquittement immédiat. Cette nécessité d'apporter un dossier solide à l'audience s'appelle couramment passing the judge : passer le juge.

Récemment, un juge de Crown Court a ainsi retiré le dossier à un jury dans une affaire de vol avec violences, commis sur un véhicule d'auto-école. L'accusation a présenté à la barre la monitrice, qui avait repoussé les agresseurs sans se laisser démonter,et a formellement identifié le jeune prévenu. Le juge a estimé que la procédure était viciée, car le témoin inspirait une trop grande confiance de nature à impressionner le jury, mais présentait une preuve en réalité trop fragile (elle n'a pu voir le visage de son agresseur qu'un bref moment, dans des circonstances de grand stress). Dès lors, l'accusation substituait à une preuve solide la crédibilité de la victime, qui avait toute la sympathie du jury. Le juge ne pouvait accepter cela et a aussitôt prononcé un non-lieu. Les tabloïds britanniques sont fous de rage. L'avocat est admiratif.

Le jury n'a pas d'instruction particulière pour trancher. Son serment, prêté sur le Nouveau Testament pour les chrétiens, l'Ancien Testament pour les juifs, le Coran pour les musulmans, est ainsi libellé : - I swear by Almighty God that I will faithfully try the defendant and give a true verdict according to the evidence : « Je jure par Dieu Tout-Puissant que je jugerai loyalement le défendeur et rendrai un verdict sincère et conforme aux preuves produites ». Les athées et autres religions peuvent à la place du Serment prononcer l'Affirmation : - I do solemnly, sincerely and truly declare and affirm that I will faithfully try the defendant and give a true verdict according to the evidence : « Je déclare et affirme solennellement, sincèrement et véritablement que je jugerai loyalement le défendeur et rendrai un verdict sincère et conforme aux preuves produites ».

Après l'audience sur la culpabilité se tient, souvent un peu plus tard, l'audience sur la peine, sans jury. C'est à ce moment là, et à ce moment là seulement que peuvent être présentés des éléments de personnalité. La peine, en règle générale, est sensiblement plus sévère que les peines prononcées en France.


Conclusion : the best system in the world ?

Le système accusatoire britannique a des vertus, notamment du point de vue des droits de la défense, qui charment l'avocat français. Ainsi, le prosecutor ne plaide pas devant un collègue qu'il tutoie dans les couloirs, mais devant un magistrat aussi intraitable avec lui qu'avec l'avocat de la défense. Les délais de jugement sont également bien plus courts et la détention provisoire reste exceptionnelle.

Mais il a également des côtés négatifs. La défense peut discuter le dossier de la police, mais n'a pas de moyen de la forcer à accomplir telle ou telle diligence. La recherche de preuves (comme une expertise parfois coûteuse) est à sa charge. Également, la protection des droits de la défense a pour contrepartie une plus grande sévérité dans les peines. Le système n'est pas à l'abri d'erreurs voire d'errements de la police : les Quatre de Guildford, les Sept de Maguire, dont l'histoire a inspiré le film Au Nom du Père de Jim Sheridan (1993), ont passé 16 ans en prison, et ont vu un recours en révision rejeté quand bien même le ministère de l'intérieur avait admis dans un mémoire qu'il était peu probable qu'ils fussent coupables. L'histoire se souviendra de leur premier juge, Mr Justice Donaldson, qui lors du procès avait expressément regretté que l'accusation n'eût pas retenu le crime de Trahison qui était passible de la peine de mort automatique, peine qu'il n'aurait eu aucune difficulté à prononcer, magistrat qui, l'usage d'alors voulant que le juge donnât son avis sur une éventuelle libération conditionnelle mais craignant d'être mort ce jour là, a prononcé une peine de sûreté de 30 à 35 ans selon les accusés. Il est mort en 2005, soit bien après que l'innocence de ces irlandais ait été reconnue en 1989.

Les Britanniques sont bien conscients de ces difficultés et plusieurs éléments de réformes sont intervenus, dans deux sens :
- faciliter le travail de l'accusation, par exemple en limitant la portée du Hear-say rule, une règle qui interdit de faire état de chose que l'on a entendue ("oui-dire"). Il ne s'agit pas simplement d'interdire de rapporter une rumeur, mais plus largement d'interdire de rapporter ce qu'on a entendu (j'ai entendu untel me dire qu'il avait fait cela). Désormais, par exemple, la police pourra produire des procès verbaux d'audition de témoins qui ne peuvent pas se déplacer en justice (parce qu'ils habitent loin, parce qu'ils sont décédés...).
- accroître les exigences en terme de preuve. Cela est passée par une professionnalisation des services d'enquête, mais aussi par la création du CPS (institution récente, qui date de 1984). Par le "double regard" qu'il apporte à l'enquête, le CPS contribue à sa qualité.

Je me souviens avoir lu qu'un haut magistrat britannique, qui connaissait fort bien les deux systèmes, s'était vu demander s'il préférerait être jugé par une cour britannique ou française. Il avait répondu, en bon britannique : « Ça dépend. Si je suis coupable, je préférerai le français. » Une façon élégante de faire du French-bashing, mais il a raison sur un point : le système français a été conçu comme l'outil d'un État fort pour juger des coupables. Malheur à l'innocent entraîné par son maëlstrom. Il n'est pas conçu pour lui.
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Mes remerciements à Paxatagore, co-auteur de ce billet, pour ses corrections, remarques, et suggestions.


NB Lisez absolument les commentaires signés "Trouble-fête" sous ce billet, qui nous apporte des précisions et parfois des corrections. Nothing beats the practice : rien ne vaut l'éclairage de quelqu'un qui pratique le système de l'intérieur.

lundi 24 novembre 2008

Affaire Fuzz.fr contre Olivier Martinez : la cour d'appel donne raison à Fuzz.

…et tort à votre serviteur qui se demandait si le juge des référés n'avait pas eu raison, mais ça, je commence à avoir l'habitude.

Pour mémoire, l'ordonnance de référé est commentée ici. Je tiquais à l'époque sur le caractère délibéré selon le tribunal du choix de la société Bloobox, éditrice du site Fuzz (ces deux noms sont donc parfaitement synonymes dans le billet qui va suivre).

L'arrêt de la cour est très clair, dans la mesure où la loi qu'elle applique, et son terrible article 6, le permettent. Je n'aurai donc qu'à le commenter, et non à l'expliquer.

Je saute le chapeau de l'arrêt, qui ne contient rien qui nous intéresse, hormis l'adresse personnelle d'Olivier Martinez à New York, que je ne puis communiquer qu'à Fantômette, Dadouche et Lulu. Relevons simplement que le demandeur résidant à New York a assigné à Paris une société dont le siège est à Lyon. Magie de l'internet.

Voici donc les motifs de l'arrêt, in extenso[1]. La cour commence par le rappel des faits.

LA COUR

Considérant que la SARL BLOOBOX-NET, qui a pour objet social la conception web et multimédia, édite sur internet un site accessible à l’adresse www.fuzz.fr ; qu’elle diffuse sur ce site des informations, dont certaines dans une rubrique “people” ont trait à l’actualité et à la vie privée d’artistes et de personnalités du spectacle ;

Que le 31 janvier 2008, ce site a publié une “brève” rédigée en ces termes : Kylie Minogue et Olivier Martinez réunis et peut-être bientôt de nouveau amants” accompagnée d’un titre “Kylie Minogue et Olivier Martinez toujours amoureux, ensemble à Paris” lui-même assorti d’un lien renvoyant à un article publié le 30 janvier 2008 sur le site www.celebrites-stars.blogspot.com :

« La chanteuse Kylie Minogue qui a fait une apparition aux NRJ Music Awards a ensuite été vue avec son ancien compagnon l'acteurfrançais, Olivier MARTINEZ.

« La star a été vue à Paris promenant son chien .... et alors qu'elle allait avec son ancien fiancé chez Yves St Laurent puis au café de Flore où elle aimait déjà se rendre lorsqu'elle habitait Paris afin de recevoir le traitement pour soigner sa gastro entérite ;

« L'actrice âgée de 39 ans a créé bien malgré elle une petite émeute... alors qu'elle promenait son chien avec Olivier MARTINEZ dans les rues de Paris.

« Rappelons que les deux célébrités se sont séparées au mois de février 2007 lorsque l’acteur a été surpris en charmante compagnie et alors que Kylie Minogue suivait un lourd traitement contre la gastro-entérite.

« La star australienne est ensuite allée à la gare pour prendre un train Eurostar en direction de Londres mais elle pourrait d’après ses proches bientôt revoir Olivier Martinez régulièrement. »''

Qu’invoquant une intrusion intolérable dans la sphère de son intimité, M. Olivier MARTINEZ a saisi le juge des référés aux fins de voir constater cette atteinte à la vie privée et obtenir réparation de son préjudice moral, notamment voir ordonner le retrait immédiat de l’article sous astreinte, condamner la société BLOOBOX.NET au payement d’une provision de 30000 € en réparation du préjudice moral et ordonner la publication de l’ordonnance sur la page du site internet sous astreinte ;

Fin du rappel des faits. La cour rappelle ensuite la teneur de l'ordonnance de référé qui lui est soumise par cet appel.

Que c’est dans ces conditions que l’ordonnance entreprise a été rendue ; que le premier juge a dit qu’en renvoyant au site www.célébrités-stars.blogspot.com en agençant différentes rubriques telles que celle intitulée “people” et en titrant en gros caractères “Kylie Minogue et Olivier Martinez toujours amoureux, ensemble à Paris”, la société BLOOBOX.NET a opéré un choix éditorial ; qu’il l’a considérée comme un éditeur de service de communication en ligne au sens de l’article 6, III, 1, c de la loi susvisée [loi du 21 juin 2004, la LCEN] renvoyant à l’article 93-2 de la loi du 21 juillet 1982 et par suite, responsable de la diffusion de propos portant atteinte à la vie privée de M. MARTINEZ ;

Enfin, rappel succinct de l'argumentation de l'appelante, la société Bloobox.net ; les argumentations des parties ont été reprises en détail dans le chapeau de l'arrêt :

Considérant qu’en cause d’appel, la société BLOOBOX.NET revendique le statut d’hébergeur au sens de l’article 6, I, 2° de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique pour rejeter toute responsabilité tandis que M.MARTINEZ lui attribue le rôle d’un éditeur ;

Maintenant, la cour va exposer sa réponse. D'abord, en rappelant les textes qu'elle doit appliquer.

Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 rappelé à l’article 1er de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, le respect de la vie privée constitue une limite à la communication au public par voie électronique ;

Considérant que l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 distingue les différents prestataires de cette communication en ligne ; que l’éditeur est, selon l’article 6, I, 1°, défini comme la personne ou la société qui “édite un service de communication en ligne” à titre professionnel ou non, c’est à dire qui détermine les contenus mis à la disposition du public sur le service qu’elle a créé ;

Qu’en revanche, aux termes de l’article 6, I, 2°, l’hébergeur est la personne ou la société qui assure “même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services” ; que l’article 6-I-7° de la même loi précise que les hébergeurs ne sont pas soumis “à une obligation générale de surveillance des informations qu’ils stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites” ;

Jusque là, ce n'est que de la paraphrase de la loi, je n'ai donc aucun commentaire à faire. À partir de maintenant, la cour expose son interprétation de la loi. L'office du juge commence : il dit le droit.

Qu’au vu de ce qui précède, le “prestataire technique” au sens de l’article 6 de la loi susvisée assure, en vue de leur communication au public en ligne, le stockage de données fournies par des tiers, et n’est pas, contrairement à l’éditeur, personnellement à l’origine des contenus diffusés ;

Voici le critère que la cour entend appliquer, en donnant au passage une leçon de clarté et de concision au législateur de 2004.

Considérant qu’il convient d’apprécier si, au regard des dispositions de la loi du 21 juin 2004, la société BLOOBOX NET détermine les contenus qui sont mis en ligne et si elle a la maîtrise du contenu éditorial des informations proposées sur son site et des titres résumant les informations ;

Voilà, la cour a exposé le droit tel qu'elle va désormais l'appliquer aux faits. Étudiants en droit, la cour d'appel de Paris vous offre une démonstration de la méthode de cas pratique.

Considérant qu’il n’est pas contesté que la société BLOOBOX NET est éditrice du site www.fuzz.fr ;

Retenez cette première affirmation, j'y reviendrai.

Que ce site interactif offre aux internautes, d’une part la possibilité de mettre en ligne des liens hypertextes en les assortissant de titres résumant le contenu des information, et d’autre part le choix d’une rubrique telle que “économie”, “média”, “sport” ou “people”, etc, dans laquelle ils souhaitent classer l’information ; qu’ainsi, le 31 janvier 2008, un internaute a rédigé et déposé sur la rubrique “people” du site www.fuzz.fr un lien hypertexte renvoyant vers le site www.célébrités-stars.blogspot.com en ces termes: “Kylie Minogue et Olivier Martinez réunis et peut-être bientôt de nouveau amants” et l’a assorti du titre suivant: “Kylie Minogue et Olivier Martinez toujours amoureux, ensemble à Paris” ;

Que c’est l’internaute qui, utilisant les fonctionnalités du site, est allé sur le site source de l’information, www.célébrités-stars.blogspot.com, a cliqué sur le lien, l’a recopié sur la page du site de la société BLOOBOX NET avant d’en valider la saisie pour le mettre effectivement en ligne sur le site www.fuzz.fr et a rédigé le titre ; qu’ainsi, l’internaute est l’éditeur du lien hypertexte et du titre ;

La cour prend le contrepied de l'ordonnance d'appel, dont désormais les minutes sont comptées (si vous avez pouffé, vous savez que vous êtes un juriste). Car en qualifiant d'éditeur l'utilisateur du site qui poste une info, elle rétrograde Fuzz au rang d'hébergeur, qui ne peut voir sa responsabilité engagée qu'à deux conditions cumulatives : de s'être vue notifier le caractère illicite d'un contenu selon les formes rigoureuses de la LCEN[2], et ne pas avoir promptement réagi (la jurisprudence fixant le promptement à 24 heures à compter de la notification).

Il lui faut encore réfuter l'argumentation retenue par l'ordonnance de référé :

Que le fait pour la société BLOOBOX NET, créatrice du site www.fuzz.fr de structurer et de classifier les informations mises à la disposition du public selon un classement choisi par elle permettant de faciliter l’usage de son service entre dans la mission du prestataire de stockage et ne lui donne pas la qualité d’éditeur dès lors qu’elle n’est pas l’auteur des titres et des liens hypertexte et qu’elle ne détermine pas les contenus du site, source de l’information, www.célébrités-stars.blogspot.com que cible le lien hypertexte qu’elle ne sélectionne pas plus ; qu’elle n’a enfin aucun moyen de vérifier le contenu des sites vers lesquels pointent les liens mis en ligne par les seuls internautes ;

Voilà le cœur de la décision. Si la première partie, qui réfute l'affirmation du caractère délibéré du choix de mise en ligne de la société Bloobox, me convient, cette dernière affirmation me semble contestable. Fuzz peut mettre les billets en attente le temps de les valider après avoir vérifié le contenu des liens. Bloobox est une SARL, une société commerciale, et en tant que tel un professionnel. La réponse : “ Il y a des milliers de liens publiés chaque jour, je ne peux pas tout vérifier ” n'est pas recevable : un professionnel n'est pas dispensé de se comporter en professionnel s'il dit ne pas avoir les moyens matériels de le faire (concrètement, y consacrer le temps ou le personnel nécessaire), or cette mise en ligne de liens est le cœur même de l'activité de Fuzz, pour ne pas dire son rôle exclusif ; et en tout état de cause, il est faux de dire que Bloobox n'a aucun moyen de vérifier le contenu des sites vers lesquels pointent les liens mis en ligne.

De plus, une question se pose alors : en quoi consiste l'activité d'éditrice du site Fuzz.fr, que l'arrêt rappelait au début de son raisonnement ? À choisir l'intitulé des rubriques ? Il faut reconnaître que l'activité d'éditeur est réduite à la portion congrue, puisque de fait, tout le contenu du site est hébergé et non édité au sens de la LCEN. Même les publicités sont, de fait, hébergées, puisqu'elles sont insérées par un tiers (Google Ads, blogbang ou autre…). D'où un motif contradictoire :

Qu’au vu de ce qui précède, il résulte que la société BLOOBOX.NET ne peut être considérée comme un éditeur au sens de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, sa responsabilité relevant du seul régime applicable aux hébergeurs ;

…alors que la cour affirmait plus haut que la société Bloobox était éditrice du site Fuzz.fr. Pas sûr que ça tienne en cassation, si un pourvoi est formé.

La cour rappelle ensuite le régime de responsabilité applicable aux hébergeurs :

Considérant qu’à l’exception de certaines diffusions expressément visées par la loi relatives à la pornographie enfantine, à l’apologie des crimes contre l’humanité et à l’incitation à la haine raciale que l’hébergeur doit, sans attendre une décision de justice, supprimer, sa responsabilité civile ne peut être engagée du fait des informations stockées s’il n’a pas effectivement eu connaissance de leur caractère illicite ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer les données ou en rendre l’accès impossible ;

C'est là que l'argumentation de la cour apparaît bancale : comment justifier que Fuzz soit responsable de plein droit de liens vers des sites faisant l'apologie de crimes de guerre alors que la cour admet qu'il n'a aucun moyen de vérifier le contenu de ces sites ?

Qu’il appartient à celui qui se plaint d’une atteinte à ses droits d’en informer l’hébergeur dans les conditions de l’article 6, I, 5° de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 ; que dès cette connaissance prise, l’article 6-I-2° de la loi impose à l’hébergeur d’agir “promptement” ; qu’en l’espèce, M Olivier MARTINEZ n’a adressé à la société BLOOBOX NET aucune mise en demeure en ce sens avant de l’assigner ;

Que dans ces conditions, les demandes de M. Olivier MARTINEZ doivent être rejetées et l’ordonnance infirmée

;

Précisons que Fuzz a retiré le billet incriminé dès réception de l'assignation ; or cette assignation valait notification au sens de la LCEN car elle répond à ses conditions. C'est donc parce que Fuzz a réagi promptement qu'il est mis hors de cause.

La cour répond ensuite aux demandes restantes : Bloobox (ou Fuzz, comme vous préférez) demandait la condamnation d'Olivier Martinez a une amende civile (art. 32-1 du CPC[3]) :

Considérant que la société BLOOBOX NET n’est pas recevable à solliciter la condamnation de M.MARTINEZ au paiement d’une amende civile, cette décision relevant du seul office du juge ;

Traduction : c'est pas à toi de le demander, c'est moi seul qui décide.

Fuzz demandait aussi des dommages-intérêts pour abus du droit d'agir en justice. Vu qu'Olivier Martinez avait gagné en première instance, la demande avait peu de chance d'aboutir.

Considérant que la société BLOOBOX NET rie justifie pas des circonstances ayant fait dégénérer en abus le droit pour M.MARTINEZ d’agir en justice ; que la demande en payement de dommages et intérêts pour procédure abusive doit être écartée ;

Restent les frais d'avocat, le fameux article 700 :

Considérant que l’équité commande de ne pas prononcer de condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Bref chacun paye son avocat.

Considérant que M.MARTINEZ qui succombe en ses prétentions doit supporter les dépens de première instance et d’appel ;

Cela ne signifie pas que la cour estime qu'Olivier Martinez est prétentieux à mort. Les prétentions en droit sont les demandes que l'on forme. Succomber, c'est être débouté ou condamné selon qu'on demande ou on défend, l'adversaire, lui, triomphant. C'est épique, le vocabulaire juridique, non ?

Voilà, tout cela, c'était les motifs. Voici enfin le dispositif, qui est bref, sec, et clair : voici ce qu'ordonne la cour.

PAR CES MOTIFS

Infirme l’ordonnance entreprise ;

L'ordonnance est juridiquement réduite à néant.

Déboute M. Olivier MARTINEZ de toutes ses demandes ;

La cour lui dit “non” à tout.

Déclare irrecevable la demande de la société BLOOBOX NET en payement d’une amende civile ;

Cela veut dire que la cour ne l'examine même pas.

Déboute la société BLOOBOX NET de sa demande en payement de dommages et intérêts ;

Là, la cour l'a examiné, et dit “non”.

Dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Chacun garde sa facture d'avocat.

Condamne M Olivier MARTINEZ aux dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du même code.

Les dépens recouvrent : les frais d'huissier pour l'assignation en référé, la signification de l'ordonnance, la signification de l'arrêt et les émoluments des avoués des deux parties, outre les droits de plaidoirie et les frais d'huissier audiencier pour les significations d'écritures. Je dirais au pifomètre que ça devrait faire environ 2500 euros. L'article 699 permet à l'avoué de Bloobox de présenter directement sa facture à Olivier Martinez.

C'est donc une décision a priori très favorable aux sites participatifs, qui se situe dans la droite ligne de la jurisprudence du TGI de Paris (affaires Dailymotion 1, Dailymotion 2, Dailymotion 3 Wikipédia), à ceci près qu'un récent jugement, sur lequel je reviendrai bientôt, vient de considérablement, et de manière à mon sens contestable, alourdir les obligations des hébergeurs.

Le droit issu de la LCEN n'en est décidément qu'à ses balbutiements. Période passionnante pour les avocats, un peu moins pour leurs clients.


PS : Merci à mon confrère Olivier Iteanu, avocat de la société Bloobox, pour la communication des motifs de cette décision.

Notes

[1] Afin de respecter la vie privée de la maladie citée dans l'arrêt, son nom a été changé.

[2] La notification doit contenir, sous peine d'être privée d'effet : - la date de la notification ; si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement ; les nom et domicile du destinataire ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social ; la description des faits litigieux et leur localisation précise ; les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ; la copie de la correspondance adressée à l'auteur ou à l'éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l'auteur ou l'éditeur n'a pu être contacté.

[3] « Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.»

vendredi 21 novembre 2008

L'arrêt de la cour d'appel de Douai du 17 novembre 2008, annulant l'annulation du mariage de Lille qui a eu lieu à Mons en Baroeul

Je ne sais pas si mon titre est bien clair.

Voici le commentaire de la décision rendue par la cour d'appel de Douai dans la fameuse affaire du mariage annulé, la mariée n'étant pas ce que son mari pensait qu'elle était.

C'est une gageure de rester clair dans cette affaire, qui est un ménage à trois puisque le parquet est appelant principal (c'est lui qui demande que cette décision soit réformée), l'épouse est appelante incident (c'est à dire qu'elle a fait appel parce que le parquet a fait appel : elle souhaite essentiellement que le jugement soit confirmé mais s'il ne l'était pas, elle a des arguments à faire valoir ; et si l'appel du parquet tombe, son appel tombera automatiquement) et l'époux n'est pas appelant : on dit qu'il est intimé. Et c'est pourtant lui qui sera le plus prolixe en arguments. Notez bien la position de chacun dans la procédure, ça aidera à la compréhension : le parquet veut que le jugement soit annulé, l'épouse qu'il soit confirmé mais subsidiairement qu'il soit modifié, et l'époux veut que tout reste comme avant.

L'arrêt aborde successivement quatre questions de droit : le parquet est-il recevable à faire appel ? L'épouse est-elle recevable à faire appel incident ? La réponse à ces deux questions préalables étant “oui”, la cour aborde les questions de fond : faut-il réformer le jugement ? Et l'époux doit-il des dommages-intérêts à son épouse pour toute cette affaire ?

Les extraits de l'arrêt que je cite ne respectent pas l'ordre de la rédaction. Vous trouverez un lien vers la décision in extenso à la fin de ce billet.

Première question : le parquet était-il recevable ?

Tant l'époux que l'épouse opposent une série d'arguments tirés de ce que cette affaire regarderait strictement leur vie privée, juridiquement protégée, et non l'ordre public, et que le parquet n'aurait donc pas à y mettre son nez.

Réponse de la cour :

L’intervention du ministère public au procès opposant au principal Monsieur X. à Madame Y. puis son appel relèvent du contrôle de l’ordre public et ne portent pas une atteinte disproportionnée au respect dû à Madame Y.. de sa vie privée protégée par l’article 9 du code civil ou l’article 8 CEDH non plus qu’à son droit au libre mariage tel que posé à l’article 12 CEDH.

L'argument tient : le mariage est une affaire mixte, mêlant ordre privé et ordre public (il y a célébration publique dans la maison commune par l'officier d'état civil, à peine de nullité, et le mariage entraîne des conséquences personnelles et patrimoniales).

Autre argument, plus intéressant : le parquet serait irrecevable en ce qu'il ne demande pas la modification du dispositif du jugement (qui annulait le mariage…) mais ses motifs (… pour le problème lié au défaut de virginité de l'épouse). Or l'appel, et toute voie de recours de manière générale, vise à contester le dispositif, pas les motifs, qui ne sont que le moyen de contester le dispositif. Par exemple, vous demandez que votre voisin soit condamné à vous payer 10.000 euros de dommages-intérêt pour abus de son droit de chanter du Tokio Hotel sous la douche à 6 heures du matin. Le tribunal le condamne à vous payer 10.000 euros (c'est le dispositif), en estimant qu'il s'agit d'un trouble anormal du voisinage (c'est le motif). Vous ne pouvez pas faire appel pour demander la confirmation de la condamnation mais que ce soit pour abus de droit de chanter du Tokio Hotel à 6 heures du matin et non trouble anormal de voisinage. C'est faire perdre son temps à la justice.

La cour ne répond pas directement à cet argument, qui sera sans doute repris dans un éventuel pourvoi (on me dit dans l'oreillette qu'il est très probable). Elle y répond indirectement plus loin en infirmant le jugement et en déboutant le mari de sa demande en nullité.

Sur le délai pour faire appel, la question n'est pas abordée dans l'arrêt. On me dit dans l'oreillette (mes taupes sont toutes équipées de Bluetooth) que le jugement n'avait pas été signifié au parquet, ce qui n'est en effet pas l'usage.

À ce propos, la qualité à agir du parquet est remis en cause en invoquant un acquiescement tacite (c'est à dire que le comportement du parquet démontre de manière univoque qu'il a accepté le jugement, perdant ainsi le droit de faire appel : article 546[1] et 410 du code de procédure civile (CPC)[2]), par les déclarations à la presse du procureur de la République et du Garde des Sceaux et des Bagues Chaumet approuvant ce jugement avant d'en faire appel. L'argument n'est pas tant juridique que politique : c'est une façon cinglante de mettre le parquet, et en premier lieu sa Majestueuse Parquitude face à ses contradictions.

La cour se cantonne au plan du droit :

Les déclarations publiques qu’ont pu faire la garde des sceaux ou le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lille après le prononcé dujugement ne valent pas acquiescement à cette décision au sens de l’article 410 du code de procédure civile. En effet, un acquiescement au jugement doit, pour être certain, être soit exprès (c’est à dire ressortir d’un acte écrit précis exprimant l’acquiescement) soit implicite (c’est à dire résulter d’actes démontrant avec évidence et sans équivoque l’intention de la partie à laquelle est opposé le jugement d’accepter le bien-fondé de l’action, ou d’actes incompatibles avec la volonté d’interjeter appel). Tel n’est pas le cas en l’espèce, les déclarations en cause ne révélant pas une intention non équivoque de ne pas relever appel.

La cour démontre une très fine compréhension de la politique : ce n'est pas parce que le Garde des Sceaux dit qu'elle approuve le jugement que cela signifie qu'elle ne va pas en demander l'annulation. J'avoue que ce niveau de subtilité est inaccessible à mes facultés intellectuelles limitées.

Autre argument contre la recevabilité de l'appel, très pertinent : le parquet se se serait pas opposé à la demande en première instance, ayant simplement apposé une mention « Vu et s'en rapporte », sous-entendu “ à justice ”, c'est à dire qu'il n'a rien à dire ni à y redire. Il n'aurait donc pas qualité pour contester ce qu'il ne trouvait pas contestable en première instance. Sauf que la cour ne le comprend pas ainsi.

Dès lors que le ministère public, à qui la cause avait été communiquée en première instance, y est intervenu, fût-ce comme partie jointe, et s’en est rapporté à justice ce qui constituait une contestation, il est recevable à former appel du jugement qui est susceptible de mettre en jeu des principes d’ ordre public.


**Tousse ! Tousse !** Pardon ? Autant la réponse sur la question de l'ordre public me semble incontestable, lire que s'en rapporter à justice constitue une contestation me laisse dubitatif. S'en rapporter à justice, ce n'est ni contester ni approuver, c'est dire en termes élégants : je n'ai pas d'opinion et je me fiche un peu de cette histoire pour tout vous dire.

La cour évacue à mon sens un peu vite un des plus solides arguments en faveur de l'irrecevabilité de l'appel. Le parquet ne s'était pas opposé à cette demande, n'avait émis aucune réserve, en fait il n'avait rien dit. Pourquoi faire appel d'une demande à laquelle il n'a rien trouvé à redire ? La réponse de la cour revient à dire que ce silence vaut contestation. Dans la même logique, le parquet n'avait alors pas besoin d'exercer de recours : son silence devait valoir déclaration d'appel.

Le parquet a une qualité à agir largement compris, mais elle ne s'étire pas à l'infini.

Je suis donc réservé sur cette réponse de la cour.

Mise à jour : On me signale dans l'oreillette que la jurisprudence interprète effectivement le fait de s'en rapporter à justice comme une contestation. Dont acte.

Conclusion de la cour : l'appel principal du parquet est recevable et sera examiné.

Deuxième question: Mme Y. est-elle recevable à faire appel après avoir acquiescé ?

Premier argument, de pure procédure : l'épouse aurait dû contester son acquiescement devant le conseiller de la mise en état lors de la phase préparatoire du procès ; maintenant, il serait trop tard (article 771 du CPC)

Réponse de la cour :

Le jugement déféré a fait droit à l’action engagée par Monsieur X. en accueillant ses moyens de droit et de fait mais sans donner acte à Madame Y. de son acquiescement à la demande : ce n’était donc pas un “incident mettant fin à l’instance” qui aurait relevé de la compétence exclusive du juge de la mise en état (en vertu de l’article 771 du code de procédure civile).

Joli cas pratique de procédure civile, étudiants qui me lisez. Ici, relève la cour, l'acquiescement n'a pas été constaté par le jugement, et pour cause, comme je l'avais expliqué à l'époque, l'épouse ne pouvait acquiescer sur une question d'état des personnes. Nous y reviendrons. Donc faute de constatation exprèsse d'un acquiescement, cette question est une question de fait et de droit, qui relève de l'appréciation de la cour et non une fin de non recevoir relevant du Conseiller de la mise en état.

En outre,

L’acquiescement de Madame Y. à la demande, qu’il fût ou non possible et recevable, est sans portée quant à la recevabilité de l’appel par le ministère public : cet acquiescement formulé par une partie au procès (Madame Y.) n’a pu en toute hypothèse priver une autre partie au procès (le ministère public) de son droit de relever appel.

Là encore, pure procédure civile. Peu importe le débat sur la possibilité pour l'épouse d'acquiescer ou non : le fait qu'un appel principal a été formé par une partie ferait de toutes façons tomber l'acquiescement afin de permettre à l'épouse d'argumenter librement devant la cour : c'est ce qu'on appelle l'effet dévolutif de l'appel ; les parties se retrouvent dans le même état que devant le premier juge.

Conclusion : l'appel de l'épouse est aussi recevable, ses arguments seront aussi examinés.

Troisième question : bon, ce mariage, il est nul ou pas ?

Vous êtes encore là ? La procédure civile ne vous a pas frappé de la torpeur qui gagne les étudiants en droit de troisième année quand on leur parle de litispendance et de contredit ? Bravo. Nous voici au cœur de la controverse : la validité du mariage.

Mais malheureusement, vous allez voir que la controverse va tourner court, l'époux tentant de se dérober au débat.

Il va en effet changer de tactique devant la cour, ce qui est parfaitement possible.

Dans un premier temps, Monsieur X., sollicite de voir “prononcer la nullité sur double déclaration des parties sans conséquence pécuniaire”, comprendre : on est tous les deux d'accord pour que le mariage soit annulé etque chacun paye sa part de la procédure. La cour écarte sèchement l'argument :

Une telle demande, dans cette matière d’ordre public où les parties n’ont pas la libre disposition de leurs droits, est sans portée.

C'est le prolongement de ce qui a été dit sur l'ordre public permettant au parquet d'agir. Pour parler comme Loisel : quand mariage il y a eu, pour que mariage il n'y ait plus, il faut que le juge y passe.

L'époux va alors soulever deux arguments : une nullité fondée sur l'article 146 du Code civil, défaut d'intention matrimoniale, et une fondée sur l'article 180, la fameuse erreur sur les qualités essentielles.

Sur ce premier point, l'époux invoque les visions différentes des parties sur la vie matrimoniale ainsi que l’absence de cohabitation révélatrice de ce que les époux n’auraient pas eu de véritable intention matrimoniale. En somme, le problème n'est pas que la mariée était en blanc et qu'elle n'aurait pas dû l'être, c'était que le mariage était blanc et n'aurait pas dû l'être.

Réponse de la cour :

Il ne ressort cependant pas des éléments de la cause que, quelles qu’aient pu être leurs divergences sur la conception du mariage, les époux se seraient prêtés à la cérémonie dans un but étranger à l’union matrimoniale dès lors que chacun d’eux manifestait alors la volonté de fonder une famille.

Ils avaient bien l'intention de se marier, c'était juste qu'il y avait un malentendu sur qui ils épousaient.

D’autre part, les propres attestations produites à son dossier par Monsieur X. révèlent que c’est lui-même qui, faisant une question de principe de la “trahison” dont il s’estimait victime, a décidé de ne pas poursuivre l’union et a demandé à ses proches de raccompagner l’épouse chez ses parents.

Dans cette situation, la demande n’est pas fondée.

Le défaut d'intention matrimoniale cause de nullité doit exister des deux côtés, ou être invoqué par celui des époux qui avait l'intention de se marier contre celui qui ne l'avait pas. En l'occurrence, l'épouse l'avait, ce qui fait échouer cette demande.

Deuxième argument, l'erreur sur les qualités essentielles. Et là, il y a une volte-face de l'époux, qui sentait que le débat sur la virginité, qualité pour lui essentielle était un terrain défavorable. Il va donc modifier sa position, escamotant le débat. Il va ainsi expliquer que « la qualité érigée au rang d’essentielle par Monsieur X. n'est pas la présence de la virginité mais l’aptitude de l’épouse à dire la vérité sur son passé sentimental et sur sa virginité ”, ajoutant que “ Il n'a jamais posé comme condition la virginité de son épouse. Il ne s'agissait chez lui que d’une espérance et non d’une exigence ”.

L'époux ne voulait pas une épouse vierge mais une épouse qui dise la vérité. Il avait donc des exigences encore plus folles que celles qu'on lui prêtait.

En outre, rappelle-t-il, son épouse a acquiescé ; même si cet acquiescement ne produit pas d'effet de droit, il constitue une preuve du bien-fondé des demandes de l'époux puisqu'elle ne trouvait rien à y redire (ce qui implique donc qu'elle avait été sincère devant le tribunal, mieux vaut tard que jamais…).

Réponse de la cour :

Ainsi la virginité de l’épouse n’est-elle pas, devant la cour, invoquée comme une qualité essentielle recherchée par Monsieur X. lors du mariage et elle n’a pas été une condition qu’il aurait posée à l’union.

Le moyen d’annulation invoqué par Monsieur X. tient à ce que Madame Y. lui aurait, dans la période précédant le mariage, menti sur sa vie sentimentale antérieure et sur sa virginité et que ce mensonge aurait provoqué chez lui une erreur sur la confiance qu’il pouvait avoir en sa future épouse et sur la sincérité de celle-ci, tous éléments — confiance et fidélité réciproques, sincérité— relevant des “qualités essentielles” attendues par chacun des conjoints de l’autre.

Devant la cour, Madame Y... conteste avoir menti à son futur époux dans la période précédant le mariage, affirmant que sa vie sentimentale passée n’avait pas été abordée.

La position adoptée en première instance par Madame Y.. —elle était alors défenderesse et s’était contentée d’acquiescer à la demande en nullité sans s’exprimer sur le motif juridique fondant l’action ni passer aveu des faits allégués par le demandeur— n’est pas en contradiction fondamentale avec celle adoptée devant la cour —elle est à ce stade du procès défenderesse et intimée, sur l’appel formé par le ministère public, et elle conteste la demande tout en sollicitant la nullité du mariage sur un autre fondement.

Madame Y. est en conséquence recevable, devant la cour, à présenter sa propre version des faits.

Les éléments apportés aux débats par Monsieur X. sont insuffisants à prouver le mensonge prétendu, alors que : l’attestation rédigée par le pèle de Monsieur X... ne relate aucun fait propre à éclairer le débat, les deux attestations rédigées par des proches de Monsieur X. (son frère, son témoin de mariage), qui ne relatent aucun fait que les témoins auraient constaté personnellement et directement pendant la période ayant précédé le mariage, ne font état que de propos que les époux auraient tenus ou de confidences qu’ils auraient faites après le mariage : ces attestations sont trop indirectes pour avoir valeur probante.

Ainsi Monsieur X. ne fait-il pas la preuve -qui lui incombe- du mensonge prétendu.

Bref : c'est bien gentil, mais vous ne prouvez pas ce que vous prétendez. Mais attendez, on a une deuxième couche à passer.

Il sera ajouté qu’en toute hypothèse le mensonge qui ne porte pas sur une qualité essentielle n’est pas un fondement valide pour l’annulation d’un mariage.

Tel est particulièrement le cas quand le mensonge prétendu aurait porté sur la vie sentimentale passée de la future épouse et sur sa virginité, qui n’est pas une qualité essentielle en ce que son absence n’a pas d’incidence sur la vie matrimoniale.

Ainsi la prétendue atteinte a la “confiance réciproque” est-elle sans portée quant a la validité de l’union.

En conséquence de ces considérations, il y a lieu de débouter Monsieur X. des fins de son action.

Nous y sommes. Le mensonge de l'épouse aurait pu fonder la nullité, s'il avait porté sur une qualité essentielle, mais ni la vie sentimentale passée ni la virginité, l'absence de celle-ci découlant de la présence de celle-là, ne sont une qualité essentielle, parce qu'elles n'ont pas d'incidence sur la vie matrimoniale.

I respectfully dissent.

La jurisprudence a jugé que l'existence d'un premier mariage qui avait été caché à l'époux par le conjoint était une cause de nullité. Certes, c'était le tribunal civil de Bordeaux le 9 juin 1924, mais la question n'est presque jamais allée jusqu'à la cour de cassation. Ont été également considérées comme qualités essentielles fondant une nullité le fait d'être une ancienne prostituée (TGI de Paris, 13 février 2001), d'avoir un casier judiciaire (TGI Paris, 8 février 1971), la nationalité (Tribunal civil de la Seine, 2 janvier 1920), ou le fameux arrêt de la cour d'appel de Paris qui fait le délice des étudiants en droit faisant une qualité essentielle l'aptitude à avoir des relations sexuelles normales, les étudiants en droit se demandant ce qu'est une relation sexuelle normale pour des conseillers de cour d'appel (Paris, 26 mars 1982).

L'exigence d'une incidence de la qualité essentielle sur la vie matrimoniale est rajoutée au texte et aboutit à restreindre considérablement le champ de l'article 180. En outre, il soumet la validité de la formation du mariage à une condition affectant son futur, alors que les conditions de formation s'apprécient au jour de la formation. À mon sens, le critère pertinent est celui de la qualité ayant déterminé le consentement de l'époux errans[3], la difficulté étant de prouver le caractère essentiel de cette qualité. L'article 180 protège le consentement de l'époux, et c'est lui qui est vicié par cette erreur sur une qualité essentielle. La cour semble opter pour le caractère objectif de la qualité essentielle, celle qui est commune à toute union matrimoniale. Je critique cette théorie car elle aboutit à vider l'article 180 de sa substance : quelles sont les qualités essentielles de tout conjoint ? C'est se lancer des des controverses sans fin aboutissant toutes à dire que reconnaître telle qualité comme essentielle est contraire à la dignité de l'époux concerné.

Voici ce qui sera le cœur du débat en commentaire, je vous y attends.

Mais la cour n'en a pas fini.

Car si le mari est débouté, reste l'épouse qui elle aussi demande la nullité. Et ne l'obtiendra pas non plus.

Quatrième question : l'épouse peut-elle obtenir la nullité de ce mariage ?

Ce qui suppose d'abord de se demander si elle peut la demander : est-elle recevable ?

Comme il a été relevé ci-avant, le fait que Madame Y. a en première instance formulé son “acquiescement à la demande en nullité du rnariage présentéepar son époux” ne valait pas adoption du moyen juridique soutenu en vue de l’annulation ni aveu des faits ainsi que relatés par le demandeur,

En dépit de son acquiescement au jugement, elle a retrouvé devant la cour l’entière possibilité de se défendre dès lors qu’une autre partie (le ministère public) a formé régulièrement un recours.

Sa demande reconventionnelle est ainsi recevable.

L'acquiescement n'était pas valable, plus l'effet dévolutif : madame, nous sommes toute ouïe.

L'épouse invoque la nullité pour défaut de volonté de s'engager à l'obligation de respect que les époux se doivent du fait du mariage : art. 212 du Code civil[4]. Le respect a été ajouté par la loi du 4 avril 2006 : j'en déduis donc que j'avais avant cette date le droit de mépriser, moquer et rabaisser mon épouse, damned, que d'opportunités perdues.

Madame Y. fait valoir que Monsieur X. n’avait pas la volonté d’accepter voire la capacité de concevoir l’obligation de respect entre les époux édictée à l’article 212 du code civil et qu’il a manifesté dès le premier soir de l’union à son égard une violence morale et physique en divulguant auprès de tiers son état intime et en la faisant reconduire chez ses parents.

Cependant, ces éléments, qui sont susceptibles de constituer des manquements aux obligations du mariage, ne permettent pas de caractériser l’erreur de l’épouse sur les qualités essentielles du mari, d’autant que Madame Y... ne produit aucune pièce de nature à établir que Monsieur X... n’aurait pas eu la volonté de s’unir effectivement et durablement.

La demande doit donc être rejetée.

Et oui, l'argument ne tient pas. La nullité du mariage s'apprécie au moment de sa formation ; or l'obligation de respect naît du mariage, elle en est la conséquence. La violation de cette obligation est une cause de divorce, pas de nullité.

L'époux est débouté, l'épouse est déboutée, et le parquet ne peut demander la nullité du mariage sous peine de se voir déclaré irrecevable.

Bref, les voilà remariés.

Reste une dernière question, la demande de dommages-intérêt de l'épouse.

Elle demande un euro symbolique de dommages intérêts pour préjudice moral. Come d'habitude, la cour répond en deux temps : êtes-vous recevable ? Et si oui, êtes-vous bien fondée ?

En ce qu’elle fonde sa réclamation sur l’atteinte continue à sa vie privée que constitue le présent procès, y compris devant la cour, et sur le retentissement public qui a été donné, postérieurement au jugement, à cette affaire au détriment de son intimité, il s’agit d’une demande qui, même nouvelle en appel, est recevable.

En principe, on ne peut faire de demandes nouvelles en appel : art. 564 du CPC[5]. Il y a toutefois des exceptions, et la cour estime que cette demande, qui est la conséquence directe de la procédure d'appel, fait partie de celle-ci.

Cependant, il ne peut être considéré que Monsieur X. aurait porté atteinte à sa vie privée par le seul procès qu’il a engagé et auquel elle a entendu acquiescer en première instance ; par ailleurs, Monsieur X... n’est pas responsable de la publicité qui a été donnée à ce dossier et il n’est pas appelant.

La demande doit donc être rejetée.

Chassez l'acquiescement par la porte, il revient par la fenêtre. Il aura quand même eu un effet, c'est d'interdire à l'épouse de se plaindre d'un préjudice née d'une action qu'elle a approuvée. Quant à l'appel, la cour lui fait remarquer que c'est le parquet et elle qui ont fait appel, pas l'époux, donc il ne peut être regardé comme responsable du traumatisme que lui a causé cet appel fait pour protéger sa dignité, et de la célébrité nationale qu'a acquis son hymen, car ce n'est pas l'époux qui a voulu ni causé cette célébrité.

L'époux est néanmoins condamné aux entiers dépens, de première instance et d'appel : c'est lui qui devra acquitter les factures des huissiers et des avoués et avocats de première instance, y compris de ceux de son épouse.

Le bilan est donc simple : deux années de procédure et de frais d'avocat et d'avoué pour rien, retour à la case départ avec deux époux qui sont remariés contre leur gré à tous deux, alors qu'ils n'ont plus la moindre parcelle d'intention matrimoniale. Bref, la République a remis le mariage forcé au goût du jour, au nom du respect des femmes, félicitations.

Ils vont donc pouvoir faire la procédure de divorce qui va satisfaire tous les tartuffes, puisque les raisons du divorce, que tout le monde connaît, ne seront pas évoquées.

Tout est perdu, sauf la pudeur.

Champagne.

L'arrêt en intégralité, format pdf, 1,5 Mo.

Notes

[1] Le droit d'appel appartient à toute partie qui y a intérêt, si elle n'y a pas renoncé.

[2] L'acquiescement peut être exprès ou implicite. L'exécution sans réserve d'un jugement non exécutoire vaut acquiescement, hors les cas où celui-ci n'est pas permis.

[3] Terme latin désignant celui qui s'est trompé.

[4] Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance.

[5] Les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

lundi 9 juin 2008

Rachida Dati, dans la bibliothèque, avec le chandelier

C'est fait, et cela devrait être annoncé dans deux jours. Les avoués vivent leurs dernières mises en état : la profession disparaîtra le 1er janvier 2010, les avoués deviendront avocats. Rachida Dati l'a annoncé au Président de la chambre nationale des avoués.

Bienvenue dans notre profession, chers maîtres.

mardi 6 mai 2008

Mes lecteurs sont formidables (1)

Deux compléments à mes deux derniers billets, fournis par mes lecteurs.

Le premier concerne les avoués.

Mon confrère Polynice use de son droit de réplique sur son propre blog. Voici un point de vue contraire au mien sur l'utilité des avoués.

La défense devant avoir la parole en dernier, je reprends ici le riche commentaire de Billy Bud, lui même avoué, qui répond aux arguments les plus souvent soulevés. Il était perdu au fin fond des commentaires et mérite d'être élevé au rang de billet tant il apporte au débat et par respect pour le temps que maître Bud y a consacré.


Je voudrais en liminaire remercier Eolas pour son billet qui a le mérite de présenter la fonction d’avoué, qui en a bien besoin, de façon simple et claire.

Le nombre de commentaires auxquels je souhaite réagir est très élevé, je ne citerai donc pas chacun des intervenants, mais essaierai de répondre à tous de façon synthétique.

Je précise que mon approche de la question sera en premier lieu motivée par l’intérêt du justiciable ainsi que celle des magistrats.

1. Le coût

La critique essentielle, sinon unique, articulée à l’encontre des avoués est leur coût unanimement décrété comme trop élevé.

Force est cependant de constater que jamais je n’ai lu d’exemple précis sur ce point, ni ici, ni dans les attaques régulières du Conseil National des Barreaux.

Ainsi que l’a fort justement rappelé le maître des lieux, la rémunération des avoués est soumise à tarif institué par le décret du 30 juillet 1980 qui a subi de menues modifications depuis lors.

Je ne dis pas que ce tarif est parfait, loin de là, je pense même que la profession d’avoué gagnerait énormément à le rendre plus lisible, mais il ne mérite tout de même point d’être voué aux gémonies comme c’est souvent le cas.

En substance, la rémunération de l’avoué est calculée proportionnellement à la plus forte condamnation prononcée soit par le Tribunal, soit par la Cour.

Dans certains cas, impossibilité d’évaluer l’intérêt du litige en argent, en cas de divorce par exemple, absence de condamnation ou émolument supérieur à 5.400 € HT, l’avoué de l’appelant établit un bulletin d’évaluation soumis au contrôle de la Chambre de sa Compagnie, puis au magistrat ayant jugé l’affaire qui vérifie si au regard de l’importance et de la difficulté de l’affaire, l’émolument paraît justifié.

De façon quasi systématique, l’état de frais fait en outre l’objet d’une vérification par le greffe.

Mais, concrètement me direz-vous, et vous aurez raison, il coûte combien l’avoué ?

Si la plus forte condamnation prononcée est de 15.000 € … l’émolument de l’avoué est de 591,60 € HT.

Hors aide judiciaire, inférieure devant la Cour pour l’avoué que pour l’avocat (!), je mets tous les participants à ce blog au défi de trouver un avocat moins onéreux pour pareil dossier.

Certes, ainsi qu’il a été vu, la rémunération peut atteindre et même dépasser 5.400 € HT.

Toutefois, pour atteindre ce niveau, il faut que les condamnations prononcées soient au moins égales à 1.370.000 € ; nous sommes donc loin d’un dossier ordinaire et là encore, mais je puis me tromper, je doute que les honoraires de l’avocat, même en cas de perte du procès, soient véritablement inférieurs.

D’autre part, dans 95 % des cas, la partie succombante est condamnée aux dépens, c’est à dire que sauf insolvabilité totale de l’adversaire, le gagnant d’un procès en appel n’aura à payer que son avocat.

Il appert donc que si votre dossier est bon, votre avoué ne vous coûte pour ainsi dire rien.

Pour autant, il peut parfois coûter à votre avoué pour peu qu’il y passe du temps, ce qui arrive, alors que l’intérêt du litige est modéré, sinon dérisoire – et je vous arrête de suite, oui, les avoués passent régulièrement du temps sur les petits dossiers, non rentables donc, qui, puisqu’ils viennent devant la Cour en dépit du faible montant des condamnations, sont très contentieux et suivis de près tant par les avocats correspondants que par les clients en personne.

Je ne vais pas pour autant soutenir que les avoués sont à plaindre, mais je pense qu’il est aisé de comprendre que pareil système ne peut fonctionner, c’est à dire être suffisamment rentable, que si d’autres dossiers sont rémunérateurs.

Il s’agit donc d’une certaine façon de mutualiser le coût du procès en appel ce qui n’est possible qu’en limitant le nombre d’offices par Cour.

Je sais bien que l’époque ne s’y prête pas forcément, mais il faut prendre conscience qu’il s’agit véritablement d’un choix de société : doit-on ou non permettre à chacun le libre accès à la justice et notamment au second degré de juridiction ce que seul l’actuel système permet ?

En effet, contrairement à l’idée largement répandue, sans doute en raison de son apparente simplicité, la suppression du (sur)coût de l’avoué dans le procès d’appel n’aboutira pas à une baisse du coût d’une procédure d’appel pour le justiciable.

Ainsi, comme il a été rappelé dans le billet de Maître Eolas, le travail, quel qu’il soit, de l’avoué ne sera pas fait gratuitement par un avocat qui, a minima, facturerait en sus de ses honoraires, directement ou par le biais d’un de ses confrères constitué, les frais de postulation soumis aussi à un tarif qui prévoit essentiellement un calcul sur le montant des demandes …

L’avoué remplit en outre différentes tâches « invisibles » incombant souvent aux greffes ce qui simplifie leur fonctionnement, diminue leur coût et donc aussi, cette fois de façon indirecte, celui pour le justiciable.

Enfin et surtout, pour en finir avec le coût, quoique je serai amené à y revenir infra, deux comparaisons s’imposent, curieux qui personne n’y ait encore songé ici :

- le coût actuel d’un procès à l’étranger – puisque la France est la seule à avoir des avoués et qu’il faut regarder ce qui fonctionne à l’étranger : au Royaume Uni par exemple, le coût d’un procès représente 3,5 fois l’intérêt du litige … - le coût d’un procès en appel en France dans une Cour dépourvue d’avoués : j’admets ne pas le connaître, mais le commentaire de Avocat à la Cour me laisse à penser qu’il ne diffère guère de celui des Cours où le ministère d’avoué est obligatoire.

Bref - pour ceux qui ont eu la patience de lire jusque là : je plaisante - il me semble erroné, sinon mensonger, de justifier la suppression éventuelle des avoués par leur coût pour le justiciable.

Etant une nouvelle fois précisé que je suis néanmoins favorable à une modification du tarif, je suis ouvert à toute discussion sur ce point qui reviendra nécessairement à plusieurs reprises dans la suite de ma réponse.

2. L’apport pour le justiciable et la justice

L’avoué est donc quasi gratuit me direz-vous, avec ou sans ironie, mais sert-il pour autant à quoi ou qui que ce soit ?

Je ne vais pas revenir sur les aspects déjà défendus par le maître des lieux sauf à apporter quelques menues précisions.

2.1 La première est aussi la principale, elle aurait donc aussi bien pu être la dernière : l’avoué est utile pour peu qu’on l’utilise.

Les clients dits « institutionnels », banques, compagnies d’assurances, mandataires judiciaires, l’ont compris depuis fort longtemps et recourent devant chaque Cour à leur avoué habituel qui, de façon quasi-systématique, rédige les conclusions, assure les éventuels référés ou incidents et ce pour un coût constant.

Dans les dossiers de ces clients, généralement directement adressés aux avoués, l’intervention se limite souvent à des observations sur les écritures s’il y a lieu et aux plaidoiries sur le fond qui sont au demeurant de plus en plus rares, de nombreux magistrats favorisant les dépôts de dossier.

2.2 L’avoué intervient aussi parfois avant même l’inscription d’un appel : il peut conseiller son correspondant, avocat ou client, sur la stratégie à adopter dans un dossier pendant devant le Tribunal dont la décision sera probablement « appelée ».

Il joue le rôle de filtre lorsqu’il déconseille un appel ce qui arrive plus souvent qu’on ne le pense : il suffit pour s’en convaincre de comparer le pourcentage de décisions des Conseils des Prud’hommes faisant l’objet d’un appel avec celui des jugements rendus par les Tribunaux civils ou commerciaux.

2.3 En raison de leur nombre restreint, les avoués sont des interlocuteurs privilégiés des magistrats qui les connaissent, les fréquentent quotidiennement etc …

Ce lien particulier permet un traitement plus efficace des dossiers en particulier lorsqu’ils sont sensibles – sans connivence aucune, je pense que chacun s’accordera sur le fait qu’un auxiliaire de justice « reconnu » aura davantage l’oreille d’un magistrat qu’un autre totalement anonyme lorsqu’il s’agira de négocier une date à bref délai en raison de l’urgence présumée d’un dossier.

2.4 D’ailleurs, si l’avoué ne sert véritablement à rien, il faudrait que les avocats m’expliquent pourquoi même les plus virulents d’entre eux à l’encontre de cette profession, font néanmoins appel à elle dans de très gros dossiers où la représentation n’est pas obligatoire – Conseil de la Concurrence, AMF etc …

2.5 L’avoué est un véritable auxiliaire de justice en ce qu’il participe au fonctionnement de sa juridiction.

Cette participation s’est récemment accrue par le biais de la communication électronique en place dans plusieurs Cours et qui s’étendra à l’ensemble d’entre elles dès que l’avenir de la profession sera assuré.

Ainsi, dans les Cours concernées, les déclarations d’appel et constitutions sont aujourd’hui adressées au greffe non seulement au format papier, qui disparaîtra le jour venu, mais aussi par la voie électronique.

L’avantage n’est pas seulement lié à la déforestation : la communication effectuée par les avouées est dite « structurée », c’est à dire que toutes les informations contenues dans la déclaration d’appel, par exemple les copropriétaires appelants, sont directement intégrées dans le dossier informatique de la Cour.

Il ne s’agit point d’un gadget, mais autant de travail de saisie en moins pour les greffiers qui peuvent pendant ce temps travailler à autre chose – le nombre de personnes dans les greffes gérant les déclarations d’appel a été divisé par deux, parfois trois, depuis la mise en place de ce système.

Raison de plus pour supprimer les avoués diront certains puisque à l’heure d’internet, ils sont plus obsolètes que jamais.

Ils auront tout faux.

D’une part, parce qu’en dépit de leurs efforts, et la volonté déterminée du Président Magendie, les avocats ont été incapables à ce jour d’approcher de près ou de loin pareille communication, la leur se limitant à de la consultation de pages html et aucunement la transmission de données, ce n’est cependant pas en raison de leur incompétence en informatique, je vous rassure.

En effet, et d’autre part, le système n’est une nouvelle fois réalisable qu’en cas d’un nombre restreint d’intervenants ne serait-ce que pour des raisons de sécurité.

La communication électronique réelle ne peut sérieusement être mise en place que dans un système intranet.

Or, si demain la profession d’avoué était supprimée, tous les avocats européens pourraient postuler devant toutes les Cours françaises – j’en expliciterai les raisons en fin de post, soit, ouf, bientôt.

Je ne vois donc pas comment, mais je suis à l’écoute de toute démonstration, pourrait être créé un réseau intranet entre les Cours françaises et TOUS les avocats européens dont le nombre fluctue sinon quotidiennement, au moins de façon hebdomadaire – il suffit de se rendre au Palais de Justice à Paris le mercredi pour s’en convaincre, le nombre de prestations de serment hebdomadaires y est impressionnant.

La communication électronique et la dématérialisation de la procédure, soit les objectifs affichés par le Ministère de la Justice lorsqu’il s’agit d’évoquer du bout des lèvres la justice autre que pénale, ne pourront donc exister que pour autant que les avoués soient maintenus.

Les sceptiques me demanderont mais pourquoi la postulation ne pourrait-elle pas être assurée par les avocats de chaque Cour, ce qui, à l’exception notable de Paris et de quelques rares barreaux de province, assurerait un nombre restreint d’intervenants et donc la possibilité d’un intranet ?

C’est la faute à l’Europe !

En effet, il est aujourd’hui strictement interdit de créer des règles favorisant des ressortissants nationaux au détriment des ressortissants extra-nationaux.

Tel serait le cas si la France décidait d’accorder aux avocats français, qui plus est selon des critères géographiques, le monopole de la représentation devant les Cours.

Je ne sais si ces quelques lignes ont pu convaincre ne serait-ce qu’un seul sceptique, le sujet est vaste et mérite plus que « quelques » lignes rédigées entre appels téléphoniques, conclusions, audiences etc … surtout lorsque l’auteur n’a pas le talent de Maître Eolas.

Je finirai pour eux en rappelant une autre règle européenne.

Supprimer la profession et la fonction d’avoué revient aujourd’hui à ouvrir une véritable boîte de Pandore dans la mesure où si en application des règles européennes qui nous gouvernent aujourd’hui, la déréglementation est évidemment possible, revenir en arrière sera strictement interdit.

Certains pays comme le Danemark, dont le système judiciaire n’était pas, fut un temps, éloigné du notre, regrettent amèrement la libéralisation du marché du droit, soit une approche marchande de la justice que je me refuse à accepter pour mon pays.

vendredi 2 mai 2008

Faute d'avoué, serons-nous à moitié pardonnés ?

Allez, en ce beau mois de mai, commémoration d'un mois d'émeutes, lançons un sujet qui fâche : faut-il sauver les avoués ?

—« Oui ! », crieront les avoués.

—« Non !», crieront bien des avocats auxquels ne se joindra pas votre serviteur.

—« C'est quoi un avoué ? » crieront de leur côté bien des lecteurs peu au fait des subtilités de la procédure d'appel en matière civile.

Je reprendrai ces cris dans l'ordre inverse de celui dans lequel ils ont été proférés[1].

Qu'est ce qu'un avoué ? Étymologiquement, l'origine est la même que le mot avocat : c'est celui qu'on appelle (ad vocat) à l'aide. Il s'agit d'une profession juridique, libérale et réglementée, car en France on aime les oxymores. Elle suppose pour son exercice d'être titulaire d'une charge, à l'instar des huissiers de justice et des notaires. Les avoués ont pour mission la représentation des parties devant la cour d'appel. Elles ont même le monopole de cette activité.

Je développe, rassurez-vous.

Devant le tribunal de grande instance (TGI), qui est la juridiction civile de droit commun, les parties ont l'obligation de se faire représenter. Elles ne peuvent pas comparaître en personne. La procédure est en effet écrite, c'est à dire que préalablement à l'audience de jugement, tous les arguments doivent avoir été échangés par les parties par écrit. À cette fin, il y a une phase préparatoire de l'audience, qu'on appelle “la mise en état”, comprendre la mise de l'affaire en état d'être jugée. Cette phase se déroule sous la surveillance d'un des juge du tribunal, qui prend le titre de juge de la mise en état (JME). Il convoque à intervalle régulier les représentants des parties, s'assure que la communication des arguments et pièces a eu lieu et peut au besoin enjoindre une partie à y procéder, et tranche seul toutes les questions de pure procédure, comme la nullité de l'assignation (on appelle ces questions de procédure qui peuvent mettre fin à l'action en justice sans que le fond soit abordé des “incidents”, et les audiences où ils sont examinés des “audiences sur incident”). L'idée est de s'assurer que quand l'affaire vient devant le tribunal au complet pour être jugée, il n'y ait aucun imprévu qui oblige à renvoyer l'affaire à un autre jour. Toutes les questions de procédure ont été purgées, tout le monde a présenté ses arguments ou a été enjoint de le faire et chacun ne peut donc s'en prendre qu'à lui-même en cas de carence. Cela va jusqu'à la vérification de l'agenda des avocats, pour éviter les chevauchements d'audience.

Cette procédure spécifique de mise en état, très technique, outre la nécessité d'échanger des écritures de manière certaine, et l'importance des litiges jugés par le tribunal de grande instance expliquent l'existence d'une représentation obligatoire.

Elle n'existe que devant le tribunal de grande instance et la cour d'appel, et encore y a-t-il des exceptions (certaines procédures devant le juge aux affaires familiales, ou les procédures en référé ou devant le juge de l'exécution ne sont pas soumises à représentation obligatoire). Vous pouvez vous présenter en personne devant les juridictions de proximité (litiges civils jusqu'à 4000 euros), les tribunaux d'instance (litiges civils de 4001 à 10000 euros, tutelles, baux d'habitation ou crédits à la consommation quel que soit le montant en jeu, entre autres), les Conseils de prud'hommes (litige individuel lié à un contrat de travail ou d'apprentissage), le tribunal de commerce (litige où le défendeur est commerçant), et devant la plupart des juridictions pénales (il n'y a que devant la cour d'assises et pour une CRPC que l'assistance d'un avocat est obligatoire).

Jusqu'en 1971, cette fonction de représentation des parties était confiée aux avoués près les tribunaux de grande instance. Les parties pouvaient en outre prendre un avocat, mais ce n'était pas obligatoire. L'avocat, lui, était le seul qui pouvait plaider, c'est à dire exposer oralement l'argumentation devant le tribunal. On parlait “d'assistance des parties” par opposition à la “représentation” qui est plus forte puisqu'il y a substitution des personnes. Mais l'intervention de l'avocat n'était pas obligatoire.

La loi du 31 décembre 1971 a fusionné les deux professions d'avoué devant les TGI et d'avocat, faisant des avoués des avocats, et confiants à ceux-ci la charge de la représentation en justice. Désormais, devant le tribunal de grande instance, nous représentons ET plaidons.

D'ailleurs, il reste une trace de cette distinction. Un avocat ne peut représenter que devant le tribunal de grande instance de son barreau (Paris, Bobigny, Nanterre et Créteil forment de ce point de vue un barreau unique : je peux représenter en justice devant ces trois tribunaux de grande instance). Si j'ai une affaire devant le tribunal de grande instance de Perpignan ou de Versailles, je dois demander à un confrère du barreau local de prendre en charge cet aspect procédural. Cela s'appelle la postulation.

Ainsi, moi qui suis du barreau de Paris, si un de mes clients veut faire des misères à un adversaire demeurant à Framboisy, je demanderai à Maître Fantômette d'être mon postulant. L'assignation indiquera donc à mon adversaire que Monsieur LECLIENT lui fait un procès, qu'il est représenté par Maître Fantômette, avocat au Barreau de Framboisy, et qu'il a Maître Eolas, avocat au Barreau de Paris, comme avocat plaidant. Tout au long de la mise en état, j'enverrai mes conclusions à Maître Fantômette, qui les relira, les signera, et les notifiera au tribunal et à l'adversaire.

Cependant, les avoués près les cours d'appel ont refusé la fusion en 1971 et obtenu d'en être exclus. Cette distinction perdure donc devant la cour d'appel. Ainsi, si après avoir brillamment gagné mon procès devant le tribunal de grande instance de Framboisy, mon adversaire croit naïvement pouvoir récupérer le coup en appel, je recevrai une déclaration d'appel de Maître Vulcain, avoué, devant la cour d'appel de Moulinsart, dont dépend Framboisy. Maître Fantômette ne me sera plus d'aucun secours, il me faudra faire appel (si j'ose dire) à Maître Admiratrice, Avoué près la cour d'appel de Moulinsart. Je lui envoie la déclaration d'appel, et de son côté, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, elle notifiera à Maître Vulcain que s'il espère la victoire, il la trouvera en travers de son chemin.

La distinction entre les deux professions ne se résume pas à “ l'un écrit, l'autre parle, les deux facturent ”. L'avoué est en charge de la procédure : c'est lui qui fait la déclaration d'appel, rédige le cas échéant (je reviens sur cette réserve plus loin), signe et transmet les argumentations écrites (qu'on appelle “conclusions”) à l'avoué adverse et à la cour, est présent aux audiences de mise en état… Bref, quand vous faites appel, vous passez un fax à votre avoué et il s'occupe de tout jusqu'à l'audience où l'appel est jugé. L'avocat, quand il y en a un, est en contact direct avec le client.

Point important : si vous faites appel d'un jugement, vous n'êtes pas obligé de prendre un avocat. Vous êtes obligé de prendre un avoué.

Deuxième point important : le prix d'un avoué est tarifé (décret n° 80-608 du 30 juillet 1980 fixant le tarif des avoués près les cours d'appel, modifié par le décret n° 84-815 du 31 août 1984). Quel que soit l'avoué que vous choisissez, il vous coûtera le même prix (on parle d'émoluments et non d'honoraires en ce qui les concerne, l'émolument étant fixé par la loi et l'honoraire libre). Tout comme l'activité de postulation devant le TGI est tarifée, le décret fixant le tarif des avoués devant le TGI étant resté en vigueur (décret n°60-323 du 2 avril 1960 modifié par le décret n°75-785 du 21 août 1975 ).

Troisième et dernier point important : ces émoluments étant tarifés, ils sont compris dans les dépens, cette masse de frais annexes au procès qui sont automatiquement mis à la charge de la partie perdante. Donc si vous gagnez votre appel, votre avoué est censé ne rien vous coûter, et si vous perdez, vous supportez deux fois le prix (votre avoué et celui de l'adversaire).



Que reproche-t-on aux avoués ? L'assaut est répété : le dernier en date vient du rapport Attali, mais cela n'a rien de nouveau, puisque le parti socialiste avait déjà pris à son compte cette proposition en 2005 (vous noterez au passage ma brillante capacité de divination politique dans le deuxième paragraphe). Leur existence paraît une anomalie, un vestige d'un temps révolu. Ils feraient double emploi avec les avocats. Ils combinent de plus deux qualités qui sont mal vues aujourd'hui : ils ont un monopole et, titulaires d'une charge, sont un nombre restreint. D'où l'accusation de rente de situation. En ces temps de pouvoir d'achat en berne, les supprimer peut laisser croire à une économie pour le justiciable (ce qui est fort mal connaître les avocats que de croire qu'en leur confiant la charge de la procédure en appel, ils le feront gratuitement).

Du côté des avocats, les mots ne sont pas tendres, et là, les avoués devraient se demander s'ils ne sont pas en partie responsables de cette mauvaise réputation. Beaucoup d'avocats que j'ai interrogés sur la question ont qualifié leur avoué de simple “boîte aux lettres”, nombre d'entre eux mettant en doute leur compétence juridique. Une simple recherche sur internet m'a permis de trouver ces propos tenus par des avocats :

Il s'agit pourtant des boites aux lettres et des photocopieuses les plus chères de France, car sauf cas rares où l'avoué prend l'initiative de rédiger des conclusions d'appel (qui seront peu ou prou celles de première instance auxquelles on aura pris soin d'ajouter des "attendu que"), c'est l'avocat qui le fait, l'avoué se contentant de photocopier les conclusions et les signifier. (Millimaître, en ces lieux)

A quoi servent les avoués ?
A rien. (Polynice, qui développe son point de vue ici.)

En fait, cela traduit une incompréhension de ce qu'est réellement un avoué de la part des avocats, et de la part des avoués, un manque de travail de communication à l'égard des avocats, qui a laissé le malentendu s'installer.

Un avoué est un spécialiste. Un spécialiste de la procédure d'appel en matière civile. Et elle est potentiellement casse-gueule. Vous ne trouverez aucun avocat en France qui maîtrise aussi bien les articles 899 à 972 du nouveau Code de procédure civile. Et le succès de votre appel peut reposer sur un de ces articles.

Un avoué est un fin connaisseur de “sa” cour d'appel. Il y a fait toute sa carrière, il y est chez lui. Il connaît “ses” magistrats, leurs manies, leurs goûts et leur jurisprudence. Tel conseiller de la mise en état clôture à la première injonction non suivie d'effet. Tel autre refuse les renvois non motivés. Ce président est opposé à la jurisprudence de la cour de cassation sur le point en cause et serait prêt à rendre un arrêt contraire. Ne pas utiliser cette source d'information, c'est avancer les yeux fermés en espérant que son adversaire fera de même.

Un avoué est un juriste généraliste (même si certains avoués se sont faits une réputation dans certaines matières techniques). Il est censé rédiger les conclusions d'appel. Beaucoup d'avocats ont pris l'habitude de faire comme avec un confrère postulant devant le TGI, et lui envoyer des conclusions “prêtes à signer”. C'est vexant, et l'avoué vexé les signe et boude, donnant l'impression d'être une boîte aux lettres fort coûteuse. Pour ma part, avant de conclure, je demande son avis à mon avoué, et lui soumets mes projets de conclusions. Surtout si je suis appelant, c'est à dire que je n'ai pas obtenu ce que je voulais en première instance. Si j'ai commis une erreur que je n'ai pas comprise, je risque fort de la refaire en appel. L'avoué donne un deuxième avis sur un dossier, éclairé par la connaissance de la jurisprudence de sa cour.

Tenez, un exemple, qui remonte au premier dossier d'appel que j'ai suivi, pour celui qui fut mon maître.

Nous étions en appel d'un jugement nous ayant déclarés irrecevables à réclamer qui nous était dû, car nous ne démontrions pas notre qualité à agir. Notre client avait en effet racheté un portefeuille de contrats à une société, sans avoir acquis la dite société (ce qui aurait réglé le problème). Un coup de fil à l'avoué m'a confirmé qu'il suffisait de produire un mandat du dirigeant de la société ayant cédé le portefeuille de contrats donnant pouvoir à notre client d'agir en son nom pour établir notre qualité à agir. Ce qui fut fait, et nous gagnâmes en appel. Un problème simple en apparence, qui avait échappé à un avocat pourtant pointu en droit bancaire, au service juridique d'une grosse société financière, était apparu lumineux comme le soleil de midi à un avoué. Je n'irai pas parler d'économies à faire sur les émoluments de cet avoué.

Bref, chers confrères, faites bosser vos avoués, ils ne demandent que ça (ou sinon, changez-en). Cher maîtres (les avoués ont droit au titre), prenez l'initiative de faire des observations à vos avocats, même sur des projets de conclusion. Montrez votre savoir-faire.

Parce que, même si la proposition semble, comme le rapport Attali dans son ensemble, enterré sans tambour ni trompette, le ciel n'est pas dégagé : les avocats viennent de lancer sur votre profession une OPA hostile.

Allez, on se dit tout ce qu'on a sur le cœur en commentaires ?

Notes

[1] Je déconseille à tous les étudiants en droit de faire une telle annonce de plan dans leurs devoirs.

vendredi 28 mars 2008

L'Ordonnance de référé dans l'affaire Fuzz.fr

Voici l'analyse de l'ordonnance rendue le 26 mars 2008 par le juge des référés dans l'affaire Olivier M. contre la société Bloobox Net, éditrice du site Fuzz.fr, site désormais fermé.

Premières mises au point : ce n'est pas une affaire "Presse-Citron", du nom du blog d'Eric Dupin. Ce site était totalement hors de cause. Etait en cause un site exploité par une société dont Eric Dupin était le gérant. Cette précision a son importance, car le site condamné n'était pas un blog, mais un digg-like, c'est à dire un site regroupant des articles signalés par les membres enregistrés : plus le site est signalé (fuzzé en bon français), plus il est visible.

Il s'agit d'une demande de référé présentée sur le fondement de l'article 9 du Code civil :

Chacun a droit au respect de sa vie privée.

Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé.

Comme pour l'affaire Note2be, je vais, pour rendre cette exposé plus vivant, imaginer l'audience sur la base du texte du jugement. Les passages en gras italique seront des citations in extenso de la décision, les passages en italique étant des indications de mise en scène. Et comme la licence de l'auteur est sans limite, je vais me glisser à côté du juge, tout en restant invisible à ses yeux, pour jouer le rôle du Choeur dans le théâtre antique.

Les trois coups ont été frappés, le rideau se lève sur une petite salle d'audience aux huisseries vernies fatiguées par un siècle de plaidoirie. Le juge des référés entre en premier et va prendre place au milieu d'un large bureau surélevé car bâti sur une estrade, tandis que sa greffière va s'asseoir à sa gauche, à côté de la pile des dossiers du jour. A la droite de ce bureau surélevé, et perpendiculaire par rapport à lui pour faire face à la salle, se trouve un petit bureau, dos aux hautes fenêtres : le bureau du procureur de la République, qui demeure vide. A travers les fenêtres, on aperçoit celles de la superbe salle de la première chambre du tribunal de grande instance.

Le Président : Madame le greffier, veuillez appeler la première affaire.

La greffière : Affaire 08/52543 : Monsieur Olivier Martini[1] contre la société Bloobox.

Deux avocats s'avancent. L'un a une épitoge herminée, l'autre une épitoge veuve.

Le Président : Pour le demandeur, vous avez la parole pour m'exposer vos demandes.

Le demandeur,qui a l'épitoge sans hermine'' : Mon client est un acteur célèbre qui vient devant vous se plaindre d'une atteinte à sa vie privée commise sur le site Fuzz.fr, exploité par la société Bloobox. En effet, je produis un constat d'huissier qui vous révélera que le 5 février dernier, un lien intitulé : “Kéllé Mignone et Olivier Martini toujours amoureux, ensemble à Paris”. Ce lien renvoyait vers un autre site internet, celebrites-stars.blogspot.com, où se trouvait un article ainsi rédigé :

Kéllé Mignonne et Olivier Martini réunis peut-être bientôt de nouveau amants.

La chanteuse Kéllé Mignonne qui a fait une apparence(sic) aux 2007 NRJ Music Awards a ensuite été vue avec son ancien compagnon l’acteur français Olivier Martini.

La star a été vue à Paris promenant son chien, un Rhodesian Ridgeback[2] et alors qu'elle allait avec son ancien fiancé Chez Yves St Laurent Gloaguen puis au Café de Flore ou elle aimait déjà se rendre régulièrement lorsqu'elle habitait à Paris afin de recevoir le traitement pour soigner sa gastro-entérite.

L'actrice âgée de 39 ans a créé bien malgré elle une petite émeute lorsque des passants l’ont reconnu alors qu'elle promenait son chien Sheba[3] avec Olivier Martini dans les rues de Paris.

Rappelons que les deux célébrités se sont séparées au mois de février 2007 lorsque l’acteur a été surpris en charmante compagnie et que Kéllé Mignonne vivait une période difficile et qu'elle suivait un lourd traitement contre la gastro-entérite.

La star australienne est ensuite allée à la gare pour prendre un train Eurostar en direction de Londres, mais elle pourrait d’après ses proches bientôt revoir Olivier Martini régulièrement”.

Je vous demande donc de recevoir mon client en ses demandes, de constater la violation par la défenderesse de la vie privée d’Olivier Martini, de constater que le préjudice subi par Olivier Martini du fait de cette publication est aggravé par le fait que celle-ci a été diffusée sur Internet...

Le Choeur (surpris) : Aggravée par sa diffusion sur internet ? D'une part, il me semble que cette diffusion est l'acte de publication qui fonde les poursuites, et non son aggravation ; d'autre part, je ne vois pas en quoi une diffusion sur internet serait plus grave qu'une diffusion à la télévision ou dans un magazine sur papier. J'opinerai même le contraire.

Le demandeur (continuant comme si de rien n'était) : ...En conséquence, ordonner au défendeur de procéder au retrait immédiat de l’article litigieux sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard ; condamner le défendeur au paiement d’une somme de 30.000 euros à Olivier Martini , en réparation de son préjudice moral ; ordonner la publication de l’ordonnance à intervenir sur la page d’accueil du site internet édité par le défendeur, dans un délai de 48 heures suivant la signification de celle-ci, ce ce sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard ; (le Choeur sourit à l'énoncé du montant de ces sommes) condamner le défendeur à verser à Olivier Martini une somme de 4.500 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

Le Choeur : Il s'agit de la pris en charge par la partie adverse des frais exposés pour la procédure, principalement les honoraires de l'avocat.

Le Président : Pour le défendeur, vous avez la parole.

Le défendeur : Je dépose des conclusions (Il tend à la greffière plusieurs pages agrafées ; la greffière les prend, y dépose un cachet, signe à côté et les remet au président) vous demandant, à titre liminaire, de vous déclarer incompétent quant aux demandes soulevées par Olivier Martini, faute d'urgence : en effet, celui-ci n'a pas demandé préalablement le retrait de cet article du site. De plus, il y a une contestation sérieuse.

Le Président : Si, je suis compétent. La société défenderesse ne peut arguer du défaut d’urgence pour exciper de l’incompétence du juge des référés, du seul fait de l’absence de toute demande de retrait de l’information litigieuse préalablement à la présente procédure, la seule constatation de l’atteinte aux droits de la personnalité caractérisant l’urgence au sens de l’article 9 alinéa 2 du code civil.

Le Choeur : Première chambre civile de la cour de cassation, arrêts des 12 décembre 2000 (Bull.civ. I, n°321) et 20 décembre 2000 (arrêt Mitterrand), bull. civ. I, n°341.

Le président : S’agissant de l’existence d’une contestation sérieuse tenant à la responsabilité de la société BLOOBOX NET elle sera examinée ci-après.

Le Choeur : la contestation sérieuse n'entraîne en effet pas l'incompétence du juge des référés, car c'est une condition de fond. La contestation sérieuse entraîne le débouté au motif qu'il n'y a pas lieu à référé. Chaque chose en son temps, donc.

Le défendeur : Je soulève également la nullité du constat d'huissier pour vice de forme : il est daté à tort du 5 février 2007.

Le président (prenant le constat dans le dossier) : Certes. Mais si le procès-verbal de constat est daté du 5 février 2007, les références temporelles qu’il contient soit à la fin de l’année 2007 ou au début de l’année 2008, ne permettent pas à la société BLOOBOX NET de se méprendre sur la date réelle de cet acte ; en l’absence de grief au sens de l’article 114 du Code de procédure civile, il y a lieu de rejeter le moyen.

Le défendeur (en apparté) : Ce n'est pas grave, j'ai d'autres atouts dans mon jeu. (A voix haute) Je vous demande de dire que ma cliente n'est pas responsable, en raison de sa qualité de “pur prestataire technique”, elle revendique en conséquence le bénéfice du statut d’hébergeur au sens de l’article 6. I. 2° de la Loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Le Choeur (se redressant sur son fauteuil) : Ha, nous voilà au cœur du problème de droit.

Le défendeur : En tant qu'hébergeur, sa responsabilité n'est en effet engagée qu'en cas d'absence de prompte réaction une fois le caractère illicite du contenu hébergé connu. Cette connaissance lui a été portée par l'assignation en référé du 12 mars 2008, qui a conduit au retrait immédiat du contenu, et même à la fermeture du site. En conséquence, vous déclarerez la société BLOOBOX NET non responsable du contenu diffusé dans ses pages en tant qu’hébergeur technique de services internet au sens de la LCEN.

Le Président (après un temps de réflexion à examiner le dossier) : Il ressort des pièces produites aux débats que le site litigieux est constitué de plusieurs sources d’information dont l’internaute peut avoir une connaissance plus complète grâce à un lien hypertexte le renvoyant vers le site à l’origine de l’information.

Le défendeur : Certes.

Le Président : Ainsi en renvoyant au site “celebrites-stars.blogspot.com”, la partie défenderesse opère un choix éditorial, de même qu’en agençant différentes rubriques telle que celle intitulée “People” et en titrant en gros caractères “Kéllé Mignone et Olivier Martini toujours amoureux ensemble à Paris”, décidant seule des modalités d’organisation et de présentation du site.

Le demandeur : Certes !

Le Président : Il s’ensuit que l’acte de publication doit donc être compris la concernant, non pas comme un simple acte matériel, mais comme la volonté de mettre le public en contact avec des messages de son choix ; elle doit être dès lors considérée comme un éditeur de service de communication au public en ligne au sens de l’article 6, III, 1°, c de la loi précitée renvoyant à l’article 93-2 Loi du 21juillet 1982 ; il convient d’ailleurs de relever que le gérant de la société défenderesse Eric Édéjeu, écrit lui-même sur le site qui porte son nom, qu’il “édite” pour son propre compte plusieurs sites, parmi lesquels il mentionne "Fuzz" (pièce n°11 du demandeur) ; la responsabilité de la société défenderesse est donc engagée pour être à l’origine de la diffusion de propos qui seraient jugés fautifs au regard de l’article 9 du code civil.

Le demandeur : Je triomphe !

Le défendeur : Je succombe !

Le Choeur : Je crains que notre pièce ne soit désormais une tragédie : la fin est inéluctable, puisqu'il ne reste plus au juge qu'à examiner si atteinte à la vie privée il y a eu.

Le Président : Il y a lieu de rappeler qu’en vertu de l’article 9 précité, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée ; en évoquant la vie sentimentale d’Olivier Martini et en lui prêtant une relation réelle ou supposée avec une chanteuse, en l’absence de toute autorisation ou complaisance démontrée de sa part, la brève précitée, qui n’est nullement justifiée par les nécessités de l’information, suffit à caractériser la violation du droit au respect dû à sa vie privée ; que l’atteinte elle- même n’ est pas sérieusement contestée. Il en est de même pour le renvoi opéré, grâce à un lien hypertexte, à l’article publié sur le site “celebrites-stars.blogspot.com”, lequel article fournit des détails supplémentaires en particulier sur la séparation des intéressés et leurs retrouvailles ; que ce renvoi procède en effet d’une décision délibérée de la société défenderesse qui contribue ainsi à la propagation d’informations illicites engageant sa responsabilité civile en sa qualité d’éditeur.

Le Choeur : Un choix délibéré ? Voici sans doute le point le plus sujet à controverse. Parler de décision délibérée pour un lien dans un Digg-Like me paraît osé.

Le Président : La seule constatation de l’atteinte aux droits de la personnalité par voie de presse ou sur la toile, engendre un préjudice dont le principe est acquis, le montant de l’indemnisation étant apprécié par le juge des référés en vertu des pouvoirs que lui confèrent les articles 9 du Code civil et 809 du Code de procédure civile.

Le défendeur : Fatalitas !

Le demandeur : Vae victis !

Le Choeur : Ite Missa est !

Le président : Votre culture classique est digne d'éloge. Fixons donc les montants. La défenderesse a produit différents documents relatifs à la fermeture temporaire du site “www.fuzz.fr” au jour de l’audience ; la demande de retrait est dès lors sans objet. En l’absence d’indication quant à la fréquentation du site et tenant compte de la disparition des propos litigieux, le préjudice moral dont se prévaut Olivier Martini, et sans que celui-ci puisse invoquer d’autres atteintes commises par ailleurs à son détriment, sera justement réparé par l’allocation d’une provision indemnitaire de 1.000€, sans qu’il soit besoin d’assortir cette décision d’une mesure de publication désormais impossible.

La voix de Veuve Tarquine, des coulisses : J'enrage !

Le Président, qui n'a pas entendu : Il y a lieu enfin, de faire application au profit du demandeur des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile. (Il s'éclaircit la voix, puis tonne d'une voix forte) : Par ces motifs, statuant par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort...

Le Choeur : Traduction : l'ordonnance n'aura pas à être lue en audience publique pour être rendue ; les deux parties étant présentes à l'audience, elles ont pu présenter leurs moyens de défense, la voie de l'opposition leur est fermée ; et l'ordonnance est de par sa nature susceptible d'appel.

Le Président : ...Condamnons la société BLOOBOX NET à payer à Olivier Martini la somme de 1.000 € à titre de provision indemnitaire, ainsi que celle de 1.500 € par application de l’article 700 du Code de procédure civile ;...

Le Choeur : Le juge des référés est incompétent pour condamner à des dommages-intérêts, mais il peut accorder une provision sur une somme qui n'est pas sérieusement contestable. Le juge estime donc que si Bloobox est poursuivi devant un tribunal ordinaire, celui-ci ne pourra en aucune façon accorder moins de mille euros.

Le Président : ...Rejetons le surplus des demandes d’olivier Martini ; rejetons les demandes reconventionnelles de la société BLOOBOX NET, ...

Le Choeur : A savoir, pour Olivier Martini : les demandes d'astreinte à 5000 euros par jour et la publication du jugement ; pour Bloobox, une demande de 4000 euro de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 20.000 euros pour "perte de valorisation du site" : on connaît donc à titre posthume le prix de Fuzz.fr. Outre 3.500 euros d'article 700.

Le Président : ...condamnons la défenderesse aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du Code de procédure civile.

Le Choeur, pendant que la salle se vide : Oh ! Le vilain article 699 ! Il ne s'applique que dans les procédures à représentation obligatoire, c'est à dire devant le TGI statuant en matière contentieuse ordinaire et devant la cour d'appel au profit des avoués. (Il regarde autour de lui et réalise sa solitude). La peste soit de l'invisibilité. (Il sort en courant).

Rideau.

Notes

[1] Afin de respecter la vie privée des parties, le nom des personnes concernées a été rendu méconnaissable.

[2] L'article 9 du Code civil ne s'appliquant pas aux canidés, la race n'a pas été modifiée : le droit à l'information du public reste sacré.

[3] L'article 9 ne s'appliquant pas au nom des animaux, il s'agit bien du nom du toutou.

jeudi 27 juillet 2006

Les actes du palais pour les nuls

Où l'auteur abandonne un temps son lectorat habituel pour tenter de devenir une icône vénérée de ses jeunes futurs confrères égarés dans les méandres de la procédure civile.

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mercredi 31 août 2005

Propositions de réformes

Paxatagore fait état dans un billet des propositions du parti socialiste en matière de justice, relayant l'info donnée par Bloghorrée.

Même s'il y a loin de la coupe aux lèvres, le parti socialiste n'étant pas encore de retour aux affaires et étant bien parti pour mettre fin à 26 ans pendant lesquels le parti au pouvoir a systématiquement perdu les élections générales (les mauvais journalistes politiques dirons élections législatives, ce qui est absurde, on n'élit pas la loi), il est intéressant de voir quelles propositions fait le principal parti d'opposition, tenu par ce statut à des propositions originales et crédibles.

Ces propositions sont au nombre de trois .

  • la suppression du monopole des huissiers pour la signification des décisions de justice, qui seraient simplement remplacées par des lettres recommandées AR.
  • la suppression de l'avocat postulant ;
  • la suppression de la charge d’avoué à la cour d’appel. En revanche, la charge d'avocat au conseil d'Etat et à la cour de cassation serait maintenue.

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