Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Recherche

Votre recherche de L'asile du droit a donné 60 résultats.

mardi 9 décembre 2008

Il n'y a pas de petites économies, mais il y en a des très petites

Le 1er janvier 2009, il va y avoir du neuf dans le droit d'asile.

L'ex-commission de recours des réfugiés (CRR), devenue il y a un an la Cour Nationale du Droit d'Asile (CNDA), qui vient de recevoir le prix de la non-mise à jour de son site internet, et qui est la seule juridiction compétente pour connaître en appel des décisions de l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA - attention, site moche) en matière de demande d'asile, dont je vous ai déjà parlé ici, va être rattachée au Conseil d'État, pour mettre fin à sa dépendance organique et surtout budgétaire vis à vis de l'OFPRA.

En effet, vous connaissez beaucoup de juridiction d'appel siégeant dans des locaux loués par votre adversaire et tournant avec du personnel fourni par ce même adversaire ? Avec la CNDA, c'était possible.

Et au passage, l'aide juridictionnelle va être accordée aux demandeurs d'asiles déboutés par l'OFPRA.

« — Quoi ? On va filer des sous aux avocats de la défense ? Combien ?

— 200 euros, chef.

— 200 euros ? Ha, ça va, c'est pas beaucoup. Mais tout de même. Y'aurait pas un moyen d'en gratter un petit peu ?

— Chef ! Chef !

— Oui, Durand ?

— J'ai une idée ! »


Cour national du droit d'Asile

Le président
ALX/PR-C-2008-147

Montreuil sous Bois, le 19 novembre 2008

Maître Christian Charrière-Bournazel
Bâtonnier
Ordre des avocats à la cour de Paris
11, place Dauphine
75053 Paris CEDEX 01

Monsieur le Bâtonnier,

Le rapprochement de la Cour nationale du droit d'asile avec le Conseil d'État au 1er janvier 2009 va conduire à aligner les pratiques de la juridiction avec celles des autres juridictions administratives.

Ainsi, le changement de prestataire de location  des photocopieurs s'accompagnera de la mise à disposition en salle d'accueil avocats d'un photocopieur payant, à pièces ou à cartes.

(…)

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Bâtonnier, l'expression de ma parfaite considération.

Signé : François BERNARD, président de la CNDA.

(Source : Bulletin du barreau de Paris, n°42, 9 déc. 2008, p.437)


« — Durand, vous êtes un génie ! Vous finirez préfet !

— Vous me l'avez déjà dit, chef.»


Explications : l'étranger débouté de sa demande d'asile par l'OFPRA peut exercer un recours juridictionnel devant la CNDA, avec l'assistance d'un avocat. Jusqu'à présent, l'avocat était à la charge du demandeur d'asile (qui n'a plus le droit de travailler pendant l'examen de sa demande depuis le 1er octobre 1991, et qui touche à la place une allocation mensuelle de 400 euros environ, payée par… les Assedic).

Désormais, l'avocat pourra être indemnisé 200 euros au titre de l'aide juridictionnelle. Autant vous dire que les avocats vraiment spécialisés en la matière refuseront l'aide juridictionnelle. L'avocat a le droit de consulter le dossier au greffe de la CNDA, après l'avoir demandé par écrit (le dossier est mis à sa disposition sous 48 heures à réception de sa demande, pendant 10 jours, ou 48 heures si le dossier a une date d'audience fixée), et d'en obtenir une copie.

Jusqu'à présent, les avocats des barreaux d'Île de France avaient un photocopieur à disposition (en fait plusieurs, mais ils tombent en panne à tour de rôle, c'est très bien organisé) pour faire ses photocopies lui-même. Gratuitement, mais lui-même. Les avocats des barreaux hors Île de France avaient le privilège de se faire envoyer directement la copie faite par les petites mains de la CNDA (les assistants de protection). Gratuitement aussi.

Fini. Désormais, il faudra payer à la page. Combien ? Je l'ignore encore. Comment feront les avocats extérieurs à l'Île de France ? Je l'ignore. Ce serait cocasse de leur demander de venir de Lille ou de Lyon pour faire des photocopies de leur dossier. Si quelqu'un a des infos…

Un dossier CNDA fait une taille assez variable. Mais il y a au moins 16 pages de dossier de demande d'asile, plus éventuellement des pages supplémentaires pour détailler le récit, parfois des pièces démontrant que les craintes du demandeur sont fondées, le compte-rendu d'entretien avec un Officier de Protection à l'OFPRA, qui fait une dizaine de pages voire plus, un document appelé "l'établissement des faits" et qui est rédigé par l'officier de protection qui a reçu le demandeur, fait la synthèse de ses allégations et commente leur caractère fondé ou non, et mentionne des observations liées à l'entretien (comportement du demandeur, problème d'interprétariat, etc…), de quelques pages.

Le compte rendu d'entretien, pièce fondamentale pour la défense, doit désormais nous être communiqué gratuitement, pas de bol, c'est la loi qui l'exige (article R.723-1-1 du CESEDA). Mais l'établissement des faits, non. Et le dossier de demande initiale non plus, et il peut avoir son importance. Bref, pour chaque dossier, on a 20 à 30 pages à photocopier, parfois plus.

Imaginez déjà la joie d'un avocat qui doit se déplacer à la juridiction pour faire lui-même les copies (n'envoyez pas un stagiaire, il n'aura pas accès au dossier). Et en prime, il devra les payer lui-même. Hop, deux demi-journées de bouffées pour 200 euros. Moins le prix des photocopies. Si avec tout ça, on n'arrive pas à dégoûter les avocats de la matière, c'est à désespérer de leur cupidité.

Mais le pompon, c'est la justification. « Aligner les pratiques de la juridiction avec celles des autres juridictions administratives. »

Heu, M'sieur le président, les autres juridictions administratives, je les pratique, vous savez. On ne me fait jamais payer les photocopies des dossiers où j'interviens, et on me demande encore moins de venir les faire moi-même. Au pire, on me les faxe (et sans que j'aie seulement à le demander), surtout dans les dossiers de référé et de reconduite à la frontière, donc les frais d'impression sont donc de fait pour moi, mais jamais, nulle part, je n'ai à me rendre sur place pour effectuer ou demander des photocopies de quoi que ce soit. Et même que lors des audiences de reconduite à la frontière, si je produis une pièce à l'audience que j'ai pu me procurer in extremis, le greffier me fait obligeamment les photocopies, gratuitement. Ça s'appelle le respect du contradictoire, et les juridictions administratives sont psychorigides là-dessus. C'est est freudien.

Il est exact qu'il y a des photocopieurs à pièce dans tous les greffes des juridictions administratives (tribunaux administratifs, cours administratives d'appel, Conseil d'État), mais c'est essentiellement pour les requérants sans avocats qui découvrent en se présentant au greffe que leur requête et leurs pièces doivent être déposées en quatre exemplaires (au moins : c'est en nombre égal à celui des parties augmenté de deux). En aucun cas pour que les avocats puissent venir effectuer à leur frais la copie des pièces et mémoires adverses, qui précisément sont communiqués en plusieurs exemplaires pour éviter ces frais à la partie adverse.

Faites des économies minables si ça vous chante, monsieur le président, mais ayez au moins la décence de ne pas vous payer ma tête par dessus le marché.

jeudi 4 décembre 2008

Des képis dans le préau

Je vous parlerai un peu plus longuement des opérations anti-drogue dans des collèges du Gers qui font couler beaucoup de pixels sur les blogs. Je n'ai pas le temps de faire un billet complet, et je ne trouve guère d'éléments factuels, les récits des témoins étant contestés par les gendarmes.

Mais beaucoup de personnes se disent choquées, à tout le moins dérangées, que la police —en l'espèce la gendarmerie— puisse faire ainsi irruption dans un collège.

Mais il y a mieux.

Le 24 novembre 2008, à 15h45, Monsieur Kurtishji, accompagné de deux policiers en civil, est venu chercher trois de ses quatre enfants (un scolarisé en primaire, deux en maternelle), en pleine classe, pour «un rendez-vous en préfecture», ont compris les enseignants.

«A 19h, on apprenait que la famille au complet était au centre de rétention de Lyon», rapporte une militante du Réseau éducation sans frontières de l'Isère. Prévenus, les permanents de la Cimade, seule association autorisée à entrer dans les centres de rétention, ont cherché les Kurtishji, sans succès. Dès le mardi matin, la famille avait été expulsée vers l'Allemagne, porte par laquelle elle était entrée en Europe.

Nous sommes donc en présence d'un demandeur d'asile, d'origine albanaise semble-t-il, qui est entré dans l'espace Schengen par l'Allemagne. Les Albanais fuient généralement des vendettas, des dettes de sang où pour venger un mort, on assassine quelqu'un de la famille ennemie, qui à son tour devra le venger, et ainsi de suite.

Les accords de Schengen prévoient dans ces cas là que la demande d'asile doit être examinée par le pays d'entrée dans l'espace Schengen pour éviter une fraude à l'asile (un demandeur présentant une demande tour à tour dans les 24 pays de l'Espace Shengen, la demande d'asile donnant droit au séjour en vertu de la Convention de Genève ; à ma connaissance, même avant Schengen, une telle hypothèse ne s'est jamais présentée mais on n'est jamais trop parano prudent).

Cette famille a donc été conduite en Allemagne où leur demande sera examinée.Photo AFP/JOEL ROBINE

Alors bien sûr, c'est un départ vers l'Allemagne, pas vers l'Albanie. La famille Kurtishji ne risque rien à son arrivée.

N'empêche. Était-ce à ce point urgent, le risque que cette famille reste malgré tout irrégulièrement en France était-il à ce point intolérable, pour faire débarquer des policiers au milieu de classes de maternelle ? L'élément de surprise s'imposait-il au point d'infliger ce spectacle à des marmots âgés entre 4 et 6 ans, de voir leur copain de classe partir entre deux policiers, comme un criminel, pour ne plus jamais revenir à l'école, sans même pouvoir lui dire au revoir ? C'est ça, qu'on apprend à nos enfants dès la maternelle ?

Avons-nous perdu la raison ?


PS : Merci de donner une leçon de dignité à nos gouvernants en évitant soigneusement toute allusion historique déplacée en commentaire.


Photo AFP/JOEL ROBINE : Dans un couloir de la zone d'attente de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, le 27 octobre 2003.

vendredi 28 novembre 2008

Cassons-nous le moral avant de partir en week end

Il est arrivé, il est tout beau chaud, le rapport 2008 du Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe à la suite de sa visite en France.

Un extrait, même si tout le rapport, publié en pdf sur le site du nouvelobservateur.fr, vaut la lecture, sur la procédure de demande d'asile en rétention.

L'hypothèse est la suivante : un étranger sans titre de séjour est placé en centre de rétention administrative en vue de sa reconduite à la frontière. Il peut alors présenter une demande d'asile pour expliquer qu'il peut avoir des craintes pour sa vie, son intégrité physique ou sa liberté s'il retourne dans son pays d'origine. La procédure de reconduite à la frontière est (théoriquement vous allez voir) suspendue pendant l'examen de cette demande qui doit être faite par l'OFPRA en priorité absolue, la réponse devant être donnée en 96 heures, ce qui inclut un entretien avec un Officier de Protection au siège de l'OFPRA à Fontenay Sous Bois, dans le Val de Marne (la visioconférence est possible mais rare pour le moment, peu de centres de rétention étant équipés).

La demande d'asile est un formulaire de 16 pages, à remplir obligatoirement en Français, dans un délai de cinq jours. Chaque rubrique est importante, y compris l'état civil, la plus importante étant le récit du demandeur, qui doit préciser pourquoi il a des raisons de craindre des persécutions. C'est l'élément central, essentiel, plus encore que les pièces qui sont regardées avec circonspection par l'OFPRA, tant il y a de faux en la matière.

Récapitulons : cinq jours. Dossier de 16 pages. Dans une langue inconnue.

Dossier incomplet, pas en Français, pas rendu à temps ? Dossier poubelle, étranger avion.

Côté obstacles, ça suffit ?

Non, on peut faire mieux. (Les gras sont de moi.)

123. La procédure de demande d’asile pour les étrangers retenus dans les centres de rétention administrative est traitée de manière prioritaire. En 2007, 1 436 personnes ont demandé l’asile en rétention ce qui représente plus de 20 % des demandes dites « prioritaires ». La législation prévoit que les personnes retenues doivent formuler leur demande d’asile dans un délai maximum de cinq jours. Cette demande doit être rédigée exclusivement en langue française et le retenu ne peut bénéficier de l’assistance gratuite d’un traducteur. En plus du délai extrêmement court pour rédiger leur demande et collecter les documents nécessaires, les étrangers sont parfois confrontés à des difficultés matérielles insurmontables en fonction du CRA dans lequel ils sont retenus : interprétation quasi inaccessible même pour ceux pouvant se l’offrir, interdiction dans certains centres de posséder un stylo (considéré comme dangereux), absence de locaux adaptés pour rédiger une demande d’asile. Dans son rapport publié le 10 décembre 2007, le CPT recommande que ce délai soit porté à 10 jours. De son côté le Comité contre la torture des Nations Unies s’était dit « préoccupé par le caractère expéditif de la procédure dite prioritaire concernant l'examen des demandes déposées dans les centres de rétention administrative ou aux frontières, qui ne permet pas une évaluation des risques conformes à l'article 3 de la Convention ».

— J'ai une super idée pour faire des économies en limiteant le nombre de dossiers : si en plus, on les privait d'interprètes, et de stylos ?
— Durand, vous êtes un génie : vous finirez préfet !

124. La procédure impose un délai extrêmement bref pour la formulation de la demande d’asile, elle contraint aussi l’OFPRA à analyser la demande et à statuer dans un délai de 96 heures. L’ensemble de la procédure d’asile dans les centres de rétention apparaît donc comme expéditive laissant implicitement présumer que la demande est abusive. De surcroît, le demandeur ne dispose pas d’un recours effectif contre la décision de rejet car l’appel devant la CNDA n’est pas suspensif.

— Mais si, voyons, ce Tchétchène devait se voir accorder le statut de réfugié, enfin !
— Ben… On l'a renvoyé en Tchétchénie, Monsieur le Président.
— Bon, alors ce sera à titre posthume. L'important, c'est que la France soit à la hauteur de sa vocation de terre d'asile.

Il peut toutefois contester la décision administrative d’éloignement devant les juridictions administratives.

Exact, mais la contestation d'un éventuel refus d'asile par l'OFPRA dans le cadre de l'examen de la légalité de la reconduite à la frontière est irrecevable.

Le rapport de 2006 avait déjà fait état de ces considérations, le Commissaire réitère ses préoccupations et invite les autorités françaises à revoir au plus vite les mécanismes et délais liés aux demandes d’asile en rétention.

Comprendre : ça fait deux ans qu'on vous dit que vous violez les droits de l'homme sur ce point et rien n'a été fait. C'est pas comme si deux lois avaient été votées sur l'asile dans l'intervalle, non plus. Ah si, tiens, c'est balot.

Mais il y a mieux. Si. Si. Il y a mieux. Il est des moments où l'incurie confine à la poésie.

125. Enfin, des organisations ont indiqué au Commissaire plusieurs cas dans lesquels des demandeurs d’asile retenus étaient présentés à leur consulat, dans le but d’obtenir un laissez-passer consulaire, alors que la demande d’asile est en cours d’examen à l’OFPRA. Une telle présentation met en danger non seulement la personne retenue qui demande justement la protection de la France en raison de menaces pesant sur elle dans son pays, mais aussi sa famille ou ses proches qui y demeurent encore. Le Commissaire invite instamment les autorités françaises à assurer que de telles pratiques soient immédiatement prohibées.

Un réfugié, c'est souvent un opposant au régime ou le membre d'une minorité opprimée qui s'est enfui, et parfois des mains même de ses bourreaux. Généralement, sa famille est encore sur place, surtout s'il a de jeunes enfants. On s'enfuit mieux tout seul. Et là, on l'amène au consulat du pays qu'il fuit, clic-clac merci la photo, on leur donne son nom, son adresse, ses date et lieu de naissance et on leur demande “ Vous le connaissez ? Vous acceptez de le reprendre si on vous le rend ? Merci, on revient dans 15 jours. ”

Elle est pas belle la vie ?

Allez, bon week end.

lundi 3 novembre 2008

Non, le président de la République ne peut pas accorder l'asile

La semaine dernière, la France annonçait qu'elle était prête à accueillir un guerillero des FARC, les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie - Armée du Peuple, qui avait déserté, emmenant avec lui un député démocratiquement élu kidnappé au nom du peuple.

Il existe une certaine ambiguïté sur la nature de cet accueil, et les propos rapportés par Le Point ne sont pas là pour éclairer :

La présidence de la République réaffirme sa volonté d'accueillir en France l'ex-guérillero Isaza , qui a permis la libération d'Oscar Lizcano, otage durant huit ans. Lundi matin, pourtant, une précision apportée par l'Élysée selon laquelle l'accueil se ferait "sous réserve de vérification de sa situation judiciaire" avait semé le doute sur l'octroi de l'asile politique à ce membre des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc).

Jointe par lepoint.fr à ce sujet, la présidence explique : "Cela ne remet pas en cause les engagements pris par Nicolas Sarkozy d'accorder l'asile à des membres des Farc, mais à condition qu'ils soient repentis, et qu'ils ne soient pas sous le coup de procédures judiciaires où que ce soit dans le monde, notamment en Colombie et aux États-Unis." Toujours selon l'Élysée, ces restrictions ne posent pas de problème particulier. Il s'agit juste de s'assurer que le guérillero "bénéficie d'une loi sur les repentis votée par la Colombie qui a saisi l'équivalent du procureur général de Colombie pour en décider. C'est une question de procédure judiciaire".

Une phrase ne peut que me faire tiquer : « Cela ne remet pas en cause les engagements pris par Nicolas Sarkozy d'accorder l'asile à des membres des Farc ». Certes, la précision quant à l'absence de poursuites judiciaires à l'encontre d'Isaza, le geôlier repenti, ne remet pas en cause l'engagement du président de la République. C'est autre chose qui le remet en question.

Car l'asile politique échappe à l'État, et donc à son chef, qui a décidément bien du mal avec la notion d'indépendance à son égard.

Rappelons d'abord brièvement l'histoire du droit d'asile.

Avant la seconde guerre mondiale, il n'y avait pas d'instrument international unique visant à la protection des réfugiés. Chacun faisait ce qu'il voulait chez lui, et globalement, la France n'a pas démérité. C'est au début du XXe siècle que se pose la question de l'accueil des réfugiés, avec l'arrivée massive de deux émigrations dues à la fuite face à l'oppression : les Arméniens, à partir de 1915, et les Russes, à partir de 1917. La France créera deux offices de protection pour chacune de ces nationalité ; pour la petite histoire, l'office de protection des réfugiés russes s'est installé dans les locaux du Consulat de Russie, le Consul récemment nommé par le Tsar étant nommé président de cet office, étant le mieux placé pour traiter les demandes et distinguer les vrais réfugiés des agents envoyés par le nouveau pouvoir pour liquider des opposants politiques.

Dans les années 30, c'est l'arrivée encore plus massive d'Espagnols qui va conduire à la fusion des différents offices en un seul, chargé de traiter toutes les demandes de toutes les nationalités. Là encore, pour la petite histoire, cette fusion a entraîné une cohabitation difficile entre le service en charge des Russes et celui en charge des Républicains espagnols, situés à deux étages du même bâtiment, les premiers étant aussi blancs que les seconds étaient rouges.

Après la seconde guerre mondiale, la question des réfugiés a acquis une toute autre dimension. C'est par millions que l'Europe faisait face à des populations déplacées, certaines chassées par les nazis de pays désormais occupés par les soviétiques. Une convention va être signée à Genève le 28 juillet 1951 pour donner un statut spécifique et unique aux réfugiés, et leur donner les mêmes garanties où qu'ils se trouvent. Le Haut Commissariat des nations Unis aux Réfugiés (UNHCR) est créé à cette occasion.

Le principe est que tout État signataire doit accorder le statut de réfugié à toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »

La France a unilatéralement élargi ses obligations et a créé une deuxième catégorie ouvrant droit au statut de réfugié, la protection subsidiaire (autrefois appelée l'asile territorial), qui concerne

toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mentionnées à l'article L. 711-1 et qui établit qu'elle est exposée dans son pays à l'une des menaces graves suivantes :

a) La peine de mort ;

b) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ;

c) S'agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international.

Article L.721-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

Cependant, et c'est ici très important, tant la Convention de Genève que le CESEDA prévoit que des personnes répondant à ces critères se voient retirer ce droit si, s'agissant du droit d'asile, i lexiste des raisons sérieuses de penser :

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;



b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;



c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

(Convention de Genève de 1951, article 1,F.)

et s'agissant de la protection subsidiaire, s'il existe des raisons sérieuses de penser :

a) Qu'elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité ;

b) Qu'elle a commis un crime grave de droit commun ;

c) Qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ;

d) Que son activité sur le territoire constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat.

CESEDA, article L.721-2.

D'où les prudentes réserves de la France quant à la virginité de son casier judiciaire. Notre joyeux guerillero entre en effet très probablement dans les clauses d'exclusion du statut de réfugié (ne serait-ce que parce que la séquestration est un crime), et appartient plus à la catégorie des bourreaux qu'à celle des victimes que le statut de réfugié est censé protéger.

Ce statut est, en France, octroyé par un Établissement public spécialisé, l'Office Français de de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), sis à Fontenay-Sous-Bois dans le Val de Marne (). Cet établissement, rattaché traditionnellement au ministère des affaires étrangères, et depuis peu au ministère de l'immigration, l'intégration, l'identité nationale, du développement solidaire et des crêpes au jambon, jouit d'une autonomie administrative et financière, et d'une inviolabilité qui s'apparente à celle d'une organisation internationale (ses archives sont par exemple d'une confidentialité absolue, y compris s'agissant des demandeurs déboutés).

L'OFPRA n'a donc d'ordre à recevoir de personne s'agissant de l'octroi ou du refus du statut de réfugié. Ses décisions de refus peuvent être attaqués devant une juridiction spécialisée, la Cour Nationale du Droit d'Asile, siégeant à Montreuil Sous Bois en Seine Saint Denis ().

Bon, je dois à la vérité de dire que si l'OFPRA n'a pas d'ordre à recevoir, cela ne signifie pas que s'il en reçoit, il ne fait pas montre d'une certaine docilité. C'est avant tout une administration, et son directeur général a une carrière à gérer. Mais que diable, il y a des apparences à respecter.

Est-ce à dire que le Président ne peut rien promettre ?

Du tout. En droit des étrangers, il y a un principe essentiel : l'État est toujours libre de décider qu'Untel peut entrer et séjourner sur son territoire. L'État n'est JAMAIS tenu de refuser un visa ou un titre de séjour. Il est des cas où il est tenu de l'accorder et viole la légalité en le refusant, mais accorder un titre de séjour ne peut JAMAIS violer la légalité.

Simplement, cet étranger aura une carte de séjour, voire de résident (valable dix ans) mais pas le statut de réfugié.

Mais alors, sommes-nous en présence de ce pinaillage que les juristes affectionnent tant, l'Élysée a-t-il employé le terme d'asile pour simplifier, alors qu'il entendait parler d'un simple droit au séjour ?

Que nenni. Le statut de réfugié présente des avantages incomparables à ceux fournis par une simple carte de résident. Outre la liberté de circuler et de travailler; le réfugié jouit du droit à la protection de l'État où il est réfugié. Cette protection s'étend à sa famille proche dès lors qu'elle est exposée à des représailles. Elle lui permet de voyager partout dans le monde sous couvert d'un document de transport équivalent à un passeport, et où qu'elle soit dans le monde, a droit à la protection consulaire de la France comme un de ses ressortissants. Enfin, le réfugié est protégé dans tous les pays signataires de la Convention de Genève contre l'arrestation et l'extradition vers son pays d'origine.

Le statut de simple résident enfermerait de fait l'intéressé dans les frontières françaises, ne le met pas à l'abri d'une demande d'extradition, et peut lui être retiré par l'administration. On comprend qu'il fasse la moue.

Tous ces avantages font que le statut de réfugié est très prisé par les anciens dignitaires de régimes pas très respectueux des droits de l'homme. Pas les chefs d'État, ce ne serait pas discret. Mais vous seriez surpris de voir qui se promène avec une carte de réfugié délivré par la France. Et un peu honteux quand vous saurez que les victimes du régime de ces messieurs se voient, eux refuser la qualité de réfugié. Mais que voulez-vous, la France n'oublie pas ses amis, africains ou mésopotamiens. Et ne voit plus dans le statut de réfugié qu'une pesante et coûteuse obligation, que l'on peut heureusement de temps en temps rentabiliser en en faisant une monnaie d'échange.

dimanche 26 octobre 2008

Et les TA ?

Par Conseiller de Base (un aristocrate), juge administratif dans un tribunal administratif d'Île de France, qui s'appellent conseiller dès le niveau du tribunal administratif pour compenser le fait qu'ils ne portent pas la robe (chez les juges judiciaires, ce n'est que dans les cours, d'appel ou de cassation, qu'un juge prend le titre de conseiller).


Cher maître, Puisqu'il semblerait que l'on puisse encore vous écrire et parce que je regrette qu'aucun juge administratif ne se soit encore exprimé, parce que je trouve incroyable que seule une courageuse assistante de justice ait eu le courage de dévoiler un peu de ce qui se passe dans les tribunaux administratifs aujourd'hui, je viens vous demander humblement de bien vouloir prendre en considération ce court billet.

Dans les TA[1] et les CAA[2] aujourd'hui, la seule chose qui compte, la seule chose qui importe vraiment, la seule chose qui régisse la vie des juridictions, ce sont les STATISTIQUES : délais de jugement, apurement des stocks anciens toutes matières confondues ... Pas un discours officiel, du président de juridiction ou du VPCE[3] qui ne commence par un rappel des chiffres, réputés bons ou mauvais de telle ou telle juridiction.

Je ne dis pas que les statistiques n'ont pas leur importance : oui, il est scandaleux de juger en quatre ans des affaires qui parfois touchent aux droits les plus fondamentaux de la personne humaine. Mais, d'une part, les données moyenne ne veulent rien dire et conduisent à juger au même rythme des contentieux aussi urgents que ceux qui portent sur des autorisations de licenciement de salariés protégés et des contentieux qui, ma fois, peuvent attendre un peu comme le contentieux fiscal (les requérants ont quasiment toujours obtenu le sursis de paiement), d'autre part, juger toujours plus à moyens constants, ne peut pas se faire sans casse.

Le résultat est là : ordonnances[4] à gogo, magistrats épuisés qui approfondissent de moins en moins les dossiers et présidents qui ne se préoccupent plus de la manière dont les dossiers sortent du stock du moment qu'ils en sortent. Après tout, si les requérants ne sont pas contents, pourquoi ne font-ils pas appel ? Parce que désormais, le ministère d'avocat est généralisé en appel et que les populations parfois défavorisées dont les requêtes sont rejetées par ordonnance ignorent souvent l'existence de l'aide juridique.

Notes

[1] Tribunaux administratifs.

[2] Cours administratives d'appel.

[3] Vice-Président du Conseil d'État, le plus haut magistrat administratif de France et le vrai chef du Conseil d'État. Le président du Conseil d'État est, de droit, le premier ministre en exercice, mais c'est un titre plutôt honorifique.

[4] En procédure administrative, on appelle ordonnance une décision rejetant une requête sans l'examiner selon la procédure de droit commun qui implique une phase préparatoire et un débat collégial avec intervention du rapporteur public. Si les ordonnances se justifient dans certains cas pour des recours irrecevables ou fantaisistes, la tentation est forte de gérer le stock en traitant ainsi des requêtes qui paraissent simplement douteuses dans leurs chances de succès. C'est la préoccupation des avocats : rédiger des recours qui passeront le stade de l'ordonnance. Cette procédure a été récemment étendue à la Cour Nationale du Droit d'Asile.

dimanche 12 octobre 2008

Le dégoût

Par Dadouche



Attention ! Que ceux qui considèrent les magistrats comme d'indécrottables corporatistes impunis à qui on devrait infliger au centuple les avanies qu'ils font quotidiennement subir aux honnêtes citoyens par leur incompétence s'éloignent immédiatement de leurs écrans et cliquent sur un autre site, sous peine de d'étrangler de rage en hurlant « et ça continue, ils n'ont rien compris, vivement des comités de salut public et des centres de rééducation pour les robes noires à épitoge simarres ».
Qu'ils aillent plutôt se défouler sur le site du Figaro, dont les colonnes consacrées à l'actualité judiciaire semblent ne plus servir qu'à discréditer chaque jour un peu plus l'institution judiciaire et ceux qui la servent (voir par exemple ici et .)

Lire la suite...

mercredi 20 août 2008

Brice, le faucheur de Tchétchènes

Par Serge Slama, Maître de Conférences en droit public à l’Université Evry-Val-d’Essonne ; code HTML relu et corrigé par OlivierG.


Ambiance musicale :


Vous avez lu l’histoire des visas de sortie de Charlie. Comment il les a fait vivre. Comment ils sont morts, ressuscités puis de nouveau morts.
Ca vous a plus hein. Vous en d’mandez encore.
Et bien. Ecoutez l’histoire…
L’histoire des visas de transit aéroportuaires anti-réfugiésfraudeurs tchétchènes de Brice.
Comment il les a fait vivre.
Comment ils sont morts.
Et surtout comment il les a ressuscités par un prodigieux holdup juridique.
Avec l’aval du polic’man du Palais Royal.

Les Tchétchènes et Somaliens ennuient Brice et son ami Bernard

Alors voilà.
Avec son petit-ami Bernard
Un gars qui, autrefois était honnête, loyal et droit.
Brice avait un ennui.

L’ennui c’est que 474réfugiés fraudeurs tchétchènes ont réussi, à l’occasion d’une escale à l’aéroport de Roissy, à solliciter l’asile à la frontière en décembre 2007.

Cela a obligé Brice à les maintenir, dans des conditions inhumaines, pendant près d’un mois dans des aérogares puis dans un hangar de 1 600 m2 réquisitionné pour l’occasion.

Cela ennuyait Brice car il venait juste de déclarer – sans rire – à Jeune Afrique que s’il y a de moins en moins de demandeurs d’asile sollicitant l’asile en France c’est que la situation du monde s’est s’améliorée.

Qu’est-ce qu’on n’a pas écrit sur lui ? En réalité c’est un doux utopiste.

Mais il faut croire que c’est la société qui l’a abîmé.

Lire la suite...

mardi 22 juillet 2008

Mignonne allons voir si la Constitution…

…n'a pas besoin que nous la révisions.

C'est à ce cri de ralliement
Que de bon matin tout le parlement
S'est rendu sans la moindre pagaille
En son séjour de Versailles.

Depuis le matin, on annonce la débâcle ;
On décompte et recompte ; en ce jour les oracles
Ne sont pas des pythies qui font tourner des tables :
Les véritables haruspices se sont mués en comptables.

Las, le Chambellan du roy avec une girouette a pris langue,
Et au moment de crier "nenni", après des chefs la harangue,
Alors qu'on voyait la loi choir — voyez, déjà elle boîte !
Une bouche au moins est restée coite.

— Haro sur Iago, qu'il porte la marque de Caïn[1] ;
Gageons qu'au lieu de trente deniers, il aura un maroquin,
Car c'est que tout augmente, ajoutent, perfides, des voix sinistres[2] ;
Qui députent et cumulent à tout va, faute d'avoir pu être ministres.

On crie vengeance, on sonne l'hallali, on parle d'exclusion ;
Et on oublie qu'on a tout de même modifié la Constitution.
D'une voix ? De deux voix ? De l'arithmétique on a la passion,
Mais on daube ce qui est arrivé à nos institutions.

En ce jour a toutefois parlé nul autre que le Souverain.
Et de tout ce tumulte, que reste-t-il, trois fois hélas ?
Beaucoup de bruit et de mots, mais sur le fond, rien ;
Hormis, bien sûr, sur le blog de maître Eolas.

Anonyme du XXIe siècle.


Un peu de prose, après cette minute de poésie, pour revenir sur l'adoption de la réforme de la Constitution, hier par le Congrès.

Tout d'abord, qu'est ce que la Constitution ?

La Loi Fondamentale : le texte sur lequel repose tout l'édifice de la République, rien que ça. Elle est essentiellement l'expression d'un peuple souverain s'associant pour former une Nation, et créer un État chargé de défendre leurs droits et libertés. C'est elle qui dit que nous sommes en République, que notre drapeau est bleu blanc rouge, que notre hymne est la marseillaise, que notre devise est “Liberté, Égalité, Fraternité” et que notre langue est le français et pas le kikoo-lol.

C'est elle également qui définit le rôle et le mode de désignation de chacun (président de la République, Gouvernement, parlement), au moins dans les grandes lignes.

En la forme, c'est une loi, la loi du 4 octobre 1958, mais une loi constitutionnelle. La spécificité d'une loi constitutionnelle n'est pas dans son contenu (on peut y mettre tout et même n'importe quoi, le précédent président ne s'en est pas privé avec l'obligation de tenir un référendum pour toute nouvelle adhésion à l'UE) mais dans la forme de son adoption. Hé oui, la forme, la procédure, toujours, car c'est là le siège des libertés et de la défense des droits.

Une loi constitutionnelle doit être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées, et ratifiée soit par référendum (c'est le principe), soit par le Congrès, formé des deux assemblées, Assemblée nationale et Sénat siégeant ensemble, à une majorité des trois cinquièmes (soit 60%). Le choix appartient au Président de la République. Qui dit ça ? Mais pardi : la Constitution (article 89).

Une Constitution doit être courte et stable. C'est pourquoi nous rallongeons sans cesse la nôtre et la révisons à un rythme effréné. Il est hors de question de faire comme tout le monde. Nous en sommes ainsi à la 24e modification en 50 ans, et la 14e en dix ans (pour comparer, la Constitution des États-Unis a été révisée 15 fois en plus de deux siècles).

Il est d'ailleurs amusant de relever que le Président qui a le plus respecté la Constitution est François Mitterrand, qui n'y a pas touché hormis en 1992, pour permettre la ratification du Traité de Maastricht (avec l'abandon de la souveraineté monétaire, principalement), les révisions de 1993 (Régime de la responsabilité pénale des ministres, et droit d'asile) étant le fait d'Édouard Balladur.

Ces prolégomènes étant terminés, qu'avons-nous décidé hier ? Oui, je dis nous, car la Constitution étant l'expression du peuple souverain, c'est nous qui avons parlé hier.

Le contenu de la réforme

C'est un texte un peu fourre-tout, il faut bien le dire. Alors que chaque révision de la Constitution porte sur un point précis, là, on avait un peu de tout. Volonté de toilettage et de réforme diront les uns, prix de la négociation nécessaire pour les autres.

Le texte de loi fait pas moins de 21 pages. Certains changements sont d'importance, d'autres ne sont que cosmétiques.

Dans les changements importants, je mettrai d'abord le droit du Président de la République de s'adresser au Congrès. Certes, me direz-vous, ce n'est qu'un discours. À cela, je répondrai non : c'est avant tout un symbole.

Le discours sur l'état de la République

Chose surprenante, aucun texte n'a jamais interdit au président de la République de s'adresser en personnes aux assemblées, sous la Ve à tout le moins. C'est une tradition fort ancienne, qui remonte au début de la IIIe république. Souvenons-nous qu'après le départ d'Adolphe Thiers, Mac-Mahon s'est installé du bout des fesses sur le fauteuil présidentiel, uniquement afin de le tenir au chaud le temps de choisir le titulaire du royal postérieur qui s'y assiérait comme roi. Las, le séant le mieux placé était en même temps le plus serré, et la République usucapa le fauteuil.

De cette époque, nous avons gardé la tradition de l'irresponsabilité politique du président. Il ne peut être renversé par les assemblées dans l'exercice normal de ses fonctions. Il faut qu'il y faillisse gravement pour cela. Cette irresponsabilité s'accompagnait comme contrepartie d'une certaine impuissance (politique seulement, comme le président Félix Faure l'a démontré au mépris de sa vie). Le pouvoir était entre les mains du premier ministre, appelé alors président du Conseil (des ministres). C'est là le schéma des monarchies parlementaires européennes (Angleterre, Espagne, Pays-Bas, Danemark…) où le Chef de l'État est un roi qui ne joue aucun rôle politique sauf circonstances exceptionnelles (comme c'est le cas en Belgique où le roi Albert II a pris une vraie décision politique en refusant la démission du premier ministre Yves Leterme). C'est le cas aussi des Républiques parlementaires comme la République Fédérale d'Allemagne, l'Italie, Israël et comme c'était le cas de la France sous les IIIe et IVe républiques. Le Président ne pouvait donc monter à la tribune de l'assemblée, car y monter, c'était s'exposer au risque d'en redescendre sans son mandat (et encore, la tradition de la République romaine était un peu plus radicale). L'immunité de l'orateur s'allie mal avec la souveraineté de l'assemblée. Une autre cause de cette tradition était d'éviter toute pression du chef de l'État sur les représentants du peuple, puisque l'État n'est que l'émanation du peuple.

Désormais, le président pourra aller causer les yeux dans les yeux des parlementaires (je rappelle que la tribune est surélevée).

Cela existe dans d'autres pays, notamment les États-Unis, avec le fameux discours annuel sur l'État de l'Union. L'Espagne a adopté ce rendez-vous annuel solennel, avec le discours sur l'état de la Nation (le terme d'union, s'agissant de l'Espagne, est particulièrement audacieux). C'est, je pense, ce qu'a à l'esprit notre président bien-aimé. Ce discours n'est pas suivi d'un vote, on n'est pas à la Star Ac'. Il sera suivi d'un débat, mais hors la présence du président.

De prime abord, ce n'est qu'un discours. Ça mettra en émoi les services Politique des rédactions, obligera le service public à déprogrammer Des chiffres et des lettres, mais juridiquement, ça ne prête pas plus à conséquence, dira-t-on. Voire.

Jamais la France n'a connu un tel rendez-vous, surtout s'il devient régulier, une sorte de point fait sur l'année écoulée et les chantiers de l'année à venir. Jusqu'à présent, ce qui en faisait office, c'était le DPG, le discours de politique générale du premier ministre nouvellement nommé, qui vient faire la liste des promesses qu'il ne va pas tenir et demande si le parlement lui fait confiance pour manquer à sa parole. Vu la stabilité des premiers ministres, qui va aller grandissant avec l'alignement des mandats du président et de l'assemblée, le DPG est un événement isolé. Que le président vienne régulièrement devant le parlement faire le bilan de ce qui a été fait et reste à faire, et le DPG perd tout sens. Inéluctablement, on se dirige vers une décollation de l'exécutif : je ne vois pas à ce qui, à moyen terme, sauvera le premier ministre, si on lui retire son seul moment de bravoure. On sait ce qu'il est advenu de sa responsabilité : depuis la jurisprudence Pompidou, plus aucune motion de censure n'est passée, et la jurisprudence Galouzeau a achevé de démontrer que sa responsabilité politique est une farce (à moins qu'en l'espèce, ce ne soit le premier ministre lui-même qui n'ait été une farce). Bref, une modification symbolique qui peut être lourde de conséquences sur l'équilibre des institutions. Une Constitution est une machine complexe, et toucher à un levier peut avoir des effets imprévus.

L'exception d'inconstitutionnalité

S'il devait y avoir une bonne raison de voter oui, c'était celle là. Enfin, enfin, je cesserai de rougir face à mes homologues juristes du monde entier expliquant que chez nous, le peuple souverain n'avait pas le droit de s'émouvoir d'une liberté prise par le législateur avec la Constitution. Désormais, ce point peut être soulevé par voie d'exception devant le Conseil d'État ou la Cour de cassation qui pourront alors saisir le Conseil constitutionnel d'une question préjudicielle[3] Les deux hautes cours constitueront un filtre. Je parie que le Conseil d'État, d'ici quelques années, nous pondra un grand arrêt où il se permettra de trancher lui-même les questions qui ne posent aucune difficulté, en s'abstenant de saisir le CC et en prononçant lui-même l'inconstitutionnalité. À vos GAJA. Sur la question de l'exception d'inconstitutionnalité, voyez la fin de ce billet.

L'examen en séance publique des projets de loi tels qu'amendés par les commissions

Un projet de loi (émanant du gouvernement, sinon on parle de proposition de loi) est d'abord examiné en Commission. Ces commissions parlementaires, permanentes, ont un rôle très important. Le texte est décortiqué, un parlementaire est nommé rapporteur de la commission, et devient LE spécialiste du texte, et une vraie discussion, approfondie et technique a lieu. Las, loin des caméras de télévision, les travaux des commissions n'étant pas public même si un compte rendu est publié. Les amendements déposés sur le texte sont examinés et la commission peut en adopter certains. Jusqu'à présent, le projet de loi était cependant discuté tel que déposé par le gouvernement, même après son passage en commission. Le vote de la commission ne servait qu'à signaler les amendements bien vus par l'assemblée et susceptibles d'être adoptés. Désormais, ces amendements adoptés modifieront le texte tel que débattu en séance publique. Les commissions ont un vrai droit d'amendement, ce qui les renforce considérablement. Il ne se passera pas longtemps avant qu'un ministre ne regrette cette modification. Qui a dit HADOPI ?

Le droit de veto parlementaire des certains postes de hauts fonctionnaires

La liste sera fixée ultérieurement, mais pour ces très hauts fonctionnaires (je suppute le premier président de la cour de cassation, le vice-président du Conseil d'État, et le premier président de la cour des comptes entre autres ; quid du Conseil constitutionnel ? Et, au hasard, du procureur de la République de Nanterre ?), la désignation sera soumise pour avis public à des commissions parlementaires permanentes ; si le total des "non", toutes assemblées confondues, atteint les trois cinquièmes, la nomination est refusée. Là encore, le parlement peut exercer un vrai contrôle de l'exécutif. À lui de le faire.

La possibilité de contourner le référendum obligatoire pour la Turquie tout nouveau pays entrant

Finalement, le cadeau empoisonné de Chirac a survécu, mais les deux assemblées peuvent adopter une résolution (c'est une autre nouveauté de cette réforme, déjà en germe par le traité de Lisbonne : des textes non législatifs exprimant la volonté d'une assemblée) aux trois cinquième décidant d'approuver cette adhésion par le Congrès, avec une majorité des trois cinquièmes. Donc : il n'y aura pas de référendum sur l'adhésion des futurs états membres des Balkans et d'Europe de l'est, sauf éventuellement pour la Turquie (et encore, je n'y crois pas, la France ne pourra se permettre de bloquer un traité d'adhésion qu'elle aura nécessairement signé, et provoquer une crise diplomatique avec l'Union européenne et la Turquie, vu la qualité des arguments qui seront invoqués par les nonistes— une vieille tradition, là aussi).

La ratification expresse des ordonnances

Je le mentionne pour les juristes, mais disons que c'est une anomalie sévère qui est corrigée. Jusqu'à présent, quand le parlement habilitait le gouvernement à agir dans le domaine de la loi par un texte qu'on appelle une ordonnance, il fallait que le parlement ratifie ces ordonnances, à peine de caducité. Or il suffisait pour cela de déposer un projet de loi ratifiant les ordonnances, inutile qu'il soit voté. Désormais, ce sera le cas, il faudra enfin que le parlement assume ses responsabilités de délégataire. J'applaudis.

La réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature

Gascogne en avait déjà parlé. Les magistrats deviennent minoritaires. Plus exactement, à égalité avec les membres désignés par les politiques (deux par chaque président : de la République, de l'Assemblée, du Sénat) : six de chaque côté. Au milieu, pour faire pencher la balance en cas de division des simarres contre les complets-vestons : un avocat et un conseiller d'État. Je reviendrai, moi ou Gascogne, sur cette réforme, après l'adoption de la loi organique.

En vrac

Signalons aussi l'augmentation du nombre de commissions parlementaires, l'information du Parlement sur les opérations militaires extérieures avec son approbation si elles durent plus de quatre mois, la plus grande maîtrise par les assemblées de leur ordre du jour. Tout cela concourt à un renforcement du rôle du parlement, et c'est à porter au crédit du président de la République : c'est un homme qui aime la confrontation, et il ne s'est pas glissé avec délectation dans les charentaises du président intouchable avec un parlement docile. Il a donné au parlement les moyens d'un vrai pouvoir de contrôle, cela s'imposait, pensè-je. Le président de la République ne peut exercer plus de deux mandats électifs. Il est vrai que nous n'avons jamais réélu un président deux fois (notons qu'à ce jour, seul VGE aurait survécu jusqu'au bout de ce troisième terme), donc pour trois mandats, et que de prime abord, cela peut sembler bien inutile. Toutefois, le rabaissement du mandat présidentiel à cinq ans en 2001 et le rajeunissement des candidats à la dernière élection montre que l'hypothèse de quinze ans de présidence est devenue possible. Était, de fait ; désormais : le record de Mitterrand est devenu imbattable.

Poudre aux yeux

Il n'est pas de bonne loi qui ne contienne des dispositions inutiles. Celle-ci ne manque pas à la règle, et contient des modifications qui soit n'ont guère de sens, soit sont inapplicables, soit n'ont aucun intérêt. Ça sent les négociations P2P (President To Parlementaire).

— Le référendum d'initiative populaire.

Tellement encadré (initiative d’un cinquième des membres du Parlement —185—, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales—4,5 millions—, ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an) qu'il n'est qu'une virtualité.

— La limitation de l'usage du “49-3”.

Sur ce qu'est le 49-3, voir cet article. Désormais, son usage sera limité à une loi par session (en principe, une session par an, sauf sessions extraordinaire convoquée par le président de la République - nous sommes en session extraordinaire), sauf les lois de financement (budget et sécurité sociale) qui sont les lois à 49-3 par excellence. La concomitance des élections présidentielles et législative et le système majoritaire rend l'hypothèse d'un parlement rebelle peu probable. Bref, l'exécutif n'a pas cédé grand'chose.

— Limitation du recours à l'urgence législative.

Une loi doit être adoptée en des termes identiques par les deux assemblées. En principe, une loi est discutée deux fois par chaque assemblée (on parle de première lecture, deuxième lecture). En cas de désaccord persistant, le texte est envoyé en commission mixte (des députés et des sénateurs…) paritaire (…en nombre égal). Un texte de compromis est élaboré. S'il n'est pas adopté en des termes identiques, le texte repart en aller et retour (on parle de navette) sauf si le Gouvernement siffle la fin de la partie et décide que c'est l'assemblée nationale qui aura le dernier mot. Jusqu'à présent, si le Gouvernement estime qu'il y a urgence (parce que voilà) le texte part en CMP dès la fin de la première lecture. Ça limite la possibilité du dialogue entre assemblées, et les parlementaires n'aiment pas qu'on les bouscule (surtout les sénateurs, c'est connu).

Hé bien fini l'urgence !

Vous y avez cru, hein ? Désormais on parlera… de procédure accélérée. Deux mots au lieu d'un seul, voilà la réforme. Ha, oui, la conférence des présidents de groupe peut s'y opposer, et l'urgence tombe si les deux conférences des présidents s'y opposent conjointement. Ce qui est aussi improbable qu'une scène d'action dans Derrick.

— La réforme du Conseil Économique et Social.

C'est un organe qui ne sert à rien (désolé pour mes lecteurs qui y travaillent), une machine à produire des rapports que personne ne lit et à caser des obligés. Désormais… il s'appellera le Conseil Économique, Social et Environnemental. Fin de la réforme.

Je m'arrête là, n'ayant pas la prétention de l'exhaustivité, mais les détails de procédure parlementaire n'intéresseront que des personnes qui en connaissent déjà le contenu. Je ne me sens pas la compétence pour en juger le bien-fondé et l'efficacité (quoi que je reste dubitatif devant l'examen des propositions de loi par le Conseil d'État : qui fera le Commissaire du Gouvernement ? L'auteur de la proposition ? Ça pourrait être drôle).

À voir sur ce sujet, en plus bref, et aussi sur les à-côtés, et notamment pourquoi réunir ce Congrès maintenant malgré l'opposition des socialistes : Ceteris Paribus.

Notes

[1] Genèse, 4, 15.

[2] Du latin sinister, gauche.

[3] Question dont la réponse influe sur la solution d'un litige, posée à une autre autorité seule compétente pour répondre à cette question, le procès étant suspendu dans cette attente.

lundi 7 juillet 2008

Entrer, rester ou partir

J'écoutais ce dimanche, comme chaque dimanche, l'Esprit Public, sur France Culture. Pour la dernière émission de la saison, l'orage que l'on sentait monter entre Max Gallo et Jean-Louis Bourlanges a enfin éclaté, avec l'aspect rafraîchissant des pluies d'été, mais aussi cet aspect aussi violent qu'éphémère, sur le premier thème de l'émission, à la suite de l'affirmation audacieuse du second que Charles de Gaulle était un exemple de l'antimilitarisme de droite dont on feint ces jours-ci de redécouvrir l'existence. Le biographe du Général a pris la mouche et a eu un mot malheureux pour qualifier cette affirmation, qui a donné lieu en réplique à une superbe démonstration d'artillerie de la part de Jean-Louis Bourlanges qui laissera le pauvre Max sonné. Un moment savoureux, à la 15e minute et 59e seconde du fichier Real Audio®.

C'est la deuxième partie de l'émission qui a particulièrement retenu mon attention, puisqu'elle traitait de la question de l'immigration.

Au cours de son intervention, Yves Michaud, philosophe, directeur de l'Université de Tous Les Savoirs, a exposé ce qui serait selon lui un paradoxe :

Las, las ! Cette affirmation, dans un débat au demeurant de qualité, est comme une verrue sur le nez d'une belle. Il gâche un peu l'ensemble.

Cela illustre surtout la méconnaissance du droit des étrangers, droit ô combien complexe il est vrai (notamment un des rares à cheval sur les deux ordres de juridiction) qui fait que même des esprits d'honnêtes hommes (au sens humaniste) qui se penchent sur la question n'arrivent pas à y retrouver leurs petits. Il faut dire que sa complexité se double d'une dose infinie d'hypocrisie qui ferait rougir de honte Tartuffe. Le petitesse a tendance à égarer les grands esprits.

Voici donc un rapide vade mecum des fondamentaux, comme on dit dans le noble art du rugby, du droit des étrangers, pour savoir de quoi on parle.

Prolégomène : n'oubliez jamais que le droit est la science des exceptions. Chaque principe a les siennes… sauf exceptions, naturellement.

ENTRER

Tout étranger (les ressortissants de l'UE ne sont plus vraiment des étrangers et bénéficient de règles spécifiques ; disons qu'en gros, ils vont où ils veulent et restent le temps qu'ils veulent. Oui, sauf exceptions, naturellement) désirant entrer en France doit être muni d'un certain nombre de documents, dont le défaut entraînera son refoulement à la frontière. Ces documents sont, essentiellement : un document de voyage (en principe un passeport, par exception une carte d'identité ou un document assimilé : carte de réfugié ou d'apatride, par exemple), le cas échéant revêtu d'un visa (j'y reviens), les justificatifs des raisons de son séjour (travail, tourisme), la preuve qu'il dispose des moyens de subvenir à ses besoins, y compris son retour dans son pays d'origine, et d'une assurance prenant en charge ses éventuelles dépenses de santé.

Le visa est une autorisation préalable délivré par l'État (par son consul, en fait) d'entrer sur son sol. On en distingue deux types (pour simplifier) : le court séjour, trois mois au plus, et long séjour, plus de trois mois avec vocation à rester. Le visa court séjour est encadré au niveau européen par les accords de Schengen (y compris la liste des pays dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa, fixé par un règlement européen, le règlement (CE) n°539/2001 du 15 mars 2001 modifié), qui unifient les règles de délivrance et la validité dans tout l'espace Schengen (prenez les 27 pays de l'UE, vous ôtez le Royaume-Uni et l'Irlande, mettez de côté Chypre, la Roumanie et la Bulgarie qui en font partie mais attendent des jours meilleurs pour appliquer les accord, et vous ajoutez la Norvège, l'Islande, la Suisse et le Lichtenstein, ces deux derniers pays devant appliquer les accords en novembre prochain). Le visa long séjour reste de la compétence de chaque État selon ses règles propres.

Je laisse de côté la question des demandeurs d'asile, qui ont un droit au séjour pendant la durée de l'examen de leur demande s'ils se présentent à la frontière (Convention de Genève de 1951) : la politique de la France consiste donc, depuis des décennies, à empêcher les demandeurs d'asile d'atteindre sa frontière, et pour ceux qui l'atteignent, à faire semblant d'examiner leur demande en 48 heures pour la rejeter avant de les réexpédier à leur point de départ, dans des conditions qui ont valu à la France une condamnation par la cour européenne des droits de l'homme en avril 2007 (la loi Hortefeux de novembre 2007 a tenté de remédier à cette situation).

Le refus d'entrée sur le territoire est une décision prise par la police aux frontières. Elle impose à la compagnie de transport qui a amené l'étranger de le reconduire à ses frais au point de départ : cet éloignement s'appelle un réacheminement. En attendant, l'étranger est placé en zone d'attente, les fameuses ZAPI de Roissy. L'hôtel Ibis dont parle Yves Michaud était la ZAPI 1, aujourd'hui fermée. Il ne s'agit pas d'un centre de rétention, et les étrangers qui s'y trouvent ne sont pas en situation irrégulière puisque juridiquement ils ne sont jamais entrés sur le territoire. Il s'y trouve aussi bien des demandeurs d'asile que des touristes ou des scientifiques venus faire une conférence mais qui ont une sale tête.

RESTER

Le visa vaut autorisation de séjour pour la durée de sa validité. Un étranger qui souhaite rester en France au-delà de son visa doit demander un titre de séjour (TS) à la préfecture du département où il établit son domicile.

Il existe deux types de titre de séjour, les formels et les informels (la classification est de votre serviteur). Ce que j'appelle les informels sont des titres précaires, à très courte durée, délivrée par la préfecture quand elle n'a pas le choix mais n'a pas encore décidé de délivrer un titre de séjour formel : ce sont les Autorisations Provisoires de Séjour (APS) et les Récépissés. Une APS régularise temporairement la situation d'un étranger mais n'engage pas la préfecture. C'est classiquement le cas d'un étranger qui a obtenu l'annulation d'une décision d'éloignement sans avoir établi qu'il bénéficiait d'un droit au séjour. Le juge ordonne à la préfecture de réexaminer le dossier et dans l'intervalle, de régulariser l'étranger pour ne pas le laisser dans l'illgéalité parce que les préfectures sont engorgées. Le récépissé, lui, implique que le préfet a décidé de délivrer le titre de séjour, mais n'a pas eu le temps de fabrication du titre (qui est sécurisé comme nos cartes d'identité). Il vaut régularisation, et donne les mêmes droits que le titre qui va être délivré.

Les titres formels, car prévus par la loi, sont la carte de séjour, valable un an, et la carte de résident, valable dix ans, qui succède généralement à plusieurs années de carte de séjour. Pour les algériens, on parle de certificat de résidence d'un an ou de dix ans.

Les préfets sont en principe libres de délivrer ou de refuser de délivrer un titre de séjour. Cette politique se règle d'abord au niveau d'instructions du Gouvernement, mais aussi au niveau de la loi qui prévoit des cas où le préfet « peut » délivrer une carte. Soyons clairs, la politique actuelle est : quand le préfet « peut » délivrer, il faut lire qu'il « peut aussi ne pas » délivrer et appliquer cette interprétation.

Cependant, la France a, dans un moment d'égarement, signé des textes internationaux, supérieurs donc à la loi française, qui lui imposent de respecter les droits de l'Homme. Or, les étrangers sont des Hommes.

Il y a donc des cas où l'étranger a un droit au séjour, où le préfet ne peut légalement lui refuser son titre de séjour. Ces cas sont à l'article L.313-11 du Code de l'Entrée et de Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA). Certains sont objectifs. Citons le cas de l'étranger marié à un Français (mais pas à un étranger en situation régulière…), parent d'un enfant français, ou devenu majeur et qui a vécu en France depuis l'âge de treize ans (les mineurs sont dispensés de titre de séjour, ils ne peuvent être en situation irrégulière, ils dépendent de la situation de leurs parents). D'autres sont plus subjectifs, c'est-à-dire laissent une part d'appréciation à l'administration, appréciation qui peut être contestée devant le juge. C'est le cas du 7° de l'article L.313-11[1], qui est l'arme principale des avocats en droit des étrangers.

Se maintenir en France sans avoir un des titres le permettant (visa en cours de validité, ou plus de trois mois pour les étrangers dispensés de visa ; titre de séjour ; APS ou Récépissé) est, contrairement donc à ce qu'affirme Yves Michaud, un délit, prévu et réprimé par l'article L.621-1 du CESEDA :

L'étranger qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1 et L. 311-1 ou qui s'est maintenu en France au-delà de la durée autorisée par son visa sera puni d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 Euros.

La juridiction pourra, en outre, interdire à l'étranger condamné, pendant une durée qui ne peut excéder trois ans, de pénétrer ou de séjourner en France. L'interdiction du territoire emporte de plein droit reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant à l'expiration de la peine d'emprisonnement.

C'est ce que ne manquent jamais de rappeler les braves gens pour qui « la loi est la loi », sauf quand on est assistante sociale violant le secret professionnel, puisque le droit est la science des exceptions, n'est-ce pas ?

Ce délit n'est à ma connaissance jamais poursuivi seul en tant que tel. Il relève du gadget législatif (et d'alibi légaliste à la xénophobie, mais passons). En effet, la plupart des petits délits, tels que le vol (puni de 3 ans de prison et 45.000 euros d'amende ; vous voyez que le séjour irrégulier, puni d'un an de prison est dans le délit microscopique), ne peuvent être assortis d'une peine d'interdiction du territoire. Donc, quand le prévenu d'un vol est de nationalité étrangère et en situation irrégulière, le parquet ajoutera la prévention de séjour irrégulier uniquement pour permettre le prononcé de l'interdiction du territoire (qui sera parfois la seule peine prononcée). C'est ce qu'on appelle abusivement « la double peine» et dont l'ancien ministre de l'intérieur a réussi à faire croire à la suppression. J'en ris encore.

C'est le premier aspect gadget, l'aspect astucieux. Le deuxième aspect gadget, qui est le plus hypocrite, sera décrit dans notre troisième volet.

PARTIR

L'étranger a vocation à partir à l'expiration de son visa ou quand les conditions de délivrance de son titre ont disparu (exemples : le conjoint est décédé, où l'époux étranger, s'il est algérien, ne supportait plus de recevoir des coups). Au besoin, l'administration peut employer la force pour cela. C'est ce qu'on appelle de manière générale l'éloignement forcé.

Pour éloigner un étranger, il faut pour cela un titre, un ordre d'une autorité administrative ou judiciaire, définitif, c'est à dire qui n'est plus suceptible de recours ou pour lesquels les recours ont été exercés en vain.

La peine d'interdiction du territoire est un titre permettant l'éloignement forcé. Comme toute peine d'interdiction, elle peut faire l'objet d'une requête en demandant la levée (art. 702-1 du code de procédure pénale). C'est le seul titre judiciaire.

Les autres titres sont administratifs. Il s'agit d'un arrêté d'expulsion si l'étranger présente un risque de trouble à l'ordre public (Fichu secret professionnel ; j'en aurais à vous raconter, des scandales de l'expulsion), d'une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) pris avec un refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre, ou d'un Arrêté Préfectoral de Reconduite à la Frontière (APRF).

Je vais m'attarder sur ce dernier car c'est là que notre hypocrite gadget est mis à contribution.

Nous sommes dans l'hypothèse où l'étranger est contrôlé dans la rue ou dénoncé par une assistante sociale. La police contrôle son identité, constate qu'il n'est pas muni d'un titre autorisant son séjour, et aussitôt, le place en garde à vue pour 24 heures. Le parquet est aussitôt informé de l'arrestation de ce dangereux délinquant et décidera aussitôt de ne rien faire. Oui, rien. Les parquets ont mieux à faire que poursuivre des étrangers en situation irrégulière. Par exemple, s'occuper de ce qu'ils considèrent à raison comme de vrais délinquants.

Mais alors, notre étranger, que lui arrive-t-il ? Il reste en garde à vue. Car aussitôt, la préfecture est informée de l'arrestation de cet étranger. Et en moins de 24 heures (même les dimanches et fêtes), le préfet prendra un arrêté de reconduite à la frontière, assorti d'un arrêté de placement en Centre de Rétention Administrative (CRA). Aussitôt cet arrêté notifié à l'étranger, le parquet classera sans suite le dossier de séjour irrégulier.

Bref, le délit de séjour irrégulier ne sert que de prétexte pour garder à vue l'étranger le temps que le préfet prenne ses arrêtés. À aucun moment, le parquet n'a l'intention de poursuivre cet étranger.

L'arrêté de placement en CRA vaut pour 48 heures, au-delà desquelles le maintien doit être ordonné par un juge judiciaire : ce sont les audiences 35bis dont je vous ai parlé récemment. L'arrêté de reconduite peut aussi être attaqué devant le tribunal administratif, mais dans un délai de 48 heures, recours qui doit être jugé dans les 72 heures, par un juge unique, sans commissaire du gouvernement rapporteur public. Je ne connais pas de contentieux qui nécessite une telle vivacité d'esprit et une pareille connaissance du contentieux administratif général et des règles spécifiques du droit des étrangers : la procédure est orale et vous pouvez soulever à l'audience tous les moyens que vous voulez (la jurisprudence administrative a assoupli au maximum cette procédure enfermée dans des carcans de délais très stricts). J'ai déjà connu l'attente angoissante dans la salle des pas perdus du fax qui doit m'apporter la preuve dont j'ai besoin pour obtenir l'annulation, le président du tribunal ayant fait passer devant les autres dossiers pour me donner le plus de temps possible. Les personnels des tribunaux administratifs et les juges eux-même méritent un hommage pour les facilités données à la défense dans un contentieux où la loi l'a voulue la plus impuissante possible. L'audience d'Eduardo était une audience sur la légalité d'un tel arrêté (ses parents étaient libres, c'était le temps révolu des APRF par voie postale).

L'erreur d'Yves Michaud est donc bien excusable : comment peut-on deviner que le séjour irrégulier est un délit quand il n'est pas traité comme un délit ?

Enfin, à quelque chose malheur est bon : cela m'aura permis de poser les bases nécessaires pour me lancer enfin dans mon explication de la directive « retour », qualifiée par mon ami Hugo Chávez de « directive de la honte » ce qui en soi devrait déjà suffire à la plupart de mes lecteurs pour deviner qu'il n'en est rien.

Notes

[1] [La carte de séjour d'un an est délivrée de droit] à l'étranger (…) dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus(…).

jeudi 26 juin 2008

Brèves pour les publicistes

Amis juristes qui taquinez le droit public, quelques nouvelles pour vous.

Adieu, monsieur le commissaire du gouvernement.

Désormais, le magistrat administratif chargé de présenter devant les juridictions administratives une proposition de solution au litige, proposition étayée en droit mais présentée en son seul nom et en toute indépendance, s'appellera le rapporteur public. Il s'agit d'une spécificité de la justice administrative française, et d'une garantie fondamentale pour les justiciables, surtout ceux qui ne sont pas assistés d'un avocat (auquel il ne se substitue pas, mais il peut inviter le tribunal à soulever d'office des moyens d'ordre public et ordonner et clarifier des arguments un peu épars et peu juridiques). C'est pour cela que le gouvernement envisage de le retirer du contentieux des Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF ; il est d'ores et déjà absent des procédures expresses contre les APRF[1] et les RATATA. Oui, le gouvernement —Loi Hortefeux du 20 novembre 2007— a inventé un truc qui s'appelle le RATATA[2], qui relève de la compétence de la PAF[3] et du BAF[4] : qui a dit qu'il manquait d'humour ?).

Plus d'infos sur cette métamorphose chez Frédéric Rolin.

Adieu, Code des marchés publics.

Et bonjour, code des marchés publics. Notre infatigable vigie du palais Bourbon nous annonce une prochaine réforme du Code éphémère : je vous rappelle que la mouture actuelle date du 4 août 2006. À vos aspirines.

Notes

[1] Arrêtés préfectoraux de Reconduite à la Frontière

[2] Refus d'Admission sur le Territoire Au Titre de l'Asile

[3] Police Aux Frontières

[4] Bureau de l'Asile aux Frontières

lundi 23 juin 2008

« Papy ! »

Audience dite de «35bis», dans un tribunal de la région parisienne. Les « 35bis », du numéro de l'article de l'ancienne ordonnance du 2 novembre 1945, devenue le Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) qui prévoyait cette audience. Aujourd'hui, on devrait dire « L.552-1 », mais vous savez ce que c'est, les juristes aiment leurs petites habitudes, déjà qu'on se fait violence pour ne pas parler latin.

Les 35bis, ce sont les audiences devant le juge des libertés et de la détention où le juge examine la nécessité de maintenir ou non en rétention un étranger frappé d'un arrêté de reconduite à la frontière. La décision de placement en Centre de Rétention est prise par le préfet, mais ne vaut que 48 heures. Au-delà, le maintien en Centre de Rétention Administrative (CRA) doit être ordonné par un juge, pour une durée maximale de quinze jours. La préfecture demande toujours quinze jours, arguant d'une réservation sur un vol prévu pour le quinzième jour, comme par hasard. Les représentants des préfectures ne font même pas semblant avec nous, ils reconnaissent cyniquement qu'ils n'ont effectué encore aucune démarche, mais qu'il faut bien motiver la demande de placement en rétention pour obtenir le maximum légal, certains juges un peu trop sourcilleux prenant au pied de la lettre la loi qui prévoit « qu'un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toute diligence à cet effet. » (art. L.554-1 du CESEDA) Figurez-vous (vous allez rire) qu'ils pensent que cela signifie que la rétention de l'étranger doit être limitée au temps strictement nécessaire à son départ, et que l'administration doit exercer toute diligence à cet effet. Il y en a même, du Syndicat de la Magistrature, assurément, qui osent demander que l'administration justifie de ces diligences, sous prétexte que la loi l'exigerait. Vraiment, il était temps de réformer le Conseil Supérieur de la Magistrature pour pouvoir sanctionner ces petits pois rebelles.

J'attends dans la salle d'audience le tour de mon client et assiste à quelques dossiers pour “sentir” le juge et voir comment plaide l'avocat de la préfecture. Quelques munitions de plus dans ma besace, ce n'est jamais de trop.

Les étrangers entrent un par un, l'audience est publique, il y a pas mal de monde aujourd'hui. C'est le début de l'audience, pensè-je, ils attendent tous un ami, un frère, un fiancé.

Le troisième étranger du jour entre. Je n'y prête pas attention au début, je relis mes notes, mon client est en cinquième position, et je me suis fait une idée du juge et de mon contradicteur.

C'est une voix d'enfant, d'une petite fille assise derrière moi, qui me tire de ma réflexion.

— « Papy ! » s'exclame-t-elle joyeusement.

Je lève les yeux. Un homme âgé, l'épuisement se lisant sur son visage, vient d'entrer. Je l'avais remarqué dans le local voisin où les étrangers attendent leur tour. Il avait tenté de s'allonger, avant de se faire engueuler par l'escorte. Il avait tenté d'expliquer qu'il avait des problème de cœur et devait se reposer, rien n'y a fait : pas assez de place, il faut laisser ceux qui arrivent s'asseoir. Il y a vingt et un dossiers aujourd'hui. Il a passé presque trois heures assis sur un banc en attendant son tour.

Son avocat a la mine défaite. Il explique que son client est de nationalité algérienne. Il est en France depuis dix ans, preuves à l'appui. Il a six enfants, tous en situation régulière, sauf deux, qui sont Français. Il a neuf petits-enfants, tous Français, dont la petite fille derrière moi qui, rappelée à l'ordre par sa mère, ne cesse de murmurer le plus fort possible « Papy ! Papy ! », désolée que son grand-père ne l'ait pas vu pour répondre à ses signes de main.

Le juge jette un regard mi-étonné mi-réprobateur à l'avocat de la préfecture, dont les yeux ne quittent pas le dossier devant lui.

Un confrère, assis non loin de moi, me regarde avec un petit sourire en coin, que je lui rends. Nous nous sommes compris. Cet arrêté de reconduite est d'une illégalité évidente. Un Algérien avec dix années de présence en France a droit à un titre de séjour (Accord Franco-Algérien du 27 décembre 1968, art. 6,1°[1]), et même si la préfecture conteste les preuves de présence, 15 membres de sa famille proche en situation régulière en France lui assurent en tout état de cause la protection de la Convention Européenne des Droits de l'Homme. Bref du pain béni.

Sauf que…

Son avocat explique que l'arrêté de reconduite à la frontière a été pris antérieurement au placement en rétention. Son client n'a pas jugé utile de consulter un avocat et a laissé s'écouler le délai de 48 heures pour former un recours (écrit en Français et motivé en droit) devant le tribunal administratif. L'avocat de la préfecture confirme, toujours sans lever les yeux du dossier, que l'arrêté est définitif, et que dans ces conditions, il demande le maintien en rétention, la préfecture ayant réservé un billet pour le vol Paris-Alger de dans quinze jours.

Mon confrère assis non loin de moi ne sourit plus. Moi non plus. Le délai de recours ayant expiré, l'arrêté, tout illégal qu'il soit, est définitif et ne peut plus être attaqué, en tout cas pas dans des délais utiles.

« Le passeport est-il au dossier ? » demande le juge, qui ne cache pas son malaise.

— Non, répond l'avocat de la préfecture, décidément passionné par son dossier, car il ne relève toujours pas les yeux.

— Mon client n'a pas fait renouveler son ancien passeport, et se l'est fait voler lors du cambriolage de son studio il y a deux ans. J'ai une copie de la plainte.

— L'article L.552-4 du CESEDA prévoit que l'assignation à résidence ne peut être prononcée que si le passeport a été remis en original aux services de police, réplique l'avocat de la préfecture, toujours les yeux dans son dossier. Une plainte ne peut suppléer à cette absence.

Le juge regarde sa copie du dossier. « Maître ? » demande-t-il enfin à l'avocat de notre Algérien.

— Je m'en rapporte.

Après quelques secondes de réflexion, le juge explique que dans ces conditions, il n'a pas d'autre choix que de faire droit à la demande de la préfecture. L'arrêté de reconduite est définitif, il n'y a pas de passeport. La rétention est prolongée pour quinze jours. Seul petit geste que peut faire le juge, il demande que l'escorte remette les menottes en dehors de la salle d'audience. La fillette derrière moi a fini par attirer l'attention.

Long moment de malaise, le temps que le greffier imprime le procès verbal d'interrogatoire, l'ordonnance de prolongation, la notification de l'ordonnance et des voies de recours, et fasse signer tout cela à l'étranger.

Puis celui-ci se lève et se dirige vers la sortie ; avant de franchir la porte, il se tourne vers le fond de la salle et fait un petit signe à sa famille présente.

Je sors derrière lui, il faut que je me reconcentre sur mon dossier, et là, j'ai un peu de mal.

Au fond de la salle, j'entends la voix de la fillette qui dit « Ne pleure pas, maman : il nous a vu, tu sais. »


À ceux qui m'accuseront de faire du pathos sur cette histoire, deux mots. J'y étais, à cette audience. Rien n'est inventé. La fillette, elle était juste derrière moi. J'en ai été malade toute la journée. Le pathos, tous ceux qui étaient dans la salle se le sont pris dans la figure. Moi le premier. Je ne fais que rendre compte.

Et à ceux qui se demandent si la place d'un malade du cœur est en Centre de Rétention, je leur répondrai : mais que voulez-vous qu'il leur arrive ?


Deuxième apostille : ce billet a été rédigé avant l'annonce de l'incendie du CRA de Vincennes. Cette histoire est trop ancienne pour que la personne dont je parle ait pu être encore dans le centre lors de cet incendie.

Notes

[1] Les Algériens ne sont pas soumis, pour les conditions du regroupement familial et pour les titres de séjour, au droit commun du CESEDA mais à une convention bilatérale ; ils n'ont donc pas subi la disparition en 2003 du droit à la carte de séjour pour dix années de présence en France.

lundi 2 juin 2008

Commentaires sur l'Asile du droit

Comme promis, pour ceux qui auront réussi à échapper à l'avalanche de commentaires sous le billet sur la nullité du mariage prononcé par le tribunal de grande instance de Lille, j'ouvre un billet pour commenter le documentaire de Henri de Latour, l'Asile du droit.

Le record est actuellement à 1111 : lâchez vos coms !

jeudi 29 mai 2008

À voir absolument

À vos zapettes, à vos magnétoscopes ou tout ce qui vous permet d'enregistrer la TNT.

Public Sénat diffuse actuellement un documentaire très bien fait sur le contentieux du droit d'asile, intitulé «L'asile du droit», d'Henri de Latour (54'), déjà diffusé sur France 3 le 11 janvier 2008.

Vraiment, il vaut le coup car il fait partie des rares documentaires sur la justice où je retrouve l'ambiance et la réalité du quotidien.

Un bref topo : les étrangers qui demandent l'asile en application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 doivent présenter leur demande à l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA). C'est une phase purement administrative et semée d'embûches (l'étranger qui obtient enfin, après un parcours du combattant, et qui implique notamment de remettre son passeport à la préfecture, le formulaire OFPRA a 21 jours, pour le remplir, en français à peine d'irrecevabilité (l'OFPRA ne fournit pas d'interprète traducteur), et le faire parvenir à l'OFPRA à Fontenay Sous Bois. S'ils dépassent le délai, ils sont à jamais privés du droit de demander l'asile.

Le dossier est examiné par les fonctionnaires de l'OFPRA, qu'on appelle Officiers de Protection, et l'étranger est, en principe, convoqué à un entretien avec l'Officier. Les avocats ne sont pas admis à ces entretiens, parce que. Le directeur général de l'OFPRA rend alors une décision qui est notifiée par lettre recommandée AR. Et c'est curieux comme la plupart se ressemblent au mot près : les propos du demandeurs sont confus et contradictoires en ce qui concerne les menaces dont il dit être l'objet et il n'a pas apporté de précisions convaincantes sur les faits précis dont il fait état. Plus, s'il a produit des documents : ils sont insuffisants pour établir les faits en absence de déclarations convaincantes de sa part. J'en ai plein comme ça dans mes dossiers, ce qui est pratique, on peut commencer à rédiger le recours sans avoir la décision.

Si l'étranger parvient à retirer la lettre à son bureau de poste alors qu'il a dû remettre son passeport à la préfecture pour avoir le dossier de demande d'asile[1], il a un délai d'un mois pour saisir la Cour Nationale du Droit d'Asile (CNDA), qui s'appelait jusqu'à il y a peu la Commission de Recours des Réfugiés (CRR) - d'où le nom de domaine internet. C'est pourquoi vous entendrez souvent les avocats parler de “la commission” : c'est la cour, le nouveau nom (qui n'a rien changé sinon peut-être la taille des chevilles de certains de ses juges) n'étant pas encore entré dans les mœurs. Pour être valable, le recours doit être accompagné d'une copie de la décision de l'OFPRA (d'où le gag du recommandé). C'est ce délai, déjà terriblement court, que le très honorable député Ciotti voulait réduire à quinze jours au nom de la tradition d'accueil de la France.

La Cour siège à Montreuil Sous Bois, en Seine Saint-Denis. C'est une juridiction de l'ordre administratif, et celle qui traite le plus de demandes chaque année, battant tous les tribunaux administratifs et même le Conseil d'État.

Le recours est examiné en audience publique, ce sont ces audiences qui sont filmées. L'avocat a pu entrer en scène une fois la décision rendue : il a rédigé le recours, consulté le dossier (c'est la première fois qu'il y a accès), versé des pièces complémentaires (notamment des expertises médicales quand des coups ou des mutilations ont laissé des traces).

Petites particularités de la CNDA : les avocats, vous le verrez, font leurs photocopies eux-même. Les avocats extérieurs à l'Île de France ont droit à une copie du dossier, pas nous, sauf si on vient la faire nous-même. Sékomsa.

Plus contrariant : le recours attaque une décision du directeur général de l'OFPRA. Le personnel de la CNDA est à 95% du personnel de l'OFPRA. Le budget de la CNDA est fourni par l'OFPRA (Ça change au 1er janvier prochain). Les locaux de la CNDA sont payés par l'OFPRA. La cour est composé de trois juges : le président est un juge administratif (Conseil d'État, Cour des Comptes, conseiller de tribunal administratif ou de Cour administrative d'appel, chambres régionales des comptes, juge judiciaire, en activité ou honoraire (comprendre à la retraite). L'un des assesseurs, qui jusqu'en 2003 était désigné par le HCR, organe de l'ONU, est désormais une “personnalité qualifiée nommée par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés sur avis conforme du vice-président du Conseil d'État”. L'autre est un représentant du Conseil de l'OFPRA, nommé par le vice-président du Conseil d'État sur proposition de l'un des ministres représentés au conseil d'administration de l'Ofpra. Ainsi, devant la CNDA, on attaque une décision du directeur de l'OFPRA, présentée par un rapport d'un fonctionnaire de l'OFPRA, devant un juge représentant l'OFPRA, dans des locaux loués par l'OFPRA. Quoi, il y a un problème ? Mais non, nous dit le Conseil d'État (CE, 10 janv. 2003, n°228947, Ensaud c/ Ofpra), car la procédure n'étant pas de nature civile ni pénale, l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme qui exige un tribunal impartial ne s'applique pas. Le Conseil constitutionnel n'a jamais été saisi de la question lors des dernières réformes en la matière.
Bienvenue dans le droit des étrangers, droit étrange s'il en est.

L'audience commence par la lecture du rapport fait par un officier de protection attaché à la CNDA, puis l'avocat a la parole pour exposer les arguments en faveur du recours. Le président posera des questions à l'étranger, dialogue qui tourne souvent court si l'étranger baragouinant le français a cru pouvoir se passer d'interprète, ou parfois à cause du niveau lamentable de certains interprètes (j'ai eu un interprète en anglais à qui je devais souffler les mots, un autre que mon client ne comprenait pas, et un confrère me racontait qu'une fois, l'interprète faisait partie du personnel de l'ambassade du pays que fuyait le réfugié). L'affaire est mise en délibéré, l'audience dépasse rarement les dix minutes.

Un étranger débouté perd son droit au séjour et devient expulsable vers son pays d'origine. S'il a un élément nouveau à présenter qui n'était pas connu lors de la première audience, il peut demander le ré-examen de sa demande.

J'arrête ici car j'ai déjà été trop long, en vous laissant quelques chiffres : l'OFPRA a été saisie de 29.937 demandes en 2007 dont 23.804 de premières demandes (contre des pics à 60.000 en 1989 et 2005 : nous pouvons nous réjouir, le monde est en train de devenir un paradis, assurément, car je ne peux croire que les réformes législatives en la matière visent à décourager les demandeurs d'asile, pas en France, monsieur).

L'OFPRA accorde le statut de réfugié à 11,6% des demandeurs (3401 en 2007). Ce taux passe à 29,7% après passage devant la CNDA, qui accorde 61,3% des statuts de réfugiés (c'est marrant, quand on permet à un avocat d'intervenir, ça marche mieux, on dirait). La CRR a été saisie de 30477 dossiers en 2007. Le taux de recours est proche des 90%.

Les nationalités obtenant le plus l'asile sont les nationalités malienne (les femmes essentiellement fuyant le risque d'excision), érythréenne, rwandaise, et éthiopienne. Seuls ces pays ont un taux d'accord supérieur à un dossier sur deux. 130.926 personnes bénéficient de la protection de la France au titre de réfugiés.

De ce documentaire, je retiens tout particulièrement deux scènes poignantes : la première, un requérant attend l'affichage des délibérés. Il cherche mais ne comprend rien au listing, qui indique simplement “rejet” si l'appel est rejeté ou “annulation” si la décision de refus de l'asile est annulée et donc que le statut de réfugié est accordé. Une personne l'aide et lui dit “rejet”. Le visage de l'étranger rayonne, il dit merci à tout le monde, à la caméra. L'homme qui l'a aidé revient et lui dit que non, rejet, c'est pas bon. La détresse qui se lit alors sur le visage est difficile à supporter. Le cadreur s'y attardera d'ailleurs beaucoup trop longuement à mon avis. La pudeur n'est pas un obstacle à la vérité.

La deuxième, un requérant des pays de l'est vient de lire son résultat, avec son avocat : Annulation. Il est désormais réfugié et bénéficie de la protection de la France. Sonné par le bonheur, il en titube presque. Son avocat lui dit de prévenir sa famille mais il explique qu'il n'a plus de crédit sur son téléphone. Qu'importe, lui dit son avocat, je vous prête le mien. Et ils se rendent au greffe, une grande salle où les avocats peuvent consulter les dossiers et s'entretenir avec leur client avec l'aide de l'interprète fourni par la Commission. La caméra les suit, il appelle sa famille et on le voit parler une langue que je ne saurais déterminer, irradiant de bonheur. À la table d'à côté, une jeune avocate essaie de consoler un Africain qui a vu sa demande rejetée, alors qu'il a perdu toute sa famille dans des tueries. L'avocate est très inquiète d'un geste désespéré de son client et refuse de le laisser partir. Elle finira même par le prendre dans ses bras comme une petite fille embrasse son grand-père. Les allers-retours de la caméra d'une table à l'autre sont un moment très fort et très dur.

Voici les prochaines diffusions :

Le vendredi 30 mai à 16h30, le samedi 31 mai à 14h00 et le dimanche 1er juin à 09h00. La diffusion des samedi 31 et dimanche 1er sont suivis d'un débat, à 14h55 et 09h55 respectivement, qui est visible gratuitement sur le site de Public Sénat (pas le documentaire qui ne leur appartient pas).

Et pour vous mettre en bouche, voici un extrait (le son n'est pas très bon, je n'y suis pour rien), où l'on voit mon confrère Gilles Piquois et sa gouaille inimitable plaider pour un Kosovar de la Drenica (prononcer Drénitsa, c'est de l'albanais). La charmante jeune fille brune, qui siège non loin de mon confrère et s'entraîne au pen twirling est le rapporteur. La deuxième séquence, la mise en abîme, figure dans cet extrait. Elle commence à 6:08.

Lundi, j'ouvrirai un billet pour discuter de ce documentaire.

Notes

[1] L'OFPRA refuse de remettre une copie de la décision à l'étranger tant que l'AR non réclamé n'est pas revenu, ce qui implique que le délai de recours est généralement expiré.

mercredi 21 mai 2008

En France, les femmes battues sont protégées. Sauf les Algériennes.

S'il était encore besoin de démontrer que le droit et la morale sont deux choses distinctes, la Cour administrative d'appel (CAA de Paris) vient d'y pourvoir dans un arrêt du 3 avril dernier.

Les faits étaient les suivants. Madame X, ressortissante algérienne, avait épousé un Français, Monsieur Y. De ce fait, elle était titulaire d'un certificat de résidence valable un an renouvelable, délivrée par la préfecture du Nord (les époux Y habitaient près de Valenciennes).

Il faut en effet préciser que les ressortissants algériens sont soumis, pour leurs conditions d'entrée et de séjour en France, non pas au Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) mais à une convention bilatérale, l'Accord Franco-Algérien du 27 décembre 1968. Cela jouera un grand rôle dans la suite du litige. Cet accord prévoit que le titre de séjour des algériens s'appelle un certificat de résidence, qu'il soit valable un an ou dix ans, et non une carte de séjour ou une carte de résident.

Monsieur Y ayant une tendance exagérée à confondre son épouse et un punching-ball, celle-ci l'a quitté et est allée vivre sur Paris pendant sa procédure de divorce. À l'expiration de son certificat de résidence, elle en a demandé le renouvellement à la préfecture de police. Le préfet de police a refusé ce renouvellement, car aux termes des stipulations[1] de l'Accord Franco-Algérien, article 6 :

Le certificat de résidence d'un an portant la mention ‘‘vie privée et familiale'' est délivré de plein droit :
(…) 2. Au ressortissant algérien, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ; (…) Le premier renouvellement du certificat de résidence délivré au titre du 2° ci-dessus est subordonné à une communauté de vie effective entre les époux.

Or, constate le préfet, cette communauté de vie a cessé car madame est à Paris et monsieur à Valenciennes. Puisque le sud l'attire, qu'elle continue dans cet azimut jusqu'à Alger. Et de prendre le 10 juillet 2007 un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Madame X saisit le juge administratif en lui tenant à peu près ce langage : “ Certes, la communauté de vie a cessé de mon fait, mais que diantre, je recevais des coups. J'invoque donc la protection de la loi, puisque l'article L.313-12 du CESEDA dispose que :

Le renouvellement de la carte de séjour (…) est subordonné au fait que la communauté de vie n'ait pas cessé. Toutefois, lorsque la communauté de vie a été rompue à l'initiative de l'étranger à raison des violences conjugales qu'il a subies de la part de son conjoint, le préfet ou, à Paris, le préfet de police, peut accorder le renouvellement du titre.”

Et de produire le jugement de divorce rendu entre temps par le juge aux affaires familiales[2] de Valenciennes prononçant le divorce aux torts exclusifs de l'époux violent. La décision du préfet de police, qui n'a même pas examiné la possibilité de délivrer un titre en raison des violences conjugales est donc, conclut madame X, illégale.

Ce n'est pas ce que juge la CAA de Paris, par un raisonnement parfaitement juridique :

Certes, dit la cour, par l'article L.313-12 du CESEDA, la République offre (si elle le veut bien, notez bien que « le préfet peut accorder le renouvellement du titre ») sa protection aux époux battus, fussent-ils homme ou femme, à condition qu'ils soient étrangers.

Mais le CESEDA, comme nous l'avons vu, ne s'applique pas aux Algériens, qui relèvent de l'Accord Franco-Algérien de 1968. Or cet accord qui ne prévoit aucune stipulation en faveur du conjoint martyr. Fermez le ban et attachez vos ceintures, les issues de secours se trouvent à l'avant, sur les côtés et à l'arrière de l'appareil.

En conclusion, l'époux algérien battu ne peut bénéficier du renouvellement de son titre sauf à rester vivre avec son bourreau. La décision du préfet de police est confirmée, et l'OQTF, validée.

Je précise que madame X n'a pas eu d'enfant avec monsieur Y, sinon sa situation n'aurait pas posé de problème, elle aurait eu droit à un titre de séjour en qualité de mère d'enfant français.

Une petite citation pour clore ce billet.

"A chaque femme martyrisée dans le monde, je veux que la France offre sa protection en lui donnant la possibilité de devenir française."

Nicolas Sarkozy, le 29 avril 2007 à Bercy.

Sauf les Algériennes en France, vous aurez rectifié de vous même.


Source : CAA Paris, 3 avril 2008, n°7PA03996.

Notes

[1] Je vous interdis de dire en ces lieux qu'une loi ou un code stipulent : ils disent, prévoient, édictent ou disposent. Seul un contrat peut stipuler (du latin stipula, paille, le vendeur d'un champ devant remettre publiquement à l'acquéreur une poignée de paille du champ comme symbole du transfert de propriété), et une convention internationale est un contrat entre pays.

[2] Chapeau aux conseillers de la CAA de Paris qui parlent du juge aux affaires matrimoniales, juridiction qui a disparu depuis 1993…

samedi 17 mai 2008

Juges administratifs, le législateur vous aime !

Je plaisante, naturellement. Il suffit pour s'en convaincre de lire le compte rendu de la Commission des lois du mercredi 14 mai 2008 à 16h15 (je graisse ; les hyperliens sont des ajouts de votre serviteur).

Après l’adoption d’un amendement rédactionnel du rapporteur, la Commission a été saisie d’un amendement du même auteur tendant à étendre le domaine de la loi à la constitution de blocs de compétence que la jurisprudence du Conseil constitutionnel rend aujourd’hui aléatoire. L’objectif de l’amendement est de permettre au législateur de simplifier, au nom de la bonne administration de la justice et du droit à l’accès au juge, la répartition des contentieux entre les deux ordres de juridiction, dans le respect de la compétence du juge judiciaire pour la protection des libertés individuelles.

Après avoir indiqué qu’il approuvait la volonté du rapporteur de remédier aux difficultés d’accès au juge compétent pour le justiciable, M. Arnaud Montebourg a estimé que la question de la modernisation de la justice administrative devait être posée à l’occasion de la réforme des institutions. Le défaut d’indépendance des magistrats administratifs, qui sont avant tout des fonctionnaires, ainsi que la double compétence du Conseil d’État, à la fois conseiller du Gouvernement sur la rédaction des actes administratifs et juge de la légalité de ces mêmes actes, a conduit ces dernières années à une multiplication de recours contre la France devant la Cour européenne des droits de l’homme qui ridiculisent notre pays[1]. À cet égard, et sans même évoquer la question des nominations au tour extérieur, les fonctions du commissaire du gouvernement, qui ne représente pas le Gouvernement mais s’exprime devant les juridictions en dernier sans qu’il soit possible de lui répondre, sont révélatrices de l’anomalie que constitue aujourd’hui le fonctionnement de la justice administrative française. Il s’est donc déclaré en faveur d’une clarification du rôle et de la situation du Conseil d’État dont la fonction juridictionnelle ne doit pas être consacrée par la Constitution.

Après avoir rappelé les critiques dont faisait l’objet la justice administrative de la part de nombre de parlementaires, notamment en raison du fait que le Conseil d’État, dans le domaine de la protection de l’environnement, n’a rendu dans les vingt-cinq dernières années aucune décision favorable aux associations de défense de l’environnement, M. Noël Mamère[2] a estimé que la confusion du rôle de contrôleur et de contrôlé qui caractérise le Conseil d’État était particulièrement nocive et devait amener à s’interroger sur le maintien de sa section du contentieux.

Mis aux voix, l’amendement a été adopté à l’unanimité.


Jean-Marc Sauvé a aussitôt souhaité réagir au nom du Conseil d'État :


Merci à Serge Slama pour l'info.

Notes

[1] Cher confrère, tout est question d'opinion, mais pour ma part, je pense que ce qui ridiculise notre pays, ce sont plutôt les condamnations prononcées pour torture, pour une loi votée au nom des handicapés et qui a nuît gravement à leurs droits, pour l'absence de recours effectif d'un demandeur d'asile refoulé à la frontière et renvoyé dans son pays d'origine sans qu'un juge ait seulement entendu parler de lui, plus que sur le refus, obstiné il est vrai, de communiquer les conclusions du commissaire du gouvernement ; mais il me semble qu'il y suffirait une simple loi, pas une révision de la Constitution. Mais bon, je suis demeuré avocat, moi, qu'est-ce que j'y connais...

[2] Cher confrère, je vous rappelle que depuis que vous avez prêté serment, vous avez une obligation de compétence (art. 1.3 du RIN) que n'ont pas vos petits camarades…

mercredi 7 mai 2008

Un nouveau confrère (2)

Le barreau de Paris s'aggrandit encore un peu plus. Devinez qui vient de nous rejoindre ?

PARIS - L'ancien journaliste et actuel député-maire (Verts) de Bègles (Gironde) Noël Mamère va devenir avocat: il a expliqué mercredi à France Info avoir prêté serment mercredi devant le barreau de Paris.

"Je suis désormais avocat au barreau de Paris", a expliqué M. Mamère, ajoutant qu'il souhaitait exercer cette profession depuis "longtemps". Il avait initialement fait des études de droit à Bordeaux mais s'était orienté vers le journalisme.

Dominique de Villepin, Jean-François Copé, Noël Mamère… Reste-t-il quelqu'un pour gouverner la France ? Heureusement qu'on a pu envoyer un avocat à l'Élysée, on allait manquer de place.

Au fait, dans quel domaine veut-il exercer ?

"Aujourd'hui avocat, je défendrai des sans-papiers, je défendrai des étrangers, je défendrai des causes liées à l'environnement, aux libertés. Je suis avocat et donc je dois défendre ceux qui viennent me voir", a-t-il dit. (AP)

À la bonne heure, cher confrère ! J'espère que votre espoir de clientèle ne repose pas sur les Français sans-papiers, ils sont peu nombreux.

Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue et, comme il est du devoir de vos confrères aînés, de vous éclairer sur notre déontologie.

Article P.41.2 du Règlement Intérieur du Barreau de Paris :

P.41.2 Avocats investis d’un mandat public

L’avocat investi d’un mandat public, électif ou non, doit veiller à ce qu’aucune confusion ne puisse s’établir entre l’exercice de sa profession et l’accomplissement de son mandat.

L’avocat investi d’un mandat parlementaire ne peut accomplir aucun acte de sa profession, ni intervenir à aucun titre et sous quelque forme que ce soit: pour ou contre l’État, ses administrations et ses services, les sociétés nationales, les collectivités et établissements publics;(…)

Toutes les interdictions ci-dessus énoncées s’appliquent, que l’avocat intervienne personnellement ou par l’intermédiaire d’associé, de collaborateur ou de salarié.

Or en droit des étrangers, votre adversaire est toujours le préfet, représentant de l'État dans le département (à Paris le préfet de police), sauf si vous faites en outre du droit d'asile (qui est aussi passionnant qu'angoissant), où ce sera le directeur général de l'OFPRA… Établissement public, dont le directeur général est nommé sur proposition conjointe du ministre de l'intérieur et des affaires étrangères. Je crains donc que pour suivre votre vocation, il vous faille abandonner votre mandat parlementaire, sous peine d'avoir une formation accélérée en procédure disciplinaire (matière que je pratique, soit dit en passant).

Être avocat, c'est faire des choix.

Maître Eolas, avec son épitoge herminée, se tient à côté de Noël Mamère, épitoge herminée, nœud papillon blanc et toque, la tenue de prestation de serment. Maître Eolas s'exclame : “au moins, je ne serai plus le seul avocat vert du palais !” ; Noël Mamère le regarde, et pointant du doigt vers son épitoge, dit : “Sympa, l'épitoge. C'est du synthétique ?”

lundi 28 avril 2008

Soyez plus compétents que le président de la République

L'affaire des sans-papiers grévistes, soutenus par des syndicats, a retenu l'attention des médias, qui semblent sincèrement surpris de découvrir que des étrangers travaillent, payent des impôts, et les cotisations sociales sur leur salaire, sans être régularisés, et ce parfois depuis fort longtemps.

Je passerai rapidement sur le fait que la lecture de mon blog leur aurait appris cet état de fait depuis au moins septembre dernier, en rappelant au passage que même ceux qui ne déclarent pas de salaire participent néanmoins au financement de l'État.

Rappelons que même si la pensée de leur présence vous insupporte, ces étrangers ne font rien d'autre qu'être là. Ils travaillent, pour la plupart, payent leur loyer, leurs impôts (l'Etat n'a RIEN contre les étrangers quand il s'agit de payer la taxe d'habitation ou quand ils supportent la TVA sur leurs achats). Ceux qui commettent des délits relèvent de la juridiction pénale et de la peine d'interdiction du territoire : ils n'entrent absolument pas dans le circuit décrit ici.

Quand je dis au moins, c'est que déjà en septembre 2005, je citais un exemple concret :

En effet, au même instant, une avocate se débat désespérément pour que les parents d'Eduardo ne soient pas reconduits à la frontière. Elle explique au juge administratif, preuves à l'appui, que les parents d'Eduardo sont arrivés en France il y a six ans de cela, que cela fait quatre ans qu'ils sont locataires de leur appartement, qu'ils payent leurs impôts, qu'Eduardo va à l'école de son quartier, maternelle puis primaire, où il a appris le Français qu'il parle sans accent.

Enfin, gaudeamus, la presse l'a enfin découvert et des journalistes se demandent pourquoi celui qui leur concocte leur salade de chèvre chaud, cotise aux ASSEDIC, à une caisse de retraite, à l'assurance maladie, lays la CSG, la CRDS et bien souvent l'impôt sur le revenu, et ce depuis des années (j'ai un dossier avec des avis d'imposition remontant à 2000) ne pourrait se voir doter d'un titre de séjour.

Je répète ces mots : d'un titre de séjour, ils sont importants.

La loi, le fameux Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) prévoit que « tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France doit, après l'expiration d'un délai de trois mois depuis son entrée en France [ou après l'expiration de son visa s'il est soumis à l'obligation de détenir un visa], être muni d'une carte de séjour ». Le fait de se maintenir en France sans détenir cette carte est un délit, le délit de séjour irrégulier qui consiste essentiellement à être là. Notons qu'il n'existe à ma connaissance aucun délit concernant les Français leur faisant encourir de la prison du seul fait de ne pas détenir un quelconque document administratif sans qu'aucun agissement particulier ne soit exigé. Le défaut de permis n'est un délit que si on conduit un véhicule. Le défaut de carte d'identité n'est pas une infraction, ce document n'étant pas obligatoire. Point que je souhaite rappeler tant dès que l'on fait montre d'un tant soit peu de compassion à l'égard des étrangers sans papier on entend invariablement « Mais enfin, rappelons quand même que ce sont des délinquants, on ne va quand même pas les plaindre ». Le délit, c'est d'être là, pas de faire de tort à qui que ce soit.

Ce titre de séjour (TS) peut être soit une carte de séjour temporaire (CST) valable un an, soit une carte de résident (CR) valable 10 ans et renouvelable de plein droit, délivrée aux étrangers qui ont vocation à l'installer définitivement sur le territoire (par exemple, l'époux étranger d'un français qui n'a pas souhaité prendre la nationalité française).

Le titre de séjour n'a aucun rapport avec la nationalité française, hormis le fait que l'absence de cette dernière impose la détention du premier. Demander une régularisation, c'est demander la délivrance d'un titre de séjour. Pas la nationalité française. Un ancien ministre de l'intérieur, à l'origine de deux profondes réformes du droit des étrangers, est censé le savoir. D'où ma stupeur d'entendre cet échange lors de la présidentielle conférence de presse télévisée. Si quelqu'un peut d'ailleurs me fournir une transcription de la première phrase du président en réponse à la deuxième question d'Yves Calvi, juste avant « je ne suis pas un roi, moi » (0:47-0:48 de la vidéo), je lui en saurai gré.

L'erreur est humaine, persévérer est diabolique, réitérer[1]… présidentiel ? Par trois fois, le président se réfugie derrière les conditions préalable au dépôt pour une demande de naturalisation (une demande d'attribution de la nationalité française par décision de l'autorité publique) pour laisser entendre qu'il existe des conditions qu'il suffit de respecter pour être régularisé. C'est faux.

La République, heureusement, ne repose ni sur la bonne foi ni sur la connaissance encyclopédique de ses dirigeants, donc peu importe laquelle est ici prise en défaut. Mais le meilleur moyen d'éviter qu'on abuse de l'ignorance des citoyens est qu'on les instruise. Je vous propose donc de m'accorder un peu de votre attention afin que ce billet fasse de vous des gens plus compétents en la matière que le président de la République.

La vision répandue ces dernières décennies sur les étrangers est celle d'une troupe d'indésirables, le fort chômage qu'a connu la France étant la preuve que les étrangers sont de trop, ceux-ci prenant supposément le travail des Français. C'est la théorie du gâteau : l'économie d'un pays est un gâteau dont on se répartit les parts, le grand nombre de part entraînant plus de pauvreté. C'est une vision naturellement fausse, puisqu'elle fait abstraction du fait que chaque personne participant à une économie est aussi bien pâtissier qu'affamé. Et cette situation ressurgit invariablement à chaque crise économique. Car l'hostilité de la France à l'égard des étrangers est contraire à sa tradition, et vous allez voir dans le voyage historique que je vous propose combien cette tradition l'a façonnée.

En effet, sous la Révolution (1789-1804), et la Restauration (1815-1830), la France a été très accueillante avec les étrangers (l'Empire a eu une politique d'intégration des pays étrangers, c'est un peu différent, et l'expérience a tourné court). Ainsi, la Constitution rédigée par la Convention le 24 juin 1793 prévoyait dans son article 4 que « Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; - Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année - Y vit de son travail - Ou acquiert une propriété - Ou épouse une Française - Ou adopte un enfant - Ou nourrit un vieillard ; - Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l'humanité - Est admis à l'exercice des Droits de citoyen français. » On ne parlait même pas de leur exiger un permis d'être là.

De même, sous la Monarchie de Juillet (Louis-Philippe Ier, roi des Français, si vous préférez), la France a accueilli plus de cent mille immigrés venus des pays d'Europe centrale chassés par les révolutions de 1830. Elle accueillera aussi des Italiens fuyant les incessantes guerres d'indépendance de ce pays. Parmi eux, Giuseppe Gambetta, épicier qui s'installera à Cahors, dont le fils deviendra avocat, homme politique et donnera la République à la France sur les décombres du Second Empire, au nez et à la barbe de la majorité royaliste à l'Assemblée.

La Seconde République (1848-1851) vote une grande loi sur les étrangers le 3 décembre 1849. Ce cadre légal restera en vigueur jusqu'en 1938, mais sera régulièrement amendé. Elle prévoit que le ministre de l'intérieur peut expulser tout étranger séjournant en France. C'est cette loi qui crée le délit de séjour irrégulier, qui suppose que l'étranger soit resté ou revenu en France malgré une décision d'expulsion. Aucune mesure coercitive autre que la menace de la prison n'est prévue. Les étrangers ne sont pas alors soumis à l'obligation de détenir un titre de séjour. C'est cette loi qui invente l'expression de “conduite à la frontière” pour désigner ces décisions discrétionnaires.

Le Second Empire (1851-1870) instaure quant à lui dès 1851 le droit du sol : l'enfant d'étrangers né en France est Français (ce n'est plus le cas aujourd'hui contrairement à une croyance populaire tenace).

C'est la IIIe république qui opérera le premier virage vers le droit des étrangers moderne, à l'occasion de la crise économique de la fin du XIXe siècle, à l'époque où qui plus est la République est frappée d'énormes scandales politico-financiers (Affaires de Panama, des Fiches, des Décorations…). Les étrangers (auquel il faut assimiler les juifs, qui, bien que citoyens français, sont sans cesse présentés comme des éléments exogènes par l'extrême-droite) sont pointés du doigt et servent de boucs émissaires aux difficultés de la France, la responsabilité de la classe politique étant naturellement exclue. Comment ça, ça vous rappelle quelque chose ?

Cela va jusqu'à de véritables pogroms contre les Italiens dans le sud de la France : à Aigues-Mortes en août 1893, une véritable chasse à l'homme a lieu dans la ville, à coups de pierres et de bâtons, faisant officiellement huit morts et cinquante blessés (plus de cinquante morts selon les journalistes du Times anglais ayant assisté aux émeutes et ayant décrit une sauvagerie générale). Face à ces crimes, la réaction de la République sera inflexible : les accusés de ces faits seront acquittés par la cour d'assises et la loi du 28 août 1893 institue le registre d'immatriculation des étrangers et fait interdiction aux employeurs d'embaucher un étranger n'ayant pas satisfait aux formalités légales. C'est la naissance de la carte de séjour temporaire mention salariée, qui existe encore aujourd'hui.

Plus tard, le décret du 21 avril 1917 crée la carte d'identité d'étranger, ancêtre de la carte de séjour, établie par le préfet. Pendant ce temps, Lazare Ponticelli se battait pour la France. Parmi les premiers titulaires, le père de Patrick Devedjian, actuel secrétaire général de l'UMP, qui a fui la Turquie en 1919 en raison du génocide arménien.

La première guerre mondiale et la grippe espagnole laissent la France exsangue, et elle ouvre largement ses frontières pour faire venir la main-d'œuvre dont elle a besoin. En 1924, les organisations patronales, avec l'accord du gouvernement, fondent la Société générale d'immigration, qui introduira en France en l'espace de quelques années, pas moins de cinq cent mille travailleurs étrangers, en majorité Italiens, Espagnols et Polonais. Parmi ces Polonais, un juif du nom de Stanisław « Simkha » Gościnny, qui s'installera à Paris, 42 rue du Fer-à-Moulin. Son fils René sera le créateur des Dalton, de Rantanplan (pas de Lucky Luke), d'Iznogoud, du Petit Nicolas, des Dingodossiers, et surtout d'Astérix, le plus franchouillard des héros Français.

Mais le chômage refait son apparition avec le ralentissement annonçant la crise de 1929. Et la législation refait de l'étranger la variable d'ajustement, quand ce n'est pas le responsable des malheurs des Français, malgré la politique courageuse et visionnaire du gouvernement.

La loi du 11 août 1926 réglemente le travail des étrangers en France et prévoit, sur la carte d'identité d'étranger, l'apposition de la mention « travailleur », subordonnée à la production d'un contrat de travail, le titulaire ne pouvant changer d'emploi avant l'expiration du contrat.

Arrive la crise de 1929. La France est durement touchée. Devinez qui va payer l'addition ?

La loi du 10 août 1932 institue un contingentement de la main-d'œuvre étrangère par profession ou branche de l'industrie ou du commerce. Cette tentative de réponse à la crise économique s'accompagne d'une limitation des entrées d'étrangers sur le territoire français et d'un refus de régularisation des « clandestins ». Oui, la législation qu'on applique encore aujourd'hui (art. 40 de la loi Hortefeux) sous le nom d'immigration “choisie” est héritée d'une législation d'urgence face à la crise de 1929, dont l'Histoire a montré l'efficacité.

Je passerai rapidement sur la politique de Vichy en la matière : au-delà des législations de circonstances mettant en place une politique ouvertement raciste et spécialement les lois anti-juives, soulignons que le gouvernement de Pétain reviendra rétroactivement sur les naturalisations accordées depuis 1927 et organisera un régime de travaux forcés pour les étrangers “en surnombre”.

La Libération voit une remise à plat de toute la législation française, et le droit moderne des étrangers est né à cette époque : le CESEDA n'est que la codification à droit constant opérée en 2004 d'une ordonnance du 2 novembre 1945.

Il s'agissait, selon les mots du Général De Gaulle, « d'introduire, au cours des prochaines années, avec méthode et intelligence, de bons éléments d'immigration dans la collectivité française ». Il faut dire qu'en 1945, les économistes estiment à un million et demi les besoins de main-d'œuvre pour reconstruire le pays. La France accueille largement de la main d'œuvre étrangère, notamment venue des pays d'Europe de l'Est fuyant l'occupation soviétique. Parmi eux, un fils de fonctionnaires hongrois dont les propriétés à Alattyán avaient été confisqués. Il s'appelait Nagybócsai Sárközy Pál, et je vous ai parlé de son fils au début de ce billet.

Malgré la volonté et la nécessité d'ouvrir les portes à l'immigration, ce régime, bien plus simple que l'actuel, va rapidement montrer ses limites, les employeurs préférant recourir à de la main d'œuvre irrégulière et régulariser sa situation après coup. Ce sera le début d'un absurde cycle de régularisations massives - promesse que cette fois c'est fini - durcissement de la législation - régularisation massive. La première aura lieu dès 1948. La dernière à 2006, et la prochaine est en préparation.

Les Trente Glorieuses augmentent les besoins de main d'œuvre et jusque dans les années 60, la France va largement puiser dans les réserves des anciennes colonies et protectorats, où une population, jeune, francophone et connaissant l'administration française est disponible. Parmi eux, un maçon marocain, Mark Dati, arrivera en France en 1963. Sa fille Rachida deviendra magistrat et Garde des Sceaux.

Aujourd'hui, l'obtention d'un titre de séjour par un étranger voulant venir travailler en France est très difficile, et longue (sauf s'il est footballeur professionnel). L'accumulation de barrières administratives a entraîné un accroissement du recours à de la main d'œuvre en situation irrégulière. L'image du patron exploitant sans vergogne des étrangers sous-payés plutôt que des Français trop chers est un pur cliché, version marquée à gauche du cliché marqué à droite de l'étranger volant l'emploi des Français. J'ai reçu assez d'employeurs voulant obtenir la régularisation d'un de leurs employés, qui prenaient en charge mes honoraires, et m'expliquaient leurs années de galère sans trouver celui dont ils avaient besoin jusqu'à ce qu'ils rencontrent celui dont ils demandent la régularisation pour savoir que les deux sont aussi faux l'un que l'autre et révèlent plus les préjugés de celui qui les véhicule.

Mais au fil des alternances, les deux versions de ce cliché ont conduit à ajouter sans cesse des obstacles à la régularisation, même si des signaux existaient déjà révélant l'existence de secteurs “en tension” ne trouvant pas de main d'œuvre. C'est un secret de Polichinelle que la restauration et le bâtiment reposent sur une main d'œuvre en grande partie étrangère sans papier. André Daguin, président de l'Union des Métiers de l'Industrie Hôtelière (UIMH) estime à 50 000 le nombre de ces salariés clandestins dans son secteur. Soit deux fois le nombre d'étrangers qui vont probablement et à grands frais être reconduits à la frontière.

Gouverner, c'est parler clairement, expliquer ses choix. Pas feindre par trois fois de ne pas comprendre la question parce que la réponse contredit trente années de politique à l'égard des étrangers, dont trois lois en quatre ans voulues par l'actuel titulaire de la fonction présidentielle.

J'espère vous avoir armés pour que vous ne vous laissiez plus abuser par de si piètres esquives.

Notes

[1] Rappelons que l'itération est accomplir une deuxième la même action, et que réitérer est le faire une troisième fois.

jeudi 17 avril 2008

Le ministère de l'intérieur n'est pas le ministère de la proximité immédiate

La première chambre civile de la cour de cassation vient de rendre un arrêt qui déclare illégales les salles d'audience aménagées dans les centres de rétention administratives. Chers Confrères, les bonnes nouvelles en la matière étant rares, engouffrez-vous dans la brèche avant qu'elle ne soit comblée en urgence par le parlement.

Les faits étaient les suivants.

Un ressortissant algérien en situation irrégulière a fait l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière pris par le préfet des Bouches du Rhône. Cet arrêté était assorti d'une décision de placement en centre de rétention, c'est-à-dire que par décision préfectorale, l'étranger a été enfermé pour qu'il soit procédé à sa reconduite à la frontière par la force. La loi prévoit toutefois qu'au bout de 48 heures, l'étranger “retenu”, c'est la terminologie officielle, s'il n'a pas été expulsé, doit être présenté par le préfet au juge des libertés et de la détention (JLD) qui peut ordonner le maintien en rétention pour une durée de 15 jours. Lors de cette audience, il doit statuer sur la légalité de l'arrestation et de la privation de liberté si l'avocat de l'étranger soulève des arguments sur ces points.

Cette audience doit en principe se tenir au tribunal de grande instance, mais l'article L.552-1 du Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) prévoit que « si une salle d'audience attribuée au ministère de la justice lui permettant de statuer publiquement a été spécialement aménagée à proximité immédiate de ce lieu de rétention, il statue dans cette salle. »

Notez bien que le juge n'a pas le choix, si une telle salle existe, il doit se déplacer.

Ainsi, à Marseille, le ministère de l'intérieur a aménagé une salle d'audience pour le JLD dans l'enceinte du Centre de Rétention de Marseille (Port de Marseille, bassin d’Arenc, porte C, hangar 3, une salle d'audience dans un hangar, comme c'est symbolique du respect de la République pour sa justice).

Lors de cette audience, l'avocat de ce ressortissant algérien a soulevé l'irrégularité de cette audience au regard de l'article L. 552-1 du CESEDA. Ce que le juge a décidé, l'histoire ne le dit pas, mais la question fut soumise en appel au premier président de la cour d'appel d'Aix en Provence, qui rejeta les arguments de l'avocat de l'étranger.

Le premier président a en effet retenu que la salle d'audience était une véritable salle d'audience et non un simple bureau, spécialement aménagée, disposant d'accès et de fermetures autonomes, située dans l'enceinte commune du centre de rétention, de la police aux frontières et du pôle judiciaire, qu'ainsi il n'existait pas de violation caractérisée des dispositions de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La cour de cassation casse cet arrêt par une décision délicieusement subtile qui réjouira les Immortels (civ. 1e, 16 avril 2008, n°06-20.390). La décision du premier président viole l'article L.552-1 du CESEDA car :

…la proximité immédiate exigée par l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est exclusive de l'aménagement spécial d'une salle d'audience dans l'enceinte d'un centre de rétention.

Hé oui : « proximité immédiate » ne veut pas dire à l'intérieur (d'où le titre de ce billet). Ça veut dire “à côté”. On ne mélange pas les torchons et les serviettes, et le ministère de l'intérieur et celui de la justice.

Bref, toutes les salles d'audiences construites à l'intérieur des centres de rétention sont illégales (il y en a une à Toulouse, ce me semble ?), et tous les jugements de maintien en rétention qui y seraient rendus sont nuls. En cas d'appel, le premier président ne pourrait même pas évoquer, mais seulement constater qu'aucun jugement valable n'est intervenu dans le délai de 48 heures, et devra ordonner la remise en liberté. Les JLD vont devoir regagner leur pénates en attendant qu'une loi modifie précipitamment les mots «proximité immédiate».

À bons entendeurs…

lundi 7 avril 2008

Toutes mes condoléances. Couloir ou fenêtre ?

Le veuvage, ça peut aussi se vivre de loin.

En un mois, la vie d'Elisabeth Guerin a basculé. Cette Béninoise de 38 ans, entrée légalement en France le 16 octobre 2005 pour se marier, menait depuis deux ans une vie heureuse et tranquille. Le 3 octobre 2007, Claude, son conjoint français, meurt d'un cancer. Le second choc survient à peine un mois plus tard, avec l'envoi par la préfecture d'un courrier qui lui refuse le renouvellement de sa carte de séjour et lui donne un mois pour quitter la France.

Vous trouvez les juges inhumains ? Essayez les préfets.

Nous nous connaissions depuis des années, avec Claude. Il venait très souvent au Bénin, et puis un jour il m'a demandée en mariage. Amoureuse, j'ai abandonné les deux salons de coiffure que j'avais, pour faire ma vie avec lui ici”, raconte Elisabeth, qui ne comprend toujours pas l'enchaînement des malheurs qui l'accablent.

C'est en toute confiance qu'en septembre 2007 Mme Guerin, titulaire d'un titre de séjour temporaire, car elle n'avait pas encore trois ans de mariage, commence les démarches nécessaires pour le renouvellement de sa carte.

“Claude était alors encore vivant. Mais j'ai dit à la préfecture que, malade, il ne pouvait plus se déplacer pour signer le dossier. Et après son décès, je suis allée les en informer. Je suis une femme honnête”, explique-t-elle.

En France, l'honnêteté est toujours récompensée, disait le président Chirac. La preuve.

À toutes ses raisons d'être traumatisée s'en est ajoutée une autre : une brève interpellation.

Interpellation n'est pas le mot : c'est incarcération. Sur ordre du préfet. Notez les dates.

Mardi 1er avril, Elisabeth Guerin a été interpellée à son domicile et conduite en centre de rétention à Tours. Jeudi, le juge des libertés et de la détention (JLD) l'a libérée en l'assignant à résidence et en lui ordonnant de se présenter chaque jour à la gendarmerie de sa commune. “Je n'ai plus désormais le droit de travailler”, s'inquiète-t-elle, salariée d'une entreprise d'aide à la personne.

Deux jours en centre de rétention pour une veuve. Monsieur le préfet d'Indre et Loire, vous avez la grande classe. Si vous n'arrivez pas à votre quota d'expulsion pour 2008, je suis prêt à attester auprès de Brice que vous aurez tout fait (quoique... Vous avez essayé les bébés ? Ça ne fait pas de recours, les bébés…)

Le tribunal administratif ayant rejeté le 6 mars le recours qu'elle avait déposé contre la décision du préfet, Elisabeth Guerin attend le jugement[l'arrêt] de la cour [administrative] d'appel, qu'elle a saisi. Mais depuis, elle vit cette attente avec d'autant plus d'angoisse. “Elle est très insérée dans la commune, elle travaille, a un appartement, des amis”, insiste Reine Gasque, une voisine, directrice d'une des écoles maternelles de la commune où s'est constitué un collectif de soutien. “Voilà à quoi conduit la précarisation du séjour ! On n'a pas arrêté de repousser le moment où les conjoints de Français peuvent avoir une carte de résident”, dénonce Nicolas Ferran du mouvement Les Amoureux au banc public, qui défend le droit à une vie normale pour les couples mixtes. Depuis a loi de 2006 [loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration], les conjoints de Français doivent attendre trois ans pour faire la demande d'une carte de résident. Avant cela, un titre de séjour temporaire leur est délivré de plein droit, mais “à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé”.

Le préfet d'Indre-et-Loire a considéré que l'administration ne pouvait renouveler le titre de séjour de Mme Guerin, “même si cette rupture de communauté de vie résulte malheureusement du décès du conjoint français” comme il l'indique dans son courrier. (Article de Laetitia Van Eeckhout)

Comme ce “malheureusement” est élégant. Et parfaitement hypocrite : l'administration peut toujours délivrer un titre de séjour à un étranger. Toujours. Il n'y a pas de cas où elle est obligée de refuser la délivrance du titre. La suite de l'histoire le prouvera.

Et le pire, c'est que ce refus est parfaitement légal.

Juridiquement, voici la situation.

Madame Guérin a sollicité depuis le Bénin un visa pour venir en France afin d'épouser Claude. Une fois arrivée en France, elle a convolé, et a sollicité une première carte de séjour, valable un an, en tant que conjoint étranger de Français (article L.313-11, 4° du Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile, le CESEDA). Cette délivrance est de droit, c'est à dire que le préfet ne peut pas la refuser si la preuve du mariage ET de la communauté de vie sont rapportés. Concrètement, les préfectures demandent des pièces écrites (compte joint en activité, factures EDF aux deux noms, etc...) et tout simplement que les deux époux se présentent ensemble pour co-signer la demande de délivrance de la carte ET pour venir la chercher. Oui, ça fait deux demi journées de travail de perdue pour tous les deux, mais comme tout français qui oserait envisager de vivre avec un étranger est suspecté d'être un fraudeur, bien fait pour lui. Cette carte est valable un an, permet de travailler et son renouvellement est de droit si les conditions sont toujours remplies : preuves de vie commune, l'époux qui se déplace. Ce n'est que lors du renouvellement de la troisième carte qu'enfin, les soupçons de l'administration s'apaisent enfin et qu'elle consent à délivrer une carte de résident, valable 10 ans et renouvelable de plein droit. Bref, que la situation de l'étranger cesse d'être précaire.

Madame Guerin a obtenue une carte de séjour temporaire (CST) une première fois en 2005, a obtenu son renouvellement en 2006. En 2007, la maladie qui devait emporter son mari étant à son stade terminal, celui-ci n'a pas pu se déplacer pour co-signer la demande. Madame Guerin ne le savait pas encore, mais son sort était scellé.

Car lors de l'examen de la demande de renouvellement, l'époux était décédé. Cela ne pouvait pas échapper au préfet, qui en avait été informé par l'intéressée elle même, mais qui en outre aura eu son attention attirée par le fait que le mari ne s'était pas présenté pour cosigner la demande, ce qui impliquait une enquête administrative qui aurait révélé le décès. Et effectivement, le décès met fin à la vie commune entre époux. Il met même fin à la vie tout court, et dissout le mariage, d'ailleurs. Donc Madame Guerin n'étant plus conjointe de français, elle n'avait plus droit à sa carte de séjour. Et comme la loi (article L.511-1, I du CESEDA) lui en donne le droit, il a assorti ce refus de carte de séjour d'une mesure coercitive appelée obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Cette décision peut faire l'objet d'un recours suspensif devant le tribunal administratif dans le délai d'un mois (article L.512-1 du CESEDA). Dans sa grande sagesse, le législateur a décidé que ce type de contentieux bénéficierait d'une carte coupe-file, et devrait être jugé en trois mois. Car vous vous rendez compte ? Un étranger à qui on refuse sa carte et qui n'est pas d'accord : voilà un contentieux prioritaire, plus que l'indemnisation des transfusés atteints de l'hépatite C, des accidents médicaux de l'hôpital public, des victimes des dégâts causés par des travaux publics, que le contentieux fiscal, de l'urbanisme, ou de l'activité de l'administration en général. Ceux là peuvent attendre deux ou trois ans qu'on s'intéresse à eux. La veuve béninoise, voilà l'ennemi.

Ce recours a été exercé et a été rejeté le 6 mars dernier par le tribunal administratif d'Orléans. Et en effet, le droit a été respecté : Mme Guerin étant veuve, elle n'a plus droit à une carte de séjour temporaire conjoint de français. Le préfet avait parfaitement le droit de refuser le renouvellement de cette carte. Ses attaches familiales en France étant décédées, son séjour trop récent pour pouvoir invoquer efficacement la protection de sa vie privée et familiale par la convention européenne des droits de l'homme, ce refus de titre est parfaitement légal. La décision de l'assortir d'une OQTF est à la discrétion du préfet, qui y a vu une bonne occasion de rajouter une croix à ses objectifs d'expulsion[1]. Le juge refusera d'examiner le bien-fondé de cette décision, qui relève de la liberté du préfet.

Madame Guerin a fait appel devant la cour administrative de Nantes (la carte judiciaire des juridictions administratives, que vous trouverez ci-contre, est d'une simplicité qui ferait rêver Rachida Dati,Carte des juridictions administratives (site du Conseil d'Etat) sauf peut être le fait que Nouméa et Papeete soient dans le ressort de la cour administrative d'appel de Paris). Le recours n'est pas suspensif, et devrait être jugé dans un an ou deux. C'est trop long pour le préfet qui a des objectifs pour cette année. Il a donc ordonné l'interpellation de Madame Guerin et son placement en centre de rétention pour une durée de 48 heures, afin d'organiser son expulsion vers le Bénin.

Oui, cette dame a perdu son mari il y a tout juste six mois, a probablement hérité d'une partie de ses biens, voire est peut être propriétaire de la maison qu'elle occupe, mais non, le préfet pense qu'il n'y a rien de plus urgent que de la réexpédier à Cotonou, d'où elle pourra solliciter des visas (payants) pour de brefs séjours de trois mois maximum pour liquider son patrimoine en France ou en profiter. Comme au bout de 48 heures, cette dame n'a pas pu être effectivement expulsée, le préfet a demandé au juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Tours d'ordonner son maintien en rétention pour 15 jours de mieux. J'imagine la tête qu'a dû faire le JLD en lisant ce dossier… L'avocat de Madame Guerin a demandé et obtenu une assignation à résidence (art. L. 552-4 du CESEDA), c'est-à-dire que, l'étranger qui a remis son passeport aux services préfectoraux et qui a des garanties de représentations (du genre le logement qu'il a occupé légalement pendant deux ans et demi) peut, à titre exceptionnel précise la loi, ne pas être maintenu en rétention mais assigné à son domicile en attendant que la préfecture s'occupe des formalités de reconduite au pays d'origine. Oui, vous avez bien lu. Quand un personne commet un crime, la liberté est le principe, la privation de liberté, l'exception. Pour les étrangers, si l'administration le décide, sans avoir à justifier de ses raisons, et bien la liberté devient l'exception. Il m'est plus facile d'obtenir devant un JLD la liberté d'un escroc récidiviste, je pense à un exemple réel, que celle d'un étranger sans casier judiciaire et qui paye ses impôts, pour reprendre un autre exemple réel.

À titre exceptionnel, donc, le JLD de Tours a remis en liberté notre pauvre béninoise à qui rien n'aura été épargné.

Il ne manquait plus qu'une farce pour terminer cette triste affaire, et c'est notre Brice national qui s'est gentiment proposé pour jouer les maîtres Patelin.

ArrêtSurImage.net nous apprend que le ministre du drapeau a lu cet article du Monde et en a été profondément ému. Par courrier électronique adressé à nombre de journalistes, le ministre déclare :

« Le ministre, qui a pris connaissance des faits samedi après-midi à la lecture du journal Le Monde, a immédiatement demandé au préfet de régulariser la situation de Madame GUERIN. Le ministre a estimé que le Préfet avait commis une erreur manifeste d'appréciation: le décès de (…) Claude GUERIN, ressortissant français, ne saurait justifier le non-renouvellement d'une autorisation de séjour de son conjoint étranger en situation régulière. »

Brice The Nice, en somme.

Sauf que.

Sauf que le préfet d'Indre et Loire a parfaitement respecté la loi. La délivrance et le renouvellement de la carte de séjour temporaire au conjoint de français est subordonnée à la qualité de conjoint de Français, ce que le veuf n'est pas. L'article L. 311-8 du CESEDA dit en toutes lettres que «La carte de séjour temporaire et la carte de séjour " compétences et talents " sont retirées si leur titulaire cesse de remplir l'une des conditions exigées pour leur délivrance.»

Il n'est prévu qu'une seule exception : si l'époux français s'est rendu coupable de violences conjugales sur son conjoint, l'administration peut, je dis bien peut, c'est une faculté, pas une obligation, renouveler la carte de séjour[2] (art. L.313-12 du CESEDA). Claude Guerin n'ayant pas eu l'idée de frapper son épouse avant d'expirer, elle ne pouvait même pas invoquer cette protection.

Le juge administratif d'Orléans a d'ailleurs confirmé la légalité de la décision préfectorale obligeant Madame Guerin à quitter le territoire français.

J'emprunterai sa conclusion à mon ami Jules, car c'est grâce à lui qu'en pleine rédaction de cet article, j'ai appris l'intervention du ministre des trois I : rions de peur d'avoir à en pleurer en pensant que c'est la loi Sarkozy du 24 juillet 2006 qui a prévu le retrait automatique du titre de séjour en cas de disparition des conditions de délivrance ; c'est cette même loi qui a empêché Madame Guerin de devenir française au bout de deux ans de mariage, ce délai ayant été porté à quatre ans. C'est cette même loi qui l'a empêché de bénéficier d'une carte de résident de dix ans dès le début de son mariage et l'a contrainte à attendre trois années de vie commune, ce que la maladie ne lui a pas octroyé. Rions de voir aujourd'hui ce proche de l'auteur de cette loi s'exclamer qu'un préfet qui l'applique très exactement commet “une erreur manifeste d'appréciation” quand son résultat est aussi inhumain.

Mais ce résultat est très précisément celui voulu par la loi. À force de voir des fraudeurs partout, on traite tout le monde comme des fraudeurs. Y compris la majorité qui ne l'est pas. Elle est là, l'erreur d'appréciation. Dans la loi elle même. Ayez au moins le courage de l'assumer, monsieur le ministre. Ça nous changera.

Notes

[1] J'emploie ici ce terme dans son sens générique d'éloignement forcé : l'expulsion en droit des étrangers est une décision de reconduite immédiate, par la force, d'une personne présentant un risque de trouble à l'ordre public.

[2] Ce qui, par un tour facétieux, est devenu dans la bouche du président : “toute femme battue peut devenir française”. On voit qu'il n'a jamais été ministre de l'intérieur.

vendredi 11 janvier 2008

Les mésaventures de l'Arche perdue

Les ennuis des membres de l'Arche de Zoé actuellement incarcérés en France en exécution de la condamnation tchadienne ne sont pas terminés.

En effet, trois d'entre eux (le logisticien, le médecin, et l'assistante du dirigeant de l'association ont été mis en examen dans le cadre d'une instruction ouverte en France) ont été mis en examen dans le cadre d'une instruction ouverte à Paris. Deux des membres de l'équipe ayant agi au Tchad ont été placés sous le statut de témoin assisté. Le dirigeant de l'association, encore hospitalisé à Fresnes, n'a pu encore être conduit devant les juges d'instructions en charge du dossier.

Quelques réponses aux questions que vous vous poserez sûrement :

- Sur quels délits l'instruction porte-t-elle ?

Trois, d'après la presse. Le plus grave est la tentative d'aide à l'entrée ou au séjour irrégulier d'étrangers aggravée par la circonstance que cette aide a comme effet d'éloigner des mineurs étrangers de leur milieu familial ou de leur environnement traditionnel (art. L.622-1 et L.622-5 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile), délit passible de 10 ans d'emprisonnement et 750.000 euros d'amende. Le deuxième est le délit d'escroquerie (art. 313-1 du Code pénal), passible de 5 ans de prison, 375.000 euros d'amende, mais je ne sais pas sur quels faits porte cette infraction : serait-ce à l'égard des familles françaises invitées à financer l'opération ? C'est possible car le troisième délit est l'exercice illégal de l'activité d'intermédiaire pour l'adoption ou le placement en vue de l'adoption de mineurs de quinze ans (art. L. 225-19 du Code de l'Action Sociale et des Familles), passible d'un an de prison et 15.000 euros d'amende.

- Pourquoi à Paris ?

L'association l'Arche de Zoé a son siège à Paris. C'est là que ses activités sont domiciliées juridiquement, et que des actes constitutifs des infractions soupçonnées ont été accomplis.

- Quelle conséquences cela peut-il avoir sur le statut des détenus ?

En soi, aucun. Les détenus le sont pour des faits d'enlèvement, et purgent une peine définitive. Ils sont "détenus pour autre cause". Les juges d'instruction n'ayant pas demandé le placement sous mandat de dépôt des mis en examen (j'ignore s'il y a eu placement sous contrôle judiciaire, qui sont des mesures de surveillance et d'interdictions sans privation de liberté), cette mise en examen ne fera pas obstacle à des mesures d'aménagement de peine permettant la sortie des mis en examen. Les témoins assistés, quant à eux, ne peuvent pas faire l'objet d'une détention provisoire ni même d'un contrôle judiciaire.

- En cas de condamnation, les peines s'additionneront-elles entre elles ? Risquent-ils 16 ans de prison ?

Non. En droit français, quand un tribunal condamne un prévenu pour plusieurs délits, il prononce une peine unique pour l'ensemble des délits, dans la limite du maximum prévu pour le plus grave des délits, soit ici dix ans (article 132-3 du Code pénal). Idem pour les amendes.

- Ces peines s'additionneront-elles avec la peine tchadienne ?

Oui, mais à condition qu'elles soient fermes, et jusqu'à un maximum de dix ans. Quand une personne est condamnée à diverses peines de même nature à l'occasion de poursuites séparées, les peines s'additionnent dans la limite du maximum prévu pour le délit le plus grave (ici l'aide à l'entrée aggravée) : article 132-4 du Code pénal. Cependant, le tribunal français qui statuera pourra prononcer la confusion des peines qu'il prononcera avec la peine tchadienne, auquel cas toutes seront purgées en même temps et non à la suite les unes des autres. C'est aux avocats de veiller à présenter une telle demande, même si le parquet peut le faire lui aussi, et si le tribunal peut le décider d'office. Je ne pense pas qu'ici, le tribunal correctionnel ferait des difficultés pour ordonner la confusion des peines.

- Cela aura-t-il une influence sur l'audience du 14 janvier ?

Aucune. L'audience du 14 janvier ne vise qu'à adapter la peine tchadienne de travaux forcés à la loi française. Pas à refaire le procès de N'Djamena, ce dont le tribunal serait incapable, n'ayant pas le dossier, et surtout ce dont il n'a pas le droit, s'agissant d'une décision définitive. Je crains fort que les espoirs nourris par la défense sur ce point ne soient vains. Pour le reste, les mis en examen et a fortiori les témoins assistés sont présumés innocents, et cette instruction est sans incidence sur la question dont est saisi le tribunal de Créteil. C'est pourquoi les juges d'instruction n'ont pas attendu cette audience pour procéder aux mises en examen.

- Et finalement seront-ils jugés à Paris ou à Créteil ?

A Paris, là où l'instruction est menée. Le procès de Créteil n'a lieu que pour l'adaptation de la peine, Créteil étant le tribunal compétent sur la ville de Fresnes, dans le Val de Marne, lieu de détention des prisonniers dont la peine doit être adaptée. Si vous gardez à l'esprit qu'il s'agit de deux procédures totalement distinctes, portant sur des délits séparés, tout sera clair pour vous.

NB : J'ai à dessein évité de citer le nom des personnes impliquées, qui sont présumées innocentes, et dont l'identité n'a en réalité aucun intérêt en ce qui nous concerne, puisque nous faisons du droit et pas du fait divers. Merci de respecter cette règle dans les commentaires.

Et bon week end à tous.

- page 2 de 3 -

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.