Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 24 octobre 2006

mardi 24 octobre 2006

De la responsabilité comparée des avocats et des magistrats

L'annonce de l'examen en Conseil des ministre de ce jour d'un projet de loi de réforme de la justice, outre qu'elle me fait retenir mon souffle, tétanisé par la peur, me rappelle à mes devoirs. Un des volets de cette loi réformera la responsabilité des magistrats, ce qui me rappelle que j'avais commencé à parler de ce thème et que j'avais laissé ce sujet orphelin.

Je rectifie cet oubli et pour éviter un trop grand éclatement, vais traiter le sujet de manière synthétique en comparant directement les deux systèmes en un seul billet. Cela vous permettra de vous faire une opinion mieux étayée quant à ce projet de loi, dont je présenterai bientôt les grandes lignes.

La responsabilité professionnelle des avocats et des magistrats dans l'exercice de leurs fonctions peut revêtir trois aspects, étant d'ores et déjà posé ici qu'en dehors de leurs fonctions, avocats et magistrats sont des citoyens ordinaires.

Ces aspects, que je traiterai en commençant pas les plus similaires pour finir par les plus différents, sont : la responsabilité pénale (l'avocat ou le magistrat commet un délit dans l'exercice de ses fonctions), la responsabilité déontologique ou disciplinaire (l'avocat ou le magistrat commet un manquement aux principes essentiels de sa profession sans que cela soit forcément un délit réprimé par le code pénal), et la responsabilité civile (l'avocat ou le magistrat commet une faute qui cause à autrui un préjudice qu'il y a lieu de réparer).

La responsabilité pénale des avocats et des magistrats.

Le régime est ici très similaire : tous deux sont pleinement responsables des délits qu'ils commettent dans l'exercice de leurs fonctions. Ils peuvent être mis en examen, renvoyés devant le tribunal correctionnel ou la cour d'assises (encore que l'hypothèse d'un crime commis dans l'exercice des fonctions est rare et concerne plus le magistrat, qui peut commettre un faux en écriture publique aggravé, article 441-4 du code pénal, puni de quinze ans de réclusion criminelle), et même être placé en détention provisoire. Et ça arrive.

Objectivement, l'avocat est mieux loti. Je ne connais pas de qualification criminelle qui puisse être liée à l'exercice de ses fonctions (abattre un confrère en plein prétoire n'est pas lié aux fonctions d'auxiliaire de justice, encore que dans le cas d'un avocat intarissable et ennuyeux, cela se plaide...), et il jouit même d'une immunité, dite « immunité de la robe ». En effet, l'avocat est protégé, dans ses écritures judiciaires (assignation, conclusions, citation...) et dans ses plaidoyers contre les délits d'injure, de diffamation et d'outrage. C'est l'article 41 al. 3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui pose cette immunité (que nous partageons avec les parlementaires). La cour de cassation a récemment jugé que cette immunité s'appliquait même quand les écritures mettent gravement en cause la probité du magistrat qui a rendu la décision attaquée en des termes particulièrement outrageants : Crim. 11 oct 2005. La liberté de parole de la défense d'une valeur supérieure à la répression des abus de la liberté d'expression.

Hormis cette immunité, tout délit commis par un avocat ou un magistrat dans l'exercice de ses fonctions est passible des tribunaux répressifs selon le droit commun.

Léger avantage à l'avocat donc en cette matière.

La responsabilité disciplinaire des magistrats et des avocats.

L'un et l'autre sont tenus de par leurs fonctions au respect d'un certain nombre de principes dont la transgression donne lieu à une action disciplinaire pouvant aboutir à des sanctions.

Le droit disciplinaire se distingue du droit pénal par le fait que le premier peut reposer sur des textes posant des principes vagues et généraux laissant un grand pouvoir d'appréciation à l'autorité disciplinaire, tandis que le droit pénal doit s'interpréter strictement et que tout doute profite au prévenu.

Les valeurs essentielles des magistrats sont à l'article 43 al. 1 de l'ordonnance 58-1270 du 23 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire.

Quand je parle de principes vagues...

Les poursuites sont engagées par le Garde des Sceaux, qui saisit le CSM[1] pour qu'il prononce une sanction si le magistrat est du siège (c'est à dire est un juge), afin de préserver l'indépendance des juges du pouvoir exécutif, ou pour un avis s'il est du parquet (c'est à dire est un procureur), la sanction restant du ressort du ministre en vertu de la subordination hiérarchique de celui-ci.

Les sanctions qui peuvent être prononcées sont, par ordre de gravité : 1° La réprimande avec inscription au dossier ;
2° Le déplacement d'office ;
3° Le retrait de certaines fonctions ;
4° L'abaissement d'échelon ;
4° bis L'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximum d'un an, avec privation totale ou partielle du traitement ;
5° La rétrogradation ;
6° La mise à la retraite d'office ou l'admission à cesser ses fonctions lorsque le magistrat n'a pas le droit à une pension de retraite ;
7° La révocation avec ou sans suspension des droits à pension.

Notons pour ceux qui ne manquent pas de souligner qu'Untel, juge de son état, aurait été immanquablement viré s'il avait été salarié et avait commis une faute, que le droit du travail interdit toute sanction aboutissant à une perte ou une diminution de salaire (hormis le licenciement, qui donen droit à l'assurance chômage et n'interdit pas de chercher un autre emploi), et qu'en aucun cas un salarié ne peut perdre son droit à toucher sa retraite, quand bien même eût-il assassiné son employeur. Un magistrat peut se retrouver révoqué sans droit à pension, c'est à dire condamné au RMI puis au minimum vieillesse, la fonction publique lui étant définitivement fermée.

Pour l'avocat, ce n'est pas très différent. La loi est plus claire en apparence sur les principes essentiels, qui l'emportent en nombre sur ceux des magistrats.

Ils se trouvent actuellement dans le décret du 12 juillet 2005, article 3 :

L'avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.

Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d'honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.

Il fait preuve, à l'égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence.

Le décret ajoute plus loin l'obligation de respecter le secret professionnel, et plusieurs obligations spécifiques, toutes passibles de sanctions disciplinaires : loyauté avec la partie adverse, respect du contradictoire, déférer aux commissions d'office, etc.

L'autorité de poursuite est le bâtonnier de l'ordre qui reçoit les plaintes, les instruit (il mène une enquête pour recueillir les éléments de preuve sur les faits imputés) et transmet le dossier au Conseil de discipline, qui en province a une compétence régionale, tandis qu'à Paris l'Ordre a des formations de jugement spécifiques (rappelons que la moitié des avocats de France sont au Barreau de Paris, ce qui justifie qu'il ait des règles adaptées à sa taille pantagruélique). Les décisions du Conseil de discipline sont susceptibles d'appel devant la première chambre de la cour d'appel. Le procureur général de la cour d'appel peut mettre en mouvement l'action disciplinaire en saisissant directement le conseil de discipline qui doit statuer sous quinze jours. Si l'instance n'a pas statué dans ce délai, le conseil de discipline est réputé avoir rejeté la demande de sanction et le procureur général peut saisir la cour d'appel d'un recours contre ce refus. Cela arrive. Nous sommes donc sous le contrôle des juges, et c'est normal. Notons que les audiences où sont jugés les recours disciplinaires sont tenues en la forme solennelle : magistrats en robe rouge, toutes lumières allumées, et ce sont cinq (ou sept ?) magistrats qui composent la cour et non trois.

Les sanctions pouvant frapper un avocat sont, en ordre de gravité (article 184 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991) :

1° L'avertissement ;
2° Le blâme ;
3° L'interdiction temporaire, qui ne peut excéder trois années ;
4° La radiation du tableau des avocats, ou le retrait de l'honorariat.

L'avertissement, le blâme et l'interdiction temporaire peuvent comporter la privation, par la décision qui prononce la peine disciplinaire, du droit de faire partie du conseil de l'ordre, du Conseil national des barreaux, des autres organismes ou conseils professionnels ainsi que des fonctions de bâtonnier, pendant une durée n'excédant pas dix ans .

L’instance disciplinaire peut en outre, à titre de sanction accessoire, ordonner la publicité de toute peine disciplinaire.

La radiation interdit définitivement l'exercice de la profession, mais n'interdit pas de percevoir la retraite pour peu que l'avocat ait cotisé la durée légale minimale (qui est, tenez vous bien, de quinze années), puisqu'il est soumis au droit commun des professions libérales : ce sont ses cotisations et non sa qualité qui lui ouvre droit à pension.

Terminons en soulignant que la commission d'une infraction pénale par un magistrat ou un juge[2] avocat, même dans le cadre de leur vie privée, est une faute disciplinaire pouvant donner lieu, OUTRE la sanction pénale, à une peine disciplinaire. Les procureurs généraux saisissent ainsi systématiquement les conseils de discipline quand un avocat est poursuivi pour conduite en état d'ivresse.

Je dirais égalité ici, encore que le nombre de décisions rendues en matière disciplinaire soit proportionnellement beaucoup plus important chez les avocats que chez les magistrats. Ces derniers mettront cela sur nos turpitudes, pour ma part, je pense que le système disciplinaire marche chez les avocats, alors que chez les magistrats, il laisse encore à désirer. Tous les magistrats connaissent un collègue qui traite ses dossiers avec une lenteur désespérante, se débrouille pour refiler le boulot aux autres quand il siège en juridiction collégiale ou est au parquet, tombe malade dès qu'on lui donne du travail et quand il est nommé ailleurs, laisse un cabinet sinistré où des dossiers sont prescrits, désordonnés, ou disparus. Je ne parle pas de ceux qui sombrent en dépression au point de devenir inapte à leurs fonctions. Ils sont rares, mais le système n'est pas fait pour éliminer ces éléments insuffisants une fois qu'ils ont prêté serment. Je ne crois pas qu'aucune organisation syndicale ne s'opposerait à un meilleur contrôle, sanctionnant les insuffisances et récompensant mieux les éléments méritants (qui se reconnaissent au fait qu'ils lisent mon blog), à condition qu'il offre des garanties pour ne pas servir de moyen de pression sur les magistrats. Mais la méthode utilisée en matière de réformes de la justice est rarement la concertation, l'opposition professionnelle étant invariablement mise sur le compte du dorporatisme. La nouvelle loi en sera une nouvelle illustration.

La responsabilité civile des avocats et magistrats.

C'est là que les régimes sont le plus différents, à l'avantage cette fois du magistrat.

J'ai déjà traité de la responsabilité civile des avocats ici.

Résumons : un avocat qui commet une faute causant un préjudice à son client est tenu de l'indemniser. Pour cela, il contracte par l'intermédiaire de son ordre une assurance obligatoire. Les cas les plus fréquents sont l'avocat qui laisse s'écouler un délai à l'issue duquel son client est privé du droit d'agir (on appelle cela être forclos) : par exemple, qui ne fait pas appel de la condamnation de son client dans le délai de dix jours malgré les instructions qu'il a reçues en ce sens.

L'avocat est dans ce cas soumis au droit commun et peut être assigné en justice. Tout au plus peut-il demander à ce que l'affaire soit jugée par un tribunal voisin du barreau où il exerce.

Par contre, un magistrat qui commet une faute qui cause un préjudice à un justiciable (j'exècre ce mot mais il est parfois bien pratique) n'est pas tenu à réparation et surtout ne peut pas être assigné en justice par la victime de cette faute.

Cette immunité, qui n'est que relative, est souvent mal interprétée.

Il ne s'agit pas de faire des juges des entités omnipotentes et irresponsables, libres d'abuser de leurs fonctions et de les remplir avec négligence sans que quiconque puisse trouver à y redire. Il faut être idiot ou candidat à la présidentielle pour affirmer de telles inepties.

Les juges remplissent une mission des plus difficiles : dire le droit (juris dictio) en interprétant la loi et en prenant des décisions qui engagent l'autorité de l'Etat puisqu'il peut recourir à la force pour les exécuter. Ils privent certains citoyens de leur liberté ou de leurs biens, fut un temps de leur vie, ou tranchent des conflits portant sur des sommes considérables. Pour que cette mission puisse être remplie, le juge doit être indépendant, c'est à dire à l'abri de toute pression. Des criminels. Des puissances financières. Des politiques. Des procéduriers. C'est à ce prix que les citoyens pourront avoir confiance dans leur justice. Quels que soient les sujets de mécontentement que nous pouvons avoir à l'égard de nos juges, en France, nous pouvons saisir un juge en ayant confiance dans le fait qu'il tranchera de manière impartiale et selon le seul droit. Il y a beaucoup d'habitants d'autres pays qui nous envient cela comme un privilège, eux pour qui un procès est décidé par qui fait le plus beau cadeau au juge ou qui peut le menacer de mort à son domicile.

Comment se traduit cette nécessaire indépendance ? Pas par l'irresponsabilité. Par le fait que l'Etat assume directement cette responsabilité. Si un juge commet une erreur fautive, c'est à dire dont on peut établir qu'il n'aurait pas dû la commettre compte ten udes éléments qu'il avait à sa disposition, l'Etat indemnisera la victime de ce dysfonctionnement (ce mécanisme fera l'objet d'un billet à part entière). Exactement comme l'Etat assume les dégats que causent les militaires au cours de manoeuvres, ou les travaux publics. Un plaideur ne peut pas se retourner au civil contre son juge. Il ne le pourra que si le juge a commis un délit dans l'exercice de ses fonctions, puisqu'il s'agit de responsabilité pénale. Je me souviens qu'il y a quelques années, Robert de Niro avait porté plainte contre un juge d'instruction qui l'avait fait interpeler sans ménagement au cours d'un tournage. Je ne me souviens pas des suites, mais je crois me souvenir que le juge avait été cité en correctionnelle.

Le juge ne s'en tire pas aussi facilement, toutefois. Si l'erreur qu'il a commise révèle une faute, le juge peut voir une action disciplinaire engagée, et l'Etat peut exercer également ce qu'on appelle l'action récursoire, c'est à dire lui demander de rembourser les sommes que l'Etat a dû verser à la victime de sa faute[3].

Concrètement, cette action est rarissime. Pour tout dire, je n'ai pas trouvé trace d'une seule action récursoire engagée contre un juge. Il demeure que cette possibilité existe : le juge n'est pas à l'abri de devoir supporter les conséquences financières d'une erreur grossière qu'il commettrait. A l'Etat d'assumer ses resposnabilités et d'utiliser les moyens que la loi lui donne, plutôt que de réformer la loi sans jamais l'appliquer comme il a tendance à le faire, préférant les effets d'annonce au journal de TF1 qu'au journal officiel.

Je concluerai en insistant sur un dernier point.

La moindre erreur n'est pas fautive pour un juge. Pour un avocat non plus d'ailleurs.

Les juges sont humains, peuvent se tromper, et sans commettre de faute. Des erreurs judiciaires, il s'en commet des centaines chaque jour : le parquet classe sans suite une plainte fondée, un juge relaxe un coupable faute de preuve. Ce sont des erreurs : le plaignant se sent abandonné, le coupable relaxé me félicite chaleureusement. Elles ne sont pas fautives : le procureur a estimé que les faits dénoncés n'étaient pas suffisamment établis ou que l'auteur ne pouvait être identifié (par exemple, une plainte d'une jeune femme qui a été pelottée dans le métro...), et le juge qui a relaxé faute de preuve a correctement fait son travail. Il arrive d'ailleurs que des juges relaxent tout en étant au fond d'eux convaincus que le prévenu était bien coupable.

Notes

[1] Le CSM tient u nrecueil des décisiosn rendues depuis 1946, accessible en ligne ici. Les décisions P concernent le parquet, S le siège, c'est à dire les juges.

[2] Erreur de plume signalée par Gascogne, merci à lui.

[3] Précision à la suite d'une remarque de Paxatagore en commentaires : cette action récursoire existe à l'égard de tous les fonctionnaires, elle n'est pas réservée aux magistrats. Il me confirme que cette action n'est jamais exercée.

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