Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Soyez le juge

Glissez-vous dans la robe.

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mardi 20 mars 2012

Soyez le JAF (1) : le délibéré

L’audience de la semaine passée avait commencé à 09h05. Eléa et Païkan ont attendu le délibéré avec la boule au ventre.

En s’arrêtant au commentaire #190, on relève que parmi les commentateurs :

- 6 personnes se sont prononcées en faveur d’une résidence habituelle chez la mère (avec un droit de visite et d’hébergement pour le père),

- 9 personnes se sont prononcées en faveur d’une résidence provisoire chez la mère, dans l’attente des résultats d’une mesure avant dire droit (enquête sociale et/ou expertise médico-psychologique),

- 8 personnes se sont prononcées en faveur d’une résidence alternée « définitive », c’est-à-dire sans mesure avant dire droit,

- 4 personnes se sont prononcées en faveur d’une résidence alternée provisoire, avec réexamen de la situation dans X mois, sans pour autant ordonner de mesure avant dire droit,

- 9 personnes se sont prononcées en faveur d’une résidence alternée provisoire avec mesure avant dire droit.

Soit 15 commentateurs (42%) en faveur de la fixation de la résidence des enfants au domicile de la mère (à titre habituel ou provisoire) et 21 commentateurs (58%) pour la résidence alternée (habituelle ou provisoire).

Par ailleurs, 23 mesures avant dire droit ont été ordonnées en tout, dont 16 enquêtes sociales familiales et 7 expertises médico-psychologique, parfois de façon cumulative.

*

* *

Au préalable, il convient de rappeler que les réflexions qui figurent dans ce billet sont personnelles et que le délibéré qui est proposé ne prétend pas être la seule solution qui puisse être donnée au litige opposant Eléa et Païkan. La justice est rendue par des êtres humains qui, en appliquant les mêmes textes de lois, peuvent parfois porter une appréciation différente sur les mêmes faits (Pour Paul Ricoeur, la finalité courte de l’acte de juger consiste à trancher le litige, « en vue de mettre un terme à l’incertitude », et la finalité longue est la contribution à la paix sociale (« L’acte de juger », Le juste, 1995). La part faite à la vérité et à la justice comme deux absolus est donc assez restreinte, et de ce point de vue le juge, même civiliste, est plus un régulateur social qu’un grand sage.). Les voies de recours sont d’ailleurs faites pour permettre à chacun de voir sa cause rejugée par un autre juge, et pour uniformiser les jurisprudences.

Mais avant tout, comment font Eléa et Païkan dans l’attente du délibéré ?

En moyenne, les délibérés du juge aux affaires familiales (hors divorce) interviennent entre quinze jours et un mois après l’audience. Dans un tribunal en crise, ce délai peut aisément être dépassé. Certains d’entre vous se sont donc interrogés : que font les parents pendant ce temps ? Qui est dans son bon droit ?

Lorsque les justiciables disposent d’une précédente décision judiciaire (comme par exemple leur divorce, ou un précédent jugement du JAF), celle-ci demeure en vigueur jusqu’à ce qu’elle soit éventuellement modifiée par une nouvelle décision. Ce n’était pas le cas d’Eléa et Païkan, qui viennent d’un monde idéal où les JAF n’existent pas.

Tous deux ont reconnu chaque enfant dans l’année de sa naissance et l’autorité parentale est donc exercée en commun. Or la résidence de l’enfant est l’une des questions relevant de l’autorité parentale. Dans l’attente du délibéré, Eléa et Païkan devraient donc prendre, d’un commun accord, une décision concernant la résidence de leurs enfants, et à défaut d’accord… saisir le JAF. Joli syllogisme. Eléa et Païkan sont donc condamnés à attendre.

Comment faire autrement ? Le juge doit avoir le temps de réfléchir à froid (la prise de décision à chaud est la plus mauvaise des solutions), prendre connaissance des pièces, parfois nombreuses, lire les conclusions des parties lorsqu’il y en a, prendre une décision, la rédiger sur son ordinateur, la relire, l’envoyer à son greffe pour qu’il la mette en forme et l’imprime, la relire à nouveau, la signer et l’adresser aux avocats ou directement aux justiciables lorsqu’ils n’ont pas d’avocat. Tout cela pour chaque dossier. Ce temps incompressible est celui du délibéré.

Nous sommes samedi et le juge a enfin le temps de rédiger ses décisions. Par précaution, il relit quand même l’article 373-2-11 du code civil, lequel dispose que, « lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge prend notamment en considération :

1° La pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure ;

2° Les sentiments exprimés par l’enfant mineur dans les conditions prévues à l’article 388-1 ;

3° L’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre ;

4° Le résultat des expertises éventuellement effectuées, tenant compte notamment de l’âge de l’enfant ;

5° Les renseignements qui ont été recueillis dans les éventuelles enquêtes et contre-enquêtes sociales prévues à l’article 373-2-12 ;

6° Les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre. »

Suivons donc le raisonnement étape par étape.

1. La pratique antérieure des parents

Le plus souvent, la pratique antérieure des parents est facile à déterminer car elle ne souffre aucune discussion. Les parents indiquent que depuis leur séparation les enfants sont chez l’un ou chez l’autre ou en résidence alternée, ou encore que depuis le mois de septembre le petit frère est venu habiter chez son père, etc. Ce n’est pas le cas d’Eléa et Païkan, pour qui on en est réduits à deviner quelle était exactement leur pratique antérieure. Quels sont donc les faits constants, c’est-à-dire les faits non contestés par les parties ?

- il y a manifestement eu une période post-séparation de juin 2011 à mi-octobre 2011 où le père voyait beaucoup plus les enfants qu’il ne les a vus ensuite. Il est vraisemblable qu’il s’agissait d’une sorte de résidence alternée puisque la directrice de la crèche parle d’« une semaine sur deux » (sur une période d’un mois toutefois très courte, dont on peut se demander si elle est pertinente) et que le père a consulté le médecin pour ses enfants au moins une fois un mardi, c’est-à-dire en pleine semaine. Toutefois, aucun des proches de Païkan attestant pour lui ne fait état d’une quelconque résidence alternée en septembre-octobre. C’est donc assez louche et on n’en saura pas plus. Et s’il y a eu une résidence alternée, était-elle vraiment souhaitée par les deux parents ou bien Eléa la subissait-elle comme elle le prétend ? Ici encore, nous n’en saurons rien. Enfin, s’il y a eu une résidence alternée, était-elle de l’intérêt des enfants et le juge doit-il la faire sienne ?

- à compter de la mi-octobre, Païkan a beaucoup moins vu ses enfants, qui résidaient désormais totalement chez Eléa, suite à une décision unilatérale de la mère. Depuis, il ne les voit que certains week-ends, au bon vouloir d’Eléa.

Dans ce dossier, comme cela arrive parfois, ni les avocats, ni les parties elles mêmes, ni les pièces du dossier ne permettent de savoir avec précision la pratique qui a été celle des parents pendant quatre mois.

2. Les sentiments exprimés par l’enfant mineur

L’article 388-1 du code civil prévoit que, dans toutes les procédures qui le concernent, l’enfant peut demander à être entendu par le juge. Cette audition est de droit et ne peut être refusée que si l’enfant n’est pas discernant.

Comme en matière pénale, le législateur n’a pas fixé dans la loi l’âge de discernement de l’enfant et il appartient à chaque juge d’estimer, au cas par cas, si un enfant est discernant et peut en conséquence être entendu. Dans le cas qui nous occupe, Léo et Léa sont trop jeunes pour être regardés comme discernants et nous devrons donc nous passer de leur avis.

3. L’aptitude des parents à assumer ses devoirs et à respecter les droits de l’autre


Sur les qualités éducatives de chacun des deux parents

Rien ne permet de remettre en cause les qualités éducatives et pédagogiques des deux parents. Celles de la mère ne sont pas du tout remises en cause par le père. Quant au père, les attestations versées aux débats et notamment celle du médecin suffisent à écarter tous les doutes formulés indirectement par la mère.

Sur le « coup de force » d’Eléa


Certains commentateurs ont relevé que laisser les enfants chez Eléa au motif qu’ils y sont depuis quatre mois et ne s’y trouvent pas malheureux serait entériner son coup de force de la mi-octobre. C’est déjà une interprétation des faits, car il n’est pas démontré qu’il existait une résidence alternée auparavant et, même si elle existait, il n’est pas certain qu’il ne s’agissait pas cette fois-ci d’un coup de force du père.

Mais même à supposer qu’Eléa ait accompli ce coup de force, que faudrait-il en conclure ? Qu’il faut faire vivre les enfants chez le père, pour punir la mère ? Imaginons par exemple une femme quittant le domicile familial avec les enfants et refusant de les confier à un père violent : le coup de force ne serait-il pas pour autant, en l’espèce, conforme à l’intérêt des enfants ? Si les enfants sont bien chez Eléa depuis quatre mois, il n’est pas totalement absurde de considérer que leur intérêt peut passer par la préservation de cette stabilité. Le JAF n’a pas à punir un parent ni à récompenser l’autre, il est là pour préserver l’intérêt des enfants.

Il ne s’agit pas d’encourager ou de légitimer un quelconque coup de force mais simplement de rappeler que le droit ne peut pas se soustraire à la réalité et doit bien composer avec elle.

4. Les mesures avant dire droit

Une enquête sociale et/ou une expertise médico-psychologique apporteront toujours une plus value au dossier et des éléments de motivation. Mais ces mesures sont coûteuses en argent et en temps. Une enquête sociale, c’est 650 €(À la charge de la partie ou des parties condamnée(s) aux dépens, ou du trésor public en cas d’aide juridictionnelle) et 3 à 6 mois de délai, outre l’organisation d’une seconde audience, avec une seconde décision à rendre. Comme indiqué dans le premier billet, le délai pour être convoqué devant le JAF varie de 3 à 10 mois environ, selon la situation du tribunal. À moyens constants, ordonner trop de mesures avant dire droit revient à prendre le risque de faire doubler ces délais.

Ces mesures doivent donc présenter un véritable intérêt. Il n’apparaît utile de les ordonner que si l’on croit qu’elles permettront de mieux trancher lorsqu’on reverra les parties à la deuxième audience. Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, il apparaît évident qu’Eléa et Païkan ont chacun leurs faiblesses, leur vécu, leurs difficultés, et qu’une mesure avant dire droit permettrait d’en savoir plus à ce sujet. Mais cela n’apparaît pas pour autant indispensable : il est intéressant de relever qu’aucun avocat n’a suggéré une telle mesure, que les qualités éducatives de chacun des parents ne sont pas valablement remises en cause, pas plus que l’attachement des enfants à leurs deux parents. Il n’y a aucun élément d’inquiétude particulier.

En tout état de cause, s’il l’on voulait vraiment ordonner une mesure avant dire droit dans ce dossier, il s’agirait plus probablement d’une enquête sociale, car ni l’épisode de violences du père ni la dépression de la mère ne suffisent à caractériser des profils psychologiques ou psychiatriques si complexes qu’une expertise médico-psychologique apparaisse indispensable. À l’inverse, l’enquête sociale permettrait, au passage, d’approfondir le vécu du couple parental, de détailler les conditions d’hébergement des enfants au domicile de chacun des deux parents (et surtout du père, puisqu’il dit lui-même que c’est petit) et la façon dont les enfants réagissent au contact de chacun de leurs parents.

Enfin, certains ont proposé une résidence alternée provisoire avec une nouvelle étude de la situation dans quelques mois. C’est tout à fait envisageable, mais le risque est de n’avoir aucun élément nouveau lors de la prochaine audience si chacun des parents maintient sa demande et tire de la résidence alternée provisoire le bilan qui l’arrange. Dans ce cas, il apparaît intéressant de doubler cette décision d’une mesure d’enquête sociale afin de disposer d’éléments d’appréciation complémentaires.

5. Sur les violences du père

Les violences sont reconnues par Païkan, quoique visiblement minimisées. Le seul épisode dont on a la preuve s’est produit plus d’un an avant la séparation du couple et les attestations versées aux débats ne reviennent pas sur le caractère éventuellement violent du père. La réponse pénale est restée modérée, puisque le ministère public a ordonné une médiation pénale, mesure alternative aux poursuites qui suppose la reconnaissance des faits par l’auteur et l’acceptation de cette mesure par la plaignante. Il n’a jamais été allégué la moindre violence en la présence ou sur les enfants, de sorte que le contexte dans lequel elles se sont produites n’existe plus et que le risque pour les enfants apparaît nul. Dans notre dossier, les faits de violences n’apparaissent donc pas réellement pertinents pour la prise de décision, même si un rappel dans la motivation sera utile comme l’a judicieusement rappelé le maître des lieux, afin de ne pas faire comme si ces violences n’avaient jamais existé.

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Voici quelques éléments de débat et de réflexion sur les questions posées par ce cas pratique.

Sur la résidence alternée

Il n’est pas question ici d’émettre un avis de principe en faveur ou contre la résidence alternée (Les lecteurs qui souhaiteraient se faire un avis à ce sujet pourront par exemple lire avec profit le numéro de l’AJ Famille du mois de décembre 2011, dont le dossier spécial traite de la résidence alternée), ce débat dépassant de loin le cadre de ce billet. Voici simplement quelques éléments de réflexion :

- le législateur de 2002 a prévu la résidence alternée à l’article 373-2-9 du code civil. Ce faisant, il n’a fixé aucune condition d’âge, et notamment aucun âge minimal. Cela signifie que tout raisonnement qui consiste à poser comme principe qu’un enfant de tel âge est trop jeune pour une résidence alternée est un raisonnement contraire à la loi. Encore faudra-t-il le démontrer et le dire autrement : pour rejeter une demande de résidence alternée, il faudra pour le juge expliquer en quoi, dans cette situation donnée, la résidence chez un des deux parents préserve mieux les intérêts de l’enfant que la résidence alternée.

- certains ont relevé une mésentente entre les parents, qui pourrait empêcher la résidence alternée. Néanmoins, on ne peut pas poser en condition sine qua non d’une résidence alternée la bonne entente des parents, sauf à prendre le risque de laisser le parent défavorable à cette mesure entretenir le conflit.

- le législateur n’a pas prévu que la résidence alternée serait le fonctionnement de principe(La proposition de loi en ce sens semble d’ailleurs n’avoir reçu aucune suite). Pour Léo et Léa, l’incidence n’est pas des moindres : il ne suffit pas de constater que la résidence alternée est réalisable (ce qui reste d’ailleurs à démontrer, notamment avec 25 minutes de trajet en voiture matin et soir) et qu’aucun des deux parents ne présente de danger pour les enfants, car ce raisonnement viserait, par la négative, à ne pas exclure l’application du principe de la résidence alternée. Mais, comme en droit positif la résidence alternée n’est pas de principe, il faut démontrer, positivement cette fois-ci, qu’elle répond bien à l’intérêt des enfants.

Sur la résidence chez le père ou chez la mère

Dans le cas qui nous occupe, Païkan ne demandait pas la fixation de la résidence habituelle des enfants à son domicile. Cette hypothèse n’était donc pas envisageable pour le juge, qui reste lié par les demandes des parties.

Les statistiques réalisées par le ministère de la justice (à propos des divorces), sont très éclairantes. Il en ressort (Rapport du Secrétariat général du ministère de la justice, 2009) que, tous types de divorces confondus, en 2007, la résidence des enfants était fixée chez le père dans 7,9 % des cas, chez la mère dans 76,8 % des cas et en alternance dans 14,8 % des cas.

Une lecture hâtive de ces chiffres pourrait conforter la théorie selon laquelle il existe une réelle injustice des juges envers les pères. Toutefois, ces statistiques concernent les décisions rendues et sont donc à corréler avec des statistiques concernant les demandes des parents (Je n’ai pas trouvé de telles statistiques sur Internet, avis aux commentateurs…). Le juge étant lié par les demandes des parties, il ne sera pas étonnant que peu de pères obtiennent la résidence de leurs enfants si peu d’entre eux en font la demande. C’est une hypothèse de réflexion dont nous reparlerons un peu plus bas.

Ces données sont donc insuffisantes pour tirer des conclusions définitives. Elles permettent cependant de constater trois choses :

- dans le divorce par consentement mutuel, où les deux époux se mettent d’accord entre eux sans l’intervention d’aucun juge (Le juge aux affaires familiales n’intervient que pour homologuer la convention des parties en vérifiant qu’elle respecte, notamment, l’intérêt des enfants), le taux de résidences alternées est certes le plus élevé (21,5 %) mais demeure relativement limité (moins d’une famille sur quatre), et le taux de résidences chez le père est le plus faible (6,5 %) ;

- dans un divorce accepté, qui est un divorce contentieux (Il existe en France quatre types de divorces. Tout d’abord, le divorce par consentement mutuel, qui est un divorce gracieux : le JAF homologue la convention de divorce préparée par les parties et prononce leur divorce. Les trois autres divorces sont contentieux (le juge tranche alors un litige) : il s’agit du divorce dit « accepté », où les parties sont d’accord sur le principe de la rupture du mariage mais pas sur toutes les conséquences (argent, enfants etc), le divorce pour faute et le divorce pour altération définitive du lien conjugal, qui peut être prononcé à la demande d’une partie seulement, lorsqu’elle justifie que les époux ont cessé de vivre ensemble depuis au moins deux ans), c’est-à-dire où le juge tranche, le taux de résidence chez le père (9,1 %) est supérieur à celui des divorces par consentement mutuel (6,5 %) et même à la moyenne tous divorces confondus (7,9 %) ; à l’inverse, le taux de résidences alternées chute à 10,7 % ;

- la part des résidences fixées chez le père n’est jamais aussi importante (11,1 %) que lorsque le divorce est très conflictuel, comme les divorces pour faute (Ce chiffre s’explique toutefois bien plus par la chute vertigineuse de la résidence alternée – 4,4 % – probablement en raison du caractère souvent trop conflictuel de la situation, que par une désaffection des mères, pour qui le taux de fixation de la résidence culmine à 83,9% dans ce type de procédures).

Si l’on pose l’hypothèse selon laquelle, lors d’un divorce par consentement mutuel, aucun des époux n’est manipulé par l’autre ni contraint, on constate que 71,8 % des familles, et donc 71,8 % des mères et 71,8 % des pères, souhaitent que la résidence des enfants soit fixée chez la mère (Certains commentateurs du billet précédent ont soutenu que les pères se voyaient déconseiller par leur avocat de demander la résidence de leur enfant. C’est méconnaître la réalité du système judiciaire : tout d’abord, pourquoi un avocat déconseillerait-il cette demande à son client ? Le seul risque d’une telle demande est qu’elle soit rejetée, ce qui revient exactement au même que de ne pas la formuler… Mais surtout, en procédure hors-divorce, comme c’est le cas d’Eléa et Païkan, l’avocat n’est pas obligatoire et plus de la moitié des dossiers sont des dossiers sans avocats : qui, cette fois, aurait alors manipulé le père ? Ces théories ne convaincront que ceux qui veulent absolument se croire victimes d’un complot des juges et des avocats contre les pères du monde entier…). Dès lors, l’hypothèse évoquée plus haut et selon laquelle le faible taux de résidences alternées et de résidences chez le père résulterait, pour une large part, du faible taux de ces demandes chez les pères, apparaît relativement valable, même si elle demande à être confortée par des statistiques.

Et l’idée que les juges trancheraient en défaveur des pères n’apparaît donc pas évidente.

Sur la contribution alimentaire

Une bonne méthode de raisonnement consiste ici à déterminer le coût mensuel que représente un enfant pour ses parents, notamment en fonction de son âge et du nombre d’enfants du couple, puis de le répartir entre les deux parents au prorata de leurs ressources respectives, en estimant que le parent qui héberge habituellement l’enfant contribue en nature tandis que l’autre parent contribue sous la forme d’une pension alimentaire (Par exemple, si un enfant coûte 500 € par mois, qu’il vit chez sa mère, que celle-ci a un salaire de 1.200 € et le père de 3.000 €, le rapport des revenus des parents est de 29 % pour la mère et de 71 % pour le père, donc la pension alimentaire de ce dernier devrait, en théorie, être de (500 € x 0,71) 355 € par mois).

Il est toutefois difficile d’estimer précisément le coût réel d’un enfant. Il y a les frais faciles à quantifier : couches, vêtements, soins… et les frais plus ou moins masqués parce que dilués dans les dépenses des parents : alimentation, logement, voiture… Et même à supposer que l’on puisse établir de façon incontestable le coût d’un enfant, il reste ensuite à adapter la pension alimentaire aux facultés contributives du parent qui en est débiteur.

Diverses tentatives de rationalisation ont été réalisées mais ne revêtent pour les juges qu’un caractère purement indicatif. Il s’agit par exemple, en Allemagne, du barème de Dusseldorf ou, chez nous, du barème établi par la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) (La DACS est l’une des quatre directions du ministère de la justice avec la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), la Direction de protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) et la Direction de l’administration pénitentiaire, DAP). Ces grilles peuvent servir à fixer des ordres de grandeurs, la pension variant ensuite nécessairement en fonction de la situation financière et personnelle de chaque créancier, de chaque débiteur et des besoins de chaque enfant.

En théorie, les revenus du nouveau compagnon ou de la nouvelle compagne du débiteur ne sont pas pris en compte. Ils le sont cependant indirectement puisqu’ils viennent amoindrir les charges du débiteur. Payer seul un loyer de 800 € ou le partager par moitiés avec son nouveau compagnon, ce n’est évidemment pas la même chose.

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Voici une proposition de délibéré.

Sur l’exercice de l’autorité parentale

Attendu que Léo et Léa ont été reconnus par leurs deux parents dans l’année de leur naissance ; que l’autorité parentale est par conséquent exercée en commun par les deux parents, comme il sera rappelé au dispositif du présent jugement ;

Sur la résidence des enfants

Attendu qu’au soutien de sa demande tendant à voir instaurer une résidence alternée pour ses deux enfants, Païkan expose que (rappel des moyens et arguments de Païkan) ;

Attendu toutefois que, si durant les mois de juillet à octobre 2011 Païkan a manifestement vu ses enfants de façon fréquente et régulière, les pièces versées aux débats ne permettent pas pour autant d’établir qu’une réelle résidence alternée a été mise en place entre les parties postérieurement à leur séparation ; qu’il est cependant constant que Léo et Léa résident habituellement au domicile de leur mère depuis mi-octobre 2011 ;

Attendu par ailleurs que la mise en place d’une résidence alternée supposerait pour les deux enfants de changer de cadre de vie chaque semaine alors qu’ils ne sont âgés que de 4 ans et demi et de 2 ans et 8 mois ; que par ailleurs un tel mode de résidence impliquerait de leur faire supporter des trajets d’au moins 50 minutes chaque jour afin de se rendre à l’école ; que si les conditions d’accueil des enfants au domicile de leur père apparaissent satisfaisantes pour l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement, elles demeurent moins bonnes que celles offertes par la mère, restée au domicile familial où les enfants ont vécu depuis leur naissance et ont leurs habitudes ; que dès lors, l’intérêt des enfants commande, en l’état, de fixer leur résidence habituelle au domicile de leur mère ;

Sur les droits du père

Attendu qu’au soutien de sa demande subsidiaire tendant à se voir octroyer un droit de visite et d’hébergement élargi s’exerçant toutes les fins de semaine, du vendredi soir au lundi matin, Païkan expose que (rappel des moyens et arguments de Païkan) ;

Attendu qu’il ressort des pièces versées aux débats que les qualités éducatives des deux parents sont très satisfaisantes ; que contrairement aux allégations de la défenderesse, le père démontre qu’il se préoccupe de la santé de ses enfants en les ayant conduits chez le médecin à deux reprises en l’espace de deux mois ; que par ailleurs les faits de violences conjugales, bien que minimisés par Païkan, ne concernaient pas les enfants et qu’il n’est pas non plus allégué que ces violences auraient eu lieu en leur présence ; que dès lors rien ne justifie de faire obstacle aux relations que les enfants doivent entretenir avec leur père et qu’il sera ainsi fait droit à la demande de ce dernier de bénéficier d’un large droit de visite et d’hébergement ;

Attendu cependant qu’un droit élargi à toutes les fins de semaines reviendrait à priver les enfants de profiter de périodes de temps libre avec leur mère ; qu’une telle solution, contraire à leurs intérêts, ne saurait être retenue ; qu’il convient dès lors de prévoir que les droits du père prendront la forme d’un droit de visite et d’hébergement s’exerçant une fin de semaine sur deux, outre une journée en semaine, du mardi soir au mercredi soir ;

Sur la contribution du père à l’entretien et à l’éducation des enfants

Attendu qu’il ressort des déclarations des parties à l’audience et des pièces versées aux débats que leurs situations personnelles peuvent être résumées comme suit :

- Païkan est ingénieur en informatique et dispose d’une situation professionnelle stable ; il perçoit un revenu mensuel de 3.200 €, règle un loyer de 900 € qu’il partage avec sa compagne, ainsi que des mensualités de crédit à hauteur de 640 € par mois, soit un reste à vivre mensuel de 2.110 €, avant déduction des impositions et charges courantes ; qu’il exerce un droit de visite et d’hébergement élargi sur ses deux enfants ;

- Eléa est assistante infographiste depuis le mois d’octobre 2011 ; elle perçoit à ce titre un revenu mensuel de 1.150 €, outre 125 € d’allocations familiales, elle règle 114 € de mensualités de crédit à la consommation et expose un loyer résiduel de 350 € (400 € d’APL), soit un reste à vivre mensuel de 811 € avant déduction des impositions et charges de toutes natures ; qu’elle assume au quotidien les frais liés aux deux enfants ;

Attendu qu’il convient en conséquence de fixer à la somme de 290 € par enfant et par mois la part contributive de Païkan pour l’entretien et l’éducation de ses enfants, soit 580 € par mois en tout…

mercredi 7 mars 2012

Soyez le juge aux affaires familiales (1)

Proposé par Asor, magistrat exerçant les fonctions de juge aux affaires familiales.


La justice familiale fait peu parler d’elle dans les médias et s’efface bien souvent, elle aussi, devant la justice pénale, qui semble être la seule à rapporter des voix aux élections passionner l’opinion publique. Pourtant, le juge aux affaires familiales (l’ancien juge aux affaires matrimoniales) est celui dans le bureau duquel vous avez le plus de chances de vous retrouver au cours de votre vie.

Le JAF est un juge du tribunal de grande instance, dont les attributions, très larges, sont fixées par l’article L. 213-3 du code de l’organisation judiciaire. Pour faire simple, disons que ce juge est notamment compétent pour toutes les procédures de divorce, mais également pour tous les contentieux relatifs à la famille dans des couples non mariés ou déjà divorcés, qu’il s’agisse des personnes (autorité parentale, résidence de l’enfant, droits de visite et d’hébergement de l’autre parent, pension alimentaire…) ou du patrimoine (homologation des changements de régime matrimonial, liquidation de régime matrimonial, indivisions entre concubins ou partenaires liés par un PACS…). C’est aussi le JAF qui juge les dossiers de changement de prénom ou de droits de visite et d’hébergement des tiers (surtout les grands-parents).

Souvent, le JAF siège également à la chambre de la famille, qui connaît par exemple des demandes d’adoptions, des délégations d’autorité parentale ou de toutes les actions relatives à la filiation (contestation de paternité, etc.). Depuis peu, le JAF est également le juge des tutelles des mineurs et le juge qui délivre (ou pas) en urgence les ordonnances de protection pour une personne en danger vraisemblablement victime de violences conjugales. Enfin, il est juge des référés dans certaines des matières pour lesquelles il est compétent au fond.

Il faut bien distinguer le juge aux affaires familiales du juge des enfants. Le premier intervient pour tous les enfants, à l’occasion d’un désaccord des parents (qui va exercer les droits de l’autorité parentale ? où va vivre l’enfant ? à quelle fréquence l’autre parent va-t-il le voir ? à combien d’euros sera fixée la pension alimentaire?). Mais heureusement, le désaccord parental ne va que rarement de paire avec un danger pour l’enfant. Le juge des enfants, quant à lui, est saisi en assistance éducative lorsqu’il existe un danger pour l’enfant, et ce même à supposer que les deux parents soient en totale symbiose sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale.

Sauf exceptions, donc, la particularité du JAF est de ne voir les dossiers (et donc les justiciables) qu’une seule fois, contrairement aux procédures d’assistance éducative qui sont traitées sur le moyen ou le long terme par le juge des enfants avec des audiences régulières. Les armes du JAF sont également plus restreintes que celles du juge des enfants : ici, pas de mesure d’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO), de mesure d’investigation et d’orientation éducative (IOE) ni de placement. Tout au plus le JAF peut-il ordonner une mesure d’enquête sociale et/ou un examen médico-psychologique de la famille « avant dire droit », c’est-à-dire avant de prendre une décision durable[1]. Si en revanche il estime, au détour d’un dossier, qu’il existe un danger pour un enfant, il en informe alors le procureur de la République, afin que celui-ci décide, le cas échéant, de saisir le juge des enfants. On dit parfois que ce que le JAF voit de pire est ce que le juge des enfants voit de meilleur.

L’enquête sociale est définie par l’article 373-2-12 du code civil, elle a pour but de recueillir des renseignements sur la situation de la famille et les conditions dans lesquelles vivent et sont élevés les enfants. L’expertise médico-psychologique permet quant à elle d’évaluer les aspects de personnalité, le fonctionnement psychique des membres d’une famille et la dynamique familiale.

Last but not least, l’étoile polaire du JAF est l’intérêt de l’enfant. La formule est un peu vague mais aide à comprendre que ce qui compte n’est pas l’intérêt d’un parent, mais celui de son enfant.

Voici donc trois cas pratiques qui reflètent chacun un aspect du quotidien d’un juge aux affaires familiales. Les trois dossiers ont été inventés. Il est donc inutile de s’y reconnaître ou de penser qu’il s’agit de la situation des voisins du dessus ou de tante Jeanine. Les ressemblances ne sont dues qu’au fait que, par delà la singularité de chaque famille, se retrouvent souvent des situations, des problématiques, des argumentations et des attentes semblables. Il va donc de soi que les prénoms n’ont même pas eu à être modifiés et font simplement partie de la fiction.

Mais avant tout, quelques éléments de contexte. Dans le premier cas pratique, le juge statue seul, en audience de cabinet, c’est-à-dire dans son bureau, porte close, où ne sont admis que les intéressés et leurs avocats, s’ils en ont. Il tient généralement l’audience sans robe, bien que certains magistrats pratiquent différemment. La procédure est dite « orale », c’est-à-dire qu’il n’existe pas nécessairement d’échanges de conclusions écrites avant l’audience, et qu’en tout cas, ce qui compte est ce qui sera dit oralement à l’audience.

Nous sommes donc en mars 2012, vous êtes assis à votre bureau, une affiche pour une expo de Modigliani en 1996 sur le mur à votre droite, les quatre chaises sont en arc de cercle devant vous (une par parent et une par avocat éventuel), votre greffe est assis à un autre bureau juste à côté du vôtre et prendra des notes d’audience : son rôle sera d’authentifier ce qui a été dit et les demandes de chacune des parties. C’est un rôle d’autant plus fondamental que la procédure est orale[2].

Il est 09h00 ce lundi matin, l’audience comporte 19 dossiers différents, c’est beaucoup trop pour pouvoir consacrer le temps nécessaire à chaque affaire[3]. Si 15 dossiers sont retenus (imaginons qu’il y ait 4 renvois), cela fait environ 15 minutes d’audience par dossier seulement, pour entendre chaque partie, chaque avocat, poser toutes les questions qu’on a à poser, et répondre aux interrogations des parents. Sans pause pour le juge, qui enchaîne les dossiers et les situations familiales différentes en essayant de rester concentré. C’est sportif. Surtout qu’il n’y a pas toujours 4 renvois.

Il est déjà 09h05, vite, on a pris du retard. Le couloir devant votre bureau est noir de monde, vous rangez un peu votre bureau pendant que votre greffière sort faire l’appel des dossiers.

Païkan et Éléa

Le premier dossier est celui de Païkan et Eléa. Ils entrent tous les deux dans votre cabinet, chacun précédé de son avocat. Ils sont jeunes et ont la mine anxieuse de ceux qui passent pour la première fois devant le JAF et ne savent pas exactement ce qui les attend[4]. C’est Païkan qui a déposé la requête qui vous saisit. Il est donc demandeur. Son avocat choisit de prendre la parole tout de suite. Vous êtes encore dans le brouillard et vous le laissez faire[5].

L’exposé de l’avocat du père

Il dépeint rapidement la situation du couple. Païkan et Eléa ont tous les deux 32 ans. Ils se sont rencontrés à l’été 2004 et ont très vite emménagé ensemble. Deux enfants sont nés. Léo a aujourd’hui quatre ans et demi ; Léa, elle, n’est âgée que de deux ans et huit mois. Le couple est séparé depuis le mois de juin 2011, suite à une mésentente persistante des parents.

Au moment de la séparation, ils ont d’abord décidé qu’ils allaient se débrouiller sans juge et régler les problèmes liés aux enfants entre eux. Après tout ils se séparaient car ils ne s’aimaient plus, mais ils s’entendraient encore suffisamment dans l’intérêt des enfants[6]. L’avocat explique que, d’un commun accord, ils se sont partagés les vacances d’été 2011 par quinzaines, comme on fait souvent lorsque les enfants sont petits, surtout pour Léa, qui n’avait que deux ans fin-juin : les quinze premiers jours de juillet et d’août chez papa, le reste chez maman. Tout s’est très bien passé, comme en attestent les amis et les voisins qui ont vu le père et ses enfants heureux en vacances sur le bassin d’Arcachon.

L’avocat poursuit en expliquant qu’à compter de la rentrée scolaire de Léo, début-septembre, les parents ont mis en place pour les deux enfants une résidence alternée, mais qu’elle n’a duré que jusqu’à mi-octobre, date à laquelle la maman a décidé unilatéralement de garder les deux enfants chez elle. La directrice de la crèche de Léa atteste qu’en septembre, une semaine sur deux, c’est le père qui venait l’accompagner et sa nouvelle concubine qui venait la rechercher. Depuis la mi-octobre, Païkan ne voit ses enfants qu’au gré de la bonne volonté de son ex, un ou deux week-ends par mois, et encore. C’est précisément pour ça qu’il a déposé une requête devant le JAF à ce moment là.

Il dit qu’il ne comprend pas ce revirement inattendu dans l’attitude de la mère, que la résidence alternée se passait très bien et que les deux enfants étaient heureux chez lui. La mère ne veut pas laisser sa place au père et a du mal à se séparer des enfants, elle fait tout désormais pour faire obstruction aux droits du père. Il produit des attestations de toute sa famille, de quelques amis et de collègues, qui disent l’avoir déjà vu en compagnie de Léo et de Léa et qui certifient que c’est un bon père de famille. Un médecin généraliste atteste quant à lui qu’il a vu le père venir consulter deux fois pour ses deux enfants, le samedi 17 septembre et le mardi 11 octobre 2011.

Païkan demande donc la mise en place d’une résidence alternée. Techniquement, ce mode de garde est tout à fait réalisable car il habite à 25 minutes à peine en voiture de l’ancien domicile du couple, où Eléa est restée vivre après la séparation, et à côté duquel se trouve l’école et la crèche des enfants. Il justifie qu’il peut s’arranger avec son employeur pour aménager ses horaires de travail pour pouvoir accompagner Léo à l’école tous les jours et venir le rechercher le soir car c’est sur le chemin de son travail. Quant à Léa, il explique qu’elle est en crèche et qu’il pourra aussi l’accompagner et venir la rechercher, ou qu’à défaut, sa nouvelle concubine pourra le faire car elle passe bientôt son permis de conduire.

L’avocat du père concède que le nouveau logement de son client est modeste puisqu’il s’agit d’un trois pièces de 39 mètres carrés mais il y a quand même une chambre pour le couple et une pour les deux enfants, dans laquelle ils ont très bien vécu en résidence alternée en septembre et octobre. Il produit quelques photos sombres d’une chambre avec un lit superposé et un lit bébé en dessous, et des jouets d’enfant. On ne voit pas grand chose. Il dit qu’il cherche un logement plus grand dans le même secteur.

Enfin, il conteste que la résidence alternée soit mauvaise pour un enfant en bas âge. Il dit que les spécialistes ne sont pas unanimes du tout, que le législateur lui non plus n’a pas pris position car il n’a pas fixé d’âge minimal, et que ce qui compte c’est l’intérêt des enfants de ce couple là et non pas de grands principes absolus, et qu’en l’espèce, de septembre à mi-octobre, Léo et Léa allaient parfaitement bien en résidence alternée, alors qu’il les trouve tristes depuis qu’ils vivent chez leur mère et que Léo, notamment, pleure à chaque fois qu’il doit quitter son père pour retourner chez sa mère le dimanche soir.

À la fin de sa plaidoirie, l’avocat expose que son client est ingénieur en informatique, il travaille dans la même société depuis huit ans, il a un revenu de 3.200 € par mois. Il vit avec sa nouvelle concubine depuis août 2011, elle travaille dans la même entreprise mais à mi-temps seulement et perçoit un salaire de 1.450 € par mois. Ils paient ensemble un loyer de 900 € et Païkan rembourse un crédit auto de 350 € par mois, outre des mensualités de crédits à la consommation pour 290 € par mois pendant encore un an. Il propose que les frais scolaires et extrascolaires des enfants soient pris en charge par les deux parents à parts égales.

Subsidiairement[7], il sollicite de voir ses enfants tous les week-ends, du vendredi à la sortie des classes au lundi matin à la rentrée des classes, et offre de payer une pension alimentaire de 400 € par mois (200 € par enfant).

L’exposé de l’avocat de la mère

L’avocat de la mère commence son propos en se disant très étonné de ce qu’il vient d’entendre de l’autre côté de la barre[8]. Il tient à replacer les faits dans leur contexte. Il expose que le couple s’est séparé suite à différents épisodes de violences du père sur la mère, qui ont débuté lorsque sa cliente était enceinte de Léa, puis que l’ambiance dans le couple s’est dégradée jusqu’à la séparation. D’ailleurs, Païkan a fait l’objet d’une médiation pénale[9] en avril 2010 suite à de graves violences commises sur la mère de ses enfants.

Lorsque le couple s’est séparé en juin 2011, Eléa était très affaiblie psychologiquement et a accepté les conditions de Païkan, c’est-à-dire le partage des vacances d’été par quinzaines. Mais les difficultés ont tout de suite commencé car le père ne la laissait pas parler à ses enfants au téléphone et refusait de lui donner des nouvelles lorsqu’ils étaient chez lui, et ce alors que Léa a été malade pendant une semaine début-août, ce qu’elle n’a su qu’après le 17 août, quand le père lui a rendu l’enfant, avec deux jours de retard d’ailleurs.

Elle conteste qu’il y ait eu une résidence alternée en septembre-octobre et dit que les enfants vivaient chez elle au quotidien mais que leur père usait d’un large droit de visite et d’hébergement, ce qui le conduisait à héberger les enfants parfois trois ou quatre jours dans la semaine. Elle conteste aussi qu’il y ait eu un accord entre les parents et dit simplement qu’elle ne voulait pas braquer son ex, et qu’elle le laissait donc faire un peu comme il voulait. Elle produit une attestation de la directrice de l’école du 20 janvier 2012 qui indique qu’elle la voit régulièrement accompagner et rechercher Léo, qui ne présente aucune difficulté particulière à l’école, est éveillé et semble très épanoui.

Elle précise qu’à la mi-octobre, elle a récupéré Léa en pleurs un dimanche soir au retour de chez son père et que l’enfant avait 38°C de fièvre, sans que le père ne l’ait accompagnée chez le médecin. Elle ajoute que, vu que les droits de visite et d’hébergement du père n’étaient pas fixés, les enfants n’avaient pas de cadre et n’arrivaient pas à comprendre quand ils seraient chez leur père ou chez leur mère. C’est pour ça qu’elle a décidé de garder les deux enfants et qu’elle a déposé une main courante au commissariat.

Elle dit qu’elle ne souhaite pas priver les enfants de leur père et reconnaît leur attachement à celui-ci ainsi que ses qualités éducatives et pédagogiques, simplement elle a eu peur qu’en lui confiant les enfants pour un week-end, il les garde chez lui et ne les lui rende plus, comme il avait menacé un jour de le faire, avant leur séparation. C’est pour ça qu’elle a freiné des quatre fers pour les droits de visite et d’hébergement et qu’elle n’y a consenti que lorsqu’il était trop insistant pour voir Léo et Léa.

Enfin, elle dit que désormais, les enfants ont pris l’habitude de vivre chez elle depuis quatre mois et de ne voir leur père que certains week-ends. Ils se sont habitués à ce cadre stable et il convient donc de le maintenir, surtout qu’une résidence alternée pour un enfant de deux ans et demi, ce n’est pas sérieux du tout, comme le disent tous les pédopsychiatres. D’ailleurs, elle produit deux articles de deux médecins qui vont dans ce sens.

Elle ajoute que la résidence alternée suppose un minimum d’entente entre les parents, alors qu’ils n’arrivent plus du tout à communiquer depuis la mi-octobre.

La mère s’oppose donc à la mise en place d’une résidence alternée, elle demande à ce que la résidence habituelle des enfants soit fixée chez elle, avec un droit de visite et d’hébergement habituel pour le papa, c’est-à-dire un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires. Elle dit cependant ne pas être opposée à un droit de visite et d’hébergement élargi, par exemple en ajoutant, une semaine sur deux, une journée pour le père, du mardi soir au mercredi soir. Elle sollicite que la contribution du père pour l’entretien et l’éducation des enfants[10] soit fixée à la somme de 1.000 € par mois (500 € par enfant).

L’avocat fait le point sur la situation personnelle de la mère, qui a repris en octobre un travail d’assistante infographiste après une longue période d’arrêt maladie. Elle vit seule, et perçoit un salaire de 1.150 € par mois, avec les allocations familiales de 125 € et une aide personnalisée au logement (APL) de 400 €, pour un loyer de 750 €. Elle règle chaque mois des mensualités de crédit à la consommation de 114 €.

La parole du père

Païkan précise que les violences, c’était juste une claque un jour où elle l’avait vraiment provoqué, début 2010. Il dit que d’ailleurs il n’a pas été condamné, ils sont juste allés voir un Monsieur qui lui a dit de ne pas recommencer, ce qu’il n’a jamais fait depuis, car c’était juste un accident isolé, qu’il regrette d’ailleurs. Il ajoute qu’en tout cas il n’y a jamais rien eu sur les enfants ou devant eux, que Eléa est instable et était parfois difficile à supporter, surtout depuis qu’elle était enceinte de Léa.

Il maintient qu’il y avait bien un accord entre les deux parents sur une résidence alternée et le dit en regardant son ex droit dans les yeux et en disant qu’il ne comprend pas pourquoi elle dit le contraire aujourd’hui. Il dit qu’il a besoin de voir ses deux enfants et qu’eux ont besoin de le voir bien plus pour être équilibrés. Leur chambre les attend chez lui.

La parole de la mère

Eléa a la parole en dernier. Elle ne rajoute rien sur les violences et reconnaît que Léo réclame souvent son papa, mais qu’elle a peur de lui confier l’enfant. Elle dit qu’effectivement elle a traversé une période de dépression avant et pendant la grossesse de Léa mais qu’elle va beaucoup mieux aujourd’hui. Interrogée sur ce point, elle déclare que Léo s’entend bien avec la nouvelle concubine de son papa mais elle trouve qu’une résidence alternée va à nouveau perturber la sérénité des enfants, qui ont été affectés par la séparation parentale et ont trouvé un mode de vie qui leur convient à son domicile.

Épilogue

L’affaire est mise en délibéré. La décision sera rendue dans un mois.

Les avocats vous remettent leurs dossiers, qui contiennent de nombreuses pièces. Dans cette affaire, après lecture attentive, aucune pièce n’apparaît déterminante à l’exception de celles dont il a été fait état plus haut. Chaque parent produit en effet une dizaine d’attestations de proches disant qu’il s’agit de bons parents qui savent bien s’occuper de leurs enfants, lesquels sont heureux à leur contact.

Voici les possibilités que la loi (c’est-à-dire les articles 373-2 et suivants du code civil) vous offre :

  • ► faire droit à la demande du père et instaurer une résidence alternée ;
  • ► faire droit à la demande reconventionnelle de la mère et fixer la résidence habituelle des enfants chez elle, il faut alors statuer sur le droit de visite et d’hébergement du père et sa contribution alimentaire mensuelle pour chaque enfant ;
  • ► mettre en place une résidence alternée provisoire dont vous déterminez la durée et à l’issue de laquelle vous réexaminerez la situation familiale ;
  • ► ordonner une mesure d’enquête sociale familiale ; il faut alors statuer provisoirement tout de même (en choisissant l’une des deux solutions ci-dessus), dans l’attente du dépôt du rapport d’enquête sociale et de la nouvelle audience où vous reverrez le couple, et qui aura lieu dans quatre à six mois, et à l’issue de laquelle vous rendrez à nouveau une décision, cette fois notamment à la lumière des éléments mis en relief par l’enquêteur social ;
  • ► et/ou ordonner une expertise médico-psychologique de la famille confiée à un médecin psychiatre, et statuer provisoirement de la même façon ;
  • ► dans tous les cas, fixer la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, s’il y a lieu (l’article 4 du code de procédure civile prévoit qu’on ne peut pas donner plus que ce qui est demandé ni moins que ce qui est offert).

Le quotidien de Léo et de Léa est entre vos mains. Votre décision sera exécutoire par provision, c’est-à-dire qu’elle s’exécutera même s’il en est fait appel, le temps que l’appel soit jugé (ce qui peut prendre jusqu’à un an et demi…).

N’oubliez pas de motiver votre décision, c’est obligatoire mais surtout, Païkan et Eléa comprendraient mal qu’on leur impose quelque chose sans le leur expliquer. L’un d’eux ferait alors encore plus probablement appel.

Le délibéré sera rendu sur ce blog dans une semaine.

Notes

[1] La notion d’autorité de chose jugée est toutefois très relative devant le juge aux affaires familiales, puisque l’article 373-2-13 du code civil dispose notamment que : « les dispositions contenues dans la convention homologuée ainsi que les décisions relatives à l’exercice de l’autorité parentale peuvent être modifiées ou complétées à tout moment par le juge, à la demande des ou d’un parent ou du ministère public, qui peut lui-même être saisi par un tiers, parent ou non. »

[2] Bien que malheureusement, faute de moyens, certains juges sont conduits à prendre des audiences sans greffier, ce qui est à la fois illégal et dangereux, car personne ne pourra attester de la réalité des propos qui ont été tenus et des demandes qui ont été formulées à l’audience. Il sera par exemple difficile de formuler une requête en omission de statuer si la demande n’a pas été consignée par le greffier dans les notes d’audience. Il s’agit d’un des nombreux accommodements procéduraux induits par le manque de moyens de la justice, et d’un motif d’annulation de la décision rendue…

[3] Mais les gens attendent déjà entre trois et dix mois (selon les TGI) entre le dépôt d’une requête et la date de l’audience, et prendre moins de dossiers par audience conduirait inéluctablement à allonger ce délai déjà bien trop long.

[4] Pour le juge en revanche, ce contentieux est malheureusement un contentieux de masse (15 dossiers par audience plus les dossiers de renvoi, une audience de ce type chaque semaine, sans compter les autres audiences relatives aux autres contentieux, exposés en introduction…), et il faut se faire violence pour se souvenir que les justiciables qui entrent dans le bureau dorment parfois très mal depuis une semaine.

[5] Alors que, généralement, on commence par relever les points d’accord entre les parties, pour concentrer le temps d’audience sur les points de désaccord. Ici, le seul point d’accord semble être l’exercice en commun de l’autorité parentale par les parents sur les deux enfants.

[6] On voit parfois des parents qui nous saisissent alors qu’ils n’ont aucun point de désaccord entre eux, mais simplement parce qu’ils pensaient que le passage devant le juge était obligatoire en cas de séparation. C’est donc l’occasion de rappeler que les gens sont adultes et peuvent très bien s’occuper de leurs enfants sans l’intervention d’un juge, qui n’a lieu d’être saisi qu’en cas de désaccord entre les parents, ou bien, si ceux-ci sont d’accord sur l’ensemble des points, si pour une raison X ou Y ils souhaitent que leur accord prenne la forme officielle d’un jugement.

[7] C’est-à-dire, si il n’était pas fait droit à sa demande principale, qui est d’instaurer une résidence alternée, et qu’il est fait droit à la demande d’Eléa, qui consiste à fixer la résidence habituelle des enfants chez elle.

[8] Ce qui veut dire, en jargon judiciaire, « ce que vient de dire mon contradicteur »

[9] Il s’agit d’une procédure alternative aux poursuites.

[10] C’est le nom que la loi donne à la traditionnelle « pension alimentaire ».

jeudi 7 juin 2007

Soyez le juge... des peines plancher, le délibéré

Le tribunal, après en avoir délibéré, a déclaré le prévenu coupable, et en répression, l'a condamné à 30 jours amende à 10 euros.

C'est à dire qu'après un délai de trente jours, il devra payer la somme de 300 euros d'amende, soit un peu plus que la valeur des biens volés, sous peine d'effectuer trente jours de prison. La loi prévoit que s'il s'acquitte spontanément de l'amende avant un délai d'un mois, il bénéficie d'un abattement de 20%, c'est à dire que s'il la paye de lui même avant l'écoulement des trente jours, il sera tenu quitte en ne versant que 240 euros. Je ne doute pas qu'il l'ait fait dès qu'il a reçu du greffe le document lui permettant de s'acquitter de cette somme auprès du trésor public.

Voici, grâce à Mig, un résumé statistique des peines prononcées :

Jugements exprimés: 59

Relaxes/Rappels à la loi: 5 (8%)

Amendes: 29 (49%) + de 250 Euros mais - de 500: 7 (12%) + de 500 Euros: 8 (14%)

Prison avec SME : 6 (10%)

Prison ferme: 19 (32%) 6 mois fermes: 8 (14%) Un an ferme ou plus: 2 (3%)

C'est assez curieux, je ne crois pas qu'un autre "soyez le juge" ait donné lieu à un tel écart dans les propositions de peine. Si beaucoup d'entre vous ont effectivement opté pour les jours amende, suggérés par la défense, certains ont été incroyablement répressifs, deux propositions allant jusqu'à 15 mois de prison pour la première, deux ans pour la seconde, avec mandat de dépôt. Qu'il me soit permis de faire remarquer à ces lecteurs que si, pour quatre flacons de parfum, ils tapent déjà à 40 ou 80% de la peine maximale (20% et 40% en relevant la récidive), ils vont avoir un problème le jour où c'est un camion de flacons qui sera volé... "Qui vole un oeuf vole un boeuf" est un bocard qui ne veut pas dire qu'il faut réprimer le voleur d'oeuf comme le voleur de boeuf, mais que le vol est constitué même si la chose a une valeur dérisoire voire aucune valeur.

D'autres ont été très bas dans l'échelle de la répression, avec 10 jours amende à 10 euros, soit 100 euros d'amende, 80 s'il paye sous un mois. C'est dire l'amplitude. Vous imaginez donc la terrible solitude du juge unique.

Je vous rassure : un tel écart ne se retrouve pas dans les décisions à juge unique. Il y a des disparités, bien sûr, mais pas à ce point.

L'intérêt de ce cas est qu'il rentre dans le cadre de la loi sur les peines plancher. Si cette loi était en vigueur et que l'état de récidive ait été visé par le parquet ou relevé d'office par le tribunal, Monsieur Padoué aurait dû être condamné au minimum à un an de prison. Or je constate que la quasi totalité des lecteurs s'étant prêté sérieusement à l'exercice ont prononcé des peines très loin de ce quantum. Vous avez ici une illustration du principal argument des adversaires de ce projet : la récidive est rare, et parmi ces cas, les délinquants d'habitude, engoncés dans leur style de vie et refusant d'en changer sont encore plus rares ; et pourtant, c'est en se référant à ce modèle que l'on va légiférer pour tous.

Il est évident qu'un an de prison pour Monsieur Padoué aurait été démesuré, et aurait contraint le tribunal à l'assortir d'un SME pour en limiter les effets désastreux sur la famille Padoué, ce qui aurait encombré inutilement les services du juge de l'application des peines et posait un casse tête pour le choix des épreuves, comme nombre d'entre vous l'ont relevé.

Plusieurs lecteurs ont estimé que l'histoire de Momo était sûrement un mensonge, et en ont déduit que ce mensonge dissimulait le fait que Padoué pratiquait régulièrement ce genre de prélèvement à la source, ajustant leur répression en conséquence. Un magistrat n'aurait pas fait ce raisonnement. Je ne crois pas un instant que le président ait cru à l'histoire du mauvais Samaritain (il n'y avait qu'à voir sa tête). Mais le juge doit regarder les éléments qui sont prouvés par le ministère public. Son intime conviction ne se substitue pas à cette nécessité de la preuve qui est fondamentale dans un procès pénal. Le juge a donc écarté l'hypothèse de la préméditation, comme celle de la pratique habituelle, car elles n'étaient pas prouvées par le parquet, même s'il n'en pensait pas moins.

Cela illustre parfaitement le drame que vit l'avocat face à un probable mensonge inutile de son client. Inutile, car reconnaître la vérité n'aggraverait pas la répression (la préméditation n'est pas une circonstance aggravante du vol), et au contraire serait plus perçu comme un vrai signe d'amendement. Mais on a beau le leur expliquer, l'aphorisme d'Avinain résonne encore dans la tête des prévenus.

Et puis, malgré tout, il faut envisager l'hypothèse que le prévenu pouvait dire la vérité, auquel cas prononcer une sanction sévère devenait une erreur judiciaire, et une injustice.

Enfin, mais là c'est l'avocat qui parle, je suis profondément convaincu que la justice ne s'abaisse jamais, bien au contraire, quand elle est clémente. Une décision tellement sévère qu'elle est perçue comme injuste sera d'un point de vue pédagogique désastreuse.

L'audience est levée.

lundi 4 juin 2007

Soyez le juge... des peines plancher.

Après la théorie, la pratique.

Voici un cas que j'ai vu juger récemment, et où le prévenu était en état de récidive. Autrement dit, un cas où la loi sur les peines plancher était susceptible de s'appliquer.

Je l'ai trouvé parfaitement représentatif de nombreuses affaires où le juge est confronté à une récidive, les magistrats qui me lisent confirmeront ou infirmeront.

Enfilez votre robe virtuelle, vous jugez à juge unique. Le procureur vous attend devant la porte d'entrée des magistrats, l'huissier vous a fait savoir que les dossiers sont en état, votre greffier a consciencieusement étalé ses stylos de toutes les couleurs sur son bureau. Vous saluez le procureur, prenez une profonde inspiration, appuyez sur la sonnette, et ouvrez la porte.

« Le tribunal ! » tonne l'huissier. Le public et les avocats sont debout, les gendarmes saluent. Vous vous asseyez en invitant les personnes présentes à en faire de même, et après avoir rapidement statué sur les demandes de renvoi[1] et vous appelez la première affaire.

C'est une banale affaire de vol à l'étalage. Dans un magasin Amphora, les vigiles ont interpellé le prévenu, monsieur Padoué, qui avait glissé quatre flacons de parfum de prix, pour une valeur de 250 euros, dans un sac en plastique doublé de papier aluminium, pour neutraliser le dispositif anti-vol. La police a été aussitôt appelée, et l'a placé en garde à vue.

Le prévenu a reconnu les faits, et les flacons ont été restitués, intacts, au magasin, qui ne se constitue pas partie civile mais a néanmoins porté plainte.

Le procureur avait alors décidé de convoquer Monsieur Padoué devant le tribunal, en le laissant libre dans l'intervalle (on parle de COPJ : Convocation par Officier de Police Judiciaire). Les faits remontent donc à six mois.

Le récit du prévenu fait en garde à vue est le suivant : il avait rendez vous avec des amis dans un café du centre commercial où se trouve le magasin Amphora. Après avoir plaisamment devisé avec eux, il est resté seul à la terrasse, méditant sur les changements du monde et la vanité de notre existence terrestre. C'est alors que survint son ami Momo, un Roumain, dont il ne connaît ni le nom exact ni les coordonnées, qui avait sur lui ce sac en plastique doublé d'aluminium, et qui lui tint à peu près ce langage : « Hé, bonjour, mon ami Padoué. Tiens, prends ce sac, et file au magasin Amphora, qui va bientôt fermer. Les vigiles sont fatigués, et ce sac neutralisera le signal d'alarme. Fais tes emplettes sur le dos du grand capital et offre à tes proches des fragrances bourgeoises en rétablissant un peu de justice sociale. » Le pauvre Padoué, pauvre au sens propre, ne put résister à la tentation, et la suite est trop bien connue.

Evidemment, le ton badin du récit est de votre serviteur, le prévenu ayant un style plus adapté aux circonstances, c'est à dire sans fioriture et profondément ennuyeux ; j'essaye de relever le niveau.

Il maintient ce récit à la barre. Vous tiquez : quelle étrange générosité que celle de ce Momo, qui fait des cadeaux sur le dos des autres et faisant ainsi encourir la prison au récipiendaire. C'est que, explique Padoué, Momo fut un compagnon de galère et il naît sur ces routes tortueuses des amitiés indéfectibles.

En effet, vous sortez le bulletin numéro 1 du casier judiciaire qui vous révèle que Monsieur Padoué a déjà été condamné deux fois pour vol simple, il y a quatre et trois ans de cela, la deuxième fois étant en comparution immédiate, avec à la clef quatre mois de prison ferme, peine aussitôt mise à exécution (la première condamnation étant une peine de deux mois avec sursis, il a donc purgé une peine de 4+2=6 mois).

Interrogé sur ces faits, il vous déclare que ces vols portaient sur des vêtements. Vous n'avez aucun moyen de vérifier, mais les peines prononcées collent avec cette version.

Aujourd'hui, Monsieur Padoué prétend être rangé, il est marié depuis deux ans, a deux enfants (deux garçons), le troisième en route, travaille en intérim pour 1200 euros par mois, son épouse ne travaillant pas. Son avocat glisse sur votre bureau les dernières feuilles de paye, l'avis d'imposition du prévenu, ses quittances de loyer, et la copie du livret de famille qui confirment ces propos. Un bref coup d'oeil au procureur vous confirme qu'il a bien eu connaissance de ces documents. Un rapide calcul vous montre qu'il ne reste pas grand chose à cette famille pour vivre, une fois son loyer et ses charges payées : 550 euros par mois environ, pour acheter à manger, des vêtements pour les enfants et des couches. Il conclut en disant que face à cette proposition de Momo, il a craqué, désirant pouvoir faire des cadeaux à ses proches, notamment à son père, les deux autres flacons étant pour lui.

Le procureur souhaite prendre la parole. Vous la lui donnez volontiers.

Cette histoire ne le convainc pas. Il relève que le sac en plastique soi-disant remis par Momo portait la marque d'un magasin de bijouterie bon marché ; or dans la fouille du prévenu lors de sa garde à vue, on a trouvé dans le portefeuille de celui-ci une carte de fidélité à cette enseigne. Coïncidence troublante. De même que les vols de parfums de prix, surtout deux fois deux flacons identiques, ressemblent plus à un vol pour revendre que pour offrir. Le prévenu n'aurait-il pas confectionné ce sac lui même ? Le prévenu confirme qu'il a bien une telle carte, qui lui a été faite d'office quand il a acheté l'alliance de son épouse. Mais le fait que Momo ait utilisé un sac de cette enseigne serait en effet une pure coïncidence. Quant à la destination de ces flacons, il maintient que c'était pour offrir.

Pas d'autres questions du procureur, pas de questions pour l'avocat.

Le procureur maintient son analyse dans ses réquisitions : Monsieur Padoué a confectionné lui même ce sac, et invente ce Momo pour se déresponsabiliser aux yeux du tribunal. Cependant, le procureur relève qu'il y a eu une longue période de temps depuis ces deux condamnations, que le prévenu travaille, a fondé une famille, qui sont des signes d'insertion. Il suggère donc une peine de prison ferme de quelques mois, qui serait aménageable par le JAP, ou un sursis avec mise à l'épreuve.

L'avocat approuve le parquet en ce qu'il relève des signes d'insertion. Sur l'histoire du sac, il précise que lui aussi s'était fait cette réflexion en lisant la fouille. Il a expliqué à son client qu'une éventuelle préméditation n'était pas une circonstance aggravante, et que s'il avait fait lui même ce sac, il ferait mieux de le reconnaître, sa sincérité jouant plus en sa faveur qu'une volonté de dissimulation. Malgré tout, son client maintient que les faits se sont déroulés ainsi. Dont acte. Sur la peine, il souligne que le préjudice pour la victime est quasiment nul, les biens volés ayant été restitués, sans être pour autant absent, tout vol étant désagréable et entraînant un coût pour les magasins obligés de se protéger. D'où la plainte, et l'absence de constitution de partie civile. Cependant, il relève de la lecture du casier judiciaire que jamais monsieur Padoué n'a été condamné à une sanction pécuniaire. Or aujourd'hui, il a un revenu, certes modeste, mais qui lui permettrait de payer une amende et de saisir ainsi l'aspect économique du vol. Pourquoi contribuer à l'engorgement des services du JAP pour une affaire si modeste ? Quant à une mise à l'épreuve, quelles seraient les modalités d'épreuve ? Un travail ? Il en a déjà un. Une obligation de soin ? Padoué n'est pas malade, juste pauvre. Une obligation d'indemniser la victime ? Elle ne demande rien et a récupéré ses biens intacts. Il suggère donc une peine de jours amende, d'un montant modeste et d'une durée assez longue, qui assurerait le paiement de l'amende avec la menace de la prison, dont le montant total pourrait opportunément être de l'ordre du prix des flacons volés.

Le prévenu, à qui vous donnez la parole en dernier, exprime ses regrets d'avoir ainsi "fait une connerie" et promet qu'il ne recommencera pas.

Il est temps de délibérer.


Le prévenu est cité pour vol simple. Le code pénal prévoit que vous pouvez prononcer jusqu'à trois années de prison et 45.000 euros d'amende.

Toutefois, le casier révèle un état de récidive (récidive spéciale et temporaire : des faits identiques, une condamnation -deux en fait- remontant à moins de cinq ans), qui n'a pas été relevé dans la citation. Vous pouvez toutefois relever d'office cette récidive, après avoir invité les parties (procureur et prévenu ainsi que l'avocat du prévenu) à présenter leurs observations, ce qui porte les peines encourues à six années d'emprisonnement et 90.000 euros d'amende.

Vous pouvez prononcer de l'emprisonnement seul ou une amende seule.

Si vous prononcez une peine de prison ferme, vous devez motiver spécialement votre décision, sauf si vous décidez de relever l'état de récidive.

Vous ne pouvez pas assortir la peine de prison ou d'amende d'un sursis simple, car le prévenu a déjà été condamné à de la prison il y a moins de cinq ans.

Vous pouvez prononcer un sursis avec mise à l'épreuve (SME) si vous ne dépassez pas cinq ans de prison (pas de SME pour une peine d'amende). Dans ce cas, vous devez préciser la durée de la peine de prison, et la durée de l'épreuve, qui doit être entre douze mois et trois ans ; vous devez aussi préciser les modalités de l'épreuve, parmi la liste de l'article 132-45 du Code pénal. N'oubliez pas ces trois points.

Si vous prononcez plus d'un an de prison, vous pouvez décerner un mandat de dépôt pour que le prévenu soit arrêté immédiatement. En tout état de cause, si vous prononcez plus d'un an, l'emprisonnement sera inévitable, seules les peines d'un an au plus pouvant être aménagées pour éviter l'incarcération. Enfin, si vous relevez la récidive, vous pouvez décerner un mandat de dépôt quelle que soit la durée de la peine d'emprisonnement (merci Gascogne pour la précision).

Enfin, la défense suggère une peine alternative : les jours-amende.

Il s'agit d'une peine se présentant sous la forme de "X jours amende à Y euros". Cela signifie que le prévenu devra s'acquitter au bout de X jours d'une amende de X fois Y euros. S'il ne la paye pas, la peine sera convertie automatiquement en X jours de prison.

Exemple : "100 jours amende à 10 euros" signifie que le condamné devra payer 1000 euros d'amende à l'issue d'un délai de 100 jours, faute de quoi, il effectuera 100 jours de prison.

Si vous optez pour cette peine, vous devez préciser le nombre de jours et le montant journalier. Vous ne pouvez pas prononcer une peine de prison avec sursis ou d'amende en plus d'une peine de jours amende.

Délibéré ici.

Notes

[1] Demande présentée par une des parties -rarement le parquet mais ça peut arriver- que l'affaire soit jugée à une audience ultérieure car une partie ne peut être présente ou une démarche reste à accomplir. Le renvoi ou son refus sont des décisions d'administration judiciaire, qui ne font pas l'objet d'un jugement et ne sont pas susceptibles de recours.

vendredi 9 février 2007

Soyez le juge des comparutions immédiates, le délibéré

Le tribunal, après en avoir délibéré, a déclaré le prévenu coupable et en répression l'a condamné à quinze jours d'emprisonnement sans mandat de dépôt. Le prévenu a donc été aussitôt remis en liberté, dans l'attente d'une convocation devant le juge d'application des peines.

Les travaux d'intérêt généraux, proposés par beaucoup d'entre vous, ont été écartés du fait des maladies invalidantes du prévenu. Faire effectuer les TIG est déjà assez difficile, car la législation sociale s'applique aux TIG, et on est en présence d'un invalide. Ce serait refiler un casse tête au JAP.

Deux commentaires sous le billet original méritent d'être repris. Ils sont rédigés par des magistrats, ou du moins se présentant comme tels mais leur qualité me paraît crédible ; le premier est très drôle à condition de n'être que le fruit de l'imagination de l'auteur, et le second, rédigé par un juge d'application des peines, est je crois exactement le raisonnement tenu par le tribunal.

Voici le premier.

Les suites:

1/ l'audience est levée, je rentre dans la salle des délibérés en multipliant les protestations outrées et théâtrales devant mes assesseurs contre le choix de la compa faite par le parquetier de permanence (sauf si le parquetier en question est cette belle brune aux yeux bleus du bureau 4, qui elle n'est que la victime de la hiérarchie parquetière).

L'auditeur de justice m'approuve car je le note, le juge de proximité m’approuve également car de toute façon il approuve tout ce qui porte une robe, l'assesseur, prénommé Averell, s'en fout car son vrai métier c'est JAF.

2/ j’ouvre en soupirant le dossier de la procédure, me tourne vers les assesseurs en leur demandant : « bon, vous en pensez quoi ? ».

L’auditeur : « quelles sont les sanctions possibles ? » (qu’est-ce que j’en sais, c’est toi qui viens de l’ENM, je comptais sur toi pour me le dire, ah vraiment on est pas aidé !)

Le juge de proximité : « mais pourquoi les gens sont-ils aussi méchants, quand je raconte les audiences à mes amis du Rotary ils n’y croient pas ?»

Averell : « A quelle heure on mange ? »

3/Instruit par ces avis, j’avance prudemment l’idée de 3 mois SME pendant 2 ans, avec obligation de soins psychologiques, et obligation d’exercer une activité professionnelle ou de suivre une formation. Averell est partant, l’auditeur aussi, le juge de proximité également car il approuve tout ce qui porte etc…

Donc va pour 3 mois SME sur 2 ans avec obligation de soins psychologiques, et obligation d’exercer une activité professionnelle ou suivre une formation, avec exécution provisoire.

4/Nous reprenons l’audience.

5/Je lance d’un ton grave et sévère-mais-juste les multiples informations et notifications qui doivent désormais être réalisées par le président d’audience : durée du suivi, risque en cas de nouvelle infraction, date et heure de convocation au SPIP, température au sol, gonflage manuel des gilets de sauvetage présents sous le siège, obligations générales 132-44, obligations particulières 132-45. Ma voix se perd dans le brouhaha de la salle, les escortes qui passent, les pensées du condamné qui opine du chef avec un grand sourire à tout ce qu’on lui dit car il n’a compris qu’une chose : il ne dormira pas à la maison d’arrêt ce soir. Il est 17h45, le dossier suivant de comparutions immédiates arrive, l’audience « normale » commencera à 20 heures et se terminera à minuit. Averell attendra pour manger.

Ce qui m'a d'autant plus fait sourire est que le tribunal ayant jugé comportait bien un juge de proximité, et que la procureur de permanence était en effet charmante.

Une explication : à Paris et dans les grosses juridiction, il y a une chambre spécialisée dans les comparutions immédiates qui ne fait que ça (A Paris, la 23e). En province, des audiences correctionnelles peuvent juger des comparutions immédiates au milieu de dossiers plus classiques. D'où le "l’audience « normale » commencera à 20 heures et se terminera à minuit" à la fin qui contrarie l'estomac d'Averell.

Voici le commentaire de JAP.

Bon, voyons si je peux faire du "tuning de la peine" selon l'expression de Me Eolas. Tout d'abord, ce cas n'est pas facile. Apparemment, pas de demande de délai. L'infraction est constituée, et je constate que l'on n'est pas sur un "coup de tête" (temps passé, choix des mets, du resto, trajet...), et très loin d'un état de nécessité. Pas de difficulté sur la culpabilité. Reste la peine... J'écarte le TIG. Pour faire un TIG, il faut déclarer le condamné à la sécurité sociale comme travailleur bénévole et qu'il fournisse un certificat d'aptitude au travail. Bien que dans l'absolu, il ne soit pas impossible de faire travailler une personne handicapée, concrètement, cela me semble difficile, à moins que le JAP local ne dispose d'un poste adapté. On court à l'inexécution du TIG dans ce type de dossier.

Je passe sur la production du STIC à l'audience, qui a le don de m'agacer et que je ne regarde pas. Coté antécédents, il a déjà été averti par un sursis et un SME va être pris en charge. Donc, je n'opterai pas pour un empilement de SME, peu utiles, d'autant que le JAP peut ralonger le suivi du 1er le cas échéant, qu'il a engagé des soins, et qu'il n'y aura pas de victime à indemniser. J'avais bien pensé à une expertise psy, mais là aussi, le JAP pourra toujours en ordonner une si ça lui paraît nécessaire. J'écarte l'amende et les jours amende, il en a déjà eu une il y a 15 jours qui ne l'a pas dissuadé de commettre de nouvelles infractions et a de faibles revenus.J'opte plutôt pour une peine ferme, dont j'espère qu'elle provoquera une prise de conscience. Le quantum ne peut pas être très élevé car la peine maximale encourue n'est que de 6 mois et il faut tenir compte de sa personnalité qui me semble fragile. Je prosose 15 jours. Le mandat de dépôt à l'audience ne m'apparaît pas utile car il vaut mieux lui éviter une incarcération et le passage en comparution immédiate est souvent un "électrochoc" suffisant. Il aura donc 15 jours à faire + le sursis révoqué (mais je ne serais pas opposée à une dispense partielle de révocation si ce sursis est important). S'il respecte bien son SME, suit des soins, ne commet plus d'infraction, bref s'il fait des efforts d'insertion, le jour où il le convoquera, le JAP pourra envisager un aménagement de peine, au vu de son état de santé, par exemple sous surveillance électronique.

Reste une difficulté : on ne sait rien des autres procédures en cours (mêmes faits ? dates ? sont elles audiencées ?) car on aurait pu envisager un renvoi, sans mandat de dépôt, pour joindre tous les dossiers à la même audience.

Il me manque quelque chose : l'avis des collègues car, soyez en sûrs, le délibéré est un moment important.

A quand l'exercice "soyez le Jap" ?

Que dire de plus ? La bonne solution, et exactement le raisonnement que j'attribuais au tribunal.

A quand un "Soyez le JAP" ? Pas tout de suite ou alors il me faudra de l'aide. En effet, je ne veux pas parler de mes dossiers sur ce blog. Mes clients n'apprécieraient pas. Or les seuls dossiers de JAP que je connais sont ceux de mes clients, faute d'audiences publiques (voire d'audience tout court). De plus, expliquer les peines principales, complémentaires, les sursis, mises à l'épreuve et autres peines alternatives est déjà complexe. Expliquer les placements en milieu ouvert, fermé, le calcul de la mi-peine pour une liberté conditionnelle, et expliquer les pouvoirs d'appréciation du JAP serait un casse-tête. Si vous voulez vous frotter à l'exercice, be my guest.

Monsieur le procureur, pas d'autres réquisitions ?

Alors, l'audience est levée. Averell, réveillez vous, il est l'heure d'aller dîner.

mardi 6 février 2007

Soyez le juge des comparutions immédiates

Je vous propose pour nous reposer un peu de la campagne présidentielle de reprendre vos fonctions de président du tribunal correctionnel. Vous siégez aujourd'hui pour juger des comparutions immédiates. Pour être plus réaliste, j'aurais dû vous mettre quatre ou cinq affaires à la suite pour symboliser l'enchaînement des dossiers. Mais j'aurais aussi dû vous faire délibérer à trois, puisque les comparutions immédiates relèvent obligatoirement de la collégialité. Alors ce ne sera qu'un dossier, car celui-ci m'a bien plu par son aspect atypique.

L'affaire que vous avez à juger aujourd'hui est une affaire de filouterie, ou grivèlerie. Il s'agit, aux yeux de l'article 313-5 du code pénal, du fait par une personne que sait être dans l'impossibilité absolue de payer ou qui est déterminée à ne pas payer, de se faire servir des boissons et des aliments dans un établissement vendant des boissons ou des aliments. Vous admirerez une fois de plus le style élégant et envolé du législateur.

La loi prévoit une peine maximale de 6 mois d'emprisonnement et une amende de 7500 euros.

Le prévenu est un homme de 31 ans, rondouillard et mal fagoté, engoncé dans sa parka dont la fermeture éclair est remontée jusqu'à son menton. Il prend place dans le box en obéissant courtoisement aux instructions des gendarmes.

Les faits sont les suivants : le prévenu s'est présenté à l'heure du déjeuner à un restaurant de la chaîne Rhinocérus et a commandé un apéritif, un tartare de tomate, une entrecôte avec des frites, une coupe glacée et, ayant sympathisé avec ses voisins de table, leur offre le champagne. L'après-midi traînant en longueur arrive l'heure du dîner, qu'il prendra sur place faisant à cette occasion la connaissance de deux jeunes filles Grecques, à qui il offrira l'apéritif, et se fera servir une bouteille de Côtes du Rhône, du fois gras en entrée, suivi d'une andouillette et d'un dessert du jour, dont la teneur exacte n'est pas précisée dans le dossier de police qui vous est soumis. La serveuse lui présentant une addition de 142,50 euros, il lui révélera alors qu'il ne pouvait pas payer. Le gérant appela la police, qui le plaça en garde à vue, à l'issue de laquelle le procureur décidera de vous faire faire connaissance aujourd'hui, eu égard au fait qu'il ne s'agit pas de la première fois que le prévenu se rend coupable de ce genre d'agissements.

Interrogé sur les raisons de son comportement, il répond en s'exprimant dans un bon français :

"Je ne sais pas, je n'arrive pas à analyser les raisons de mon comportement. J'ai commencé une thérapie afin de m'aider à comprendre les raisons qui font que je ne peux pas résister à la pulsion d'aller ainsi déjeuner alors que je n'en ai pas les moyens."

En réponse à une de vos questions, il précise qu'il ne choisit pas le même restaurant ni la même chaîne de restaurants.

L'enquête de police a montré qu'il a fait l'objet de 7 mentions précédentes au STIC (système de traitement des infractions constatées), depuis 2005, la majorité de ces faits étant située en 2006 (il faut préciser que cette audience a eu lieu en janvier 2007).

- Mais alors, lui demandez-vous, si vous savez que vous avez ces pulsions et que vous ne pouvez pas y résister, pourquoi vous y soumettre en vous rendant dans ces restaurants parisiens ? Vous habitez en lointaine banlieue, cela suppose un certain trajet.

A cela, le prévenu vous répond avec une franchise presque désarmante et sur un ton assez émouvant :

"J'y vais à cause de l'ennui. Je n'ai pas de travail à cause de mes problèmes de santé, je me sens terriblement seul. Je fais cela pour voir du monde, pour avoir de la compagnie."

Vous jetez un coup d'oeil à son bulletin n°1 du casier judiciaire, qui mentionne une condamnation remontant à deux ans à une peine de prison avec sursis pour des blessures involontaires. Toutefois, lorsqu'il a été entendu par la police, il mentionne qu'il aurait déjà été condamné à des peines d'amende.

Vous froncez les sourcils. De quelles amendes s'agissait-il ? Il n'y a rien au dossier... Interrogé, le prévenu essaye de vous donner des indications mais rapidement vous réalisez qu'il mélange le fait qu'il a été condamné à des mesures de réparation, à des dommages-intérêts, et semblerait-il à de vraies amendes.

Le procureur se lève et vole à votre secours.

"Monsieur le président, j'ai ici la chaîne pénale du prévenu[1]. Il s'avère qu'il a fait l'objet d'une condamnation à 300 euros d'amende à une audience qui s'est tenue il y a de cela 15 jours. Il a également comparu il y a de cela trois semaines pour les mêmes faits, et a fait l'objet à cette occasion d'une condamnation à trois mois de prison avec sursis et mise à l'épreuve pour une durée de deux ans. Ces condamnations récentes ne sont pas encore inscrites au casier judiciaire. Je précise que le prévenu fait l'objet de deux autres procédures qui ne sont pas encore jugées."

L'avocat de la défense se lève, fort mécontent.

- Monsieur le président, la chaîne pénale que mentionne le procureur de la république ne figurait pas au dossier, et je la découvre seulement maintenant.

- Maître, ironise le procureur, il suffisait de poser la question à votre client.

Vous rappelez courtoisement le procureur à l'ordre et le priez de communiquer ce document à l'avocat de la défense en vertu du principe du contradictoire, ce que le procureur fait bien volontiers.

L'avocat se dirige vers le bureau du procureur pour prendre ces documents, en maugréant sur le fait que c'est un dossier incomplet qui a été laissé à sa disposition dans le court laps de temps qu'il a eu pour préparer ce dossier[2].

L'incident étant clos, vous enchaînez sur l'examen de la personnalité du prévenu, les faits étant quant à eux clairement établis.

La mère du prévenu est secrétaire médicale dans la région Ile-de-France, son père est retraité dans le centre de la France. Une enquête de personnalité a été effectuée comme pour chaque dossier de comparution immédiate, et qui confirme qu'il vit chez sa mère, hébergé à titre gratuit. Il s'agit là du seul membre de sa famille avec qui il est encore en contact. C'est quelqu'un de très isolé socialement, et qui en souffre. Il est au RMI depuis trois ans, à cause d'une invalidité due à une maladie osseuse orpheline qui l'a rendu incapable de continuer sa profession de fromager indépendant sur les marchés. Il y a deux ans, il a eu une hémorragie cérébrale qui a aggravé son invalidité. Il a un dossier de demande d'allocations d'adulte handicapé en cours qui n'a pas encore abouti, et depuis cette hémorragie, souffre également d'épilepsie. Il est désormais invalide à plus de 80%.

"Pensez-vous que cette hémorragie cérébrale peut être en lien avec votre comportement ?

- J'y pense. Ca a pu me faire quelque chose dans la tête.

- Avez vous un projet professionnel ?

La voix du prévenu se réchauffe et son regard se fait un instant rêveur.

"Ce qui me plairait, c'est de recommencer mon commerce de fromage, mais (le regard de rêveur se fait mélancolique) c'est fatigant... Quand je travaillais, j'effectuais 76 heures par semaine. Depuis mon hémorragie cérébrale, j'ai beaucoup moins de résistance qu'avant."

Vous ne voyez rien à ajouter.

- Monsieur le procureur, vous avez la parole.

Le procureur commence ses réquisitions en relevant que le prévenu a été victime d'un accident de parcours grave qui a entraîné son isolement, la cessation de son travail, et sa dé-socialisation. Mais il ne faut pas se cacher derrière ces problèmes réels pour justifier un parcours délinquant, car ce comportement est récent par rapport aux ennuis de santé du prévenu.

Il relève en effet que si l'invalidité remonte à 2004, c'est en 2006 que les actes ont commencé à être fréquemment répétés. Son ton se fait plus sévère :

"Mais que voulez-vous ? Que cherchez-vous ? Posez-vous sérieusement la question, car il est urgent que vous trouviez la réponse. La justice en tout cas ne vous laissera pas continuer. Vous êtes armé contre vos malheurs, vous avez travaillé, vous êtes hébergé gratuitement, et vous avez des revenus, certes très modestes, mais pas de charges. Et tout cela risque de s'écrouler. Cette comparution aujourd'hui, et celles éventuellement à venir pour les procédures encore en cours, doivent devenir un avertissement. Cela suffit, il est temps pour vous d'ouvrir les yeux. Il y a d'autres moyens pour lutter contre votre isolement : il y a du bénévolat, des activités non professionnelles qui peuvent vous permettre de rompre la solitude en vous ménageant physiquement, vous ne pouvez pas prétendre que vous n'avez pas d'autre moyen de lutter contre votre sentiment de solitude en allant manger pour plus de 100 euros.

Vu les procédures en cours et votre casier judiciaire, et votre situation personnelle, je constate que le sursis n'est plus possible. Le sursis avec mise à l'épreuve a déjà été prononcé. Une peine d'amende serait inopportune à votre égard vu la faiblesse de vos revenus, et la nécessité pour vous d'indemniser les victimes, quand bien même le restaurant Rhinocérus ne s'est pas constitué partie civile aujourd'hui. Il ne reste donc qu'une peine d'emprisonnement. Je requiers donc une peine de prison ferme d'une durée de 15 jours, sans mandat de dépôt afin que le juge d'application des peines traite ensemble toutes les condamnations.

- Merci Monsieur le procureur. Maître, vous avez la parole."

L'avocat commence ses observations en estimant que les réquisitions du parquet sont excessives. La prison n'est pas la seule solution : il reste le sursis avec une obligation d'accomplir un travail d'intérêt général, son client serait d'accord pour une telle peine.

Le procureur ne peut s'empêcher d'intervenir : "Des TIG, pour un invalide à la COTOREP ?"

Imperturbable, l'avocat reprend : "Ces actes délictuels remontent à son accident vasculaire cérébral. De plus, quand on regarde ses antécédents, les délits les plus graves remontent à 2005. Aujourd'hui, il est au RMI, isolé, et n'a aucune vie sociale. La prison n'apparaît pas être une solution pour résoudre le problème psychologique du prévenu qui tient à répéter au tribunal qu'il est d'accord pour indemniser la victime, et d'accord pour accomplir un travail d'intérêt général. L'avocat conclut en demandant une extrême indulgence de votre part afin de permettre au prévenu de normaliser à nouveau sa vie.

L'avocat se rassoit. Vous vous tournez à nouveau vers le prévenu qui se lève aussitôt :

"Avez-vous quelque chose à rajouter ?"

Le prévenu secoue la tête.

- L'affaire est mise en délibéré au 8 février, concluez-vous.

Que décidez-vous ?

Les peines principales prévues par la loi sont, comme je vous l'ai déjà indiqué, 6 mois d'emprisonnement et 7500 euros d'amende.

L'affaire ayant été jugée en réalité en comparution immédiate, vous avez la possibilité d'ordonner l'incarcération immédiate du prévenu, quelle que soit la durée de la peine. Je fais ici une entorse à la procédure pénale, la comparution immédiate supposant que vous n'êtes pas seul à siéger, mais comme vous serez seul à délibérer, je suis obligé de vous mettre en situation. Vu la condamnation à une peine de sursis pour blessures involontaires du prévenu, vous ne pouvez pas prononcer un sursis simple avec cette peine.

Par contre, le fait qu'il ait déjà un sursis avec mise à l'épreuve ne vous interdit pas d'en prononcer un deuxième, sachant que ce sera le dernier : la loi interdit d'en prononcer un troisième. La mise à l'épreuve, pour une durée maximale de trois années, durée que vous devez indiquer dans votre décision, peut comporter diverses obligations que vous devez choisir en fonction de celles qui vous semblent opportunes :

  1. exercer une activité professionnelle ou suivre un enseignement,
  2. établir sa résidence en un lieu déterminé,
  3. se soumettre à des mesures d'examen médical ou de soins,
  4. réparer les dommages causés par l'infraction,
  5. s'abstenir de paraître en tout lieu spécialement désigné,
  6. ne pas fréquenter les débits de boissons.

Vous pouvez également prononcer une peine de sursis avec obligation d'accomplir un travail d'intérêt général, vous devez préciser la durée du travail à accomplir, qui devra être entre 40 et 210 heures, et le délai dans lequel ce travail devra être accompli, qui ne peut être supérieur à 18 mois. Vous ne pouvez décider de la nature du travail qui sera effectivement accompli, cela relevant de la responsabilité du juge d'application des peines, et des disponibilités qu'il aura.

Si vous ne prononcez pas de mandat de dépôt, c'est à dire, vous n'ordonnez pas l'exécution immédiate d'une peine d'emprisonnement, la loi prévoit, ainsi que je l'expliquais dans le billet consacré à José Bové, que le juge d'application des peines sera en charge d'aménager l'exécution de cette peine et de toutes celles exécutoires qui auront pu être prononcées postérieurement à votre décision. La seule condition pour qu'il puisse aménager la peine est que le total cumulé ne dépasse pas un an.

J'attends votre délibéré en commentaires, et me contenterai de signaler les propositions impossibles ou illégales que vous pourriez faire, afin que vous puissiez éventuellement les rectifier. La vraie décision du tribunal sera donnée le 8, après demain.

L'audience est levée.

Notes

[1] Il s'agit de la liste tenue par le parquet de l'ensemble des procédures diligentées à l'encontre d'une personne, avec le cas échéant sa localisation s'il est détenu.

[2] Ce genre d'incident m'étant arrivé, je ne puis que manifester ici mon soutien à ce confrère, d'autant que dans mon cas, le procureur a eu l'élégance de m'interrompre dans ma plaidoirie pour me lire la litanie de la chaîne pénale de mon client...

jeudi 7 décembre 2006

Soyez le juge des enfants, le délibéré.

Après en avoir délibéré, le juge des enfants a admonesté les deux délinquants, sans ordonner le de liberté surveillée.

Aucune mesure d'indemnisation de la victime ne pouvait être prononcée, celle-ci n'ayant pas formulé de demande. Le juge ne peut statuer que sur ce qu'on lui demande. Les dégâts au scooter étaient vraiment minimes, dus à une petite chute, et tout scooter parisien qui se respecte se couche sur l'asphalte au moins une fois par semestre, on peut donc supposer que la machine avait déjà des cicatrices.

Parmi les nombreux commentaires, celui de Dadouche résume parfaitement la démarche du juge. Et pour cause me direz vous, mais reprendre son commentaire ici me dispense d'expliciter plus avant le sens de la décision du juge, c'est un corrigé parfait.

Nos deux compères sont coupables d'une tentative de vol en réunion, un commencement d'exécution caractérisé par le déplacement du scooter n'ayant été interrompu que par une circonstance indépendante de leur volonté, en l'espèce l'intervention de la police.

Je connais Clitandre, puisque c'est moi qui ai ordonné la mesure d'assistance éducative il y a six mois. Il est aujourd'hui assez renfrogné, mais je note un changement : lors de l'audience d'assistance éducative, il m'avait dit en substance qu'il n'avait pas de problème et qu'il faisait bien ce qu'il voulait. Au moins, là, il réagit quand l'éducateur évoque son père. Ca montre que le travail éducatif entrepris a provoqué un début de quelque chose. Les faits ont été commis juste avant que l'éducateur commence à intervenir et je n'ai pas reçu depuis de nouvelle procédure le concernant. Son apprentissage se déroule plutôt bien, on a trouvé un point d'accroche. Il y a six mois, il posait des gros problème d'absentéisme, aujourd'hui il se lève tous les matins pour aller travailler, même s'il est parfois en retard. Je l'ai aussi déjà vu pour un recel, mais, même s'il s'agit aussi d'un atteinte aux biens, les faits d'aujourd'hui me paraissent avoir une tonalité différente.

Orante m'inquiète un peu plus. Pourtant, l'éducateur qui a suivi la mesure de liberté surveillée préjudicielle me décrit un jeune beaucoup moins sûr de lui qu'aujourd'hui. Son sourire malicieux se fige un peu quand sa mère me dit qu'elle a honte d'être là et se met à pleurer.

Finalement, ce qui me pose le plus de problème, c'est qu'ils ne reconnaissent pas les faits.

Pour bien marquer la différence avec l'assistance éducative, je porte ma robe et au moment d'annoncer ma décision je les fais se lever. Ils se tortillent un peu d'un air gêné, mais les épaules s'affaissent un peu. Je leur demande quelle peine ils pensent que le code pénal prévoit pour les faits dont je les déclare coupables. Orante me dit d'un ton un peu rigolard que ça doit être quelque chose comme 6 mois de prison. Il rigole moins quand je lui dis que la peine maximale prévue est de 5 ans d'emprisonnement. Sa mère étouffe un sanglot et là il ne rigole pas du tout. Je leur explique que je prononce une mesure d'admonestation et je leur "décode" ce terme pour eux un peu ésotérique : c'est une en gros une réprimande, un savon que leur passe l'institution judiciaire pour leur signifier officiellement qu'ils ont violé la loi. >Orante tique un peu quand je lui explique que le propriétaire du scooter en a besoin pour se déplacer et que j'évoque la possibilité que quelqu'un vienne lui prendre sa console de jeux qu'il a l'air de chérir particulièrement. Clitandre regarde le bout de ses baskets. Je leur rappelle que la justice a désormais une trace de leur comportement, en leur montrant le casier judiciaire de Clitandre, qui porte mention de sa précédente condamnation. Je prononce par ailleurs une mesure de liberté surveillée d'un an pour Orante, qui nécessite me semble-t-il un suivi éducatif. Pour Clitandre, j'explique la différence de traitement sur ce point par le suivi dont il bénéficie déjà en assistance éducative et la tournure positive qu'a pris la situation grâce à son apprentissage. Et je lui rappelle que je compte bien ne pas le revoir avant 6 mois, pour la prochaine audience d'assistance éducative. Le tout avec mon ton "mère fouettarde".

Le temps de prononcé de la décision a occupé la moitié du temps d'audience. Peut-être que je les reverrai, peut être pas (comme la grande majorité des mineurs jugés en chambre du conseil). On va voir.

Ce qui m'a frappé dans ce commentaire, moi qui étais à cette audience, c'est que outre que la solution est quasiment la bonne (ce qui tend à montrer que les juges des enfants ont une certaine homogénéité dans leurs décisions, c'est rassurant), ça s'est effectivement passé comme cela dans le cabinet du juge, à deux détails près toutefois : d'abord, le juge n'avait pas mis sa robe, ce qui était une erreur à mon sens, cette admonestation donnée par un adulte en tenue civile (d'un goût douteux, accessoirement), dans un petit bureau encombré, manquait de charge symbolique et de solennité, ce que la robe du magistrat aurait un peu compensé : il s'agit de faire de l'éducatif, et les symboles, ça compte. Ensuite, le juge n'a pas prononcé de liberté surveillée.

Pourquoi ? Il n'a pas pris la peine de l'expliquer aux parties. Pour Orante, c'était en effet manifestement inutile comme faisant doublon avec le suivi par l'aide sociale à l'enfance. Quant à Clitandre, sans doute savait-il que dans son ressort, il y avait trop de libertés surveillées en cours et qu'en rajouter encore les rendraient inefficaces ; ou Clitandre ne lui a pas paru nécessiter une telle mesure... J'opine hélas plutôt pour la première hypothèse.

Le but de ce billet n'est pas de récompenser ceux qui ont prononcé la même peine que le juge, mais de vous confronter à la difficulté du rôle de juge des enfants : des prévenus qui sont plus des têtes à claque que de dangereux barbares, et la nécessité de rendre une décision que la loi permet, alors que beaucoup de commentateurs ont fait preuve d'une imagination certaine pour proposer leurs propres mesures éducatives, certaines supposant une certaine dose de violence physique que la loi interdit absolument.

Le cas d'Orante et Clitandre est assez typique de ce qui passe devant les juges des enfants. Personne n'a proposé de les envoyer en prison pour cela. Il y en a même qui les auraient relaxé, abusés par la plaidoirie de Maître Argatiphontidas, juridiquement inexacte (il y avait bien tentative). D'autres ont refusé de se prononcer, effrayés par la difficulté de la tâche, quand bien même il ne s'agit ici que d'un jeu de rôle. Les juges, eux, n'ont pas cette échappatoire : ils sont obligés de juger.

C'est là l'objet de ces petits jeux : vous mettre tant que faire se peut en situation. La réalité n'est pas aussi simple que le voudraient ces temps de campagne électorale, propices à la simplification abusive. J'espère vous avoir fourni des éléments de réflexion.

L'audience est levée.

lundi 4 décembre 2006

Soyez le juge... des enfants

Lecteurs laxistes et démissionnaires, ce billet est pour vous. Aujourd'hui, je vous propose une petite immersion dans les cabinets aux portes closes [1] où sont jugés les mineurs délinquants, et protégés les mineurs en danger, qui parfois sont les mêmes.

Le droit des mineurs est assez compliqué, évolutif lui aussi, surtout ces derniers temps, et j'ai donc dû aller au plus simple en sacrifiant beaucoup d'aspects de la fonction. Ainsi, le dossier que je vais vous présenter aujourd'hui sera le seul que vous aurez à juger, ce qui est une première entorse à la réalité, où votre cabinet regorgerait de dossiers. Il ne porte que sur un problème de délinquance de mineurs, car c'est un thème d'actualité, un thème que je connais un peu, et traiter de dossiers de protection de l'enfance vous collerait une dépression. Mais c'est un thème que j'aborderai sous forme d'un billet, ça en vaut le coup.

Merci à Dadouche, juge des enfants, d'avoir bien voulu relire et corriger mon billet, qui s'inspire d'une affaire réelle mais ancienne, que j'avais suivi comme élève avocat et dont les détails ne me sont pas tous revenus : mon imagination a compensé ma mémoire défaillante, au risque d'incohérences qu'elle a impitoyablement relevées pendant que je rougissais de confusion.

Vous êtes donc juge des enfants. Vous siégez dans votre cabinet, qui est un bureau que vous partagez avec votre greffier (il a aussi un bureau dans une pièce partagée par tous les greffiers, ce qui lui permet de travailler pendant certaines audiences que vous tenez en son absence. C'est illégal, mais c'est une pratique devenue courante sous peine d'asphyxie du service. Les parties ont été convoquées. Il s'agit des deux mineurs concernés, de leurs avocats et des parents, qui sont civilement responsables, c'est à dire tenus à réparer les dommages commis par leurs bambins. Les chaises sont déployées en éventail devant votre bureau, votre greffier est prêt, le dossier est sous vos yeux. C'est parti.

Notes

[1] La loi prévoit que les audiences concernant les mineurs ont lieu hors la présence du public, à huis clos, huis étant un mot vieilli qui désigne les portes des maisons, le mot porte ne s'appliquant qu'aux entrées des villes.

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lundi 20 février 2006

Soyez le JLD : les délibérés

Merci à tous ceux qui ont joué le jeu, y compris et surtout aux magistrats qui ont pris la peine de motiver leur décision non sans humour. Ce qui se passe dans la tête d'un juge est une question presque métaphysique pour les avocats, et cette brève visite de votre occiput me paye largement de ma peine.

Avant de lever le voile, quelques mots.

Le but de cet exercice n'était pas de deviner ce qui a été prononcé. C'est un jeu de rôle, donc sans gagnant ni perdant.
L'objectif, que nombre d'entre vous ont deviné, était de vous faire chausser les souliers inconfortables du JLD et de réaliser à quel point prendre une telle décision était difficile, source de cas de conscience, bien loin de l'arbitraire de monstres froids qu'on aime bien invoquer ces temps-ci.

Une autre fausse impression que je souhaite dissiper serait celle de la loterie judiciaire. En effet, vous le verrez les décisions rendues sont parfois bien différentes de celles proposées par des magistrats ayant joué le jeu (En fait, dans un cas, c'est même exactemement le contraire sur les quatre cas). Mais il faut garder à l'esprit que j'ai raconté ces cas sur la base des notes que j'ai pu prendre au cours des débats, tandis que les trois intervenants au vrai débat (le procureur, l'avocat et le juge) avaient, eux, accès à un dossier qui faisait de trente à plusieurs centaines de pages selon les cas, dont les éléments pouvaient nourrir la réflexion du juge. De plus, ils avaient le mis en examen face à eux : le ton de sa voix, son attitude générale, sont des éléments qui influent le juge. En cas de divergence, la prudence exige d'estimer que la vraie décision était la bonne - sauf à mon avis dans un des cas.

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lundi 13 février 2006

Soyez le juge… des libertés et de la détention.

Félicitations, vous avez pris du galon ! Vous voilà JLD, juge des libertés et de la détention.

Quatre dossiers vont vous être soumis aujourd'hui (très petite journée), mais auparavant un peu de mise en situation.

Votre robe reste au placard, l'audience a lieu dans votre cabinet, à huis clos. Pour simplifier, aucun avocat n'a déposé de demande que l'audience soit publique : c'est une faculté rarement utilisée.

Vous êtes saisi par un juge d'instruction, qui vient de mettre en examen la personne qui va vous être présentée. Cette personne est présumée innocente ; néanmoins le parquet a demandé au juge d'instruction de vous saisir d'une demande de placement en détention provisoire. Il y a déjà eu un premier filtre : si le juge d'instruction avait estimé que la détention n'était pas nécessaire, il aurait placé le mis en examen sous contrôle judiciaire.

Vous venez de recevoir les dossiers, pour la plupart assez volumineux, et vous êtes pressés par le temps : il est tard, les escortes vous attendent pour repartir vers les maisons d'arrêt, et votre greffière jette régulièrement des regards désespérés vers l'horloge de votre bureau puis vers la photo de son rejeton. Une fois que vous avez pris connaissance du dossier, le mis en examen sera introduit dans votre bureau, escorté par un policier (ou un gendarme à Paris), ses entraves seront retirées, et il prendra place à côté de son avocat. Le procureur aussi est là (lui non plus n'a pas sa robe), il vient soutenir la demande de placement en détention.

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jeudi 28 juillet 2005

Soyez le juge... constitutionnel

Paxatagore vous invite à devenir juge constitutionnel sur son blog, où il vous propose de rédiger une opinion à la façon de la Cour Suprême US sur un recours véritable qui a été soumis aux sages de la rue Montpensier au sujet de la présence ou non du parquet à l'audience d'homologation de la peuine dans la procédure de Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité (CRPC)..

Ce recours a déjà été jugé et rejeté par le Conseil, qui, au grand dam de Paxatagore, n'a pas motivé son rejet.

Vous pouvez librement approuver ce rejet (opinion concordante) ou le désapprouver (opionion dissidente), à condition de terminer votre commentaire par la phrase "Je désapprouve respectueusement" (I respectfully dissent).

vendredi 6 mai 2005

Soyez le juge (2) : la décision.

Le tribunal, après en avoir délibéré, a déclaré le prévenu coupable, et en répression, l'a condamné à six mois d'emprisonnement, et a assorti cette peine d'un sursis avec mise à l'épreuve d'une durée de deux ans, avec comme obligations particulières celle d'avoir un domicile, d'exercer un travail ou suivre une formation professionnelle, et de se soumettre à des mesures d'examen médical, de traitement ou de soins, même sous le régime de l'hospitalisation (article 132-45 du Code pénal, 1°, 2° et 3°).

Le président, qui était une présidente, a ajouté après le prononcé de la peine qu'il s'agissait là d'une chance que lui laissait le tribunal, et qu'il lui fallait absolument en tirer profit.

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mardi 3 mai 2005

Soyez le juge (n°2)

Voici une nouvelle affaire que je soumets à votre très haute sagacité. Là encore, il s'agit d'une affaire réelle, qui a été jugée en comparution immédiate, c'est à dire que le prévenu a été arrêté l'avant veille de l'audience et arrive devant vous directement du commissariat, après une nuit au dépôt. Cette affaire est atypique de par le profil du prévenu, les faits étant eux d'un clacissime navrant. A vos poids et balance, l'huissier vous amène le dossier de Monsieur A., prévenu de tentative de vol aggravé par la circonstance de commission dans un moyen de transport public.

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mardi 22 mars 2005

Soyez le juge : la décision.

Merci de votre participation.

Le tribunal, après en avoir délibéré, a prononcé une peine de 100 jours amende à 8 euros et a rejeté la demande de non inscription au bulletin n°2 comme "prématurée".

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dimanche 20 mars 2005

Soyez le juge ! Be the judge !

Update : As Bystander referred to this post, I have translated the basic facts at the end of this post for his readers.

Inspiré par The Law West of Ealing Broadway, je vous proposerai de temps en temps des cas que j'ai vu juger, afin que vous puissez dire en commentaire quelle peine vous auriez prononcé. Une fois la date limite que j'aurai fixée dans le billet (que j'appellerai date de délibéré), je vous donnerai la peine qui a réellement été prononcée (sous réserve d'une modification appel que j'ignorerais forcément).

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