Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Police, circulez !

Vous avez sans doute appris à l’école ou dans vos quelques lectures civiques (aparté : le mot citoyen n’a jamais été un adjectif, seulement un génitif ; l’adjectif correspondant est civique. Le mot « citoyenne » dans l’expression « une attitude citoyenne » est un barbarisme tout à fait incorrect, et n’est pas du Français mais du « communiquant », ne vous laissez pas abuser), que toute personne est présumée innocente jusqu’à ce que la preuve de sa culpabilité soit apportée par le ministère public.

Et bien il est un endroit où tout cela est faux, où vous devez prouver votre innocence, et encore, on fait tout pour vous empêcher de le faire, où on vous sanctionnera pour oser contester votre culpabilité, et où les avocats mettent rarement les pieds.

Ce rêve de Garde des sceaux, c’est le tribunal de police siégeant en matière de circulation routière.

Tous ceux qui ont une automobile se sont un jour pris une contravention pour défaut d’affichage du ticket de l’horodateur. Certains ont été flashés par un radar à l’ancienne, les nouveaux bénéficiant d’une procédure toute spéciale, ou ont grillé un feu rouge. Dans tous ces cas, vous avez commis une contravention, premier degré des infractions (qui en compte trois avec les délits et les crimes). Les contraventions ne sont punies que de peines d’amendes et de peines complémentaires comme la suspension du permis.

Vous aurez remarqué qu’on vous inflige dans tous les cas une amende sans la moindre audience, que ce soit une amende forfaitaire ou par une ordonnance pénale, et qu’on vous propose éventuellement de la contester devant le tribunal de police.

Voilà comment ça se passe, avis aux amateurs.

Vous vous présentez au greffe ou vous lui écrivez en lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Votre opposition est dûment enregistrée dans les délais.

Six mois se passent, puis vous recevez une citation par huissier. En fait, une invitation en recommandé à passer chercher votre citation au palais. La citation vous indique la date et l’heure de votre audience.

Le jour dit, vous prenez place dans une salle d’audience.

D’abord, le tribunal entre. Avant même de s’asseoir, le président annonce la couleur : « Vous pouvez encore renoncer à votre opposition, auquel cas l’amende initiale deviendra définitive. Si vous maintenez votre opposition, sachez que le tribunal peut en augmenter le montant jusqu’à 750 euros et aggraver la suspension de permis jusqu’à trois ans. Si vous tenez à persévérer dans votre opposition, soyez sûrs que vous avez de bons arguments. Vous pouvez vous asseoir ».

La plupart des dossiers sont des feux rouges grillés dont la couleur est contestée par le conducteur verbalisé : le fameux « orange bien mûr », que les avocats appellent le « doublez ma peine Monsieur le Président ». Ce n’est pas tant le montant de l’amende qui embête les prévenus (le tarif oscille autour de 300 euros à Paris) mais la suspension de permis qui va avec (une à deux semaines pour une première fois).

Dès le premier dossier où l’argument « le feu n’était pas rouge » est invoqué, la réaction est immédiate :

—« Monsieur, le procès verbal mentionne que le feu était rouge. L'article 431 du Code de procédure pénale ne permet de rapporter la preuve contraire que par écrit ou par témoins. Il y a un S à témoins, j’en exige donc deux au moins. Avez vous un écrit ou deux témoins qui prouvent que le feu n’était pas rouge ? Non ? Et vous avez maintenu votre opposition ? »

Hop, 500 euros et un mois de suspension.

Saviez vous que lorsqu’un policier constate dans une procès verbal que X tue Y devant ses yeux, le procès verbal vaut à titre de simple renseignement ? Et bien s’il constate qu’un feu est rouge, c’est presque parole d’évangile.

Parfois, un prévenu a la présence d’esprit d’amener un voire deux témoins. Relaxe ?

Que nenni.

—« Vous étiez où au moment des faits ?

— Dans la voiture, Monsieur le Président, nous étions passagers.

— Dans la voiture ? Mais comment pouvez vous alors affirmer que les roues avant avaient bien franchi la ligne perpendiculaire à l'axe de la voie de circulation, ou lorsque cette ligne d'arrêt n'est pas matérialisée sur la chaussée, celle imaginaire qui se situe à l'aplomb du feu de signalisation ou avant le passage piéton lorsqu'il en existe un, article R.412-30 du Code de la route ? Hein ?

— Heu… Ben….

— Monsieur, le policier, lui, était en dehors de la voiture donc mieux placé que vous, et ils sont formés à constater les infractions. Votre témoignage n’est pas suffisant, 500 euros, un mois de suspension. Affaire suivante.

Système injuste, illégal, contraire aux droits de l’homme ?

Mais non, voyons, lisez bien le code de procédure pénale.

Le prévenu est bien présumé innocent. Simplement, la preuve de sa culpabilité est constituée par le procès verbal (de deux lignes) écrit par le policier. Il a le droit de le contester, mais uniquement par écrit ou par témoins. S’il n’a pas des témoignages ou des écrits pertinents, et bien il est condamné, en toute légalité.

Quand je dis et répète que c’est dans la procédure que se situe la défense des libertés, et non dans les grandes proclamations de principe…

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