Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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De la démagogie ordinaire - 2. Au tour de la droite.

Je dénonçais il y a quelques jours la démagogie d’un élu de gauche moustachu toujours vert malgré son âge.

Sans doute rendus jaloux par cet accès de notoriété, 46 de nos parlementaires ont commis le même délit avec la circonstance aggravante de réunion (voire de bande organisée), et par souci de pluralité, je me propose de les couvrir à leur tour d’opprobre.

Honte à Mesdames et Messieurs les députés Richard DELL'AGNOLA, Olivier DASSAULT, Jean AUCLAIR, Patrick BEAUDOUIN, Marc BERNIER, Michel BOUVARD, Ghislain BRAY, Bernard BROCHAND, Bernard CARAYON, Antoine CARRÉ, Roland CHASSAIN, Charles COVA, Jean-Claude DECAGNY, Bernard DEPIERRE, Jean-Michel FERRAND, Jean-Michel FOURGOUS, Franck GILARD, Bruno GILLES, Georges GINESTA, François GUILLAUME, Joël HART, Denis JACQUAT, Maryse JOISSAINS-MASINI, Jacques KOSSOWSKI, Patrick LABAUNE, Jean-Christophe LAGARDE, Pierre LANG, Lionnel LUCA, Richard MALLIÉ, Alain MARLEIX, Franck MARLIN, Jean MARSAUDON, Jacques MASDEU-ARUS, Georges MOTHRON, Etienne MOURRUT, Alain MOYNE-BRESSAND, Jacques MYARD, Béatrice PAVY, Josette PONS, Xavier DE ROUX, Francis SAINT-LÉGER, André SAMITIER, Frédéric SOULIER, Guy TEISSIER, Léon VACHET et Christian VANNESTE

Alors que la France s’illustre courageusement dans la lutte contre le terrorisme par un courageux attentisme et une détermination sans faille à ne rien faire qui puisse fâcher les organisations commettant ces crimes, ces parlementaires ont trouvé la solution pour sauver la République, en quoi faisant ?

En proposant le rétablissement de la peine de mort pour les terroristes.

Ben Laden doit trembler dans ses braies, à n’en pas douter : la Représentation nationale veut sa tête au bout d’une pique.

Certains, outrés par la sauvagerie barbare des attaques contre les Etats Unis et Madrid plus récemment, diront qu’après tout, on peut couper en deux les terroristes, il n’y a pas à pleurer sur leur sort Et tant qu’à faire, profiter de l’occasion pour l’infliger aux pédophiles.

Et nous voilà en train de reprendre l’un des discours électoraux de Jean-Marie Le Pen.

Pour ceux qui veulent pousser un peu plus loin la réflexion, voilà en quoi ce projet est une pure tartufferie et de la simple gesticulation parlementaire.

Sur la forme : voter une telle loi n’est pas si facile. L’édifice législatif est complexe, obéit à des forces dont il faut tenir compte. Et dès la simple rédaction, la proposition sombre dans le ridicule. Elle est courte, cinq articles, qui démontrent tous l’ignorance majeure de nos législateurs du fonctionnement du droit dont ils sont censés être la source.

Voici la reproduction de ce morceau de bravoure avec un commentaire article par article.

Article 1er

L'article 1er de la loi no 81-908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, la peine de mort demeure applicable aux auteurs d'actes de terrorisme. »

Premier pataquès. La loi se propose de modifier une loi qui a eu pour effet d’abroger des articles d’un Code pénal lui même abrogé depuis 10 ans maintenant. Or modifier une loi qui abroge des articles n’a pas pour effet de remettre en vigueur lesdits articles, la Cour de cassation l’a encore jugé récemment. Cela revient à ravaler la façade d’un immeuble démoli.

Article 2

La présente loi entrera en vigueur dès qu'aura pris effet la dénonciation du protocole no 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort.

En effet, la France a ratifié le 6e protocole additionnel de la CEDH qui porte interdiction de la peine de mort. Il faudrait d’abord dénoncer ce traité international avant de pouvoir rétablir la peine de mort. C’est possible. Mais cela dépend du seul pouvoir exécutif. Et le pouvoir législatif ne peut l’obliger à le faire.

Mieux encore, aujourd’hui, l’article 1er de la loi est contraire à ce protocole qui est encore en vigueur. Donc, en vertu de l’article 55 de la Constitution qui fait prévaloir les traités internationaux sur la loi interne, l’article 1er est contraire à la Constitution et ne pourra qu’être annulé par le conseil constitutionnel.

Article 3

Après le premier alinéa de l'article 131-1 du code pénal est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« 1o La peine de mort ; »

L’article 131-1 du code pénal est ainsi rédigé :

''Les peines criminelles encourues par les personnes physiques sont : 1º La réclusion criminelle ou la détention criminelle à perpétuité ; 2º La réclusion criminelle ou la détention criminelle de trente ans au plus ; 3º La réclusion criminelle ou la détention criminelle de vingt ans au plus ; 4º La réclusion criminelle ou la détention criminelle de quinze ans au plus.''

La durée de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à temps est de dix ans au moins.

Les 1°, 2° etc ne sont pas des alinéas mais des paragraphes.

Le nouvel article 131-1 serait donc :

(alinéa 1) : Les peines criminelles encourues par les personnes physiques sont : 1º La réclusion criminelle ou la détention criminelle à perpétuité ; 2º La réclusion criminelle ou la détention criminelle de trente ans au plus ; 3º La réclusion criminelle ou la détention criminelle de vingt ans au plus ; 4º La réclusion criminelle ou la détention criminelle de quinze ans au plus.

(Alinéa 2) : 1° La peine de mort ;

(Alinéa 3) : La durée de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à temps est de dix ans au moins.

Continuons, nous n’avons pas fini de rire.

Article 4

Après le premier alinéa de l'article 421-3 du code pénal, est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« 1o Il est porté à la peine de mort ou à la réclusion criminelle à perpétuité lorsque l'infraction est punie de trente ans de réclusion criminelle à perpétuité ; »

Je ne relève même pas qu’il y aurait à nouveau deux 1° dans l’article 421-3, ça en devient banal. Mais relisez le texte.

Oui.

Vous avez bien lu. Il parle d’infraction punie de trente ans de réclusion criminelle à perpétuité. Et je me pose la question : qu’est ce qui est plus long ? Trente ans de réclusion criminelle à perpétuité ou seulement vingt ans de réclusion criminelle à perpétuité ?

Le meilleur pour la fin, car c’est déjà fini.

Article 5

Un décret en Conseil d'Etat précisera les conditions d'application de la présente loi.

Quelles conditions ? Oh, trois fois rien. Notamment l’administration de la peine elle même. Guillotine ? Pendaison ? Fusillade ? Noyade ? Garrot ? Détail, détail, nos vaillants députés sont trop occupés à lutter contre le terrorisme pour qu’on les ennuie avec ces vétilles. Un décret y pourvoira, tuez moi ça et qu’on en parle plus.

Un décret n’a absolument pas le pouvoir de réglementer la peine de mort qui relève du seul domaine de la loi : article 34 de la constitution.

Cinq articles, cinq bourdes anticonstitutionnelles. Grand chelem. Accessoirement, cette loi ne sera pas applicable à Mayotte ni dans les territoires d'outre mer faute de disposition expresse en ce sens.

Autrement dit, quand bien même cette loi serait adoptée (aucune chance) que la peine de mort n’en serait pas rétablie pour autant faute pour 46 députés d’avoir réussi en conjuguant leurs efforts à écrire une loi applicable.

Reste la question : au delà de ce texte lamentable, ne serait il pas effectivement opportun de rétablir cette peine pour ces crimes qui nous glacent tous d’horreur ?

Je laisse la réponse à Robert Badinter, qui a abordé la question lors de la discussion de son projet de loi. Il y a répondu mieux que personne. La voici, tirée du journal officiel de la république, édition des débats parlementaires, comme quoi on n’entend pas que des sottises au Palais Bourbon.

Nous sommes le 17 septembre 1981, 20 ans avant les attentats du 11 septembre. Voyez comme la question est nouvelle, et comme ces événements bouleversent la question de la peine de mort au point de nous contraindre à revenir sur nos positions, comme on l'entend si souvent.

« Je sais qu'aujourd'hui et c'est là un problème majeur - certains voient dans la peine de mort une sorte de recours ultime, une forme de défense extrême de la démocratie contre la menace grave que constitue le terrorisme. La guillotine, pensent-ils, protégerait éventuellement la démocratie au lieu de la déshonorer.

Cet argument procède d'une méconnaissance complète de la réalité. En effet l'Histoire montre que s'il est un type de crime qui n'a jamais reculé devant la menace de mort, c'est le crime politique. Et, plus spécifiquement, s'il est un type de femme ou d'homme que la menace de la mort ne saurait faire reculer, c'est bien le terroriste. D'abord, parce qu'il l'affronte au cours de l'action violente ; ensuite parce qu'au fond de lui, il éprouve cette trouble fascination de la violence et de la mort, celle qu'on donne, mais aussi celle qu'on reçoit. Le terrorisme qui, pour moi, est un crime majeur contre la démocratie, et qui, s'il devait se lever dans ce pays, serait réprimé et poursuivi avec toute la fermeté requise, a pour cri de ralliement, quelle que soit l'idéologie qui l'anime, le terrible cri des fascistes de la guerre d'Espagne : "Viva la muerte !", "Vive la mort !" Alors, croire qu'on l'arrêtera avec la mort, c'est illusion.

Allons plus loin. Si, dans les démocraties voisines, pourtant en proie au terrorisme, on se refuse à rétablir la peine de mort, c'est, bien sûr, par exigence morale, mais aussi par raison politique. Vous savez en effet, qu'aux yeux de certains et surtout des jeunes, l'exécution du terroriste le transcende, le dépouille de ce qu'a été la réalité criminelle de ses actions, en fait une sorte de héros qui aurait été jusqu'au bout de sa course, qui, s'étant engagé au service d'une cause, aussi odieuse soit-elle, l'aurait servie jusqu'à la mort. Dès lors, apparaît le risque considérable, que précisément les hommes d'Etat des démocraties amies ont pesé, de voir se lever dans l'ombre, pour un terroriste exécuté, vingt jeunes gens égarés. Ainsi, loin de le combattre, la peine de mort nourrirait le terrorisme. [Applaudissements sur les bancs des socialistes et sur quelques bancs des communistes.]

A cette considération de fait, il faut ajouter une donnée morale : utiliser contre les terroristes la peine de mort, c'est, pour une démocratie, faire siennes les valeurs de ces derniers. Quand, après l'avoir arrêté, après lui avoir extorqué des correspondances terribles, les terroristes, au terme d'une parodie dégradante de justice, exécutent celui qu'ils ont enlevé, non seulement ils commettent un crime odieux, mais ils tendent à la démocratie le piège le plus insidieux, celui d'une violence meurtrière qui, en forçant cette démocratie à recourir à la peine de mort, pourrait leur permettre de lui donner, par une sorte d'inversion des valeurs, le visage sanglant qui est le leur. '' Cette tentation, il faut la refuser, sans jamais, pour autant, composer avec cette forme ultime de la violence, intolérable dans une démocratie, qu'est le terrorisme. »''

Commentaires

1. Le jeudi 27 janvier 2005 à 17:57 par Oli

C'est bien, ça nous fait le top 46 des députés les plus... (non, pas de diffamation sur le blog d'un avocat, ça ferait désordre).

Mais, mais, mais ça alors, M. Christian Vanneste figure dans cette liste. Quelle surprise!

2. Le jeudi 27 janvier 2005 à 18:01 par iznogoud_

Pour reprendre la phrase d'un ami à moi que je ne nommerai pas : "en gros, ils ont pondu des mots de 5 lettres", mais cette fois, pas dans le domaine informatique.


J'ai beaucoup de mal également à concevoir le fait d'approuver la peine de mort pour certains seulement. De toute façon, je suis contre la peine de mort. Mais si elle devait s'appliquer, cela légitimerait en quelque sorte les pratiques d'autrui, que l'on condamne depuis si longtemps comme étant barbares...
Bien, messieurs, bien.

3. Le jeudi 27 janvier 2005 à 19:24 par Bladsurb

C'est seulement chez moi, ou Maitre Eolas a décidé d'être franchement en avance sur son temps ? Je vois cette note comme datée du "vendredi 6 mai 2005 à 17:47"...

4. Le jeudi 27 janvier 2005 à 19:31 par Bladsurb

En fait, si je ne m'abuse, c'est une note de Mai 2004. Petite erreur de datation lors de la récupération de l'ancien blog vers le nouveau, je suppose ?
Donc, inutile de chercher dans les journaux des nouvelles de ce projet abject et ridicule, c'est du passé.
Mais merci de donner l'occasion de relire ce magnifique texte de Badinter !

5. Le jeudi 27 janvier 2005 à 20:05 par Eolas

A tous : désolé pour cette réédition datée initialement de mai 2005. Je suis en train de rapatrier mes archives d'U-Blog, et je dois le faire manuellement (comme quoi, tout se paye, même pour les blogs gratuits).

6. Le vendredi 28 janvier 2005 à 11:22 par AutchoZ

Je n'étais pas blogger en mai 2004, je n'avais pas non plus entendu cet appel des députés.
Difficile de croire qu'en 2004 certains puissent demander le rétablissement de la peine de mort.
Et en plus nous les élisons.
Nous sommes désespérant.

7. Le vendredi 28 janvier 2005 à 14:56 par Kaeva

Dommage que vous leur ayiez mâché le travail pour le cas où ils auraient de la suite dans les idées. Malgré tout, merci pour cette piqûre de rappel (morceau choisi du discours).

8. Le vendredi 28 janvier 2005 à 18:30 par Peyu

Qui les a élu ? ;)

Mais quand on rentre à l'Assemblée Nationale, on ne suit pas une "formation" ? Ou n'y a-t-il pas un "service juridique" qui s'occuperait de rédiger/valider les lois en suivant les idées des députés ?

9. Le vendredi 28 janvier 2005 à 18:50 par iznogoud_

manuellement ? Et vous n'avez pas trouvé un gentil geek pour vous faire un script qui fait la migration ?
(je ne me porte pas volontaire, c'est juste que ce genre de chose est tout à fait faisable).

Je vois que vous étiez sur ublog... On doit pouvoir demander d'avoir une sauvegarde de la base de donnée, non ?
A partir de là, un script devrait faire la conversion, éventuellement, si vous obtenez la sauvegarde de la base complète, je veux bien voir ce que je peux faire, connaissant déjà un peu celle de dotclear.
Pour l'occaz, je vous laisse le mail dans le champ email (je ne suis pas disponible le week-end par contre)

10. Le vendredi 28 janvier 2005 à 19:36 par samantdi

Merci pour ce billet.

11. Le mercredi 27 juillet 2005 à 21:56 par Sans pseudo

« l'infraction est punie de trente ans de réclusion criminelle à perpétuité ».
Pfff… Encore une loi rédigée en sirotant un Armagnac hors d'âge de 25 ans d'âge.

12. Le jeudi 28 juillet 2005 à 09:47 par groM

"l’article 1er est contraire à la Constitution et ne pourra qu’être annulé par le conseil constitutionnel."

Vraiment ? Je croyais que le conseil constitutionnel se refusait à réaliser le contrôle de conventionnalité des lois, au motif que l'application des traités était trop contingente, laissant cette appréciation aux juridictions "ordinaires": cf. la fameuse 74-54 DC. Mais bon, si c'est la cour de cassation qui annule, ça ne change pas grand-chose ...

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