Une avocate condamnée pour violation du secret professionnel
Par Eolas le vendredi 9 septembre 2005 à 11:25 :: La profession d'avocat :: Lien permanent
Bon, soyons sérieux quelques minutes : voici les faits tels qu'ils sont déduits d'un article de Libération (mes lecteurs habituels comprendront mes réserves) et du Nouvel Observateur.
Cette avocate aurait été désignée dans une procédure criminelle (une affaire de viol) pour assister le mis en examen.
En effet, toutes les affaires criminelles, et certaines affaires délictuelles graves ou complexes sont précédées d'une phase d'investigation, qu'on appelle instruction ou information, confiée à un juge, le juge d'instruction. C'est obligatoire en matière criminelle.
Les avocats ne sont pas tenus au secret de l'instruction, qui ne concernent que les personnes qui y concourent (article 11 du Code de procédure pénale) : greffiers, juges, policiers, experts... etc.
Mais ils sont tenus au secret professionnel, c'est à dire ne doivent pas révéler des informations à caractère secret qu'ils ont reçu dans le cadre de leurs fonctions, comme tout professionnel amené à recevoir des informations confidentielles (médecin, prêtre, notaire, banquier...).
Cette consœur a visité son client, qui lui a donné des éléments qui auraient été selon lui de nature à établir son innocence, à savoir que la voiture décrite par la victime n'est pas la sienne et que le jour des faits, il était chez son médecin. Cette avocate a contacté téléphoniquement la famille du mis en examen pour leur demander confirmation. Pas de chance, cette famille était sur écoute. Le parquet a estimé qu'en communiquant ces informations à la familel du mis en examen, cette avocate a violé le secret professionnel.
Garde à vue, citation à comparaître. Et condamnation, mais avec dispense de peine.
Paxatagore trouve l'article de Libération orienté. Il l'est, mais pour une fois que Dominique Simonnot, excellente chroniqueuse judiciaire de Libération, ne se moque pas des travers des avocats mais les soutient (elle nous aimerait donc un peu ?), on ne va pas se plaindre. Paxatagore apporte donc un point de vue différent, et ô combien éclairé, qui est donc particulièrement intéressant. Il souligne tout d'abord que l'article 226-13 du Code pénal qui sanctionne "La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire" ne prévoit pas d'exception pour les droits de la défense. Il en déduit que :
Me Maizière aurait mieux fait d'aller confier ses doutes au juge d'instruction qu'à la famille, et de lui demander de faire les vérifications d'usage. L'avocat a le droit de faire des demandes en ce sens et le juge peut les refuser, mais doit motiver sa décision, susceptible d'appel. En France, ce ne sont pas les parties qui font l'enquête, mais la justice et son bras armé, la police et ou la gendarmerie : c'est notre conception que la preuve est ainsi mieux rapportée. Je ne suis pas d'accord avec cette assertion relayée par Libération, de Maître Alain Molla, qui décalre : « Nous avons le devoir de bousculer les choses, celui de conseil, d'assistance, mais aussi d'investigation pour nos clients, même si le code ne le dit pas comme ça !". Ca, clairement non. Les investigations, je me répète, relèvent des magistrats et non des avocats. On peut critiquer ce système, mais c'est celui dans lequel on vit et il ne faut pas faire semblant de le découvrir.Mais bon, Me Maizière ne semble pas avoir non plus trahi un secret - a priori la famille était déjà au courant des faits révélés -, ni un secret dramatique - une visite médicale, une immatriculation de voiture... Etait-ce bien utile d'aller agacer et titiller le bareau pour quelque chose qui est, malgré tout, anodin chez les avocats pénalistes ?
Il a raison sur la plupart de ces points, mais je ne partage pas sa conclusion.
Oui, un avocat n'a pas à faire son enquête de son côté. C'est effectivement le rôle du juge, car l'instruction doit permettre aux parties de débattre des éléments de preuve ainsi rapportés, en en demandant la nullité, en demandant des investigations approfondies, que tel point soit examiné, qu'une contre expertise soit ordonnée, etc. La loi prévoit d'ailleurs que, pour que les parties soient informées de ces droits et soient à même d'en faire usage le cas échéant, chaque mis en examen et chaque partie civile (qui a dit "et chaque avocat" ?) se voit notifier, lors de son intervention dans la procédure, l'ensemble de ces droits. De même, elle prévoit que quand le juge estime avoir terminé son travail, il en informe les parties qui ont un délai de 20 jours pour demander des actes supplémentaires. Il peut certes les refuser, mais ce refus doit être expliqué par écrit et ce refus peut être attaqué devant la chambre de l'instruction. C'est une garantie procédurale, mais quand un acte d'investigation est pertinent, les juges ne le refusent pas de toutes façons.
Je suis plus réservé sur les procédures où le tribunal est saisi directement. Là, l'enquête de police est sommaire, et quand on envisage de faire citer un témoin, il faut s'assurer que ce qu'il déclarera est conforme à la version du client. Il est normal que je contacte la famille de mon client, surtout en comparution immédiate pour qu'elle m'amène des pièces utiles. Un avocat qui fait citer l'alibi de son client qui vient déclarer à la barre qu'il ne l'a jamais vu et ne le connait pas est un incompétent qui vient de se ridiculiser. Mais dans ces hypothèses, il n'y a pas de secret de l'instruction.Voilà le noeud du problème à mon sens.
Ma consœur n'était pas poursuivie pour enquête illégale ou lèse-juge d'instruction. Elle est poursuivie pour violation du secret professionnel. Quelle information à caractère secret a-t-elle donc révélé à la famille de son client ? Le modèle de sa voiture ("Quoi ? Mon fils à une Clio ???") ? Le nom de son son médecin traitant ?
Quand Paxatagore relève que cette avocate "ne semble pas avoir non plus trahi un secret", il ne tire pas les conséquences légales de ses constatations. Ce n'est pas la dispense de peine qui s'imposait mais la dispense de condamnation. La famille du mis en examen avait un permis de visite. Le mis en examen avait loisir de leur parler de ces éléments. Ils le savaient déjà probablement. Il n'y a donc sûrement pas révélation de secret. Un élément matériel de l'infraction me semble faire défaut ici.
Et là où Paxatagore se trompe à mon humble avis, c'est quand il dit que la loi ne prévoit pas d'exception pour les droits de la défense. Elle ne le prévoit pas expressément car elle n'a pas à le faire. L'exercice des droits de la défense exclut par nature toute violation du secret professionnel. Une information reçue par l'avocat qui est conforme à l'intérêt de son client n'a pas de caractère secret : il a au contraire l'obligation de la révéler. Il y a bien sûr des exceptions, liées aux principes essentiels de la profession : le secret des correspondances entre avocats, par exemple, et les discussions informelles que je peux avoir avec un magistrat instructeur resteront entre lui et moi. Entendons nous bien : la révélation d'un secret que l'avocat apprend de son client ne peuvent constituer une violation du secret professionnel quand cette révélation est faite dans l'intérêt du client.
Si on suit le raisonnement contraire, je ne puis plus faire mon travail. Quand j'expose une défense, au civil comme au pénal, je révèle des informations à caractère secret que j'ai apprises dans le cadre de mes fonctions, en l'occurence en recevant mon client à mon cabinet. Je vais produire des contrats, même revêtus d'une clause de confidentialité ; je vais produire des courriers qui ne me sont pas adressés, violant le secret des correspondances. Je vais produire des fiches de paye, des dossiers médicaux, parfois des photographies d'événements familiaux.
Parce que le secret professionnel de l'avocat est fait pour protéger le client et ne saurait lui nuire.L'avocat n'est pas tenu au secret absolu. Il est tenu au secret,et risque d'ailleurs des sanctions déontologiques lourdes, s'il révèle des éléments nuisant à son client. Si à la barre du tribunal, je déclare : "mon client m'ayant avoué sa culpabilité lors d'un entretien avant l'audience, je ne puis plaider la relaxe", je mérite un an de prison et la radiation du barreau.
En l'espèce, cette consœur n'a révélé aucun secret, puisqu'elle a parlé de ce que lui a dit son client avec des personnes ayant reçu du juge d'instruction l'autorisation de rencontrer son client en prison. De plus, elle a voulu s'assurer du sérieux des éléments que lui a communiqué son client avant d'aller faire une demande d'acte au juge d'instruction, car si cette demande d'acte aboutissait à démontrer que la voiture décrite était celle du mis en examen et que le médecin traitant n'avait pas reçu son client en rendez vous ce jour là, elle aurait enfoncé son client, et le juge d'instruction fait déjà ça très bien tout seul. Elle agissait dans l'intérêt de son client, intérêt dont elle a la charge. Vérifier les mensonges du client avant de les répéter fait partie du travail d'un bon avocat.
Si elle avait franchi dans l'aide apportée à son client des limites l'amenant à être complice de son client, à suborner des témoins ou à entraver l'enquête, il existe des délits spécifiques (notamment le fameux article 434-7-2 du Code pénal). Mais le fait que le parquet ait décidé de recourir à la violation du secret professionnel prouve qu'elle n'avait pas franchi ces limites.
Cette décision me semble juridiquement critiquable et l'appel s'impose. En opportunité, elle est catastrophique puisqu'elle contribue à une atmosphère de guéguerre entre les magistrats et les avocats, atmosphère qui est loin d'être généralisée, mais sera immanquablement exploitée par les organisations syndicales voulant en découdre (les élections ordinales ont lieu en novembre). Sans compter l'inutile et humiliante garde à vue de cette avocate avec fouille à corps, histoire sans doute de s'assurer qu'elle ne cachait pas un secret professionnel chargé dans sa culotte. Et tout ça pour aboutir à une piteuse dispense de peine, histoire de décourager l'appel.
En aucun cas la justice ne sortira gagnante d'une confrontation entre magistrats et avocats.
Mise à jour : Michel de Compiègne m'a communiqué en commentaire un article d'Oise Hebdo qui apporte des éléments d'information sur cette affaire. J'en ai profité pour rectifier des approximations de vocabulaire. Ces modifications sont entre crochets.
Maître Maizière se serait rendue coupable de ces faits en 2002 lors de la préparation de la défense de M. Laurent. L'homme l'avait contactée pour qu'elle
Au début, l'avocate ne souhaitait pas s'occuper de ce dossier. Puis la famille Laurent l'a recontactée. Le
Pour cela, Maître Maizière a pris connaissance du dossier, a vu son client puis a contacté par téléphone l'épouse de ce dernier «afin d'avoir un peu plus d'informations», a-t-elle expliqué. Malheureusement, la conversation téléphonique qui a duré 43 minutes a été écoutée.
Et le parquet a pu reprocher à l'avocate d'avoir divulgué à la famille du prévenu certaines informations sur la victime et sur la procédure.
Maître Maizière, le 12 juillet, a expliqué qu'elle n'avait voulu que «préparer la défense de son client, son éventuelle mise en liberté». Elle a insisté sur le fait que «pour elle, elle n'avait abordé que des sujets qui devaient être versés au débat. Elle a assuré encore qu'elle avait toujours essayé de calmer les ardeurs de la famille. Pour elle également, jamais, elle n'a eu le sentiment d'entraver la justice, elle a fait son travail consciencieusement, il fallait qu'elle fasse des vérifications ».
La présidente de Compiègne a accepté de concevoir que certains éléments étaient connus déjà de la famille du prévenu. Mais pour elle, l'avocate « a pensé à haute voix ». Pour la présidente Descamp, « tout ne devait pas être dévoilé car certains éléments auraient pu permettre à la famille par exemple de monter un faux alibi au prévenu ». Pour elle, l'avocate «aurait pu vérifier ce qu'elle voulait sans pour cela dévoiler ce qu'elle a dévoilé».
C'est aussi ce qu'a pensé le procureur Piera qui ce 12 juillet a estimé que «malgré la volonté de bien faire son travail, Me Maizière a dépassé la frontière. » Pour elle, l'avocate savait qu'elle révélait des informations inconnues de son interlocutrice. Des informations importantes que la famille du prévenu ne devait pas connaître, comme l'utilisation d'un bandeau, le mode opératoire des faits, l'heure de leur déroulement, le lieu de travail de la victime». C'est pourquoi, le procureur Pascale Piera avait requis le 12 juillet dernier une peine de 3 mois de prison avec sursis contre l'avocate qui était «allée trop loin».
Voilà qui me permet de mieux comprendre la décision de condamnation. L'élément matériel du délit consiste pour un avocat à révéler le contenu d'un acte couvert par le secret de l'instruction. Si la marque de la voiture, ou l'emploi du temps du mis en examen ne sont certainement pas de telles informations, le mode opératoire ou le lieu de travail de la victime le sont. L'élément intentionnel serait également caractérisé par le fait que ma consœur aurait su qu'elle révélait des informations inconnues de son interlocuteur. Et si elle a effectivement abordé le déroulement des faits, elle a franchi la ligne jaune.
Je fais un parallèle avec l'affaire Moulin sur un point : il s'agit encore d'une avocate non pénaliste qui s'est aventurée, à son corps défendant, sur un terrain inconnu.
Si ces éléments sont avérés, je dois mettre de l'eau dans mon vin et reconnaître que juridiquement, cette condamnation est fondée. Reste que l'opportunité d'exercer des poursuites pour une faute qui n'a entraîné aucune entrave à l'instruction me paraît vraiment douteuse, mais le parquet est souverain en l'espèce.
Commentaires
1. Le vendredi 9 septembre 2005 à 16:45 par bambi
2. Le vendredi 9 septembre 2005 à 17:44 par KoZ
3. Le vendredi 9 septembre 2005 à 17:58 par Michel de Compiègne
4. Le vendredi 9 septembre 2005 à 19:26 par Fred
5. Le vendredi 9 septembre 2005 à 19:28 par Gascogne
6. Le samedi 10 septembre 2005 à 00:28 par F. Rolin
7. Le samedi 10 septembre 2005 à 00:29 par FutureEtudiante,Droit ou Interpretariat ?!
8. Le samedi 10 septembre 2005 à 13:28 par Veuve Tarquine
9. Le samedi 10 septembre 2005 à 13:40 par Veuve Tarquine
10. Le samedi 10 septembre 2005 à 16:19 par Philippe
11. Le samedi 10 septembre 2005 à 16:44 par Baptistine
12. Le lundi 12 septembre 2005 à 10:22 par Gagarine
13. Le lundi 12 septembre 2005 à 11:10 par Fred
14. Le lundi 12 septembre 2005 à 12:33 par david_souslalune
15. Le lundi 12 septembre 2005 à 13:50 par koz
16. Le lundi 12 septembre 2005 à 17:33 par Coujou
17. Le mardi 13 septembre 2005 à 10:09 par Yeti
18. Le mercredi 14 septembre 2005 à 00:13 par Ethopia
19. Le mercredi 14 septembre 2005 à 10:54 par PACOME
20. Le mercredi 14 septembre 2005 à 22:02 par Bulbi
21. Le jeudi 15 septembre 2005 à 14:31 par hervé
22. Le jeudi 6 octobre 2005 à 00:33 par Nicolas
23. Le dimanche 6 novembre 2005 à 01:07 par Vincent G
24. Le jeudi 29 décembre 2005 à 16:33 par Grum Lee
25. Le jeudi 5 janvier 2006 à 18:52 par Diane