Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Va-t-on renvoyer en prison les acquittés d'Outreau ?

C'est la question qu'on peut se poser face à la maladresse incroyable qui s'ajoute à la liste des bourdes de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire d'Outreau.

On se souvient que la commission a décidé, contre l'avis général y compris des personnes concernées au premier chef (le juge d'instruction et les mis en examen finalement acquittés) de procéder aux auditions à huis clos. Philippe Bilger a déjà fort bien expliqué en quoi cette décision est aberrante, et je me rallie à son opinion sans rien y retrancher. Signalons pour mémoire que Madame Guigou a décidé de ne pas siéger dans les audiences à huis clos pour protester, et que Madame Lebranchu y siégeait initialement alors qu'elle était garde des sceaux lorsque l'affaire a éclaté et que les acquittés ont été placés sous mandat de dépôt, ergo qu'elle était à la tête du parquet qui a requis ces placements en détention, et vous voyez avec quel soin cette commission a été constituée.

Dernier épisode en date, dont il faut se hâter de rire avant d'avoir à en pleurer : les avocats des parties ont été convoqués ce jeudi pour être entendus. Vu leur nombre et le temps consacré à leur audition, un rapide calcul montre qu'ils auront quinze minutes pour s'exprimer sur un dossier qui représente quatre années d'instruction, deux procès d'assises soit environ une tonne de papier. D'où légitime colère, relayée par les acquittés qui ont le sentiment qu'on veut leur faire faire de la figuration, montrer qu'on les a entendu mais sans vraiment les écouter. Pour manifester leur mécontentement, l'une d'entre eux, Roselyne Godard, a menacé de ne pas se rendre à sa convocation.

Sauf que.

Sauf que, magie des traitements de texte et des documents-type, la convocation envoyée à cette personne mentionne in fine que le fait de ne pas déférer à cette convocation est puni de deux ans d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende (article 6, III de l'Ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Donc, cette personne va aller déposer "sous la contrainte" et la menace d'un emprisonnement, tout en relevant que Madame Guigou, elle, ne risque rien pour son absence protestative.]

Evidemment, il va de soi que le parquet ne poursuivrait pas Madame Godard si elle ne déférait pas à cette convocation, et si par impossible cela arrivait devant un tribunal, aucun juge n'oserait prononcer une peine de prison fût-ce avec sursis (j'imagine l'embarras du président !).

Mais quand même, quand même, quelle maladresse, quelle injure faite aux personnes qui ont souffert déjà dans ce dossier.

La malédiction qui a frappé ce dossier semble continuer ses effets sur le volet parlementaire, et cette commission souffre d'ores et déjà d'une perte de crédibilité qu'elle aura du mal à surmonter.

(Via le Big Bang Blog)

Commentaires

1. Le lundi 16 janvier 2006 à 12:31 par GroM

C'est tout à l'honneur de Lebranchu d'avoir démissionné de la commission d'enquête parlementaire pour les motifs que vous indiquez, alors qu'on sait comment elle s'est refusé à émettre toute instruction particulière au parquet alors qu'elle était ministre. Le procès d'Outreau pose donc encore une fois la question des relations entre Chancellerie et Parquet; est-ce que le fait que Madame Lebranchu ait refusé de donner des instructions sera interprété à charge (elle n'a pas fait son travail ?) ou à décharge (elle a laissé le système judiciaire juger en toute indépendance de la pertinence des poursuites) ? Mystère, même si le contexte me fait plutôt pencher pour la deuxième, qui a le mérite de dédouaner les gardes des sceaux suivants.

Je pense pour ma part que la solution espagnole d'un parquet indépendant soumis hiérarchiquement à un procureur national aurait le mérite de concilier d'une part la conduite d'une politique pénale cohérente et d'autre part l'indépendance dudit parquet. Mais je n'y crois pas pour tout de suite en France ;-)

2. Le lundi 16 janvier 2006 à 13:39 par Don

Dois-je vous rappeler que la commission Dutroux était publique et retransmise en direct à la télévision (je l'ai regardée) ?
Autre pays autres moeurs ?
Je ne suis pas sûr que cette publicité télévisuelle ait été une bonne chose. Elle a, à mon sens, surtout offert à certains membres de la commission une tribune électorale; le président, entre autre, est devenu ministre de la justice lors de la législature suivante.
Par contre le huis clos est inadmissible.

3. Le lundi 16 janvier 2006 à 14:20 par Armand

Cher Maître Eolas,
Je n'ai pas suivi l'affaire de près, mais je croyais qu'il y avait eu acquittement généralisé et que les victimes de cette erreur judiciare allaient être indemnisés.
Le seul motif d'une convocation valable (à mon sens) pourrait être une demande de pièces justificatives pour l'évaluation des pertes financières des emprisonnés à tort, de leur préjudice "d'incarcération" (ce ne sont pas des vacances), et pour les réputations salies...
Salutations respectueuses.
P.S. Quel métier frustrant, parfois!

4. Le lundi 16 janvier 2006 à 19:47 par Taliesin

Sans vouloir être brutal, y'a quand même des gens qui méritent des baffes dans cette affaire...

5. Le lundi 16 janvier 2006 à 22:15 par Dyonis

J'ai bien aimé la surprise du président de la commission d'enquète André Vallini qui a déclaré être "étonné de la violence des polémiques".

Sans vouloir être brutal non plus, je lui proposerais bien de passer deux ans en prison pour rien et de répéter ça en sortant...

6. Le mardi 17 janvier 2006 à 09:20 par Le Monolecte

Sans vouloir plonger dans la polémique brutale, je dirais que cette affaire et ses moults rebondissements illustrent le foctionnement d'une justice de classe.
Dès la début, l'accent avait été mis sur le côté très France-d'en-bas des accusés, et il est possible que la manière dont cette affaire a été (mal-)traitées tienne beaucoup de la classe sociale des accusés.

Selon que vous serez puissant ou misérable...


Sans vouloir plonger dans la polémique brutale, un des accusés était huissier de justice : c'est le nouveau prolétariat ? Quant à une commission d'enquête parlementaire, ça n'a rien à voir avec la justice.

Eolas

7. Le mardi 17 janvier 2006 à 09:27 par Bambino

citation:

"La malédiction qui a frappé ce dossier semble continuer ses effets sur le volet parlementaire"

Malediction, dites vous.
Les personnes concernées par les erreurs commises durant l'enquête étaient confrontées à une tache très difficile, d'autant plus qu'aux temoignages des enfants, sont venu s'ajouter un ou des faux témoignages émanant de personnes adultes.

Et c'est sans doute préssé par un soucis de réparation, que cette comission d'enquete parlementaire (une spécialité franco-francaise) a été crée dans l'urgence, que l'on a pu voir monsieur Yves Bot exprimer son sentiment, avant même la fin du procès, etc etc.

Ce que je veux dire, c'est que pour répondre à cette gravissime erreur judiciaire exeptionnelle, la réponse n'est pas plus que quelques moyens ordinaires qui ont été agité devant les médias, et mis en place dans l'urgence et la précipitation, sans prendre le temps de réflechir à quoi que ce soit.

Bref, maitre, je vous trouve optimiste quand vous parlez de malédiction.


Les commissions d'enquête parlementaires ne sont pas une spécialité franco française, toutes les démocraties les connaissent, à commencer par les Etats Unis : citons la commission sur l'Irangate, sur le 11 septembre, et sur les activités antiaméricaines du sénateur Maccarthy.

Eolas

8. Le mardi 17 janvier 2006 à 09:31 par désirée

A propos de la France d'en bas, je crois utile de rappeller que ce n'était pas forcément le cas puisqu'un Huissier était poursuivi et fut d'ailleurs condamné en première instance.

Son délabrement physique que dire de son état psychique ....m'avait d'ailleurs passablement frappé.

9. Le mardi 17 janvier 2006 à 09:42 par Fred

Au juste quelle est l'utilité de cette commission?
Pourquoi a t'on besoin d'une commission pour constater l'incompétence d'un juge et l'esprit de caste de 3 autres qui n'ont pas même fait le travail pour lequel on leur verse un salaire chaque mois.

Pour des faits autrement moins graves on aurai suspendu de ses fonctions n'importe quel professionnel de n'importe quelle profession. J'ai encore en tête l'affaire Picard, la aussi une affaire interressante fort semblable à l'affaire Outreau où l'on incarcère un chef d'entreprise dans le seul but de "se faire" un notable.

Un juge n'a jamais réclamé la moindre once de preuve pour incarcérer qui que ce soit s'il avait le sentiment que cette personne pouvait être dangereuse. Or Burgaud est encore en activité.

Je ne doute pas une seconde que certains magistrats ont du faire valoir une disons reprise en main de certains dossiers à haute teneur politique si les parlementaire d'aventure se mettraient à faie trop de zèle.

Je fais ici même une prédiction: cette commission est simplement un prétexte pour enterrer l'affaire. Et l'affaire sera enterré. Le juge Burgaud jamais inquiété et les juges chargés de valider ses décisions d'incarcération jamais interrogé.

Tout le monde sait bien que ce n'est pas l'institution qui a failli, mais un juge.
Tout le monde sait bien que le fond de l'affaire est l'esprit de caste de ces magistrats qui pour rien au monde ne viendraient contester les méthodes de travail d'un collègue.

Alors pourquoi une commission? Qu'on traite ces personnes comme n'importe lequel des citoyens.

J'ai la rage et elle est pas prête de s'éteindre.


C'est sur qu'avec vous pas besoin de commission d'enquête. Les coupables sont désignés, jugés et prêts à être punis. Vous auriez fait un redoutable juge d'instruction dans cette affaire.

Eolas

10. Le mardi 17 janvier 2006 à 12:21 par bambino

Maitre eolas:
En affirmant que les commissions d'enquete parlementaires sont une spécialité franco-francaise, j'ai été imprécis:la specialité Franco francaise, c'est de créer des commisions d'enquetes parlementaires pour tout et n'importe quoi, dont la plupart sombrent immanquablement dans l'oubli le plus total, sans parfois avoir jamais abouti. Bien evidemment, ca ne renforce pas la crédibilité de celles qui sont justifiées et menées avec sérieux.

Quant à la commission d'enquête sur le senateur Mc Carthy, je ne peux que vous conseiller d'aller voir le très bon "Good night and good luck" de georges clooney, actuellement en salle.

Cela dit, maitre, j'ai oublié, grossier personnage que je suis, de vous remercier pour ce billet.

Mais revenons en au sujet.

Vous savez mieux que moi que dans les prétoires, on fait du droit, pas du sentiment, ni de la morale ou de l'éthique. Et il n'est pas rare que l'application d'un texte précis, dans une situation particulière aboutisse à un jugement qui précisement est l'inverse de ce qu'aurais préconnisé le sens moral. C'est normal, il faut appliquer la loi, et cela doit demander parfois beaucoup d'abnegation.

Laissons nous maintenant aller sur le terrain glissant des suppositions, en essayant de ne pas déraper vers celui des pures stupidités: imaginons que madame godard refuse de seprésenter devant la commision parlementaire, sois jugée pour cela et acquittée.
La loi est limpide:
"La personne qui ne comparaît pas ou refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende". Comment un juge en charge de l'affaire pourrait'il éviter de prononcer une sanction? Je sais grace à vous et pataxagore, que le juge est souverain de la décision qu'il rend, et que divers facteur entre en ligne de compte. Mais n'est on pas ici en presence d'un refus caractérisé: cette personne clame haut et fort qu'elle ne veut pas comparaitre!

Bien sur, je pense que renvoyer cette dame en prison serait pour le moins stupide. Toutefois, j'ai du mal à comprendre pourquoi quand on privilégie le texte au sens moral, au motif que la loi seule doit être appliqée, il se serait possible que on n'en tienne pas à la stricte interpretation des textes dans d'autres situations(comme celle décrite ici). Ne pourrait'on y voir une faiblesse dans la manière dont la justice est rendue?


Je suppose que ma citation de la commission du sénateur Maccarthy (j'insiste sur le fait que le nom s'écrit en un seul mot) tenait de la boutade, et que vous aurez compris que je n'ai pas besoin d'aller voir ce film pour savoir de quoi il retourne, encore que c'est avec un intérêt certain que je verrai Hollywood dénoncer courageusement en 2006 ce à quoi elle a si volontiers collaborré en 1950. Les chattemites ont toute ma tendresse. S'agissant du cas de Madame Godard, oui, ce refus serait caractérisé. Il demeure que le parquet ne serait pas tenu de la poursuivre, il a l'opportunité des poursuites, et celles-ci seraient franchement inopportunes (pas immorales, inopportunes), en ce qu'elles causeraient un trouble pire encore que celui qu'elles sont censées réprimer. De même, avant d'aller aux deux ans d'emprisonnement, le juge dispose d'un arsenal répressif varié lui permettant de prononcer, s'il était saisi de ce cas, une dispense de peine (la déclaratio nde culpabilité étant, elle, inévitable). Mias nous nageons dans des hypothèses absurdes.

Eolas

11. Le mardi 17 janvier 2006 à 13:58 par Della

Idéalement, cette postface (la commission) devrait permettre de faire évoluer les mécanismes de la procédure pénale au stade de l'instruction.

Une des évolutions possibles est de conférer au Juge d'instruction une sorte de pouvoir d'arbitre entre le parquet et l'avocat, qui eux auront l'a faculté réelle de diriger l'enquête.

moi je trouve ça super intéressant, a priori.

c'est trop souvent frustrant de se sentir comme l'empêcheur de tourner en rond qui s'agite bêtement devant le juge d'instruction pour tenter de le déterminer à instruire a décharge sur des points précis.

alors les modalités d'une telle évolution en préciseront la portée, en fonction de celles-ci, c'est quasi soit la mort du juge d'instruction, soit le statu quo.

j'espère en tout cas que la commission ne ratera pas son rendez-vous, des fiascos tels que celui-ci ont la qualité de porter en eux toutes les imperfections du système, ses habitudes machinales et leurs dangers.

il faut donc en tirer les conséquences par une réforme large dans l'état d'esprit, de manière aussi à forcer les acteurs (juges siège parquet et avocat) à se poser des questions à chaque étape.



12. Le mardi 17 janvier 2006 à 16:16 par NKGI

Cher Maître,

ça n'a rien à voir mais ça a à voir de prêt, je crois (sans exagérer, qu'il ne faut pas oublier le travail qui a été accompli par les avocats de la défense et dont on ne parle pas assez).
Je voudrais donc, à l'occasion de ce billet, témoigner tout le respect comme il se doit à ces avocats pénalistes opiniâtres qui malheureusement sont en voie de disparition.
Bravo MAÎTRES-:))))))))))))))))))))))))))))))) et merci pour les accusés, voilà, c'est dit, je trouve qu'on ne l'a pas assez dit.
Votre bien dévoué;)

13. Le mardi 17 janvier 2006 à 17:59 par Laurent 12

Cher Confrère,

Pour une fois, le terme trop souvent galvaudé de transparence eut été de mise dans cette affaire.

La publicité des débats aurait eu au moins le mérite d’offrir la possibilité de comprendre pourquoi dans cette dramatique histoire la Justice a failli.

L’on peut aisément comprendre la volonté de ne pas transformer une commission – encore une – en « tribunal » de la vindicte, mais l’on peut tout autant regretter que l’esprit de corps, des magistrats en passant par celui des services sociaux, ait prévalu.

Et puis l’on pourrait aussi s’attarder sur le traitement qu’a réservé la presse à cette affaire, car il me semble bien que les accusés étaient tout d’abord désignés comme coupables par bien des médias locaux ou nationaux, avant de faire figure de victimes du système, les deux présentations convenant tout à fait à un bon tirage à défaut d’une bonne enquête.

Jean-Yves Leborgne, éminent avocat pénaliste, l’a bien résumé, il existe de nombreux petits « Outreau » qui ne défraient pas la chronique, et qui certes souvent moins graves, témoignent pourtant des dysfonctionnements de notre appareil judiciaire.

Après cette Commission, de nouvelles solutions seront envisagées et de nouvelles réformes votées, qu’il s’agisse de faire instruire les « grosses » affaires par plusieurs magistrats instructeurs, voire plus radicalement de supprimer les juges d’instruction.

On pourrait aussi faire plus simple et constater que le nombre de magistrats n’a que très peu augmenté (à 300 près environ)... Depuis 1914, oui, depuis 1914, alors que notre cher pays s’enorgueillit de compter 61 millions d’habitants en métropole.

Trop de décisions sont mal rendues, trop d’instructions sont mal faites par défaut de moyens.

L’augmentation du nombre de juge, des greffiers, etc, et l’attribution des moyens adéquats relèvent de l’évidente nécessité et du salut de la Justice. La comparaison avec nos proches voisins européens démontre à quel point nous sommes en retard. Ce retard, il faut simplement le combler. Cela n’empêchera jamais les erreurs judiciaires voire les fautes individuelles ou collectives de se produire. Mais la Justice sera mieux rendue, et plus vite.


Laurent 12

14. Le mardi 17 janvier 2006 à 19:26 par BrunoNation

Il y a des juridictions prestigieuses (Rome antique, Chine médiévale) qui faisaient subir au juge le châtiment infligé par lui à tort à un innocent. Une sorte de cour suprême constituée du juges aguerris considérait si l'erreur du juge incriminé était excessive relativement aux informations en sa disposition, au contexte, aux pressions des autorités qu'il avait pu subir, à la part d'erreur et de (mal)chance résiduelle etc. Dans l'affirmative et en toute équité, l'infortuné magistrat subissait l'intégralité de la peine (éventuellement prison, torture, exécution). De même et sur un autre terrain, les ministres des Finances de notre ancien régime pouvaient être condamnés à mort s'ils étaient jugés, "par le souverain et le conseil des finances du roi après avis conforme des parlements", comme personnellement responsable de la banqueroute de l'état.

Hélas, les corporatismes sont beaucoup plus puissants aujourd'hui qu'au moyen-âge.

NB : une innovation charitable pourrait constituer à condamner l'avocat de la partie perdante solidairement avec le magistrat de sorte que la peine pourrait être diminuée de moitié. Au lieu de l'exécution, on pourrait couper les jambes (plutôt que les bras, le magistrat n'ayant point besoin de marcher pour honorer son ministère, l'avocat ayant besoin de faire des moulinets pour conforter son éloquence)

:-)

15. Le mardi 17 janvier 2006 à 23:52 par Fred

"C'est sur qu'avec vous pas besoin de commission d'enquête. Les coupables sont désignés, jugés et prêts à être punis. Vous auriez fait un redoutable juge d'instruction dans cette affaire."

C'est pas ainsi que fonctionne la justice? Que je sache si demain je m'endors au volant et provoque un accident personne ne parlera de chasse aux sorcières suite à ma très probable incarcération.

Le problème dans l'affaire Outreau et un de vos billets en est une parfaite illustration, est que l'on désigne tout le monde coupable sauf très précisément le magistrat responsable de cette enquête.

Moi je veux bien, mais pourquoi et là je suis très curieux d'écouter votre plaidoirie, pourquoi trouve t'on en prison autant de gens qui n'ont pas même été jugé? C'est quoi le sens de la prison préventive? C'est un truc réservé aux gens inférieurs, je veux dire tout ce qui n'est pas juge?



16. Le mercredi 18 janvier 2006 à 12:41 par Albert E

Maître,

A propos de cette catastrophe judiciaire, diriez-vous qu'elle est la conséquence d'une défaillance du système dû à des problèmes de procédure ou la cause de la responsabilité personnelle de Monsieur Burgaud ?
Je ne vous cacherai pas, pour avoir cotoyé Maître Dupont-Moretti lorsque j'étais encore étudiant en Droit, que l'on est vraiment tenté de répondre:
Les deux !

Réponse.

Eolas

17. Le mercredi 18 janvier 2006 à 21:13 par Albert E

Maître,

J'ai décortiqué avec attention votre billet. Mais, une fois de plus après vous avoir lu, je ne peux m'empêcher de me poser encore plus de questions.

- Comme solution, vous ne pensez pas à un énième texte; vous appelez les juges à plus de professionnalisme. Souhaitons qu'ils visitent tous régulièrement votre blog.

- Selon vos propres termes, " le désastre a été provoqué par le fonctionnement normal de l'institution judiciaire, et ce fonctionnement n'a pas révélé de défaut de conception auquel on pourrait remédier pour faire disparaître ce risque. " Il est quand même terrifiant de constater que le seul moyen de corriger une erreur profesionnelle nécessite le paiement de ce prix humain dont vous parlez. Je m'excuse, mais, dans d'autres métiers, les erreurs sont identifiées à la base et corrigées d'office pour éviter précisément des complications.

- Enfin, c'est donc puisque les éléments recueillis permettaient de soupçonner la réalité des faits que Mr Burgaud a ouvert une instruction. Et donc, la Commission parlementaire va se demander si une erreur d'appréciation a été commise par rapport à ce soupçon. Comment va-t'elle s'y prendre ? Il s'agit d'un critère subjectif, il n'est question ni de probabilité, ni de statistique !

En résumé, votre billet est argumenté mais, au final, il relate les faits plus qu'il ne propose de solution rationnelle. Comprenons-nous bien, ce n'est pas votre rôle... Mais cela démontre que de nouvelles aberrations judiciaires vont encore se produire.

18. Le jeudi 19 janvier 2006 à 08:17 par Alexanor

@Albert E

Juste une précision, quand vous dites "Mr Burgaud a ouvert une instruction" c'est inexact.

C'est le Procureur de la République qui décide ou non d'ouvrir une information judiciaire en saisissant un Juge d'Instruction.

Jamais, et heureusement pour la démocratie, un Juge se lève le matin en se demandant "Tiens qui vais-je bien pouvoir mettre en examen aujourd'hui..."

19. Le jeudi 19 janvier 2006 à 18:27 par Saluki

Tout gestionnaire de la qualité sait que les défauts de conception (initiaux) ont un coût final plus élevé que les défauts de finition (finaux).
Ex: Une berline automobile qui serait conçue (et fabriquée…) sans porte est mal partie quand une rayure à la livraison se lustre.

Ici le défaut de qualité est pire: c'est un bug dans le système de conception.

20. Le samedi 21 janvier 2006 à 14:24 par KhâLïne

Consternant ! Je viens de voir celà à la TV et de le retranscrire sur mon blog. (j'ai récupéré également un passage du tien pour ce qui est de l'Ordonnance). Limite, juste pour les faits, ils auraient dû porter plainte pour cet outrage! (un de plus).

21. Le samedi 21 janvier 2006 à 22:43 par Bib2

Je n'ai pas accès au dossier...

... Mais je peux facilement pronostiquer que Monsieur Burgaud sera condamné pour l'exemple. Alors qu'il aurait facilement pu passer entre les mailles si l'affaire était restée dans l'ombre et qu'un fameux candidat à la présidence de la république ne se fut emparé de la formidable occasion de récolter des voix. Au fait, c'est curieux : Sarko, avant même que l'affaire n'éclate, faisant déjà de grandes déclarations sur la responsabilité des juges !

Il ne tombera vraisemblablement pas seul, Burgaud, si j'en crois les premiers débats. Mais aucun d'entre eux ne passera autant de temps en prison que leurs victimes, et de loin.
On ne peut ridiculiser davantage le système qu'il ne l'est déjà ; il faut bien protéger l'institution, sinon, c'est l'anarchie. Et puis on ne peut faire peser sur les juges le risque d'être condamné au moindre dérapage, sinon ils ne prendront plus le moindre risque, quitte à négliger leur devoir.

Navrante aussi, la convocation reçue par Roselyne Godard et les autres : la menace qui l'accompagne (deux ans d'emprisonnement et 7500 euros d'amende si elle refuse de se plier aux exigences de la justice) montre l'incapacité d'adaptation des lois et des individus aux événements.

En définitive, une seule question est importante dans cette affaire : comment rendre la vie plus douce aux victimes des condamnations d'Outreau ? J'ai bien peur que la réponse ne se trouve pas dans un tribunal.

22. Le dimanche 22 janvier 2006 à 13:15 par BrunoNation

Cette affaire d'après moi devrait être aussi replacée dans son contexte politique. Depuis quelques années, on entend les dirigeants économiques et politiques se plaindre de la prétendue "dictature des juges". En effet, le fait qu'un certains nombres de juges - tous démissionnaires - aient eu l'audace d'envoyer des hauts fonctionnaires et des grands patrons a été perçu comme un scandale énorme pour ces dirigeants. Mais, même avec une presse serve - financée par des industries qui dépendent de l'Etat pour assurer leur prospérité - il était difficile d'organiser une campagne médiatique de défense du grand patronat surtout dans le contexte actuel de défiance massive à l'égard des élites. L'affaires Outreau - dans laquelle les journalistes comme d'habitude ne font aucun mea culpa - est une aubaine pour les puissants. Les magistrats ayant une certaine indépendance - même s'ils servent l'Etat donc les intérêts de ceux qui le dirige - qui était apparue comme gênante dans le cadre de l'instruction, cela serait une aubaine fantastique de pouvoir en toute morale supprimer cette instruction au nom des "petits" et de la "présomption d'innocence". L'Etat bénéficierait ainsi de la fonction répressive très utile dans notre contexte de crise - voire le film 10ème Chambre de Raymon Depardon - et de "libéralisation" d'un seul côté sans les incursions gênantes parfois - bien que rarement - des juges d'instructions.

Je ferai donc une différence supplémentaire à celle de Maître Eolas. Non seulement (1) c'est le cours normal de la justice qui s'est déroulé et donc la "faute" est une faute professionnelle (incompétence, bêtise, préjugés, arrogance) c'est un problème de recrutement et de management mais (2) au-delà de la personne du magistrat instructueur lui-même ce sont d'autres préoccupations et des intérêts qui donnent à cette affaire l'ampleur qu'elle a eu. Je parie sur une remise en cause de l'instruction à moyen terme. De même, je pense que les résultats du référendum de mai 2005 devraient aboutir à une remise en cause de la procédure électorale telle que nous la connaissons de manière à ce que les urnes reparlent la koinè souhaitée.



23. Le mercredi 25 janvier 2006 à 12:10 par Diane

petite remarque; la convocation de madame GODARD aurait été invalide à défaut de cette mention. Bref c'est le serpent qui se mort la queue.
Que ceux qui s'inquiètent pour BURGAUD se rassurent. Je serais étonnée s'il lui arrivait quelque chose. Il va être muté et d'ici quelque temps plus personne n'en parlera. N'oublions d'ailleurs pas qu'il n'était pas tout seul et qu'il y avait une chambre d'accusation, des juges des libertés et de la détention etc...
Au fait; qu'est devenu le juge Lambert ? quelqu'un s'en souvient ? vous savez; le type qui a complètement baclé l'instruction de l'affaire Grégory...

24. Le jeudi 26 janvier 2006 à 22:17 par BrunoNation

oui et l'intervention inopportune de Duras. Et avant encore, c'était Henri Pascal, également jeune magistrat frais émoulu de l'ENM, qui avait mit au trou un notaire et son épouse (Maître Leroi), innocentés après moutles indignations de l'extrême gauche anté-politiquement-correct ci-devant Maoïstes, Trotsko, Foucaldiens, Lacaniens, Deleuziens, Sartriens et autres post modernes structuralistes et déconstructeurs en tous genres et toutes formes.

Que ceux qui croient dans le progrès social ou moral se ravisent ... De là à m'inquiéter pour M. Burgaud, tout de même ... :-)

25. Le dimanche 12 février 2006 à 17:54 par Jules Dupont

Cher maître,

Deux erreurs :

1°)
Pour ce qui concerne ce que vous signalez, et qui en dit long sur la déshumanisation provoquée par les systèmes automatiques :
Le déclenchement des poursuites prévues par l'art 6 de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, est fait :
- à la requête du président de la commission,
- ou, lorsque le rapport de la commission a été publié, à la requête du bureau de l'assemblée intéressée.

Le parquet n'est pas dès lors, pour ces infractions, le maître des poursuites, ... ni des excuxes éventuelles ... .
_____________________________________________________________________________________________________________
2°)
Pour ce qui concerne l'article qui précède, d'un certain BrunoNation que l'on peut lire ici ou là :
Henri PASCAL, né en 1920, est entré dans la magistrature en 1951, soit huit ans avant la création du CNEJ devenu ensuite l'ENM.


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