Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Détention provisoire et innocence

Décidément, vu l'inspiration qui frappé les blogueurs aujourd'hui, je pense que je ne vais pas écrire de billet mais me contenter de ceux des autres, ce qui mettra en joie le rédac'chef de Netizen à qui j'ai imprudemment promis, après qu'il m'ait ennivré au Veuve Clicquot, un article pour le numéro 2 de son magazine.

Paxatagore a écrit lui aussi un billet remarquable par la démarche, à ma connaissance unique, de pédagogie et de transparence.

Il décrit schématiquement le raisonnement du juge d'instruction et du juge des libertés et de la détention pour décider du placement en détention provisoire, pour expliquer pourquoi des présumés innocents sont mis en détention tous les jours en France.

Il confirme ainsi ce que je soupçonnais depuis longtemps et qui relève du non-dit judiciaire le plus hypocrite : bien que le code de procédure pénale n'en fasse pas mention, la probabilité de la culpabilité est un critère déterminant.

Ce n'est pas choquant en soi, et ce n'est certainement pas un aveu de forfaiture. Mais le reconnaître honnêtement de la part des magistrats permettrait au débat sur la détention d'être plus pertinent, l'avocat soulevant les arguments qui intéressent le magistrat plutôt que de s'en tenir aux figures imposées par l'article 144 du Code de procédure pénale.

La démonstration est convainquante puisque malgré les doutes qui subsistent, je serais sans réserve pour la détention provisoire voire définitive au bagne dans le cas numéro 3.

Du propre aveu de l'auteur, le billet a été écrit à la volée, pardonnez les quelques fautes qui ont survécu à ce premier jet, elles ne devraient pas survivre à cette journée.

Un billet à signaler aux élèves avocat et à la commission d'enquête parlementaire qui a remplacé Derrick sur les grilles de la télévision publique.

Doute et détention provisoire

Commentaires

1. Le vendredi 10 février 2006 à 13:07 par Diane

effectivement, cela confirme l'impression qu'on a de la mise en détention provisoire, à tel point que chez certains magistrats nous pouvons quasiment deviner l'issue du délibéré.

PAXATAGORE a cepandant oublié ce qui a mon avis va également sur le plateau de la mise en détention bien que cela transpire du cas numéro 3; c'est le retentissement de l'affaire dans la presse...ben voui, il faut calmer les valeureux chevaliers blancs qui armés de leurs plumes redressent les torts et font justice. Ceux qui hurlent le plus fort sur le juge d'instruction de l'affaire d'Outreau ne sont-il pas les mêmes qui ont loué ce même juge lorsqu'il a fait mettre en prison des notables? je me souviens de la grand-messe du 20 heures à l'époque où l'affaire avait commencé. Cela faisait les gros titres; le présentateur vedette, qui bien entendu n'a jamais eu affaire à la justice , soulignait tant le coté sordide de l'affaire que la notoriété des gens impliqués.
Ce mercredi, les télévisions retransmettaient en direct décalé, l'audition du juge. Bien entendu lors du 20 heures , est tombé le commentaire suivant : "l'audition du juge n'a pas convaincu" Je veux bien, mais lorsqu'il a mis les acquittés en détention provisoire, personne dans ces même médias ne s'est demandé si c'était à tort ou à raison. Les médias se contentaient de parler de mise en détention. Je n'avais à lépoque entendu personne faire allusion à la présomption d'innoncence.
En fait, les médias ont une responsabilité non négligeable dans ce désastre. Il ne faut pas oublier que dès que la presse se fait l'écho d'une telle histoire, les passions se déchainent et il faut d'urgence des coupables ou quelque chose d'approchant; il faut bien communiquer des informations à la presse et à l'opinion.
Pour ce qui concerne l'opinion; permettez moi d'en sourire, les médias veulent des histoires vendeuses et ce genre d'affaires , des notables, vous pensez...qui violent des petits enfants, ils ne doivent plus savoir que faire de leurs sous...sont vendeuses parcequ'elle s'adressent directement à ce que chacun a de pire et de primitif en soit. Une étude a ainsi indiqué que l'être humain est "génétiquement " programmé pour se réjouir du malheur des autres et ce d'autant plus qu'ils considèrent être moins bien loti que les autres..et ce que l'on présente comme " l'opinion" de se dépêcher de se vautrer de façon malsaine et avec beacoup de voyeurisme dans cette fange. Au bout de cette chaine, se trouve chacun d'entre nous, lorsqu'il se précipite sur ce type d'information.

Pour ce qui concerne le battage médiatique, j'ai eu l'occasion de voir l'émission de Hondelatte " faites entrer l'accusé" à propos de l'affaire Grégory qui est d'ailleurs très vite devenue l'affaire Villemin. J'ai été sidérée par l'un des repporters d'un magazine à sensation. Ce dernier a expliqué qu'il a fait ecouter à Jean-marie VILLEMIN pendant 3 heures, la déposition de Murile BOLLE et que suite à cela Jean-Marie VILLEMIN voulait aller tuer Beranrd LAROCHE. Le journaliste quelques jours après a eu vent de ce que Jean-Marie Villemin venait de se rendre au domicile de Bernard Laroche et a réussi à l'intercepter. Dans le numéro suivant du fameux magazine, il s'était gargarisé d'un article intitulé " la nuit où j'ai empêché Villemin de tuer Laroche"
A ma connaissance aucune poursuite n'a été exercée contre ce reporter; or il aurait été très intéressant d'apprendre comment il a pu communiquer l'exact contenu de la déposition de Muriel BOLLE à Jean-Marie VILLEMIN. Comment un reporter pouvait-il savoir mot pour mot ce qu'avait dit cette jeune fille aux gendarmes? qui lui a donné l'accès à ce document?

Mon post a certes un peu digressé, mais il me semble que cela valait la peine d'être dit.

2. Le vendredi 10 février 2006 à 16:55 par nouvouzil

Devant la Commission d'Enquête, le Procureur Lesigne a souligné le caractère artificiel du débat devant le JLD en indiquant qu'il n'était pas possible d'aborder le débat de fond (et donc le problème de la probabilité de la culpabilité).

Il y a donc une difficulté majeure (pour ne pas dire un vice procédural) puisque le débat contradictoire ne porte pas sur tous les points de droit pertinents pour la décision.

3. Le vendredi 10 février 2006 à 23:12 par corpus delicti

Un article de décembre 2004 qui reste confondant d'actualité et de justesse :

Le Monde Diplomatique
Les faits divers, ou le tribunal implacable des médias
www.monde-diplomatique.fr...

4. Le samedi 11 février 2006 à 15:50 par Javier Di Ferrera Boscelini

Une dépêche reuters (passée innaperçue ?) fait référence à une rumeur qui circulerait dans le monde de la magistrature parisienne, carractérisant les acquités de "faux innocents".

5. Le samedi 11 février 2006 à 20:57 par nouvouzil

@ Javier

Cette rumeur a été également rapportée dans un article de Florence Aubenas dans Libération

Je crois qu'effectivement, tout ce qui manque à cette désastreuse affaire, c'est une bonne vieille petite rumeur, fondée sur l'immémorial il n'y a pas de fumée sans feu". N'ajoutez pas votre ridicule à cette honte.

Eolas

6. Le lundi 13 février 2006 à 12:06 par Diane

maintenant qu'il y a un acquittement devenu définitf, la rumeur s'en mêle...et véhiculée par la presse, comme par hasard. Cette dernière n'a-t-elle pas assez sévi dans le cadre de cette affaire? Ne cherche-t-elle pas par cette voie de se dédouaner et de se refaire une virginité?

7. Le lundi 13 février 2006 à 13:22 par Alex

Le Canton de Vaud serait-il moins hypocrite ? Voilà la teneur de l'article 59 al. 1 du Code de procédure pénale du Canton de Vaud :
Le prévenu à l'égard duquel il existe des présomptions suffisantes de culpabilité peut être mis en détention préventive:
1. s'il présente un danger pour la sécurité ou l'ordre publics;
2. si sa fuite est à craindre;
3. si sa liberté offre des inconvénients sérieux pour l'instruction.
La règle n'est donc absolument pas de libérer le prévenu en cas de doute sur sa culpabilité. C'est parfaitement légitime vu le but de la détention provisoire. Mais, bon, pour la bonne compréhension de l'institution, il serait aussi souhaitable que la détention provisoire ne dure pas plusieurs années...!

8. Le lundi 13 février 2006 à 16:43 par nouvouzil

@Eolas

Je trouve votre commentaire plutôt rude.

J'aurais dû être plus explicite, mais je pensais que le renvoi à l'article de F. Aubenas que je ne soupçonne pas de fréquenter le Boulevard à Ragots était suffisant.

Voici le lien:

www.liberation.fr/page.ph...

et plus particulièrement le paragraphe : 'Insidieux'

Si vous réécoutez l'audition des avocats des associations, vous pourrez remarquer que des accusations ont été proférées contre des acquittés innocents (ceci est indiqué dans l'article au paragraphe 'Indignation') et que, incroyablement, les membres de la Commission ont ensuite posé des questions sans mentionner le problème de l'autorité de la chose jugée.

On ne peut que constater avec tristesse l'existence d'attaques contre les acquittés, ces attaques relevant d'une forme insidieuse de négationnisme.

9. Le vendredi 17 février 2006 à 07:00 par Marc

Merci pour ce billet d'une inquiétante simplicité...

Etant spécialiste des probabilités, je préfère appeller "pif" ce que Pataxagore appelle "probabilité".
Nous en sortirons tous rassurés, en effet, une petite conséquence très simple et incoutournable (ainsi vont les maths) :
Allons jusqu'au bout du modèle, et imaginons que votre pifomètre soit particulièrement bien réglé, que votre estimation de la probabilité de culpabilité soit très fine, et, imaginons que vous placiez la barre à 80%, au-dessus c'est le trou, en dessous c'est la liberté.
Alors, par la loi des grands nombres, sur l'ensemble des cas de votre carrière, parmis ceux que vous aurez mis en prison, 80% s'avèrent coupables (exercice de licence de maths de mauvais goût n'est-ce pas?) et 20% donc innocents (je simplifie en considérant qu'il y a une répartition uniforme des culpabilités).
Sur 2000 cas, par exemple, cela fait 20% que vous mettez en prison donc 400 personnes parmi lesquelles 80 sont innocentes.
Mais ce n'est pas grave, c'est de la préventive, vous imaginez aisément qu'une incarcération n'aurait pas de grandes conséquences sur votre vie privée et professionnelle... (ironie facile).
Un collègue un peu plus espiègle que moi avait poussé plus loin votre fonctionnement en proposant une technique de jugement extrèmement économique en temps et en argent, et qui respecte parfaitement les données numériques de l'incarcération.
Voici l'algorithme:
1 Evaluation de la probabilité de culpabilité (oui... vous devez quand même bosser)
2 Une fois la probabilité fixée, par exemple 65%, on lance un tirage aléatoire sur 100, en dessous de 65 le mise en examen effectue sa peine, au-dessus il est acquitté.
3 c'est fini!
Et oui, cela peut paraître choquant, mais la proportion d'innocents en prison serait la même qu'avec la méthode pifométrique de Pataxagore..

Je simplifie pour être compréhensible moi aussi, et si le modèle de Pataxagore devait intégrer quelques subtilités, mon modèle également hélas...

Amitiés,
Marc

10. Le vendredi 17 février 2006 à 14:48 par Marc

Juste un mot en réponse à nouvouzil,

Je viens de lire l'article de Florence Haubenas et je suis consterné. Vous avez raison en effet d'en parler dans cette note, il y tient particulièrement bien sa place.
Les souches qui ont permis de se convaincre de la culpabilité d'individus lambda dans cette affaire, sont les mêmes qui continuent à nourrir ces diffamations, ces sous-entendus, ces confidences d'alcôves.

Je ne doute pas que des magistrats aient pu, comme le suggère l'article, évoquer la possibilité d'acquittements inappropriés... et c'est bien cela le problème, la culpabilité est plus séduisante que l'innocence.

Je l'ai entendu par ailleurs, parfois en des termes et des éléments plus précis, mais sans aucun fondement (c'est un ami qui l'a lu dans un journal...) la rumeur quoi.

Je ne suis pas complètement surpris par la réaction d'Eolas à votre premier commentaire, peut être a-t'il cru que vous vouliez lancer la rumeur vous-même? Vous savez, il aime des phrases complètes avec des mots précis, sinon c'est pas bon..(c'est la grande différence entre le code pénal et la poésie).
Je ne pense pas que le fait de suggérer que des magistrats en poste se laissent aller aux rumeurs puisse lui faire prendre mouche.

Cordialement,
Marc

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