Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 19 avril 2005

mardi 19 avril 2005

La comparution du procureur dans la CRPC

J'avais déjà traité de la Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC, breviatis causa) dans ce billet.

J'indiquais que le procureur n'était pas présent à l'audience d'homologation de l'accord, en commentant que Curieusement, le parquet n’est pas présent à cette audience, alors qu’il est à l’origine de cette procédure et demandeur à l’homologation ; il pourrait avoir à défendre son choix devant un juge dubitatif. Ce rôle sera donc dévolu à l’avocat de la défense, ce qui est un peu paradoxal. Le but de la loi apparaît ici clairement : libérer des magistrats pour que plus de dossiers puissent être traités. Cependant, ça me paraît difficilement viable à terme. L’absence des explications du parquet risque d’entraîner des refus d’homologation. Ce sera sûrement corrigé par une future réforme, le code de procédure pénale étant aussi instable que de la nitroglycérine.

La Cour de cassation a eu la gentillesse de me donner raison hier en rendant un avis selon lequel la présence de procureur de la République était indispensable.

Tout d'abord, de quoi s'agit-il au juste ?

La loi Perben II a créé la procédure de CRPC (qui a donné lieu en un an à 3500 décisions, ce qui est fort peu et indique un succès plus que mitigé ou une difficulté de mise en oeuvre pour les magistrats pour des raisons d'organisation pratique). Son fonctionnement est décrit dans le billet précité. S'agissant de la présence ou non du procureur de la République à l'audience d'homologation, le Code de procédure pénale est muet. C'est la directive d'application de la chancellerie qui a clairement posé le principe de son absence.

Le problème est apparu en deux temps. Tout d'abord, le 2 mars 2004 le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la constitution (décision 2004-492 DC, considérants 117 et 118) la disposition qui prévoyait que l'audience d'homologation se tenait à huis clos, seule la décision d'homologation étant lue en séance publique.

L'audience d'homologation est donc devenue publique contre la volonté du législateur.

Ensuite, le 18 avril 2005, la Cour de cassation, saisie pour avis par des magistrats du tribunal de grande instance de Nanterre de la question suivante : "En application des articles 495-9, 31, 32 et 39 du Code de procédure pénale, la présence du Parquet est-elle obligatoire ou facultative à l’audience publique, prévue pour l’homologation (ou le refus d’homologation) de la peine proposée par le procureur de la République ?" a répondu (sous toutes réserves, je n'ai pas encore trouvé le texte de l'avis, je me fie au Nouvel Observateur) que puisque l'audience d'homologation est publique, la présence du procureur était obligatoire.

Contrairement à ce qu'affirme Le Monde, qui nous ressort pour l'occasion le cliché sur la procédure "à l'américaine", alors que le plea bargaining est anglais et n'a rien à voir ni de près ni de loin avec la CRPC, cet avis ne rend pas la procédure "caduque". L'article dit lui même quelques lignes plus loin que cet avis n'est pas contraignant. A quand un juriste dans cette rédaction ?

Effectivement, un tel avis n'est pas contraignant en tant que tel car il ne s'agit pas d'un arrêt revêtu de la force exécutoire des décisions de justice. Mais la Cour de cassation a pour rôle d'être l'interprète ultime de la loi une fois qu'elle est en vigueur. Une directive ne peut en aucun cas ajouter à la loi. Donc si une circulaire de la Chancellerie dit blanc, mais que la cour de cassation dit noir, c'est la cour de cassation qui gagne, car elle est le pouvoir judiciaire. Ainsi, par cette procédure, la cour de cassation indique par avance quelle est son interprétation d'un texte de loi.

Cela signifie que, saisie au contentieux, elle annulera systématiquement toutes les décisions d'homologation de CRPC rendue dans une audience où le procureur était absent. Donc cet avis a un certain poids moral, qui fait qu'aucun juge n'acceptera désormais de tenir une telle audience hors la présence du procureur. Les juges sont gens très susceptibles et ont horreur de voir leurs décisions annulées en appel ou en cour de cassation.

Bon, le procureur doit être là (même s'il boude et ne dit rien d'autre que "je m'en rapporte" d'ailleurs), c'est encore de la procédure oiseuse et technocratique, penserez vous peut être ?

C'est peut être un détail pour vous, mais pour la Chancellerie ça veut dire beaucoup : immobiliser un juge ET un procureur (ET un greffier, car ce sont des créatures en osmose, ils ne sont rien l'un sans l'autre), ça s'appelle un tribunal siégeant à juge unique, et la plupart des délits jugés en CRPC relèveraient en procédure ordinaire du juge unique, en application de l'article 398-1 du Code de procédure pénale.

Or avec la présence du procureur à l'audience plus le travail de négociation en amont, le temps consacré par dossier est bien plus long que pour les procédures de droit commun ou de comparution immédiate. L'avantage de rapidité de la CRPC disparaît donc.

En conséquence, les parquets vont sûrement suspendre le recours à cette procédure qui ne présente plus d'intérêt pour eux, le temps que le parlement nous vote une mini-loi voire un article additionnel à une loi sur la culture des choux de Bruxelles qui modifiera promptement le Code de procédure pénale pour qu'il dise expressément que l'audience d'homologation se tient hors la présence du ministère public.

Gageons que le Conseil constitutionnel sera saisi de la question avec gourmandise par les parlementaires de l'opposition, mais au vu de la décision du 2 mars 2004, je ne pense pas que le Conseil censurerait une telle disposition. Il a eu pour la CRPC les yeux de Chimène, et le caractère contradictoire de la procédure a lieu hors la présence du juge lors de la phase de négociation. Puisque les deux parties sont d'accord sur le principe de la peine, la présence du parquet ne me paraît pas une garantie indispensable pour la défense.

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