Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 13 avril 2007

vendredi 13 avril 2007

Les Stella Awards 2006 - les vrais

J'avais déjà parlé, au tout début de ce blog, de l'affaire Stella Liebeck, qui a donné bien malgré elle naissance aux Stella Awards, alors qu'en réalité, elle ne méritait pas d'entrer ainsi dans la postérité.

Rappelons que les Stella Awards récompensent les actions judiciaires les plus frivoles et fantaisistes, motivées manifestement par l'appât du gain, dont les organisateurs ont eu connaissance aux Etats-Unis. Encore une fois, il s'agit des actions judiciaires intentées, pas des jugements rendus, qui eux sont généralement d'une banalité judiciaire affligeante. Pas toujours, vous allez le voir, du fait que la Constitution permet de demander pour toute affaire dépassant 20 dollars[1] d'être jugé par un jury.

Régulièrement, des amis ou lecteurs bien intentionnés me font suivre un célèbre e-mail qui est censé relater les derniers prix Stella, qui sont en fait tous faux et inventés de toutes pièces : on y parle d'une mère qui a obtenu un dédommagement princier car son propre fils l'avait bousculée dans un supermarché, ou d'un automobiliste qui poursuivait son constructeur qui avait un régulateur de conduite (autodrive) qu'il a cru être un pilote automatique.

Alors, histoire de sourire un peu, voici les vrais Stella Awards 2006. Tous ces cas ont été vérifiés dans la presse locale avant d'être validés.

5e prix : attribué à Marcy Meckler. Après avoir fait ses courses dans un centre commercial de Floride, Madame Meckler est sortie et a été "attaquée" par... un écureuil qui vivait dans les arbres et fourrés voisins. Et "alors qu'elle essayait frénétiquement de fuir l'écureui let le détacher de sa jambe, elle est tombée et s'est gravement blessée", explique sa plainte. Ce serait de la faute du centre commercial, conclut-elle à l'appui d'une demande de plus de 50.000 $, du fait de la carence du centre commercial à l'avertir que des écureuils vivaient autour du centre, et du fait que non seulement le centre n'a rien fait pour chasser les écureuils, mais que son personnel les encourageaient à rester en les nourrissant. Affaire pendante.

4e prix : Ron et Kristie Simmons. Leur fils de 4 ans, Justin, a été tué dans un accident tragique par une tondeuse à gazon dans une crèche agréée, et la mort a été causée par une négligence manifeste du personnel de la crèche. La responsabilité de la crèche était évidente, mais quand les Simmons ont découvert que l'assurance de la crèche ne couvrait que jusqu'à 100.000 $ de réparations, ils se sont désistés et ont assigné le fabriquant de la tondeuse à gazon, un modèle vieux de seize ans, parce que la tondeuse n'avait pas un système de sécurité qui n'avait pas été inventé à l'époque de la construction de la tondeuse, et qu'aucune agence publique de sécurité n'avait suggéré, le constructeur l'ayant de lui même ajouté sur des modèles postérieurs. Grand bien leur en a pris : un jury compréhensif a condamné le fabriquant à leur verser deux millions de dollars (ils en demandaient six).

3e prix : Robert Clymer. Cet agent du FBI était en mission à Las Vegas, Nevada. Il a eu un accident avec son véhicule (un pick-up) à cause d'un état alcoolique avancé : environ 2 g d'alcool par litre de sang, plus de trois fois la limite légale au Nevada. Il a plaidé coupable à une conduite en état d'ivresse, son avocat expliquant à cette occasion "qu'on est en droti d'attendre des agents publics qu'ils reconnaissent leurs erreurs et les corrigent". Ce qui n'a pas empêché Clymer de poursuivre le constructeur de son véhicule et le concessionnaire auquel il l'a acheté du fait qu'en le conduisant, il avait "D'une façon ou d'une autre"[2] perdu conscience et que le moteur du camion avait "d'une façon ou d'une autre" pris feu et produit une épaisse fumée qui avait envahi l'habitacle et aurait pu le tuer. Le fait qu'il venait de sortir de la route du fait de son ivresse n'étant naturellement pas un facteur pertinent. Comme conclut le rédacteur : C'est le genre de type qu'on a envie de voir porter une arme au nom de la loi.

2e prix : Kinderstart.com. Le moteur de recherche spécialisé dans l'enfance a attaqué Google en prétendant avoir été victime d'une désindexation, c'est à dire d'avoir vu son Pagerank réduit à néant, avec à la clef une baisse de 70% de son trafic en provenance des moteurs de recherche et de 80% de ses revenus de publicité AdSense (géré par Google). Kinderstart affirme qu'en ne lui rendant pas un PageRank plus élevé, Google viole sa liberté d'expression protégée par le Premier amendement. Google objecte que le PageRank équivaut à une opinion, et que les forcer à émettre une opinion favorable en notant bien un site serait violer leur liberté d'expression. Kinderstart a perdu, Google ayant démontré lors du procès qu'ils publient les règles de référencement et avaient averti le webmestre de ce qu'il envisageait le déclassement, motivé par des pratiques douteuses dites "black hat", à savoir du texte invisible dans ses pages et des moyens pour gonfler artificiellement les liens entrant vers son site. Faire un procès quand on sait qu'on a tort, ça méritait un Stella.

Enfin, le premier prix est accordé à... (roulement de tambour)

Allen Ray Heckard. Bien que Monsieur Heckard mesure 10cm de moins, pèse 12 kilos de moins et est plus vieux de huit ans que le célèbre joueur de basket Michael Jordan, ce résidant de Portland (Oregon) affirme qu'il ressemble à Michael Jordan et est souvent confondu avec lui, et donc qu'il mérite 52 millions de dollars pour "diffamation et faute permanente[3], outre 364 millions de dollars de dommages intérêts punitifs pour "préjudice et souffrance moraux", plus LE MÊME montant du fondateur de Nike, Phil Knight, pour un total de 832 millions de dollars. Il s'est désisté de sa demande après un entretien avec les avocats de Nike, qui ont dû lui expliquer le sens de l'expression "demande reconventionnelle".

Tenez, soyez le juge : voici côte à côte Messieurs Heckars (à gauche) et Jordan (à droite).

Vous vous demanderez "Est ce que ça arrive en France" ? La réponse est non et oui. Non, on voit très peu d'affaires de ce type devant les juridictions civiles. Les juges français sont notoirement radins en matière de responsabilité civile, notamment en dommage corporel. De telles actions ne seraient pas rentables. Mais oui, il y a des demandes farfelues ou visant à nuire, mais on les trouve au pénal. Je ne crois pas qu'il y ait un juge d'instruction en France qui n'ait pas vu arriver sur son bureau une plainte avec constitution de partie civile, surtout quand l'aide juridictionnelle dispense le plaignant de l'obligation de consigner, qui, pour le moins, a de quoi laisser perplexe.

Alors, sommes nous plus intelligents que les américains, ou bien est le secret de l'instruction qui préserve nos illusions ?

Notes

[1] Le montant a été fixé lors de la rédaction de la constitution en 1787 et n'a pas été modifié depuis. 20 dollars de 1787 équivaudraient aujourd'hui à environ 5000 dollars.

[2] "Somehow" est le terme utilisé dans l'assignation.

[3] Defamation and permanent injury", inury ayant perdu le sens d'injure et s'entendant de blessure, dommage, ou de manière générale de faute civile.

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