Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 10 décembre 2007

lundi 10 décembre 2007

L'ouverture des commerces le dimanche en catimini ?

Pour rebondir sur mon billet sur l'assassinat supposé du Code du travail sous couvert de recodification, et via notre vigie au Parlement, j'ai nommé Authueil : le gouvernement vient de décider in extremis que le projet de loi Chatel "pour le développement de la concurrence au service des consommateurs" devait être examiné en urgence et se préparerait à introduire par voie d'amendement une disposition autorisant l'ouverture des commerces le dimanche (pour l'instant, le site du Sénat, où le texte va être examiné à partir de mercredi, ne mentionne aucun amendement du gouvernement).

Une fois encore le président de la République Gouvernement confond vitesse et précipitation. Et comme le relève très justement Authueil dans son billet, risque fort de se prendre une annulation par le Conseil constitutionnel pour non respect de la procédure parlementaire, l'effet cumulé de cet amendement et de cette déclaration d'urgence faisant que l'ouverture des commerces le dimanche ne sera pas débattu par l'assemblée. Le président actuel du Conseil est un fin connaisseur de la procédure parlementaire, et ses deux voisins de table ne peuvent pas être soupçonnés de sarkozisme aveugle. A condition bien sûr que l'opposition en saisisse le Conseil. Quand on voit l'indigence de leurs recours ces derniers temps, on peut craindre le pire.

Et cela renforce mon opinion que ceux qui crient au loup avec la recodification du Code du travail lâchent la proie pour l'ombre. Les modifications de fond des lois sociales se font aujourd'hui au Parlement, et non hier en commission de codification. Le Gouvernement président de la République (je sais plus, gardez la mention qui vous paraît la bonne) n'a pas besoin de ce genre de ruses.

Sa méthode, c'est la hussarde.

Les magistrats et la faute (1e partie : la justice civile)

Gascogne a tendu les verges pour se faire battre avec son billet Vol Au Dessus D'Un Nid De Magistrats. Les commentaires ont donné lieu à un renouveau de l'éternel débat sur la responsabilité des juges. Et les mêmes malentendus refont surface. Alors je vous propose de faire un point sur la question, du point de vue d'un avocat : votre serviteur.

Tout d'abord, afin d'avoir un débat serein, écartons un premier argument qui n'en est pas un : celui du corporatisme. Les juges ne revendiquent nullement une impunité absolue et une irresponsabilité totale. Ils ne sont pas irresponsables, et que l'on facilite encore leur mise en cause ne leur fait pas peur. Je l'ai constaté lors de nombreuses discussions avec des magistrats, syndiqués ou non, de grandes juridictions ou de tribunaux modestes.

Mais ce qui les préoccupe est l'incompréhension de ce qu'est la faute d'un magistrat, à entendre des élus et parfois même l'opinion publique exiger d'eux rien moins que l'infaillibilité, pourtant monopole papal.

Car un magistrat qui « se trompe », c'est à dire juge ceci alors que la vérité est cela ne commet pas nécessairement une faute, loin de là, quand bien même sa décision cause un préjudice à celui qui en est victime.

Pour illustrer ceci, qui est une évidence pour les gens de justice mais ne l'est pas pour les autres citoyens, voyons les deux grands domaines dans laquelle les juges judiciaires statuent : le civil et le pénal. Je ne traiterai dans ce billet que du civil, le pénal fera l'objet d'une deuxième partie, j'espère dès demain.

Je laisse de côté la justice administrative car elle ne se heurte pas aux mêmes difficultés, notamment probatoires. L'administration est une gigantesque machine à produire du papier, et elle ne bouge pas un orteil sans que cela soit dûment constaté par un document précieusement archivé et aisé à retrouver. Ce culte du papier permet aux débats des juridictions administratives de rester essentiellement juridiques, ce qui réjouit les publicistes (ceux qui pratiquent le droit public dont le droit administratif fait partie) et en fait d'excellents juristes facilement perdus hors de cette matière, et rend la justice administrative parfois difficile à saisir pour le grand public. Voyez par exemple l'affaire de la soupe de cochon.

La justice civile est celle qui oppose des personnes privées entre elles, que ce soit des personnes physiques comme vous et moi, ou des personnes morales comme des sociétés commerciales, ou des associations. Le juge est ici arbitre : il tranche le litige qui lui est soumis. Et que ce qui lui est soumis. Il est prisonnier des demandes des parties et ne peut en sortir, ce qu'on appelle en droit statuer ultra petita, au-delà de la demande. De même, chaque partie produit aux débat les pièces, c'est à dire les preuves sur lesquelles elle fonde sa demande. Le juge n'est pas tenu de rechercher lui-même la preuve des prétentions des parties. Il statue au vu de ce qu'on lui présente. Cette appréciation peut être contestée, bien sûr, mais d'une seule façon : par l'exercice d'une voie de recours (l'appel, la plupart du temps).

Cependant, la loi permet à une partie de demander au juge d'ordonner une mesure visant à établir cette preuve car elle serait incapable de la fournir elle-même. Ces mesures s'appelle des mesures d'instruction (nous retrouverons ce terme, dans un sens voisin mais différent, au pénal), et sont soit ordonnées en référé avant même qu'un procès soit engagé, soit par le juge saisi du procès, par un jugement dit « avant dire droit », c'est à dire qui ne tranche pas le fond du litige. La mesure d'instruction par excellence est l'expertise : le juge désigne un expert dans le domaine sur lequel porte le litige qui va, en présence des parties, rédiger un rapport répondant de manière détaillée aux questions du tribunal et aux observations des parties (ces observations faites en cours d'expertise s'appelant des « dires ».

Les expertises sont indispensables dans des contentieux techniques où le demandeur est incompétent : par exemple, le particulier qui a commandé des travaux sur sa maison et qui constate que des fissures apparaissent peu de temps après est incapable de dire si les travaux ont été effectué selon les règles de l'art ; la victime d'un accident de la route ne peut expliquer clairement l'étendue et la gravité de ses blessures ; le chef d'entreprise qui vient de mettre sa boîte en réseau intranet ne peut expliquer pourquoi ses serveurs ont tous planté et ne redémarrent pas. Le juge n'est pas tenu par les conclusions de l'expertise, et les parties peuvent demander une contre expertise, qui peut même le cas échéant être confiée à un collège d'experts, généralement trois. Bien évidemment, ce rapport aura un poids considérable dans la décision du juge.

Mais une expertise à un coût, qui est supporté par la partie qui la demande (sauf si elle bénéficie de l'aide juridictionnelle), et mis à la charge de la partie qui perd le procès (on dit « qui succombe » par opposition à « qui triomphe ») au titre des dépens. Et dans bien des affaires, une expertise est inadéquate et ne servirait à rien. Dans ces cas, qui forment la majorité des contentieux, le juge statue uniquement sur les arguments des parties et au vu des pièces qu'elles produisent. C'est à cette aune qu'il faut juger de leur travail.

Prenons encore un exemple, une affaire très simple.

Primus prête à son ami Secundus la somme 5000 euros. L'amitié n'empêche pas les précautions, et Primus fait signer à Secundus une reconnaissance de dette qu'il a la gentillesse de lui envoyer déjà imprimé sur son beau traitement de texte Open Office : « Je soussigné Secundus reconnaît devoir à Primus la somme de 5000 euros ». Las, le temps passe, et Secundus ne le rembourse pas. Il ne répond pas à ses coups de fil, et quand Primus finit par lui envoyer un recommandé, i lreçoit une réponse sèche : « Que racontes-tu ? Je ne te dois rien ».

La mort dans l'âme, Primus saisit donc le juge d'instance pour qu'il condamne Secundus à lui payer ce qu'il doit. A cette fin, il produit la reconnaissance de dette. A l'audience, Secundus est représenté par Maître Roublard, qui s'exclame : « Mais enfin, Monsieur le juge : voyez vous-même ! Ce document est sans valeur : il émane de Primus et non de Secundus, et ne porte que la mention d'une somme en chiffres ! Il ne vaut pas reconnaissance de dette, et je vous demande de constater que Primus n'apporte pas la preuve de sa créance, et donc de le débouter. »

Le juge, connaissant Maître Roublard de réputation et pressentant que la reconnaissance de dette qui lui est présentée repose sur un fond de vérité, tentera de voler au secours du demandeur :

« Preuve insuffisante, certes, mais j'y vois pour ma part un commencement de preuve par écrit. Primus, avez-vous une autre preuve de ce que vous avez effectivement prêté cette somme à Secundus ?

— Comment, une autre preuve, s'exclame le pauvre Primus ?

— Des témoins ? Une copie du chèque ?

— Non, mais puisque j'ai un document signé de Secundus ?

— Il n'est pas conforme à la loi, et je ne puis me fonder sur ce seul document pour prononcer une condamnation. Puisque vous n'avez aucun autre élément à produire à l'appui de ce commencement de preuve par écrit, je vous déboute de votre demande. »

Nous avons un juge qui déboute le créancier d'une demande qui en vérité est fondée. Cela, Primus le sait, et Secundus aussi (et le juge n'en pense probablement pas moins). Alors que Secundus doit 5000 euros à Primus, le juge dit que Secundus ne doit rien. Ce jugement apparaît erroné, et Primus pourra croire être victime d'un incompétent, ou d'un malhonnête, car l'imagination est fertile pour trouver ailleurs que chez soi les causes de son malheur.

Pourtant le juge a parfaitement appliqué la loi. Rassurez-vous, la morale est sauve, car Maître Roublard demandera 6000 euros d'honoraires à Secundus.

Souvent, une partie succombe car elle ne peut apporter la preuve de ses prétentions, et ce même si elle est convaincue du contraire : ma boîte e-mail regorge de justiciables ayant perdu un procès malgré des preuves "irréfutables" et "accablantes", seule la collusion de gens malhonnêtes ayant pu aboutir à leur défaite, affirmation généralement suivie d'une sommation de faire quelque chose, si possible gratuitement.

Si un juge n'est pas convaincu par la preuve qu'on lui apporte, sa décision peut être contestée par la voie de l'appel, sauf pour les petites affaires (4000 euros ou moins). Les règles de preuve en matière civile sont désormais assez connues et encadrées pour être prévisibles, et les erreurs d'appréciation des éléments de preuve conduisant à un jugement erroné sont rares. Présenter les mêmes preuves en espérant que cette fois, les conseillers[1] seront convaincus est de la folie. Il faut au contraire apporter des éléments de preuve supplémentaires venant renforcer ceux qui manifestement n'étaient pas suffisants en première instance. Le jugement est motivé, c'est à dire que le juge explique pourquoi il statue comme il le fait. L'appel doit viser à répondre aux objections du juge en produisant les éléments qui ont fait défaut en première instance. L'appel n'est pas un deuxième procès : c'est la suite d'un premier procès. C'est également valable en matière pénale, j'y reviendrai.

L'appréciation d'un juge des éléments de fait d'un litige relève de la nature même de sa fonction. Il doit en avoir une. Il serait donc absurde de le lui reprocher à faute. Que cette appréciation ne soit pas conforme à la vérité des faits ne révèle pas nécessairement une faute, loin de là. L'exemple de Primus le démontre : le juge pensait probablement que sa créance était réelle. Mais la loi pose des règles de preuves en matière contractuelle, ce n'est pas l'intime conviction du juge qui compte. Quand un juge se trompe, c'est souvent que la partie qui succombe injustement n'a pas pu apporter la preuve, soit qu'elle n'existe pas, soit qu'elle ait mal présenté sa cause. Combien de documents déterminants restent bien rangés chez le client car il estime qu'ils n'ont aucun intérêt ? Et l'intervention d'un avocat n'est pas la panacée : nous avons beau dire à nos client de TOUT nous amener, combien d'entre eux effectuent un pré-tri, ne voyant dans notre exigence d'abondance qu'une façon de facturer plus au temps passé ?

Reste la question initiale : quand est-ce qu'un juge civil commet non plus une erreur, mais une faute engageant sa responsabilité personnelle ?

Tout d'abord, quand il commet une faute pénale. S'il a reçu une somme d'argent pour statuer contre l'évidence des faits, il a commis le délit de corruption passive, et est pénalement responsable comme n'importe quel citoyen. Un magistrat ne bénéficie de ce point de vue d'aucune protection particulière, nulle autorisation préalable pour l'interpeller ou perquisitionner chez lui. Et le jour où il sera jugé, il n'aura aucune mansuétude à attendre de ses collègues. Ai-je besoin de préciser que les cas de corruption de magistrats sont extrêmement rares en France ?

Ensuite quand il a un comportement professionnel qui ne respecte pas les devoirs de sa profession. Que ce soit une insuffisance professionnelle caractérisée : des jugements rendus systématiquement en retard sans que la complexité du dossier le justifie, ou qui révèlent qu'aucune attention n'a été apportée au dossier, des retards ou absences répétées aux audiences qui désorganise le service, ou un comportement personnel inacceptable : ivresse à l'audience, remarques déplacées ou irrespectueuses, par exemple.

Notez que notre premier juge, s'il cumulait tous ces défauts, mais avait donné raison à Primus, donc pris une décision « juste », il n'en serait pas moins susceptible d'être sanctionné disciplinairement.

C'est le Garde des Sceaux qui seul peut déclencher des poursuites disciplinaires. C'est donc à lui qu'il faut de plaindre du comportement de tel ou tel magistrat. Au pénal, par contre, c'est une plainte ordinaire auprès du procureur de la République, avec en cas d'inaction du parquet la possibilité de la plainte avec constitution de partie civile.

Pour conclure pour aujourd'hui, il faut garder à l'esprit que cette impossibilité pour le justiciable mécontent de se retourner contre son juge est une protection donnée non au juge, mais à tous les justiciables. Car quand j'affronte un adversaire qui est aussi riche que procédurier, j'aime pouvoir penser que le juge est à l'abri de ses pressions et n'aura pas à craindre pour sa tranquillité quand il le condamnera ainsi que je le lui demande.

Suite au prochain numéro : la faute du magistrat au pénal, avec l'entrée en piste de nos amis les procureurs.

Notes

[1] Les juges qui siègent dans une cour portent le titre de conseillers.

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