Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 26 mai 2009

mardi 26 mai 2009

Quand le gouvernement réinvente l'eau tiède

Le journal officiel Figaro se fait l'écho d'une annonce du ministre de l'intérieur annonçant triomphalement l'idée géniale qu'elle vient d'avoir après deux ans de cogitation intensive : désormais on va confisquer la voiture des conducteurs délinquants.

« La répression va s'accentuer sur les mauvais conducteurs. Le Figaro s'est procuré le texte présenté demain en Conseil des ministres par Michèle Alliot-Marie. »

Le cabinet de Christine Albanel leur a sans doute transmis l'e-mail.

« Parmi les mesures phares (NdEolas : humour !), la confiscation du véhicule est prévue pour sanctionner les comportements les plus graves. À ce jour, la confiscation, très peu appliquée, ne concerne que les conduites sans permis. »

Le juriste pénaliste est ici pris d'une quinte de toux, que je vous expliquerai dans un instant.

« • Conduite sans permis et grands excès de vitesse

« Multiplication des radars sur les routes, pertes de points en cascade : les conducteurs roulant sans permis sont de plus en plus nombreux aujourd'hui. Une infraction que les pouvoirs publics veulent combattre. Le nouveau texte rend donc «obligatoire» la confiscation du véhicule, une sanction jusqu'alors laissée à l'appréciation du juge. Ce dernier gardera toutefois une marge de manœuvre. S'il ne prononce pas la confiscation, le magistrat devra motiver sa décision.»

Avec en prime pour les lecteurs du Figaro un superbe enfonçage de porte ouverte :

« Trois catégories d'automobilistes sont visées. Ceux qui n'ont jamais passé leur permis, ceux qui prennent le volant malgré la perte totale de leurs points ou encore ceux dont le permis a été annulé par un juge.»

La quatrième et dernière catégorie, celle des automobilistes qui ont le permis, n'est fort heureusement pas concernée.

Remis de sa quinte de toux, le juriste chausse ses lunettes et ouvre son Code pénal, assailli d'un doute. Pendant qu'il tourne les pages, faisons un peu d'histoire. Ces dernières décennies, la conduite sans permis était une contravention, la plus haute, celle de 5e classe, soit depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994 : 1500 euros, 3000 en récidive. La conduite sans permis se distinguait de délits révélant une attitude plus antisociale, comme la conduite malgré la suspension judiciaire du permis, qui est une peine. Le délinquant n'était pas puni pour ne pas avoir sollicité une autorisation supposant un contrôle de ses capacités, mais violait une interdiction qui lui avait été faite pour sanctionner un comportement dangereux.

Le nombre de décès sur la route restant trop élevé au goût du Gouvernement, celui-ci a décidé d'employer la seule méthode qu'il connaisse, quand bien même elle a fait les preuves de son inefficacité : taper plus fort. Et sachant que quel qu'il soit, hormis s'il est égal à zéro, le nombre de décès sur la route reste toujours trop élevé, vous devinez la suite.

Le virage (moi aussi, je sais faire de l'humour comme au Figaro) a eu lieu en 1992, avec l'entrée en vigueur du permis à points. Alors que jusque là, seuls des automobilistes ayant un comportement particulièrement dangereux (conduite en état alcoolique, blessures involontaires…) étaient frappés de la suspension voire du retrait du permis, le nouveau système a fait que des fautes plus vénielles pouvaient, par leur accumulation, aboutir au même résultat.

L'accidentologie étant peu affectée par cette nouveauté (comme l'ensemble des mesures répressives à une exception près, les radars automatiques, car ils font disparaître la conviction de l'impunité ), le gouvernement a continuellement créé de nouvelles infractions et augmenté le barème des pertes de points. Ainsi, le défaut de port de la ceinture, au début épargné car ne causant aucun danger à autrui, a été frappé d'une perte d'un point, puis aujourd'hui de trois points (soit plus que rouler sur le terre-plein central d'une autoroute !). Idem avec le téléphone portable à l'oreille. Au départ, ce n'était même pas une contravention (encore que l'obligation générale faite au conducteur de se maintenir à tout moment en mesure d'effectuer les manœuvres urgentes d'évitement, sanctionnée d'une contravention, pouvait probablement s'appliquer), aujourd'hui,c'est deux points. Résultat : vous démarrez en passant un coup de fil qui vous empêche de mettre votre ceinture : c'est la moitié de votre permis qui saute. Bonjour le sens des proportions. S'agissant de l'efficacité, je vous invite à regarder les habitacles des automobiles à Paris, de préférence les véhicules utilitaires aux heures de pointe. Résultat de cette course aux armements : le nombre de permis perdus par perte des douze points augmente continuellement, poussant de plus en plus de personnes à conduire sans permis en attendant de pouvoir le repasser.

Face à cet effet pervers de sa loi, le législateur aurait pu amender son texte. Au lieu de ça, il va recourir à la seule méthode qu'il connaisse, quand bien même elle a fait les preuves de son inefficacité : taper plus fort.

En mars 2004, la loi Perben II a fait de la contravention de conduite sans permis un délit puni d'un an de prison et 15.000 euros d'amende. Sans incidence notable sur le nombre d'infractions, qui semble même avoir augmenté depuis. Le Gouvernement aurait pu se dire que décidément cette méthode laissait à désirer, mais non : il en déduit toujours qu'il n'a pas du frapper assez fort.

Et donc, nous voilà en 2009. Après avoir utilisé sa fameuse méthode dite “néanderthal” sur des sujets comme les chiens dangereux ou les siffleurs de marseillaise, le Gouvernement tourne à nouveau son œil prédateur vers l'automobiliste. Il continue à conduire sans permis, se dit notre Gouvernement du Peuple par le Peuple et pour le Peuple. Que faire ? Réponse : la seule méthode qu'il connaisse, quand bien même elle a fait les preuves de son inefficacité : taper plus fort.

Bon, la prison, c'est pas possible, c'est complet. D'où l'idée géniale suivante : on confisque l'automobile. Ça, ça fait mal, ça empêche le délinquant de récidiver et en prime, ça finira dans les caisses de l'État puisque l'État la revendra (à un automobiliste sans permis, sans doute, pour que la boucle soit bouclée).

Sauf que.

Sauf que notre juriste s'est remis de sa quinte de toux, et a fini de tourner les pages de son code pénal. Et la pêche a été bonne à en juger par le sourire narquois qu'il arbore (sauf si c'est un magistrat, auquel cas le sourire sera sournois).

Et que dit-il notre bon Code pénal ?

Tout d'abord, l'article 131-6 du Code pénal nous apprend que

« Lorsqu'un délit est puni d'une peine d'emprisonnement, la juridiction peut prononcer, à la place de l'emprisonnement, une ou plusieurs des peines privatives ou restrictives de liberté suivantes :

(…)

« 4° La confiscation d'un ou de plusieurs véhicules appartenant au condamné ; …»

Or la conduite sans permis est passible de prison. La confiscation du véhicule est donc d'ores et déjà possible.

— Fort bien, me direz-vous, mais voilà au moins un intérêt du passage de la contravention au délit : la confiscation du véhicule est rendue possible.

À cela je vous rétorque article 131-14 du Code pénal :

« Pour toutes les contraventions de la 5e classe, une ou plusieurs des peines privatives ou restrictives de droits suivantes peuvent être prononcées :

(…)

« 6° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit. »

Donc même quand rouler sans permis était une contravention, la confiscation était déjà possible.

— Certes, répliquerez-vous avec cet esprit critique qui me rend si fier de vous tout en me donnant envie de vous étrangler, mais c'est à la place de l'emprisonnement. Là, ce serait en plus.

En effet. Mais je n'avais pas fini.

L'article 131-21 du Code pénal précise que :

« La peine complémentaire de confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement. Elle est également encourue de plein droit pour les crimes et pour les délits punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à un an, à l'exception des délits de presse.

« La confiscation porte sur tous les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre, et dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition.»

Donc, tous les délits punis de plus d'un an d'emprisonnement permettent de prononcer une confiscation du véhicule en plus de l'emprisonnement, à condition que ledit véhicule ait servi à commettre l'infraction ce qui, convenons-en, est relativement fréquent en matière de délit routier.

— Si fait, tenterez-vous une dernière fois, aux abois et sentant que l'hallali se lit là, mais la conduite sans permis ne fait encourir qu'un an de prison, donc la peine complémentaire générale ne s'applique pas.

Et vous avez raison. Pour les délits punis d'un an seulement, il faut que la loi le prévoit expressément comme peine complémentaire.

C'est précisément ce que fait l'article L.221-2 du Code de la route :

« I. - Le fait de conduire un véhicule sans être titulaire du permis de conduire correspondant à la catégorie du véhicule considéré est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

« II. - Toute personne coupable de l'infraction prévue au présent article encourt également les peines complémentaires suivantes :

(…)

« 6° La confiscation du véhicule dont le condamné s'est servi pour commettre l'infraction, s'il en est le propriétaire.»

Bref, le Gouvernement se propose de faire voter ce qui existe déjà.

— Oui, mais cette fois, ce sera automatique, puisque la voix de son maître nous dit que cette confiscation, “ peu prononcée jusqu'à présent ”, sera désormais automatique en cas de récidive.

En effet. Et c'est là que le Gouvernement, avec cet avant-projet de loi soumis au Conseil des ministres, cesse de faire du droit pénal et commence à faire du foutage de gueule.

Voilà qu'il nous ressert encore une fois le plat froid et insipide comme une soupe anglaise du juge laxiste face au Gouvernement roide comme un if. Le juge n'est pas assez sévère, alors que le Gouvernement veut taper plus fort. Alors votons les peines plancher. Le juge devra prononcer un minimum. Et il décide de peines trop courtes, alors votons la rétention de sûreté pour garder les condamnés en prison au-delà de leur peine. Continuons dans la foulée avec la confiscation automatique. Si ça c'est pas du bon sens comme les juges savent même pas ce que c'est, hein ? À se demander comment on a fait pour mettre sept ans à y penser.

Car dans cette frénésie néanderthalienne, personne ne semble s'être simplement demandé pourquoi les confiscations sont si rares.

Alors que la réponse n'est vraiment pas compliquée.

Pour pouvoir confisquer le véhicule, encore faut-il que le délinquant soit le propriétaire du véhicule. On ne peut confisquer la chose d'autrui : nul n'est pénalement responsable que de son propre fait. Or celui qui n'a jamais eu le permis est rarement propriétaire du véhicule qu'il conduit. Vous me direz qu'on peut le mettre en cause comme complice. Oui, si on peut prouver qu'il savait que le conducteur n'avait pas le permis et qu'il lui a remis les clefs malgré cela. Si le conducteur a pris le véhicule sans autorisation, ou si le propriétaire ne lui a tout simplement pas demandé ses papiers avant de lui prêter sa voiture, pas de confiscation possible.

Ajoutons que le juge, cet animal à sang froid étranger au bon sens humain, a une curieuse manie. Quand une personne a volé une voiture pour la conduire alors qu'il n'a pas le permis, le juge ne confisque pas la voiture mais ordonne sa restitution au propriétaire (quand ça n'a pas été fait au stade de l'enquête de police).


Voter une confiscation automatique sera inefficace car il suffira de mettre la voiture au nom de l'épouse, du fiston, de la concubine, même s'il n'a pas le permis, puisqu'on peut être propriétaire d'un véhicule sans être titulaire du permis (on peut conduire sans permis sur un terrain privé comme un circuit automobile ou avoir un chauffeur, ce qui est le cas de tous les ministres qui pondent ces lois, d'ailleurs, ceci expliquant peut-être cela). Cette loi sera donc très facilement mise en échec.

Et face à cette inefficacité, je vous laisse deviner à quelle méthode va recourir le Gouvernement.

Une fille de style soutenu.

par Sub lege libertas


Cindy habite chez une tante qui a l’âge d’être sa grande soeur. Cindy ne cause à ses parents ni soucis, ni de sa vie ; d’ailleurs elle ignore leur adresse et toute leur existence, comme eux la sienne. Cindy a quinze ans et demi, un copain et déjà deux mois de tapin. Cindy ne s’en plaint pas et regimbe presque quand à minuit, des fonctionnaires de police lui trouvent sans doute trop d’enthousiasme mais aussi de jeunesse, la recueillent sur le trottoir où elle racole, couvée du regard depuis sa voiture par son copain tout juste majeur et un ami.

Cindy leur dit aux policiers et le leur répétera à longueur d’audition, qu’elle fait la pute sans que Dimitriu son copain l’y force. Il est même très gentil Dimitriu et elle lui donne un peu d’argent pour l’aider. De toute façon, elle seule peut payer les kébabs. Et quand les autres prostituées, les africaines qui tiennent ce coin de trottoir, comme un port franc de la luxure, ont voulu la corriger d’une concurrence malvenue sur le marché de la concupiscence tarifée, Dimitriu est intervenu, courageux mais pas téméraire avec Brandon son ami d’un jour, d’un soir, de galère. Depuis une semaine, Dimitriu et Brandon la déposent en voiture au bord de son caniveau et ils restent là pour surveiller la lune ; ça la rassure même, Cindy.

Dimitriu est interpellé sur son camp de misère au milieu de compatriotes. Il est proxénète de mineur. Ce n’est pas un pro, c’est net mais peu mineur pour la loi pénale. Dix ans d’emprisonnement encouru comme prix des kébabs partagés, du taxi bénévole direction un bout de trottoir et d’un billet de dix euros accepté par-ci par-là. Il ne le nie pas quand on le lui explique par le truchement d’un interprète. Il précise même qu’il savait que Cindy était “d’accord pour faire ça” et qu’il ne la tapait pas, ce qu’elle confirme ayant vendu ses charmes avant même de le rencontrer. Et Brandon, tout autant gardé à vue que Dimitriu, abonde. Pourquoi a-t-il donné un coup de main à Dimitriu ? C’est un ami qu’il avait rencontré il y a une semaine, depuis que sa femme l’avait largué en vidant son appartement. Après trois ans de vie, avec un enfant et sans aucune garde à vue comme avant. A la dérive, on se raccroche à la galère des autres, on pense sombrer moins vite... Oui, il savait que Cindy était prostituée et que Dimitriu la protégeait, mais n’y arrivait plus tout seul. Il est complice, il l’admet.

Cindy reverra plus tard son juge des enfants. Cindy ne comprendra pas pourquoi Dimitriu qui lui se souciait un peu d’elle, l’aimait même peut-être, est fautif. Les bonnes âmes diront qu’au moins la loi la protège d’un minable petit profiteur de son calvaire. Mais de quelle protection lui parle-t-on ? Ne rappelons pas que la majorité sexuelle est fixée à quinze ans et que la prostitution est légale, même si hypocritement la loi pénale punit le client d’une péripatéticienne mineure : pute mineure oui, mais sans client, merci. Cindy se foutrait bien de savoir son tapin légal ou dans les marges du Code pénal. Bien sûr la morale des bonnes gens réprouve le sexe tarifé et incline moins encore à approuver la prostitution chez les mineurs fussent-ils âgés de plus de quinze ans. Cindy ne cherche pas d’approbation. D’aucuns ajouteront que la misère et la mésestime de soi sont des contraintes qui rendent illusoires les pétitions de choix volontaire dans la pratique de la prostitution. Cindy n’a jamais connu les illusions de l’enfance et ne se croit pas si libre en fausse adulte.

Dimitriu et Brandon iront répondre de tout cela en comparution immédiate. Justice sera rendue. Plus tard, l’affaire est renvoyée. Bien défendus, Dimitriu et Brandon ressortent, interdits. Cindy est rentrée chez sa tante, du moins l’a-t-elle suivie en sortant du commissariat. Cindy n’est pas venu au Tribunal, pourtant c’est sur le chemin pour retourner à son tapin. Peut-être, espérera-t-elle y retrouver le soutien du regard de Dimitriu, voire Brandon. Non, ils sont sous contrôle judiciaire avec interdiction d’être à son contact. On l’entendrait presque murmurer : “Putain de Justice !”

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