Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

lundi 4 janvier 2010

lundi 4 janvier 2010

circulaire du double nom de famille : le Conseil d'État a décidé de tirer tirer un trait

Le Conseil d’État vient de sonner le glas d’une invention d’un patajuriste[1] qui a donné des coups de sang à bien des parents.

La solution donnée par le Conseil d’État (CE, 2e et 7e s.sections réunies, 4 décembre 2009, Mme D…, n°315818) ne surprendra aucun juriste ; tout au plus suis-je surpris que cela ait mis autant de temps. Mais néanmoins, tant la simplicité de la solution juridique que le mécanisme un peu plus subtil par lequel le juge administratif a fini par y arriver nous permettent un intéressant voyage dans le pays du droit administratif, qui est le pays du légalisme pointilleux, vous allez voir.

Tout commence avec la loi n° 2002-304 du 4 mars 2002 relative au nom de famille. Cette loi change profondément les règles d’attribution du nom patronymique, qui devient désormais le nom de famille, l’étymologie de patronyme signifiant “nom du père” ayant été jugée trop sexiste.

L’apport esentiel de cette loi est qu’elle donne aux parents d’un premier enfant dont la filiation est établie à l’égard de ses deux parents au plus tard le jour de la déclaration de sa naissance ou par la suite mais simultanément, un choix : lui donner comme patronyme nom de famille le nom du père OU le nom de la mère OU le nom du père accolé à celui de la mère OU celui de la mère accolé à celui du père.

Exemple : Léon Pater et Alma Mater ont un enfant, Sganarelle. Ils peuvent au choix l’appeler Sganarelle Pater, Sganarelle Mater, Sganarelle Pater Mater ou Sganarelle Mater Pater. Platée, leur deuxième enfant, s’appellera obligatoirement comme son frère Sganarelle : ce choix est définitif et intangible. À défaut de choix exprimé, l’enfant prend le seul nom du père. C’est l’article 311-21 du Code civil.

Toutefois, quand Sganarelle et Platée enfanteront à leur tour, ils devront choisir lequel de leurs deux noms ils transmettront (ils ne peuvent trnasmettre qu’un seul des deux), s’ils ne transmettent pas celui de leur conjoint seul. Les deux choix sont en revanche autonomes : Sganarelle peut décider d’appeler son fils Géronte Pater Dupont, et Platée sa fille Célimène Mater Durand. La décision d’un frère ne lie pas la fratrie.

Une circulaire du 6 décembre 2004 avait donné aux officiers d’état civil les instructions d’application de cette loi.

Or une circulaire d’application ne peut être que cela : un mode d’emploi de la loi. Elle ne peut rien y rajouter ou y enlever, faute de quoi le ministre porterait atteinte à la loi, ce que la Constitution lui interdit.

Et dans le cas de la circulaire du 6 décembre 2004, les ministres concernés s’étaient lâchés.

En effet, notre patajuriste est entré un matin essouflé dans leur bureau, le journal officiel à la main, en criant “Ve ! Ve ! ve !”[2]. La loi est mal faite, il faut intervenir”. En effet, s’était-il avisé, il existe déjà des noms de famille composés de plusieurs mots. Par exemple : Giscard d’Estaing, Galouzeau de Villepin, ou Sarközy de Nagy Bocsa. Les noms qui le composent sont séparés d’une espace[3]. Depuis la loi du 23 décembre 1985 (art. 43 toujours en vigueur), il était loisible d’adjoindre à son nom de famille soit le nom de celui de ses deux parents qui n’a pas transmis le sien, soit celui de son époux si on est marié. Il est d’usage de séparer les deux noms par un tiret pour distinguer le nom d’usage du nom de famille. Exemple : Carla Bruni Tedeschi (notez l’espace) peut se faire appeler à titre de nom d’usage Carla Bruni-Sarkozy (notez le tiret).

Jusque là, les ministres concernés suivent mais ne voient pas de quoi fouetter un chat.

“Mais c’est pourtant diaphane, s’exclame notre patajuriste. Nom composé : une espace. Nom d’usage : un tiret. Et la loi vient de créer une troisième hypothèse : le nom de famille cumulé. Or il convient de distinguer puisqu’un seul des deux noms cumulés peut être transmis, tandis que le nom composé se transmet d’un bloc.”

Reprenons cette affirmation : Monsieur Casimir Giscard d’Estaing épouse Mme Diane Spencer. Elle peut se faire appeler Giscard d’Estaing-Spencer à titre de nom d’usage. Le tiret sépare les deux noms de famille (Giscard d’Estaing et Spencer) tandis que les composantes du nom de famille de l’époux, Giscard, la particule De et Estaing, sont séparés par une espace.

“Il faut donc décider d’un moyen typographique de distinguer le nouveau nom de famille cumulé, intransmissible d’un bloc”, affirme notre patajuriste. Et puisque l’espace est prise, puisque le tiret est pris, la logique est donc de prendre… deux tirets.

Ainsi, Sganarelle s’appellera Sganarelle Pater—Mater.

Éblouis par le génie patajuridique de leur serviteur au point d’oublier qu’il est facile de faire la différence puisque le fait que le nom résulte d’une déclaration commune est tout simplement inscrite dans l’acte de naissance (art. 57 du Code civil), les ministres signent la circulaire du 6 décembre 2004, qui va imposer aux officiers d’état-civil de séparer les deux noms de famille par un double tiret.

Mais que faire si un citoyen irascible s’avise que la loi ne dit rien de tel, que la langue française comme la typographie mondiale ne connaissent rien de tel que le double tiret et estiment que cette disgracieuse graphie souille l’acte de naissance de leur enfant ? Une solution simple et républicaine a été trouvée : dans ce cas, l’officier d’état civil enregistrera d’office et contre la volonté exprimée des parents le seul nom du père. Là encore alors même que rien dans la loi ne permet à un simple officier d’état civil de passer outre ce droit qu’elle institue. Double illégalité.

Autant dire que les jours de cette circulaire étaient évidemment comptés.

Et pourtant elle a tenu cinq ans.

Des parents procéduriers et accessoirement juristes d’une école allergique au patadroit (on l’appelle la Faculté de droit) ont commencé à exercer des actions en rectification d’acte d’état civil de leur chérubin. Cette action consiste à saisir le tribunal de grande instance, seul compétent en matière d’état civil, lui demandant de constater que ce double tiret, qui n’a aucun fondement légal, ne peut être qu’une erreur et doit être ôté. Les tribunaux ont fait droit à toutes ces requêtes à ma connaissance. Bien obligé, puisque la circulaire du 6 décembre 2004 ne pourrait être invoquée par le parquet quand bien même le voudrait-il, puisqu’une circulaire n’est pas source du droit. Peu importe les élucubrations d’un ministre, dans les palais de justice, la loi seule est la loi, telle que votée par les assemblées.

Néanmoins, une personne a voulu quant à elle la peau de cette circulaire et l’a obtenue. C’est maintenant que nous entrons dans les abysses du droit administratif. Mettez votre scaphandre et suivez-moi.

S’agissant d’une demande visant à annuler un acte par lequel un ministre donne des instruction à son administration, nous sommes dans le cas d’un recours en excès de pouvoir, domaine de compétence du juge administratif. S’agissant d’un acte d’un ministre, c’est le Conseil d’État qui est directement compétent (je ne retrouve plus le texte pertinent… un petit pois sans robe pour me souffler ?).

Mais le recours en excès de pouvoir est enfermé dans un délai de deux mois. Il fallait saisir le juge administratif dans les deux mois de la publication de la circulaire, soit aux alentours du 6 février 2005 au plus tard. Or notre requérant, qui est une requérante, a sonné l’hallali en mars 2008. Elle est hors délai.

Mais le droit administratif est subtil. Il permet de contourner cette fin de non recevoir. La requérante va d’abord adresser au premier ministre une lettre recommandée avec accusé de réception lui demandant de retirer ou à défaut d’abroger cette circulaire.

Le retrait d’un acte administratif consiste à l’abroger rétroactivement. Ce retrait n’est possible que dans le délai du recours de deux mois. L’abrogation ordinaire, elle, ne vaut que pour l’avenir.

Le premier ministre ne va rien faire, ce qui résume assez bien ses fonctions depuis juin 2007.

Peu importe : la loi considère qu’un silence de deux mois gardé par l’administration à qui une demande a été faite vaut décision implicite de rejet. Et cette décision nouvelle peut être attaquée dans un délai de deux mois. Ce que va faire notre requérante.

Le Conseil d’État ne va donc pas directement examiner la légalité de la circulaire du 6 décembre 2004, horresco referens, ça lui est interdit car le délai de recours de deux mois a expiré. Mais il va se demander si le ministre compétent n’aurait pas dû faire droit à cette demande d’abrogation d’une circulaire illégale. Car pour le juge administratif, l’administration a l’obligation d’abroger tout acte illégal qu’on lui signale. Il va donc devoir examiner la légalité de la circulaire du 6 décembre 204, mais uniquement parce qu’il est obligé, hein… Ce genre d’acrobaties juridiques fait la joie des étudiants en droit public et leur donne auprès de leurs camarades de droit privé une réputation de geek du droit qui n’est pas forcément usurpée.

Le Conseil d’État va estimer d’abord que le ministre compétent, le ministre de la Justice, a bien été saisi de la question par la lettre adressée au premier ministre. C’est lui le chef, il était tenu de transmettre la demande au ministre de la justice voire lui ordonner d’y faire droit.

Il va ensuite estimer que la demande de retrait est infondée, car présentée bien au-delà du délai de recours de deux mois.

Mais il va estimer que la demande d’abrogation, elle, devait être examinée.

Or le Conseil d’État va constater que la circulaire impose un signe typographique que la loi ne mentionne nulle part, et en cas de contestation du parent déclarant, obligera l’officier d’état civil à inscrire un autre nom que celui choisi par les deux parent,s ce que la loi ne prévoyait pas non plus.

En ajoutant à la loi, alors qu’il n’est pas titulaire du pouvoir législatif, le ministre a excédé ses pouvoirs, entâchant ainsi cette circulaire du vice d’incompétence. Et ça, c’est mal.

Le refus d’abroger la circulaire illégale est donc lui-même illégal et est annulé. Le Conseil d’État n’annule pas la circulaire (puisque je vous dis qu’il n’en avait pas le droit) mais concrètement, met le garde des sceaux dans une situation où elle n’a pas d’autre choix que de le faire. En attendant, les officiers d’état civil continueront à inscrire les ignobles —. Ne protestez pas, la solution est ci-dessous.

Concrètement, pour les enfants à double tiret, ça change quoi ?

Rien. Un acte d’état civil, fut-il erronné, fait foi jusqu’à sa rectification par un jugement. Il faut donc que la justice ordonne cette rectification.

Mais l’illégalité de cette circulaire, seule base juridique, ou patajuridique en l’espèce, à la scarification du nom de famille, étant à présent consacrée, les parquets n’ont d’autre choix que de soutenir ces démarches.

Donc vous avez le choix, l’option lente et gratuite et la rapide et payante.

La lente, vous écrivez au procureur de la République du lieu où est enregistré l’acte de naissance de votre enfant bafoué, et vous lui demandez de faire rectifier l’acte d’état civil (art. 99 du Code civil : une erreur dans la graphie du nom est essentielle). Il est obligé de le faire mais le fera quand il aura le temps. Et il n’en n’a pas beaucoup, le législateur y veille.

La rapide, vous chargez un avocat de saisir le tribunal de grande instance d’une requête en rectification (le ministère d’avocat est obligatoire). En quelques mois, ce sera chose faite. Cette dernière solution a évidemment ma préférence…

Si vous ne faites rien, votre enfant continuera à porter les deux tirets.

Maintenant, croisons les doigts que le législateur docile ne vote pas au pif dans un texte de clarification et simplification du droit dont l’intitulé me semble constituer le délit de faux, un article validant rétroactivement cette honteuse pratique.

Dans le doute, à vos requêtes. Et pardon à mes amis procureurs qui me lisent. Une fois de plus vous allez payer l’incurie de nos gouvernants. Mais c’est de nos enfants qu’il s’agit.

Notes

[1] Le patadroit est la science des solutions juridiques imaginaires qui accordent aux droits suggestifs des usucapions d’antichrèses emphythéotiques. Le patadroit entretient des liens certains mais obscurs avec la pataphysique.

[2] Malheur ! malheur ! Malheur. Le patadroit adore le latin.

[3] Notre patajuriste était typographe à ses heures perdues, il emploie donc le mot espace au féminin.

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.

Calendrier

« janvier 2010 »
lun.mar.mer.jeu.ven.sam.dim.
123
45678910
11121314151617
18192021222324
25262728293031

Contact