Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 25 mars 2010

jeudi 25 mars 2010

On ne répond pas aux questions qu’on se pose pas.

Par Sub lege libertas


Il n’y a pas mieux qu’un prétoire pour fantasmer sur la société et ses maux. D’ailleurs le café du commerce, qui en est le miroir aux suspensions d’audience, se remplit de ces brèves de sociologie judiciaire, de ces « faits » zemmouriens.

N’y voit-on que ce qu’on regarde, comme le demande Maître Eolas ? Importe-il tant d’analyser ce qu’on vient y regarder, même pour dissiper des illusions d’optique qui grossiraient l’importance de la couleur de la peau alors que la faiblesse des ressources serait un critère plus pertinent pour expliquer la présence sur le banc des prévenus de tel ou tel ? Et s'il valait mieux fermer les yeux, sortir des choses vues, pour s’interroger sur ce qu’on n’a pas vu ? Alors les réponses différeraient.

Tentons l’expérience, en décentrant le débat des vaguement désignés “trafiquants” vers les agresseurs sexuels sur mineurs au sein de leur famille, les nouveaux monstres actuels, les « pédophiles incestueux ». Au quotidien dans ma région septentrionale, on ne voit guère dans le prétoire, accusés de ces choses, ni moult bons bourgeois, cadres dynamiques à la peau qui craint le soleil plus rare sous ces latitudes, ni d’ailleurs de nombreux méditerranéens du sud, ni de cohorte de sub-sahariens. Est-ce un « fait » qu’au Nord, seul le petit blanc inactif, alcoolique et pauvre soulage sa misère sexuelle sur sa progéniture ? On le lisait certes dans les tribunes du Parc des Princes, mais...

Et si la question n’étaient pas : “le maintien de structures familiales traditionnelles et d’interdits religieux forts quant à la sexualité et la consommation d’alcool diminuent fortement la prévalence du risque incestueux dans les familles issues de l’immigration maghrébine ou d’Afrique équatoriale ?” Des sociologues ou démographes ne rappellent-ils pas que le plus souvent, l’émigration vers l’Europe déstructure le tissu familial et s’accompagne aussi rapidement de l’adoption de comportements similaires à ceux des populations du pays d’accueil, à supposer d’ailleurs que cette acculturation n’a pas déjà eu lieu en grande partie dans le pays d’origine, ouvert aux cultures occidentales par l’effet de la mondialisation ?

Et si la question n’étaient pas non plus : “est-ce que la promiscuité, conséquence d’une précarité sociale plus accrue dans les bassins de population septentrionaux, fortement touchés par le chômage structurel de masse, favorise l’inceste dans des familles nombreuses recomposées au sein desquelles le désœuvrement alcoolisé et la déshérence des schémas familiaux traditionnels émoussent le sens moral ? ”.

Si les questions étaient :

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car dans ce type de milieu, l’enfant abusé sur-couvé dans la famille aurait moins d’interlocuteurs pour l’écouter, contrairement aux familles pauvres ou précaires très suivies par les services sociaux ?
— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car un travailleur social ayant une suspicion se rassurerait plus facilement au sujet la situation de malaise de l’enfant, grâce à l’explication fournie par le parent agresseur sexuel maîtrisant bien l’art de conversation et ayant une image de notable ?

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car le mal être de l’enfant ferait l’objet par la famille d’une prise en charge par un psychologue, qui pourrait voir dans les dires de l’enfant un récit fantasmatique des relations familiales et conseiller une orientation vers le médecin de famille pour une prise de psychotrope ?
— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car si l’enfant abusé en devient agressif à l’égard d’autrui ou de lui-même, ses parents le feront hospitaliser dans le meilleur service d’une clinique psychiatrique recommandé par relations familiales ?

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car au fond ces affaires de famille s’y règlent entre soi ?
— Voit-on dès lors moins de maghrébins ou d’africains incestueux en correctionnelle, car au fond ces affaires de famille s’y règlent aussi entre soi, qu’éventuellement la menace d’un « renvoi au pays » de l’enfant qui viendrait à s’en plaindre suffit à maintenir le silence pour cet enfant dont toutes les attaches sont sur notre sol où il est né ?

— Voit-on d’ailleurs un(e) jeune maghrébin(e )ou africain(e) abusé(e) dont les parents sont en situation irrégulière, comme lui /elle le cas échéant, aller porter plainte, alors qu’on a encore récemment vu récemment qu’une jeune adulte scolarisée et battue par son frère a bénéficié en s’en plaignant d’un vol affrèté par le ministère préféré de ce blog ?
— Voit-on aussi moins de maghrébins ou d’africains incestueux en correctionnelle, car le repli sur soi de certaine de ces familles peu insérées quoiqu’acculturées, mais sollicitant donc peu les services sociaux, contribue paradoxalement à enclore l’enfant dans son silence comme un fils ou une fille de la bourgeoisie ?

Et si je pose ces questions, ce n’est pas que la réponse est « c’est un fait ». Ce ne sont qu’hypothèses à vérifier, qui plus est sur des situations rarement observées ou observables par le magistrat, rapportées à la quantité de celles qu’il lui est donné de voir. Mais ces questions, le magistrat du parquet ne se les pose guère quand il traite journellement sa pile de signalement de suspicion de faits incestueux transmis par les services sociaux et concernant d’abord des familles précaires usagers de ce type de structures.

Dès lors la question ne pourrait-elle pas devenir cyniquement au sujet de ces pédophiles incestueux potentiels qu’on ne voit pas en correctionnelle :

— Faut-il que je saisisse la Brigade des mineurs du Commissariat du centre ville pour mener d’initiative une enquête du chef de non dénonciation de crime ou délit d’atteinte à l’intégrité corporelle et atteintes sexuelles aggravées, en entendant tous les élèves de l’Institut *** qui ne m’a jamais adressé en cinq ans le moindre signalement concernant ses pensionnaires ?
— Si je ne le fais pas alors que la rumeur, c’est à dire une personne digne de foi désirant garder l’anonymat comme le noteraient les policiers, ou un courrier anonyme reçu opportunément le rapporte, est-ce parce que « sociologiquement » ce type de faits se déroulent plus souvent dans d’autres milieux ?
— Et si je le fais et que l’enquête ne prouve rien, pourrai-je conclure que la « pédophilie incestueuse » se manifeste essentiellement dans les famille pauvres, « c’est un fait » ?

Ce que traite la justice pénale n’est pas un miroir de la société, c’est une effraction du regard collectif sur... ses marges.

Alors reprenons les « trafiquants » zémmouriens « factuellement » noirs ou arabes. Comprenons d’abord qu’il s’agirait de trafiquants de stupéfiant, et que le chroniqueur semble d’ailleurs plus désigner le dealer de rue qui aurait vocation à être repéré ou contrôlé facilement par la police en patrouille, plus que le chef de réseau propriétaire de six immeubles de rapport, ayant huit sociétés immatriculées au registre du commerce avec pour gérant sa femme, sa mère, ses filles et cousines, le tout servant au blanchiment de l’argent du trafic. Remarquons d’ailleurs, pour désespérer E. Zemmour, que celui-ci aussi, qui a l’air très organisé, peut être un maghrébin ou un africain, le monopole de l’intelligence - fût-elle dévoyée - n’étant pas réservé au petit blanc de banlieue devenu éditorialiste.

Alors quelles sont quelques unes des questions auxquelles on ne répond pas, si l’on se contente d’observer avec l’avocat général Bilger que les dealers de rue fréquentant la correctionnelle à Paris seraient souvent des noirs ou des arabes, ou des pauvres dans l’approche eolassienne :

— Ne voit-on pas plus de blancs bourgeois revendeurs de cocaïne, d’extasy ou cannabis en correctionnelle, car fournissant des clients de leur milieu, ils se donnent rendez-vous, non sous le nez de la police, Place Stalingrad sur laquelle ils zoneraient camés, mais à l’hôtel particulier de la famille dans une Cité privée de Passy où l’on entre au volant d’une voiture luxueuse après avoir indiqué au vigile discret le nom du propriétaire auquel on rend visite ?
— Ne voit-on pas plus de blancs bourgeois revendeurs de cocaïne, d’extasy ou cannabis en correctionnelle, car opérant en appartement dans les beaux quartiers, loin de vivoter uniquement de leur deal avec comme ressource officielle au mieux le R.S.A., leur petit commerce est une récréation lucrative parallèle à une activité légale ou une visibilité sociale qui ne les rend pas suspect ?
— Ne voit-on pas plus de blancs bourgeois revendeurs de cocaïne, d’extasy ou cannabis en correctionnelle car je n’ai pas souvenir, à l’époque lointaine où j’y vivais, que le préfet de police de Paris sollicitât beaucoup de réquisitions de contrôles d’identité à la sortie des établissements de nuit sis dans les rues adjacentes aux Champs Elysées ou du côté du Polo de Bagatelle ou du Tir au pigeon, de sorte que les consommateurs de produits stupéfiants invités par les services de police à indiquer leur fournisseur sont plutôt ceux qui se fournissent chez Momo fiché à la police et opérant à la Porte de la Chapelle ?

Il est temps que pour parler de notre société nous en quittions le spectacle, fût-il judiciaire. Ou s’il l’on veut parler de notre société au travers de ce prisme, que n’interroge-t-on pas le spectacle judiciaire sur ce qu’il ne représente pas ?

Alors honte sur nous non à cause de ceux qui sont attraits en justice et peu me chaut leur couleur de peau. Mais le règne de la loi ne garantit notre liberté que si nous y sommes tous soumis à égalité. Honte sur nous pour ceux-là seuls que l’on se garde de conduire devant leurs juges. Et « c’est un fait », il y en a.


Je ne recevrai pas de commentaires. Le débat avec le maître des lieux se poursuivra sous son billet, qui précède, en cliquant là !

On ne voit que ce qu'on regarde

Les sciences exactes ne servent pas qu’à empêcher les adolescents d’être heureux au collège. Elles apprennent la rigueur. Et l’économie, si elle n’est pas une science exacte, utilise ces sciences pour étudier le comportement humain avec cette rigueur.

Et s’il est une leçon que l’économie donne à tous, c’est précisément de se méfier des fausses évidences, des erreurs de corrélation (croire que si A et b augmentent simultanément c’est que A et B sont liés), et de rechercher les vraies causes d’un phénomène.

Deux ouvrages vous en feront la démonstration : “Freakonomics”, de Steven D. Levitt et Stephen J. Dubner, traduction Anatole Muchnik (qui notamment vous démontrera que la plus spectaculaire baisse de la criminalité aux États-Unis n’a rien à voir avec la politique de “tolérance zéro” de M. Giuliani, mais doit tout à une jeune fille de 21 ans qui ne voulait pas être enceinte), et “Sexe, drogue… et économie : Pas de sujet tabou pour les économistes !”, par mes amis Alexandre Delaigue et Stéphane Ménia, auteurs du blog “Econoclaste”.

Cette sagesse des économistes est fort utile au juriste, plus intéressé aux conséquences du comportement des hommes qu’à ses causes. Et même les plus estimables d’entre eux peuvent parfois s’égarer.

Et c’est à mon sens ce que fait l’avocat général Philippe Bilger, dont mes lecteurs savent le respect teinté d’admiration que j’ai pour lui, respect et admiration que ce désaccord laisse intacts, tout comme je sais qu’il goûte trop au plaisir de la contradiction pour me tenir rigueur de la lui porter ici.

Tout commence avec les déclarations à l’emporte-pièce, pardonnez le pléonasme, d’Éric Zemmour à l’émission produite et présentée par Thierry Ardisson sur canal+, “Salut les Terriens”. Le polémiste déclarait qu’il était normal que la police controlât plus volontiers l’identité d’individus typés noirs ou maghrébins, car “la majorité des trafiquants de drogue sont eux-même noirs ou maghrébins, c’est un fait”. J’attire votre attention sur ces quatre derniers mots, qui constituent l’intégralité de la démonstration de M. Zemmour, et probablement une des argumentations les plus développées qu’il ait jamais produite.

Les propos ont fait scandale, c’était d’ailleurs leur but. Le CSA a réagi, mal, comme d’habitude, la LICRA a menacé d’un procès, comme d’habitude, avant d’y renoncer après avoir reçu une lettre d’excuse, comme d’habitude.

Mais c’est avec un certain regret que j’ai vu un esprit d’une autre envergure voler à son secours, en la personne de monsieur Philippe Bilger, avocat général à la cour d’appel de Paris.

Un petit mot ici pour rappeler qu’un avocat général n’est pas plus avocat qu’il n’est général. C’est un magistrat du parquet d’une cour d’appel, dont les fonctions consistent plus particulièrement à requérir aux audiences et spécialement devant la cour d’assises. On ne l’appelle donc pas “maître”, mais monsieur, comme tous les magistrats, sauf les dames, bien évidemment.

Dans un billet sur son blog, l’avocat général vole au secours du polémiste qui en a bien besoin, en tenant, sur l’affirmation litigieuse, les propos suivants :

En effet, je propose à un citoyen de bonne foi de venir assister aux audiences correctionnelles et parfois criminelles à Paris et il ne pourra que constater la validité de ce “fait”, la justesse de cette intuition qui, aujourd’hui, confirment un mouvement né il y a quelques années. Tous les noirs et tous les arabes ne sont pas des trafiquants mais beaucoup de ceux-ci sont noirs et arabes. Je précise car rien dans ce domaine n’est inutile : qu’il y ait aussi des “trafiquants” ni noirs ni arabes est une évidence et ne me rend pas plus complaisant à leur égard. Il n’est point besoin d’aller chercher des consolations dans les statistiques officielles dont la finalité presque exclusive est de masquer ce qui crève les yeux et l’esprit si on accepte de regarder.

On voit d’entrée l’habileté du rhéteur, qui d’emblée laisse entendre que toute personne qui contesterait cette affirmation serait de mauvaise foi. Ça tombe bien, je suis avocat, la mauvaise foi, ça me connaît, et les audiences correctionnelles, j’y assiste, sans doute plus souvent qu’un avocat général, et je suis même pas trop mal placé.

Et je confirme que pour les audiences de “service général”, vols, violences et petit trafic de stupéfiant, les prévenus ont des noms qui évoquent les sommets de l’Atlas, l’immensité du Sahara ou les grands fleuves serpentant dans d’impénétrables forêts. Curieusement, c’est nettement moins le cas aux audiences économiques et financières ; il n’y avait qu’un arabe dans l’affaire Clearstream, et ce n’était même pas un maghrébin, mais ce doit être une décimale flottante qui fausse les statistiques.

Car le vice du raisonnement saute d’emblée aux yeux. S’il semble acquis, puisque ni le grand magistrat ni le petit polémiste ne contestent que la police contrôle plus volontiers noirs et arabes -et je confirme que sur ces trente dernières années, je n’ai fait l’objet que de deux contrôles d’identité sur la voie publique ou dans l’enceinte du métro, tandis qu’un estimable confrère d’origine martiniquaise a remarqué qu’il devait exhiber sa carte d’identité une fois par mois-, il ne faut pas s’étonner qu’ils soient plus nombreux dans le box. C’est confondre cause et conséquence.

En outre, il faut rappeler une autre évidence : n’est prévenu que celui que le parquet décide de poursuivre. Il n’y a pas tirage au sort dans une population homogène : chaque dossier est étudié, au pas de charge, par un parquetier débordé qui en quelques minutes va décider en cochant une case s’il y a lieu à classement après rappel à la loi, alternative aux poursuites, CRPC ou citation devant le tribunal (je mentionne pour mémoire l’ouverture d’une instruction tant qu’elle existe). Il y a donc un filtre totalement subjectif : cette décision repose sur des critères qui n’ont jamais à être motivés, certains objectifs (existence d’antécédents judiciaires au casier, gravité exceptionnelle des faits), d’autres moins (instructions générales du chef du parquet : mettre la pression sur tel type de délits plutôt que tels autres), et les derniers enfin beaucoup moins : le pifomètre qui va diriger le stylo ver telle ou telle case après un bref moment d’hésitation les sourcils froncés.

Je ne dis pas que les parquetiers soient mus par des réflexes xénophobes : simplement ils prennent rapidement une décision non motivée. Tirer des conclusions de données statistiques passés par un tel filtre ne peut que mener à des erreurs.

Donc tout citoyen de bonne foi se rendant à une audience correctionnelle, exercice que je lui conseille ardemment, saura qu’il ne doit rien déduire de la couleur dominante dans le box.

Car c’est triste mais c’est ainsi, il y a des détails qui sautent aux yeux, et la couleur de la peau en fait hélas partie, mais d’autres auxquels on ne fait pas attention. Je pense en effet que les deux tiers des prévenus à une audience ordinaire sont typés noirs ou maghrébins (ce qui ne les empêche pas d’être le plus souvent français). Une prédominance de 66%, nonobstant les biais qui faussent la population statistique que je viens de détailler, peut sembler néanmoins pertinente et représentative, du moins dans les juridictions des grandes villes où se trouvent les population d’origine immigrée depuis les Trente Glorieuses (je pense que le tribunal correctionnel de Guéret voit moins de prévenus noirs que celui de Bobigny, tandis que celui de Fort-de-France en verra sans doute plus).

Soit, mais il y a une autre prédominance, que je pense supérieure à 95%, qui a fortiori apparaît encore plus pertinente et dont personne, et spécialement M. Zemmour, ne semble vouloir tirer de conclusion.

95% des prévenus, et c’est un minimum, sont des hommes. Le sexe semble être un critère beaucoup plus pertinent pour repérer les délinquants potentiels, mais M. Zemmour ayant pour les hommes les yeux de Chimène, il semble balayer ce critère d’un revers de main. La sociologie juridique a des limites.

Mais il demeure ce fait : en région parisienne et dans les grandes villes, la population noire et maghrébine se taille la part du lion dans le box des prévenus, avec les gitans pour les juridictions du sud de la France. Aucune statistique fiable n’existe, puisque tout traitement de données sur des bases ethniques est interdit comme contraire à la Constitution (CC, décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007), ce qui laisse, effet pervers, la part belle aux préjugés et à l’argumentation selon laquelle les bien-pensants préfèrent se voiler la face.

Admettons le principe de cette sur-représentation et demandons-nous pourquoi elle existe.

C’est là que mes modestes connaissances peuvent servir. Ces prévenus, je les défends. J’ai accès au dossier, je m’entretiens avec eux, je fouille un peu dans leur vie pour chercher des moyens d’éviter la détention. Et pour le passage à l’acte, je constate que les mêmes critères réapparaissent avec une constance inébranlable.

Et d’emblée, le cliché du parasite cynique, qui hait la France et se croit tous les droits de s’emparer de ce que bon lui chante parce que nous sommes trop gentils avec lui, est tout simplement inexistant.

Le délinquant type gibier de correctionnelle (en excluant la délinquance routière qui est un cas à part, une délinquance d’honnêtes gens, bien intégrés et ayant un métier, et qui d’ailleurs est traitée différemment) est un homme, je l’ai déjà dit, plutôt jeune, pauvre, issu d’une famille pauvre, sans formation, ayant souvent abandonné l’école dès 16 ans, au chômage ou connaissant la précarité du travail, trimballé de “plate-forme de mobilisation” (oui, c’est un terme tout à fait authentique de la novlangue de Pôle Emploi) en formations inadaptées. Quand il a le droit de travailler, ce qui n’est pas le cas d’un étranger en situation irrégulière (soit dit en passant, dépouiller un homme de son droit de travailler est une des plus grandes atteintes à sa dignité qui se puisse commettre, et c’est l’État qui le commet en notre nom). L’alcool ou la drogue (le cannabis, le plus souvent) sont souvent présents, pour l’aider à tenir dans cette vie sans espoir de s’en sortir, et sont parfois la cause de la délinquance (énormément de petits dealers font ça uniquement pour financer leur consommation, et ce sont ces amateurs qui sont des proies faciles pour la police).

Allez à une audience de comparutions immédiates, vous entendrez la litanie des enquêtes de personnalité, vous verrez si je dis vrai (à Paris, du lundi au vendredi à 13h30, 23e chambre, escalier B, rez de chaussée, le samedi à 13h30 dans les locaux de la 25e chambre, escalier Y, rez de chaussée, entrée libre, c’est gratuit).

Mettez un homme, quelle que soit son origine, sa race, ou sa religion, dans cette situation, et vous en ferez probablement un délinquant. Or ce portrait robot correspond majoritairement à des personnes issues de familles noires et arabes, venues travailler en France dans la seconde moitié du XXe siècle où la France manquait de main d’œuvre et touchées de plein fouet par la crise.

Et tout ce que retiennent Eric Zemmour et Philippe Bilger, c’est l’origine ethnique des délinquants, comme si elle était pertinente. C’est s’arrêter à la surface. Et pointer du doigt toute une population qui partage ce trait physique majoritaire chez les délinquants. Comme si elle avait besoin de ça.

Regardez donc les grands criminels, ceux qui peuplent les assises, ceux qui violent ou tuent. Marc Dutroux est-il arabe ? Michel Fourniret et Monique Olivier sont-ils noirs ? Francis Heaulme ? Didier Gentil ? Marcel Petiot ? Patrick henry ? Yvan Colonna ? Les tueurs de l’ETA ? Ou sans aller chercher les grands criminels, Céline Lesage, Véronique Courjault, Marc Cécillon puisqu’il faut bien que je parle encore un peu de rugby ? On me rétorquera Youssouf Fofana et Omar Radad ; mais je n’affirme nullement que les noirs et les arabes sont à l’abri du crime. Mais ôtez le moteur de la pauvreté et du désespoir social (et le crime de Fofana, avant d’être raciste, est avant tout crapuleux), et miracle, la part de la population pauvre diminue instantanément. Il n’y a pas de gène de la criminalité. En est-on à devoir rappeler de telles évidences ?

C’est aussi à mon sens des facteurs sociaux qui expliquent la si faible part des femmes dans la délinquance. La société repose encore sur l’image qu’un homme doit gagner sa vie voire celle de sa famille. Une femme qui gagne sa vie a du mérite, un homme, non, c’est ce qu’on attend de lui, depuis la préhistoire où il partait chasser le mammouth. Pour un homme, ne pas avoir cette perspective est humiliant : cela pousse au mépris de soi, et quand on se méprise on ne peut respecter les autres, et à trouver des expédients pour avoir de l’argent. Les femmes d’une part n’ont pas cette pression sociale, et d’autre part ont immédiatement à l’esprit que pour avoir un travail, elle devront étudier. D’où leurs meilleurs résultats à l’école dès le primaire et leur part de plus en plus importantes dans les études supérieures (les écoles d’ingénieurs étant le dernier bastion des mâles, mais les murs s’effritent chaque année, courage mesdames !). La faculté de droit est tombée depuis longtemps, pour mon plus grand bonheur (Ah, les amphis au printemps, quand les beaux jours reviennent : comment s’intéresser aux servitudes et à l’exception de litispendance dans ces conditions…?)

Les box des tribunaux correctionnels ne sont pas remplis de noirs ou d’arabes. Ils sont remplis de pauvres désespérés. C’était déjà le cas il y a un siècle, quand le blanc était la couleur dominante.

La France n’a pas échoué à intégrer les populations qu’elle a fait venir d’Afrique ces cinquante dernières années. Elle n’a même pas essayé. C’est cela que la couleur des prévenus nous rappelle à chaque audience. C’est que pas un seul d’entre eux, bien que né en France, n’a pensé une seule seconde qu’il avait une chance de devenir lui aussi médecin, avocat, juge, journaliste au Figaro ou avocat général.

La honte est sur nous et pas sur eux.

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