Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 17 février 2011

jeudi 17 février 2011

Les rapports dans l'affaire Meilhon

À la suite de la mort de la jeune Lætitia le 19 janvier dernier à Pornic (Loire-Atlantique), mort dont est soupçonné Tony Meilhon, la Chancellerie a ordonné deux enquêtes administratives sur le fonctionnement global du service assurant le suivi des condamnés (qu’on appelle le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation, SPIP) et de l’application des peines au sein du tribunal de grande instance de Nantes et plus spécifiquement le traitement du dossier de Tony Meilhon.

Pourquoi deux enquêtes ? Parce que l’exécution des peines relève à la fois de l’administration pénitentiaire (qui gère les SPIP) et de la Justice (Parquet de l’exécution des peines, Service d’Application des Peines (SAP) composé de juges de l’application des peines (JAP), qui relèvent de deux Directions Générales différentes au sein du ministère, souvenir du temps où la Pénitentiaire relevait du ministère de l’intérieur.

Ces deux rapports, que vous trouverez reproduits intégralement en annexe au grand dam de ma bande passante, sont riches d’enseignement.

Je vais d’abord vous en faire une synthèse, avant de vous faire part, pour ceux que cela intéressera, de mes commentaires.

Un petit mot néanmoins avant cette plongée dans les rouages de la justice. Je vous rappelle que je suis avocat. C’est à dire que je suis indépendant, farouchement indépendant ajouterais-je même. J’exerce en profession libérale. Je ne vis que des honoraires que veulent bien me verser mes clients. Je n’ai rien dans mon bureau que je n’aie payé de ma poche (hormis quelques cadeaux faits par des clients satisfaits, qu’ils en soient remerciés), ce qui inclut les murs l’entourant. Je ne dois rien au ministère de la justice (j’aimerais pouvoir en dire autant de celui du Budget), je suis extérieur à l’administration de la justice, et en aucun cas les magistrats et les Conseillers d’Insertion et de Probation ne me considèreront comme l’un des leurs. Je suis là pour les aider à décider, étant auxiliaire de justice, mais je suis en tout premier lieu solliciteur au nom de mes clients. Inutile donc pour certains esprits chagrins qui voudront faire coller les faits à leurs préjugés sur cette affaire de tenter de disqualifier les propos que je pourrais tenir semblant défendre les services concernés face à des anomalies constatées en les affublant du cliché commode de « corporatisme ». Pour qu’il y ait corporatisme, il faut qu’il y ait identité de corps, et le fait que nous portions tous une robe noire (similaire pas point identique) ne suffit pas à créer une quelconque connivence. Nous passons plus de temps à nous engueuler qu’à boire ensemble, sauf sur ce blog bien sûr.

Néanmoins, nous partageons une haine commune pour l’injustice. C’est elle seule qui m’animera dans mes commentaires.

La triste histoire judiciaire de Tony Meilhon

Les deux rapports ayant été écrits séparément reviennent tous deux sur la trajectoire judiciaire de Tony Meilhon. Beaucoup d’informations, parfois contradictoires ayant circulé là-dessus, un rappel des faits sera éclairant. Et déprimant, surtout pour les lecteurs extérieurs au monde judiciaire, car des trajectoires comme celle-là, on en a tous vu, et même des pires.

Tony Meilhon est né le 14 août 1979. Son casier judiciaire mentionne 13 condamnations. Les voici, étant précisé que je n’ai que la date des condamnations et non celle des faits, qui peut expliquer que des condamnations postérieures à des faits identiques ne soient pas en récidive.

1. Le 15 mai 1996 (à l’âge de 16 ans), 3 mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve pendant 3 ans pour vol aggravé et conduite sous l’empire d’un état alcoolique. Ce sursis a été totalement révoqué le 4 décembre 1996.

2. Le 29 avril 1997 (17 ans), 4 mois d’emprisonnement avec sursis pour vols aggravés. Ce sursis simple n’aurait pas dû être prononcé du fait de la condamnation précédente.

On passe ensuite, sauf mention contraire, aux juridictions pour majeurs.

3. Le 13 mars 1998 (18 ans), 6 mois fermes pour vol aggravé. J’ignore pourquoi la récidive n’a pas été visée.

Le 8 août 1999 (18 ans), il est incarcéré en détention provisoire pour des faits de viol, agression sexuelle et violences avec armes (cf. condamnation n°5).

4. Le 22 juin 2000 (20 ans), 6 mois fermes pour évasion par violence.

5. Le 9 mars 2001 (21 ans), la cour d’assises des mineurs l’a condamné à 5 ans dont 1 an avec sursis et mise à l’épreuve d’une durée de 3 ans pour des faits de viol, violences aggravées, agression sexuelle. Ces faits ont été commis en détention dans un établissement pour mineurs, sur la personne d’un détenu pour des faits de viol. Tony Meilhon a expliqué les avoir commis pour « punir » ce détenu, ces faits là le dégoûtant. Il estimera du coup avoir été injustement condamné et en concevra une profonde colère. Détail important : cette condamnation apparaît de manière erronée au casier comme « réputée non avenue », c’est à dire comme si le délai d’épreuve était terminé. Or la détention suspend le délai de mise à l’épreuve. J’y reviendrai, c’est un élément essentiel du dossier.

6. Le 30 avril 2002 (22 ans), 6 mois fermes pour vols aggravés en récidive, violences aggravées en récidive et dégradations volontaires. Il s’agit de sa première condamnation en récidive.

Le 3 avril 2003, la cour d’appel de Rennes rejette sa demande de confusion de cette peine avec sa condamnation criminelle : il devra les purger successivement.

Il est libéré le 31 mai 2003, en fin de peine. Il a alors purgé ses condamnations à du ferme, et doit rester suivi dans le cadre de la mise à l’épreuve de la condamnation n°5. Ils est bien reçu par le juge d’application des peines dans les 5 jours, comme la loi le prévoit, mais celui-ci n’a pas pu retrouver les obligations auxquelles Tony Meilhon était tenu (il n’y avait pas d’obligation de soins, ce qui est rare pour des faits de viol). Le juge lui a dit qu’un CIP prendrait contact avec lui, mais ça n’a pas eu lieu, puisque dès le 31 août 2009, Tony Meilhon était à nouveau incarcéré pour des faits criminels (un braquage, cf. condamnation n°7). Vous allez voir qu’il n’est pas resté inactif en liberté.

7. Le 22 juin 2005 (25 ans), la cour d’assises le condamne à 6 ans de prison pour vol avec arme et recel de vol. C’est sa seconde et dernière condamnation criminelle à son casier.

8. Le 27 janvier 2006 (26 ans), 7 jours de prison pour outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique (un surveillant de prison).

9. Le 11 décembre 2007 (28 ans), 6 mois de prison ferme pour refus d’obtempérer (c’est un délit routier : la police vous fait signe de vous arrêter, vous continuez nonobstant).

10. Le 20 décembre 2007, 2 mois de prison pour menaces envers un magistrat (faits commis en détention).

11. Le 22 janvier 2008, 6 mois de prison et 150 euros d’amende pour refus d’obtempérer, conduite sans permis, défaut d’assurance, violences légères (moins de 8 jours d’incapacité temporaire de travail).

12. Le 26 mars 2008, 8 mois de prison pour évasion (faits commis en détention, par définition).

13. Enfin, le 30 juin 2009, 1 an de prison dont 6 mois avec sursis et mise à l’épreuve pendant 2 ans pour outrage à magistrat en récidive (un juge des enfants). Faits commis en détention. C’est sa deuxième et dernière condamnation en récidive légale.

Il a été libéré en fin de peine le 24 février 2010, son temps de détention ayant été rallongé de 6 mois et 15 jours en raison de problèmes disciplinaires (retraits de crédits de réduction de peine, pour les techniciens).

Du fait de sa condamnation pour des faits de viol, il a été inscrit au Fichier Judiciaire des Auteurs d’Infraction Sexuelle (FIJAIS), ce qui l’obligeait à déclarer son adresse à la sortie. Comme il ne l’a pas fait, une alerte est lancée le 9 septembre 2010 et transmise au commissariat de Nantes, qui l’ recherché recherche en vain. Le parquet de Nantes, informé de ces vaines recherches, le fait inscrire au fichier des personnes recherchées en émettant un mandat de recherche le 4 janvier 2011. Ce n’est donc pas sa mise à l’épreuve qui est à l’origine de ces recherches, je vais y revenir.

Le 19 janvier 2011, sa route croisait celle de Lætitia Perrais.

Premier commentaire sur ce point.

On ne peut pas soutenir sérieusement que la justice a été laxiste ici. Sur les 11 dernières années, Tony Meilhon a été libre 3 mois, du 31 mai au 31 août 2003, outre deux brèves périodes d’évasion, du 16 décembre 1999 à début 2000 et du 11 janvier 2007 au 18 avril 2007, qui ont rallongé sa détention de 14 mois. Il a été condamné à de la prison ferme et incarcéré dès sa minorité, ses sursis ont tous été révoqués, toutes ses peines de prison ont été mises à exécution, les confusions de peine refusées, et les condamnations sont objectivement sévères, particulièrement la dernière pour outrage à magistrat : un an de prison pour outrage, c’est le maximum encouru pour le délit simple. Il est d’ailleurs intéressant de relever que les deux cours d’assises, avec jurés populaires, sont loin d’avoir fait preuve de sévérité : 5 ans sur 15 encourus, et 6 ans sur 20 encourus. Un beau thème de réflexion pour un projet de réforme récent.

Les assoiffés d’enfermement pourront constater que la prison n’a pas empêché plusieurs passages à l’acte.

Tony Meilhon en prison

Le rapport de la Pénitentiaire s’est intéressé au déroulement des deux dernières périodes de détention.

On apprend ainsi qu’il a toujours été demandeur d’un suivi psychiatrique, et que chaque fois qu’il a été mis en place, ce suivi a donné des résultats.

Ainsi, lors de sa première incarcération, Tony Meilhon a demandé ce suivi car « j’avais la haine en moi par rapport à ma condamnation en cour d’assises qui est une erreur de justice. » Il admet que ce suivi a été efficace « en ce sens que je n’ai pas été me venger de quoi que ce soit à ma sortie ». Ce sont ses mots, recueillis en septembre 2003 dans le cadre de l’instruction pour braquage. Pour comprendre le travail à accomplir, il convient de préciser qu’il reconnaît parfaitement avoir forcé son co-détenu à lui pratiquer une fellation. Et pourtant, dit-il « J’étais innocent de ces faits d’agressions sexuelles sur mineur. (…) Ça se fait souvent des choses comme ça en prison. J’étais mineur en prison avec un mineur qui avait fait un viol et moi je ne supporte pas ces gens là. Je ne suis pas un violeur, je suis un voleur ». Voilà l’échelle des valeurs en prison : les criminels sexuels sont des « pointeurs », des moins que rien, des souffre-douleurs qui n’ont que le droit de subir. Les violer n’est pas un viol mais une juste vengeance. Je me demande ce qu’on pouvait espérer de cette éducation républicaine.

Au cours de sa deuxième incarcération, Tony Meilhon a demandé un suivi psychiatrique, qui a d’abord été effectué par un infirmier psychiatrique d’octobre 2003 à mi 2005, sans résultat probant (6 sanctions disciplinaires, dont 4 violences sur co-détenu, et une menace à surveillant). En février 2006, un psychiatre le prend en charge, effet immédiat. Comportement satisfaisant en détention, il travaille et n’a plus d’incident disciplinaire sauf un en parloir avec sa compagne, mais l’enquête conclura que l’agresseur était la compagne et l’incident sera sans suites. Face à cette évolution positive, le Conseiller d’Insertion et de Probation qui le suit émet même un avis favorable à une semi-liberté pour préparer sa sortie prévue alors un an plus tard en décembre 2007. Tony Meilhon a d’ailleurs demandé à plusieurs reprises que son suivi psychologique continue à l’extérieur, et a exprimé le souhait que ce soit le même praticien qui le suive.

Mais au cours d’une permission de sortie en janvier 2007, il ne regagne pas son établissement, à la suite d’un incident avec son fils, incident qui n’est pas détaillé dans le rapport. Il est rattrapé en avril et tout le projet de préparation de sortie est abandonné, 6 nouvelles peines venant par la suite s’ajouter à celles qu’il effectue. Son suivi psychiatrique a continué, sur la base d’une consultation par mois, jusqu’à sa libération. D’ailleurs, le jugement n°13 qui l’a condamné à 6 mois fermes et 6 mois avec sursis mise à l’épreuve avait prévu une obligation de soin visant expressément la poursuite de ce traitement.

Les dysfonctionnements

Les deux rapports vont analyser, chacun en ce qui les concerne, les deux services qui ont été, légalement du moins, en charge du dossier de Tony Meilhon après sa libération. En effet, les deux rapports coïncident pour estimer que la prise en charge de Tony Meilhon en détention a été satisfaisante.

Voyons d’abord ce qui aurait dû se passer, avant de voir pourquoi ça ne s’est pas passé du tout.

Tout détenu libéré ayant une mise à l’épreuve à effectuer est affecté à un juge d’application des peines chargé du suivi de cette mesure, mesure qu’on appelle « en milieu ouvert » par opposition au « milieu fermé », la détention. Il peut déléguer ce suivi au SPIP. Alors qu’avant 2005, cette convocation était obligatoire (Tony Meilhon a bien été convoqué par le juge d’application des peines lors de sa libération en 2003), elle est devenue facultative, la notification des obligations se faisant désormais lors de la condamnation. Ce qui est une économie stupide de bouts de chandelles : certes, on allège la charge de travail des juges d’application des peines, ce qui dispense d’en nommer d’autres, mais espérer qu’un condamné, souvent peu ou pas instruit, se souviendra d’une phrase compliquée prononcée par le président après la seule information qui l’intéressait (le nombre de mois de prison) tient de la fiction. Pour le dossier de Tony Meilhon, le juge d’application des peines a bien été saisi, et comme vous allez voir, il a bien saisi l’urgence du dossier et a donné des instructions en ce sens au SPIP. C’est au niveau de la courroie de transmission que ça n’a pas fonctionné.

Premier problème : les milieux fermés et ouverts au sein du SPIP ne communiquent pas. Les dossiers sont transmis, et c’est tout. Le Conseiller d’Insertion et de Probation de la prison n’a pas signalé à son collègue du milieu ouvert que le dossier Meilhon était à surveiller comme le lait sur le feu. Il y avait des annotations au dossier ; encore fallait-il qu’il fût lu. Un logiciel, APPI, a été mis en place depuis 2004, est censé permettre un suivi en réseau, le dossier informatique étant accessible par les Conseiller d’Insertion et de Probation des milieux fermés et ouverts et par le juge d’application des peines. Le rapport se contente de constater que ce logiciel n’est pas utilisé « de manière optimale » sans s’étendre sur ces raisons. Mon esprit mal tourné me conduit à penser que tout ce que l’Inspection Générale préfère passer pudiquement sous silence met plus en cause la Chancellerie que les services locaux. Genre logiciel inadapté ou buggé, ou pas d’ordinateurs capables de le faire tourner…

Deuxième problème : Le sous-effectif du SPIP – milieu ouvert. Les affectations de Conseiller d’Insertion et de Probation ont clairement favorisé le milieu fermé. Ainsi, les 3 Conseiller d’Insertion et de Probation nommés à Nantes en 2010 ont été affectés au milieu fermé, et deux agents du milieu fermé ont été affectés au milieu ouvert : un à temps partiel de 80% et un élu syndical bénéficiant d’un détachement syndical de 70% de son temps de travail. Résultat : le SPIP milieu ouvert de Nantes avait 16,5 agents en comptant les temps partiels, alors qu’il était censé en avoir 21, chiffre qui était déjà en deçà des besoins réels. À cela s’ajoute les absences des agents pour maladie (522,5 jours de congé maladie ordinaire, 238 jours de congé longue maladie, 3 agents cumulant à eux seuls 616 de ces 760 journées, 81 jours de congé longue durée, 8 jours d’absence pour garde d’enfant et 245 jours de congé maternité). Ce qui fait sauter 1094,5 jours de travail sur l’année 2010, ce qui est considérable : cela fait presque un tiers de la capacité de travail du service (31% contre 6,8% en moyenne nationale). Le service ne pouvant faire face à sa charge de travail, on en aboutit au troisième problème.

Troisième problème : le stock de dossier non affecté. Le directeur du SPIP en poste de 2007 à 2009 a pris l’initiative de créer un stock de dossiers non affectés à un Conseiller d’Insertion et de Probation pour alléger d’autant la charge de travail de ceux-ci. Il s’agissait dans son esprit d’une solution temporaire pour rattraper le retard du service. Ses successeurs n’ont pas réussi à le résorber. Ce stock de Sursis avec Mise à l’Épreuve non affectés, de 611 dossiers en janvier 2011 contre 357 un an plus tôt) était constitué sur des critères assez précis, tenant en compte la nature de l’infraction, l’existence d’une ou de deux mises à l’épreuve (la loi ne permet pas plus de deux mises à l’épreuve), et le comportement en détention. Le directeur du SPIP a donc eu en main le dossier Meilhon, et a rapidement (l’examen a été très bref) décidé de le non-affecter car la détention était pour des faits d’outrage, il avait un domicile et une couverture sociale, ainsi qu’un projet professionnel, et son évolution en détention était positive, et surtout son casier ne mentionnait qu’un seul Sursis avec Mise à l’Épreuve. Ce qui nous amène au quatrième problème.

Quatrième problème : le sursis réputé à tort non avenu. La condamnation criminelle pour viol incluait un sursis avec mise à l’épreuve de 3 ans, j’attire tout particulièrement l’attention de Philippe Meyer sur ce point, qui dans l’Esprit Public de ce dimanche manifestait sa surprise qu’une condamnation pour viol n’ait pas donné lieu à une telle mesure alors qu’un simple outrage à magistrat, si. Il y a bien eu mise à l’épreuve, mais parmi ses obligations, toutefois, pas d’obligation de soin. La Cour a probablement estimé (ses arrêts ne sont pas motivés) que s’agissant d’un viol punitif, cela ne révélait pas de perversion sexuelle nécessitant des soins. Le suivi socio-judiciaire n’était pas possible, les faits remontant à 1997, donc avant la loi de 1998 l’ayant instauré. Mais la détention suspend de plein droit le délai d’épreuve. Or Tony Meilhon était détenu lors de cette condamnation et n’a été libre que trois mois jusqu’à sa libération en février 2010. Le délai d’épreuve de 3 ans n’a pas pu courir. Mais le casier judiciaire national n’ayant pas été informé de cette cause de suspension (obligation qui sauf erreur de ma part incombe au parquet) a naturellement computé le délai et en 2004 a réputé la peine non avenue. Or si le SPIP de Nantes avait su qu’en réalité, il y avait 2 Sursis avec Mise à l’Épreuve en cours, le dossier de Tony Meilhon aurait été « priorisé » selon les critères de tri des dossiers.

Du côté des juges d’application des peines de Nantes, le rapport de l’IGSJ souligne aussi le sous effectif ancien (3 juges au lieu de 4, qui ont en outre d’autres fonctions à exercer) et ses conséquences sur les dossiers en retard. Je vous fais grâce des pages et des pages de jargon bureaucratique où on apprend, merveilles de la gestion des ressources humaines, que le tribunal de grande instance de Nantes était considéré sur le papier comme en sureffectif de 2 magistrats (50 magistrats pour 48 postes) alors qu’en réalité il en manquait 3 (2,25, mais j’ai pas trouvé la virgule du magistrat).

Cependant, dans le cas de Tony Meilhon, cet état de fait n’a pas eu de conséquences, son dossier ayant été très vite repéré comme prioritaire. Ainsi, il a été condamné en juin 2009 pour outrage. Le jugement est transmis le 20 août 2009 par l’exécution des peines (le parquet) au juge d’application des peines qui le reçoit le 3 septembre. Le 18 septembre, le juge d’application des peines, qui connait parfaitement la politique de non affectation de certains dossiers, note sur le jugement « saisir SPIP urgent ». Tony Meilhon étant détenu, c’est le service « milieu fermé » qui reçoit cette instruction en novembre 2009. Mais lors de la libération de Tony Meilhon en février, comme on l’a vu, le service Milieu Fermé s’est contenté de transmettre le dossier au service milieu ouvert, sans attirer son attention sur l’urgence. Ainsi, la décision de mise en stock du dossier sera prise un mois après la sortie de Tony Meilhon alors qu’un traitement prioritaire supposait une convocation par le SPIP dans les 3 jours de la sortie. En outre, la fiche informatique du logiciel APPI est renseignée pour indiquer que le dossier a été affecté à un Conseiller d’Insertion et de Probation, ce qui était inexact, mais a pu laisser croire au juge d’application des peines que Tony Meilhon bénéficiait bien d’un suivi effectif. En outre, la fiche avait été créée le 24 novembre 2004 ce qui était largement en dessous des délais d’enregistrement habituel vu le retard du service. Cela laissait à penser que le dossier était bien traité comme prioritaire. Pas de raison de s’alarmer donc.

Conclusion

Désolé de ce pavé, mais je vous ai résumé 63 pages de rapport technique. Vous trouverez les originaux ci-dessous. J’ai tenu à faire ce résumé pour que vous sachiez exactement de quoi on parle, avec des faits et des dates.

Pour ma part, j’en tire les conclusions suivantes.

Quand on veut trouver un dysfonctionnement, on le trouve toujours, et quand on le cherche dans des services qui sont dans un état d’anémie budgétaire depuis des décennies, on n’a jamais à chercher longtemps. On peut reprocher au juge d’application des peines de Nantes de ne pas s’être assuré plus avant de l’effectivité du suivi de Tony Meilhon, malgré tous les signaux rassurants qu’il avait. On peut reprocher au SPIP de Nantes sa politique de stock de dossiers non suivis, qui à mon avis existe dans la plupart des services départementaux (amis Conseiller d’Insertion et de Probation qui me lisez, confirmez-vous ?). Mais quand on dit à des services « débrouillez-vous avec ce que vous avez », peut-on leur reprocher de faire de la débrouille faute des moyens de pouvoir faire leur travail ? Ces rapports ont le mérite de pointer des aspects qui peuvent être rapidement améliorés : la communication entre les services, notamment le milieu fermé et le milieu ouvert, autrement que par annotations manuscrites sur le dossier. Je ne sais pas si APPI est l’outil adéquat pour ça, s’il y a un problème de matériel informatique ou de formation, mais il est clair qu’en l’état, ça ne marche pas (le rapport relève qu’il y a une inexplicable différences de 200 dossiers informatiques qui n’ont pas de dossier physique correspondant). Il me paraît difficile de reprocher cet absentéisme aux agents du SPIP faute de plus de renseignements. Le congé maternité est un droit, les problèmes de santé, une fatalité, que des conditions de travail stressantes n’arrangent pas. La souffrance au travail n’est pas l’apanage du privé.

Mais surtout, nous devons nous demander une chose : et si le dossier de Tony Meilhon avait bien été priorisé, s’il avait fait l’objet d’un suivi effectif, qu’est-ce qui nous permet d’affirmer que Lætitia Perrais serait encore en vie ? Quel lien de causalité établir entre ce défaut de suivi et ce qui s’est passé — surtout qu’à ce stade on ignore encore ce qui s’est passé. Regardons les antécédents de Tony Meilhon. Un viol quand il était mineur, mais qu’il décrit comme étant punitif. Aucun autre cas d’agression sexuelle, même au cours de ses évasions ou de sa courte libération où in n’est pas resté inactif point de vue délinquance. Il est plus condamné pour des délits routiers que pour des violences, ses récidives concernent des vols et des outrages. Il n’a objectivement pas le profil d’un meurtrier. Quel signal aurait dû alerter la justice sur le fait qu’il pouvait tuer ? Rappelons que sa version des faits serait celle d’un accident mortel, suivi de la dissimulation du cadavre. On peut naturellement prendre ce récit avec méfiance, mais il n’est pas incohérent avec ses antécédents.

La Justice doit rendre compte de son action. Jamais aucun magistrat n’a prétendu à l’impunité pour ses fautes, et le Conseil Supérieur de la Magistrature ne chôme pas. Mais l’État aussi est comptable de ses choix, et celui de tenir depuis des décennies la Justice dans une insuffisance totale de moyens en est un que nous validons à chaque élection. Les augmentations généreuses qu’agit Éric Ciotti sont largement surévaluées (72% au lieu de 50% sur 10 ans), et surtout ne tiennent pas compte des transferts de charges, nombreux depuis l’adoption de la LOLF (on augmente les crédits et on met à sa charge de nouvelles dépenses, l’effet est au final nul). Il demeure que ce budget augmente effectivement, mais à un rythme tel qu’il peine à combler le retard.

Mais tout comme il serait injuste d’imputer à l’État la responsabilité de la mort de Lætitia pour faillir à doter la Justice des moyens décents, car il ne peut être tenu responsable de comportements individuels, il serait injuste d’imputer à la Justice la responsabilité de ce fait en prenant prétexte de son fonctionnement devenu anormal par nécessité.

Addendum : Au moment où je mets ce billet sous presse, j’apprends que le directeur interrégional du SPIP va être relevé de ses fonctions. Il n’est à aucun moment mis en cause dans les rapports. Le Président a promis des têtes, il y en a toujours une qui dépasse.

PS : petit problème avec le rapport de la Pénitentiaire, scanné dans un format trop gourmand en mémoire. Je le mettrai en ligne plus tard.

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