Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 22 février 2008

Tranche de greffe

Par Gwenwed.


Décidément, Gascogne inspire du monde, avec son rêve de vie d'avocat ! Pour ne pas être en reste, c'est une greffière en chef de tribunal d'instance[1], qui signe Gwenwed en commentaires, qui nous propose une incursion d'une semaine dans la peau d'un chef de greffe. Le greffier en chef, c'est le chef des greffiers, qui ne sont pas les secrétaires des tribunaux. Certes, ils rédigent, mais ils sont indépendants des magistrats car leur rôle est d'authentifier le jugement en le signant et en le revêtant du sceau de la République, baptisé à tort "la Marianne"[2], sans lequel le jugement n'est qu'un bout de papier A4. Il est aussi surintendant des finances du tribunal : c'est lui qui gère le budget, passe les commandes et règle les factures. Quand il le peut, vous allez voir. Il reçoit les minutes des jugements, c'est à dire les originaux des archives. Enfin, il est investi de tâches quasi-juridictionnelles puisque depuis 1993, il délivre les certificats de nationalité française, reçoit les consentements à l'adoption, appose les scellés, délivre les procurations pour voter etc. Mais je ne veux pas déflorer le sujet.

Nous sommes lundi matin, le réveil a sonné, une bonne douche, une tasse d'Assam bien serré, et c'est parti...

Eolas


Lundi :

8h : j’arrive au tribunal à pas mesurés : le verglas sur le parvis rend chaque pas risqué.

Une greffière est déjà là. A pied d’œuvre depuis 7h, comme chaque jour. Elle a gardé manteau et écharpe. « Bonjour, j’espère que tu as prévu les mitaines il n’y a pas de chauffage ».

Hum, je savais bien que j’aurais dû rester au lit. Le coup de la panne de chaudière dès le lundi matin, ça motive pour la semaine !

Me voilà partie, téléphone portable à la main (le mien, bien sûr, la juridiction ne disposant d’aucun « sans fil ») au deuxième sous-sol. Plantée devant la chaudière, j’appelle le chauffagiste qui tente un diagnostic en ligne et me promet de passer dans la semaine. Je négocie : la palais est ancien, un vrai nid à courants d’air. Nous allons geler sur place, ça ferait désordre. Il comprend. Si quelqu’un est là, il veut bien venir entre midi et deux. Qu’à cela ne tienne, je pique-niquerai sur mon bureau, mon clavier n’est plus à quelques miettes près…

8h30 : première étape de la journée, la lecture des mails : les JO du week-end d’abord, puis les messages de boulot. La Cour d’appel convoque tous les directeurs de greffe à une réunion budgétaire jeudi après-midi. Encore une demi-journée de travail perdue en perspective…

9h : le courrier est là. Je l’ouvre et constitue des piles pour chaque agent. Laborieux, certes, mais cela permet d’avoir un œil sur l’activité du tribunal et de garder à l’esprit que quand mes fonctionnaires me disent qu’elles sont débordées, c’est un très doux euphémisme. La pile des tutelles est de loin la plus dense. La mienne est bonne deuxième : demandes d’attestations de non-PACS de la part des notaires, de certificats de nationalité…

Deux lettres de rappel viennent rejoindre leurs camarades dans une volumineuse pochette : annualité budgétaire oblige, tous les paiements ont été arrêtés mi-décembre. Nous sommes mi-février et les crédits de l’année n’ont toujours pas été débloqués. Les factures s’accumulent donc. En outre, je ne peux passer aucune commande : le greffe vis sur les réserves de fournitures réalisées en fin d’année, mais plus pour longtemps : le chômage technique nous guette et je soupçonne mes greffières d’apporter leur propre papier toilette pour parer toute pénurie.

Peut-être la réunion budgétaire augure-t-elle de bonnes nouvelles ? Dans le doute, je prépare toutes mes factures : elles doivent pouvoir partir dès que le feu vert aura été donné. Idem pour les commandes les plus urgentes.

J’entame donc mon tour des bureaux : qui a besoin de quoi ? Pochettes roses pour les tutelles, jaunes pour le civil, surligneurs pour le magistrat ( « de marque, si possible, les premiers prix ne survivent pas trois jours » ), enveloppes : grandes, petites, avec ou sans fenêtre…

La fonctionnaire de l’accueil m’interpelle entre deux bureaux : une procuration de vote à signer. Les municipales approchent…

12h : sandwich dans une main, catalogue de fournitures dans l’autre, je peaufine mes commandes en attendant le chauffagiste.

14h : les couloirs du tribunal commencent à retrouver une température décente. On m’appelle à l’accueil : une « natio[3] ». Petite juridiction oblige, de l’accueil à la délivrance, le service nationalité, c’est moi.

Un couple souhaite constituer un dossier de demande de nationalité française par mariage. Elle, 23 ans, est russe. Lui, 71 ans, est français. Ils ont célébré leurs deux ans de mariage la semaine dernière et lorsqu’il parle d’elle, il dit « cette dame ». C’est dire s’ils sont intimes.

Je leur explique que la loi a changé et qu’il faut désormais quatre années de mariage et que même alors, rien n’est acquis : il y a un dossier assez lourd à constituer, des enquêtes pour s’assurer de la communauté de vie et de la « réalité des liens affectifs » : une procédure d’au minimum un an. Il lui jette un regard accusateur : « on m’avait dit que c’était pour deux ans ».

Je retourne à mon budget : il faut impérativement que je peaufine mes demandes pour pouvoir défendre mon bout de gras, ou plutôt mon quignon, à la réunion de jeudi…. Entre le téléphone et les procurations, difficile de rester concentrée. A 18h, je me résous à transférer mes tableaux budgétaires sur ma clé USB : je ferai ça à la maison…

Mardi :

E-mails, courrier… le rituel recommence. La pile des comptes annuels de gestion de tutelle commence sérieusement à monter ; ce sont mille dossiers, au total, qu’il va me falloir étudier comme chaque année : vérifier les dépenses, les comptes bancaires, s’assurer que le tuteur ne détourne pas l’argent de son protégé, qu’il demande bien l’autorisation du juge pour chaque dépense importante… Un travail de titan, souvent mené à bien à la faveur de l’accalmie estivale.

Téléphone… « Madame Lampoix, pour une nationalité », m’annonce-ton.

« Bonjour Madame, voilà, j’ai voulu refaire ma carte d’identité pour les élections, et la mairie me demande …. Aahh, attendez, je l’ai noté là….

J’anticipe, la suite, je la connais par cœur :

- un certificat de nationalité française ?

- oui, c’est ça. Alors, c’est quoi ? Je suis française, moi, j’ai 52 ans et on ne m’a jamais rien demandé avant ! C’est nouveau ?

Le juge entrouvre la porte. Je lui fais signe d’entrer…

- non, madame, le certificat de nationalité n’a rien de nouveau, ce sont les instructions données aux préfectures qui ont changé. Cette demande est devenue systématique si vous ou vos parents êtes nés à l’étranger.

Commencent le jeu de question réponse classique :

- Où êtes vous née ?

- A Tananarive (argh, Madagascar, je sais pas pourquoi, je sens que je vais ramer ! )

- Et vos parents ?

- Ma mère à Hanoï et mon père à N’Djamena … ( qu’est-ce que je disais ! ).

Impossible d’en savoir plus par téléphone. Je lui énonce une première liste de pièces dont je vais avoir besoin, lui précise qu’il en faudra peut-être d’autres après étude de son dossier. Je sens qu’elle panique, qu’elle ne comprend pas. Elle me répète qu’elle a toujours eu des papiers français, ses parents aussi : son père était militaire dans l’armée française, son grand-père également.

Je la rassure. Si les pièces dont elle dispose sont insuffisantes pour déterminer comment elle est française, on fera jouer la possession d’état sur deux générations. Elle aura de toute façon son certificat la semaine prochaine. Rendez-vous est pris après demain, pour qu’elle me remette son dossier, je veux pouvoir trier les pièces avec elle pour pouvoir lui demander sur le champ des précisions, si besoin.

Je raccroche. Le magistrat me regarde, embarrassé : «M. Dubois m’a appelé : je le connais un peu, il a fait des travaux chez moi. Il s’inquiète de n’avoir toujours pas été payé pour le changement de vitre début janvier… » . Effectivement, l’artisan avait accepté d’intervenir en urgence après que quelques fêtards du nouvel an aient pris la juridiction pour cible et brisé la plus haute vitre de la porte du palais : échafaudage, lourde grille en fonte à déposer puis reposer, la note est salée et je n’ai toujours pas l’ombre d’un euro sur mon budget. Je promets de l’appeler et m’engage à faire passer sa facture en premier lorsque les crédits seront débloqués. Ce genre de retard met souvent en péril les petits artisans qui ont peu de trésorerie, et pourtant, les instructions sont de faire passer en priorité les sociétés d’électricité ou de gaz, qui appliquent automatiquement les intérêts moratoires en cas de retard…

14h : Téléphone : « Bonjour, office HLM de Troupaumé, je souhaiterais parler au greffier en chef s’il vous plait. ». Là, pour tout vous dire, j’ai une furieuse envie de me planquer sous le bureau et de dire que, non, désolé, de greffier en chef, ici, il n’y en a plus, vous savez, avec la réforme de la carte judidciaire et tout ça… Car je sais d’avance le cauchemar qui me guette. La bête noire du greffier en chef de tribunal d’instance : l’apposition de scellés.

Quand j’entends ce dernier mot, une sorte de mécanisme d’autodéfense se met en route et je repasse mentalement tous les arguments dissuasifs dont je dispose (et je vous assure que je fais de mon mieux pour en enrichir la liste à chaque appel !).

De quoi s’agit-il concrètement ? Sur le papier, c’est simple : quelqu’un est mort et, au choix, n’a pas d’héritier connu ou a au contraire une descendance qui rêve de tout rafler avant son frère / sa mère / sa cousine (rayez la mention inutile). On me demande donc de venir inventorier les biens du défunt et d’apposer des scellés afin d’éviter que des biens ne « disparaissent ».

Pourquoi est-ce un cauchemar ? Parce que, déjà, ça n’a rien d’agréable d’aller fouiller les tiroirs d’un mort qu’on ne connaît ni d’Eve, ni d’Adam. Ensuite et surtout, parce que dans l’immense majorité des cas, il s’agit de personnes démunies, qui vivaient seules, dans des conditions d’hygiènes douteuses. Je vous passe les détails et les anecdotes.

Et l’office HLM, dans tout ça, me direz-vous ? Il veut récupérer son appartement, pardi ! Il souhaite donc être autorisé à « cantonner » les biens dans un garde-meuble pour libérer le logement.

Après un échec flagrant de mes échappatoires, je me résous à apposer. Je m’enquiers cependant de l’état du logement. Heureusement ! L’office m’informe que le défunt a été découvert dans sa baignoire 10 jours après son décès et que les insectes grouillent. Je vous laisse imaginer. Je vais faire venir un service de désinsectisation et de nettoyage. L’apposition attendra la semaine prochaine….

Mercredi :

C’est le jour des enfants. Je sais d’avance que je vais être interrompue fréquemment par des demandes de nationalité. Quant aux procurations, je continue de plus belle à distribuer des autographes. Il faudrait quand même qu’on m’explique pourquoi cette attribution n’est pas délégable aux greffiers…

10h : Un jeune garçon m’attend pour constituer un dossier d’acquisition de nationalité par « naissance et résidence ». Rien de complexe : il suffit de prouver que ses parents sont en situation régulière, qu’il est né en France et qu’il y a résidé les cinq dernières années. Des certificats de scolarité font l’affaire. Il me tend son acte de naissance. Surprise ! Les parents, de nationalité algérienne, sont tous deux nés en France. L’enfant a donc toujours été français. Cela n’a semble-t-il pas effleuré les services de la préfecture, qui lui ont délivré un « titre républicain d’identité », équivalent, pour les mineurs, du titre de séjour. Le dossier de déclaration de nationalité devient donc une demande de certificat de nationalité.

10h15 : Encore un jeune homme, 17 ans. Il vient « pour le service militaire ». La première fois, j’avoue que j’ai eu du mal à saisir. En fait, il vient demander un certificat de nationalité française, qui lui permettra de ne pas aller faire son service militaire en Turquie. Il a acquis la nationalité par naissance et résidence à l’âge de treize ans.

Liste des pièces en main, je lui explique ce dont j’ai besoin.

- Votre déclaration de nationalité…

- J’ai pas ça, madame !

- Mais si, vous l’avez. C’est inscrit sur votre acte de naissance. Vous êtes venu ici quand vous aviez 13 ans pour devenir français.

- Moi chuis français, m’dame, chuis né en France !

Et de lui expliquer que, non, il n’est pas français parce qu’il est né en France, mais bien parce qu’il a souscrit une déclaration de nationalité…

- Vous l’avez certainement. C’est un papier très important, qui prouve que vous êtes français, vous ne pouvez pas l’avoir perdu. Demandez à votre maman, elle l’a forcément gardé.

Il traduit mes propos à sa mère, qui fouille dans son sac et sort une pochette. Bien sûr qu’elle l’a gardée. Elle l’a même faite plastifier pour qu’elle ne soit pas abîmée. Bien plus que son fils elle connaît la valeur de ce sésame.

19h30 : j’ai enfin bouclé mes tableaux budgétaires pour la réunion de demain. Je les donne pour info au juge, qui est encore là,. Au milieu d’une chaîne de montagne constituée de dossiers de tutelle, de saisies des rémunérations et de contraventions de 5è classe, il lui reste peut-être un demi mètre carré pour écrire : le bureau ancien dont il dispose est certes très joli, mais loin d’être fonctionnel…

Jeudi :

Je tente de traiter un maximum de choses avant de partir à la Cour (2h30 de route aller-retour, plus la durée de la réunion qui ne va pas manquer de s’éterniser...).

Les demandes de congés pour les vacances de Pâques : j’ai juste à officialiser, l’organisation s’est faite comme toujours autour du café du matin. Tout le monde s’est mis d’accord sans problème. J’ai la chance d’être à la tête d’un greffe qui roule tout seul, ou presque.

Une greffière m’appelle pour un problème informatique. Je revêts une de mes multiples casquettes : celle de « CLI », correspondant local informatique. Quelques bidouillages plus tard, l’affaire est réglée, mais on me demande au téléphone. Les services des statistiques du ministère ont constaté des divergences entre les chiffres que j’ai envoyés, comme chaque mois, et ceux relevés automatiquement sur nos logiciels. Je suis aimablement priée de procéder à un « comptage manuel ». Ca attendra.

A peine raccroché, cela sonne à nouveau. Encore une apposition de scellés. Décidemment, ce n’est pas ma semaine. Cette fois c’est le notaire qui me demande de venir, le lendemain matin à 10h. Je lui explique que généralement, c’est moi qui fixe les rendez-vous aux justiciables et non l’inverse. « Je suis désolé, c’est un peu particulier…

- mais encore ?

- tous les enfants sont dans la maison de leur père, décédé hier. Chacun surveille l’autre. Le seul point sur lequel ils sont d’accord, c’est qu’ils veulent que l’apposition soit faite immédiatement après la levée du corps.

- charmant … va pour demain 10h».

Reste à savoir qui va partager cette réjouissance avec moi : il faut y aller à deux. J’essaie de changer de fonctionnaire à chaque fois. Une fois la volontaire désignée, je m’échappe pour ne pas être en retard à la Cour.

14h : La réunion devrait commencer, mais pour l’instant, nous sommes trois.

14h30 : La ponctualité ne paie pas. A tout seigneur tout honneur, on commence par le budget de la Cour d’Appel, puis celui des TGI du ressort les TI ne passeront qu’ensuite. Une bonne nouvelle tout de même, 30% du budget vont être alloués. Nous allons enfin pouvoir payer les factures et passer les commandes les plus urgentes.

On examine les demandes « de programme » (c'est-à-dire d’investissement, par opposition aux demandes « de base »). Deux heures à entendre parler de télésurveillance, portiques de sécurité et caméras. Deux portiques pour la Cour : c’est le budget annuel de mon TI.

16h45, c’est enfin mon tour. Je n’ai qu’une demande. La même depuis trois ans : j’aimerais une rampe d’accès handicapés sur le parvis. J’ai fourni deux devis. « Il en faut trois ». J’ai ceux des années précédentes. Je tente de leur faire comprendre qu’au bout de 3 ans, les artisans en ont marre de se déplacer et de perdre du temps à refaire toujours les mêmes devis alors que les travaux ne sont jamais réalisés. Alea jacta est. Réponse dans quelques semaines. Je n’ai guère d’espoir. Je reprends la route pour rejoindre mes pénates, en pensant à tout ce que j’aurais pu faire si j’étais restée au bureau.

Vendredi :

9h : Pliées de rire, la greffière et moi comparons nos tenues de combat pour l’apposition de scellés : survêtement de la belle époque où « Macumba » dominaient le top 50 et tennis qui se souviennent de la victoire de Noah à Rolland-Garros pour elle, combinaison façon Valérie Damidot, mais en pire, pour moi : on sent l’expérience. Un coup d’œil à la mallette pour être sûres de ne rien oublier : les gants, si c’est sale, le Vicks, si ça sent mauvais, la cire, la Marianne, le ruban rouge, les étiquettes, le dossier, les ciseaux, le marteau et les clous, si la cire ne tient pas…

10h : Nous suivons péniblement les instructions du notaire pour trouver la maison et le corbillard que nous croisons est un bon présage : nous sommes moins perdues qu’on ne le pensait.

11h30 : Après plus d’une heure d’inventaire soigneux, en présence de tous les membres de la fratrie qui se regardent en chiens de faïence, j’appose l’ultime cachet de cire à l’endroit le plus discret de la porte : les étiquettes « respect à la loi », se traduisent en langage cambrioleur par « entrez donc, servez-vous, il n’y a personne ». Je ramène mon butin pour le coffre-fort du greffe : les clefs de la maison, les papiers d’identité, chéquiers, quelques euros en liquide.

13h : Une de mes fonctionnaires me demande l’autorisation de partir une heure plus tôt pour aller chez le médecin. Elle m’assure qu’elle restera plus tard le soir. Précision inutile. Elle reste toujours plus tard le soir. Comme tous ici, elle ne compte pas ses heures. Nous discutons un long moment. Elle m’explique ses problèmes de santé, me parle à mots couverts de ses appréhensions à l’idée de prendre prochainement sa retraite après presque 20 années dans le même greffe.

14h : Je fais des comptes d’apothicaire, tentant d’utiliser le plus stratégiquement possible les quelques euros débloqués par la Cour : paiement du vitrier en premier, comme promis. Puis des factures dont l’échéance est proche ou dépassée. Il me reste encore quelques sous, mais pas suffisamment pour ma commande de fournitures. Je la reprends : au sein de cette liste où tout est urgent, je vais encore devoir « prioriser ».

17h : Je m’échappe tôt aujourd’hui, une pile de comptes de tutelles sous le bras. Je me ravise et les repose sur mon bureau : j’ai la ferme intention de profiter de mon week-end. Les élections se profilent et avec elles les permanences du dimanche dans un TI désert…

Notes

[1] Vous savez, ces juridictions inutiles dont 200 viennent d'être supprimés pour rapprocher la justice du citoyen...

[2] Le sceau est fixé par un arrêté du 8 septembre 1848 :une femme assise, effigie de la Liberté, tient de la main droite un faisceau de licteur et de la main gauche un gouvernail sur lequel figure un coq gaulois, la patte sur un globe. Une urne portant les initiales SU rappelle la grande innovation que fut l'adoption du suffrage universel direct en 1848. Aux pieds de la Liberté, se trouvent des attributs des beaux arts et de l'agriculture. Le sceau porte comme inscription "République française" et sur le pourtour la mention de l'autorité qui la détient ("Tribunal de grande instance de Framboisy", "préfecture du Blog Maritime", etc...)

[3] Un dossier relatif à la nationalité française. NdEolas.

mercredi 20 février 2008

Far Far Away, conte pour enfants pas sages

Par Dadouche



Il était une fois, dans la Province des Petis Pois de la Fédération de Far Far Away, un prince bien malheureux. Il était le benjamin des rejetons du Roi Procureur, et s'était vu confier LE fief dont personne ne voulait. Substitut Charmant, c'est le nom de notre valeureux héros, était Baron des Mineurs.
Pas un jour ne passait sans qu'il enviât son frère ainé, le Vice-Roi Comptable, qui avait reçu en apanage le Duché de la Banque et du Commerce. Même le cadet, le Prince Maton, Comte des Cachots, lui paraissait certains jours avoir un sort plus enviable.
Car la tâche que le Roi avait confiée à Substitut Charmant avec le Domaine des Mineurs, c'était de s'occuper desdits mineurs. Pas pour leur conter des histoires le soir à la veillée, ni pour les emmener jouer à la soule. Non, il devait les empêcher de faire des bêtises et de troubler la tranquillité des autres domaines.

Il était aidé dans sa tâche par la Fée Dadouche, qui vivait à l'autre bout du Royaume.
Substitut Charmant aurait préféré avoir affaire au Maréchal Gascogne, avec qui il aurait au moins pu jouer à la soule, mais tous ses frères se les disputaient déjà, lui et son pôle de Mousquetaires.
Non seulement la Fée Dadouche n'était pas toujours de bonne humeur à cause de ses insomnies, mais en plus, pour parvenir chez elle avec les mineurs turbulents, il fallait traverser le Labyrinthe de 45.

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lundi 18 février 2008

Tranche de vie

Inspirée par Gascogne, Lulu, juge d'instruction, a laissé un long commentaire pour narrer une semaine de la vie d'un juge d'instruction, commentaire que j'élève avec l'autorisation de son auteur à la dignité de billet tant il serait dommage qu'il passât inaperçu.

Eolas


Dimanche: la juge d’instruction que je suis élabore mentalement la liste de tout ce qu’elle va devoir faire pendant la semaine. Le programme serait faisable, si seulement les journées pouvaient durer 30 heures et non pas 24. Surtout que je prends la permanence demain à 9 heures pétantes et que les imprévus ne sont pas exclus, surtout que la substitut de permanence au parquet cette semaine est réputée pour être le chat noir de la juridiction. Dès qu’elle prend la perm, les cadavres s’accumulent et les plaintes pour viols aussi.

Histoire de m’avancer, j’ai pris deux ou trois dossiers à étudier ce week-end, afin de préparer les quelques interrogatoires de la semaine: une mise en examen dans une affaire de bagarre. Les déclarations des témoins et des mis en causes sont contradictoires et confuses, l’alcool qui imbibait tous les protagonistes de ces événements n’a pas contribué à clarifier les différentes versions des faits. Puis une confrontation dans une affaire de moeurs, des faits qui remontent à presque quinze ans, une nièce qui accuse son oncle. Un grand classique. Les déclarations de la victime me semblent crédibles, mais une fois de plus c’est parole contre parole et je sens que l’on s’achemine irrémédiablement vers le non-lieu. Puis une audition de mineur victime (victime de quoi, devinez...) mercredi, le jour des enfants dans mon cabinet. C’est déjà suffisamment pénible pour les loupiots de devoir expliquer une fois de plus ce qu’ils ont vécu, et à un juge en plus, alors j’évite de les convoquer un jour d’école pour qu’ils n’aient pas des explications embarrassantes à fournir à leurs petits camarades. Puis une affaire d’accident du travail, un dossier intéressant. Enfin un interrogatoire de curriculum vitae, truc pas très passionnant s’il en est, mais qui permet de mieux connaître la personnalité du mis en examen dans des affaires criminelles.

Bref, ces quelques dossiers qui s’entassent m’occupent une partie non négligeable du dimanche, pourtant radieux. Mon cher et tendre n'est pas ravi mais il est habitué.

Lundi: Arrivée à huit heures, mon premier réflexe est de brancher la cafetière, sans laquelle je ne pourrais assurément pas tenir toute la semaine. Je jette un coup d’oeil sur une grosse pile dans un coin de mon bureau, ce sont les dossiers qui attendent que je les “sorte” (ordonnance de non-lieu ou de renvoi). Je n’ose pas regarder une autre grosse pile, ce sont les commissions rogatoires qui sont rentrées et que je n’ai pas encore eu le temps de lire. Et que je lirai quand j’aurai le temps, c’est-à-dire pas dans les trois prochains mois. Dans un moment d’incommensurable optimisme, je me dis que je pourrai peut-être faire baisser ces deux piles cette semaine.

Bon. Je prépare une commission d’expertise, un examen psychologique sur une victime dans une affaire de moeurs. Puis je vais moi-même faire les copies des PV que je destine à l’expert. La pénurie de fonctionnaires de greffe est telle qu’une partie non négligeable du temps de travail des magistrats est occupée par des tâches telles que des photocopies. Entre-temps, ma greffière est arrivée. Elle est déprimée, il y a de quoi, les piles sur son bureau sont plus élevées que sur le mien. Son téléphone commence à sonner, ça ne s’arrêtera pas de la journée. Des justiciables qui veulent savoir où en est leur dossier. Des familles de détenus qui veulent savoir comment obtenir un permis de visite. Des avocats qui appellent parce qu’en dépit de multiples demandes, ils n’ont toujours pas la copie du dossier MACHIN. Et des gens qui n’ont rien à voir avec nous mais qui veulent absolument savoir où en est le dossier BIDULE sous prétexte qu’ils sont l’employeur de Monsieur BIDULE. Et qui s’indignent que ma greffière leur oppose le secret de l’instruction.

Mon “client” de 10 heures est là, pour l’affaire de bagarre. Son avocat, commis d’office, aussi. Il vient tout juste d’être désigné et prend une demi-heure pour lire le dossier et s’entretenir avec le jeune homme qui accepte de répondre à mes questions. Sa version des faits diffère notablement de celle de sa garde à vue, mais bon de toute façon, je ne suis plus à quinze versions des faits près. Il a un lourd casier, notamment pour des faits de violences, et surtout deux témoins et un autre mis en cause, plus sobres que les autres, affirment qu’il a été un participant actif de la bagarre. Je le mets en examen et lui annonce d’ors et déjà que nous aurons le plaisir de nous revoir dans les semaines qui viennent, pour une confrontation. Lors de laquelle je tenterai de débrouiller l’écheveau.

Le reste de la matinée est occupé par la lecture du courrier des détenus, par de la paperasserie diverse et par une visite impromptue de la substitut de permanence qui m’annonce une présentation à 14 heures. Super, je ne pense pas que ce sera cette semaine que les piles sur mon bureau baisseront.

J’en suis déjà à trois cafés.

Pause déjeuner avec les collègues. Puis retour au cabinet, pour faire la connaissance de Monsieur TARTEMPION, à l’encontre duquel le parquet a décidé d’ouvrir une information judiciaire. Ça prend un peu de temps, de faire sa connaissance, car on attend l’avocat commis d’office qui est parti voir un gardé à vue puis plaider un dossier aux prud’hommes. Je ne lui en veux pas à l’avocat, il est aussi débordé que moi et comme cela, je peux lire la procédure. Enfin quand tout le monde est prêt (pas avant 16 heures), je commence la première comparution de Monsieur TARTEMPION auquel on reproche des attouchements sur la fille de sa compagne. Un grand classique également. Monsieur TARTEMPION reconnaît les faits mais m’explique le plus sérieusement du monde que la gamine était consentante voire à l’initiative de tout cela (8 ans la gamine); il ne fait visiblement pas attention au fait que son avocate lui écrase discrètement le pied car elle sait bien elle, que les juges n’aiment pas, mais alors pas du tout, ce genre de discours.

Mise en examen, puis placement sous contrôle judiciaire. Pas de saisine du JLD. Ce n’est pas l’envie qui m’en manque, mais Monsieur TARTEMPION n’a aucun antécédent judiciaire, en matières d’agression sexuelles ou autres. Il ira dormir ailleurs que chez sa compagne et de toute façon je ne peux plus invoquer le trouble à l’ordre public pour demander une détention dans une affaire correctionnelle. Et donc, dans une affaire d’agression sexuelle.

Le temps de sortir toute la paperasse, il est déjà 18 heures. Ma greffière s’envole, l’heure sup qu’elle vient de faire ne fait que s’ajouter à de nombreuses autres, qu’elle récupérera Dieu sait quand. Pour ma part, je me plonge dans le dossier du lendemain que je n’ai pas eu le temps de peaufiner. Comme souvent, ce sont les parquetiers et les juges d’instruction qui fermeront le palais.

Mardi: Rebelote. Mais après une nuit difficile car je me suis retournée pendant des heures en me demandant si j’ai bien fait de mettre Monsieur TARTEMPION dehors, s’il ne va pas s’en prendre de nouveau à des petiots, en dépit de l’interdiction que je lui ai signifié de fréquenter les mineurs de moins de quinze ans. Vers 4 heures du matin, j’ai sombré dans un sommeil agité, j’ai rêvé que je comparaissais devant une commission parlementaire et que Monsieur HOUILLON habillé en Grand Inquisiteur me reprochait de ne pas avoir su faire fonctionner ma boule de cristal.

Bon, tout ça pour dire que je n’arrive pas au palais dans une forme éclatante. Et que ce n’est pas encore aujourd’hui que j’entamerai mon sevrage à la caféine. Enfin tout cela me donne un air rogue qui doit faire peur à tout le monde, avocats compris. Tant mieux, on ne me dérangera pas pour des broutilles.

Ma confrontation de 10 heures entre la nièce et son tonton se passe dans une ambiance tendue, comme souvent en pareil cas. Et chacun campe sur ses positions, comme souvent en pareil cas. Mon souci majeur dans de telles circonstances est d’éviter que les gens en viennent aux mains, ce qui serait pourtant très facile car mon bureau n'est pas très grand et que les parties et les avocats sont serrés comme des sardines, en face de moi. Deux mètres à peine (mais deux avocats) séparent le mis en examen de la partie civile. Mais la confrontation s’achève sans incident.

Je passe le reste de la journée à peaufiner une ordonnance de mise en accusation. Il ne faut pas que le dossier traîne, le mis en examen est en détention provisoire depuis près d’un an. Et il attendra probablement plus de six mois sa comparution devant la Cour d’assises. Vers 16 heures, je reçois la visite de la substitut de perm avec deux OPJ, des gendarmes de la B.R. locale (brigade des recherches). Je les salue chaleureusement, c’est l’avantage des petites et moyennes juridictions, on finit par bien connaître les gendarmes et policiers avec lesquels on bosse. Le parquet m’ouvre une information judiciaire pour trafic de stups, après lecture rapide des PV et quelques explications complémentaires, je délivre une CR (commission rogatoire) générale et une CR aux fins d’écoute téléphonique aux gendarmes, qui repartent prestement pour mettre en place cette écoute. Il s’agit, une fois de plus, d’un trafic d’héroine, J’ai été surprise, à mon arrivée dans cette juridiction, de l’importance des trafics de drogues dites dures alors que le secteur est plutôt rural.

Enfin, cela fait un dossier de plus. Pas grave, j’en ai déjà plus de 90.

Je reçois justement un coup de fil du commissariat local qui m’annonce qu’il souhaite procéder à des interpellations le lendemain dans le cadre d’une de mes commission rogatoires, pour trafic de stupéfiants. J’ai bien autre chose à faire cette semaine et les policiers aussi mais voilà, le brave toutou stups, qui a un emploi du temps de ministre, n’est disponible que demain mercredi. Va pour demain, donc.

Mercredi: Coup de fil du commissariat aux aurores pour confirmer les placements en garde à vue annoncés.

10 heures. Comme à chaque fois qu’un mineur vient pour audition dans mon cabinet, je deviens Steven Spielberg. C’est-à-dire que je me débats avec la webcam, pour m’assurer que l’audition sera filmée. Je ne vois pas très bien l’intérêt du truc, puisque personne ne visionne ces enregistrements et que l’audition fait l’objet d’un PV de retranscription mais en bon petit soldat, je me plie à la procédure. Pour une fois, je n’ai pas oublié le mot de passe et je n’ai pas fait buggé l’enregistrement, je suis en progrès. Sauf qu’à la fin de l’audition, je n’arrive pas à enregistrer l’audition sur le DVD prévu à cet effet, sous l’oeil goguenard de l’avocat du gamin (mes mésaventures avec cette caméra sont devenues célèbres dans le barreau local). Zut alors. Tant pis, je verrai ça plus tard avec notre correspondant informatique.

A part ça, l’audition ne se passe pas trop mal, le loupiot est stressé au début puis se détend quand il se rend compte que la juge n’est pas un monstre à sang froid (avec ce qu’il entend à la télé sur les juges..).

Le soir, je joue les prolongations et file au commissariat pour prolonger les gardes à vue de ceux qui ont été interpellés le matin-même dans mon affaire de stups. Pas besoin d’être grand clerc pour se rendre compte qu’ils sont tous toxicomanes et que les quelques bénéfices qu’ils ont pu faire dans ce trafic ont été engloutis dans leur consommation de poudre. En tout état de cause, il y a encore des choses à creuser et je leur indique à tous qu’ils vont encore passer 24 heures chez leurs amis policiers.

Jeudi: je passe la matinée avec un cadre dirigeant de l’entreprise dans laquelle est survenu un grave accident du travail. Audition très longue et très technique, comme presque toujours dans ce genre de dossier. Et comme presque toujours, ledit cadre ne comprend pas très bien ce qu’il fait dans mon cabinet. S’il y a eu des erreurs et des dysfonctionnements, me dit-il en substance, ils ne me sont pas imputables. Ils sont du fait de l’entreprise ou d’autres salariés.

Ses réponses à mes questions sont satisfaisantes et son avocat fait quelques observations pertinentes. Et puis aussi, cette affaire se situe dans le cadre de la loi du 10 juillet 2000 et de l’article 121-3 du Code pénal, qui m’indique en substance que je dois rechercher si le salarié a commis une faute caractérisée. Ce qui ne me semble finalement pas le cas en l’espèce. Je décide donc de placer ce cadre sous statut de témoin assisté, plutôt que de le mettre en examen.

Je devine déjà que cette décision ne plaira pas à la victime mais je ne peux pas mettre en examen quelqu’un juste pour lui faire plaisir. C’est en tout cas ce que je lui expliquerai quand je la rencontrerai.

Le reste de la journée se déroule dans la même frénésie que d’habitude. La brigade de gendarmerie de TROUFIGNY LES OIES m’appelle pour m’indiquer que Monsieur NARIENCOMPRIS, mis en examen pour violences conjugales, est retourné vivre chez sa femme. En dépit de son contrôle judiciaire qui le lui interdit. Et que manifestement, les baffes pleuvent à nouveau. Je ne suis pas ravie: j’avais déjà rappelé à l’ordre Monsieur NARIENCOMPRIS il y a quelques mois. Je délivre donc un mandat d’amener pour que les pandores m’amènent Monsieur NARIENCOMPRIS à la première heure demain.

Une fois de plus, je termine la soirée au commissariat pour prolonger les gardes à vue de mes présumés dealers-toxicomanes. J’en ai fait relâcher entre-temps et après lecture des PV, je décide finalement de m’en faire présenter un le lendemain, le plus impliqué.

Vendredi: Je n’ai plus de dosettes pour ma machine à expresso. Je suis donc de TRES, TRES mauvaise humeur.

J’interroge brièvement Monsieur NARIENCOMPRIS qui me dit en gros, qu’il a bien le droit de faire ce qu’il veut, d’aller où il veut si ça le chante, y compris chez sa femme. Je lui indique que dans ces conditions, je peux bien saisir le JLD pour révocation de son CJ si ça me chante aussi. Ce que je fais.

Un peu plus tard, je mets en examen mon “stupeux” que je place sous contrôle judiciaire. L’enquête est quasiment terminée, c’est avant tout un consommateur, une détention provisoire ne se justifie pas à mon avis. Je sens bien que les policiers ne sont pas contents. Mais quand comprendront-ils qu’il y a des critères à respecter pour placer quelqu’un en détention provisoire? Et que la réussite d’une enquête ne dépend pas du nombre de mandats de dépôts prononcés?

Dans la foulée, je procède à l’interrogatoire de CV de Monsieur TRUCMUCHE qui répond à mes questions sur sa vie, son oeuvre. Comme Monsieur TRUCMUCHE a eu une vie sentimentale et professionnelle agitée, je vais devoir envoyer des CR aux quatre coins de la France pour vérifier ses déclarations. Misère...

Et pendant ce temps-là, les piles n’ont pas baissées.. Des commission rogatoires sont rentrées, que je n’ai pas lues, des expertises sont rentrées, que je n’ai pas lues. J’ai 150 personnes à rappeler, ma greffière a fait barrage tant qu’elle a pu.

Pourtant ce vendredi-soir, c’est décidé, je m’autorise un extra, je quitte le palais à 17 heures 30. Non sans m’être assuré auprès du parquetier de permanence qu’à priori, le week-end sera calme. Et que je ne devrai pas m’être en examen un Monsieur TARTEMPION bis à 8 heures dimanche matin. Deux jours de relâche ou presque. Il faut bien en profiter: de toute façon ce sera tout pareil la semaine prochaine....

vendredi 15 février 2008

La cour de cassation et l'enfant né sans vie

Trois arrêts de la cour de cassation (un, deux, trois) rendus le même jour par sa première chambre civile ont fait quelque bruit.

Comme d'habitude, la presse est à la hauteur... de sa réputation et faute d'avoir compris et donc de pouvoir expliquer, ressort son attirail de clichés : la décision "comble un vide juridique" pour Le monde, mais ne critiquons par trop le journaliste, il n'a fait que repomper la dépêche AFP, tout comme 20 minutes, mais pour 1,20 euro de plus.

Ha... Le "vide juridique"... Que feraient les journalistes sans lui ? Du journalisme, probablement... Comme par exemple lire le communiqué de presse de la cour de cassation.

Mise à jour sur ce point : Au temps pour moi, Le Monde mérite bien ses 1,20 euro de plus. Je citais la dépêche reprise sur le site du Monde.fr (Ha, ces fameuses versions en ligne, qui ont le nom mais pas la qualité de la version papier...), le journal ayant publié un article plus complet et surtout plus exact : La Cour de cassation élargit la notion d'enfant sans vie, par Anne Chemin, qui parle quand même de "No Man's Land juridique", personne n'est parfait...

Bien évidemment, des personnes se sont emparées de cet arrêt pour ressortir leur bannières idéologiques : dans l'Humanité, Maya Surduts, présentée comme une "figure du mouvement féministe", sonne le tocsin :

Notre préoccupation est très grande. Il est clair que derrière cette décision il y a la volonté de remettre en question le statut de l’embryon et de grignoter le droit des femmes à l’avortement.

Tout compte fait, je préférais encore le vide juridique.

Il faut dire que les journalistes et les figures ne sont pas aidés, quand le Médiateur de la République déclare que

cette décision en cassation montre que le Parlement doit "définir très clairement" la notion de viabilité, pour la fixer à 22 semaines de grossesse. "Aujourd'hui, la notion de viabilité dépend de l'appréciation du médecin. Il faut que le politique définisse très clairement, à partir des critères de l'Organisation mondiale de la Santé, ce qu'est la notion de viabilité", a-t-il estimé.

"A partir de là, on pourrait reconnaître des droits identiques à tous les parents dont l'enfant est décédé avant la déclaration de naissance, tout en étant viable", a poursuivi le Médiateur. "La France est l'un des rares pays européens à avoir une notion de viabilité qui n'est pas très précise", a-t-il souligné, tout en précisant qu'il existait "un travail en cours" sur ce dossier au sein du gouvernement.

Rappelons que le rôle du Médiateur de la République n'est pas d'informer le public sur les travaux en cours du gouvernement (il y a un porte-parole pour ça) ni de donner son avis sur ce que doit faire le parlement (il y a 60 millions de citoyens pour ça) mais intervenir à titre d'amiable compositeur dans les litiges entre l'administration et ses usagers. Il est donc pardonnable de dire des sottises pareilles, car hors de son champ de compétence.

La distribution de baffes étant achevée, que disent VRAIMENT ces arrêts ? Vous allez voir que ce n'est pas bien compliqué.

Dans chacune des trois affaires, une mère avait fait une fausse couche en tout début de grossesse, respectivement 21 semaines d’aménorrhée (absence de règles) pour un foetus de 400 grammes, 21 semaines pour un foetus de 286 grammes, et 18 semaines pour 155 grammes. Elles avaient toutes trois demandé que soit rédigé un acte d'enfant sans vie, ce qui leur avait été refusé par l'officier d'état civil, en application du paragraphe 1.2 de la circulaire DHOS/E 4/DGS/DACS/DGCL n° 2001-576 du 30 novembre 2001 relative à l’enregistrement à l’état civil et à la prise en charge des corps des enfants décédés avant la déclaration de naissance, qui pose comme critère d'acceptation de l'acte d'enfant sans vie les critères de définition de l'enfant par l'OMS : 22 semaines d'aménorrhée OU un poids de 500 grammes. Elles avaient saisi le tribunal de grande instance pour qu'un jugement ordonne un tel acte, et avaient toutes trois été déboutées. La cour d'appel saisie (Nîmes dans les trois cas) avait confirmé confirmé à son tour ces jugements, en affirmant que :

il s’évince de l’article 79-1 du code civil que pour qu’un acte d’enfant sans vie puisse être dressé, il faut reconnaître à l’être dont on doit ainsi déplorer la perte, un stade de développement suffisant pour pouvoir être reconnu comme un enfant, ce qui ne peut se décréter mais doit se constater à l’aune de l’espoir raisonnable de vie autonome présenté par le foetus avant son extinction, qu’en l’état actuel des données de la science, il y a lieu de retenir, comme l’a fait l’officier d’état civil, le seuil de viabilité défini par l’Organisation mondiale de la santé qui est de vingt-deux semaines d’aménorrhée ou d’un poids du foetus de 500 grammes et qu’en l’espèce ces seuils n’étaient pas atteints.

La cour ne peut invoquer la circulaire précitée car ce n'est pas une source de droit, mais une simple instruction administrative. Or elle va quand même en appliquer les dispositions, ce qui rendra ses arrêts non viables.

Posons-nous donc la question de savoir qu'est ce qu'un acte d'enfant sans vie ?

C'est une création de la loi du 8 janvier 1993, qui est une des plus grandes réformes récentes du droit de la famille. Une loi votée sous le gouvernement socialiste de Pierre Bérégovoy, bien connu pour être un adversaire farouche de l'avortement et vouloir faire avancer subrepticement les idées les plus conservatrices.

Il est défini à l'article 79-1 du Code civil :

Lorsqu'un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l'état civil, l'officier de l'état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d'un certificat médical indiquant que l'enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès.

A défaut du certificat médical prévu à l'alinéa précédent, l'officier de l'état civil établit un acte d'enfant sans vie. Cet acte est inscrit à sa date sur les registres de décès et il énonce les jour, heure et lieu de l'accouchement, les prénoms et noms, dates et lieux de naissance, professions et domiciles des père et mère et, s'il y a lieu, ceux du déclarant. L'acte dressé ne préjuge pas de savoir si l'enfant a vécu ou non ; tout intéressé pourra saisir le tribunal de grande instance à l'effet de statuer sur la question.

En effet, depuis l'aube des temps[1], la personnalité juridique, ce qui fait qu'on est un sujet de droit, commence à la naissance et finit à la mort, à la condition d'être né vivant et viable. Vivant s'entend par la présence d'air dans les poumons : l'enfant a respiré, il a donc vécu. Viable implique que le nouveau né n'a aucune imperfection physiologique conduisant inéluctablement à sa mort rapide (absence d'un organe vital...). Ajoutons qu'un adage veut que la personnalité puisse remonter à la conception quand l'intérêt de l'enfant l'exige, ce qui lui permet d'hériter de son père ou de recevoir une donation avant sa naissance. A condition d'être né vivant et viable, ce qu'exclut une IVG.

Afin d'aider les parents à surmonter cette terrible épreuve, la loi a créé pour les enfants ne remplissant pas ces conditions d'accès à la personnalité juridique l'acte d'enfant sans vie. Sans avoir les conséquences juridiques d'un acte de naissance (il figure sur le registre des actes de décès), il permet aux parents de lui donner un prénom, et de réclamer le corps pour procéder à des funérailles (auparavant, il était traité comme un déchet organique et incinéré avec les amygdales et autres appendices iléo-cæcaux, quand il ne servait pas pour former des étudiants).

Notons que la loi prévoit que l'acte d'enfant sans vie doit être dressé à défaut de certificat médical attestant la vie et la viabilité, sans préjuger de ces faits, qui relèvent de la compétence du juge.

Comme vous le voyez, la loi ne pose aucune condition de développement du foetus.

La cour d'appel de Nîmes a interprété ce texte en ajoutant une condition qu'il ne contient pas : il faut selon elle que le foetus remplisse au moins les conditions de la définition de l'enfant à naître pour l'OMS, soit 22 semaines d’aménorrhée OU un poids d'au moins 500 grammes.

La cour de cassation la renvoie à ses chères études en constatant que

l’article 79-1, alinéa 2, du code civil ne subordonne l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ni au poids du foetus, ni à la durée de la grossesse.

Dès lors, la cour d’appel, qui a ajouté au texte des conditions qu’il ne prévoit pas, l’a violé.

On peut chercher longtemps le vide juridique. Soit l'enfant est né vivant et viable avant de mourir, c'est attesté par un médecin : on fait un acte de naissance. Soit tel n'est pas le cas et on fait un acte d'enfant sans vie.

Se pose alors la question de savoir jusqu'où on peut remonter. Les fausses couches en tout début de grossesse sont fréquentes, et peuvent même avoir lieu sans que la mère ne s'en rende compte, mettant le saignement sur le compte de règles tardives, quand le foetus n'est encore qu'un embryon. La loi n'a fixé aucune limite, se contentant de parler "d'enfant", terme qui n'est pas une notion juridique (on connaît le mineur si son âge compte, le descendant si sa filiation compte, mais pas l'enfant : c'est un terme trop vague pour être juridique). Erreur du législateur ? Je ne pense pas. Lâcheté, plutôt. Prendre un mot qui ne veut rien dire est, pour un homme politique, une façon commode de ne pas faire de choix. Chacun entendra "enfant" comme il le souhaite et tout le monde sera content lors des élections qui ont eu lieu deux mois après le vote de cette loi.

Cette lâcheté se paye quinze ans plus tard au prix de 12 années de procédure pour ces mères éplorées, mais peu importe. De l'eau a coulé sous le pont de la Concorde.

D'où l'erreur de la cour d'appel de Nîmes : faute de définition juridique de l'enfant, elle est allé chercher la définition médicale de l'OMS, oubliant au passage que le droit et la médecine ne sont pas la même discipline (bienheureux médecins : on ne vous invente pas des nouveaux organes tous les jours...).

De fait, aux termes de l'article 79-1, l'acte d'enfant sans vie implique uniquement "une naissance". Donc un accouchement, c'est à dire que l'expulsion du foetus nécessite l'intervention d'un médecin. Cela exclut l'embryon qui se décroche de sa matrice au bout de quelques jours.

Vous voyez les effets pervers des lois compassionnelles visant non pas à fixer des règles mais uniquement à prendre en compte la souffrance : le législateur raisonne en pleureuse et non en législateur, et les yeux embués de larmes, ne parvient pas à rédiger un texte réglant toutes les questions qui ne manqueront pas de se poser, laissant cet office au juge, ce monstre à sang froid dont les yeux perpétuellement secs seront plus à même de régler ces problèmes d'intendance.

Donc, en l'état actuel de la loi, dès lors que la perte d'un enfant à naître sera constatée par un médecin, rien ne permet de s'opposer à un acte d'enfant sans vie.

Y a-t-il un danger pour le droit d'avorter du fait de cette décision ?

Non. Pas plus aujourd'hui qu'en février 1993. La cour de cassation n'a pas qualifié un foetus d'enfant, c'est le législateur qui l'a fait en 1993. L'article 79-1 du Code civil ne s'applique qu'après une naissance, pas pendant la grossesse, et une IVG ne donne pas lieu à une naissance. Je doute en outre qu'une femme qui avorte éprouve le besoin de faire dresser un acte d'enfant sans vie (lui indiquer le sexe du foetus serait d'ailleurs d'une cruauté morale sans nom). Qualifier un foetus très peu développé d'enfant n'a aucune conséquence sur le droit d'interrompre la grossesse, qui repose sur de stricts critères d’aménorrhée.

La loi sur l'IVG et l'article 79-1 du code civil s'appliquent à deux hypothèses différentes : la perte non désirée de l'enfant que l'on porte n'est pas un avortement.

Les problèmes moraux épineux posés par l'avortement perdurent. Ils sont inchangés par ces décisions. Et donc, j'attire votre attention sur ce point : totalement hors sujet en commentaire.

Et sur mon blog, il n'y a pas d'acte de commentaire sans vie : s'il n'est pas viable, c'est l'incinération. Avis à la population.


Sur le même thème chez Lieu Commun :

Diner's Room : La Cour de cassation et l'enfant né sans vie.

Koztoujours : De l'enfant né sans vie. Même ce cul-béni ne s'est pas mépris sur la portée de l'arrêt.

Notes

[1] Qui se situe je le rappelle le 30 Ventôse An XII.

mercredi 13 février 2008

Maljournalisme à LCI (article modifié)

Comment faire un scandale à partir de rien, ou pas grand chose ?

En tapant sur la justice. Ca ne mange pas de pain et ça marche à tous les coups.

Dernier en date : LCI.fr publie un article sur un incident survenu devant la cour d'assises de Rennes, sous le titre de : « Incroyable bévue aux assises de Rennes ».

Les faits sont les suivants :

La cour d'assises de Rennes devait juger sept personnes accusées d'une série de vols à main armée commis courant 2000 et 2001 à Rennes et Saint-Malo.

La procédure devant la cour d'assises, la juridiction qui juge les crimes (punis de 15 ans de réclusion criminelle et plus) et qui est composée de trois magistrats professionnels et neuf jurés tirés au sort, est entièrement orale : tous les éléments du dossier sont débattus à l'audience, les témoins, enquêteurs et experts doivent venir en personne déposer et répondre aux questions de la cour, des parties civiles, du parquet et de la défense.

Or un des témoins a révélé à la barre que l'un des gendarmes ayant mené l'enquête l'avait à cette occasion agressé sexuellement, faits pour lesquels il avait été définitivement condamné en appel.

Émoi de la défense qui découvre ces faits, et à sa demande, ainsi qu'à celle des parties civiles, le procès est renvoyé à une date ultérieure, le président s'étant dit "contraint et forcé" d'accéder à cette demande, pour la sérénité des débats.

En fait, le seul point problématique est que l'avocat général qui représentait le parquet à cette audience était celui qui siégeait à la chambre des appels correctionnels ayant condamné le gendarme pour agression sexuelle. Ce qui pour LCI signifie sans l'ombre d'un doute que l'avocat général était « au courant de ces éléments ».

Prenons un peu de recul, et pensons en juriste et non en journaliste, c'est à dire en considérant que les personnes sont innocentes jusqu'à preuve du contraire.

Que s'est-il passé ? Un des gendarmes chargé de l'enquête dans le cadre de l'information judiciaire menée par un juge d'instruction est visiblement tombé sous le charme de ce témoin et s'est fait trop pressant, physiquement semble-t-il. Une plainte a été déposée, qui a donné lieu à des poursuites et une condamnation. Je pense que jusque là, tout le monde sera d'accord pour dire qu'il n'y a pas dysfonctionnement.

Mais le gendarme, quand il avait les mains libres, a rédigé un procès-verbal des déclarations du témoin, procès verbal qu'il lui a été demandé de relire et de signer s'il était d'accord avec son contenu. La validité de ce procès-verbal n'est pas altérée par la condamnation du gendarme pour des faits extérieurs à l'affaire. La condamnation étant largement postérieure à cette audition, elle n'a été mentionnée au dossier et il est très probable que le juge d'instruction n'ait jamais été informé de l'existence de cette procédure : la loi ne le prévoit pas, et d'ailleurs les modalités de cette information seraient bien difficiles à appliquer concrètement.

Le dossier étant muet sur ce point, les avocats des parties ignoraient tout de cette histoire, comme le juge d'instruction. Et comme le président de la cour d'assises quand il a préparé l'audience, préparation qui consiste en l'étude approfondie du dossier (ce qui ne permet de connaître que ce qui s'y trouve), l'interrogatoire des accusés (art. 272 et suivants du code de procédure pénale) et l'organisation matérielle de l'audience (citation des témoins, des experts, ordre du déroulement des débats, etc). Le président ne peut bien évidemment recevoir et interroger les témoins avant l'audience.

Bref, avant l'audience, personne ne pouvait savoir ce qui s'était passé... sauf l'avocat général. S'est-il tu sciemment ? J'ai vraiment du mal à le croire. Un avocat général (qui est un procureur mais devant une cour d'appel) traite des centaines de dossiers par an. Il voit défiler des centaines et des centaines de prévenus, de victimes, de témoins. Je ne sais pas, et le journaliste de LCI ne s'est pas posé la question, c'est pas son métier (ha, tiens, si), combien de temps s'est écoulé entre l'audience de la chambre des appels correctionnels ayant condamné le gendarme et l'audience d'assises. Il est probable que ce soit un long laps de temps, et qu'au moment où il siégeait en correctionnelle, il ne savait pas qu'il serait saisi du dossier criminel pour lequel le gendarme enquêtait lors de l'agression sexuelle ; dossier qui au demeurant n'avait aucun intérêt pour les débats sur l'agression sexuelle.

S'il avait fait le rapprochement, il aurait été dans son intérêt de prévenir tout incident d'audience qui pouvait provoquer un renvoi ou fonder un appel. Donc informer le président de cet état de fait, qui aurait à son tour informé les avocats des parties pour leur permettre de déposer les demandes qui leur paraissaient opportunes en temps utile (conclusions d'incident des articles 315 et suivants). Parce qu'espérer que la victime de l'agression sexuelle omettrait de signaler ce détail, c'était courir au désastre, et pour espérer en tirer quoi au juste ? Je ne vois pas trop, et là encore, il ne faut pas compter sur le journaliste de LCI pour se poser la question. D'autant plus que les assiduités pressantes du gendarme ne sont pas a priori (je ne connais pas du tout le détail du dossier, donc c'est sous toutes réserves) de nature à entacher le témoignage reçu, et qu'en outre, le témoin est présent à la barre pour confirmer ou modifier ses déclarations.

Plus graves sont les déclarations d'un autre témoin disant que des dates lui avaient été soufflées au cours de l'enquête ; mais là encore, c'est un élément qui ne figurait pas au dossier et qui est découvert à l'audience.

En fait, ce que cette affaire révèle, c'est tout l'intérêt de la procédure orale qui est de mise aux assises : les débats sont longs et imposent de remettre à plat tout le dossier pour discuter de chaque élément de preuve. Et les problèmes de ce type, qui ont pu échapper au juge d'instruction, ou à un avocat général, sont presque immanquablement mis au jour avant que le verdict ne soit rendu. Ce n'est pas par hasard que le dossier de l'affaire d'Outreau s'est écroulé lors des audiences devant une cour d'assises. Ces débats publics et oraux ont une vertu que ne peuvent avoir les procédures écrites et secrètes qui prévalent lors de l'instruction, quels que soient les mérites des magistrats qui en sont saisis.

Bref, ce n'est pas un dysfonctionnement de la justice auquel on a assisté ici, mais au contraire la preuve que la machine fonctionne plutôt bien, puisque rien n'est resté dissimulé. Le dossier n'était pas en état d'être jugé car un élément pouvant être important (ce qui n'est même pas sûr) a été découvert au cours de l'audience, l'affaire sera donc jugée plus tard, pour permettre à toutes les parties de décider de leur position à ce sujet.

La procédure n'est pas viciée, et grâce à cette décision, ne le sera pas. Les accusés seront jugés et d'ici là demeurent incarcérés jusqu'au procès, la cour ayant dû statuer sur ce point. C'est regrettable pour eux, la détention provisoire devant être réduite au minimum, mais c'est ici un moindre mal et leurs avocats ont dû pouvoir demander leur élargissement. Pas de bévue, mais de la sagesse et le respect de la loi. Tout au plus un peu de temps perdu.

Pas assez sexy pour LCI, donc. On connaît la suite.


MISE A JOUR IMPORTANTE

Des lecteurs proches du dossier m'ont apporté des précisions importantes, qui ne figurent pas dans l'article de LCI, qui relativisent considérablement mon propos.

D'une part, l'affaire d'agression sexuelle a donné lieu à une instruction judiciaire. Ouverte à Saint-Malo, elle aurait été suivi par le seul magistrat instructeur de la ville... donc celui qui instruisait aussi l'affaire criminelle. Donc le juge d'instruction connaissait les deux affaires, contrairement à ce que j'affirmais.

D'autre part, l'arrêt condamnant le gendarme daterait du 5 février, soit après l'ouverture du procès d'assises. L'audience de jugement était donc très proche de l'ouverture du procès d'assises. Ce d'autant que l'avocat général aurait reconnu au cours de l'audience avoir fait le rapprochement mais gardé l'information, estimant qu'elle n'avait pas de lien avec le procès d'assises.

Donc l'excuse de bonne foi amnésique que je plaidais ne tiendrait pas (je parle au conditionnel, n'ayant pu vérifier ces informations, mais disons que les sources me paraissent dignes de foi).

Si tous ces éléments sont exacts, alors, oui, on pourrait parler de bévue, car croire que cette condamnation n'aurait pas de conséquences sur l'audience (trois semaines de débats étaient prévus), soit qu'elle ne serait pas révélée par la victime, soit qu'elle ne provoquerait qu'indifférence révèle de la part de l'avocat général une naïveté certes touchante mais qui n'a pas sa place aux assises.

Il est vraiment dommage que le journaliste de LCI n'ait pas pris la peine d'apporter ces précisions.

samedi 9 février 2008

Chérie, devine ce qu'il y a à manger aujourd'hui ?

Du stew !

Nos amis irlandais viennent nous rendre visite pour rejouer un air de coupe du monde...

Je vous renvoie donc à mes explications d'alors sur nos hôtes de ce jour (à 17 heures, afin que les trois matches de la semaines ne soient pas diffusés en même temps).

Faisons donc le point sur le tournoi. Voici le classement après la première journée :

Première au classement : la France, avec 2 points pour sa victoire contre l'Ecosse et un différentiel de +21 points.
Deuxième, le Pays de Galles, 2 points pour sa victoire contre l'Angleterre et une différentiel de +7 points.
Troisième, l'Irlande, 2 points pour sa victoire contre l'Italie, et un différentiel de + 5 points.
Quatrième, l'Italie, 0 point et un différentiel de -5.
Cinquième, l'Angleterre, 0 point et un différentiel de -7.
Sixième, l'Ecosse, 0 point, et un différentiel de -21.

La France part archi-favorite, d'autant plus qu'elle joue à domicile ; mais ces diables d'irlandais nous ont déjà fait l'outrage d'une défaite à domicile. Il ne faut surtout pas les prendre à la légère.

Bon match à tous.


Mise à jour 18h21 : Ho mon dieu. Si vous ne regardez pas le match : zappez vite sur France 2.


Mise à jour 18h43 : Quelle fin de match ! Bon sang, que j'aime le rugby ! Bravo les Irlandais, ils ont été fabuleux. Les petits jeunes bleus ont montré qu'ils avaient les nerfs solides, même s'ils flanchent physiquement sur la longueur. Beaucoup de promesse chez eux, mais que j'aime le rugby irlandais ! Déjà, l'année dernière, ç'avait été un match magnifique. Vivement l'année prochaine.

vendredi 1 février 2008

Soufflet n'est pas jouer

Un professeur de technologie dans un collège du Nord est poursuivi en correctionnelle pour avoir asséné une gifle à un élève de onze ans au cours d'un incident au cours duquel l'élève l'aurait traité de « connard ».

Cette affaire, qui ne décolle pas du niveau du fait divers, fait beaucoup parler d'elle. D'abord par les circonstances qui l'ont suivi : le père de l'élève, gendarme de profession, a été convoqué après l'incident et s'est présenté en uniforme. Il a aussitôt porté plainte et l'enseignant a été placé en garde à vue pendant 24 heures et sera jugé le 27 mars prochain. On voit tout de suite les ingrédients de la polémique : l'enseignant insulté est celui qui est poursuivi, le père gendarme fait soupçonner la collusion des gens de justice, bref, la victime est poursuivi et le garnement est présenté comme la victime. Solidarité des enseignants, et semble-t-il d'une bonne part de l'opinion publique qui n'aime rien plus que l'idée que les enfants des autres se prennent des baffes.

Les faits ne sont pas contestés par l'enseignant, qui déclare à la presse avoir été « impulsif » et que le coup était « parti tout seul ».

Revoyons les faits sous l'angle juridique.

En France, l'éducation est une obligation depuis l'age de six ans jusqu'à l'age de 16 ans : art. L.131-1 du Code de l'Education.

C'est une obligation qui pèse sur les enfants mineurs, contrairement à l'idée reçue qui veut que les mineurs baignent dans un doux cocon d'irresponsabilité et d'immunité aux obligations. Cette obligation se compose d'une obligation d'assiduité, d'accomplissement du travail donné et de respect des règles de l'établissement : c'est l'article L.511-1 du code de l'éducation.

Les enseignants tirent de ce règlement intérieur une autorité de police et une autorité disciplinaire : leurs consignes pour l'organisation des cours doivent être respectées, faute de quoi ils peuvent exclure un élève d'un cours, qui n'est pas une sanction disciplinaire mais vise à rétablir l'ordre dans la classe (l'attitude ayant conduit à l'exclusion pouvant donner lieu à des sanctions disciplinaires) ou mettre en mouvement une action disciplinaires pour voir prononcée une des mesures prévues par le même règlement intérieur.

On en distingue deux ordres : pour les faits les moins graves, ce sont des punitions, prévues par une circulaire du 11 juillet 2000 (le texte se situe après le décret), article 2.2 :

Considérées comme des mesures d'ordre intérieur, elles peuvent être prononcées par les personnels de direction, d'éducation, de surveillance et par les enseignants ; elles pourront également être prononcées, sur proposition d'un autre membre de la communauté éducative, par les personnels de direction et d'éducation. La liste indicative ci-après peut servir de base à l'élaboration des règlements intérieurs des établissements : - inscription sur le carnet de correspondance ; - excuse orale ou écrite ; - devoir supplémentaire assorti ou non d'une retenue [Les fameuses "colles" - NdEolas] ; - exclusion ponctuelle d'un cours. Elle s'accompagne d'une prise en charge de l'élève dans le cadre d'un dispositif prévu à cet effet. Justifiée par un manquement grave, elle doit demeurer tout à fait exceptionnelle et donner lieu systématiquement à une information écrite au conseiller principal d'éducation et au chef d'établissement ; - retenue pour faire un devoir ou un exercice non fait.

Pour les faits les plus graves, on parle de sanction, qui elles sont au nombre de quatre et sont prévues par un décret du 30 août 1985, article 3 :

Le règlement intérieur comporte un chapitre consacré à la discipline des élèves. Les sanctions qui peuvent être prononcées à leur encontre vont de l'avertissement et du blâme à l'exclusion temporaire ou définitive de l'établissement ou de l'un de ses services annexes. La durée de l'exclusion temporaire ne peut excéder un mois. Des mesures de prévention, d'accompagnement et de réparation peuvent être prévues par le règlement intérieur. Les sanctions peuvent être assorties d'un sursis total ou partiel. Il ne peut être prononcé de sanctions ni prescrit de mesure de prévention, de réparation et d'accompagnement que ne prévoirait pas le règlement intérieur.

Comme on le voit, c'est une société en miniature qui est reconstituée au sein de l'établissement : les règles et leurs sanctions sont fixées établissement par établissement qui se dote ainsi d'un mini code pénal beaucoup plus facile d'accès, ainsi que la façon dont les sanctions doivent être prononcées (réunion d'un conseil de discipline, etc), ces règles particulières devant bien sûr respecter la législation nationale (un règlement intérieur ne peut prévoir de règles constituant une discrimination fondée sur le sexe, l'origine ou la religion par exemple) et n'excluent nullement l'application de celle-ci, notamment le code pénal, l'école demeurant partie intégrante du territoire français.

Ces règles sont néanmoins des règles de droit : elles fixent des comportements obligatoires ou interdits, et assortissent le non respect de ces normes de sanctions. Et s'agissant de règles de droit, elles s'appliquent à tous de la même façon. Aux élèves comme aux enseignants.

Je n'ai pas pu me procurer le règlement intérieur du collège Gille de Chin, mais je ne pense pas prendre de gros risques pour la fiabilité de la suite de mes explications en retenant l'hypothèse qu'insulter un enseignant y est expressément prohibé, ainsi que de manière générale toute violence.

En insultant son professeur, l'élève a incontestablement commis une faute, et d'une gravité telle qu'elle justifie que des sanctions soient prononcées, non une simple punition. Mais en aucun cas cela ne donnait le droit à l'enseignant de s'affranchir du règlement intérieur et de se faire justice à lui-même. L'école est aussi un apprentissage de la vie en société, et le fondement de la notre est que même les personnes qui fixent les règles sont tenues de les respecter. C'est la première leçon de l'Etat de droit.

La deuxième est que le code pénal s'applique aussi dans les écoles. Et ici il a été sollicité.

Tout d'abord, par l'élève lui-même. Pour avoir, par parole de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à ses fonctions, outragé son professeur, personne chargée d'une mission de service public, le galopin a commis le délit d'outrage prévu par l'article 433-5 du code pénal, aggravé par cette circonstance que les faits se sont produits dans un établissement scolaire, délit puni de 6 mois d'emprisonnement et 7500 euros d'amende.

Mais aussitôt après par l'enseignant lui-même, qui, pour avoir volontairement commis des violences n'ayant pas entraîné d'incapacité totale de travail sur la personne du galopin, avec ces circonstances que les faits ont été commis (1) sur un mineur de 15 ans (2) par une personne chargée d'une mission de service public (3) dans un établissement d'enseignement, a commis des violences volontaires aggravées par trois circonstances, faits prévus et réprimés par l'article 222-13 du Code pénal et punis de sept années d'emprisonnement et de 100.000 euros d'amende, outre un prélèvement des empreintes génétiques pour inscription au fichier national de ces empreintes (le FNAEG).

Un petit mot ici sur un de ces circonstances : celle de commission dans un établissement d'enseignement. Il s'agit d'un ajout de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, article 48, II, 1° (lui-même issu d'un amendement parlementaire de M. Philippe Houillon), dont l'objet n'était absolument pas, les travaux parlementaires en attestent, de lutter contre la violence des enseignants, seuls les élèves étant dans l'esprit du législateur capables de tels actes. Peu importe, la localisation géographique est le seul critère, et la circonstance aggravante joue à l'égard de l'enseignant. Amis profs, vous êtes prévenus (en tout cas votre collègue, lui, l'est pour l'audience du 27 mars).

S'agissant du bambin, son très jeune âge le met à l'abri des peines prévues par le code pénal : il ne peut faire l'objet au pire que de sanctions éducatives (articles 15 et 15-1 de l'ordonnance du 2 février 1945). Tout ceci sans préjudice des sanctions disciplinaires encourues dans son établissement.

S'agissant du professeur, bien sûr, la peine prononcée sera très très loin des sommets voulus par le législateur, qui, le jour où il a pensé et voté que des violences n'ayant pas entraîné d'incapacité totale de travail pourraient opportunément être sanctionnées de sept années d'emprisonnement avait visiblement fêté le beaujolais nouveau à la buvette de l'assemblée. Il n'y a pas en France un seul juge, aussi répressif soit-il, qui envisagerait cela la moindre seconde.

Mais ses malheurs ne s'arrêteront pas là car il encourt en prime des sanctions disciplinaires par le ministère de l'éducation nationale, suspension provisoire, déplacement d'office, mise à la retraite d'office, rétrogradation... pouvant aller jusqu'à la révocation.

Beaucoup de bruit pour rien ?

Sans doute la disproportion des peines encourues contribue à donner une image de martyr à l'enseignant.

Il demeure : frapper un élève est un geste inacceptable, et frapper un enfant l'est encore plus. Quel que soit le comportement de ce dernier. L'école apprend la vie en société, et la première de cette vie en société est de renoncer à la violence, pas de la subir de la part des personnes qui exercent l'autorité.

Le châtiment corporel est d'un autre âge, y compris administré par les parents. Accepter la fessée comme normale, c'est accepter le premier échelon d'une échelle qui peut amener très vite trop haut. Car la fessée ne fait pas mal, et l'enfant finira par ne plus en avoir peur. Il faudra aller plus loin. Et quand il aura quinze ans et mesurera 1m80, que va faire le parent ?

Demandez aux juges des enfants ce que certains parents considèrent comme relevant du droit de correction, sous prétexte qu'eux même, quand ils étaient petits, se prenaient bien pire de leur propre père, qui avait bien raison. Ou ce que font certains adolescents difficile à leurs parents devenus plus faibles qu'eux. Voilà où amène la violence subie.

La société refuse ces comportements, à raison, et tout particulièrement de la part de ceux à qui les enfants sont confiés. Que ceux-ci se retrouvent chargés d'une mission d'éducation des enfants, parfois par délégation complète des parents qui y ont renoncé, quand leur mission ne devrait recouvrir que l'instruction, c'est un problème évident. Il ne peut se régler par la violence. Face à cette situation, la société réagit, par son bras séculier, la justice. C'est normal, sauf à sonner à l'enfant un message disant "quand tu es à l'école, tu es sans protection face aux plus grands que toi". Faisons cela et à 13 ans il viendra avec un couteau pour se protéger.

Que l'enseignant réfléchisse à son geste, il est en arrêt maladie jusqu'à l'audience. Qu'il comprenne pourquoi ce coup n'est certainement pas "parti tout seul" comme quand on nettoie une arme approvisionnée. Cette explication est inquiétante, et ne plaira certainement pas au juge, avec le désormais célèbre "j'ai pété les plombs", meilleur moyen de faire péter les plombs du tribunal lors du délibéré.

A la télévision, la justice, c'est toujours les gentils contre les méchants. La vie n'est pas aussi simple. La victime peut être une tête à claque : cela n'autorise personne à lui en asséner ; l'auteur peut avoir mille excuses, sans avoir une seule justification. Et les collègues soutiennent l'un, et les associations de protection de l'enfance protègent l'autre, et les parents soutiendront l'un ou l'autre.

Au milieu, le juge, qui devra trancher, avec la certitude que sa décision déchaînera la colère des uns ou des autres.

Qui a dit que c'était un métier facile ?

mercredi 30 janvier 2008

La gauche bloïng bloïng

Une vente aux enchères a eu lieu il y a peu à l'Hôtel Drouot, portant sur des effets personnels de feu mon confrère François Mitterrand, qui fut accessoirement président de la République.

Parmi ces objets se trouvait sa robe d'avocat :

La robe d'avocat de François Mitterrand, bordée d'hermine et signée Cerruti, a été adjugée 8.000 euros au bénéfice de Me Karim Achoui.

Félicitations, cher confrère, c'est un beau geste.

Heu... PARDON ?

bordée d'hermine et signée Cerruti.

Cerruti fait des robes d'avocat ? Bordées d'hermine ? Et moi qui n'ai qu'une vulgaire robe en alpaga et mérinos, avec épitoge en peau de chaton (revers en soie certes, faut pas déconner non plus) ? En plus, ça doit aller très bien avec des bottines Berluti.

Vraiment, le petit nouveau, avec ses Rolex, ses Ray-Bans et ses jets privés empruntés, il fait vraiment petit joueur.

[PS] : merci de me faire crédit d'un peu de légèreté sans conséquence pour ce billet, et évitez de citer ces marques dans les commentaires, vos contributions seraient mises en quarantaine par mon anti-spam.

mardi 29 janvier 2008

L'homme qui valait cinq milliards

Désolé pour mon absence de billet de ces derniers jours ; les responsables portent deux noms : grippe et préfets.

Parlons un peu, pour être original, de l'affaire de la Société Générale, qui est en passe de devenir un des plus gros scandales financiers de l'histoire.

Je ne vais pas expliquer ce qui s'est passé : comme vous, je n'en sais rien ou presque. Une instruction est ouverte et a été confiée en co-saisine à Renaud Van Ruymbeke et Françoise Desset, juges d'instruction au pôle financier à Paris. Autant dire qu'elle est dans de très bonnes mains.

Je voudrais juste ici faire le point procédural sur le dossier.

Un employé de la Société Générale aurait donc indûment effectué des opérations financières sans en avoir reçu mandat, c'est à dire non pas en exécutant les instructions de son employeur mais de son propre chef, pour des sommes considérables, en fait supérieures même aux capacités réelles de la banque. Les opérations se seraient étalées sur près d'un an, et n'auraient été découvertes qu'il y a une dizaine de jours.

Pour le détail, voyez cet excellent billet des éconoclastes, sur le blog des éco-comparateurs. Ils font avec l'économie ce que j'essaye de faire avec le droit : un travail pédagogique d'explication et ils s'en sortent très bien dans une matière qui n'a rien à envier au droit par sa complexité et son caractère abscons. Kudos.

Après avoir géré la crise au prix du sacrifice de ses excellents bénéfices escomptés, mais en sortant de ces engagements dangereux, la banque a porté plainte contre son salarié, qui accessoirement a été mis à pied et devrait faire l'objet d'un licenciement pour faute grave.

La section F2 du parquet de Paris, spécialisée dans les affaires financières, a dans un premier temps fait effectuer une enquête de flagrance (articles 53 et suivants du code de procédure pénale) par la brigade financière, afin que la police réunisse rapidement les éléments de preuve avant qu'ils ne disparaissent. Il y a donc eu une perquisition au domicile du salarié et une autre au siège de la banque où les faits ont été commis. Puis le salarié a été placé en garde à vue au siège de la brigade financière (rue du château-des-rentiers, ça ne s'invente pas) pendant 24 heures, garde à vue qui a été prolongée de 24 heures comme la loi le permet.

Le parquet a été tenu informé des éléments recueillis au cours de la garde à vue, et il a décidé à la fin de la deuxième garde à vue d'ouvrir une instruction sur cette affaire (la décision s'imposait d'elle-même), de déférer le salarié, c'est à dire le transférer de la brigade financière au pôle financier, pour qu'il soit mis en examen par le juge d'instruction.

Cette audience a lieu dans le cabinet du juge d'instruction. On l'appelle interrogatoire de première comparution (IPC). Le déféré peut s'entretenir librement avec son avocat (en l'espèce ses avocats, il s'est adjoint les conseils du bâtonnier en exercice) qui ont accès au dossier pour la première fois et peuvent le consulter librement. Puis le juge reçoit le déféré assisté de son ou ses avocats, constate l'identité de la personne, l'informe de ce qu'il envisage de le mettre en examen pour des délits qu'il précise, et demande au déféré, qui à ce stade n'est pas encore mis en examen, ce qu'il souhaite faire parmi trois choix. Soit garder le silence afin de préparer sa défense pour un interrogatoire ultérieur, soit faire des déclarations que le juge enregistrera sans poser de questions, soit enfin accepter de répondre aux questions du juge.

C'est parfois un dilemme cornélien pour l'avocat. A ce stade, son obsession est d'éviter la détention. Le meilleur moyen est d'accepter de répondre aux questions du juge, qui sinon sera tenté de demander la détention pour éviter tout risque de pression sur les témoins et de disparition des preuves. Mais dans un dossier complexe, accepter de répondre aux questions, c'est accepter un interrogatoire qui n'aura pas été préparé avec l'avocat autrement que lors du bref entretien avant l'audience, et, surtout dans un dossier complexe comme celui-là, c'est prendre le risque que des éléments cruciaux ait échappé au conseil.

En l'espèce, tout me porte à croire (particulièrement la durée de l'IPC) que le salarié a accepté de répondre aux questions.

Une fois que le juge a posé toutes les questions qu'il souhaitait à ce stade, il a demandé aux avocats s'ils avaient eux même des questions à poser à leur client, puis des observations à faire. Ensuite, le juge peut soit ne pas mettre en examen, si l'interrogatoire a révélé qu'aucune infraction ne pouvait être imputée au déféré (cette hypothèse est purement d'école puisqu'il y a toujours une enquête de police avant l'IPC, et que l'ouverture de l'instruction suppose qu'il y a déjà des éléments sérieux qui résisteront à un premier interrogatoire), le placer sous le statut du témoin assisté (qui n'a de témoin que le nom : il s'agit d'un suspect) soit le mettre en examen s'il existe à son encontre des indices graves ou concordant rendant vraisemblable qu'il ait pu participer, comme auteur ou complice, à l'infraction dont le juge est saisi (art. 80-1 du Code de procédure pénale).

Ce fut le cas ici, le juge d'instruction a prononcé des mises en examen pour abus de confiance, faux et usage de faux, et introduction dans un système automatisé de traitement de données.

Le réquisitoire introductif, qui visait la qualification d'escroquerie, n'a pas été suivi sur ce point, ce qui a son importance pour la suite.

L'escroquerie consiste en effet à tromper une personne par des manœuvres frauduleuses (ce qui suppose une certaine élaboration, pas un simple mensonge) pour la convaincre de remettre une chose, rendre un service, s'obliger ou au contraire libérer quelqu'un de son obligation. On peut supputer que c'est la remise de la chose qui fait défaut ici d'après les éléments issus de l'enquête : en effet, les engagements ont été pris au nom de la Société Générale qui n'a jamais été dépossédée. La preuve : c'est elle qui a liquidé ces positions dans les conditions que l'on sait avec les conséquences que l'on sait.

Obtenir que cette qualification soit écartée d'emblée est une victoire pour la défense, car les délits retenus font encourir au maximum au mis en examen, s'il est finalement reconnu coupable, un maximum de trois années d'emprisonnement, contre cinq pour l'escroquerie.

Le juge d'instruction doit ensuite statuer sur la situation du mis en examen (un témoin assisté ne peut qu'être aussitôt remis en liberté). Il peut soit le remettre en liberté purement et simplement, soit le placer sous contrôle judiciaire, qui est une liberté surveillée avec des obligations (consigner une somme, signer régulièrement un registre au commissariat) et des interdictions (ne pas quitter le territoire sans autorisation, ne pas rencontrer les autres parties prenantes) dont la violation peut entraîner une détention provisoire, soit enfin saisir le juge des libertés et de la détention(JLD) d'une demande de placement en détention provisoire pour une durée de quatre mois, qui n'est pas renouvelable si le délit pour lequel la personne est mise en examen ne fait pas encourir cinq ans de prison ou plus, ce qui est le cas ici. Vous voyez que le débat sur la qualification d'escroquerie n'était pas oiseux. Si le parquet souhaite une détention, il prend des réquisitions en ce sens, mais la décision appartient au seul juge d'instruction (sauf dans l'hypothèse ou les faits poursuivis sont un crime ou un délit passible de dix années, mais ce n'est pas le cas ici).

Dans notre affaire, le salarié, s'il a été mis en examen, a été placé sous contrôle judiciaire par le juge. Au passage, permettez moi de louer ici l'indépendance dont fait preuve ce juge. Pour ceux qui le connaissent, ce n'est pas un scoop, mais c'est vraiment réjouissant de voir qu'un juge d'instruction sait résister à l'énorme pression médiatique et probablement du parquet dans un tel dossier. Un point pour le respect de la présomption d'innocence.

Le parquet n'est pas content et a décidé de faire appel.

En effet, le juge d'instruction qui, bien que saisi de réquisitions du parquet tendant au placement en détention provisoire, donc lui demandant de saisir le JLD, estime ne pas devoir le faire, il doit rendre une ordonnance motivée susceptible d'appel. C'est une disposition de la loi Perben I du 9 septembre 2002 : il faut motiver la liberté. C'est une des rares dispositions du code de procédure pénale qui fait rouspéter aussi fort aussi bien les avocats que les juges d'instructions. Et le parquet peut faire appel de cette ordonnance en vertu de sa faculté d'appel de toutes les ordonnances du juge d'instruction (art. 185 du code de procédure pénale). C'est ce qu'il a fait dans notre affaire.

L'appel n'est pas suspensif, et le mis en examen est donc libre. La chambre de l'instruction examinera cet appel d'ici quinze jours à un mois. En tout état de cause, si détention provisoire il devait y avoir, elle ne pourrait excéder quatre mois, puisque l'escroquerie a été écartée.

Il ne reste plus qu'à attendre patiemment la fin de l'instruction et le procès public qui se tiendra ensuite (un non lieu général paraît en l'état une hypothèse fantaisiste) pour tout savoir des rouages de cette affaire extraordinaire.

Décryptage dans votre blog habituel.

mercredi 23 janvier 2008

La France condamnée pour avoir refusé l'agrément en vue de l'adoption à une personne homosexuelle

La décision date d'aujourd'hui même, il s'agit de l'arrêt E.B. contre France, n°43546/02, rendu en Grande Chambre.

Cet arrêt risque de faire parler de lui[1], voire d'être présenté comme un revirement de jurisprudence, ce qu'il n'est pas. Mais il contient mine de rien une petite bombe passée relativement inaperçue : la cour constate tout simplement... que la France reconnaît le droit d'adopter aux homosexuels. J'y reviendrai, mais procédons par ordre.

Les faits étaient les suivants :

Madame B. est institutrice en maternelle depuis 1985, et vit en couple stable avec Madame R. Madame B. souhaitant découvrir les affres de la parenté, elle a déposé (en février 1998) auprès du Conseil général une demande d'adoption ; mais sa compagne Madame R. n'étant pas intéressée par cette perspective, Madame B. présente une demande en tant que célibataire.


Une première pause s'impose ici.

Nous sommes dans le cadre d'une demande d'adoption présentée aux autorités publiques qui porte sur des enfants remis à l'aide sociale par leurs parents ou orphelins. Ils portent le joli nom de "pupilles de l'Etat". Pour résumer, il s'agit des enfants nés d'un accouchement sous X., ou dont les parents ont été déchus de l'autorité parentale, ou qui ont été remis à l'aide sociale à l'enfance en vue de leur adoption par l'un des parents (auquel cas l'autre parent a six mois pour se manifester) ou les deux, ou qui ont été déclarés abandonnés par le tribunal de grande instance, principalement.

L'adoption se passe en deux temps : une phase administrative, où les adoptants potentiels sollicitent un agrément qui leur permettra (éventuellement) d'obtenir un placement d'enfant à leur foyer en vue de son adoption, puis une phase judiciaire où l'adoption est prononcée par le tribunal de grande instance.

Jusqu'à une loi du 11 juillet 1966, l'adoption d'enfant était strictement réservée aux couples mariés depuis au moins cinq ans ; la loi de 1976 va étendre ce droit à tout adulte âgé d'au moins trente ans (ramené à 28 ans par la loi du 5 juillet 1996), étant précisé que si deux personnes veulent adopter le même enfant, elles doivent être mariées. Ensemble.

Cela levait un des obstacles à l'adoption auxquels se heurtaient les homosexuels : la condition du mariage. Mais il en restait un deuxième : celui de l'agrément administratif, qui leur est systématiquement refusé en invoquant l'intérêt de l'enfant et les "conditions de vie" du demandeur à l'adoption, approuvé en cela par le Conseil d'Etat : voir par exemple CE 9 octobre 1996, n°168342, ''Fretté''.

Ce même requérant a porté son affaire devant la cour européenne des droits de l'homme invoquant une discrimination fondée sur son orientation sexuelle, contraire à l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme. La cour rejettera sa demande par un arrêt du 26 février 2002 n°36515/97.

A cette occasion, la Cour précisera que la marge d'appréciation des pays doit être grande eu égard aux différences des diverses sociétés qui forment le Conseil de l'Europe[2], et qu'une différence de traitement n'est pas forcément discriminatoire si elle est justifiée par l'intérêt supérieur de l'enfant, la Cour constatant l'absence de consensus scientifique sur les conséquences sur l'équilibre affectif d'un enfant élevé par un homosexuel.

Fin de la première pause.


Mme B. sollicite donc un agrément du président du Conseil général. Une enquête sociale est diligentée qui émet des avis défavorables, sans jamais viser explicitement l'homosexualité de la demanderesse, mais tournant autour du pot avec des périphrases comme, après avoir vanté les qualités d'écoute, d'ouverture d'esprit, de culture, de disponibilité, la clairvoyance dans l'analyse des problèmes, les capacités éducatives et affectives de la requérante :

Toutefois, étant donné le cadre de vie actuelle dans lequel elle se situe : célibataire, plus vie avec une amie, nous n'avons pas pu évaluer sa capacité à apporter à un enfant une image familiale, de couple parental susceptible de lui assurer un développement stable et épanouissant.

Notez le fameux "cadre de vie" que n'aurait pas renié Tartuffe.

Ou encore, chez le psychologue, après un très positif :

Mademoiselle B. possède beaucoup de qualités humaines, elle est enthousiaste, chaleureuse et on la sent très protectrice. Ses idées concernant l'éducation des enfants semblent très positives.

arrive un chafouin

Nous pouvons néanmoins nous interroger sur plusieurs facteurs liés à l'histoire, le contexte d'accueil et le désir d'enfant.

Ha, le contexte d'accueil, du genre "Notez que je n'ai rien contre les contextes d'accueil, hein. Mon coiffeur est un contexte d'accueil, et il vit avec un cadre de vie très sympathique, m'a-t-on dit".

Témoins ces interrogations, qui, vous en conviendrez, pourraient tout aussi bien exclure l'adoption par un célibataire hétérosexuel :

- N'y a-t-il pas une conduite d'évitement de la « violence » de l'enfantement et de l'angoisse génétique à l'égard d'un enfant biologique ?

- L'idéalisation de l'enfant et la sous-estimation des difficultés liées à son accueil : n'y a-t-il pas un fantasme de réparation toute puissante quant au passé de l'enfant ?

Et enfin, le classique :

- La possibilité que l'enfant trouve un référent paternel stable et fiable n'est-elle pas aléatoire ?

On finit même par verser dans le contra legem :

Un certain flou règne sur ses possibilités d'identification à l'image du père. N'oublions pas que c'est avec l'image de ses deux parents que l'enfant se construit. L'enfant a besoin d'adultes qui assument leur fonction parentale : si un parent est seul, quels effets cela aura-t-il sur son développement ?

Et tant pis si la loi dit expressément qu'un célibataire peut adopter. Célibataire ne veut pas dire qu'on est... un cadre de vie, vous comprenez ?

Un autre psychologue interviendra, qui relèvera une :

- attitude particulière vis-à-vis de l'homme dans le sens où il y a refus de l'homme.

Et poussera sa réflexion, de son propre aveu, à l'extrême, se réfugiant pudiquement derrière un point d'interrogation :

A l'extrême, comment en refusant l'image de l'homme peut-on ne pas refuser l'image de l'enfant ? (l'enfant en attente d'adoption a un père biologique dont il faudra préserver l'existence symbolique, la requérante en aura-t-elle les possibilités ?) (...) »

Bref, si les homosexuelles pouvaient coucher avec des hommes, ça réglerait bien des problèmes, en tout cas pour les psychologues qui se poseraient moins de questions là où on leur demande des réponses.

Le représentant du Conseil de famille, de l'association des pupilles et anciens pupilles, auprès de la Commission d'agrément, émettra également un avis défavorable, estimant ce qui suit :

« (...) De par mon expérience personnelle de vie en famille d'accueil, il me semble mesurer actuellement, avec du recul, l'importance d'un couple mixte (homme et femme) dans l'accueil d'un enfant. Le rôle de la « mère accueillante » et du « père accueillant » au quotidien dans l'éducation de l'enfant sont complémentaires, mais différents l'un de l'autre. C'est un équilibre que l'enfant va bousculer d'autant plus fort parfois selon l'évolution de sa démarche de réalisation et d'acceptation de la vérité de ses origines et de son parcours. Il me semble donc nécessaire qu'il existe un solide équilibre entre une « mère accueillante » et un « père accueillant » dans une démarche d'adoption dans l'intérêt de l'enfant. (...) »

Comprendre : d'accord pour l'adoption par des célibataires, mais à condition qu'ils vivent en couple, et avec quelqu'un de l'autre sexe.

Le chef du service d'aide sociale à l'enfance (oui, on demande beaucoup d'avis à plein de gens pour pouvoir adopter) dira quant à lui :

« - Mlle B partage sa vie avec une amie qui n'apparaît pas être partie prenante dans le projet. La place que cette amie occuperait dans la vie de l'enfant accueilli n'est pas clairement définie ;

- le projet ne semble pas laisser de place à un référent masculin réellement présent auprès de l'enfant.

Dans ces conditions, il est à craindre que l'enfant ne puisse trouver au sein de ce foyer les différents repères familiaux nécessaires pour permettre la structuration de sa personnalité et de son épanouissement. »

Bref, Madame R., qui ne demande rien à personne, n'a pas envie d'être le père de cet enfant ; comme quoi les homosexuels sont des gens bizarres.

Oui, j'ironise un peu, c'est pour rendre la lecture moins fastidieuse, et surtout pour que vous compreniez que, quelle que soit votre opinion sur la question de l'adoption par un homosexuel, l'attitude de la République est ici d'une hypocrisie finie, et c'est cela qui va entraîner sa condamnation, puisque la question de l'opportunité de l'adoption homosexuelle n'est pas abordée par cet arrêt, comme nous le verrons.

Ces avis entraînent un refus du président du conseil général, qui est attaqué devant la juridiction administrative. Le tribunal administratif lui donna raison, mais en appel, la cour administrative d'appel annula le jugement et confirma le refus d'agrément. Le Conseil d'Etat confirma ce refus le 5 juin 2002 (je ne vous mets pas le lien, le nom de la requérante figure dans l'arrêt sur Légifrance et elle a souhaité l'anonymat).

Suite à ce refus, Mme B. saisit la cour européenne des droits de l'homme, invoquant l'article 14 qui prohibe les discriminations, et l'article 8 qui protège le droit à une vie privée et familiale normale.

La cour va opérer un raisonnement qui peut se résumer comme suit (les numéros entre parenthèses renvoient au numéro du paragraphe de la décision.

La cour rappelle sa jurisprudence Fretté : les décisions de rejet de la demande d'agrément poursuivaient un but légitime, à savoir protéger la santé et les droits des enfants pouvant être concernés par une procédure d'adoption (70).

Si ici la question soulevée porte également sur l'agrément à l'adoption par un homosexuel, il y a des différences notables : dans ce cas, et contrairement à l'affaire Fretté, à aucun moment les autorités administratives n'ont parlé du "choix de vie" de Mme B. De plus ces autorités ont reconnu des qualités éducatives à Mme B. qui n'avaient pas été retenues chez M. Fretté. Enfin, elles ont pris en compte l'existence de la compagne de Mme B., alors que M. Fretté était célibataire. La cour annonce d'ores et déjà qu'elle ne va pas renverser la jurisprudence Fretté, même si elle va statuer dans un sens différent (71).

La cour relève que dans le cas de Mme B., les autorités se sont fondées sur deux motifs pour refuser l'agrément (72) :

- L'absence de référent paternel dans le projet éducatif de Mme B., mais la cour observe que ce problème se pose dans toutes les adoptions par un célibataire, que la loi française autorise (73). La Cour joue à son tour les Tartuffe en regrettant que les représentants de la France n'aient pu fournir des statistiques d'adoption permises à des homosexuelles, statistiques qui auraient sans doute permis de démontrer l'absence de discrimination (74). Comprendre : elle n'est pas dupe.

- L'absence d'implication de la compagne de Mme B. dans l'adoption : elle ne se sent pas concernée, et les autorités administratives n 'ont cessé d'invoquer ce point (75).

La Cour écarte l'argument de la requérante disant que ce dernier point n'avait aucune importance (76). Au contraire, ce critère est légitime car « dès lors que le demandeur ou la demanderesse, bien que célibataire, a déjà constitué un foyer avec un ou une partenaire, la position de ce dernier et la place qu'il occupera nécessairement au quotidien auprès de l'enfant qui viendra vivre dans le foyer déjà formé commandent un examen spécifique, dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Il serait d'ailleurs pour le moins surprenant que les autorités compétentes, informées de l'existence d'un couple "de fait", feignent d'ignorer une telle donnée dans l'évaluation des conditions d'accueil et de vie future d'un enfant au sein de son nouveau foyer ». ce critère est d'ailleurs fondé juridiquement (77). Ce motif n'est pas fondé sur l'orientation sexuelle (78) et n'est donc pas discriminatoire (79).

Mais, et c'est là que les choses se gâtent pour la France, la Cour reprend ces deux motifs et les réunit comme faisant partie d'une appréciation globale par l'administration : ils sont en effet sans cesse invoqués ensemble (80), aussi bien par le président du Conseil Général (81) que par la cour administrative d'appel (82) que par le Conseil d'Etat (83).

Bref, constate la Cour, les juridictions ont toujours pris soin de préciser que si le critère de l'homosexualité de la requérante était pris en compte, il n'était pas le seul pris en compte et ne faisait pas l'objet d'une position de principe hostile qui aurait été discriminatoire (84).

Mais la Cour n'est pas convaincue. Au contraire, elle trouve que le fait que l'homosexualité de la requérante soit aussi présente est significatif, et que les termes employés dans les divers avis, que je vous citais en ironisant au début, sont révélateurs (85). Ainsi, les avis reprochent à la requérante son célibat : mais la loi française prévoit l'adoption par des célibataires : ces reproches sont donc illégaux (86). Quant à l'absence de référent paternel, la Cour admet que l'argument est pertinent en soi, mais en l'espèce, y recourir est manifestement excessif (87).

La Cour ne peut que constater que sous couvert de « conditions de vie » c'est l'orientation sexuelle de la requérante qui a été sans cesse au cœur des débats (88). Elle a même finalement été décisive dans le refus d'agrément (89).

Il y a bien eu une différence de traitement. La Cour va alors se demander si elle était légitime, faute de quoi elle constituerait une discrimination (90). La Cour rappelle en effet sa jurisprudence en la matière : une distinction est discriminatoire, au sens de l'article 14, si elle manque de justification objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un « but légitime » ou s'il n'y a pas de « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (91), étant entendu que la Convention européenne des droits de l'homme est un instrument vivant, dont l'interprétation évolue avec les moeurs (rejet de la doctrine originaliste qui prévaut pour l'interprétation de la Constitution des Etats-Unis et qui veut qu'on interprète le texte selon le sens que lui ont donné les Pères Fondateurs en 1787) (92).

Et la Cour pose la règle applicable ici : si la distinction opérée repose uniquement sur l'orientation sexuelle de la requérante, il y aurait bien discrimination (93).

Et voilà le paragraphe qui à mon sens doit retenir notre attention, à tel point que je le recopie in extenso, car si vous aviez encore des doutes sur l'attitude de tartuffe des autorités, le masque va tomber.

La Cour rappelle que le droit français autorise l'adoption d'un enfant par un célibataire (...), ouvrant ainsi la voie à l'adoption par une personne célibataire homosexuelle, ce qui n'est pas contesté. Compte tenu de cette réalité du régime légal interne, elle considère que les raisons avancées par le Gouvernement ne sauraient être qualifiées de particulièrement graves et convaincantes pour justifier le refus d'agrément opposé à la requérante.

Tombez, mes bras, bée, ma machoire, saisis-moi, ô stupéfaction. Alors que le Conseil d'Etat valide de manière constante des refus d'agrément fondés sur l'homosexualité du demandeur à l'agrément, les représentants de la France devant la Cour européenne des droits de l'homme revendiquent que les homosexuels peuvent adopter en France, et ce depuis la loi du 11 juillet 1966 qui a étendu l'adoption aux célibataires. Je ne suis pas sûr que l'assemblée gaulliste élue en novembre 1962 ait vraiment eu conscience d'autoriser l'adoption par des homosexuels. Tout ça pour dire "Voyez comme nous n'opérons pas de discrimination à l'adoption envers les homosexuels". Tout en étant incapable de dire combien d'homosexuels ont effectivement un jour adopté un enfant...

Ha ! Au bal des faux-culs, le carnet de bal de la République est rempli jusqu'à la marge.

La Cour ne s'en laisse pas compter, et constate qu'en outre, le Code civil est muet sur la question du référent de l'autre sexe, qui en tout état de cause devrait interdire l'adoption à tout célibataire quelle que soit son orientation sexuelle, et qu'enfin les qualités éducatives de la demanderesse à l'agrément étaient vantées en termes dithyrambiques ce qui en soi suffit à balayer toute objection au nom de l'intérêt de l'enfant (95).

La couperet tombe : pour refuser l'agrément à Mme B., les autorités ont opéré une distinction fondée exclusivement sur l'orientation sexuelle de la requérante, et comme il était dit au §93, cela caractérise une discrimination. La France est donc condamnée. Et, ajoutè-je avec une certaine satisfaction et en haussant la voix pour que les magistrats qui me lisent saisissent l'allusion, la cour a estimé que les honoraires demandés par l'avocat de la requérante dans l'intégralité de cette affaire (TA, CAA, CE, CEDH), de 12.000 euros Hors Taxe (soixante heures à 200 euros HT de l'heure, soit 15 352 euros TTC, frais d'audience à la CEDH non compris) sont raisonnables et intégralement remboursés (§105). A bons entendeurs, articles 375, 475-1, 800-2, 700 et L.761-1 salut.

En conclusion, la France a avant tout été condamnée pour son hypocrisie : elle nie l'évidence. La loi a autorisé l'adoption par un homosexuel, mais l'administration veille à ce que cela n'arrive jamais, en prétendant ne pas se soucier de l'orientation sexuelle. Si la loi avait interdit purement et simplement l'adoption par des homosexuels au nom de l'intérêt de l'enfant, il y a gros à parier que la Cour n'aurait pas bronché. Ainsi, le fait que la loi ne permette qu'à un couple marié, donc nécessairement hétérosexuel, d'adopter ensemble ne pose aucun problème de discrimination à la cour.

Où l'on voit à quel point le débat public est escamoté en France. Le thème de l'adoption homosexuelle a fait partie des thèmes de campagne aux élections présidentielles du printemps dernier. Quel candidat a expliqué (ou savait-il seulement) que la question qui se pose est qu'un célibataire homosexuel peut adopter depuis les années soixante, mais pas les deux partenaires d'un couple ?

Cette jurisprudence sera invoquée désormais dans les recours contre les refus d'agréments opposés aux homosexuels. Mais l'administration pourra fort bien maintenir sa pratique en motivant plus astucieusement ses avis.

Enfin, pour la requérante, c'est une victoire à la Pyrrhus. Elle a demandé l'agrément pour adopter un enfant quand elle avait 37 ans. Elle en a aujourd'hui 47. Cela laisse présumer une arrivée d'enfant à 50 ans. En supposant que son âge ne lui soit pas opposé, ce n'est plus le même projet de maternité. La joie de Mme B. doit être bien ternie par un rêve à jamais brisé. Qu'elle soit assurée de ma sympathie.

L'intérêt et la portée de cet arrêt sont en résumé que la Cour, sans revenir sur sa position réservée à l'égard de l'adoption homosexuelle, et notamment sur le fait que l'intérêt de l'enfant peut être valablement invoqué pour refuser l'adoption à un homosexuel quand des éléments objectifs sont soulevés à l'appui (arrêt Fretté), estime que l'absence de "référent paternel" n'est pas un argument valable car il s'applique aussi à l'adoption par un célibataire hétérosexuel, et surtout que la France ne peut pas prétendre que l'adoption homosexuelle est légale et pratiquer une discrimination de fait en faisant en sorte que ce qui n'est pas interdit ne soit jamais autorisé.

Notes

[1] Cet article a été entamé dès la décision connue : le Figaro, le Monde, en parlent déjà.

[2] Qui rappelons-le n'est pas l'Union Européenne : la Russie et la Turquie sont ainsi membres du Conseil de l'Europe...

mercredi 26 décembre 2007

Les Bonnes Résolutions - cuvée 2008

Par Gascogne.


J'adore chaque année me dire que je repars du bon pied et que je vais faire plein de bonnes choses.

Et j'aime encore plus, chaque année, ne pas tenir mes bonnes résolutions.

Comme il n'y a pas de raisons que ça change, en voici quelques unes pour l'année qui vient.

1°/ Commencer le traditionnel régime du mois de janvier post fêtes et excès de foie gras (avec un Pouilly-Fumé, miam...), s'y tenir deux ou trois semaines, et se dire que finalement, c'est trop dur de se priver des bonnes choses.

2°/ Dans la lignée du précédant, se (re)mettre au sport.

3°/ Cesser d'être désagréable avec son entourage personnel et professionnel sous pretexte des bonnes résolutions 1 et 2.

4°/ Couper mes post-its en 12 et cesser d'importuner le Greffier en Chef avec de basses questions matérielles.

5°/Arrêter d'être désagréable avec les avocats (enfin, certains d'entre eux, mais j'ai des circonstances atténuantes).

6°/ Arrêter d'être désagréable avec ma hierarchie (c'est là que je m'aperçois que je suis très désagréable, comme garçon...).

7°/ Cesser d'être radin sur les articles 700 et 475-1 (on peut toujours rêver).

8°/ Appliquer avec respect et déférence les excellentes lois pénales qui permettent de mieux vivre en société, et arrêter de râler sous pretexte qu'il y en aurait une nouvelle tous les quinzes jours.

9°/ Stopper toutes critiques envers les collègues, les avocats, les greffiers, les huissiers, les notaires, les gendarmes, les policiers, les journalistes, les politiques, les administrations...(pfff...Elle va être dure à tenir, celle-la).

10°/ Arrêter de jouer avec les collègues du parquet et du siège à caser un mot impossible (Nabuchodonosor, Pingouin, etc) à l'audience (certains avocats jouent aussi, mais c'est plutôt avec des paroles de chanson à insérer dans les plaidoiries).

11°/ Cesser d'écrire des âneries sur les blogs.

12°/ Ne pas m'y prendre au dernier moment pour les cadeaux de Noël (c'est chaque année pareil).

Voilà mes douze bonnes résolutions pour 2008. Une par mois, je devrais tenir...

mercredi 19 décembre 2007

Le divorce sans avocat ?

Comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu, le Gouvernement vient d'annoncer qu'il envisage une réforme du divorce. Il y avait en effet urgence : la grande réforme du 24 mai 2004 (adoptée par un large consensus droite-gauche) est entrée en vigueur le 1er janvier 2005. Ce Gouvernement a un vrai sens des priorités. Ajoutons d'ailleurs qu'à l'occasion de la discussion de cette réforme, une déjudiciarisation du divorce par requête conjointe avait déjà été envisagée avant d'être abandonnée, pour des raisons qui demeurent valables aujourd'hui, et que je reprends plus bas.

La profession est en colère et réagit vivement. Trop à mon sens, notamment à l'égard des notaires, tant cette annonce ressemble par trop à un mouchoir rouge pour la profession, châtiée pour son indocilité chronique depuis plusieurs mois, et une façon de jouer facilement la carte du corporatisme des avocats (« ils défendent leur bout de gras ») contre le consommateur client électeur (« Ca vous coûtera moins cher, puisque la plupart du temps vous devez AUSSI passer chez le notaire »). Des gens intelligents par ailleurs n'ont pas tardé à mordre à l'hameçon.

Moins d'indignation et plus de pédagogie n'auraient pas fait de mal ici. Côté lobbying, nous avons des leçons à prendre des notaires. Ils ne vont pas bousculer des CRS et respirer du gaz lacrymogène, et leurs résultats sont meilleurs.

Bien sûr, une telle réforme serait une calamité financière pour les cabinets spécialisés dans le divorce (sur les 152000 divorces prononcés annuellement, quasiment la moitié sont par requête conjointe ; s'ils donnent lieu à perception de moins d'honoraires, le volume compense). Dans un premier temps, du moins. A moyen terme, j'en doute, vous allez voir. En tout état de cause, nonobstant ma sympathie pour mes confrères œuvrant en la matière, ce ne put être un argument regardé comme pertinent pour refuser la réforme. Les revendications catégorielles de maintien de rentes de situation m'exaspèrent, même quand elles émanent de ma profession.

Que penser de cette réforme ? Pour le moment, pas grand'chose, puisqu'elle n'est qu'une idée, et qu'une mission a été confiée à Monsieur le professeur Guinchard à ce sujet, illustre professeur de droit dont le nom est connu de tous les étudiants et ex-étudiants en droit. Attendons de lire avec profit les résultats des travaux de cet universitaire.

Pour les plus impatients d'entre vous, voici les données du problème, et les difficultés auxquelles cette réforme se heurtera à mon avis.

A titre de prolégomènes, je précise que si j'ai une expérience en matière de divorce par requête conjointe, l'activité de mon cabinet n'en dépend absolument pas. Je prie mes lecteurs de me faire le crédit de ce que je ne défends pas mon pré carré en vous invitant à me suivre dans les cabinets des Juges aux Affaires Familiales.

Rappelons tout d'abord qu'il existe deux grandes catégories de divorce : les divorces contentieux d'une part et le divorce « par consentement mutuel », dont le vrai nom est en réalité divorce par requête conjointe, d'autre part.

Le divorce par requête conjointe concerne des époux qui sont d'accord sur tout : ils veulent divorcer, et se sont mis d'accord sur toutes les conséquences du divorce. Cela inclut la répartition des biens, les relations pécuniaires (prestation compensatoire versée par le conjoint qui a la meilleure situation financière à l'autre qui a sacrifié des opportunités professionnelles pour son couple) et surtout les modalités d'exercice de l'autorité parentale : résidence habituelle des enfants, droit de visite et d'hébergement ou garde alternée, etc...).

Les divorces contentieux concernent toutes les autres situations, de la guerre ouverte (et parfois d'une violence psychologique effroyable) aux époux qui sont d'accord pour divorcer mais n'arrivent pas à se mettre d'accord sur tout, en passant par les époux séparés dont l'un se satisfait très bien de la situation actuelle et n'a pas envie de se compliquer la vie.

Les divorces contentieux ne sont pas concernés par la réforme envisagée, seul le divorce par requête conjointe l'est.

Un divorce par requête conjointe, ça se passe comment ? Comprendre : quand vous n'êtes pas président de la République ?

En apparence (notez bien le « en apparence », tout le problème est là), très simplement. Les époux peuvent prendre un seul avocat pour les deux, puisqu'il n'y a pas de contentieux, étant précisé que l'avocat unique étant avocat des deux, si les choses dégénèrent, il ne peut plus assister un des époux contre l'autre. Il doit se retirer du dossier qui sera repris par deux confrères, et le divorce devient contentieux.

L'avocat doit rédiger deux actes, dont un tient du formulaire : la requête en divorce. C'est un document qui présente les époux, résume leur situation personnelle et familiale (date du mariage, régime matrimonial, nombre et âge des enfants, métiers, revenus et patrimoine des époux) et se conclut en demandant au juge de les recevoir pour prononcer leur divorce.

Le second est la convention de divorce. Et c'est là que s'exerce l'art de l'avocat.

Cette convention doit tout prévoir sur les conséquences du divorce. Cela va de détails comme le paiement des impôts dus en commun ou la prise en charge des honoraires de l'avocat, à des points essentiels comme les règles applicables à la garde des enfants.

Assez souvent, les époux arrivent au premier rendez-vous avec un projet de convention, qu'ils ont piqué dans un quelconque magazine grand public ayant fait un dossier spécial divorce, en laissant entendre qu'il ne nous reste qu'à signer et à demander des honoraires très modérés. Pour moi, c'est une situation que j'aime beaucoup, car après dix minutes d'analyse des problèmes posés par ce document passe-partout qui en voulant servir à tout le monde n'est utile à personne, problème qui sont souvent de vraies bombes à retardement, d'ailleurs, les clients ont parfaitement compris à quoi je sers et ce que représentent mes honoraires.

En six mots : à des années de contentieux évitées.

L'avocat apporte sa connaissance de la loi et son expérience en matière de contentieux pour transformer les explications des clients sur leur accord en un texte relativement bref (on dépasse rarement les six pages, l'essentiel étant consacré aux enfants), clair (comprendre : lisible et compréhensible par les clients) et qui règle sans équivoque n'importe quelle situation sans léser un seul des époux. Car ces règles s'appliqueront « sauf meilleur accord », c'est à dire que si les parents se mettent d'accord entre eux, ils peuvent faire ce qu'ils veulent, mais qu'un désaccord survienne (suite à un malentendu, les deux parents ont pris leur mois de juillet et travaillent le mois d'août, et ils veulent tous les deux partir avec leur bambin), et la solution se trouve dans la convention (dans notre exemple, la convention prévoit que tel parent a le mois de juillet les années paires, et qui l'a les années impaires ; il n'y a plus qu'à regarder un calendrier pour avoir la réponse). Et cela va jusqu'à la désignation du parent tenu d'aller chercher ou ramener les enfants, où et à quelle heure.

C'est là, lors de ce premier rendez-vous, où on va beaucoup écouter les clients et poser de nombreuses questions, que va se nouer l'essentiel du dossier. Après, ce sont des projets soumis aux clients, commentés, des réponses à leurs questions, des rectifications, et quand c'est signé l'essentiel est fait.

Ajoutons qu'en cas de patrimoine commun à liquider (époux soumis au régime de la communauté universelle ou de la communauté réduite aux acquêts, qui concerne les époux qui se sont mariés sans contrat de mariage), notamment s'il y a des biens immobiliers, les époux doivent préalablement au dépôt de la requête en divorce, aller chez un notaire faire préparer un état liquidatif de la communauté qui doit être annexé à la requête. Cet état liquidatif partage le patrimoine commun en deux parts égales (en principe) et précise qui est à qui (le manoir à Deauville pour Madame, le chalet à Courchevel pour Monsieur). Naturellement, l'Etat prélève son écot au passage, parce que... c'est comme ça, il n'est pas obligé d'attendre que vous soyez mort pour se servir, après tout. Si le patrimoine commun est inexistant (un sofa Ikea et un frigo...),les époux peuvent se contenter d'une mention dans la convention de divorce précisant que les biens mobiliers ont déjà fait l'objet d'un partage amiable et qu'il n'y a pas lieu à liquidation. Un estimation du mobilier doit être fournie pour les services fiscaux, qui peuvent réclamer un droit d'enregistrement ; ce sera même systématique en cas de prestation compensatoire.

L'avocat n'a plus qu'à déposer la requête en deux exemplaires, signés par lui et par les époux, ainsi que deux exemplaires de la convention de divorce et l'état liquidatif notarié. Le juge aux affaires familiales, qui statue à juge unique, convoque les deux époux et l'avocat à l'audience de divorce.

L'audience a lieu dans son cabinet. Rien ne ressemble moins à une audience qu'une audience de divorce. Le juge ne porte pas la robe, et siégeant sans greffier en toute illégalité mais il n'y a qu'en fonctionnant illégalement que les tribunaux arrivent à tourner (Hé oui, on en est là), c'est lui-même qui va chercher les époux dans la salle d'attente. Il reçoit d'abord chacun des époux seuls, sans avocat, pour un bref entretien où il doit s'assurer que la décision est réfléchie, qu'aucune réconciliation n'est possible, et que le divorce n'est pas imposé à l'un des époux. En effet, au même titre qu'il faut consentir librement à son mariage, il faut consentir à son divorce par requête conjointe : comme le nom l'indique, les deux époux doivent être demandeurs.

Une fois les deux époux reçus en tête à tête, le juge les reçoit tous deux avec leur avocat, et, si son examen de la convention de divorce ne lui a pas révélé de problème (le juge doit, en vertu de la loi ,s'assurer d'une part qu'aucun époux n'est lésé par les modalités du divorce, qui, à l'instar du mariage, se fait entre personnes égales, et d'autre part s'assurer que l'intérêt des enfants, qui eux, ne sont pas représentés à la procédure, est respecté), prononcera le divorce et homologuera la convention, c'est à dire lui donnera la même force qu'un jugement. Si au contraire il n'est pas d'accord avec la convention, il y a deux possibilités.

Soit le changement qu'il estime nécessaire est mineur, et peut être apporté immédiatement, par rature ou ajout manuscrit paraphé par les parties, et les époux et l'avocat sont d'accord, et la modification est apportée immédiatement (je l'ai vu dans une convention que je n'avais pas rédigée, où l'avocat a cru pouvoir insérer une clause stipulant que la pension alimentaire n'était pas due pour le mois des vacances d'été ou le parent débiteur de la pension hébergeait l'enfant ; le JAF a fait ôter cette mention, la mensualisation de la pension étant faite dans l'intérêt du débiteur qui est lui-même payé mensuellement et non du créancier de la pension ; en outre, il y a des frais qui courent que l'enfant soit présent ou pas).

Soit le changement est majeur et ne recueille pas l'accord des parties, et le juge rejettera la requête en divorce. Les époux pourront en présenter une nouvelle une fois une solution trouvée, ou devront utiliser la voix contentieuse.

Cette audience est très rapide, d'autant que d'autres demandes attendent, et dépasse rarement les dix minutes, entretiens en tête à tête compris. On peut estimer que plus cette audience est courte, et plus cela démontre que l'avocat a bien fait son travail : une convention conforme à la loi et à la jurisprudence, équilibrée, et bien rédigée.

A la sortie du cabinet du juge, les époux sont divorcés, mais pas encore aux yeux des tiers. Il y a une formalité de publicité à accomplir, qui est effectuée par l'avocat : une copie certifiée conforme du jugement et de la convention sont envoyées à la mairie où le mariage a été célébré pour qu'il soit mentionné en marge de l'acte de mariage et en marge de l'acte de naissance des époux, seul moyen de pouvoir se marier à nouveau (il y en a qui ne se découragent jamais).

Ceci étant posé, la réforme envisagée viserait à confier au Notaire, qui doit déjà en principe dresser l'état liquidatif, la charge de rédiger aussi la convention de divorce, de lui donner force exécutoire, et d'effectuer les formalités de publicité et de communication au fisc. Les modalités exactes ne sont pas arrêtées.

En apparence, cela semble plus simple. Après tout, le notaire est par essence un rédacteur d'acte, et les notaires font ça très bien. De plus, il est de son rôle légal de recueillir des consentement éclairés. C'est même cela qui donne à ses actes, que l'on qualifie « d'authentiques » par opposition à « sous seing privé », leur force, qui est la même qu'un jugement, ou un constat d'huissier. Le Notaire est comme un poisson dans l'eau dans les rapports patrimoniaux et leurs conséquences fiscales. C'est son métier, et personne ne le fait mieux que lui (même si un avocat peut le faire aussi bien...).

De plus, c'est devant le notaire que l'on va pour le contrat de mariage. Pourquoi ne pourrait-il défaire ce qu'il a aidé à conclure ?

Plus économique, cela reste à voir. Les notaires sont eux aussi chefs d'entreprise, ils payent les mêmes charges que nous, et leurs employés ne sont pas bénévoles. Ce surcroît de travail (qui se compte en heures) fera l'objet d'un surcroît d'honoraires. Seuls ceux qui croient que les avocats se font grassement payer à ne pas faire grand chose dans un divorce par requête conjointe croiront à l'argument de l'économie et déchanteront rapidement.

D'autant que les notaires n'ont pas l'expérience du contentieux post-divorce (révision de la prestation compensatoire, de la pension alimentaire ou des modalités de la garde des enfants ; il concerne aussi ceux qui n'ont jamais été mariés) et ne l'auront jamais puisque leur métier n'est pas la représentation en justice. En la matière, ce sera du pilotage sans visibilité, ou alors ils consulteront un avocat pour cette partie de la convention, et l'avocat chassé par la porte rentre par la fenêtre.

De même, en ce qui concerne l'intérêt, personnel, pas patrimonial, des enfants, le notaire n'est pas compétent, de par sa formation et sa pratique, pour s'assurer de son respect. Ce n'est pas son métier, et je ne suis pas sûr qu'ils veuillent se mettre sur le dos cette nouvelle responsabilité.

Et quand il n'y a pas d'enfants, et que les époux ont des situations identiques, et des revenus équivalents ? Dans ce cas, oui, un divorce extra judiciaire est parfaitement envisageable. A votre avis, est-ce que cela recouvre la majorité des cas ? Pourtant, la loi ne distingue pas les procédures suivant les situations personnelles des époux.

Sur l'argument du contrat de mariage, il ne résiste pas à l'examen. Un contrat de mariage est une convention qui règle des rapports patrimoniaux futurs (le contrat de mariage est, à peine de nullité, antérieur au mariage), suspendus à l'existence d'un mariage. Ce n'est pas le notaire qui marie, de même que quand il liquide le patrimoine commun, il ne divorce pas les époux. En matière de régimes matrimoniaux, la liberté des époux, donc du notaire, est encadrée : les règles sont strictes et il n'existe que quatre régimes : la communauté universelle (tout ce qui est est à toi est à moi, tout ce qui est à moi est à toi), la séparation de bien (tout ce qui est à moi est à moi, tout ce qui est à toi est à toi), la communauté réduite aux acquêts (tout ce que nous acquerrons, sauf par héritage, sera à tous les deux), et la participation aux acquêts (il faut avoir une maîtrise de droit pour le comprendre, c'est le régime des juristes). Les époux ne peuvent apporter que des modifications à la marge (apporter des biens à la communauté, se faire des donations dans cet acte puisqu'il est notarié). Le notaire peut conseiller aux époux le régime le plus adéquat (déconseiller la communauté universelle si Monsieur veut travailler dans le capital-risque...), leur en expliquer le sens et rédiger un contrat qui sera un jeu d'enfant à liquider à la dissolution du mariage. Un époux peut refuser de signer le contrat, et s'il le faut de se marier. La conséquence est : il ne s'engage pas. Le divorce consiste à s'assurer que les époux sont profondément d'accord pour divorcer, qu'aucun n'est lésé par les modalités de la séparation, et que l'intérêt des enfants est aussi préservé. Si un époux n'est pas d'accord, il peut refuser de divorcer ; mais la conséquence est ici fort différente : s'il refuse de divorcer, il reste engagé. L'analogie avec le contrat de mariage ne tient donc pas et ne démontre pas la pertinence de l'idée.

Enfin, pour les divorcés en puissance, c'est une perte d'une sacrée sécurité, qui ne leur coûtait rien : l'intervention du juge. Tous les actes du divorce sont relus et corrigés, gratuitement (la procédure de divorce ne donnant lieu à perception d'aucun droit, frais ou taxe par le tribunal) par un magistrat spécialisé dans les affaires familiales. C'est quand même pas mal, comme garantie, non ? Quelle que soit la compétence de l'avocat, ou du notaire, un point de vue neutre, extérieur et compétent peut révéler des chausses-trappes qui auront échappé à la vigilance de l'avocat, parce que le magistrat aura déjà eu à trancher sur une difficulté identique. Outre cette correction gratuite, le juge est plus à même de s'assurer que l'intérêt des enfants est respecté, tout simplement parce que ce sont eux qui jugent les contentieux nés d'arrangements bancals pris dans l'intérêt des parents et non des enfants (nous voyons tous des parents vivant à plus de 100 km l'un de l'autre qui se sont mis d'accord pour une garde alternée une semaine chez l'un une semaine chez l'autre, ou vouloir une telle mesure parce qu'elle fait qu'il n'y a pas de pension alimentaire à payer, même si les enfants dormiront tous dans la même chambre chez un de leurs parents).

En fait, et c'est là l'aspect tragique de cette réforme, son seul intérêt est pour l'Etat : elle détourne des tribunaux une masse importante de dossiers (à mon sens uniquement provisoirement, le contentieux post-divorce va croître rapidement), libérant ainsi des moyens humains, afin d'éviter une fois de plus d'augmenter les moyens de la justice, mais de répartir un peu ces moyens pour camoufler plus la pénurie.

Bref, nous avons ici une fausse bonne idée, rendue séduisante par son aspect de sanction d'une profession un peu trop rebelle actuellement. Taper sur les avocats est toujours populaire.

Je ne suis pas sûr pour autant que ce soit le signe d'une République vertueuse.

vendredi 14 décembre 2007

Enfin !

Je dormirai un peu mieux ce soir. Le Congrès américain a voté aujourd'hui une loi, le Intelligence Authorization for Fiscal Year 2008, qui principalement fixe le budget de la CIA. Mais le Sénateur Dianne Feinstein (Démocrate, Californie) a déposé un amendement qui a été adopté et conservé par la Chambre des Représentants, qui impose à la CIA de s'en tenir aux techniques d'interrogatoires autorisées par le Army Field Manual. Jusqu'à aujourd'hui, ce texte ne s'appliquait qu'aux interrogatoires menés par les militaires, or la CIA est une agence civile.

Concrètement, cela veut dire que des techniques que je qualifie sans hésiter de torture, telles que le tristement célèbre Waterboarding, la nudité forcée, la privation de nourriture et les violences sont désormais interdites.

Alors, oui, je sais, c'est un scandale que les Etats-Unis aient employé cette technique, et cette loi n'excuse rien. Je sens que l'antiaméricanisme va se déchaîner en commentaires (pas grave, Troll Detector a faim), tant donner des leçons aux démocraties et déployer le tapis rouge aux tyrans (surtout ceux qui n'aiment pas les Etats-Unis) fait partie du génie français.

Je m'en fiche.

Je dormirai un peu mieux ce soir.

lundi 10 décembre 2007

Les magistrats et la faute (1e partie : la justice civile)

Gascogne a tendu les verges pour se faire battre avec son billet Vol Au Dessus D'Un Nid De Magistrats. Les commentaires ont donné lieu à un renouveau de l'éternel débat sur la responsabilité des juges. Et les mêmes malentendus refont surface. Alors je vous propose de faire un point sur la question, du point de vue d'un avocat : votre serviteur.

Tout d'abord, afin d'avoir un débat serein, écartons un premier argument qui n'en est pas un : celui du corporatisme. Les juges ne revendiquent nullement une impunité absolue et une irresponsabilité totale. Ils ne sont pas irresponsables, et que l'on facilite encore leur mise en cause ne leur fait pas peur. Je l'ai constaté lors de nombreuses discussions avec des magistrats, syndiqués ou non, de grandes juridictions ou de tribunaux modestes.

Mais ce qui les préoccupe est l'incompréhension de ce qu'est la faute d'un magistrat, à entendre des élus et parfois même l'opinion publique exiger d'eux rien moins que l'infaillibilité, pourtant monopole papal.

Car un magistrat qui « se trompe », c'est à dire juge ceci alors que la vérité est cela ne commet pas nécessairement une faute, loin de là, quand bien même sa décision cause un préjudice à celui qui en est victime.

Pour illustrer ceci, qui est une évidence pour les gens de justice mais ne l'est pas pour les autres citoyens, voyons les deux grands domaines dans laquelle les juges judiciaires statuent : le civil et le pénal. Je ne traiterai dans ce billet que du civil, le pénal fera l'objet d'une deuxième partie, j'espère dès demain.

Je laisse de côté la justice administrative car elle ne se heurte pas aux mêmes difficultés, notamment probatoires. L'administration est une gigantesque machine à produire du papier, et elle ne bouge pas un orteil sans que cela soit dûment constaté par un document précieusement archivé et aisé à retrouver. Ce culte du papier permet aux débats des juridictions administratives de rester essentiellement juridiques, ce qui réjouit les publicistes (ceux qui pratiquent le droit public dont le droit administratif fait partie) et en fait d'excellents juristes facilement perdus hors de cette matière, et rend la justice administrative parfois difficile à saisir pour le grand public. Voyez par exemple l'affaire de la soupe de cochon.

La justice civile est celle qui oppose des personnes privées entre elles, que ce soit des personnes physiques comme vous et moi, ou des personnes morales comme des sociétés commerciales, ou des associations. Le juge est ici arbitre : il tranche le litige qui lui est soumis. Et que ce qui lui est soumis. Il est prisonnier des demandes des parties et ne peut en sortir, ce qu'on appelle en droit statuer ultra petita, au-delà de la demande. De même, chaque partie produit aux débat les pièces, c'est à dire les preuves sur lesquelles elle fonde sa demande. Le juge n'est pas tenu de rechercher lui-même la preuve des prétentions des parties. Il statue au vu de ce qu'on lui présente. Cette appréciation peut être contestée, bien sûr, mais d'une seule façon : par l'exercice d'une voie de recours (l'appel, la plupart du temps).

Cependant, la loi permet à une partie de demander au juge d'ordonner une mesure visant à établir cette preuve car elle serait incapable de la fournir elle-même. Ces mesures s'appelle des mesures d'instruction (nous retrouverons ce terme, dans un sens voisin mais différent, au pénal), et sont soit ordonnées en référé avant même qu'un procès soit engagé, soit par le juge saisi du procès, par un jugement dit « avant dire droit », c'est à dire qui ne tranche pas le fond du litige. La mesure d'instruction par excellence est l'expertise : le juge désigne un expert dans le domaine sur lequel porte le litige qui va, en présence des parties, rédiger un rapport répondant de manière détaillée aux questions du tribunal et aux observations des parties (ces observations faites en cours d'expertise s'appelant des « dires ».

Les expertises sont indispensables dans des contentieux techniques où le demandeur est incompétent : par exemple, le particulier qui a commandé des travaux sur sa maison et qui constate que des fissures apparaissent peu de temps après est incapable de dire si les travaux ont été effectué selon les règles de l'art ; la victime d'un accident de la route ne peut expliquer clairement l'étendue et la gravité de ses blessures ; le chef d'entreprise qui vient de mettre sa boîte en réseau intranet ne peut expliquer pourquoi ses serveurs ont tous planté et ne redémarrent pas. Le juge n'est pas tenu par les conclusions de l'expertise, et les parties peuvent demander une contre expertise, qui peut même le cas échéant être confiée à un collège d'experts, généralement trois. Bien évidemment, ce rapport aura un poids considérable dans la décision du juge.

Mais une expertise à un coût, qui est supporté par la partie qui la demande (sauf si elle bénéficie de l'aide juridictionnelle), et mis à la charge de la partie qui perd le procès (on dit « qui succombe » par opposition à « qui triomphe ») au titre des dépens. Et dans bien des affaires, une expertise est inadéquate et ne servirait à rien. Dans ces cas, qui forment la majorité des contentieux, le juge statue uniquement sur les arguments des parties et au vu des pièces qu'elles produisent. C'est à cette aune qu'il faut juger de leur travail.

Prenons encore un exemple, une affaire très simple.

Primus prête à son ami Secundus la somme 5000 euros. L'amitié n'empêche pas les précautions, et Primus fait signer à Secundus une reconnaissance de dette qu'il a la gentillesse de lui envoyer déjà imprimé sur son beau traitement de texte Open Office : « Je soussigné Secundus reconnaît devoir à Primus la somme de 5000 euros ». Las, le temps passe, et Secundus ne le rembourse pas. Il ne répond pas à ses coups de fil, et quand Primus finit par lui envoyer un recommandé, i lreçoit une réponse sèche : « Que racontes-tu ? Je ne te dois rien ».

La mort dans l'âme, Primus saisit donc le juge d'instance pour qu'il condamne Secundus à lui payer ce qu'il doit. A cette fin, il produit la reconnaissance de dette. A l'audience, Secundus est représenté par Maître Roublard, qui s'exclame : « Mais enfin, Monsieur le juge : voyez vous-même ! Ce document est sans valeur : il émane de Primus et non de Secundus, et ne porte que la mention d'une somme en chiffres ! Il ne vaut pas reconnaissance de dette, et je vous demande de constater que Primus n'apporte pas la preuve de sa créance, et donc de le débouter. »

Le juge, connaissant Maître Roublard de réputation et pressentant que la reconnaissance de dette qui lui est présentée repose sur un fond de vérité, tentera de voler au secours du demandeur :

« Preuve insuffisante, certes, mais j'y vois pour ma part un commencement de preuve par écrit. Primus, avez-vous une autre preuve de ce que vous avez effectivement prêté cette somme à Secundus ?

— Comment, une autre preuve, s'exclame le pauvre Primus ?

— Des témoins ? Une copie du chèque ?

— Non, mais puisque j'ai un document signé de Secundus ?

— Il n'est pas conforme à la loi, et je ne puis me fonder sur ce seul document pour prononcer une condamnation. Puisque vous n'avez aucun autre élément à produire à l'appui de ce commencement de preuve par écrit, je vous déboute de votre demande. »

Nous avons un juge qui déboute le créancier d'une demande qui en vérité est fondée. Cela, Primus le sait, et Secundus aussi (et le juge n'en pense probablement pas moins). Alors que Secundus doit 5000 euros à Primus, le juge dit que Secundus ne doit rien. Ce jugement apparaît erroné, et Primus pourra croire être victime d'un incompétent, ou d'un malhonnête, car l'imagination est fertile pour trouver ailleurs que chez soi les causes de son malheur.

Pourtant le juge a parfaitement appliqué la loi. Rassurez-vous, la morale est sauve, car Maître Roublard demandera 6000 euros d'honoraires à Secundus.

Souvent, une partie succombe car elle ne peut apporter la preuve de ses prétentions, et ce même si elle est convaincue du contraire : ma boîte e-mail regorge de justiciables ayant perdu un procès malgré des preuves "irréfutables" et "accablantes", seule la collusion de gens malhonnêtes ayant pu aboutir à leur défaite, affirmation généralement suivie d'une sommation de faire quelque chose, si possible gratuitement.

Si un juge n'est pas convaincu par la preuve qu'on lui apporte, sa décision peut être contestée par la voie de l'appel, sauf pour les petites affaires (4000 euros ou moins). Les règles de preuve en matière civile sont désormais assez connues et encadrées pour être prévisibles, et les erreurs d'appréciation des éléments de preuve conduisant à un jugement erroné sont rares. Présenter les mêmes preuves en espérant que cette fois, les conseillers[1] seront convaincus est de la folie. Il faut au contraire apporter des éléments de preuve supplémentaires venant renforcer ceux qui manifestement n'étaient pas suffisants en première instance. Le jugement est motivé, c'est à dire que le juge explique pourquoi il statue comme il le fait. L'appel doit viser à répondre aux objections du juge en produisant les éléments qui ont fait défaut en première instance. L'appel n'est pas un deuxième procès : c'est la suite d'un premier procès. C'est également valable en matière pénale, j'y reviendrai.

L'appréciation d'un juge des éléments de fait d'un litige relève de la nature même de sa fonction. Il doit en avoir une. Il serait donc absurde de le lui reprocher à faute. Que cette appréciation ne soit pas conforme à la vérité des faits ne révèle pas nécessairement une faute, loin de là. L'exemple de Primus le démontre : le juge pensait probablement que sa créance était réelle. Mais la loi pose des règles de preuves en matière contractuelle, ce n'est pas l'intime conviction du juge qui compte. Quand un juge se trompe, c'est souvent que la partie qui succombe injustement n'a pas pu apporter la preuve, soit qu'elle n'existe pas, soit qu'elle ait mal présenté sa cause. Combien de documents déterminants restent bien rangés chez le client car il estime qu'ils n'ont aucun intérêt ? Et l'intervention d'un avocat n'est pas la panacée : nous avons beau dire à nos client de TOUT nous amener, combien d'entre eux effectuent un pré-tri, ne voyant dans notre exigence d'abondance qu'une façon de facturer plus au temps passé ?

Reste la question initiale : quand est-ce qu'un juge civil commet non plus une erreur, mais une faute engageant sa responsabilité personnelle ?

Tout d'abord, quand il commet une faute pénale. S'il a reçu une somme d'argent pour statuer contre l'évidence des faits, il a commis le délit de corruption passive, et est pénalement responsable comme n'importe quel citoyen. Un magistrat ne bénéficie de ce point de vue d'aucune protection particulière, nulle autorisation préalable pour l'interpeller ou perquisitionner chez lui. Et le jour où il sera jugé, il n'aura aucune mansuétude à attendre de ses collègues. Ai-je besoin de préciser que les cas de corruption de magistrats sont extrêmement rares en France ?

Ensuite quand il a un comportement professionnel qui ne respecte pas les devoirs de sa profession. Que ce soit une insuffisance professionnelle caractérisée : des jugements rendus systématiquement en retard sans que la complexité du dossier le justifie, ou qui révèlent qu'aucune attention n'a été apportée au dossier, des retards ou absences répétées aux audiences qui désorganise le service, ou un comportement personnel inacceptable : ivresse à l'audience, remarques déplacées ou irrespectueuses, par exemple.

Notez que notre premier juge, s'il cumulait tous ces défauts, mais avait donné raison à Primus, donc pris une décision « juste », il n'en serait pas moins susceptible d'être sanctionné disciplinairement.

C'est le Garde des Sceaux qui seul peut déclencher des poursuites disciplinaires. C'est donc à lui qu'il faut de plaindre du comportement de tel ou tel magistrat. Au pénal, par contre, c'est une plainte ordinaire auprès du procureur de la République, avec en cas d'inaction du parquet la possibilité de la plainte avec constitution de partie civile.

Pour conclure pour aujourd'hui, il faut garder à l'esprit que cette impossibilité pour le justiciable mécontent de se retourner contre son juge est une protection donnée non au juge, mais à tous les justiciables. Car quand j'affronte un adversaire qui est aussi riche que procédurier, j'aime pouvoir penser que le juge est à l'abri de ses pressions et n'aura pas à craindre pour sa tranquillité quand il le condamnera ainsi que je le lui demande.

Suite au prochain numéro : la faute du magistrat au pénal, avec l'entrée en piste de nos amis les procureurs.

Notes

[1] Les juges qui siègent dans une cour portent le titre de conseillers.

vendredi 7 décembre 2007

Assassine-t-on le Code du travail ?

J'ai été invité par plusieurs lecteurs à me pencher sur l'accusation que porte l'opposition contre le gouvernement de vouloir profiter de la recodification du Code du travail pour faire passer subrepticement des atteintes majeures aux droits de salariés.

Ces accusations étant relayées par des inspecteurs du travail, elles sont revêtues du sceau de l'autorité. Et si elles étaient avérées, ce serait fort grave, car il y aurait une véritable forfaiture du gouvernement.

Tout d'abord, qu'est ce que la recodification du code du travail ?

Désolé pour le barbarisme, mais il s'impose. Dans une louable volonté de clarifier le droit, les gouvernements successifs (et cela remonte à la IVe république, avec une nette reprise depuis la fin des années 80, et une nouvelle accélération depuis 1999) ont décidé de compiler des lois et décrets épars traitant d'un même sujet sous forme de codes. Le droit est inchangé, c'est simplement la loi n°tant de telle date qui devient le Code du Truc et du Bidule. On parle de Codification « à droit constant ».

Ne prenez pas cet air là. Je vous assure que le législateur est persuadé que changer un numéro d'article, et de substituer une date par un nom sans rien changer d'autre, ça simplifie. Et vous voulez voir jusqu'où il pousse sa volonté de simplifier jusqu'à l'incompréhensible ? Désormais, les codes ne commencent plus par un banal article premier, suivi d'un affligeant article 2[1]. Non. Un Code étant divisé en livres, titres et chapitres, chaque article commence par un numéro à trois chiffres, les centaines indiquant le numéro du livre, les dizaines celui du titre, et les unités celui du chapitre; suit un tiret et le numéro d'ordre dans la section. Par exemple, le mouvement insurrectionnel est défini à l'article 412-3 du Code pénal : il s'agit du 3e article du chapitre 2 ("Des autres atteintes aux institutions de la République ou à l'intégrité du territoire national") du titre premier (" Des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation") du livre 4 (" Des crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique") du Code pénal. Alors qu'avant, c'était l'article 97 du code pénal. Ce n'était vraiment pas clair.

Ainsi, les nouveaux codes commencent tous au numéro 111-1. Car c'est plus clair comme ça. Ha, et pour simplifier encore plus, on ajoute devant le numéro une ou deux lettres qui indiquent si les dispositions relèvent du domaine de la loi organique (LO) loi (L), du décret en conseil d'Etat (R., pour règlement au sens de l'article 37 de la Constitution), du décret en Conseil des ministres (D), de l'arrêté ministériel (A) ou de la circulaire (C). Sauf dans le code pénal, car il n'y a pas de simplification digne de ce nom sans exceptions arbitraires.

Et c'est ainsi que la loi du 11 mars 1957 est devenue le code de la propriété intellectuelle par la loi du 1er juillet 1992 (ce qui n'empêche de nombreux éditeurs de promettre les dix enfers du Feng Du à ceux qui copieraient cette œuvre en violation de la loi de 1957), et que l'ordonnance du 2 novembre 1945 est devenue le Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) par l'ordonnance du 24 novembre 2004. Ordonnance, car une loi de 1999 permet au gouvernement, pour faciliter ce mouvement de codification, de procéder par ordonnances pour opérer ces codifications, à condition qu'elles soient à droit constant, c'est à dire qu'elles ne changent rien à l'état du droit. Une loi postérieure doit ratifier cette ordonnance, ce qui permet au parlement d'exercer un contrôle sur cette action du gouvernement.

Ce mouvement de "simplification" ne s'arrête pas là. Dans sa furie simplificatrice, des codes déjà existants sont recodifiés, c'est à dire qu'on réécrit les articles, on les découpe ou les recoupe, et on y inclut des lois autonomes que le législateur d'alors n'avait pas pris la peine d'intégrer dans un code. Ce fut le cas du Code de commerce en 2000, et c'est le cas du code du travail aujourd'hui. Attention : le code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 n'est pas une recodification, c'était bien un nouveau code pénal, réécrit depuis le début (et une vraie réussite de simplification, hormis cette stupide numérotation à rallonge). Cette "simplification" consiste à réécrire le plan du code, à remplacer la numérotation par une numérotation à 4 chiffres (avec une division en partie au dessus du livre) et à couper les articles trop longs, ce qui fera passer le code de 1800 à 3500 articles. Ce travail de simplification, pour être parfaitement compris, s'accompagne d'un mode d'emploi... de 33 pages réalisé par le ministère du travail. Je vous jure que je n'invente rien.

Alors, ces prolégomènes étant enfin achevés, y a-t-il réforme sous couvert de codification à droit constant ?

Voyons les arguments présentés à l'appui de cette accusation.

Le blog "Un strapontin à l'Assemblée Nationale", tenu par un journaliste permanent auprès de la chambre basse, fait un très utile compte-rendu de la séance mouvementée (et qui a agacé Authueil) où le fer a été porté. Alain Vidalies, député du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche, dit "ratissons large", député de la 1e circonscription des Landes, et avocat ce qui ne gâche rien, donne trois exemples, repris d'un argumentaire du syndicat FSU.

Il y en a deux qui, je le dis tout de gob, sont à la limite du ridicule.

La première : les dispositions sur le temps de travail passeraient de la partie consacrée à la santé du salarié à celle consacrée à la rémunération. C'est débattre de quelle étagère doit recevoir un bibelot. Le bibelot lui même reste inchangé.

La deuxième : dans la définition des compétences des inspecteurs du travail, on aurait remplacé les mots "inspecteurs du travail" par "autorité administrative compétente", ce qui désigne le directeur départemental du travail, qui ne bénéficie pas des garanties des inspecteurs du travail. Cette affirmation est erronée : il n'est que de lire les articles L.8112-1 et suivants du nouveau code du travail.

La troisième, qui est la seule vraiment juridique : le nouveau code distinguerait désormais entre les licenciements de moins de dix salariés et de plus de dix salariés pour faire bénéficier de la priorité au rembauchage. En effet, dans le cas d'un licenciement pour motifs économiques, le salarié licencié bénéficie s'il en fait la demande d'une priorité de rembauchage pendant un an : tout nouveau poste créé dans l'entreprise et compatible avec sa qualification doit lui être proposé en premier. Or dans le nouveau code du travail, les règles applicables aux licenciements pour motifs économiques de moins de dix salariés en l'espace de trente jours, et à ceux de dix salariés ou plus en trente jours ont été séparés en deux sections distinctes. Et la priorité de rembauchage est prévue à l'article L.1233-45 nouveau, qui figure dans la section consacrée aux licenciements "10+". Conclusion de l'honorable parlementaire : cette priorité ne s'applique plus aux licenciements de moins de 10 salariés, ce qui est un changement du droit.

Et là encore, ça ne tient pas. Car la section consacrée aux licenciements de moins de dix salariés contient un article L.1233-16 qui renvoie expressément à l'article L.1233-45 sur la priorité de rembauchage, qui s'y applique donc bel et bien.

L'opposition s'émeut encore de la transhumance d'environ 500 dispositions de la partie législative à la partie réglementaire, partie qui peut être modifiée par un décret du gouvernement. Là encore, il n'y a rien de scandaleux ni d'anormal. La constitution définit précisément le domaine de la loi (art. 34) et prévoit que tout ce qui ne rentre pas dans ce domaine relève du pouvoir réglementaire, c'est à dire du décret. Si une loi contient des dispositions qui relèvent en fait du décret, la disposition reste valable (alors qu'un décret qui empiète sur la loi est nul) mais sera traitée comme si elle avait été prise par un décret et pourra être modifiée par un acte réglementaire. C'est ainsi que le gouvernement Villepin avait escamoté à la va-vite la disposition traitant du rôle positif de la colonisation votée par un député qui aime son prochain s'il aime les femmes : il avait demandé au Conseil constitutionnel de constater que cette disposition était en fait réglementaire et non législative, puis l'avait abrogé par décret. Cette requalification est donc conforme à la Constitution ; ajoutons que l'accusation de vouloir les modifier discrètement par décret relève du pur procès d'intention, et qu'en outre cette requalification permettra à toute personne concernée, à commencer par les syndicats, de contester la légalité de ces modifications devant le Conseil d'Etat, ce qui est tout de même une meilleure protection que l'impuissance de l'opposition au parlement.

Bref, pour le moment, mais le débat reste ouvert, je n'ai pas découvert une modification du code du travail entre les deux textes.

Et, in cauda venenum, cette stratégie qui consiste à profiter de la complexité d'une réforme impossible à appréhender pour le grand public pour lui faire dire ce qu'elle ne dit pas et tenter d'effrayer l'opinion publique en affirmant que c'est la Géhenne, me rappelle de douloureux souvenirs référendaires. Et ça marche : les Don Quichotte habituels qui voient un géant dès lors qu'ils ne comprennent pas un texte ont déjà enfourché Rosinante...

Notes

[1] Seuls rescapés à ce jour : le Code civil, le code de procédure pénale et le code général des impôts.

jeudi 29 novembre 2007

Le blues du p'tit pois

Billet de Gascogne, magistrat, et invité permanent de ce blog


Y'a des jours comme ça...

Me voilà dans les rues de ma ville, enrobé comme jamais, traînant mes guêtres de serviteur de la République au milieu d'une nuée d'avocats tout autant enrobés que moi, à aller déverser notre fumier...Euh, non, notre mécontentement, devant la préfecture de mon si riant département. Il fait gris, la fumée sort plus de nos bouches que les slogans, et j'ai froid aux pieds. Bref, tout va bien.

Un copain m'aperçoit de la fenêtre de son bureau et se rue sur son téléphone portable : "Mais qu'est-ce que tu fous là, à faire le trottoir habillé en robe ?".

"Ben, ch'crois que je suis en grêve...En fait, non, je pense que je me mobilise contre la réforme de la carte judiciaire. Enfin, non...Pas contre...Je suis pour...Enfin, pas comme ça, quoi..."

Le copain a déjà raccroché, plaignant mon surmenage. En même temps, il n'y connaît rien, à la justice (il travaille avec le troisième âge). Et puis lui expliquer que m'est interdite toute action concertée visant à entraver le fonctionnement des juridictions, ça demanderait un temps que la faiblesse de ma batterie de téléphone ne me permet pas d'envisager.

Je soutiens le mouvement des avocats. Contre le mépris des politiques, contre une réforme bâclée et rédigée d'avance, sans aucune logique ni moyens. C'est vrai qu'on se répète un peu, sur les moyens. Mais les 900 millions d'Euros pour mettre en place la réforme, ils vont les trouver où ? Une bonne partie des fonds est déjà engagée dans le nouveau traitement du président de la République...Il va encore falloir que nous économisions les post-its (un greffier en chef m'avait déjà dit de les couper en trois, je crois qu'il va falloir que je passe à six).

Et pour les regroupements dans les juridictions, on les met où, les collègues et les greffiers, sur nos genoux ? Pour certains, je veux bien, mais je veux avoir le droit de choisir...

Nous voilà devant l'antre de la République. Un gentil secrétaire général accepte de nous recevoir, avocats, élus, fonctionnaires, magistrats. Il nous écoute bien gentiment, prend des notes, oscille de la tête comme le premier de la classe qu'il a nécessairement dû être. On se sent utile, écouté, sous les dorures de la République.

Quand tout le monde s'est exprimé, il nous dit qu'il nous remercie vraiment beaucoup, que c'est très gentil d'être passé, qu'il va faire remonter toutes les informations au plus haut niveau.

Et il ajoute qu'en tout état de cause, les arguments développés ainsi que la motion présentée par les avocats ont déjà été communiqués précédemment au ministère. J'ai enfin compris ce que voulait dire "pisser dans un violon".

Voilà comment vous casser le moral pour le reste de la journée.

Moi qui me disais que ce genre de manifestations (très peu fréquentes, est-il besoin de le préciser) rapprochait deux corps de métiers qui parfois se regardent en chiens de faïence, avocats et magistrats ayant par moment des points de vue difficilement conciliables. Je me disais que s'il y avait parfois divergence, c'était de cette opposition nécessaire des points de vue que naissait l'équilibre. Mais voilà que j'ai entendu par la rumeur publique parler de collègues qui se faisaient héberger par des avocats, et qui en profitaient pour refaire la déco de leur chambre.

De quoi perturber ma vision des choses. Où va la justice de mon pays...Ca m'déprime, tiens...

mardi 27 novembre 2007

Liste de Noël

Par Dadouche.


Les services municipaux commencent à accrocher les décorations en travers des rues. Des monceaux de foie gras dégoulinent des rayons de mon supermarché.

Comme beaucoup de mes "clients", je commence à préparer ma lettre à qui de droit.

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mardi 6 novembre 2007

Alors, ces reliques de la mort ? (billet AVEC spoilers)

Maitre Eolas est en robe de sorcier, bleu nuit parsemée d'étoiles, avec un bonnet de sorcier, du même bleu avec un croissant de lune. Il gronde une élève toute penaude qui a du mal à retenir une larme. Maitre Eolas lui dit : "Rachida, en transfiguration, encore zéro ! Tu devais TRANSFORMER la carte judiciaire, et tu as juste fait disparaître des tribunaux. Déjà que tu n'as pas réussi à transformer ton pipeau en MBA, ça sent le redoublement..."

Attention, ne cliquez pas sur « Lire la suite » si vous n'avez pas fini les Reliques de la Mort ou si vous vous fichez de Harry Potter.

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vendredi 26 octobre 2007

Et ça fait quoi, un procureur ?

Troisième et dernier volet de notre saga. Sautons directement au cœur du récit.

Le vice-procureur Parquetier arrive tôt, comme tous les jours où il est en charge du traitement en temps réel. Il y a toujours de l'imprévu, et la fin de matinée est toujours surchargée. Autant profiter du calme de début de matinée pour traiter les premiers dossiers.

D'abord, saluer les greffières. Elles aussi vont passer une rude journée. Première tasse de café, et coup d'œil à la pile des dossiers. Il y en a déjà quelques uns. Qui les a traité... Ha, c'est Lincoln. Bon, il ne devrait pas y avoir trop de surprises. Qui compose le tribunal cet après midi ? Le président est le juge Gascogne. Ouille. Pas commode celui-là. Il aime autant taper sur les avocats que sur les procureurs. Quoique... Depuis quelques mois, il est devenu plus zen. Premier assesseur... Dadouche. Sympa, mais il ne faut pas lui casser les pieds. Deux juges d'instruction. Il va falloir être vigilant sur les procédures. Et un juge de proximité pour compléter. Hé ! Hé ! Le président adore les juges de proximité, les délibérés vont être animés.

Allez, hop, au bureau.

Veste posée sur le porte manteau : l'agitation donne chaud.

Premier dossier : affaire Boullu. Conduite en Etat d'Ivresse. Premier relevé : 0,46mg. Deuxième : 0,47mg. Profession... Artisan marbrier. Donc besoin de conduire. Allez, en Ordonnance pénale. On va demander le tarif « petite ivresse » : 500 euros d'amende, suspension de trois mois. Il doit bien avoir un apprenti ou en employé qui conduit. Pas de prison avec sursis, il n'a pas de casier, c'était un petit dépassement.

Hop, dans le casier Ordonnance pénale.

Deuxième dossier : Affaire Ladrón. ILE, vol, recel, recel, recel. Je prends.

« Allô, madame le greffier ?

« - Monsieur le procureur ?

« - Vous pouvez m'appelez un interprète en espagnol pour une comparution immédiate cet après midi ?

« - C'est fait. Monsieur Tapioca est en route.

« -Parfait, merci. »

In Petto : Alors voyons. La saisine... Les policiers sont appelés par le personnel du Mac Quick de la place Georges Rémi pour un vol commis dans l'établissement... Le voleur a été repéré par un client, qui s'en est saisi. La police arrive 5 minutes après, pas de coups, pas de fouille par les vigiles du restaurant... Il est conduit aussitôt auprès de l'OPJ de permanence. Notification des droits dans la foulée. Prolongation... Voici le fax envoyé par Lincoln, dans les temps. La procédure est bonne.

Alors, sur les faits. Le vol est établi. Il s'est emparé du portefeuille, l'a sorti du sac, c'est un vol, pas une tentative. On a un témoin, il a été entendu... Le prévenu nie les faits, il a jeté le portefeuille par terre et a prétendu qu'il était tombé...Ben voyons.

Les recels... Deux téléphones portables, un ticket restaurant... Quoi ? Un ticket restaurant de 7 euros ? Décidément... Allez, qui vole un oeuf recèle un boeuf.

Ensuite, sur les téléphones... Réquisition aux opérateurs, qui ont donné les coordonnées des propriétaires... Ils ont été entendus... Allons bon, le premier dit qu'il avait perdu son téléphone et n'avait pas signalé la perte, s'agissant d'un téléphone mobicarte. Pas de vol, pas de recel.

Mais... Mais... Par le MBA de Rachida Dati ! Le deuxième propriétaire aussi déclare que c'était une perte. C'est sa fille qui l'avait perdu dans le bus. Perdu, mon oeil, oui. Mais du coup, je n'ai rien pour les deux recels.Et deux réquisitions judiciaires facturées pour rien, deux.

Et le ticket restaurant ? Ils ont appelé la société okké, qui émet ces titres. Encore une réquisition judiciaire. C'était des tickets de la société Mondass Assurance. La société a indiqué qu'un de leurs employés, Séraphin Lampion, s'était fait voler son carnet de tickets restaurant au marché aux puces. Il avait déposé plainte, la copie est annexée. Bon, j'ai de quoi caractériser le recel du ticket restau.

(Soupir)

J'adore quand un dossier se déballonne. Un portefeuille restitué, un ticket restaurant de 7 euros, restitué aussi. Ha, il a fière allure, mon dossier. Je vais encore me prendre de l'ironie du président Gascogne.

Ha, oui, il y a l'ILE, aussi. Entré sans visa, il y a trois ans, aucune démarche en cours pour sa régularisation, pas de famille en France. L'ILE est caractérisée. On va poursuivre sous cette qualification pour pouvoir demander une interdiction du territoire comme peine complémentaire, elle n'est pas prévue pour le vol ni le recel.

Attends un moment... Il a quel âge ? 19 ans. Donc il est arrivé à 16 ans ? Il n'y a pas un truc pour les mineurs dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ? Flûte, il faut que je vérifie.

Ha, voilà, article L.313-11, 2bis. Il aurait fallu qu'il soit confié à l'ASE, et il aurait eu droit à sa carte. Mais on lui a dit de se cacher des autorités, et voilà, c'est trop tard. J'adore ce dossier.

Dring dring.

« -Monsieur le procureur, l'interprète est arrivé, et Monsieur Ladrón est au dépôt.

« - Merci. Le B1[1] est arrivé ? »

« - A l'instant. Il est néant. »

In Petto : Primodélinquant. Ha, oui, le président Gascogne va adorer.

« - Merci. Vous me faites monter Monsieur Ladrón ?

« - Bien Monsieur le procureur. »

Quelques minutes plus tard, entre un jeune homme, menotté, escorté d'un policier.

« - Bonjour Monsieur, asseyez-vous.

« - Sientese aqui, por favor.

« - Bonjour Monsieur l'interprète. Alors vous vous appelez Ramón Ladrón Hurtero, vous êtes né le 31 juillet 1988 à Alcazaropolis, au San Theodoros.

« - El fiscal le pregunta si usted se llama Ramón Ladrón Hurtero, nacido el treinta y uno de julio del ochenta y ocho, en Alcazaropolis.

« -Si. »

In Petto : Concentre-toi sur ce que dit l'interprète, sinon, tu vas avoir une migraine avant l'audience.

« - Vous avez été arrêté pour un vol de portefeuille, et d'avoir recelé deux téléphones portables et un ticket restaurant. Qu'avez-vous à me dire sur ces faits ?

« - Sur le vol du portefeuille, il dit que c'est bien lui, il avait besoin d'argent pour manger.

« - Ha, vous reconnaissez donc ?

« -Si.

« - Parce que ce n'est pas ce que vous aviez dit à la police.

« - Il dit qu'il avait peur, les policiers criaient très fort.

« - Bon je note : Je reconnais le vol du portefeuille. Et sur les téléphones ?

« - Il dit qu'il les a acheté 20 euros chacun dans la rue des Frères Loizeau.

« - Quartier mal famé. Vous devriez peut être garder votre argent pour vous acheter à manger plutôt qu'acheter des téléphones portables. Et le ticket restaurant ?

« -Il dit que c'est un individu qui en distribuait à des amis rue des frères Loizeau, et qu'il lui en a demandé un.

« - Et pourquoi vous n'avez pas utilisé le ticket restaurant plutôt que voler un portefeuille ?

« -Il dit que c'était une bêtise et qu'il regrette.

« - Je note : C'était une bêtise et je regrette. Pour le ticket restaurant, on me l'a donné dans la rue. Bon, Monsieur, vous allez passer devant le tribunal cet après midi pour être jugé. vous voulez un avocat ou vous voulez vous défendre tout seul ?

« - Il veut un avocat.

« - Vous avez un avocat ou vous en voulez un commis d'office ?

« - Il dit qu'il n'a pas d'argent.

« - Un avocat commis d'office, c'est un avocat gratuit.

« - Alors il veut l'avocat gratuit.

« - Très bien. Il va aller voir un enquêteur de personnalité, puis il rencontrera son avocat. Merci, monsieur l'interprète.

« -Gracias, Señoria. Adios.


Laissons le vice-procureur Parquetier tranquille pour qu'il finisse ses dossiers, et retrouvons le l'après midi même. Il a revêtu sa robe et est assis dans le prétoire, au bureau réservé au procureur, sous la fenêtre, sur l'estrade, à côté du tribunal. Le box des prévenus lui fait face, la porte s'ouvrant régulièrement pour amener le stock des prévenus en emmener ceux qui ont été jugés.

Le président demande à l'huissier d'appeler la première affaire.


L'huissier annonce « Dossier numéro 4, Ladron, Ramon ». L'interprète se place à la hauteur du prévenu. Le président tend le dossier au juge de proximité, qui a préparé ce dossier.

Le juge constate l'identité du prévenu, rappelle la prévention. Froncement de sourcil du président, il a l'air de ne pas comprendre quelque chose. Il doit être en train de se dire « Tiens ? IL n'y avait pas une histoire de téléphones portables, dans ce dossier ? »

Le juge attaque les faits, mais est aussitôt coupé par le président qui lui murmure quelque chose à l'oreille.

Le pauvre rougit et bredouille, avant de demander au prévenu s'il accepte d'être jugé tout de suite pendant que le président lève les yeux au ciel. Les juges de proximité et la procédure...

Pendant ce temps, le prévenu regarde son avocat d'un air interrogatif. Bon sang, ils ne briefent pas leurs clients avant l'audience sur le fait qu'on va leur poser cette question ?

Bon, il est d'accord. Le juge de proximité reprend son résumé des faits, qui est rapide. Récit de l'arrestation, déclarations en garde à vue, et l'identification du propriétaire des tickets restaurant.

La parole est donnée au prévenu, qui renouvelle ses aveux sur le vol, et maintient qu'on lui a donné le ticket restaurant. Le président demande à la salle s'il y a des parties civiles. Silence. Petit regard en coin vers le procureur. « Ce n'est guère étonnant... ».

In Petto : Oui, je sais, on a audiencé un dossier à sept euros de préjudice, le recel des téléphones nous a claqué dans les doigts...

« Des questions ? »

C'est d'abord au procureur. Il se lève et demande au prévenu :

« Mais vous pensiez que ce monsieur qui distribuait ces tickets restaurants s'était rendu rue des frères Loizeau pour distribuer gratuitement ses tickets restaurants comme ça, par bonté d'âme ?

« -Non, traduit l'interprète, s'ils étaient à lui, il les aurait gardé pour manger. Et puis c'est réservé à ceux qui ont un travail, ça.

« - Pas d'autre question. »

In Petto : Hop, trop facile. Coup d'oeil à l'avocat du prévenu. Il secoue la tête, accablé. Hé oui, son client vient de reconnaître le recel. Il n'a pas de question. Hé. Hé. Tu m'étonnes.

« Monsieur le procureur, vous avez la parole pour vos réquisitions. »

In Petto : Bon, vu le dossier et le profil, on ne va pas être méchant. C'est un dossier qui en fait aurait dû en rester au traitement administratif par un arrêté de reconduite à la frontière, on va le remettre sur les rails qu'il n'aurait pas dû quitter...

« Inutile de s'étendre longuement sur ce dossier, qui est d'une simplicité diaphane. Le vol est établi et reconnu par le prévenu ; quant au recel du ticket restaurant, il est établi par le fait que le prévenu reconnaît qu'il savait que ce généreux mécène n'était pas le propriétaire des tickets restaurants. La jurisprudence exige que le receleur sache que le bien recelé provient d'une infraction, mais il n'a pas à connaître la nature exacte de l'infraction principale. Cette infraction, nous la connaissons : c'est le vol dont a été victime Monsieur Lampion. Enfin, le prévenu est entré sans visa, et n'est pas muni d'un titre de séjour, ce qui constitue le séjour irrégulier.

« En conséquence, vous déclarerez le prévenu coupable des trois préventions.

« S'agissant de la peine, eu égard au fait que le prévenu n'a aucun condamnation à son casier, que le préjudice a été réparé par la restitution des objets volés et recelés, je demande simplement une interdiction du territoire français d'une durée de trois ans à titre principal. Le prévenu étant sans domicile fixe et en situation irrégulière, une remise en liberté reviendrait à ce que l'infraction de séjour irrégulier continue à être commise. En conséquence, je demande que l'interdiction du territoire soit assortie de l'exécution provisoire, ce qui entraînera de plein droit son placement en centre de rétention. »

Voyons ce que l'avocat trouve à redire... ? Bon, tout va bien : il lit la lettre de Guy Môquet.

« - Monsieur le procureur...

Un avocat s'est glissé près du bureau du procureur.

« - Bonjour Maître...

« - Je suis dans le dossier Grobeauf, uméro 11, les violences conjugales...

« - Oui ?

« - Tenez, voici des conclusions en nullité que je soutiendrai tout à l'heure, et des pièces, des justificatifs du travail de mon client, bulletins de salaire, contrat de travail.

In Petto : Hé oui, on n'a pas peur de cogner sa femme mais on a peur de perdre son boulot... Bah, je comptais demander un sursis avec mise à l'épreuve pour que Monsieur aille habiter un peu ailleurs, pas l'envoyer en prison pour qu'il perde son boulot. Par contre, il va falloir lire ces conclusions et y répondre, tout en suivant les débats du dossier. Bon, le président met l'affaire Ladrón en délibéré à la suspension d'audience. L'après midi va être longue...


Épilogue : Ramón Ladrón sera condamné à une interdiction du territoire d'une durée de trois ans, avec exécution provisoire. L'audience se terminera à 22 heures 10. 16 dossiers auront été jugés.

Notes

[1] Bulletin numéro 1 du casier judiciaire. C'est le relevé le plus complet, réservé à la justice. Il est géré par un service situé à Nantes, qui répond par fax aux demandes urgentes de toute la France.

jeudi 25 octobre 2007

Un procureur raconte

Sous mon premier billet sur nos amis les procureurs (le deuxième sera mis en ligne aujourd'hui), un parquetier habitué de ces lieux, Lincoln, a laissé un commentaire racontant un peu le quotidien des procureurs. Vous verrez, le hasard a fait que ce billet se combine parfaitement avec celui que je compte mettre en ligne aujourd'hui...

Je promeus ce commentaire au rang de billet à part entière dans ma rubrique "Guests", afin que Dadouche n'en soit pas la seule locataire. Je n'ai fait que modifier un peu la mise en page et remplacé des abbréviations par le mot entier.

Merci à lui de participer à cette série de billets.


Sur la question de l'organisation du parquet (très brièvement et schématiquement...si seulement on pouvait laisser des posts vocaux) : je dirai pour faire simple que chaque magistrat du parquet se voit attribuer, par le procureur de la République, un contentieux s'agissant de la gestion du courrier.

Par exemple :

substitut DUPONT: atteintes aux personnes + mineur + environnement + armes + mixtes +....,

vice procureur DURAND: commercial, urbanisme...etc...

Ceci signifie que toutes les procédures courriers, en général des piles entières quotidiennes émanant des différents services enquêteurs, arrivent dans la case -cent fois trop petite - du parquetier qui doit les traiter selon une politique pénale en principe fixée par le procureur et discutée par l'ensemble du parquet.

La politique pénale dépend largement du type de juridiction et de la personnalité du procureur. Elle peut être extrêmement détaillée (notamment dans les grosses juridictions: des gros classeurs à emmener partout avec soi... c'est lourd), supprimant une grande partie de la liberté d'appréciation au magistrat du parquet ; ou plus lâche, fixant les grandes lignes ou même ....rien du tout.

La politique pénale est une tâche extrêmement difficile car actuellement, elle est notamment très rigoureusement encadrée par des circulaires qui ne cessent d'arriver sur tout et n'importe quoi, au gré des évènements et de l'émotion suscitée par les médias sur ces évènements en général. Car, comme chacun l'aura bien compris, la loi magico-magique résout tout et immédiatement.

En quelques années de fonction maintenant, selon les modes, et à vrai dire les affinités/accointances politiques, selon les mois, il faut "avoir des réquisitions particulièrement fermes et ne pas hésiter interjeter appel" (termes généralement utilisés) dans les domaines de...

la pêche maritime - la France ayant une astreinte par la CJCE pour carence -,
les violences conjugales,
les Infractions à la Législation sur les Etrangers (ILE),
les auteurs d'incendie,
les mineurs auteurs d'atteintes aux personnes,
les détenteurs de chiens dangereux etc...

Il faut aussi voir tous les partenaires possibles et mettre en place protocoles, conventions, réunions pour affiner cette politique pénale (dernière exemple en date: la lutte contre les discriminations).... Bien évidemment sans aucun moyen ni humain (secrétaire ?), et encore moins financier (pas un euro débloqué pour mettre en place un projet: tout doit être gratuit). Dernière exemple en date: j'ai voulu sensibiliser un collège au jeu du foulard suite à une procédure, je suis parvenu à envoyer un mail à une association après moults recherches, mais c'est payant (10 € la malette), or pas d'argent, donc pas de sensibilisation, donc rappel à la loi).

Les relations entre un procureur de la République et les magistrats de son parquet sont complexes et très dépendantes en réalité de la personnalité des uns et des autres. Vient se surajouter le parquet général, le procureur étant le subordonné hiérarchique du procureur général. Parfois, le procureur est en réalité le procureur général, c'est à dire qu'il n'y a pas de filtre.

La tâche de procureur de la République est également très difficile car il est chef de juridiction et cela implique tout un tas de tâches qu'un magistrat n'est pas formé à faire. Mais de façon générale, c'est une grande tendance, les magistrats doivent être spécialistes de tout.

Exemple récent: les frais de justice: avant chaque acte, il faut savoir combien ça va coûter puis vérifier les prix (il faut prendre des réquisitions sur ordonnance de taxe au delà d'un certain prix: il faut donc se munir d'une calculette et se rapporter à des nomenclatures pour tout recalculer...c'est un exemple parmi tant d'autres).

Dans certains parquets, le parquetier de permanence[1] doit tous les jours faire le compte rendu au procureur, dans d'autres, seules les affaires jugées dignes d'intêret doivent être évoquées, enfin, dans certains, c'est l'autonomie la plus complète. Nouveau problème: l'information permanente demande beaucoup de temps - alors que le parquetier n'en a pas - et peut amener à ce que ce soit en réalité le procureur qui décide de tout.

Pas d'information ou l'information séléctive - affaire "importante": mais selons quels critères ? - pose un problème de responsabilité: si jamais, pour une raison X ou Y, souvent très incompréhensible, l'affaire "sort" dans la presse - affaire qui souvent n'a rien d'extraordinaire mais la presse fait aujourd'hui l'évènement et non l'inverse, et que tel ministère est prévenu avant la chancellerie - et que l'information n'a pas suivi le canal hiérarchique, le malheureux substitut en prend pour son grade alors qu'objectivement, il n'y avait rien d'intéressant à dire. Souvent même, les affaires les plus graves, mais classiques, n'intéressent absolument pas le parquet général. En revanche, ce qui peut être potentiellement médiatisé, et c'est parfois bien difficile de comprendre le raisonnement de l'illustre auteur de la feuille de chou local, peut avoir de lourdes répercussions.

D'où ce terrible réflexe, pour être enfin tranquille, d'appeler le parquet général pour tout pour être "couvert", à eux ensuite de faire le tri et de porter la responsabilité. A début, on a peur de déranger et puis après, quand on a eu à essuyer quelques demandes d'explications peu amènes pour des broutilles, et bien, on se couvre et on se demande même pourquoi il existe encore des juridictions du premier degré (enfin, en réalité, on le sait...)

Un parquet, ce sont avant tout des personnes, parfois au tempérament très différent, et souvent très loin des petits pois tous identiques, et sans saveur. D'ailleurs, de façon générale, dans la magistrature, à la différence de bien d'autres corps, j'ai l'impression que la diversité, dans les tempéraments et les parcours, est bien plus présente qu'ailleurs peut être tout simplement parce que le contradictoire[2], c'est un principe essentiel du droit français (?). Le procureur, grand DRH, va devoir trouver un équilibre: on s'aperçoit souvent de sérieux déséquilibres de charge de travail, le principe voulant souvent que plus on est gradé, moins on ait de tâches du quotidien. Il faut aussi noter que la modification des grades, depuis quelques années, a considérablement brouillé la situation à tel point que la magistrature semble désormais une armée de mexicains. Le substitut se fait rare, et il y a souvent plus de chefs que de lampistes. Avant, être un vice-procureur avait un sens et correspondait à un rôle et une fonction spécifique, le bras droit du procureur. Maintenant, il n'y a plus aucune différence dans la plupart des parquets entre le travail du vice-procureur et un substitut...et lorsqu'il y a plusieurs vice-procureurs, aucun n'a une véritable légitimité.

Le procureur anime donc la politique pénale et la coordonne sur son ressort. Il va pouvoir la déléguer aux magistrats du parquet: la tendance actuelle est à une multiplication des démarches vers l'extérieur dans des domaines extrêmement variés, aboutissant parfois à faire du parquetier un spécialiste de choses très ...loin du juridictionnel.

Exemple : la numérisation des procédures pénales: un parquetier est directeur de projet dans ce domaine qui touche à de vrais problèmes informatiques, souvent sans appui ni humain ni logistique. Il faut comprendre le matériel, organiser la numérisation (qui fait quoi ? quand ? comment ?), signer la convention avec les barreaux etc etc....

Le parquetier croule sous les tâches et on lui en demande toujours plus en ayant de moins en moins avec une rémunération, notamment pour les permanences qui peuvent revenir très régulièrement dans les petits parquets (ex chez nous: une semaine sur trois, jour et nuit, et il faut tout faire) décidément qui ne permet pas de justifier son maintien en poste. On touche ainsi une trentaine d'euros brut par nuit - et encore, avant, il n'avait rien du tout pour aller voir Madame Z dans son bain de sang à deux heures du mat à SAINT GIRON LES DESERTS à 80 bornes (lieu inventé) et être tout frais et dispos pour les trois défèrements, et l'ouverture d'information judiciaire le lendemain matin..ce n'est pas très attractif.

Effectivement, je crains que dans quelques années, le parquet n'attire plus et par nécessité, car il n'y a rien d'autre de proposé aux auditeurs de justice (nom des élèves magistrats) sortis de l'Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) : bon courage à eux !

Mais quand serons-nous enfin comme des fonctionnaires de la DDE ou, mieux, ...des bornes informatiques (la borne ne se trompe pas, applique la loi et que la loi, et rend un ticket immédiatement) ? Qui en veut ? (dans la dernière circulaire, la borne est très prisée: clin d'oeil aux collègues qui jetteront un coup d'oeil sur la circulaire sur les victimes).

Se plaindre est effectivement consubstantiel à la nature humaine: c'est pourquoi je finis sur une note d'optimisme sinon on me répétera que je ne suis pas bien dans mes baskets de parquetier (ben, j'aimerai bien la voir avec des baskets au parquet...), on y croit tous -enfin presque - et on tient le coup mais parfois, à l'issue d'une grosse permanence - comme aujourd'hui -, on aimerait bien jeter l'éponge ...sur le parquet (mais sans faire de blessé par glissade, sinon, qui va-t-on appeler ....?)

Notes

[1] Voir mon billet de ce jour.

[2] Principe qui veut qu'avant qu'une décision soit prise, chaque partie concernée soit mise à même de présenter ses arguments. C'est un principe essentiel du procès.

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