Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 13 mars 2007

Quelques réflexions sur les 500 signatures

A chaque élection présidentielle, le même refrain revient dans la bouche des petits candidats sur l'injustice et l'antidémocratisme du système des 500 signatures, condition préalable à une candidature à la présidence de la république.

Je vous en propose une lecture sous l'angle essentiellement juridique, pour tenter de vous démontrer que ce système est loin d'être aussi injuste qu'on le dit, et que ceux qui s'en plaignent le plus ne sont pas ceux qui en souffrent le plus, les manipulations mensongères étant fréquentes ici, comme vous le verrez.

Première inexactitude : il faudrait avoir 500 signatures pour être candidat. Vous aurez remarqué que les candidats, ce n'est pas ce qui manque ces temps-ci. Or les 500 signatures n'ont pas encore été déposées au Conseil constitutionnel, pour aucun d'entre eux.

Pourtant, on les entend, on les voit, on parle d'eux. Beaucoup de candidats se sont déclarés, et alors qu'aucun d'entre eux ne peut apporter la preuve qu'il remplit bien les conditions des 500 signatures, ils ont d'ores et déjà un accès médiatique certain. Que bon nombre d'ailleurs utilise pour se plaindre de leur accès médiatique insuffisant à leur goût. Bref, la démocratie fonctionne déjà, bien avant le dépôt des fameux formulaires, et les candidats sont d'ores et déjà candidats. Les 500 "signatures" ne servent qu'à devenir officiellement candidat, à avoir le droit de participer au premier tour de scrutin.

Au fait, ces 500 signatures, ça vient d'où ? La constitution est en effet muette sur les conditions d'accès à la candidature.

C'est une loi organique[1], la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962, modifiée en dernier lieu le 21 février 2007 qui pose cette règle dans son article 3. La constitution (article 6) renvoie en effet à une loi organique le détail de l'élection du président de la république, la constitution ne posant que le principe de son élection au suffrage universel direct et la durée de son mandat.

En réalité, c'est une erreur de parler de parrainages. La loi parle de présentation. En effet, les membres du collège que définit la loi (j'y reviendrai) ne sont pas censés répondre à une sollicitation des candidats, mais à dire, au besoin spontanément, que selon eux, Untel ferait un bon président.

Avis aux élus qui me lisent : vous pouvez proposer ma candidature...

Qui peut présenter un candidat, donc ? La liste est sur cette page, pour un total d'environ 47000 personnes. Il est donc largement abusif de parler des maires, même s'ils représentent l'écrasante majorité de ce collège (36000) et qu'un grand nombre d'entre eux ne dépendant d'aucun parti, ils sont supposément plus enclins à présenter un candidat hors grand parti, outre l'avantage de leur répartition géographique.

Car il ne suffit pas d'avoir 500 présentations : il faut en outre qu'ils viennent d'au moins 30 départements sans que plus un dixième d'entre eux, soit 50, soit élus du même département ; étant précisé que deux départements virtuels ont été institués pour représenter la circonscription des élus au parlement européen et ceux des Français de l'étranger.

Quand le Conseil constitutionnel reçoit la liste des présentations (ce qui doit être fait avant ce vendredi 18 heures), après avoir vérifié leur nombre et leur répartition, la première chose qu'il doit faire est ainsi de recueillir le consentement du présenté à être candidat.

Sur le principe, cette sélection des candidats n'a à mon sens rien de scandaleux ; elle est même indispensable. Le fait d'être candidat officiel donne accès aux médias audiovisuels sur une base égalitaire. Imaginez la cacophonie si des centaines, voire des milliers de candidats se présentaient, certains uniquement pour vanter les mérites de leur commerce, de leur secte, ou pour dénoncer des complots imaginaires.

Le filtrage par les élus impose au candidat une certaine crédibilité auprès de personnes ayant elle même emporté une élection. Le collège assure que les grands partis seront représentés, que les candidats autonomes peuvent obtenir les présentations nécessaires, et que les candidats ayant refusé de jouer le jeu de de la démocratie en centrant tout autour de leur personne auront les plus grandes difficultés à être candidats.

Tout système a des effets pervers, qui sont montrés en exemple pour démontrer l'inanité du système. Le sophisme est ici patent : ce n'est pas parce que dans un cas, la solution paraît insatisfaisante que le système en entier est mauvais.

En l'occurrence, l'effet pervers pris systématiquement en exemple est la candidature de Jean-Marie Le Pen, qui aurait du mal à réunir les présentations, tandis que des candidats condamnés à un score plus que modeste (pensons à Marie-Georges Buffet, candidate du PCF), y arrivera aisément. Que diantre, s'exclament les démocrates vertueux, Jean-Marie Le Pen, qui était au second tour en 2002, pourrait ne pas être candidat en 2007 ? Assurément, la République est malade !

Et bien, ça reste à voir.

Prenons un instant l'hypothèse, à laquelle je ne crois pas un instant, que les larmes de Jean-Marie Le Pen ne soient pas de crocodile[Mise à jour du 14/03/07 : Bingo.], et qu'il ait bien du mal à réunir ses présentations. Comme à chaque élection où il parvient malgré tout in extremis à les réunir, rugissant victoire sur le système qui voudrait le faire taire, pour le plus grand plaisir de ses électeurs.

A quoi est donc due cette difficulté, qui par sa répétition montre pourtant sa prévisibilité ? Pourquoi diable ce candidat, devenu familier à notre scène politique, aurait du mal en 2007 ce qu'il a réussi à avoir en 1974, pour un score final de 0,75%, et que le PCF, avec des scores inférieurs à 9% depuis 1988 obtient sans peine ?

Tout simplement : au refus du Front national de jouer le jeu de la démocratie. La démocratie, ce n'est pas la conquête exclusive du pouvoir, le tout ou rien, le refus du compromis. Par son programme, par ses propos provocateurs, le chef du Front national s'est donné un rôle d'infréquentable. Il n'est que voir que chaque fois que des tentations sont apparues au sein de branches du RPR (la branche Pasqua) et du FN (Bruno Mégret) de faire alliance en échange d'un assouplissement du discours du FN, le leader frontiste n'a jamais manqué brûler les ponts, comme ce fut le cas avec son fameux « point de détail », lancé en septembre 1987, soit dès le début de la campagne présidentielle.

Il se pose en candidat de la rupture absolue, et ce depuis son élection en 1956 sur les listes de l'UDCA de Pierre Poujade, avec son fameux slogan : « Sortez les sortants » repris à son compte par le FN. En démocratie, cela le condamne à un rôle de témoignage, qui dans le fond lui convient fort bien à mon avis. Ainsi, hors l'élection présidentielle, qu'il n'est pas déshonorant de perdre, Jean Marie Le Pen ne se présente qu'à des élections proportionnelles (européennes, régionales) dans une circonscription (Provence Alpes Côte d'Azur) où il est sûr d'être élu, quand bien même il est né en Bretagne et habite à Saint-Cloud, en région parisienne. Jamais Jean-Marie Le Pen n'a été élu à un scrutin local uninominal pour la bonne et simple raison qu'il ne se présente jamais à un tel scrutin. Jamais maire, jamais conseiller général. De même, trois communes sont passées au Front national en 1995, mais cela a vite tourné au fiasco. Toulon a été perdu aux élections suivantes, le maire d'Orange a quitté le Front national pour le MPF de Villiers, et le maire de Marignane a quitté le FN dès 1998 pour le MNR de Bruno Mégret avant de rejoindre l'UMP. Citons encore Vitrolles, tombée dans l'escarcelle du FN en 1997, avant que le maire ne soit invalidé, n'utilise son épouse comme proxy, et ne quitte le FN en décembre 1998.

Bref, au plan local, le bilan du FN est désastreux.

Le PCF, lui, a appris depuis longtemps à jouer le jeu du compromis et de la négociation. Il a des élus au niveau local, maires, conseillers généraux et régionaux, et même des députés en passant des accords avec le PS. C'est un comble, quand on repense à son histoire, que le PCF puisse ainsi donner des leçons de fonctionnement républicain...

Marie-Georges Buffet aura ses 500 signatures, sans aucun problème. Elle fera un score lamentable, faute pour le PCF d'avoir rénové son idéologie au même titre que son acceptation des compromis.

Le Pen fera un bon score pour son idéologie inchangée depuis trente ans, mais galère pour trouver ses présentations faute pour lui d'avoir accepté les compromis qui impose une modération des idées.

Mais, me répondra-t-on, n'est-il pas scandaleux que celui qui était au second tour en 2002 ne pût pas être candidat en 2002 ?

Non, absolument pas.

Tout le monde se souvient du 21 avril mais semble avoir oublié le 5 mai 2002. Jean-Marie Le Pen, au deuxième tour, a obtenu 17,79% des suffrages, soit à peine plus que son score du premier tour (16,67%). C'est un refus massif, jamais vu en démocratie, dans une élection nationale à deux candidats. 82,21% des voix pour son adversaire... Même De Gaulle face à Mitterrand n'avait fait que 55,2%, le record précédent étant Pompidou face à Alain Poher avec 58,5%. Bref, Le Pen n'a clairement pas la moindre chance d'être un jour président de la République. Il est condamné à d'humiliantes défaites au second tour.

Dès lors qu'il est établi que Le Pen ne sera jamais un candidat sérieux, pourquoi serait-il antidémocratique qu'il soit écarté du scrutin par l'application des mêmes règles qui s'appliquent aux autres candidats ? Qu'il soit écarté par les élus avant le premier, ou par 82% des électeurs au second tour, le résultat est le même : la République ne veut pas de lui. Le système de sélection des candidats vise à écarter ceux qui perturbent le jeu démocratique plus qu'ils n'y participent.

Mais 15% des électeurs seront privés de candidat, me dira-t-on ?

La belle affaire : si pour eux c'est Le Pen ou rien, et bien ce ne sera rien, que Le Pen soit candidat ou pas. Ils ne peuvent plus l'ignorer depuis 2002. Qu'ils cherchent ailleurs le candidat le plus proche de leurs idées et votent pour lui, exigent de leur candidat qu'il mette de l'eau dans son vin et accepte d'intégrer le jeu démocratique, ou aillent à la pêche si cet effort intellectuel qu'est la participation à la démocratie est hors de leur portée. L'élection présidentielle n'est pas l'occasion de cracher dans une urne tout son mécontentement accumulé des années durant, c'est faire fonctionner la République qui est en cause. Qu'ils ouvrent un blog ; une élection, c'est sérieux.

Enfin, et pour conclure, la complainte des 500 signatures est à mon avis un joli air de pipeau.

En effet, que disent les candidats qui nous chantent le blues du parrainage ? Ils en sont tous à 420, 450, 480... Quel suspense !

Pas un seul candidat qui dise : Bon, j'ai péniblement obtenu 30 présentations, j'ai compris, grenouille, j'ai voulu me faire aussi grosse que le boeuf. Et non. Il faut se plaindre sans avoir l'air ridicule. Il faut y être presque. Bref, en quelques semaines, les parrainages sont tombés comme à Gravelotte, et, coquin de sort, ce sont toujours les 20 dernières présentations qui se font prier. Avec en prime la victimisation : on crie à la pression faite par son adversaire principal pour que des élus se dédisent de leur promesse de présentation, sans expliquer comment diable on fait pour surveiller 47000 élus.

Et surtout, c'est toujours un certain nombre de présentations qui manquent. Pour souligner l'aspect inique : voyez il m'en manque 20, 10, 7 ! Et si les présentations étaient abaissées à 400, gageons que ce serait : « regardez : j'en suis à 390, 395... »

Car avez-vous remarqué ? Pas un seul candidat qui se plaigne de la deuxième règle des présentations : le double plafond 30 départements- pas plus de 50 par département. Pourtant, ça doit singulièrement compliquer leur tâche. C'est quand même curieux que pas un seul, y compris Le Pen, ne dise : « j'ai 550, 600 présentations, mais il me manque un, deux ou trois départements, ou je dépasse le quorum de 50 dans plusieurs départements ». Ce serait pourtant une belle preuve de l'iniquité du système.

Mais voilà : 500 signatures, c'est facile à comprendre, ça passe bien. Geindre sur un double plafonnement un peu compliqué, ça passe beaucoup moins bien.

D'autant qu'il n'y a aucun moyen de vérifier l'état réel d'avancement des présentations : seul le candidat sait exactement où il en est.

En 2002, on entendait la même antienne. Et jamais il n'y eut autant de candidats. Les élections de 2002 ont elles été pour autant les plus démocratiques ?

Allons, bas les masques. Le Pen aura ses 500 signatures et sera candidat, s'il le veut. Reste à savoir s'il en a vraiment envie, à 78 ans, après une défait humiliante en 2002 qu'il essaie, avec un certain succès, de faire passer pour une victoire cinq ans après.

Quoi qu'il advienne de lui, ne comptez pas sur moi pour pleurer sur son sort en maudissant la République. Qu'elle me garde d'un président comme ce monsieur est exactement ce que j'attends d'elle, et de mes concitoyens.

Notes

[1] Une loi organique est une loi votée par le parlement selon une procédure légèrement dérogatoire, qui notamment prévoit la saisine systématique du Conseil constitutionnel. Les lois organiques sont prévues par la constitution qui renvoie à une telle loi les détails pratiques d'application de certaines dispositions de la constitution ; ainsi le statut de la magistrature relève-t-il d'une loi organique, de même que le vote du budget.

jeudi 8 mars 2007

Parlons programme : François Bayrou sur la justice

Au tour de François Bayrou de passer par la machine à décortiquer.

Photo : Assemblée Nationale

Le document qui m'a servi de base de travail est la page "Justice" et Sécurité de son site.

« La confusion entre Etat, justice, gouvernement, majorité ne peut pas durer. Il faut que l’État trouve sa justice, lui aussi. Le Conseil d’État, qui n’est pas composé de magistrats, ne saurait être juge et partie, associer les fonctions de juge et de conseil du gouvernement. C'est un grand sujet pour le sommet de l'État en France - cela va de pair avec la volonté d'indépendance de la société française.

Le Conseil d'Etat, créé par Napoléon et imité dans plusieurs autres pays européens, a en effet une double casquette, et est organiquement divisé en deux grandes sections : la section administrative et la section du contentieux.

La section administrative examine les textes préparés par le gouvernement, que ce soit des projets de loi destinés à être soumis au parlement ou des décrets qui entreront en vigueur dès leur signature par le premier ministre. C'est un examen qui est loin d'être une formalité. Les conseillers d'Etat sont d'impitoyables correcteurs et pointent du doigt, au cours d'un éprouvant oral subi par les représentants du gouvernements (qu'on nomme commissaires du gouvernement, à ne pas confondre avec ceux de la section du contentieux) les risques d'illégalité et d'inconstitutionnalité du texte. L'avis rendu à cet occasion est en principe confidentiel, mais est gardé précieusement par le Conseil pour le jour où ce texte ou un acte de l'administration pris en application de ce texte serait soumis au juge administratif.

Vous avez dans ce billet un exemple d'avis de la section administrative. Certains "grands avis" sont rendus publics, comme le célèbre (si, si, il est célèbre, je vous jure) avis du 27 novembre 1989 sur le foulard islamique.

Le Conseil d'Etat n'est là que pour donner un avis. Le gouvernement n'est jamais tenu de le suivre. Parfois, d'ailleurs, il ne le suit pas, et se fait retoquer par le Conseil constitutionnel.

La section du contentieux est quant à elle la juridiction suprême pour le droit administratif, qui échappe aux juges ordinaires (on dit juges judiciaires par opposition aux juges administratifs) depuis la Révolution. Cette section ne donne pas un avis : elle juge en droit, et peut annuler jusqu'aux décrets du gouvernement (mais PAS les lois, personne ne le peut encore en France).

Pour résumer, la section du contentieux est là pour que l'Etat ne fasse pas n'importe quoi, tandis que la section administrative est là pour que l'Etat n'ait pas d'excuses pour avoir fait n'importe quoi.

Voilà la double casquette que le candidat de l'UDF rejette : juge du droit et conseiller du gouvernement, juge et partie.

A cela, je répondrai : Ca fait deux siècles que ça marche, et ça marche plutôt bien. Le Conseil d'Etat a depuis longtemps fait la preuve de son impartialité, et JAMAIS un conseiller qui a participé au travail de conseil dans la section administrative ne siège dans la formation contentieuse qui va examiner la légalité de l'acte (mais cette formation a accès à l'avis qui a été donné au gouvernement, et si la section administrative qui a examiné le texte n'a pas vu le risque d'annulation par la section du contentieux, ses membres doivent, à titre de gage, repeindre les colonne de Buren. Vu l'état actuel de ces colonnes, vous pourrez constater de visu l'efficacité du travail de la section administrative du Conseil[1]. Le fonctionnement du Conseil d'Etat n'est pas sans heurts du fait de cette dualité, comme l'explique Passant Anonyme dans ce commentaire fort éclairant (des fois, je me dis que je ne mérite pas mes lecteurs).

Surtout, François Bayrou n'explique pas ce qu'il veut mettre à la place. Qui serait le juge suprême en matière de droit administratif ? Bien sûr, cela supposera un débat à l'assemblée et non un oukase présidentiel, mais j'eusse aimé en savoir un peu plus quand on lache un tel ballon d'essai.



Je veux un Garde des Sceaux indépendant du gouvernement (c’était une proposition de Raymond Barre en 1988). Il sera investi, sur proposition du président de la République, par le Parlement, à la majorité des trois quarts par exemple, de manière qu’il échappe aux préférences partisanes. Il devra animer un débat annuel de politique pénale devant le Parlement.

Cela rappelle l'idée de procureur de la nation du candidat Sarkozy, mais cette fois, les détails sont donnés. Cette proposition nécessiterait une réforme de la Constitution, ce qui va compliquer les choses.

Ce Garde des Sceaux indépendant appartiendrait-il toujours à l'exécutif ? Le fait qu'il anime un débat de politique pénale devant le parlement semble indiquer que oui. Mais dans ce cas, cela signifie que la politique pénale échapperait au gouvernement pour être confiée au parlement. La logique de la chose m'échappe. Le parlement vote la loi, l'exécutif la fait appliquer. Il est naturel que le gouvernement dirige la politique pénale, en donnant des instructions aux parquets, qui sont son bras séculier. Les parquets n'étant que parties aux procès, et non juges, cette intervention n'a rien d'anormal. Ma crainte est que ce Garde des Sceaux indépendant aura bien du mal à pourvoir défendre le budget de la justice, déjà fort mal traitée avec un Garde des Sceaux membre du gouvernement, puisqu'il ne participera ni à son élaboration (ou alors il n'est plus indépendant du gouvernement) ni à sa discussion (puisqu'il ne fait pas partie du gouvernement).

Enfin, la majorité qualifiée des trois quart est totalement irréaliste : songez qu'il serait plus difficile de nomemr le Garde des Sceaux que de réviser la Constitution ! Cela posera des problèmes pour trouver une personnalité entraînant un tel consensus. Je crois que François Bayrou pense à Robert Badinter à ce poste ; fort bien, il pourrait obtenir l'aval de l'assemblée. Mais après ? Qui obtiendrait les trois quart des voix ? Et si personne ne les trouve, la France n'a plus de Garde des Sceaux ? François Bayrou précise bien qu'il s'agit d'un exemple. le réalisme imposera une majorité qualifiée bien moindre.

Le même résultat, ou approchant, pourrait être obtenu en nommant un Garde des Sceaux, membre du gouvernement, mais à l'autorité morale incontestable. C'est à dire non pas un politique, souvent même pas juriste, récompensé pour sa servilité, mais un haut magistrat, judiciaire ou administratif, ou un professeur de droit, ça s'est déjà vu après tout.

Deux questions d’indépendance se posent à l’intérieur du corps judiciaire. D’abord, la gestion des carrières : le Conseil [Supérieur]de la Magistrature doit avoir une composition équilibrée de magistrats et non-magistrats, et ses membres être investis par le Parlement à une majorité qualifiée. Ensuite, l’indépendance du parquet, sous l’angle des nominations ; les procureurs généraux doivent être nommés par le Garde des Sceaux indépendant, après avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature.

Point commun avec le programme de Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy allant plus loin en les mettant en minorité.

J'ai déjà parlé du Conseil Supérieur de la Magistrature dans le commentaire du programme de Nicolas Sarkozy, je vous y renvoie (point n°6).

Je ne vois toujours pas en quoi renforcer à ce point le nombre des membres non-magistrats est nécessaire pour la gestion des carrières, mais je ne suis pas technicien du statut des magistrats. On sent poindre l'envie de diminuer l'influence des syndicats de magistrats ; c'est la seule explication que je vois.

Les procureurs généraux sont actuellement désignés en Conseil des ministres, après avis du CSM, avis consultatif, le parquet est le bras séculier de l'Etat, le gouvernement est donc souverain. Les nominations aux postes clefs (surtout à Paris, en fait) sont de fait très politisées, disent les magistrats. Mais comme nous veillons à élire des présidents d'une probité au dessus de tout soupçon, qu'importe que le locataire de l'Elysée désigne des proches au poste de celui qui pourrait décider de ne pas poursuivre d'éventuelles frasques commises avant son élection à la présidence de la république, n'est-ce pas ?

La proposition de François Bayrou vise à rendre un avis conforme du CSM obligatoire, pour interdire les nominations trop politiques. L'idée n'est pas sans conséquence : c'est la fin d'un contrôle du politique (qui bénéficie malgré tout d'une légitimité démocratique) sur une autorité naissant d'une désignation ; comme se demande Philippe Bilger, « Les [magistrats] intelligents mais non complaisants gagneront-ils au change », à troquer l'approbation du pouvoir à celui des élus de la profession ?

En tout état de cause, quand cette proposition s'inscrit dans un bloc qui inclut de changer la composition du CSM pour diminuer l'influence des magistrats au profit de personnalités extérieures plus sensibles à l'aspect politique des nominations, on se demande si le candidat ne reprend pas d'une main ce qu'il a donné de l'autre...

Je soutiens l’idée d’un juge de l’instruction, qui soit rétabli - c'est une garantie pour le citoyen - dans un rôle d’arbitre, sollicité par l'accusation ou la défense. Deux garanties instaurées pour l’enquête seront en même temps des garanties pour le citoyen : la collégialité, avec la création de pôles d’instruction, et la transparence : audiences publiques à intervalles réguliers, enregistrements audio ou vidéo des auditions et gardes à vue.

Je ne comprends pas le rétabli. Le juge d'instruction n'a jamais été arbitre : il est acteur de l'enquête, qu'il mène de la façon qu'il décide, sous la surveillance des parties, avocats et parquet. Si arbitre il y a, c'est la chambre de l'instruction, qui peut être saisie par la voie de l'appel de nombre de décisions du juge (citons le refus de mise en liberté, ou le refus d'acte demandé par une des parties, ou encore le non-lieu à suivre) voire directement en cas d'inaction du juge d'instruction. J'interprète cette formule comme une volonté de mettre en valeur le rôle "à charge et à décharge du juge d'instruction", ce qui sous entend que le juge d'instruction privilégierait l'un ou l'autre de ces aspects (je vous laisse deviner lequel dans l'esprit du législateur...).

Donc, il s'agirait d'en faire un arbitre, sollicité par l'accusation ou la défense. Première innovation : il faudrait créer une accusation au stade de l'instruction. Bref, il s'agit, sans le dire clairement, de passer du système inquisitoire au système accusatoire.

Je rappelle le schéma actuel : le ministère public (par l'intermédiaire de la police judiciaire, qui sont ses yeux et ses oreilles, ainsi son bras armé ; en fait, le ministère public, c'est un cerveau et une bouche) découvre qu'un crime ou un délit grave a été commis, ou a des raisons de penser qu'il en a été commis un. La police a, sous sa direction, mené une enquête, qui a réuni certains éléments, mais qui sont insuffisants pour établir la réalité de ce crime, identifier son auteur, ou quand bien même ces deux premiers points ont été établis, laissent subsister trop de zones d'ombre pour que cette affaire soit en état d'être jugée. Il va donc confier l'enquête à un juge d'instruction par un réquisitoire introductif, contre personne dénommée si l'auteur des faits est connu, ou contre X... s'il est inconnu. Le juge d'instruction procède à tout acte lui paraissant nécessaire à la manifestation de la vérité dans le respect de la loi (la Question Extraordinaire est ainsi exclue), de son propre chef. Quand des indices graves et concordants laissent à penser qu'une personne est l'auteur des faits, il la met en examen, statut qui donne accès au dossier par l'intermédiaire d'un avocat, permet de demander des actes, mais qui permet aussi un placement sous contrôle judiciaire voire en détention provisoire. Le juge d'instruction peut aussi, s'il n'y a pas d'indices graves et concordants, lui donner le statut de témoin assisté, qui donne les mêmes droits, mais exclut toute mesure restrictive de liberté.

Les parties peuvent demander des actes (entendre telle personne, confronter telle et telle autre, ordonner une expertise sur tel et tel points...) que le juge peut refuser s'ils lui semblent inutile à la manifestation de la vérité, refus qui peut être soumis à la chambre de l'instruction.

L'instruction ne vise pas à prouver la culpabilité du mis en examen mais à découvrir la vérité. Le parquet a autant intérêt que la défense à ce que l'innocence d'un mis en examen soit démontrée, puisqu'il n'a pas le goût des erreurs judiciaires. Il n'y a donc pas d'accusation, quand bien même il y a une défense, mais une défense des droits et libertés de la personne faisant l'objet d'une enquête coercitive de la justice.

A la fin de l'instruction, le juge rend une ordonnance disant qu'il existe des charges suffisantes contre Untel d'avoir commis ces faits et le renvoie devant la juridiction compétente pour être jugé, ou dit n'y avoir lieu à continuer les poursuites, parce que les faits ne sont pas établis, ne constituent pas une infraction ou que l'auteur en est resté inconnu.

Le juge d'instruction n'est donc pas arbitre mais juge. Juge des actes qu'il doit accomplir, juge des mesures portant atteinte aux libertés qu'il doit prendre (renouvellement de garde à vue, perquisition surprise, contrôle judiciaire limitant les déplacements) ou solliciter du juge des libertés et de la détention (placement sous mandat de dépôt, même si le parquet ne le demande pas), ou du moment d'y mettre fin. Il y a un arbitre au stade de l'instruction : c'est la chambre de l'instruction de la cour d'appel (ex chambre d'accusation) qui peut être saisie d'un recours contre un très grand nombre d'actes du juge d'instruction.

Un système accusatoire laisserait au parquet la charge de mener l'enquête comme il l'entend, la défense pouvant s'opposer à une mesure ou au contraire en demander une, le juge tranchant en cas de refus du parquet.

C'est le système anglo-saxon. Il a des mérites et des limites.

Ce qui à mon sens le rend peu souhaitable, c'est qu'il a un coût bien plus lourd pour la personne poursuivie, car l'avocat doit consacrer bien plus de temps au dossier, avec des audiences devant ce juge-arbitre à répétition. De plus, le parquet est, au même titre que le mis en examen, partie au procès. Quand bien même je ne sombre pas dans la caricature du procureur à la Fouquier-Tinville, attaché à la condamnation à tout prix (lisez donc le blog de Philippe Bilger, avocat général, pour voir que convictions assumées et honnêteté intellectuelle ne sont pas incompatibles), et que je n'oublie pas que les procureurs sont aussi magistrats, la perspective d'avoir face à moi un procureur d'instruction ne me séduit pas, quand je sais que ce sera un de ses collègues, voire lui-même, qui à l'audience sera mon contradicteur. Il n'est pas neutre, puisqu'il est mon adversaire. Ca n'implique pas qu'il soit biaisé ou malhonnête. Mais je préfère avoir face à moi un juge, qui n'a pas pour mission de défendre la société, mais de rechercher la vérité. Que certains juges d'instruction (très rares, dieu merci, car quel mal ils peuvent faire) n'aient pas un comportement conforme à leurs fonctions est un autre problème, mais en faire des parquetiers ne règlera pas le problème ni ne diminuera leur capacité de nuisance.

Pour assurer l’indépendance du parquet, les fonctions de juge et de procureur doivent être clairement séparées. Les représentants du parquet doivent demeurer des magistrats.

Proposition commune aux trois candidats. Mais quand on sait que cette proposition figurait déjà dans l'escarcelle du candidat Chirac en 2002, on voit qu'il y a parfois loin de la coupe aux lèvres. Ségolène Royal propose une séparation au bout de dix ans, Nicolas Sarkozy tout de suite, le cas échéant en faisant des procureurs des agents de l'Etat et non des magistrats. François Bayrou se distingue en laissant leur statut de magistrat aux parquetiers, ce qui implique donc une formation commune à l'Ecole Nationale de la Magistrature, et un choix définitif de l'un ou l'autre corps à la sortie.

Je renvoie à mes observations sous le programme de Nicolas Sarkozy, point n°4, et de Ségolène Royal, point n°4 également. Mon opinion n'a pas changé.



Pour les avocats, je veux défendre l’idée d’un internat (par analogie avec les internes en médecine. Des jeunes avocats seraient payés pour ce travail, par exemple à plein temps comme les magistrats et avec une rémunération similaire), comme moyen d’une égalité des chances en matière judiciaire, pour ceux qui relèvent de l’aide juridictionnelle. Pour répondre à l’inquiétude, parmi les avocats, sur les moyens matériels d’exercer leur mission, un système d’assurance serait généralisé.

Ha, un candidat qui s'intéresse à ma chapelle. L'idée de l'internat est séduisante pour les jeunes avocats, qui auront ainsi une rémunération décente. Songez par exemple qu'il y a quelques temps, j'ai dû attendre cinq heures un dimanche au palais qu'un juge des libertés et de la détention puisse présider un débat contradictoire pour savoir s'il mettait ou non mon client en détention. Pour ces cinq heures perdues loin de ceux que j'aime[2], outre la demi-heure que durera le débat contradictoire, j'ai été payé, plusieurs semaines plus tard, la somme de 21 euros HT. Quand je parle de décence, je pèse mes mots.

Cependant, cette idée d'internat soulève des difficultés : comment sélectionner ces jeunes avocats ? Quand leur internat s'achèvera, comment feront-ils pour s'installer, sans clientèle ? Comment croire que ceux qu'ils ont défendu gratuitement accepteront de payer ensuite fort cher pour les garder alors qu'ils peuvent en avoir un autre gratuitement ? Je suis contre toute idée de fonctionnarisation de la profession d'avocat, et cette idée me semble ouvrir la boîte de Pandore, en offrant pendant quelques années un confort d'exercice avant de précipiter ces internes dans les tracas de celui qui doit tout à coup devenir chef d'entreprise. Comment enfin assurer la surveillance du travail des internes tout en respectant leur indépendance ?

Pourquoi ne pas tout simplement réviser l'aide juridictionnelle en assurant aux avocats intervenant à ce titre une vraie rémunération, ce qui permettra aux justiciables de choisir éventuellement leur avocat y compris parmi les expérimentés, assurera l'indépendance de l'avocat qui conservera son exercice en cabinet libéral, et lui permettra de consacrer le temps et l'énergie nécessaire à ces dossiers sans mettre son cabinet en danger ? Parce que ça coûte cher ? Mais puisqu'on parle d'aligner la rémunération de ces internes sur celle des magistrats, des fonds conséquents devront être mobilisés. Autant qu'il serve à l'aide juridictionnelle qu'à un internat qui tient du cadeau empoisonné.



Quant aux prisons, je propose deux axes : la réhumanisation des lieux d’emprisonnement et la recherche de toutes les alternatives à la détention et à l’emprisonnement, notamment pour les jeunes.

Qui serait contre la réhumanisation des prisons, sans même savoir ce que cela veut dire au juste, ni à quel moment les prisons françaises sont censées avoir été humaines ?

Quant aux alternatives à l'emprisonnement, notamment pour les jeunes, les juges d'application des peines seront ravis de savoir qu'ils font partie du programme de François Bayrou. Cela fait longtemps qu'ils déploient des trésors d'inventivité et d'optimisation des moyens de l'administration pénitentiaire pour éviter au maximum la mise à exécution des peines d'emprisonnement courtes, très désocialisantes, dès lors que le condamné fait preuve d'une réelle volonté de réinsertion (il cherche activement un travail, a repris des études sérieusement, indemnise la victime). Il s'agit donc que de continuer ce mouvement que personne ne conteste, tant on sait qu'une peine aménagée ou une libération anticipée diminue énormément le risque de récidive. Il ne s'agit en rien d'une proposition révolutionnaire.



Je ne résume pas les problèmes de la justice à une question de moyens, mais la question est essentielle. Je propose de doubler le budget de la Justice en 10 ans, par des lois de programmation multi-partisanes. »

Proposition commune à Ségolène Royal, qui n'indique toutefois pas de délai pour cela. Quand on sait que les objectifs financiers de la dernière loi quinquennale de programmation de la justice n'ont que très partiellement été tenus, vous me permettrez ici une moue dubitative, surtout s'agissant d'un engagement dont le terme est au-delà du mandat sollicité.

  • Sur la sécurité :

(...)



Sanctionner tôt, dès le premier délit, serait bien souvent la meilleure prévention (il est absurde de séparer prévention et sanction) : face à la délinquance juvénile, la sanction doit être ultrarapide et éducative. La prison est une impasse, un pourrissoir, on en sort caïd : je suis pour des sanctions qui remettront le jeune au contact de l'autorité : rigoureuses et éducatives. Les travaux d'intérêt général surveillés deviendront une obligation, avec l'encadrement correspondant.

Le problème est que "ultrarapide" et éducatif sont souvent difficilement conciliables. Les mesures éducatives supposent une certaine connaissance de la personnalité du mineur et de sa situation personnelle. Certes, passer trop de temps à étudier cette situation rend la sanction sans intérêt, car six mois, pour un mineur, c'est la préhistoire (un an, c'est une autre vie). Mais une décision trop vite prise sera souvent inadaptée. Il y a un point sur lequel il est possible de jouer : c'est le temps perdu dans un dossier faute du personnel suffisant pour les traiter. Où on voit revenir la question des moyens, à laquelle tout ne se résume pas mais quand même un peu. Quant à l'idée du travail d'intérêt général automatique, elle me paraît difficilement compatible avec l'article 4.2 de la convention européenne des droits de l'homme : « Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire ».



On rendra systématique un principe de réparation du tort causé à autrui ou à la collectivité.

Ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, article 12-2 issu de la loi n°93-2 du 4 janvier 1993 :

« Le procureur de la République, la juridiction chargée de l'instruction de l'affaire ou la juridiction de jugement ont la faculté de proposer au mineur une mesure ou une activité d'aide ou de réparation à l'égard de la victime ou dans l'intérêt de la collectivité. Toute mesure ou activité d'aide ou de réparation à l'égard de la victime ne peut être ordonnée qu'avec l'accord de celle-ci.»

Il n'y a pas de raison que seule Ségolène Royal propose des lois qui existent déjà, fût-ce depuis 14 ans.

Une loi sera votée pour la protection des victimes contre les représailles.

Cela fait longtemps que les violences commises « sur un témoin, une victime ou une partie civile, soit pour l'empêcher de dénoncer les faits, de porter plainte ou de déposer en justice, soit en raison de sa dénonciation, de sa plainte ou de sa déposition » sont aggravées. Qu'apportera donc cette loi de nouveau ? Mystère et boule de gomme.



Je proposerai que le maire ou le président de l’intercommunalité - seul responsable accessible et identifiable par le citoyen - ait autorité sur la police de proximité.

C'est chose faite depuis le 5 mars dernier avec le vote de la loi 2007-297 du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance.



La prévention commence par la famille : quand j'ai donné cette claque à Strasbourg, j'ai reçu des milliers de lettres, dont beaucoup de parents immigrés. Ils me disaient : ‘Vous avez bien fait, mais si nous donnons une claque, c'est l'assistante sociale’. Il y a un immense effort à conduire pour l'éducation des parents ! Quand il y a abandon de toute responsabilité, les allocations familiales doivent pouvoir être mises sous tutelle.

Ha, le fantasme des parents démissionnaires qui touchent les allocations en se désintéressant de leurs enfants. Comme quoi la lepénisation des esprits atteint même le centre. Le fait que des milliers de parents lui aient écrit pour dire "bravo, mais nous on ne peut pas sans s'attirer des ennuis" ne semble pas lui avoir mis la puce à l'oreille. C'était pourtant la phrase d'avant...



La loi doit être la même pour tous. Il faut donner l’exemple, au plus haut : je suis contre le principe d’amnistie lié à l’élection présidentielle. »

Bravo ! C'est une honte de nous tuer la clientèle ainsi tous les cinq ans.


En conclusion, là aussi, pas un mot sur la justice civile. La justice administrative est abordée, sous l'angle de la démolition du Conseil d'Etat, ce qui ferait presque regretter qu'elle ait été traitée.

Même sentiment de catalogues de mesures diverses, ou l'originalité semble avoir pris le pas sur la cohérence, pour changer des choses qui ne posent pas de problème particuliers, et rester vague sur les engagements essentiels : désignons un super Garde des sceaux, réhumanisons les prisons, réformons le CSM pour le reprendre aux juges, doublons le budget sur dix ans (ce qui, compte tenu de l'inflation, allège considérablement l'effort réel de l'Etat), supprimons le Conseil d'Etat comme juge administratif, et hop, voilà, ça fait un programme.

Sur la question de la sécurité, seul le problème de l'enfance est abordé. Sont-ce nos enfants qui sont devenus nos ennemis, dont l'Etat doit nous protéger ? Si nous en sommes là, quelle tristesse...

Prochain épisode : Jean-Marie Le Pen. Sous réserve qu'il ait ses 500 signatures, mais je n'ai guère de doutes sur le sujet. Il nous a déjà fait le coup dans le passé. Mais ça ne risque pas d'arranger ma mélancolie.

Notes

[1] L'auteur ayant un caractère facétieux, il ne garantit pas à ses lecteurs l'authenticité de cette dernière anecdote.

[2] Pour les curieux que me demanderaient pourquoi je ne suis pas rentré chez moi, on m'avait annoncé l'arrivée du JLD dans deux heures. Il n'est arrivé que cinq heures plus tard.

vendredi 2 mars 2007

Quand le gouvernement Villepin vote le programme de Ségolène Royal

Et voilà. Moi et ma grande g...

Il suffit que j'écrive sous la proposition de Ségolène Royal d'instaurer la collégialité de l'instruction :

Le juge d'instruction travaillera en collégialité. Là, matériellement, c'est impossible, et le rendre systématique n'est pas opportun.

pour que le gouvernement exauce le rêve de la candidate socialiste.

En effet, la loi tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale a été adoptée le 22 février 2007 (Elle n'est pas promulguée, elle est pendante devant le Conseil constitutionnel), et son article premier institue la collégialité systématique de l'instruction.

C'était impossible ; ils l'ont fait.

Cette loi pose deux problèmes, de nature totalement différentes, mais assez préoccupants.

Notons pour commencer, sans que cela soit vraiment préoccupant, que cette collégialité, c'est à dire le fait que toute instruction sera menée par trois juges d'instruction, dont un du premier grade, donc ayant une certaine ancienneté, rendra impossible le maintien de cabinets d'instruction dans des tribunaux à une ou deux chambres, puisque par définition, il n'y a qu'un ou deux juges d'instruction dans ces juridictions. La collégialité ne s'accommode pas de l'éloignement. Il va falloir d'urgence réformer l'organisation judiciaire, puisque cette loi entrera en vigueur trois ans après sa promulgation. Pensez vous que le législateur de la 12e législature se sera préoccupé de cela ? Non, après lui, le déluge.

Là où ça devient préoccupant, c'est quand on voit l'aberration que contient le futur article 1.

En effet, cet article prévoit une série d'actes qui devront impérativement être pris collégialement, c'est à dire après une délibération commune. Elle ne suppose pas l'unanimité, mais impose cette réflexion collective, authentifiée par un greffier. Voici ce que dit la loi (je graisse) :

Ce collège de l’instruction exerce les prérogatives confiées au juge d’instruction par le présent code. Les décisions de mise en examen, d’octroi du statut de témoin assisté à une personne mise en examen, de placement sous contrôle judiciaire, de saisine du juge des libertés et de la détention et de mise en liberté d’office, ainsi que les avis de fin d’information, les ordonnances de règlement et de non-lieu doivent être pris de manière collégiale. Les autres actes relevant de la compétence du juge d’instruction peuvent être délégués à l’un des juges d’instruction composant le collège.

La mise en liberté d'office, c'est quand la détention d'un mise en examen est devenue illégale : le mandat de dépôt a expiré, son renouvellement n'est pas possible ou la procédure de renouvellement n'a pas été respectée, ou un non lieu a été rendu. Bref, il y a urgence à libérer et aucune contestation possible quant à cette libération. De fait, le directeur d'établissement qui tarderait à libérer le prisonnier commettrait le délit de séquestration arbitraire, qui devient un crime au-delà de sept jours.

Et pourtant, la loi va exiger que la mise en liberté d'office soit prise collégialement, ce qui retardera nécessairement la libération d'une personne détenue illégalement. Mieux : la décision de mise en liberté tout court, qui, elle, suppose que la détention soit encore légalement possible, mais que le juge ne l'estime plus nécessaire, ne figurant pas dans cet alinéa, peut donc être prise par un juge d'instruction statuant seul, sans l'avis de ses collègues.

Quand ils n'ont pas le choix, les juges doivent délibérer, quand ils ont le choix, ils peuvent décider seul. On croit rêver. On voudrait rêver.

Soit je ne comprends pas la subtilité confucéenne de cette loi, soit il y a un beau bug. Espérons que le Conseil constitutionnel censurera les mots "d'office" au nom de la sûreté, principe reconnu par l'article 5 de la convention européenne des droits de l'homme et l'article 7 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789.

[Mise à jour] : Il y aurait bien subtilité confucéenne, merci à la remarque pertinente de parquetier ci-dessous : ce terme de mise en liberté d'office s'entendrait uniquement de la mise en liberté décidée par le juge d'instruction sans qu'il soit saisi d'une demande à cette fin, prévue à l'article 147 du CPP. Dont acte, je préfère l'interprétation d'un texte qui lui donne un sens cohérent. Notons toutefois la schizophrénie de cette loi qui quelques articles plus loin contient un article visant à "assurer le caractère exceptionnel de la détention provisoire". La détention doit être exceptionnelle, mais la mise en liberté doit quand même être mûrement réfléchie collégialement...

Le Conseil constitutionnel. Voilà le deuxième problème.

Vous savez qu'un nouveau président a été nommé. Il prend ses fonctions le 4 mars à zéro heure, soit dimanche, à l'heure ou blanchit la plaine. Si le Conseil n'a pas vidé ses saisines demain au plus tard, le président du Conseil Constitutionnel qui examinera la constitutionnalité de ces lois sera la même personne qui présidait l'assemblée qui a voté ces lois. C'est même sa signature qui authentifie le texte adopté le 22 février par l'assemblée et qui est devenu loi après avoir été adopté le même jour par le sénat (voyez tout en bas de la page).

A ma connaissance, c'est une première dans l'histoire de toutes les démocraties que de voir une cour constitutionnelle présidée par celui qui a examiné en tant que président de l'assemblée législative le texte qu'elle a à juger (Il est vrai qu'il n'a présidé aucune des séances où cette loi a été examinée et n'a probablement pris aucune part à son adoption, mais l'absentéisme est-il une garantie de neutralité ?). C'est une violation de la séparation des pouvoirs, de l'indépendance et de l'impartialité du juge, et qui ne peut faire l'objet d'aucun recours.

La première décision de Jean-Louis Debré, en tant que président, devrait être de refuser de siéger tant que des textes de la 12e législature seront examinés. J'espère qu'il le fera.

Décidément, notre président actuel, qui a nommé Jean-Louis Debré à ce poste, n'aura eu de cesse de marquer de son empreinte le fonctionnement de la Ve république. Après avoir promulgué des lois non applicables, le voilà qui nomme des présidents ne pouvant pas siéger. Pour un peu, je dirais qu'il me manquera.

jeudi 1 mars 2007

Commentaire en direct de "Nos Juges" : La Liberté Sous Conditions

Bonsoir. Deuxième épisode de la trilogie sur nos juges. Ce soir : un juge d'application des peines, ou "JAP" (prononcer "Jappe").

  • Le JAP peut être saisi sans formes par un détenu. C'est ce qu'a fait le premier prévenu, épileptique. Avant de statuer, le juge peut rencontrer le condamné. C'est cet entretien que nous voyons, il ne s'agit pas d'une audience à proprement parler. Le JAP a un bureau dans le centre de détention pour éviter de lourds transfèrements au palais de justice. En région parisienne, vu la taille des prisons, ce n'est pas le juge, mais un agent de probation du SPIP (Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation) qui assure ces permanences et fait le travail de préparation des dossiers. Je ne sais pas si cette JAP est particulièrement consciencieuse ou n'a pas d'agent du SPIP à sa disposition.


  • Oui, toutes les prisons sont aussi déprimantes qu'elles en ont l'air.


  • Les éléments pris en compte par le JAP pour envisager une libération conditionnelle sont, outre la personnalité et le comportement du condamné en détention, les efforts faits pour indemniser les victimes, et le projet mis en place pour la sortie : promesse d'embauche, logement à la sortie. Un JAP ne mettra personne dehors s'il n'a pas de domicile ni de travail.


  • Je parie que le détenu qui avait promis un coup de fil de ministre a été condamné pour escroquerie. Sous prétexte qu'ils ont dupé quelques personnes, ils pensent pouvoir berner aussi les avocats et les juges. Et pour certains, les condamnations répétées n'ébranlent pas leur conviction en leur faculté de persuasion...


  • Ces audiences sont récentes. C'est la réforme de la loi Perben II qui a prévu les débats contradictoires en présence facultative d'un avocat pour les demandes de libération conditionnelle. Ces audiences sont facultatives si le juge pense accorder la mesure. Ce sont donc des dossiers "limites" qui sont examinées en audience. Le directeur d'établissement donne un simple avis.


  • La "semi-liberté" est en fait la semi détention : le condamné passe la nuit en prison (pas dans les mêmes cellules que les condamnés) et sort la journée pour aller travailler ou suivre une formation. Les week-ends peuvent faire l'objet de permissions.


  • Encore un escroc. Admirez la qualité de l'expression orale, le dossier fourni, l'argumentation bien développée. Mais le dossier se révèle bancal. Le procureur s'oppose bien prévisiblement.


  • Tiens ? Qu'est ce que c'est que cette délibération avec le procureur, une fois le condamné sorti ??


  • Il est inexact de dire que la juge ne décide pas, n'accepte ni ne refuse : elle a décidé. L'ajournement est une décision, prévue par la loi. Notons la différence de comportement du condamné lors de la notification. Il n'est plus l'humble pénitent, il est la victime d'une "honte" pour la justice française...


  • Audience de la femme homicide. Pas facile, ce dossier...


  • Le juge ramène le procureur en voiture en lui servant de chauffeur... Je n'ai rien contre le co-voiturage, mais entre ça, et la discussion informelle à la porte "je ne sais du tout ce que je vais faire dans ce dossier", je souris en pensant aux magistrats qui se défendent de toute collusion entre le siège et le parquet. La distance nécessaire entre le juge et les parties, et le procureur est une partie, est ici clairement abolie. La moindre des choses serait qu'ils s'interdisent de parler de ces dossiers une fois l'audience achevée. Je n'aime pas trop cela.


  • Les décisions de placement en quartier disciplinaire, le "mitard", sont prises non par le JAP mais par ce qu'on appelle "le prétoire", une commission disciplinaire présidée par le directeur d'établissement accompagné d'un représentant des gardiens. Depuis 2000, le détenu peut être assisté d'un avocat. C'est un accident législatif qui l'a permis. le législateur a voté un texte qui s'appliquait au prétoire sans qu'il s'en rende compte. Le JAP n'a pas le pouvoir de lever une décision de mitard, qui est une sanction administrative et peut, depuis peu là aussi, faire l'objet d'un recours devant le tribunal administratif. Il y a dix ans encore, un prisonnier était condamné au mitard sans être défendu et sans recours possible. France, pays des droits de l'homme.


  • Demande de permission de sortie. Elles sont de la compétence du JAP. Elles ne sont pas prises en audience, car elles ne modifient pas la peine. C'est une commission, présidée par le JAP, où participe l'administration pénitentiaire.


  • Audience du TAP : Tribunal d'application des peines. Il traite notamment les demandes de libération conditionnelle pour les prisonniers condamnés à plus de dix ans et à qui il reste plus de trois ans à exécuter (art. 730 du code de procédure pénale). C'est ce qu'on voit ici.


  • Délibération du tribunal immédiate. Les juges profitent du fait d'être réunis pour délibérer tout de suite. Ces secondes qui durent des heures... Bien sûr que le condamné qui va être libéré dit merci. Curieux que les juges ne comprennent pas cela. Ce prisonnier condamné pour viol est un "pointeur", il est menacé tous les jours et est considéré comme un moins que rien par les autres détenus. Il est depuis des années dans un endroit où le temps semble ne pas bouger. Le tribunal lui accorde le retour à la vie. Merci est le mot qui vient spontanément à l'esprit. Les juges préféreraient être sûrs qu'il ne récidivera pas, bien sûr. Eux vivent dans le futur, lui sort d'un présent immobile. Le malentendu est inévitable.


Déjà fini ? Le temps passe vite quand on s'amuse.

Le prochain Burgaud sera un JAP ? Non : un JAP ne peut mettre un innocent en prison. Enfin, si, il peut, techniquement, mais il ne sera pas celui qui a commis l'erreur. Mais c'est certain que c'est un poste exposé avec l'état d'esprit sécuritaire actuel. Ce documentaire a hélas mis en lumière un élément tout à fait exact : la triste absence des avocats des prétoires des JAP. Non pas que nous boudions la matière, mais rares sont les prisonniers qui veulent ou peuvent exposer les frais d'un défenseur. C'est dommage. On ne fait pas que monter les dossiers, on explique les enjeux au condamné qui comprennent mieux ce qui les attend dehors.

Un manque à ce documentaire : le travail du JAP hors les murs de la prison. Le JAP a un bureau au palais de justice, et traite les dossiers des condamnés à de la prison ferme pour moins d'un an (et c'est la majorité des peines), des sursis avec mise à l'épreuve, des placements sous bracelet électronique, et c'est une part importante de leur activité.

La semaine prochaine, troisième épisode : le juge d'instance. La justice civile, à nouveau, qui juge les litiges entre particuliers.

vendredi 23 février 2007

Parlons programme : les propositions de Nicolas Sarkozy sur la justice. (Le pavé du week end)

Chose promise, chose due. Voici mon commentaire des 16 propositions de l'UMP en matière de justice. Le prochain épisode sera sur François Bayrou.

C'est un pavé, vous avez de quoi tenir jusqu'à lundi. Bon week end.

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L'assemblée nationale est morte, vive l'assemblée nationale !

L'assemblée nationale a clos hier ses travaux pour la 12e législature, sauf événement imprévu, comme une très prévisible élection d'un nouveau président, l'actuel étant appelé à une prébende récompensant une fidélité sans faille à de plus hautes fonctions relevant de ses compétences.

Le dernier texte adopté est le projet de loi sur le droit opposable au logement. J'en ai déjà parlé, d'autres l'ont fait mieux que moi, d'autres ont été plus drôles, mais qui d'autre pouvait mieux résumer en une seule phrase l'escroquerie intellectuelle de cette loi que la propre ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité (à lire dans le compte rendu de séance, tout à la fin) :

Mme la Ministre déléguée – Je voudrais remercier l’ensemble des parlementaires pour cette unanimité. Dorénavant, les conditions sont réunies pour faire du droit au logement une réalité, conformément à la volonté du Président de la République. Il ne reste plus qu’à en faire un droit concret pour chacun de nos concitoyens.

C'est une réalité, mais pas concrète, vous comprenez ?

Traduction : Le plus dur est fait : on a voté une loi disant que ça existe. Aux suivants de s'occuper des détails, comme faire que ça existe vraiment.

Je crois que cela illustre parfaitement la folie actuelle du législateur, qui voit dans le vote d'une loi l'alpha et l'oméga de toute action politique, et la peste soit de la réalité, qui est connue pour avoir un fort parti-pris anti-gouvernemental.

La XIIe législature s'est choisie une bien triste épitaphe.

jeudi 22 février 2007

Discussion sur "Nos Juges", 1er épisode : le tribunal de désamour.

J'ouvre dès maintenant ce fil de commentaire sur le documentaire de France 2 qui va passer alors que j'écris ces lignes, pour vos impressions, commentaires, observations et questions.

  • Bon, ça commence mal, la voix off avant le générique dramatise inutilement.
  • Ha, Créteil, quel beau TGI. Vue imprenable sur l'A86 et les voies SNCF... 15 étages de haut.
  • Première affaire : un grand classique, une affaire d'exercice de l'autorité parentale. La juge est saisie à nouveau à peine trois mois après car les décisions en la matière n'ont jamais l'autorité de la chose jugée, car l'intérêt de l'enfant peut exiger qu'à tout moment, on change les modalités ou tranche une difficulté. Très souvent, ce sont les époux qui utilisent cette procédure pour tenter de jouer un match retour. Ce genre de scène d'engueulade est de fait assez fréquent.
  • Un petit tour en médiation, c'est très à la mode, les modes alternatifs de règlement des litiges, mais en matière familiale, ça peut être utile.
  • Médiation échouée. Le juge tranche. Ce ton d'engueulade est typique des affaires familiales. C'est vraiment une matière à part.
  • Deuxième affaire : audience collégiale. Notez que les architectes de 1974 ont supprimé l'estrade en matière civile. Résultat, quand on se lève pour plaider, on toise les juges comme un professeur sa classe. Du coup, les juges demandent aux parties de rester assises. Là, c'est la procédure TGI qui s'applique (représentation obligatoire) mais souvent, vu les matières en cause (adoption ici), la loi impose la comparution des parties.
  • Mince, je refais du live blogging. Je vais encore me faire houspiller.
  • Le procureur est présent car l'adoption concerne l'état civil, qui relève également des attributions du ministère public.
  • Le décorateur des salles civiles de Créteil devrait être envoyé aux galères. Il serait condamné à fouetter à perpétuité celui qui a décoré les salles d'Evry.
  • L'adoption est prononcée, tout le monde est content, mais le saviez-vous ? Cette adoption n'a aucune conséquence directe sur la régularité du séjour. La petite Zhou risque toujours une arrestation, un placement en centre de rétention jusqu'à 32 jours, et une reconduite en Chine par la force. On peut espérer qu'un juge administratif mette le holà, mais encore faudrait-il qu'il soit saisi dans les 48 heures de la décision d'éloignement. Le droit des étrangers, une matière magnifique.
  • Troisième affaire : Audience d'autorité parentale, avec allégations d'attouchements. Ca, c'est dur. C'est une accusation terrible à l'égard du père, mais on ne peut prendre de risque pour l'enfant. Le pire c'est que même quand les attouchements n'existent pas, l'autre parent peut en être sincèrement persuadé. Il peut vivre dans un délire auto-suggéré. Difficile de l'en extirper. Et le comportement de l'enfant avec son père n'est pas une preuve. Un jeune enfant aimera toujours ses parents, même si l'un d'eux est un tortionnaire.
  • Quatrième affaire : Audience de divorce menée par une auditrice de justice (élève magistrate). Voyez le bonheur d'avoir une partie sans avocat. L'audience se passe en deux temps : d'abord, les époux sont reçus seuls par le juge pour qu'il s'assure de leur réelle volonté de divorcer. C'est une règle un peu surannée, qui remonte à la réforme du divorce de 1975, quand le divorce avait une charge symbolique et sociale plus grande qu'aujourd'hui. Application de la règle non écrite dans le code de procédure civile s'appliquant aux avocats : toujours s'asseoir entre les époux pour éviter un échange de coups.
  • Illustration de la formation des magistrats. Dur d'avoir de l'autorité. Elle s'en sort bien, l'auditrice, elle n'a pas un dossier facile. Pas d'avocat pour l'époux qui parle mal français et est un rien borné.
  • Cinquième affaire : Divorce par requête conjointe, dans une séparation déjà réglée et bien gérée. Le dossier bien huilé. Une séparation d'adultes, quoi. C'est assez fréquent, en fait. Ca réconforte. En fait il y a toujours des blessures qui existent, sinon il n'y aurait pas de séparation, mais elles n'ont pas leur place dans un cabinet de JAF. Mine de rien, il y a aussi un travail de l'avocat en amont, pour régler les aspects juridiques et pratiques. Un dossier qui arrive comme ça sans souci, c'est aussi un bon travail d'avocat.

Fin de l'épisode.

Globalement, c'est pas mal du tout, ce documentaire, car la caméra a su se faire invisible. Peu de commentaires en off (les miens suffisent largement...), les magistrats semblent avoir parfaitement accepté l'équipe et leur parlent à coeur ouvert. La matière des affaires familiales a bien été traversée, on a vu un peu tout ce que fait un JAF. Et c'est si rare qu'on s'intéresse à la justice civile.

Rendez vous mercredi prochain (attention, pas jeudi) pour le deuxième épisode.

mardi 20 février 2007

Inside the délibéré

Comme annoncé, voici un billet d'une guest star,

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lundi 12 février 2007

Mise à jour du commentaire du programme de Ségolène Royal en matière de justice

Avant de m'attaquer au candidat de l'UMP, je reviens sur les propositions faites hier dans le cadre du "pacte présidentiel" présentée par Ségolène Royal. Je n'ai pas regardé les "Cahiers d'Espérance" présentés sur le site Désirs d'avenir, synthèse des débats participatifs, j'ai déjà assez de mal à m'y retrouver.

Le chapitre consacré à la justice s'intitule "La Présidente de la lutte contre toutes les formes de violence", page 11 et suivantes du document pdf. Comme c'était prévisible, la justice n'est abordée que sous l'angle de la justice pénale, et encore, uniquement sur les violences. Exeunt la justice civile, qui règle les litiges entre particuliers ou entre consommateurs et professionnels, et la justice administrative, qui règle les litiges entre l'Etat et ses diverses extensions (collectivités locales, établissements publics) et les administrés. Mais comme nous le verrons, de ce point de vue, les autres candidats ne font guère mieux.

Neuf propositions sont formulées, divisées en deux parties.

La première est "Lutter résolument contre les violences". Prenez vous ça dans les dents, ceux qui voulaient lutter avec pusilanimité contre les violences.

50- Rétablir la civilité :
- Apprendre la civilité aux enfants : des programmes d’éducation au respect de l’autre pour apprendre aux enfants à gérer les conflits par la parole plutôt que par la violence.
- Garantir à chacun de voyager sans crainte dans les transports en commun (RER, TER, trains de banlieue, tram et bus, spécialement la nuit) en imposant des obligations règlementaires plus grandes aux transporteurs (recours plus grand aux équipements technologiques, personnel plus importants aux horaires sensibles…).
- Mettre en place des gardiens dans tous les immeubles sociaux.

Bon, en fait, on est assez loin de la justice, là. Apprendre la civilité aux enfants, je trouve la proposition limite insultante, tout de même. Ha, mais non, on ne parle que des enfants des autres, bien sûr, pas de ses petits anges. Et quant à garantir à chacun de voyager sans crainte : s'agit-il d'un droit au voyage serein opposable ?

51- Lutter contre les violences scolaires en renforçant la présence des adultes dans les établissements :
- Recruter des surveillants des collèges.
- Doter chaque établissement d’une infirmière scolaire et d’une assistante sociale à temps plein.

De la prévention, dans la tradition du parti socialiste. Pas d'information sur le financement, dans la tradition politique française.

52- Etre ferme face aux mineurs violents :
- Mettre en place une politique de prévention précoce de la violence : encadrement éducatif renforcé, mise en place de tuteurs référents.
- Développer les brigades des mineurs dans chaque commissariat des grandes zones urbaines.
- Prendre des sanctions fermes et rapides : un plan d'urgence sera mis en place pour la justice des mineurs (recrutement de juges des enfants, d’éducateurs, de greffiers)
- Mettre en oeuvre des solutions nouvelles pour extraire les mineurs de la délinquance : suppression des peines de prison pour les mineurs en dehors des cas d’atteintes graves aux personnes ; développement des centres éducatifs renforcés, si besoin avec un encadrement militaire.

Tiens, Ségolène Royal fait du Nicolas Sarkozy, là. La justice des mineurs ne serait pas ferme (les juges seraient-ils donc démissionnaires ?), et il faut des sanctions rapides. C'est là l'objet de la loi sur le prévention de la délinquance en cours de discussion devant le parlement, qui instaure une sorte de comparution immédiate pour mineurs. Parallèlement à cette fermeté, elle parle de supprimer les peines de prison pour les mineurs hors les atteintes graves aux personnes (c'est quoi la définition de la gravité ?). C'est moi ou il y a une légère contradiction dans le message, là ?

53- Faire de la lutte contre les violences conjugales une priorité nationale :
Faire adopter une loi cadre sur les violences conjugales prenant en compte tous les aspects permettant d’éradiquer ce fléau.

Je ne reviens par sur ce que j'ai déjà dit sur l'accumulation de lois en la matière.

Sur la forme : une loi cadre serait contraire à la constitution. L'article 34 de la Constitution prévoit que c'est la loi qui seule peut fixer les règles en matière de procédure pénale et déterminer les crimes et les délits et les peines qui sont applicables. Une loi cadre fixe des objectifs généraux et renvoie au décret pour prendre les mesures d'application. Le législateur ne pourra pas se défausser sur l'exécutif, il faudra que ce soit la loi qui fixe toutes les mesures.

Sur le fond : je ne peux m'empêcher de frémir. On nous refait le coup de 1998. On érige en cause nationale une cause avec laquelle tout le monde ne peut qu'être d'accord. En 1998, c'était la protection des mineurs victimes d'atteintes sexuelles, dans la foulée de l'affaire Dutroux. La lutte contre ce "fléau national" justifie une loi très répressive, faisant bon compte de la présomption d'innocence et des droits de la défense. L'opposition en rajoute dans le répressif pour ne pas se faire doubler sur sa droite. Et les graines sont semées, qui ont permis le fichage génétique systématique des délinquants, qui retirent au juge le pouvoir d'adapter la peine, jusqu'à la faculté d'écarter l'inscription au bulletin numéro 2, qui poussent les juges à la détention systématique à cause du "trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public causé par l'infraction", et qui ont fini par éclore à Outreau. Avec la faculté d'autocritique du législateur que la commission parlementaire a démontré. Mais ça marche, que voulez vous. On nous a refait le coup avec la loi de lutte contre le terrorisme en 2005, votée par l'UDF, le parti socialiste s'étant courageusement abstenu. Chaque fois que le législateur trouve un thème pour nous faire renoncer avec enthousiasme aux protections que nous offre la loi, sous le prétexte qu'elles ne protègent que les pédophiles, les terroristes et les maris violents, on ouvre la porte à une catastrophe. Et le législateur n'apprend jamais.

54- Créer une nouvelle police de quartier pour mieux assurer la sécurité quotidienne :
- Procéder à une répartition plus juste des effectifs : donner la priorité aux renforcements quantitatifs et qualitatifs des zones sensibles.
- Affecter des policiers expérimentés, bénéficiant d'une réelle différenciation de rémunération, dans les secteurs plus difficiles (avantages de carrières, aides au logement, etc.)

Le retour de la police de proximité. Puis-je ajouter une suggestion : afin de faire bénéficier selon le même principe chaque échelon de l'Etat de la sagesse de l'expérience, si nous veillions à affecter chaque ministre et président sortant à un simple conseil municipal dans une ville à problèmes ?

55- Aider les victimes : - Faciliter et moderniser le dépôt de plainte pour briser la loi du silence : amélioration de l’accueil dans les commissariats par la mise en place de travailleurs sociaux de la police nationale, possibilité de déposer plainte via Internet. - Mettre un avocat à la disposition des victimes de violences graves dans l'heure suivant le dépôt de plainte.

Améliorer l'accueil dans les commissariats, j'abonde. Porter plainte par internet, quelle bonne idée. Voilà qui nous met à l'abri des dénonciations calomnieuses et anonymes. Mettre un avocat à disposition des victimes dans l'heure qui suit, c'est moi ou il s'agit d'une obligation qui pèsera sur NOUS, avocats, plutôt que sur l'Etat? En tout cas, cela fait longtemps qu'un service d'aide aux victimes existe dans les principaux tribunaux (Créteil a été pionnier à ce sujet) et qu'un avocat est présent pour les victimes aux audiences de comparution immédiates. Encore faut-il que les victimes viennent à l'audience, et en soit informées, information qui pour l'heure incombe au greffe du parquet qui laisse un message sur le répondeur téléphonique de la victime (et je l'ai vu faire une fois dans une affaire de vol de portable, ledit portable étant placé sous scellés ; non, la victime n'est pas venue à l'audience).

  • Deuxième partie, intitulée : Répondre au besoin de justice.

56- Doubler le budget de la justice pour la rendre plus rapide et respectueuse des droits.

Allelulia. Que cette promesse là soit tenue, et vous verrez déjà que la justice fonctionnera bien mieux. Mais quand je vois que le gouvernement précédent n'a pas tenu ses engagements pris dans une loi quinquennale sur la justice, le doute m'habite.

57- Faciliter l’accès à la justice des plus modestes : - Renforcer l’aide juridictionnelle. - Renforcer les maisons de la justice et du droit - Mettre en place un service public d’aide au recouvrement des dommages et intérêts alloués aux victimes.

Renforcer l'aide juridictionnelle n'est pas "augmenter" l'aide juridictionnelle. Je reste circonspect.

L'idée d'un service d'aide au recouvrement des dommages intérêts alloués aux victimes me semble une bonne idée ; on pourrait l'appeler "avocat", par exemple. Rappelons que le principal obstacle à ce recouvrement est l'insolvabilité de l'auteur des faits, insolvabilité souvent renforcée par son incarcération. Il existe actuellement un système d'indemnisation public, mais il est réservé aux atteintes aux personnes les plus graves (plus de trente jours d'incapacité totale de travail, ou des séquelles définitives, ou une atteinte sexuelle), et ne s'applique pas aux atteintes aux biens sauf si elles ont de graves conséquences pour la victime. Mais "l'aide au recouvrement" n'étant pas le recouvrement effectif, je doute que l'heure soit à l'extension de dispositif. On peut le regretter : obliger l'Etat à prendre en charge le coût de sa carence à sa mission d'assurer la sécurité de ses citoyens serait autrement plus efficace que les numéros verts, service ad hoc et proclamations solennelles déployées jusqu'à présent...

58- Protéger les citoyens :
- Assurer la présence d’un avocat dès la première heure de garde à vue.

Tiens ? Je croyais que c'était déjà le cas depuis la loi du 15 juin 2000. Et visiblement, les officiers de police judiciaire le croient aussi.

- Encadrer strictement le recours à la détention provisoire dont la France use beaucoup plus largement que les autres pays européens, en imposant notamment des délais butoirs.

Des délais butoirs ? Comme ceux de l'article 145-1 et 145-2 du Code de procédure pénale ? C'est une manie chez cette candidate de faire voter des textes qui existent déjà.

- Renforcer les alternatives à la prison préventive.

Ce qui implique au préalable la création du concept de prison préventive. "Vous n'avez rien fait, mais ça ne saurait tarder, je préfère prendre les devants". Le PS a trop aimé Minority Report...

- Assurer dans les prisons des conditions qui permettent la réinsertion du détenu.

Ca fait deux siècles qu'on le dit. Ca fait deux siècles qu'on oublie de dire comment. L'état du désastre actuel en la matière a de quoi préoccuper et nécessite plus que des déclarations d'intention vertueuses.

- Créer un organe indépendant de contrôle des prisons.

Comme le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, qui est venu il y a un an dresser un état des lieux qui fait honte à la France ? Et si plutôt on tenait compte de ses observations ?

Bref, rien de vraiment nouveau par rapport aux documents publiés jusqu'à présent. Peu de mesures concrètes, mais c'est l'exercice qui veut ça, visiblement, comme le révélera mon analyse des programmes des autres candidats. Et après, on se plaindra de ce que le débat ne prenne pas de la hauteur...

vendredi 9 février 2007

Soyez le juge des comparutions immédiates, le délibéré

Le tribunal, après en avoir délibéré, a déclaré le prévenu coupable et en répression l'a condamné à quinze jours d'emprisonnement sans mandat de dépôt. Le prévenu a donc été aussitôt remis en liberté, dans l'attente d'une convocation devant le juge d'application des peines.

Les travaux d'intérêt généraux, proposés par beaucoup d'entre vous, ont été écartés du fait des maladies invalidantes du prévenu. Faire effectuer les TIG est déjà assez difficile, car la législation sociale s'applique aux TIG, et on est en présence d'un invalide. Ce serait refiler un casse tête au JAP.

Deux commentaires sous le billet original méritent d'être repris. Ils sont rédigés par des magistrats, ou du moins se présentant comme tels mais leur qualité me paraît crédible ; le premier est très drôle à condition de n'être que le fruit de l'imagination de l'auteur, et le second, rédigé par un juge d'application des peines, est je crois exactement le raisonnement tenu par le tribunal.

Voici le premier.

Les suites:

1/ l'audience est levée, je rentre dans la salle des délibérés en multipliant les protestations outrées et théâtrales devant mes assesseurs contre le choix de la compa faite par le parquetier de permanence (sauf si le parquetier en question est cette belle brune aux yeux bleus du bureau 4, qui elle n'est que la victime de la hiérarchie parquetière).

L'auditeur de justice m'approuve car je le note, le juge de proximité m’approuve également car de toute façon il approuve tout ce qui porte une robe, l'assesseur, prénommé Averell, s'en fout car son vrai métier c'est JAF.

2/ j’ouvre en soupirant le dossier de la procédure, me tourne vers les assesseurs en leur demandant : « bon, vous en pensez quoi ? ».

L’auditeur : « quelles sont les sanctions possibles ? » (qu’est-ce que j’en sais, c’est toi qui viens de l’ENM, je comptais sur toi pour me le dire, ah vraiment on est pas aidé !)

Le juge de proximité : « mais pourquoi les gens sont-ils aussi méchants, quand je raconte les audiences à mes amis du Rotary ils n’y croient pas ?»

Averell : « A quelle heure on mange ? »

3/Instruit par ces avis, j’avance prudemment l’idée de 3 mois SME pendant 2 ans, avec obligation de soins psychologiques, et obligation d’exercer une activité professionnelle ou de suivre une formation. Averell est partant, l’auditeur aussi, le juge de proximité également car il approuve tout ce qui porte etc…

Donc va pour 3 mois SME sur 2 ans avec obligation de soins psychologiques, et obligation d’exercer une activité professionnelle ou suivre une formation, avec exécution provisoire.

4/Nous reprenons l’audience.

5/Je lance d’un ton grave et sévère-mais-juste les multiples informations et notifications qui doivent désormais être réalisées par le président d’audience : durée du suivi, risque en cas de nouvelle infraction, date et heure de convocation au SPIP, température au sol, gonflage manuel des gilets de sauvetage présents sous le siège, obligations générales 132-44, obligations particulières 132-45. Ma voix se perd dans le brouhaha de la salle, les escortes qui passent, les pensées du condamné qui opine du chef avec un grand sourire à tout ce qu’on lui dit car il n’a compris qu’une chose : il ne dormira pas à la maison d’arrêt ce soir. Il est 17h45, le dossier suivant de comparutions immédiates arrive, l’audience « normale » commencera à 20 heures et se terminera à minuit. Averell attendra pour manger.

Ce qui m'a d'autant plus fait sourire est que le tribunal ayant jugé comportait bien un juge de proximité, et que la procureur de permanence était en effet charmante.

Une explication : à Paris et dans les grosses juridiction, il y a une chambre spécialisée dans les comparutions immédiates qui ne fait que ça (A Paris, la 23e). En province, des audiences correctionnelles peuvent juger des comparutions immédiates au milieu de dossiers plus classiques. D'où le "l’audience « normale » commencera à 20 heures et se terminera à minuit" à la fin qui contrarie l'estomac d'Averell.

Voici le commentaire de JAP.

Bon, voyons si je peux faire du "tuning de la peine" selon l'expression de Me Eolas. Tout d'abord, ce cas n'est pas facile. Apparemment, pas de demande de délai. L'infraction est constituée, et je constate que l'on n'est pas sur un "coup de tête" (temps passé, choix des mets, du resto, trajet...), et très loin d'un état de nécessité. Pas de difficulté sur la culpabilité. Reste la peine... J'écarte le TIG. Pour faire un TIG, il faut déclarer le condamné à la sécurité sociale comme travailleur bénévole et qu'il fournisse un certificat d'aptitude au travail. Bien que dans l'absolu, il ne soit pas impossible de faire travailler une personne handicapée, concrètement, cela me semble difficile, à moins que le JAP local ne dispose d'un poste adapté. On court à l'inexécution du TIG dans ce type de dossier.

Je passe sur la production du STIC à l'audience, qui a le don de m'agacer et que je ne regarde pas. Coté antécédents, il a déjà été averti par un sursis et un SME va être pris en charge. Donc, je n'opterai pas pour un empilement de SME, peu utiles, d'autant que le JAP peut ralonger le suivi du 1er le cas échéant, qu'il a engagé des soins, et qu'il n'y aura pas de victime à indemniser. J'avais bien pensé à une expertise psy, mais là aussi, le JAP pourra toujours en ordonner une si ça lui paraît nécessaire. J'écarte l'amende et les jours amende, il en a déjà eu une il y a 15 jours qui ne l'a pas dissuadé de commettre de nouvelles infractions et a de faibles revenus.J'opte plutôt pour une peine ferme, dont j'espère qu'elle provoquera une prise de conscience. Le quantum ne peut pas être très élevé car la peine maximale encourue n'est que de 6 mois et il faut tenir compte de sa personnalité qui me semble fragile. Je prosose 15 jours. Le mandat de dépôt à l'audience ne m'apparaît pas utile car il vaut mieux lui éviter une incarcération et le passage en comparution immédiate est souvent un "électrochoc" suffisant. Il aura donc 15 jours à faire + le sursis révoqué (mais je ne serais pas opposée à une dispense partielle de révocation si ce sursis est important). S'il respecte bien son SME, suit des soins, ne commet plus d'infraction, bref s'il fait des efforts d'insertion, le jour où il le convoquera, le JAP pourra envisager un aménagement de peine, au vu de son état de santé, par exemple sous surveillance électronique.

Reste une difficulté : on ne sait rien des autres procédures en cours (mêmes faits ? dates ? sont elles audiencées ?) car on aurait pu envisager un renvoi, sans mandat de dépôt, pour joindre tous les dossiers à la même audience.

Il me manque quelque chose : l'avis des collègues car, soyez en sûrs, le délibéré est un moment important.

A quand l'exercice "soyez le Jap" ?

Que dire de plus ? La bonne solution, et exactement le raisonnement que j'attribuais au tribunal.

A quand un "Soyez le JAP" ? Pas tout de suite ou alors il me faudra de l'aide. En effet, je ne veux pas parler de mes dossiers sur ce blog. Mes clients n'apprécieraient pas. Or les seuls dossiers de JAP que je connais sont ceux de mes clients, faute d'audiences publiques (voire d'audience tout court). De plus, expliquer les peines principales, complémentaires, les sursis, mises à l'épreuve et autres peines alternatives est déjà complexe. Expliquer les placements en milieu ouvert, fermé, le calcul de la mi-peine pour une liberté conditionnelle, et expliquer les pouvoirs d'appréciation du JAP serait un casse-tête. Si vous voulez vous frotter à l'exercice, be my guest.

Monsieur le procureur, pas d'autres réquisitions ?

Alors, l'audience est levée. Averell, réveillez vous, il est l'heure d'aller dîner.

jeudi 8 février 2007

« Sur un blog , on peut dire n'importe quoi... »

José Bové était ce matin l'invité de Nicolas Demorand sur France Inter.

A cette occasion, le journaliste a interpelé le candidat récemment débouté de son pourvoi en citant le passage de mon billet où je révélais que le "fauchage volontaire" avait sans doute causé le dommage qu'il était censé prévenir.


La réponse de José Bové a été brève.

Notez qu'il ne dit à aucun moment que ce que je dis est faux : il se contente d'une remarque générale sur "on peut dire n'importe quoi sur les blogs" et enchaîne sur "Mais je crois qu'aujourd'hui tout le monde a reconnu qu'il n'y a pas de nécessité des OGM".

Mise à jour : J'avais raté ce morceau où Nicolas Demorand revient à la charge et où José Bové est acculé à la dénégation pure et simple. Merci à Nicolas Demorand de la confiance qu'il me témoigne.

Alors, pour montrer qu'on n'écrit pas toujours n'importe quoi sur les blogs, je vous incite à aller lire la décision in extenso publiée sur le site de la Cour de cassation (dont je loue la politique de publication immédiate sur la page d'accueil du site des arrêts dont on parle dans l'actualité, comme dans l'affaire Seznec).

Pour les plus pressés, voici l'extrait, page 10 de la version papier de l'arrêt :

La cour d'appel, citée dans l'arrêt, a relevé dans sa décision que
il résulte des constations des gendarmes de la brigade des recherches de Toulouse-Mirail que le champ de 13 573 m², planté en maïs classique (90 %) et OGM (10 %, soit 1 444 m) a été totalement détruit ; les plantes ont été, soit cassées, soit couchées ou arrachées, certaines ayant été emportées hors du champ ; des fleurs mâles qui étaient enfermées dans des poches ont été dépochées, libérant ainsi le pollen ;
Mais bon, peut-on croire la justice ? Y avait-il vraiment des poches autour de plants de maïs ?

Et bien, grâce à l'INA, nous pouvons le savoir. En effet, un hasard bienvenu a fait que des caméras de télévision étaient présentes ce jour là. Voyez vous même avec quelles précautions les plants supposés dangereux ont été traités. Voyez comment cette charmante jeune fille derrière ce sympathique Monsieur dont le nom m'échappe agite comme un trophée un plan de maïs avec une curieuse chose autour, on jurerait une poche.

Assurément, ces détails auront échappé à José Bové. La faute des médias, sans nul doute.

Et quitte à tirer sur une ambulance, je ne résiste pas à vous proposer ce deuxième extrait, qui se situe juste avant la question de Nicolas Demorand.


Deux tribunaux, à Versailles et Orléans, ont relaxé des faucheurs d'OGM.

Mes lecteurs se souviendront que je m'étais fait écho de la décision d'Orléans, dont j'avais annoncé l'annulation, qui a été effectivement prononcée par la cour d'appel d'Orléans, décision pendante devant la cour de cassation. La décision de Versailles a été frappée d'appel, ce que José Bové a oublié de mentionner. Il a sans doute oublié, l'audience s'étant tenue le 26 janvier dernier (délibéré le 22 mars). Le parquet a requis la condamnation des prévenus à trois mois de prison avec sursis. Alors, je veux bien que José Bové s'en tienne dans l'affaire de Versailles à la dernière décision rendue, qui était une relaxe ; mais dans ce cas qu'il ne cite pas celle d'Orléans comme une victoire.

Comme quoi, il n'y a nul besoin d'avoir un blog pour dire n'importe quoi. 

vendredi 2 février 2007

Parlons programme : Ségolène Royal et la justice

Je vous propose dans les semaines qui viennent d'étudier les programmes des principaux candidats en matière de justice. Ce sera sur ce thème seulement : c'est mon domaine d'expertise, je peux tenter d'expliquer certaines propositions obscures, et j'espère pouvoir faire des critiques pertinentes de fait de mon expérience pratique. Je m'assurerai que les cellules internet des candidats concernés soient informés de l'existence de ces billets, libre à eux d'en faire ce qu'ils veulent.

Pour l'ordre, j'ai décide de commencer par les trois candidats majeurs, j'entends par là ceux qui ont des intentions de vote à deux chiffres ET la certitude d'avoir les 500 parrainages nécessaires, soit François Bayrou (UDF), Ségolène Royal (PS) et Nicolas Sarkozy (UMP). J'irai également voir le projet du Front national, non que ça me réjouisse, mais je ne peux pas faire l'impasse sur un candidat qui, s'il arrive à se présenter, ce qui ne fait guère de doute dans mon esprit, arrivera aussi bien classé. Les autres candidats passeront sous mes fourches caudines si j'ai le temps.

Avertissement préalable : là encore, je vais faire le ménage. Les commentaires qui ne visent qu'à indiquer un soutien inconditionnel à tel candidat ou à conspuer tel autre seront supprimés. Pas de slogans, des arguments.

Pour l'ordre de passage, j'ai décidé de pratiquer par tirage au sort. Et c'est Ségolène Royal qui s'y colle pour le premier passage. Si vous n'êtes pas content, allez vous plaindre au hasard.


Photo Désirs d'avenir

Mes sources pour ce programme sont doubles : d'une part, le projet socialiste "Réussir ensemble le changement", Partie III, paragraphe IV, et d'autre part le "ce que je retiens" sur ce thème sur le site Désirs d'avenir. Je sais qu'un programme supplémentaire doit être présenté le 11 février prochain, mais gageons qu'il n'y aura pas de revirement spectaculaire, et s'il le faut, je compléterai mon analyse.

Le programme socialiste.

Il est antérieur à la désignation de la candidate socialiste, mais la candidature à l'investiture supposait l'adhésion à ce projet.

Voici les propositions du projet, suivi de mes commentaires.

IV La Justice rénovée

C'est le titre. J'approuve ce refus d'une justice vétuste, mais je me demande si on n'est pas dans le slogan, là.

Notre système judiciaire doit être revu dans son fonctionnement tant pour la justice civile que pour la justice pénale. - Nous augmenterons le budget de la justice : notre pays se situe au 23ème rang sur 40 en Europe, pour son budget de la justice. Nous ferons passer le budget de la justice française dans les premiers rangs.

Vous connaissez mon point de vue sur la question. C'est en effet indispensable. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres et je me méfie de ces promesses faites alors qu'elles ne coûtent rien. Mais sur ce point, j'approuve.

- Nous rendrons la justice accessible à tous en faisant en sorte que chaque justiciable puisse bénéficier des services d’un avocat, garanti par un service public de la défense. Nous renforcerons les maisons de la justice et du droit et le réseau d’information et d’aide aux victimes. Nous limiterons les coûts financiers inutiles pour élargir l’accès à la justice civile et au droit. Nous moderniserons le fonctionnement de la justice civile, de la justice prud’homale, de la justice commerciale et de la justice administrative.

Un service public de la défense ? Tiens. La dernière fois que j'ai été de permanence aux comparutions immédiates pour une indemnité ridicule, que j'ai défendu des prévenus qui n'avaient pas à me payer, et que je suis sorti d'audience à 22 heures, j'avais vraiment l'impression d'assurer le service public de la défense. J'ai dû avoir un moment d'égarement.

Le service public de la défense existe, il s'agit de l'aide juridictionnelle et des commissions d'office. Vous savez, ce truc pour lequel on s'est battu en décembre. Alors, puisqu'il ne s'agit pas de créer quelque chose qui existe, concrètement, c'est quoi, ce service public de la défense ? Créer des avocats fonctionnaires ? Débloquer un vrai budget pour que des avocats puissent se consacrer à plein temps à des dossiers d'aide juridictionnelle (je n'y crois pas une seconde) ?

Travers fréquent des candidats ici : on lance des idées plus que des projets concrets. Ca donne l'impression qu'on ne sait pas où on va mais on y va.

Renforcement des maisons de la justice et du droit : formule creuse, sauf s'il s'agit de poser des contreforts et des arcs-boutants, mais je ne pense pas qu'on parle d'architecture ici. Idem pour le réseau d'aide aux victimes. Concrètement, c'est quoi, par rapport à ce qui existe déjà ?

Limiter les coûts financiers inutiles : lesquels ? De quoi parlent-ils ? Des honoraires d'avocat ? Des émoluments d'huissiers ? Mystère. En tout cas, on parlait il y a cinq minutes d'augmenter le budget, et on en est déjà à faire des économies. Ca promet.

- Nous organiserons une justice respectueuse des libertés. Les procédures pénales d’exception seront limitées ; une réforme de la procédure pénale sera engagée pour renforcer les droits de la défense et mieux garantir la présomption d’innocence. Le juge des libertés et de la détention bénéficiera d’un véritable statut. Le juge d’instruction travaillera en collégialité. Nous interdirons les poursuites sur dénonciation anonyme.

Bon, le parti socialiste ne veut pas d'une justice liberticide, me voilà rassuré. Les procédures pénales d'exception : je pense qu'il s'agit des procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et d'ordonnance pénale en matière correctionnelle, mais ça irait mieux en le disant. La CRPC, ce serait idiot. Elle est rodée, elle soulage les comparutions immédiates et on est loin des abus potentiels dénoncés lors du vote de la loi Perben II : concrètement, à Paris, elle est appliquée surtout aux conduites en état d'ivresse hors récidive et aux étrangers en situation irrégulière poursuivis parce que la préfecture n'a plus de place en centre de rétention (il faudra que je vous en parle, de ça, mais il faut que je me calme d'abord, j'en suis encore malade).

Et, ho surprise, une réforme de la procédure pénale ! Ca au moins, c'est original. Vraiment, ça manquait : il y en a eu une grosse en 2002 (Perben I), une énorme en 2004 (Perben II), une petite en 2005 (Loi antiterroriste), et quatre grosses sont en discussion au parlement en ce moment même (loi Sarkozy sur la prévention de la délinquance et les trois lois "Outreau". A titre indicatif, le code de procédure pénale a été modifié par 37 textes différents en 2005, et par 41 textes en 2004. Je n'ai pas encore les chiffres pour 2006, qui a aussi été une bonne année. Bon, je ne vais pas résilier mon abonnement au JO...

Le juge d'instruction travaillera en collégialité. Là, matériellement, c'est impossible, et le rendre systématique n'est pas opportun. Matériellement, cela suppose de doubler les postes de juges d'instruction dans les petits tribunaux n'ayant qu'un juge d'instruction, donc augmenter le recrutement ou les prendre ailleurs, mais qui récupérera leur charge de travail ? Si cela se fait sans augmenter le nombre des magistrats, concrètement, cela aboutira à ce que les juges se répartissent les dossiers par moitié et les traitent seuls, bref retour à la situation initiale. En opportunité, il y a bien des dossiers, la majorité en fait, qui peuvent être fort bien traités par un juge d'instruction travaillant seul. En vrac, les plaintes avec constitution de partie civile pour diffamation, les dossiers techniques où tout reposera sur une expertise (délinquance informatique...). Donc, il faut limiter la collégialité aux dossiers complexes et sensibles, mais là, il y a juste un problème : ça existe déjà.

Aucune procédure sur dénonciation anonyme. Ha, voilà qui est vertueux. Mais cela me paraît entrer en conflit avec la première loi annoncée par la candidate sur les violences conjugales (première loi qui ne figure dans aucun des deux programmes que je commente ici d'ailleurs), où la candidate annonce qu'on pourra poursuivre sans plainte de la victime : ce ne sera donc pas possible sur dénonciation anonyme. Alors, comment on fait ? les RG vont-ils mettre des micros dans chaque foyer ?

- Nous rendrons la justice responsable et indépendante. Les carrières des magistrats du siège et de ceux du parquet pourront être séparées au bout de 10 ans d’exercice. Le parquet, responsable de la mise en œuvre de la politique pénale définie par le pouvoir politique, sera mis à l’abri des pressions, notamment par la suppression des instructions individuelles de nature à dévier le cours de la justice. La composition du Conseil Supérieur de la Magistrature sera modifiée pour garantir son pluralisme et un équilibre entre magistrats et non-magistrats. Ses attributions seront étendues. Il sera consulté sur les aspects essentiels du fonctionnement de la justice ainsi que sur les projets de réforme la concernant, et aucune nomination de magistrats ne pourra intervenir sans avis favorable. Nous améliorerons le système d’évaluation du service public de la justice en mettant en place un mécanisme permettant aux justiciables d’adresser au Conseil Supérieur de la Magistrature des plaintes visant le comportement d’un magistrat.

La justice responsable et indépendante. Elle ne serait donc ni l'une ni l'autre. Sur le premier point, on sait que c'est faux, sur le second, ça sonne comme un aveu de la part d'un parti qui était encore aux affaires il y a peu...

La mise à l'abri des pressions du parquet : rappelons que le parquet est hiérarchiquement soumis au Garde des sceaux. Je n'ai jamais rien trouvé à redire que l'action du parquet, qui représente les intérêts de la société, soit soumis au pouvoir politique en démocratie. Il faut un chef unique au sommet de la pyramide pour coordonner la politique pénale au niveau national, et le Garde des Sceaux, membre du gouvernement, est donc placé sous la surveillance du parlement. L'indépendance du parquet fait partie des promesses non tenues par Chirac. Ségolène Royal la reprend-elle à son compte ?

La suppression des instructions individuelles de nature à dévier le cours de la justice : cela signifie donc qu'il serait interdit au Garde des Sceaux d'ordonner au parquet de requérir la remise en liberté de mis en examen en cas de nouvel Outreau, car cela dévierait le cours de la justice ? Non, ces interventions ne sont en soi en rien condamnables, à condition qu'elles ne soient pas mues par des motifs inavouables, comme Jacques Toubon s'en était fait une spécialité mémorable. Il suffirait d'exiger que ces instructions soient écrites et figurent au dossier afin que la défense en soit informée, et le public lors du jugement de l'affaire, et que ces instructions ne puissent tendre qu'à l'ouverture de poursuite et non au classement d'une affaire.

La séparation des carrières au bout de dix ans : rappelons que les magistrats du siège (juges) et du parquet (procureurs) forment un corps unique. On peut passer au cours de sa carrière du siège au parquet, et vice versa. Un magistrat peut ainsi commencer juge d'instruction à Thionville, puis être nommé substitut du procureur à Dijon, avant d'être juge des affaires familiales à Strasbourg, puis premier substitut à Créteil, etc. (sous réserve de la compatibilité de ces exemples de promotions avec les échelons de carrière des magistrats, que je ne connais pas très bien). Je ne comprends pas le "pourront être séparées". Cela semble signifier une faculté. Je pense que le projet imposera cette séparation au bout de dix ans, c'est à dire qu'au bout de ce laps de temps, le magistrat devra choisir définitivement s'il sera assis ou debout[1]. Au début, quand j'avais trois poils au menton, cette unicité du corps me paraissait une anomalie et j'étais plutôt favorable à cette séparation. J'en suis revenu, car elle apporte vraiment quelque chose au niveau de la formation des magistrats en élargissant leur expérience (un procureur qui a été juge d'instruction évitera d'ouvrir des informations pour un oui ou pour un non, un ancien JAP fera un excellent président de correctionnelle car il pourra faire du tuning de peine), et j'ai pu constater que les magistrats du siège ne perdent généralement pas leur impartialité à l'audience en faveur du parquet. Il y a des maladresses de comportement (l'entrée simultanée par la même porte, une connivence trop affichée...), mais des procureurs se font durement remettre à leur place par des présidents quand un dossier mal ficelé arrive à l'audience, esprit de corps ou pas. De sorte que j'ai tendance à penser qu'il s'agit d'une réforme plus symbolique que réelle. Par exemple, dans l'affaire d'Outreau, l'unicité du corps des magistrats n'a joué aucun rôle dans la tragédie, puisque les deux juges d'instruction occupaient leur premier poste. Donc une loi plus inutile que nuisible, mais qui risque de provoquer une résistance des magistrats.

- Nous présenterons une nouvelle loi pénitentiaire qui donnera davantage de moyens pour lutter contre la surpopulation carcérale, pour améliorer la qualité des soins, pour favoriser l’effectivité des petites peines en milieu ouvert, pour permettre la réinsertion à la sortie de prison. La prison doit impérativement être un lieu de respect des droits et de la dignité de la personne.

Je ne puis qu'approuver le principe. Mais je ne comprends pas le "plus de moyens pour lutter contre la surpopulation carcérale" : est-ce l'annonce de la construction de nouvelles prisons ? Il le faut, eu égard à l'augmentation de la population française, mais je pense qu'il s'agit plutôt de financer des alternatives à l'emprisonnement, ce qui fait alors doublon avec la suite. Je n'aime pas l'ambiguïté des programmes électoraux.

En conclusion : le programme du parti socialiste manque de propositions concrètes, ce qui a pour effet de voir beaucoup de belles phrases qui n'engagent à rien et laissera toute latitude à la candidate élue de faire ce qu'elle veut, toute loi retouchant le code de procédure pénale pouvant aisément se réclamer de ce programme. J'en sors dubitatif.

Sur Désirs d'avenir.

Le thème dont la synthèse est proposée est "Quelle prison pour quelle justice ?". Lecture faite, mes craintes se sont révélés non fondées : il ne s'agit pas de savoir où on va incarcérer les 7000 magistrats français, mais bien de propositions de réformes de la justice tout d'abord, puis de la prison ensuite.

Sur la justice.

Les citoyens attendent une justice efficace, mais humaine. L’instruction pénale est aujourd’hui critiquée parce que le juge d’instruction est, dans les affaires les plus lourdes, mais aussi au quotidien, noyé sous la masse des dossiers, sans repères et sans recul suffisants, et qu’il doit être à la fois l’enquêteur et l’arbitre de sa propre enquête. Le juge d’instruction doit donc retrouver les moyens juridiques, matériels et humains d’être à égale distance des victimes, des mis en examen et de l’accusation, d’avoir la sérénité sans laquelle la justice est aveugle, d’agir vite, pour raccourcir les procédures, mais sans être poursuivi par l’urgence.

L'opposition efficacité et humanité et l'invocation de cette qualité tellement lumineuse aux yeux des politiques que personne ne s'est donnée la peine de la définir me laisse toujours dubitatif. La justice, c'est avant tout l'application de la loi. Une loi mauvaise sera appliquée avec zèle par les magistrats, parce qu'ils ont juré de le faire en prenant leurs fonctions. Ce n'est pas à eux de corriger les manquements du législateur, ou ses contradictions quand il incite à la détention provisoire et se scandalise que des innocents soient placé en détention. L'humanité du juge me paraît une façon de se défausser sur lui de ses obligations.

Le ton pompeux n'évite pas le piège du ridicule : "la sérénité sans laquelle la justice est aveugle". La justice EST aveugle, cela symbolise son impartialité, et ce n'est pas la sérénité qui l'aveugle, mais un bandeau.

Trois principes doivent à mes yeux contribuer à cette justice plus humaine : renforcer la collégialité, donner des moyens enfin à la hauteur des enjeux, redéfinir précisément les fonctions du juge d’instruction.

De fait, la synthèse proposée ne porte que sur l'instruction. C'est oublier que l'instruction ne concerne que 5% des affaires jugées. Certes les plus graves, mais le volume devrait aussi être pris en considération. Je suppose que cet aspect est encore en cours d'étude.

Pour mémoire : quand le procureur de la république décide d'engager des poursuites, il peut saisir directement le tribunal correctionnel sur la base du dossier réuni par la police, parfois pour une audience du jour même (les comparutions immédiates), ou saisir un juge d'instruction afin qu'il mène une enquête approfondie. L'instruction est obligatoire si les faits sont un crime (puni de peines maximales allant de 15 ans à la perpétuité) et relèvent de la cour d'assises. Elle est facultative pour les délits, et est utilisée principalement dans trois cas : si les faits sont complexes (délinquance financière), ne sont pas encore connus dans leur intégralité (trafic de stupéfiant, victime entre la vie et la mort), ou si les auteurs sont en fuite ou ne sont pas identifiés.

Le juge d'instruction est un juge unique qui peut faire appel aux services de la police, d'experts, peut interroger lui même les personnes concernées, et décide à la fin s'il faut mettre fin aux poursuites (non lieu), ou faire juger les faits par le tribunal correctionnelle ou la cour d'assises. Il peut demander au juge des libertés et de la détention de placer les mis en examens en détention provisoire.

1 - Même expérimenté, le juge d’instruction est aujourd’hui très seul. Si les fonctions de l’instruction sont par nature des fonctions indépendantes et individuelles, la gravité ou la complexité particulière de certains dossiers peuvent imposer que plusieurs magistrats soient associés pour les mener à bien. La chambre de l’instruction, qui contrôle en appel les décisions du juge d’instruction, devrait pouvoir imposer une co-saisine, la même affaire étant alors traitée par deux juges, et dans les affaires les plus lourdes, un pool de magistrats devrait pouvoir être mobilisé.

On mélange ici constats et propositions. Le président du tribunal de grande instance peut décider de saisir plusieurs juges d'instructions d'une seule affaire : il n'est limité que par le nombre de juges d'instruction de sa juridiction (article 83 du CPP). L'affaire Clearstream est ainsi instruite par deux juges. Le duo Eva Joly et Laurence Vichnievsky a fait les mauvais jours des vendeurs de bottines et de pétrole. Le juge d'instruction peut également demander au président de désigner un ou plusieurs autres juges d'instruction. C'est un constat, et cet état de fait remonte à la loi du 4 janvier 1993, votée sous le gouvernement Bérégovoy.

La chambre de l'instruction ne peut par contre décider de saisir des juges d'instructions supplémentaires. Voilà ce qui serait la nouveauté. Mais sachant qu'elle peut évoquer le dossier, c'est à dire au lieu de le renvoyer au juge d'instruction, le garder et continuer à instruire elle même, en désignant un de ses conseillers à cette fin, elle peut donc faire mieux qu'ordonner la collégialité : confier le dossier à trois conseillers de cour d'appel ayant l'expérience de l'instruction. Dès lors cette réforme ne crée ni ne renforce la collégialité, mais ajoute une nouvelle façon de la provoquer. Reste la question des moyens humains, passée sous silence, malheureusement.

2 - La chambre de l’instruction, chargée d’examiner en appel les décisions prises par les juges d’instruction, pourrait voir ses prérogatives considérablement élargies pour assurer un contrôle effectif et périodique du travail effectué dans chaque dossier par les magistrats instructeurs. En fin d’instruction, la chambre de l’instruction serait tenue d’examiner toutes les procédures. Elle aurait ainsi pour mission de s’assurer que le dossier est complet et que peut utilement s’ouvrir un procès pénal. Si ce n’est pas le cas, la procédure serait systématiquement renvoyée au juge pour complément d’enquête.

Très mauvaise idée. C'est totalement irréaliste et inutile dans la plupart des cas. Irréaliste car cela suppose une charge de travail immense, pour des cours déjà débordées et tenues par des délais très courts pour examiner les recours. Cette réforme noierait les chambres de l'instruction sous les dossiers, au détriment de la qualité du travail. Inutile car la chambre de l'instruction peut être saisie par les parties (mis en examen, partie civil et procureur) qui contesteraient l'ordonnance finale du juge (on parle d'ordonnance de règlement). Dès lors que les parties ne contestent pas sa décision, pourquoi imposer à la cour un examen systématique manifestement inutile ? Il existe une exception : une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel ne peut être soumise par la voie de l'appel à la chambre de l'instruction. Tout simplement parce que le tribunal reste compétent pour apprécier les faits : si le mis en examen aurait voulu un non lieu, qu'il plaide la relaxe. S'il voulait une requalification, qu'il la demande au tribunal. L'appel est possible contre la décision du tribunal, et l'argumentation peut être à nouveau soulevée devant la chambre des appels correctionnels : vous voyez que cette règle est même favorable aux parties, car une décision de la chambre de l'instruction, qui est une formation de la cour d'appel, ne peut être contestée que par le pourvoi en cassation.

3 - Toutes les décisions portant atteinte aux libertés individuelles devraient être prise par un collège de magistrats du siège, après un débat contradictoire où l’accusation et la défense interviendraient à armes égales. Il s’agit d’un approfondissement de la voie ouverte par la loi du 15 juin 2000, qui a retiré au juge d’instruction les décisions de placement en détention provisoire au profit du juge des libertés et de la détention.

Donc le juge des libertés et de la détention deviendrait une juridiction collégiale. Si les moyens suivent, parfait. Mais ce principe s'applique-t-il aussi au juge unique en matière correctionnelle ? Car il peut condamner à des peines de prison ferme et même décerner mandat d'arrêt et de dépôt. Ce serait donc la fin du juge unique en matière pénale, y compris devant le tribunal de police (il peut porter atteinte à la liberté d'aller et venir en suspendant le permis de conduire), et en matière d'ordonnance pénale. Je ne suis pas sûr que ce soit que ce Ségolène Royal a à l'esprit, mais face à des principes généraux si vagues, on peut se poser la question.

4 - Il est également nécessaire de mieux garantir les droits de la défense tout au long de la procédure pénale, et ce dès le stade de la garde à vue.

Qui dirait le contraire ? Mais est ce trop demander que de savoir comment, concrètement ?

5 - La formation des magistrats et leur affectation à la sortie de l’Ecole Nationale de la Magistrature doivent être adaptées aux évolutions de la justice souhaitées par nos concitoyens.

En effet, il ne manquerait plus que ce ne fût point le cas. Mais concrètement, encore une fois, ça veut dire quoi ? Que change-t-on à la formation ? Quelles seraient les nouvelles règles d'affectation ? Quelles sont les orientations de la justice souhaitées par nos concitoyens qui sont le critère de ces réformes ? Ce n'est pas un programme, là, c'est de l'incantation.

6 - Enfin, et c’est essentiel, la Justice doit avoir des moyens supplémentaires à la hauteur de ses missions. La loi d’orientation et de programmation pour la justice de 2002 (LOPJ), adoptée par le Gouvernement Raffarin, affichait cette ambition. Force est de constater que l’effort budgétaire n’a pas suivi : le retard accumulé sur quatre ans d’exécution de la loi (2003-2006) s’établit à plus de deux mille emplois.

Je ne peux qu'applaudir à cette déclaration d'intention. Mais je suis un esprit chagrin, que voulez-vous. Ce paragraphe peut se résumer ainsi : « Je veux augmenter les moyens de la justice. Le gouvernement Raffarin a fait voter une loi qui prévoyait une augmentation des moyens de la justice. Mais malgré cela les moyens de la justice n'ont pas augmenté. »

Alors, je me demande : que va faire Ségolène Royal ? Voter une loi qui prévoira une augmentation des moyens de la justice ?

Rappeler que le gouvernement précédent a voulu faire la même chose et ne l'a pas fait n'est pas de nature à me faire croire que le futur gouvernement, qui affiche sa volonté de faire la même chose, le fera effectivement. Surtout quand cette augmentation n'est pas chiffrée, mais rappelons que le programme du PS, lui, est un peu plus précis : faire passer le budget de la justice dans les premiers rangs européens. Que cette promesse là soit tenue et ce serait déjà formidable.

Je n'aborderai pas la question de la prison, je le ferai dans un futur billet. Il y a déjà beaucoup à dire sur cet aspect.

Prochain candidat désigné par le sort : Nicolas Sarkozy.

Notes

[1] On parle en effet de magistrature assise pour les juges, qu'on appelle encore magistrats du siège, et de la magistrature debout pour les procureurs, qui se lèvent au même titre que les avocats quand ils prennent la parole, encore que l'usage limite cet exercice pour les seules réquisitions, alors qu'en principe même en cas de question au prévenu, le procureur devrait se lever.

mercredi 31 janvier 2007

La récusation des jurés

Beaucoup de lecteurs m'ont interrogé, que ce soit à la suite de mon vademecum du juré d'assises, ou lors de billets précédents, sur cette curiosité procédurale qu'est la récusation des jurés. Tout le monde ou presque a vu un jour un feuilleton, téléfilm ou film montrant aux Etats-Unis la longue et minutieuse constitution d'un jury, où les jurés potentiels sont interrogés par les deux parties puis agréés ou non.

En France, il en va différemment, et la récusation est un terrible casse-tête, et disons le tout de gob, le royaume inexpugnable de l'arbitraire et du délit de sale gueule.

Nous recevons donc très peu de temps avant le procès (au plus tard l'avant-veille) la liste des 62 jurés (40+12). Elle n'est pas alphabétique mais par ordre de tirage, et mentionne le nom, les prénoms, la date et le lieu de naissance du juré ainsi que sa profession telle qu'il l'a déclarée. C'est tout.

Nous la parcourons attentivement afin de repérer les jurés qui apparemment risqueraient d'avoir un préjugé défavorable à notre client. Mais chaque fois, je ne peux m'empêcher de penser à ce que racontait Robert Badinter (était-ce dans l'Exécution ? Je n'ai pas retrouvé le passage) lors du procès de Bontems.

Il devait défendre Roger Bontems, aux côtés de Claude Buffet. Ceux-ci, détenus à la Centrale de Clairvaux, s'étaient mutinés et avaient pris en otage un gardien et une infirmière. Buffet les avait tous deux tués dans des conditions sordides, Bontems n'étant que présent, et accusé de complicité.

Dans la liste des jurés se trouvait une infirmière. Il prit le parti de la récuser si elle était tirée au sort, craignant une identification à la victime poussant à la sévérité.

Le jour de l'audience, elle fut tirée au sort, et conformément à sa résolution, la récusa.

Lors d'une suspension d'audience, elle vint le voir pour lui demander pourquoi il l'avait récusé, et lui révéla qu'elle faisait partie du comité départemental de la ligue des droits de l'homme et militait activement contre la peine de mort.

Rappelons que Roger Bontems fut condamné à mort et guillotiné.

Nous établissons donc une liste des jurés où une hésitation existe.

Le jour de l'audience, nous profitons du laps de temps entre l'ouverture des portes et la formation du jury pour examiner discrètement les jurés sans donner l'impression de les dévisager. Les grandes assises à Paris, où les avocats sont assis perpendiculairement à l'axe de la salle, permettent de se livrer à cet exercice sans trop de difficulté, les troisièmes assises encore mieux, la salle étant plus petite ; les petites assises, par contre, nous font tourner le dos au public, et l'exercice est plus délicat. Nous nous accoudons nonchalamment au box des accusés pour cela.

Nous ne savons pas qui est qui, les seul détails nous permettant d'identifier éventuellement un juré est le sexe et l'âge (une fois un juré avait 82 ans, il était facile à repérer). Là, nous établissons mentalement une deuxième liste des jurés douteux, basée uniquement sur les apparences. Les alcooliques sont faciles à identifier avec la couperose sur les joues et le nez, ou les manifestement dépressifs (je me souviens d'une jurée vêtue tout de noir, avec des lunettes de soleil alors que nous étions en janvier, se déplaçant au ralenti sous l'effet de calmants ; l'avocat général ne m'a pas laissé le temps d'ouvrir la bouche qu'il l'avait déjà récusée). Après ça, c'est une question de goût. Pour ma part, fort de la jurisprudence Badinter, je ne retiens que ceux posant le plus manifestement un problème.

Puis, le tirage au sort commence. Là, ça va très vite.

"Juré numéro X, Monsieur Y (ou Madame Z) !"

Les têtes se tournent vers la salle, vers celui qui se lève. Il prend son manteau, s'excuse auprès de ceux qui le sépare de la travée centrale, s'y engage, passe au niveau des avocats et de l'avocat général. C'est là que la récusation a lieu, habituellement.

C'est un simple "Récusé !" qui scelle le sort du juré. Le président met les formes : "Monsieur (ou Madame), vous êtes récusé. Nous vous remercions d'être venu, vous êtes libéré pour la durée de cette affaire. Merci de revenir jeudi à 9 heures précises. Vous pouvez rester dans la salle ou rentrer chez vous si vous le souhaitez."

Il y a bien des histoires qui circulent, tel cet avocat qui expliquaient qu'il récusait toujours le premier juré tiré au sort d'un ton féroce, avant de sourire aimablement à tous les suivants, afin qu'ils se sentissent "ses invités".

Les présidents d'assises avec qui nous discutons nous disent tous de toutes façons que tel juré que l'on croit faible et influençable peut se révéler un Démosthène dans la salle des délibérations, tandis que tel autre colosse à la bedaine rebondie a une voix toute fluette et ose à peine s'exprimer.

Dans ces conditions, pour ma part, je respecte le hasard, sauf pour quelques cas ou vraiment il est évident qu'on a affaire à un juré qui serait partial, mais dans ce cas, le ministère public a tôt fait d'intervenir lui aussi. Je ferais peut être une exception si un juré figurant sur ma première liste établie au cabinet figure aussi parmi les jurés dont le comportement me paraît bizarre, mais ça ne m'est jamais arrivé.

Je n'ai jamais constaté qu'un avocat général cherchait avec ses quatre récusations à former un jury plus favorable à l'accusation. Avec quelle science le ferait-il d'ailleurs ? Le ministère d'avocat est déjà assez lourd à porter pour qu'en plus nous jouassions les aruspices. Je n'accorde aucune foi à l'idée reçue qui veut qu'en cas de viol, un jury féminin soit plus enclin à la répression. Les femmes ne se font aucun cadeau entre elles, et j'ai déjà vu des jurés majoritairement féminin, qui plus est avec des cours majoritairement féminines, acquitter au bénéfice du doute.

De fait, je ne pense pas que l'âge, le sexe ou même la profession, qui est l'indice le plus révélateur à mon sens que nous ayons, soient des critères suffisants pour estimer la valeur d'un juré. Leur expérience, leur vécu sont bien plus importants, et ça, nous n'avons aucun moyen de le savoir. Ce chef d'entreprise au look versaillais tendance Villiers vous paraît avoir tendance à penser que la victime du viol qui va être jugé a sans doute un peu cherché les ennuis en se rendant un samedi soir chez son copain en sachant que que les parents de celui-ci étaient absents ? Pas de bol, sa fille a été violée dans les mêmes circonstances il y a quelques années.

Donc, dans le doute, je ne récuse pas. Ainsi, si le jury est mauvais pour mon client, je peux blâmer le sort, mais pas moi. Et les règles de vote sur la culpabilité tempèrent la sévérité de tel ou tel juré. De plus, la solennité de l'audience et la méticulosité avec laquelle faits et personnalité de l'accusé sont abordés fait bien plus pour museler les enragés que l'intuition irrationnelle qui reposerait sur tel ou tel délit de faciès.

Il ne faut pas attribuer des vertus thaumaturgiques au droit de récusation. C'est tout le contraire : c'est la consécration légale d'une superstition irrationnelle qui veut que le destin existe et qu'il faut pouvoir le conjurer. Sa justification est aussi de pur ordre pratique : plutôt que de laisser des débats s'engager sur l'opportunité d'écarter tel ou tel juré, débats qui seraient vexants pour le juré et remettraient en cause son impartialité ("Monsieur le président, le juré numéro 17 a de toute évidence fumé un joint avant de venir !"), la loi permet aux deux parties d'écarter un certain nombre de jurés, discrétionnairement et sans discussion possible. Cela coupe l'herbe sous le pied de la défense qui voudrait former un pourvoi contestant l'impartialité du jury en raison de sa composition : après tout, la défense pouvait récuser, qu'elle ne vienne pas se plaindre après coup.

De même, quel avocat ne s'est jamais dit, au cours des débats, où l'on peut observer à loisir le comportement des jurés, "Mais pourquoi diable n'ai je pas récusé ce juré ?".

Ce droit est aussi une malédiction.

vendredi 19 janvier 2007

Petit vademecum à l'usage des jurés d'assises (3)

Nous en arrivons maintenant au jugement proprement dit.

Une fois l'accusé interrogé sur son identité et le jury constitué, les avocats des parties civiles se lèveront et déclareront se constituer partie civile au nom de leurs clients respectifs. Si la défense soulève une irrecevabilité de constitution de partie civile, elle est réglée immédiatement par la cour seule (les trois magistrats). Puis les débats commenceront.

Ils vont commencer par une longue lecture par le greffier, celui de l'ordonnance de mise en accusation. Il s'agit de l'acte, rédigé par le juge d'instruction, qui fait la synthèse de ce qu'il a pu établir au cours de l'instruction et qui, selon lui, fait résulter contre l'accusé des charges suffisantes d'avoir commis le crime pour lequel il est jugé. Cette lecture peut être fastidieuse si le greffier le lit avec la même conviction qu'une liste des courses, et pourtant elle est très importante.

D'où mon premier conseil, qui est valable pour toute l'audience : prenez des notes. Ca vous évitera la narcose due à la monotonie, et quand vous serez dans la salle des délibérés, vous n'aurez pas le droit de consulter le dossier. La cour vous fournira du papier en quantité illimitée, alors lâchez-vous. Une page par événement, que vous numéroterez et daterez avec l'heure, avec en haut de la première page, écrit en gros, l'intitulé « Accusé », « Dr Machin, expert », « Victime »... Ca vous aidera à vous y retrouver. Si un passage vous semble important, marquez un astérisque dans la marge pour le retrouver par la suite.

Une fois cette lecture terminée, l'audience se déroulera en deux temps. L'ordre n'est pas immuable, il aura été fixé par le président en accord avec l'avocat général et les avocats des parties. Car il se passe des choses dans votre dos. Les avocats, l'avocat général et le président se concertent. Il est d'usage que tous se retrouvent dans le bureau du président avant l'audience pour se présenter, se saluer et se mettre d'accord sur le déroulement de l'audience, les témoins de dernière minute, etc.

Les deux temps sont : les faits, et la personnalité.

Les faits :

L'accusé sera interrogé sur ce qu'il a fait, ou prétend avoir fait ; la partie civile, si elle est encore de ce monde, racontera sa version, puis les éventuels témoins, qui ont attendu en dehors de la salle d'audience dans une pièce à cet effet, viendront à leur tour raconter ce qu'ils ont vu. Les policiers ou gendarmes ayant procédé à l'enquête sont également convoqués, du moins l'officier de police judiciaire qui dirigeait l'enquête, et les éventuels experts ayant procédé à des expertises sur les faits (l'expert balistique pour l'arme, l'expert biologiste sur l'ADN, j'ai même vu une fois un expert acoustique pour démontrer que l'un des témoins ne pouvait pas ne pas avoir entendu un coup de feu...).

Chaque déposition suit le même schéma : le président pose les questions qu'il souhaite, demande aux jurés s'ils ont des questions à poser, généralement en leur demandant de la lui transmettre par écrit pour éviter toute déclaration malheureuse contraire au devoir d'impartialité, puis demande à l'avocat des parties civiles, puis à l'avocat général, puis à l'avocat de la défense s'ils ont des questions à poser. L'étiquette impose de ne pas s'adresser directement à la personne à la barre, car nous sommes censés demander au président de poser la question. Le code de procédure pénale prévoyait autrefois que les questions devaient être posées ainsi. Ce n'est plus le cas mais la pratique reste et cela évite un ton trop virulent avec un expert hésitant ou un témoin récalcitrant. Ca donne ceci :

« Monsieur le président, pourriez vous demander au témoin s'il a vu l'accusé l'arme à la main ? », le président disant au témoin : « Veuillez répondre, je vous prie. » Ca, c'est la vieille école. Plus simplement, ça peut aussi donner :

« Monsieur l'expert pourrait-il nous dire si la blessure révèle à quelle distance le coup a été tiré ? »

Toutes les personnes entendues sont censées s'adresser directement au président, et seront rappelées à l'ordre si elles se tournent vers une des parties. La disposition de certaines salles, comme les petites assises de Paris ou la 3e section, font que les avocats sont derrière la personne à la barre, et s'adresser directement à elle revient à tourner le dos à la cour, ce qui est grossier, et gêne l'acoustique. De même, elles ne doivent jamais s'adresser directement à l'accusé. Les débats doivent se dérouler dans la dignité. Les explosions sont rares, mais quand elles se produisent, elles sont violentes.

La personnalité :

La encore, témoins et experts vont se succéder. Les témoins seront les proches de l'accusé ou de la victime : les parents, s'ils sont vivants et connus, les amis, mais aussi les assistants sociaux, les éducateurs, tout ceux qui auront des éléments à apporter pour connaître l'accusé, d'après le président, le parquet ou un des avocats.

Les experts seront au nombre de deux : l'enquêteur de personnalité, psychologue de formation, qui expliquera ses valeurs, ses motivations dans la vie, les expériences passées ayant influé sa personnalité ; et l'expert médico-psychologique, psychiatre de formation, qui de son côté recherchera si une pathologie mentale a influé son comportement, et quels sont les traits psychiques marquants de sa personnalité (personnalité narcissique, paranoiaque, voire perverse). D'autres experts peuvent être cités, notamment si une contre expertise a été demandée.

Je vous assure qu'à la fin de cette partie, vous n'aurez jamais connu quelqu'un aussi bien, pas même vous-même. C'est une mise à nu terrible : vous saurez tout de lui. A quel âge a-t-il eu son premier rapport sexuel (même s'il est jugé pour meurtre et non pour viol), ses complexes, ses obsessions, ses blessures secrètes.

Une fois tout le monde entendu, le président donnera lecture de pièces du dossier qu'il estime utile de porter à la connaissance du jury, et demandera aux parties, ministère public inclus, quelles pièces non citées il souhaite entendre lire aux jurés. C'est un moment important, car une fois les débats clos, le dossier ne sera plus touché, et ne suivra pas la cour dans la salle des délibérés.

La cloture des débats.

Le président déclarera enfin les débats clos. Après une courte suspension d'audience pour permettre au jury de se rafraîchir (il y en aura eu d'autres, notamment pour déjeuner), la parole sera donné aux avocats des parties civiles, puis à l'avocat général pour ses réquisitions, et après une nouvelle suspension d'audience, à l'avocat de la défense pour sa plaidoirie.

La partie civile souhaitera démontrer la culpabilité de l'accusé, et porter la parole de la victime. Elle ne suggérera pas de peine, tout au plus indiquera espérer de la sévérité ou au contraire de l'indulgence. Et tentera par avance de démonter les arguments les plus probables de la défense.

L'avocat général parle au nom de la société qui poursuit l'accusé. Sa parole est libre. Il peut très bien requérir un acquittement si les débats l'ont convaincu de l'innocence, ou tout simplement l'ont fait douter de la culpabilité. Le plus souvent, il démontrera la culpabilité et évaluera la dangerosité de l'accusé, la conclusion de ce raisonnement étant une proposition de peine. C'est une simple proposition, qui ne vous liera pas. Vous pouvez aller au-delà, la seule limite étant le maximum prévu par la loi, et le minimum, qui est d'un an, ou de deux si la réclusion criminelle à perpétuité est encourue.

L'avocat de la défense prendra enfin à son tour la parole. Ecoutez-le attentivement. C'est peut être moi. Selon le dossier, il tentera soit de démontrer l'innocence, ou à tout le moins que la culpabilité n'est pas prouvée, ou si elle l'est vous rappellera tout ce qui a été apporté aux débats qui milite en faveur de l'indulgence, de l'espoir de réinsertion, de l'opportunité d'une peine légère.

Ne commettez pas l'erreur de la plupart des jurés : prenez des notes pendant ces plaidoiries et réquisitions. Vous en aurez aussi besoin lors du délibéré. Notez les arguments-lefs, les points forts, les moments où vous vous dîtes : "Là, il a raison, c'est important" ou au contraire "Ca ne tient pas parce que...". Les autres auront besoin de ces éléments pour se décider.

Les parties civiles et le parquet peuvent demander au président de répliquer, mais l'avocat de la défense aura toujours la parole en dernier.

Le silence vient de retomber sur le prétoire. le président va se tourner vers l'accusé pour lui dire ces célèbres mots : "Accusé, levez-vous". Il lui demandera s'il a quelque chose à ajouter. C'est un moment de terreur pour l'avocat de la défense car ce sont ces mots que vous allez emporter dans la salle des délibérés.

Puis le président déclarera les débats clos. Il ordonnera que le dossier de la procédure soit déposé entre les mains du greffier, et ne gardera avec lui que l'ordonnance de mise en accusation. Cela a pour but d'assurer l'oralité des débats devant la cour d'assises.

Le président donnera ensuite lecture des questions qui vont être posées au jury. Ce sont sur ces questions et elles seules que vous délibérerez. Les parties peuvent demander par voie de conclusions que telle ou telle question soit posée, ou qu'elle soit formulée différemment. La cour statue seule (les trois juges uniquement) sur ces conclusions. Elles commencent toutes par : "L'accusé est-il coupable d'avoir...". Vous n'avez pas idée du casse tête juridique que peut être la rédaction de ces questions, et la loi prévoit que vous soyez tenu à l'écart. Sachez qu'on en fait des thèses et que la jurisprudence de la cour de cassation est volumineuse. Avant l'appel criminel (qui remonte à 2001 seulement), la formulation des questions était le principal socle d'un pourvoi en cassation. Des têtes dépendait que telle ou telle formulation. Si les faits peuvent faire l'objet de plusieurs qualifications, des questions subsidiaires sont posées.

Exemple de question : A est accusé d'avoir tué B. Le fait qu'il ait acheté l'arme du crime la veille laisse supposer une préméditation. Afin de faire passer le meurtre pour un crime crapuleux, il aurait également volé le portefeuille de la victime qui contenait mille euros, portefeuille qu ia été retrouvé chez A.

Première question : L'accusé est-il coupable d'avoir volontairement oté la vie à B ?

Deuxième question : S'il a été répondu oui à la première question, a-t-il agi avec préméditation ?

Troisième question : L'accusé est-il coupable d'avoir frauduleusement soustrait le portefeuille de B ?

S'il est répondu oui à la première question, A est déclaré coupable de meurtre et encourt trente ans de réclusion. S'il est répondu oui aussi à la 2e question, il est déclaré coupable d'assassinat et encourt la perpétuité. S'il est répondu oui à la troisième, il encourt trois ans d'emprisonnement, ce qui est un détail s'il y a déjà eu un ou deux oui.

On peut aussi ajouter des questions sur les causes d'irresponsabilités, ce qui change la formulation :
Exemple pour la légitime défense.

Première question : L'accusé a-t-il oté la vie à B. ?

Deuxième question : L'accusé bénéficie-t-il pour ce fait de la cause d'irresponsabilité pénale prévue par l'article 122-5 du code pénal selon lequel n'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte. ?

une fois que tout le monde est d'accord avec les questions ou a émis ses réserves, le président prend une dernière fois la parole. C'est pour moi un des moments les plus forts de l'audience. Il va dire qu'avant que la cour ne se retire, la loi lui fait l'obligation de lire cette instruction, qui est affichée en gros caractère sur les murs de la salle des délibérations.

C'est pour moi un des plus beaux textes qu'ait produit la langue française : c'est la définition même du travail du juge. Admirez la précision des termes employés, la beauté de la langue. Quand on lit le J.O. aujourd'hui, on a honte pour les parlementaires.

La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : "Avez-vous une intime conviction ?"

Si l'accusé est prisonnier, il ordonnera à l'escorte de le retirer de la salle d'audience. S'il est libre, il lui enjoindra de ne pas quitter le palais de justice pendant le délibéré. Le service d'ordre y veillera. En effet, les décisions de cour d'assises sont immédiatement exécutoires et l'accusé libre condamné sera immédiatement arrêté et conduit en prison. Il invitera le chef du service d'ordre à garder les issues de la salle des délibérations dans laquelle nul ne pourra pénétrer, pour quelque cause que ce soit, sans l'autorisation du président.

"L'audience est suspendue" conclura-t-il, avant de se lever avec la cour et le juré et d'aller dans la salle des délibérés. Les jurés supplémentaires iront au secret dans la salle des témoins à présent vide, au cas où un des jurés devait être remplacé. Cela n'arrive jamais, et les pauvres ont eu droit à tous les débats, attendront des heures isolés sans qu'à la fin quiconque leur ait demandé leur avis. Voilà pourquoi je vous disais de prier de ne pas être juré supplémentaires.

Les délibérations.

Vous allez vous retirer, les neuf jurés et les trois juges, dans la salle des délibérations. Vous la connaîtrez déjà : c'est là que vous serez réunis lors des suspensions d'audience. C'est même là que vous laisserez vos manteaux. Généralement, un petit buffet est installé : café, boissons, sandwiches, car les délibérations prennent du temps.

La loi ne prescrit aucune organisation particulière : c'est le président qui décide du déroulement. Généralement, chacun est invité à donner ses impressions et à poser les questions qu'ils souhaitent au président. Exceptionnellement, si la consultation du dossier se révélait nécessaire, le président ordonnerait que le dossier soit amené dans la salle des délibérations, et ferait entrer les avocats et l'avocat général. Il ouvrirait le dossier devant eux, consulterait la pièce en question, et le dossier serait rapporté au greffe, tandis que les avocats et l'avocat général quitteraient la salle. Il leur est interdit de prendre la parole, ils ne sont là que pour constater quelles pièces sont consultées. En pratique, c'est rarissime.

Une fois que chacun s'est exprimé, le président fait procéder au vote. Chaque juré prend un bulletin marqué du cachet de la cour, où est écrit "En mon âme et conscience, ma réponse est : ...". Il écrit dessus "oui" ou "non", et remet le bulletin plié dans une urne. Une fois les douze bulletins déposés, le président décompte les voix sous la surveillance de tous. Chacun peut vérifier les bulletins. Pour toute décision défavorable à l'accusé (y compris qui refuse une cause d'irresponsabilité), il faut une majorité de huit voix au moins.

Pourquoi huit ? Car si les trois magistrats votent dans un sens défavorable, il faudra en plus la majorité absolue du jury (5 voix sur neuf). Si les trois magistrats votaient au contraire en faveur de l'accusé, pour contrebalancer leur vote, il faudrait que tout le jury sauf un juré vote dans un sens contraire (huit voix sur neuf), donc qu'il y ait une quasi unanimité de leur part. C'est une pondération des votes.

Chaque vote n'a lieu qu'une fois, sauf si des réponses sont contradictoires, auquel cas il faut revoter. Après chaque vote, les bulletins sont immédiatement brûlés (dans certaines cours d'assises modernes, les architectes n'ayant pas prévu de cheminée, les bulletins sont passés à la broyeuse ; il faudra que je soumette ça un jour à la cour de cassation).

Si une culpabilité a été voté, les délibérations ont lieu sur la peine. Une nouvelle discussion a lieu, et chacun peut proposer la peine qui lui semble adéquate. La peine s'adopte de la même façon ("en mon âme et conscience, ma réponse est : X années") à la majorité absolue, donc 7 voix au moins ,sauf si c'est le maximum qui est proposé, auquel cas il faut huit voix au moins.

Si au bout de deux tours de scrutin, aucune majorité ne se dégage, la peine proposée la plus haute est écartée, et on revote. Et à chaque tour de scrutin, la peine la plus haute est écartée, jusqu'à ce qu'une majorité absolue se dégage.

Si la peine prononcée est de cinq ans ou moins, la cour peut voter sur le point d'accorder ou non un sursis. Elle peut également voter des peines complémentaires prévues par la loi, mais c'est rare en cours d'assises. De même, la cour peut voter pour savoir si la peine aura l'exécution provisoire, ce qui implique l'arrestation immédiate de l'accusé libre.

Une fois que toutes les questions auront été traitées et la peine votés (une seule peine est votée quel que soit le nombre de chefs d'accusation, qui couvre l'ensemble des faits retenus), le président fait informer le greffier de ce que le verdict va être rendu.

Et pendant ce temps, il se passe quoi, dehors ?

Dès que vous serez entrés en délibérations, le greffier prendra le numéro de portable des avocats, qui pourront vaquer librement.

L'avocat général ira attendra dans son bureau, qui a un téléphone interne. Tout le monde sait que la délibération durera longtemps (je mettrais une moyenne à deux ou trois heures). L'accusé reste sous garde policière. Les avocats vont se précipiter sue leur téléphone portable afin de répondre aux messages de la journée, donner des consignes et engueuler les collaborateurs. Ils sont là pour ça : pour que leur patron se passe les nerfs sur eux. Pas vrai, chers jeunes confrères ? Puis ils iront se réfugier, si l'heure leur permet, dans un café voisin, sinon ils feront les cent pas dans les couloirs déserts. Pour ma part, je ressens toujours le besoin de m'isoler au moins une heure, le temps de maîtriser l'angoisse, de pouvoir analyser à froid les impressions que j'ai eues, car ma première impression est toujours pessimiste, et la deuxième trop optimiste.

Décrire ce qu'on ressent pendant le délibéré est difficile. C'est puissant, en tout cas : un mélange de peur, d'excitation, des phases d'abattement (j'ai été nul, j'ai oublié de dire ça...) et d'euphorie (le deuxième juré a hoché la tête quand j'ai dit ça, je pense que je l'ai convaincu...). L'adrénaline est là, en tout cas : j'ai les mains qui tremblent, la respiration courte, et je ne peux pas rester en place. C'est une sorte de transe. Et quelle que soit mon angoisse, j'adore ces moments. Les dés sont jetés, il n'y a plus qu'à attendre, le poids de la responsabilité a disparu provisoirement, on est léger, aérien, on a le cerveau qui fonctionne à cent à l'heure, les sentiments se succèdent dans un maelström. On se sent vivant.

Quand je retrouve un état normal, je peux enfin discuter un peu avec mon client, sa famille, avec le greffier aussi, dont les impressions sont précieuses. Avec le service d'ordre aussi. Et même l'avocat général, qui revient quand il pense que le jury a bientôt terminé. Tout le monde est en attente, c'est comme un entracte, ça facilite considérablement le dialogue. Après tout, on a vécu ensemble intensément ces derniers jours, et on est sur le point de se quitter, mais la chute est encore inconnue. C'est une fraternité qui apparaît. C'est généralement dans ces moments là que les familles des victimes et des accusés se parlent, parfois pour la première fois, en tout cas sur un ton apaisé. C'est une atmosphère vraiment extraordinaire.

Puis le moment arrive. Si on est ailleurs, nos mobiles sonnent "Maitre Eolas ? Monsieur Scribe, greffier de la cour d'assises. La cour a fini de délibérer, nous vous attendons". Branle bas de combat, on file vers la salle en enfilant sa robe. Le coeur bat à cent à l'heure, les mains tremblent, c'est reparti.

Quand tout le monde est là, le greffier va informer le président, les mines sont graves.

Le verdict.

La cour fait son entrée, chacun reprend sa place. Les avocats scrutent les jurés qui semblent être devenus des sphynx (ils sont épuisé, il faut dire).

Le président fait entrer l'accusé, et donne lecture des réponses aux questions. A ce stade, seuls les avocats savent ce qu'il en est, car cela donne :

"A la question 'l'accusé est-il coupable d'avoir volontairement oté la vie à X ?', il a été répondu "oui" à la majorité de huit voix au moins..."

Traduction : l'accusé est coupable de meurtre.

Puis le président doit donner lecture des articles punissant ces faits. En pratique, il énumère les numéros et demande à l'avocat de la défense : "Maître, ces articles peuvent-ils être considérés comme lus ?", ce à quoi nous répondons toujours oui, pressés que nous sommes de savoir. La même question est posée à l'avocat général et aux parties civiles, qui sont toujours d'accord aussi.

Et il reprend : "En conséquence, la cour condamne (nom de l'accusé) à la peine de ... années de réclusion criminelle (si la peine est supérieure à dix années, sinon, ce sont des années d'emprisonnement)". A ce moment là, quelqu'un se met toujours à pleurer. Que ce soit la victime si la peine est légère ou la mère de l'accusé si elle est lourde. Parfois les deux pleurent, ce qui est contrariant pour la cour, je suppose.

Si l'accusé est détenu, sa condamnation emporte maintien en détention ; s'il est libre, sa condamnation à de la prison ferme entraîne mandat de dépôt et il est immédiatement interpellé par les policiers ou gendarmes présents.

Bien sûr, il y a une variante.

"A la question 'l'accusé est-il coupable d'avoir volontairement ôté la vie à X ?', il a été répondu non par cinq voix au moins. En conséquence, la cour prononce l'acquittement de (nom de l'accusé)."

Bien évidemment, dans ce cas, la cour n'aura pas voté sur la peine. L'accusé est le cas échéant immédiatement remis en liberté.

Aussitôt l'arrêt rendu, le président libérera le jury en le remerciant, et déclarera que l'audience sur l'action publique est levée. Il ajoutera que l'audience sur l'action civile aura lieu dans quelques minutes.

Et après ?

Pour les jurés, c'est terminé. Ils peuvent rentrer chez eux, sous réserve d'être présent au prochain tirage au sort. Mais la cour n'en a pas fini. Il reste la question des dommages-intérêts, qui peuvent dans certains cas être dus même en cas d'acquittement (acquittement pour démence, existence d'une autre source de responsabilité que la faute pénale...). Vous pouvez rester, même s'il est tard, car cela fait partie du dénouement. Et c'est TRES rapide. Et vous verrez, le prétoire est désert.

Cinq minutes plus tard environ, la cour revient, seule, c'est à dire sans le jury. Elle déclare l'audience civile ouverte. L'avocat de la partie civile dépose des conclusions qu'il avait préparé préalablement demandant le prononcé de telle condamnation à titre de dommages-intérêts, outre une somme au titre de l'article 375 du CPP, c'est à dire le paiement des frais d'avocat. L'usage veut que l'on plaide brièvement, tout le monde étant épuisé ; et on est entre juristes : cette audience ressemble beaucoup aux audiences ordinaires. Les demandes sont écrites, on sait de quoi on parle, le vocabulaire est technique. La parole est donnée à l'avocat général, qui dira "je m'en rapporte", comprendre : ... à la sagesse de la cour. Le parquet n'estime généralement pas avoir à intervenir dans les affaires d'ordre privé entre les parties. L'usage veut également que l'avocat de la défense s'en rapporte. Il peut éventuellement contester telle ou telle évaluation lui semblant démesurée, mais l'heure n'est plus aux grandes plaidoiries et la cour a sa jurisprudence.

La cour se retirera pour délibérer et reviendra cinq minutes plus tard avec un arrêt sur intérêt civil qui sera prononcé sur le champ.

le président se tournera alors vers l'avocat général. "Monsieur l'avocat général, avez vous d'autres réquisitions ?". Non répondra l'avocat général.

"L'audience de la cour d'assises est levée. Elle reprendra demain matin à neuf heures", sauf si l'affaire est la dernière de la session, auquel cas le président déclarera close la session.

L'affaire est terminée. Les parties ont dix jours pour faire appel si elles le souhaitent. Si l'appel ne porte que sur les intérêts civils, il sera jugé par la chambre des appels correctionnels.

La cour d'assises d'appel.

Depuis le 1er janvier 2001, il est possible de faire appel d'une décision d'assises. La cour d'assises d'appel est désignée par la cour de cassation. La procédure est identique, à quelques différences près :

Le jury est composé de douze jurés au lieu de neuf. Il y a donc quinze personnes qui jugent.

La majorité doit être de dix voix au moins pour une décision défavorable à l'accusé, et non pas huit.



Il faut à présent ôter sa robe, ranger son dossier étalé sur toute la table consacrée aux avocats, pendant que le chef du service d'ordre attend pour fermer à clef la porte de la salle d'audience. On retrouve la famille de son client, quand il en a une, pour discuter de la décision, des suites éventuelles : faut-il faire appel ? Quand sortira-t-il ? Ou au contraire célébrer l'acquittement. Il fait souvent nuit. Des verdicts tombent parfois très tard (deux, trois heures du matin). Cela contribue à cette atmosphère unique de la cour d'assises, quand on traverse le palais désert et silencieux. D'autres affaires nous attendent, mais là, il est l'heure d'aller dormir.

mercredi 17 janvier 2007

L'affaire de la SCI La Sapinière

Quelques lecteurs, bien intentionnés je n'en doute pas, qui n'avaient jamais commenté sur ce blogue ont réussi à vaincre leur timidité pour parler en commentaire du soi-disant scandale de la SCI La Sapinière.

Autant j'aime à pointer du doigt les énormités que peut proférer tout candidat à la magistrature suprême de notre pays, et m'amuse à lire les justifications variées, imaginatives et contradictoires qu'on peut invoquer à la rescousse, autant les baudruches m'agacent. Et là, c'en est une belle, à mon avis.

Ainsi, Ségolène Royal et François Hollande, qui vivent maritalement et ont eu des enfants ensemble, ont créé une société civile immobilière, la SCI La Sapinière, dont ils sont tous deux gérants. Cela n'a rien d'un secret honteux, puisque les SCI sont désormais toutes inscrite au répertoire D du registre du commerce et des sociétés tenu par le greffe du tribunal de commerce de Paris, sous le numéro 377 552 955, registre qui est librement consultable par quiconque.

Une société civile immobilière est une société dont l'objet est l'acquisition et l'administration d'un ou plusieurs biens immobiliers. Il est fréquent que des particuliers désireux de devenir propriétaires créent une SCI, soit entre époux ou concubins, soit entre parents et enfants : la complication née de la nécessité de gérer une société est compensée par la facilité de transmission du bien, notamment d'un point de vue successoral.

Bref, c'est parfaitement légal.

La rumeur qui est ainsi colportée laisse entendre que cette SCI aurait été constituée pour échapper à l'ISF. En l'état, cela me paraît plus que douteux.

Je ne vais pas me lancer dans un cours sur la fiscalité des SCI, ce n'est pas ma partie, mais quand même, il va falloir soulever le capot, car la calomnie repose souvent sur l'ignorance du sujet de celui à qui elle s'adresse.

Une SCI peut être constituée pour payer moins d'impôts, mais pas pour échapper à l'impôt (hélas...). On est en France, ne l'oublions pas : une telle fuite fiscale n'aurait pas échappé à nos dispendieux mais vigilants députés.

En gros, à la création de la SCI, des options doivent être exercées : soumission à la TVA ou non, soumission à l'impôt sur les sociétés (IS) ou sur l'impôt sur le revenu (IRPP). Ces choix dépendent de l'opération envisagée dans son ensemble. Si on envisage revendre le bien assez rapidement, il vaut mieux opter pour l'IRPP, car les plus-values sont moins taxées. Si on veut le louer pour toucher des loyers, il vaut mieux opter pour l'IS, pour éviter que les loyers ne s'ajoutent au revenu imposable des associés une fois que les échéances de l'emprunt immobilier ayant servi à acquérir le bien remboursent plus de capital que d'intérêts (effet dit "de ciseaux"). Je schématise, bien sûr. Allez voir un notaire ou un avocat fiscaliste si vous voulez monter une SCI, ce sont des charges déductibles bien employées, croyez moi.

Il existe un cas et un seul où les biens immobiliers détenus par la SCI seront exonérés de l'ISF : c'est le cas de la SCI qui détient un local professionnel qu'elle loue à l'exploitant de ce local, si le détenteur des parts est également exploitant de ce local. Par exemple, A est associé d'une SCI propriétaire d'un hôtel qu'elle loue à la société anonyme qui gère cet hôtel, dont A est également associé et tire au moins 50% de ses revenus (qui a dit que le droit fiscal était simple ?). En effet, les biens professionnels sont exclus de l'assiette de l'ISF, et le Code Général des Impôts assimile aux biens professionnels les SCI qui possèdent des locaux professionnels. Si ce n'est pas le cas, la SCI est prise en compte pour le calcul de l'ISF. Le droit fiscal envisage même l'hypothèse d'une SCI possédant des biens professionnels ou non, et des biens à usage professionnels et non professionnels (comme un immeuble qui a une boutique en rez de chaussée et des appartements d'habitation au-dessus).

L'Etat s'y retrouve toujours, puisque ces biens échappant à l'ISF sont soumis à la taxe professionnelle, entre autres.

Bref, l'attaque en question ne me paraît, en première analyse, reposer sur rien de concret et relever d'une opération de basse calomnie. Si des fiscalistes de l'UMP peuvent éclairer ma lanterne sur ce qui m'aurait échappé (ma connaissance du droit fiscal remonte à la faculté, même si j'étais fort bien noté) ; mais en attendant, qu'il me soit permis de penser que réaliser un montage permettant de diminuer sa charge fiscale, même quand on est de gauche, est plus un signe de bonne gestion que de tartufferie politique, sauf à reprocher également à Ségolène Royale de ne pas majorer intentionnellement ses revenus pour payer plus d'impôt sur le revenu...

PS, in cauda venenum : ces propos sur le droit fiscal ne s'appliquent pas à la fiscalité de Second Life...

vendredi 12 janvier 2007

José Bové, ou le libre malgré lui

Allez, aujourd'hui, c'est distribution de baffes, les commentaires sous mon précédent billet m'ont mis d'humeur.

Au tour de José Bové.

Il fait actuellement le tour des plateaux pour chanter le blues du prisonnier, et se déclare prêt à être un candidat prisonnier.

Ha. La chose semble d'importance. Et pourquoi donc ?

Parce qu'il a été condamné le 15 novembre 2005 a quatre mois de prison sans sursis (sévérité dû au fait qu'il a déjà été condamné par le passé à une peine ferme pour des faits similaires, et que la justice n'aime pas les récidivistes) pour des destructions volontaires commises en juillet 2004 à Menville, près de Toulouse. Un pourvoi a été formé, qui va être examiné le 4 février 2007. Si ce pourvoi était rejeté (l'arrêt devrait être rendu début mars), sa peine deviendrait définitive. Juste avant les présidentielles.

Et on verrait alors les troupes de César venir se saisir de Saint José et le traîner dans un sépulcre de 9m² avant sa résurrection du 120e jour.

Sauf que le chemin de croix a un peu plus de stations que ça, et que même avec la meilleure volonté du monde, José Bové aura bien du mal à respecter l'échéance carcéro-électorale.

Car supposons que la cour de cassation rejette le pourvoi. Que se passera-t-il ?

Le greffe de la cour de cassation délivrera dans les trois jours un extrait de cet arrêt au procureur général près la Cour de cassation, qui l'adressera à son tour au procureur général de la cour d'appel de Toulouse, sans qu'un délai ne soit prévu pour cette transmission (article 617 du Code de procédure pénale, le CPP).

S'agissant d'une condamnation à une peine privative de liberté inférieure à un an, celui-ci devra adresser, sans que la loi ne lui impose un quelconque délai, un extrait de la décision de condamnation au juge d'application des peines du tribunal de grande instance du domicile du condamné, soit je crois Millau. A la réception de cet extrait, le juge d'application des peines aura un délai de quatre mois pour convoquer le condamné et décider d'éventuels aménagements de peine (article 723-15 du CPP). Pour cela, il chargera le SPIP, service pénitentiaire d'insertion et de probation, d'effectuer une enquête sur la situation du condamné. Cela consiste principalement en l'envoi d'un questionnaire au condamné, lui demandant de préciser son travail, ses revenus, ses charges de famille, ses conditions de logement, etc. Le juge pourra alors décider de ne pas mettre la peine à exécution mais de la transformer en des mesures alternatives à l'emprisonnement, dont la loi offre une vaste palette. La loi prévoit même que si la situation du condamné ne lui permet pas de bénéficier de mesures d'aménagement, le juge doit lui indiquer quelles modifications il doit apporter à sa situation pour pouvoir en bénéficier (même article). Concrètement, il s'agira d'un domicile stable, par exemple.

La loi prévoit que le condamné peut refuser ces mesures auquel cas la date d'incarcération est décidée en tenant compte de l'avis du condamné. Si le condamné ne répond pas ou refuse de collaborer avec le SPIP, le juge d'application des peines mettra la peine à exécution et ordonnera l'incarcération immédiate. S'il n'a pas statué dans le délai de quatre mois, le procureur de la République peut mettre lui même la peine à exécution.

Bref, vous l'avez compris, vu les délais, il n'y a aucune chance pour que José Bové aille en prison d'ici le 22 avril. Le délai de quatre mois n'aura pas expiré quand bien même le JAP de Millau aurait été saisi avec la plus grande célérité.

Et après cette date, pour qu'il y aille, il faudra qu'il y mette du sien en refusant toute mesure d'aménagement ou en s'abstenant de répondre au juge d'application des peines. Car face à une personne qui nonobstant son comportement délictuel est bien insérée, qui est agriculteur dans une exploitation en activité, tout juge d'application des peines sera enclin à éviter une peine de prison qui nuirait à son activité économique et n'apporterait pas grand chose au reclassement du condamné (qui est la première préoccupation des juges d'application des peines).

Je pourrais supposer que José Bové n'est pas au courant de ces subtilités s'il n'était déjà passé par là : or il a déjà fait l'objet d'une incarcération le 22 juin 2003. Et ce ne sont pas les gendarmes qui l'avaient interpellés au saut du lit : il s'était rendu en cortège de tracteurs, escorté par la gendarmerie, à la maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone après avoir informé la presse de la date et de l'heure de son incarcération pour en faire un spectacle : images INA.

Trois ans après, il nous refait le coup.

Alors, puisque la mode est au procès d'intention, je précise tout de suite que même si je suis contre les opérations concertées de destruction du bien d'autrui qu'on appelle du doux vocable de "fauchage volontaire", je n'ai à titre personnel aucun goût de voir José Bové en prison.

Mais je vois assez d'hommes et de femmes incarcérées sans avoir eu de possibilité d'y échapper, parce qu'elles ont été jugées en comparution immédiate qui permet un emprisonnement immédiat quelle que soit la durée de la peine prononcée, parce qu'elles n'ont pas compris la notification d'un jugement qu'elles sont forcloses à faire appel ou opposition, ou qu'elles sont tellement exclues que le JAP ne peut rien proposer comme alternative à l'emprisonnement (expliquez moi comment on place un SDF sous bracelet électronique, alors qu'il faut une ligne France Telecom pour le terminal) ; je lis leurs lettres désespérées, leurs appels à l'aide bouleversants, écrits d'une écriture hésitante et bourrée de fautes d'orthographe (parfois par une autre prisonnier moins illettré) sur la page arrachée d'un cahier ; j'ai leur famille, pour ceux qui en ont, qui m'appellent tous les jours pour savoir quand il va sortir. Des mères prêtes à vendre leur alliance si c'était une question d'argent, qu'il faut convaincre de ne pas le faire. Il faudrait que vous voyiez un jour les dessins que des enfants envoient à leur père en prison : ils se dessinent en train de casser les murs pour que leur père revienne à la maison.

Avoir un client en prison, c'est un poids sur l'estomac de tous les instants, un nuage qui gâche un peu toutes vos journées. Le faire sortir devient une obsession, et l'angoisse du suicide une peur sourde et continue. En France, un prisonnier se suicide tous les trois jours (Source : Observatoire International des Prisons). C'est le troisième taux en Europe. Et c'est la famille de votre client qui vous l'annonce, après avoir reçu un appel du chef d'établissement. Quand votre client n'a aucune famille, c'est vous qu'il aura désigné comme personne à prévenir, lors de son écrou. Vous n'êtes même pas au courant au préalable. C'est quand vous recevez le coup de fil que vous apprenez qu'il vous considérait comme sa seule famille, même si la seule fois que vous l'avez vu, c'était au tribunal, le jour où vous étiez de permanence.

Alors j'espère que vous comprendrez que le numéro de José Bové, qui joue le condamné apeuré quand il a l'assurance d'échapper à l'incarcération s'il fait le nécessaire, et qui n'ira donc que s'il le veut bien, fait plus que m'agacer. Elle me met en fureur.

lundi 8 janvier 2007

La République est elle soluble dans la soupe de cochon ?

Encore une fois, une question juridique a tenu le devant de la scène médiatique. Encore une fois, les questions juridiques en cause ont été consciencieusement évitées pour se concentrer sur l’aspect spectaculaire. Et cette fois encore, comme dans l’affaire du droit au logement opposable, la blogosphère juridique a été très réactive pour donner l’éclairage qui faisait défaut.

Un voyage en terre étrangère suivi d’une journée d’agonie à grelotter sous la couette m’ont empêché d’être aussi prompt , et je vous signale des billets antérieurs d’excellente facture sur la question :
chez Jules (de Diner’s Room),
chez le Silence des Lois,
chez Somni.
Même Embruns, qui est la quintessence du touche à tout (et croyez-moi, vraiment à tout…), aborde le sujet.

Enfin, quand je dis que je n’ai pas été prompt, vous me connaissez désormais assez pour savoir que c’est de la fausse modestie. Cela fait un an que j’avais donné mon avis sur le sujet, dans une discussion en commentaires chez Paxatagore, qui n’a pas perdu de son actualité.

Voici donc une petite bibliographie en guise d’introduction. Souffrez que j’y glisse également trois prolégomènes.

Premier prolégomène :
J’ai parfaitement conscience que le but voulu par l’association à l’origine de cette affaire est de faire du bruit, de faire parler d’eux pour ensuite jouer la carte de la victimisation. Et qu’une parade efficace serait de ne pas en parler. Je suis de ceux qui pensent qu’au lieu de se taire, s’adresser à l’intelligence des lecteurs peut être au moins aussi efficace. Plutôt que laisser le terrain aux jérémiades des caliméros en chemise brune, expliquer ce que dit réellement cette décision permet de démontrer, vous allez voir, que cette association a voulu et recherché cette interdiction, que son but était celui-là ; et non de soulager la faim de ses prochains. Témoin, sa première tentative d’il y a un an, qui a tourné en eau de boudin (humour). Voilà la noblesse de ces pleurnicheurs.

Second prolégomène:
Un juge, quel qu’il soit, quand il statue, ne donne pas son opinion qu’il érige en force de loi :
il tranche sur une question qui lui est posée,
que si elle lui est posée,
uniquement sur ce qui lui est demandé,
et encore à la double condition qu’il soit bien le juge concerné par la question (on dit qu’il est compétent pour examiner cette question) et que la personne qui lui pose cette question soit bien concernée par cette question (on dit qu’elle a qualité pour agir).

Bref : un juge, c’est exactement le contraire d’un blogueur.

Troisième prolégomène :
le droit administratif, dans lequel nous allons nous vautrer avec délice tel le verrat dans sa mare, est un droit prétorien. Ses grands principes résultent tous d’arrêts du Conseil d’Etat qui sont connus sous le nom du principal demandeur. Paradoxalement, le droit administratif est donc le plus proche du droit anglo-saxon et de sa règle du précédent. Tous les juristes de droit public connaissent ces arrêts légendaires qui sont rassemblés dans le fameux GAJA, les Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative, outil indispensable à la maîtrise de la matière. Deux de ces arrêts seront cités ici. Ce n’est pas l’auteur qui les a exhumé lors de recherches archéologiques : ce sont des monuments du droit, aussi connus pour les juristes que la tour Eiffel ou le Taj Mahal. Lorsque je les citerai, je ferai une note de bas de page afin d’édifier le lecteur.

Cessons de faire mijoter le lecteur, et venons en au fait.

Une association, que je ne ferai pas l’honneur de nommer, qui revendique clairement sa xénophobie, a décidé de distribuer aux SDF de la soupe faite exclusivement à base de cochon, afin d’exclure de facto de leur distribution les musulmans, juifs et hindous pauvres, qui refusent, pour des motifs religieux, de consommer du porc. On se doute que la première catégorie est plus particulièrement visée.

Plusieurs de ces distributions étant prévues sur Paris du 2 au 6 janvier, le préfet de police, représentant de l’Etat dans la ville lumière, a pris le 28 décembre 2006 un arrêté interdisant ces distributions, en raison d’un risque de trouble à l’ordre public, cette distribution s’analysant en manifestation xénophobe, qui risquait de dégénérer en affrontements.

Il est en effet de vieille tradition républicaine que l’autorité publique puisse prendre des mesures dites de police visant à prévenir des troubles à l’ordre public, quitte ce faisant à restreindre une liberté. L’ordre public regroupe plusieurs aspects : la tranquilité publique, la salubrité publique, la sécurité publique et depuis un récent arrêt Commune de Morsang Sur Orge[1], la dignité humaine.

Cependant, le juge administratif, depuis un célèbre Benjamin [2], exige que la mesure ne soit pas disproportionnée eu égard au but recherché, et que dans le cas d’une interdiction pure et simple, il n’y ait pas d’autre solution. Ce qui implique un examen méticuleux du but recherché, de la proportion des moyens, des autres solutions.

Face à cette interdiction, l’association saisit le juge administratif d’un “référé liberté”.

Le référé liberté est prévu par l’article L.521-2 du code de justice administrative, ainsi rédigé :

Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public [ce qui inclut au premier chef l’Etat, qui agit par ses ministres et préfets - NdA] (…) aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale.

Notez bien ces mots, c’est important : atteinte grave et manifestement illégale. La condition est cumulative. En référé, on ne peut consacrer un temps conséquent à une réflexion juridique approfondie : on est dans l’urgence (le juge a 72 heures pour statuer), et dans l’évidence. L’association a elle-même choisi un terrain difficile, où elle doit démontrer que l’arrêt est manifestement illégal, ou perdre son procès. Peut-être que l’arrêté est illégal, mais si ce n’est pas manifeste, si cela suppose un examen méticuleux du pour et du contre, le juge des référés n’y touchera pas, il n’est pas compétent, cela relève de la procédure de droit commun. Voilà l’enjeu exact du débat.

Le 2 janvier 2007, le tribunal administratif de Paris a considéré qu’il y avait une atteinte grave et manifestement illégale au droit de réunion et de manifestation de l’association concernée, quand bien même cette manifestation était à caractère discriminatoire, et a donc suspendu l’arrêté du 28 décembre 2006.

Le 3 janvier, le ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire a fait appel de cette décision, appel qui, en matière de référé liberté, est porté directement devant le Conseil d’Etat.

Le 5 janvier 2007, le Conseil d’Etat annule l’ordonnance de référé et confirme l’interdiction de cette manifestation.

Dans sa décision, le Conseil d’Etat statue en deux temps.

D’abord, il examine la décision attaquée par le ministre. C’est le propre des débats d’appel : ce n’est pas un procès à partir de zéro, c’est un procès à partir d’une première décision. Il faut donc commencer par démontrer au juge d’appel que la première décision n’est pas bonne pour pouvoir utilement en demander une nouvelle. C’est un détail essentiel qui échappe à beaucoup de justiciables allant en appel sans avocat (en matière pénale principalement) et qui sont tout surpris quand la première question de la cour est “Et que reprochez vous au jugement, à part de vous avoir donné tort, bien sûr ?”.

Ici, le Conseil d’Etat relève une contradiction de motifs, c’est à dire que le juge s’est contredit en disant que cette manifestation avait un caractère discriminatoire, mais que l’interdire constituait une atteinte manifestement illégale à la liberté de manifester. La loi interdit toute discrimination, c’est même un délit pénal. Dès lors qu’une volonté délictueuse est proclamée et assumée comme mobile à une manifestation, pourquoi dire qu’il est illégal et disproportionné de l’interdire ? Le raisonnement est boîteux, et le Conseil l’annule donc.

Deuxième temps : il n’y a plus de jugement, il faut donc statuer. Le Conseil d’Etat va donc examiner l’affaire comme si elle n’était jamais venue devant un juge : on appelle cela “évoquer”. C’est ce passage de l’ordonnance qui marque le pivot de l’arrêt :

Considérant qu’il y a lieu pour le juge des référés du Conseil d’Etat, statuant par la voie de l’évocation, de se prononcer sur le bien fondé des conclusions de la demande ;

Et là, le Conseil d’Etat va tenir un raisonnement on ne peut plus orthodoxe et conforme à sa tradition.

Tout d’abord, il s’interroge : au nom de quoi le préfet de police a-t-il interdit cette manifestation ?

L’arrêté contesté prend en considération les risques de réactions à ce qui est conçu comme une démonstration susceptible de porter atteinte à la dignité des personnes privées du secours proposé et de causer ainsi des troubles à l’ordre public ;

Ha, ha ! La dignité des personnes ! C’est l’arrêt Morsang Sur Orge. Le préfet a donc invoqué un motif d’interdiction que le Conseil d’Etat a déjà jugé légal par le passé.

Ensuite, le Conseil d’Etat se demande si la liberté de manifestation ne rend pas une telle mesure illégale. Il répond que :

le respect de la liberté de manifestation ne fait pas obstacle à ce que l’autorité investie du pouvoir de police interdise une activité si une telle mesure est seule de nature à prévenir un trouble à l’ordre public ;

Ha, ha ! S’il n’y a pas d’autre solution ! C’est l’arrêt Benjamin, dans tout son classicisme.

La question suivante devrait donc être : cette interdiction était-elle la seule solution ? Si c’est oui, l’arrêté préfectoral est légal, si c’est non, il est illégal.

Sauf que.

Sauf que nous sommes ici en référé. Le juge des référés n’est pas compétent pour répondre à cette question. La seule à laquelle il peut répondre est : cet arrêté est-il manifestement illégal ? Or il a déjà donné tous les éléments de réponse : l’interdiction peut être prononcée si elle invoque bien un motif d’ordre public accepté par le juge administratif, peu importe qu’elle nuise à la liberté de manifester. Et c’est le cas ici. Qu’il y ait une exception au recours à l’interdiction, peu importe ici, on est en référé. On ne peut matériellement s’interroger sur les effectifs de police disponibles pour protéger les membres de l’association, sur la réalité des risques, etc.

Le Conseil d’Etat va donc constater que l’interdiction par le préfet n’est pas manifestement illégale, et il a rempli son office :

En interdisant par l’arrêté contesté plusieurs rassemblements liés à la distribution sur la voie publique d’aliments contenant du porc, le préfet de police n’a pas, eu égard au fondement et au but de la manifestation et à ses motifs portés à la connaissance du public par le site internet de l’association, porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifestation.

La manifestation n’était pas anodine, son caractère discriminatoire était publiquement affiché sur le site internet de l’association. Dès lors, le risque de réaction violente face à l’humiliation que l’on veut infliger à une certaine catégorie de la population n’est pas inexistant. Cet arrêté n’était donc pas manifestement illégal.

Comme vous le voyez, tout juriste ayant obtenu son diplôme aurait su que cette manifestation pouvait être interdite sans que l’interdiction soit manifestement illégale. Que faire savoir à cor et à cris que cette distribution visait à exclure de son bénéfice les musulmans rendait cette interdiction probable. En fait, ce battage visait à provoquer cette interdiction.

Ce d’autant que ces distributions avaient déjà fait l’objet d’interdictions préfectorales il y a un an.

Ainsi, quoi qu’on en dise, ce n’est pas du politiquement correct de mauvais aloi, ce n’est pas de l’islamophilie déplacée, et surtout ce n’est pas la soupe en elle-même qui a été interdite : que les amateurs de potée dont est votre serviteur se rassurent. Le Jabugo pata negra cinco bellotas n’est pas encore hors la loi, Dieu merci (et si tel était le cas, je jure que je prendrais les armes et appellerais à la sédition, et je parie que les Conseillers d’Etat seraient à mes côtés sur les barricades).

C’est une manifestation xénophobe et discriminatoire qui a été interdite, quel que soit la forme hypocrite sous laquelle elle essayait de se camoufler.

Mes commentaires d’il y a un an reflètent toujours mon opinion, mais le simple fait qu’il y ait eu discussion avec plusieurs points de vue démontre à l’évidence que l’interdiction n’est pas manifestement illégale, et qu’il faut un recours de droit commun pour trancher la question au fond. J’ignore si ce recours a été formé par l’association. En attendant, le principe de l’interdiction demeure.

Notes

[1] Conseil d’Etat, 27 octobre 1995 : le Conseil d’Etat reconnaît la légalité d’un arrêté préfectoral interdisant un spectacle de lancer de nain comme étant contraire à la dignité de la personne et partant, troublant l’ordre public.

[2] Conseil d’Etat, arrêt du 19 mai 1933 : Le Conseil d’Etat déclare illégal et annule un arrêté du maire de Nevers interdisant une conférence de Monsieur Benjamin sur Courteline et Sacha Guitry au motif que des syndicats d’instituteurs avaient menacé de troubler cette conférence, Monsieur Benjamin leur étant peu sympathique, car, dit le Conseil d’Etat, le maire pouvait prévenir ces troubles par d’autres moyens qu’une interdiction radicale, qui était donc disproportionnée eu égard au but recherché

vendredi 22 décembre 2006

Vous savez pourquoi vous avez choisi ce métier quand :

...Votre client qui vient d'être relaxé et qui vous serre la main pour vous remercier n'arrive pas à la lâcher.

... Un gendarme vous apostrophe dans un couloir pour vous féliciter de votre plaidoirie.

... Le père du prévenu que vous appelez dans la salle des Pas-Perdus pour lui dire que son fils passera Noël à la maison alors qu'il ne l'attendait qu'en août prochain ne parvient à dire que "Merci, c'est vraiment gentil..." entre deux sanglots étouffés.

... Vous arrivez à paraître blasé quand en réalité, vous n'avez qu'une hâte, c'est de trouver un couloir désert pour danser de joie.

Je pars en vacances épuisé mais avec le sentiment du devoir accompli.

Joyeux Noël à tous.

PS : C'est mon blog, je me la pète si je veux.

Y'a des fois, quand même...

Comme mes lecteurs habitués le savent, je suis un ami des Etats-Unis. J’aime et admire ce grand pays qui nous a tant appris sur la démocratie au point que nous préférons l’oublier et faire comme si elle était née chez nous, avec son frère jumeau, l’Etat de droit, et j’aime beaucoup, à l’occasion, tordre le coup à quelques idées reçues qui courent par chez nous pour tenter de démontrer que ce pays ne mérite qu’aux mieux, mépris, et au pire, crainte.

C’est donc vierge de tout parti pris que je puis m’indigner de quelque chose qui s’y passe.

En l’occurrence, une décision discrète, qui passerait inaperçue si l’internet ne la reliait pas. Parce que quelques fois, la raison défaille, face à une décision indigne d’un pays civilisé.

Je veux donc vous parler de Genarlow Wilson. Il a 19 ans, bon athlète, bon étudiant, avec une moyenne générale de 16/20[1], pas de casier judiciaire.

Il a été interpellé en août 2004 et placé en détention provisoire.

Les faits qui lui sont reprochés laissent pantois : lors du réveillon du Nouvel An le 31 décembre 2003, lui et cinq de ses copains et une copine de lycée ont loué une chambre d’hôtel et ont fêté l’année nouvelle d’une façon plutôt paillarde. A cette occasion, cette jeune fille de 15 ans lui a fait une fellation, lui en avait 17. Elle était consentante. Le tout a été filmé.

En France, un juge ne dirait qu’une chose : « veinard ! ». En Georgie, dans le Comté de Douglas, il a été considéré comme un child molester, un délinquant sexuel sur mineurs. J’insiste sur un point : le rapport était consenti et la supposée victime n’a pas porté plainte.

Bon, un emballement judiciaire dans un Etat sudiste réputé pour ses jeunes femmes prudes et fidèles, et on a envie de ricaner devant ces juges coincés et outrés qu’un jeune homme de 17 ans ait des pulsions sexuelles, et qu’une jeune fille de 15 ans puisse y répondre.

Désolé de gâcher l’ambiance.

En Georgie, l’âge de la majorité sexuelle est de 16 ans (il est de 15 ans en France). La loi de Georgie prévoit que l’agression sexuelle sur mineur est un crime passible de 10 ans de prison minimum, sans possibilité de libération conditionnelle (parole), et d’être inscrit à vie sur les fichiers des délinquants sexuels. Il a été condamné à 11 ans, dont dix sans parole, et un an de probation, outre son inscription à vie sur les fichiers de délinquants sexuels. Ses compagnons de chambrée, ayant plaidé coupable, purgent des peines de cinq années. Genarlow avait plaidé non coupable.

Le 15 décembre, la Cour Suprême de Georgie a confirmé ce jugement.

Ca vous glace ?

Il y a pire encore.

En 2006, le parlement de Georgie a modifié le Code pénal de cet Etat pour transformer le délit d’agression sexuelle sans violence ni contrainte ni surprise sur une victime âgée de 13 à 16 ans par un auteur de 18 ans ou moins en délit mineur (misdemeanor) passible d’un an de prison maximum. La peine prononcée contre Genarlow Wilson relève d’un crime aboli.

Sauf que le législateur a expressément exclu que la loi nouvelle s’applique à des faits antérieurs. Ce que la Cour Suprême de Georgie n’a pu que constater, dans cet attendu de son président qui fait frémir :

Ainsi, bien que je sois très sensible à l’argument de Wilson sur l’injustice de condamner ce jeune homme prometteur, avec de bons résultats scolaires et aucun antécédent judiciaire à dix années de prison sans parole et une inscription à vie comme délinquant sexuel parce qu’il a eu un rapport sexuel oral consenti avec une jeune fille de 15 ans, soit âgée de deux ans de moins que lui, cette Cour est tenue par la décision du parlement que des jeunes personnes dans la situation de Wilson n’ont pas droit au traitement de délit mineur désormais prévu par l’article 16-6-4 (d) du Code pénal de Georgie (OCGA).

Notons que cela ne pourrait arriver en France : la rétroactivité de la loi pénale plus douce, principe à valeur constitutionnelle, interdirait au parlement de prévoir que l’abolition de ce crime ne puisse profiter à des personnes en cours de jugement ou déjà condamnées.

Mais, quand, sous les meilleurs prétextes du monde, celui de vous protéger des méchants, vous et vos enfants, on vous parle de durcir la répression des mineurs, de prévoir des peines plancher, quand chaque nouvelle loi répressive prive le juge de son pouvoir d’adaptation de la peine, souvenez vous de Genarlow Wilson. 19 ans. Pas de casier. Très bons résultats. Un avenir prometteur.

Tout cela, broyé, détruit, anéanti. Au nom de la protection des mineurs.

Ha, il était mineur, lui aussi ?

On ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs.


Un billet juridique sur la question sur le blog The Volokh’s conspiracy. L’auteur est très pessimiste sur les chances de succès d’un recours devant la cour suprême des Etats-Unis.

Merci de vous abstenir de propos anti-américains en commentaire, je les effacerai. Ce sont des américains qui m’ont informé de cette affaire et tous expriment leur indignation face à cette affaire. Même la Cour Suprême de Georgie trouve cette décision injuste. Et Bush n’a rien à voir là dedans (il n’a pas le pouvoir de gracier). Récupérer cette affaire pour de la propagande serait abject.

Notes

[1] Pour une meilleure compréhension, j’ai traduit sa situation scolaire aux normes françaises. Pour les puristes, son Grade Point Average (GPA) est de 3.2 sur 4.

mardi 19 décembre 2006

Retour sur la manifestation des avocats du 18 décembre 2006

Après les quelques photos et vidéos publiées hier, voici un petit billet sur mes impressions post-manif.

J'en garde un bon souvenir teinté d'un brin d'amertume.

Bon souvenir, car il n'y a pas à dire, c'est émouvant de voir toutes ces banderoles indiquant la provenance des confrères qui défilent, et c'est vraiment de la France entière qu'ils venaient, et de barreaux fort modestes : du Nord, comme Arras ou Béthune, du Sud ouest, comme Libourne et leur panneaux en couvercle de caisses de grands crus, du sud est, comme Montpellier ou les bondissants avignonnais, de la Bretagne, comme les intenables vannetais, d'Auvergne, d'Alsace... Je ne peux pas tous les citer, mais le chiffre de 6000 participants semble être retenu. 6000, ce n'est pas beaucoup, mais c'est 15% de la profession qui était là...

Un coup de toque aussi au syndicat de la magistrature qui avait envoyé une délégation de soutien.

L'ambiance était très joyeuse. Se retrouver ainsi, entre confrères pour soutenir la même cause, ça nous arrive fort peu. Pour une fois que nous ne sommes pas adversaire, nous sommes tout à la joie de nous retrouver.

Joie dont font un peu les frais nos instances ordinales, rapidement débordées par la base.

Je me souviendrai longtemps du fou rire que j'ai eu quand le bâtonnier Paul-Albert Iweins, président de Conseil national des Barreaux (organe représentatif au niveau national) rendait compte à la foule du (bref) entretien qu'il avait eu avec le Garde des Sceaux qui l'avait reçu avec Frank Natali, président de la Conférence des bâtonniers (qui représente tous les barreaux sauf celui de Paris, considéré comme trop prééminent au CNB) : à peine son discours entamé, le camion-sono où il était juché a tourné à gauche, rue Danièle-Casanova, pour éloigner la manifestation de la place Vendôme, à la demande des forces de l'ordre. Or la rue Danièle Casanova est fort étroite, contrairement à la rue de la Paix où nous étions. Et la majorité des avocats trouvaient fort jolie la Place Vendôme et avaient envie d'aller la visiter.

D'où cette scène désopilante du camion emportant notre bâtonnier agrippé à son micro et annonçant comme une victoire la promesse d'une énième réunion solennelle le 30 janvier, suivi par quelques avocats trottinants et applaudissants, pendant que la foule le regardait partir en chantant "Ce n'est qu'un au revoir"...

Rire également quand un avocat qui s'était approché des barrières gardées par les forces de l'ordre s'est saisi d'un haut parleur et a crié en direction de la chancellerie : « Rends-toi, Clément ! Tu es cerné, il y a au moins cinquante policiers, tu ne pourras pas t'échapper ! » pendant que de nombreux avocats se proposaient d'ores et déjà d'assurer sa défense... à l'AJ. Ca change un peu des slogans rabâchés poussivement dans des micros ; je goûte assez peu cette forme de rhétorique des foules.

Amertume toutefois, car il y a eu des comportements qui ne peuvent que faire grand tort à notre professions. Ainsi, j'ai entendu des confrères qui se tenaient à mes côtés qualifier de « C.R.S. » les forces de l'ordre barrant la route de la place Vendôme. Je ne crois pas que traiter ainsi des gendarmes mobiles, avec lesquelles nous entretenons au palais d'excellentes relations, fera avancer notre cause. Pensons à notre devoir de dignité.

Plus sérieusement, la montagne a accouché d'une souris. Le Garde des Sceaux a reçus Messieurs les bâtonniers Iweins et Natali, qu'il connaît déjà fort bien. Il a reçu de leurs mains une plate-forme (une enveloppe kraft, de fait), qui a à peu près autant de chance d'être prise en compte en période pré-électorale que Frits Bolkestein d'être élu président de la république. Pascal Clément sait que dans six mois, il n'est plus là. Sa mission est de contenir les incendies, certainement plus de réformer : le parlement cesse de siéger dans deux mois, et l'agenda est archi-complet. Le dossier de l'AJ sera un des cadeaux laissés à son successeur.

Non pas que je bâtissais de grands espoirs sur cette manifestation, mais je pense à ces confrères venus de loin pour cette manifestation qui doivent se contenter de cette sucette pour prix de leur voyage et de la fermeture de leur cabinet pendant cette journée. J'en suis d'autant plus triste que le barreau de Paris s'est illustré par son absence. Les syndicats étaient présents, l'Union des Jeunes Avocats, bien sûr, le Syndicat des Avocats de France (S.A.F.), et même les Avocats Conseils d'Entreprise (A.C.E.) qui pourtant ne connaissent guère l'A.J. Mais à titre individuel, les épitoges veuves étaient rares. alors que nous n'avions que le métro à prendre. Nous sommes décidément de bien piètres hôtes.

Quant à la couverture médiatique, si les radios et les télévisions d'information étaient présentes, elle se résume en quelques secondes d'images indiquant que nous avions manifesté. Les profs semblent avoir été mieux traités, avantage du nombre.

J'ai néanmoins eu le plaisir de servir d'escorte à ma chère consoeur Veuve Tarquine, qui, robe sur l'épaule et appareil photo en bandouillère, a mitraillé cet événement avec son talent habituel. Ses photos me font rougir d'avoir publié les miennes, mais côté matériel, je ne rivalisais pas (j'ai la consolation d'avoir un bien plus joli vélo qu'elle).

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