Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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samedi 23 janvier 2010

Nicolas Sarkozy pourrait-il être Français si on lui appliquait ses lois ?

Le député européen (enfin, européen, je me comprends) Jean-Luc Mélenchon a affirmé dans Le Parisien - Dimanche (et donc dans Aujourd’hui en France - Dimanche) que ” si on lui appliquait ses lois, Nicolas Sarkozy ne pourrait pas être français”. Admettons-le, ce serait symbolique des dérives de notre droit de la nationalité et du statut des étrangers en France. Mais le fait que ce soit M. Mélenchon qui l’affirme doit pousser à la circonspection. Les textes juridiques, c’est pas son truc, comme il l’a démontré en 2005.

Et en effet, c’est faux, vous allez le voir.

Le raisonnement repose sur le père de Nicolas Sarkozy, Nagybócsai Sárközy Pál, né à Budapest le 5 mai 1928, et de nationalité hongroise. Si à son arrivée en France, l’actuel Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile (CESEDA) était en vigueur, aurait-il pu rester, avoir trois fils, et leur transmettre la nationalité française ? La réponse à la première question est oui ; la seconde ne regarde que la nature et non le droit, et la réponse à la troisième question est non mais cela n’a pas d’importance.

L’arrivée du père

Nagybócsai Sárközy Pál a fui son pays avec sa famille en 1944 devant l’avancée des troupes soviétiques (la Hongrie avait rejont l’Axe pendant la Guerre). À son retour en 1945, elle a découvert que ses biens (la famille Nagybócsai Sárközy était d’une petite aristocratie terrienne) avaient été saisis, et a craint que le jeune Pàl ne soit enrôlé de force dans l’Armée Populaire, voire déporté en Sibérie en raison de ses origines. Sa mère a prétendu que son fils était mort noyé, et lui a dit de partir en France, terre d’asile. Pàl traversa l’Autriche et arriva à Baden Baden, où il s’engagea pour 5 ans dans la légion étrangère mais fut démobilisé en 1948, année où il s’installa définitivement en France (d’abord à Marseille, puis Paris).

Ceci posé, qu’est-ce que cela donnerait aujourd’hui ?

Eh bien Nagybócsai Sárközy Pál aurait l’embarras du choix pour le fondement de son séjour en France.

Tout d’abord, il pourrait demander à bénéficier du statut de réfugié : il fait état de craintes (risque de déportation) liées à son appartenance à un groupe social (l’ancienne aristocratie terrienne) : art. L. 711-1 du CESEDA, Convention de Genève du 28 juillet 1951. l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides lui reconnaitrait ce statut sans trop de difficulté à mon avis.

Même s’il ne souhaitait pas passer par là, ayant compté trois années de service actif dans la Légion Étrangère (1945-1948), il pourrait bénéficier d’une carte de résident de plein droit : art. L.314-11 du même Code.

En tout état de cause, les anciens pays du bloc de l’Est déchoyaient les émigrés ayant fui le paradis socialiste de leur nationalité, et Pàl ne fut pas une exception. Son statut d’apatride (une fois reconnu par l’OFPRA) lui donnerait un droit au séjour, et rendrait impossible toute expulsion (art. L.721-2 du CESEDA, convention de New York du 28 septembre 1954.

À terme, il aurait vocation à obtenir la nationalité française par naturalisation, ce qu’a fait le vrai Pàl au début des années 1970, c’est à cette occasion qu’il a officiellement francisé son nom en Paul Sarközy de Nagy-Bocsa, nom sous lequel il avait été inscrit à la Légion,

En somme, pas de changement entre ce qui s’est passé il y a 60 ans et aujourd’hui.

La nationalité du fils

Le fait que le président de la République ait un père hongrois n’ayant acquis la nationalité française que postérieurement à la naissance de son fils fait que certaines personnes, que je présume bien intentionnées se demandent si cela n’aurait pas des incidences sur sa nationalité française.

La réponse est : aucune.

Car à se focaliser sur son père, on oublie celle qui a joué un rôle bien plus important dans la vie de son fils : sa mère.

Nicolas Sarkozy est le fils d’Andrée Jeanne Mallah, elle même née à Paris le 12 octobre d’une année que ma galanterie m’interdit de me souvenir. Elle même est la fille de Benoît Mallah, médecin réputé tenant sa pratique dans le 17e arrondissement de Paris, né en 1890 à Thessalonique en Grèce (mais qui à l’époque était en Turquie ottomane…), et d’Adèle Bouvier, fille d’une famille de la bourgeoisie lyonnaise, d’origine savoyarde, étant de ce fait devenue française lors du rattachement de cette province à la France en 1860 (Traité de Turin).

Nicolas Sarkozy est donc Français de naissance, étant fils d’une mère française : art. 18 du Code civil.

La question de la preuve de la nationalité française de sa mère ne se pose même pas, puisqu’il est né en France (à Paris 17e) d’une mère elle même née en France (à Paris, 17e aussi je crois) : art. 19-3 du Code civil. Il lui suffit de produire une copie de son acte de naissance et de celui de sa mère pour établir sa nationalité de manière irréfutable.

Ainsi, même en appliquant les lois en vigueur en janvier 2010 à des événements survenus en 1955, tant le séjour du père du président que la nationalité de celui-ci ne seraient nullement remis en cause.

Ceux qui souhaitent critiquer les absurdités des lois actuelles en matière d’étrangers, qui poussent un ministre à nier contre toute évidence l’état réel de ce droit plutôt que de devoir le justifier, ou de nationalité, qui a obligé l’éditeur et chroniqueur Éric Naulleau, né à Baden Baden en Allemagne, incapable de prouver sa nationalité de naissance, à invoquer quatre années de mariage avec une Bulgare naturalisée Française par décret pour récupérer sa nationalité française, ont assez de grain à moudre pour avoir besoin d’en inventer.

mardi 12 janvier 2010

Le nom dit s’écrit.

par Sub lege libertas


L’article premier de la loi du 6 fructidor an II (23 août 1794) pose le principe de l’immutabilité des noms de famille. On ne peut donc rien ajouter ou retrancher à son nom complet sous peine de prison et d’amende. Cette même loi interdit également sous peine de sanction pénale à tous fonctionnaires publics de désigner les citoyens dans les actes autrement que par le nom de famille. Tout cela est encore parfaitement en vigueur, y compris la répression pénale qui est désormais précisée dans le code pénal (article 433-19).

On ne plaisante donc pas avec l’application de loi en matière de nom. Les ajouts même pata-typographiques sont prohibés, fussent-ils introduit par une comique circulaire créant le double tiret. Le Conseil d’Etat appela le Garde des Sceaux à tirer un trait dessus dans un arrêt comme nous le narra Maître Eolas il y a peu.

Grâce à ce billet, je me remémorai donc cette loi de la Convention, dont l’actualité quotidienne ne peut échapper à un magistrat du Parquet. En effet depuis 1803, l’article 53 du code civil confie au procureur de la République la surveillance de l’Etat civil et c’est à lui que l’officier d’état civil doit soumettre les questions qui se posent quant aux mentions à porter, par exemple, dans un acte de naissance, ainsi que le rappelle l’article 57 du même code.

- Quand je serai grand, je serai président ! - Mais, c'est quoi ton nom ?

Je suis sans doute un diptéro-sodomite aérien, mais je constate, comme l’eût fait le procureur de Paris d’alors, que l’officier d’Etat civil du 17e arrondissement de la ville de Paris, le 28 janvier 1955, a très scrupuleusement respecté cette grande loi révolutionnaire sur l’immutabilité du nom de famille. Il a ainsi enregistré la naissance, ce jour-là, de Nicolas, Paul, Stéphane, fils de Paul Sarközy de Nagy-Bocsa et Andrée Mallah, son épouse.

Le père est né à Budapest le 5 mai 1928. Son nom est alors nagybócsai Sárközy Pál, car en hongrois le prénom (Pál) est postposé et nagybócsai est un adjectif nobiliaire antéposé qui se traduit par “de Nagy-Bocsa”. Son père réfugié en France après 1944 fut naturalisé français et choisi à cette occasion de franciser son nom et son prénom en Paul Sarközy de Nagy-Bocsa. Etant né fils légitime d’un français en France, le nouveau né de 1955 est français de naissance et porte selon la loi alors en vigueur le nom de son père. Le nom, tout le nom et rien que le nom.

Or la lecture du journal officiel me conduit à penser que je suis toujours destinataire d’une version sans cesse remplie de coquilles, puisqu’il semble que le bambin né le 28 janvier 1955 a certes un peu grandi, mais voit son nom toujours raccourci. A moins que le Nicolas Sarkozy (sans tréma) qui y est très régulièrement mentionné comme signataire de nombreux actes ne soit pas le même... Mais qui avons nous élu alors à la Présidence de la République ?

La guillotine n'égalise plus les citoyens, mais le Journal des lois peut encore les raccourcir, nominativement.

Nonobstant la prohibition pénale de noms incomplets ou rallongés dans les actes officiels ou administratifs, certains ne manquent pas de me faire observer que les usages font que l’on appelle courtoisement par une partie de leur nom, les titulaires d’un nom à rallonges : “D’Ormesson” et non “Le Fèvre d’Ormesson”. L’us oral - et je ne parle pas de ceux qui apostrophe notre doyen de l’Académie Française d’un familier “Jean d’O” le faisant cousiner avec l’héroïne de Pauline Réage - m’importe peu, vous l’avez compris, puisque ma raideur judiciaire commande l’application des verges légales pour corriger les rédactions inexactes dans les actes officiels.

Alors faisons un petit tour de quelques corrections nécessaires au Journal officiel qui devrait recruter des spécialistes de la rectitude orthographique, ce d’autant que la profession de correcteur typographique semble en péril.

Philippe de Villiers, ancien secrétaire d'État chargé de la Communication (20 mars 1986 - 26 juin 1987), ancien député, devrait y être nommé Philippe Le Jolis de Villiers de Saintignon, comme son frère Pierre, le général chef du cabinet militaire du Premier Ministre François Fillon. Cet exemple permet de rappeler, comme l’indique un avocat blogueur septentrional facétieux bien renseigné, comment par une adoption très républicaine, les enfants de son feu aïeul Louis Le Jolis de Villiers et de sa veuve née Jeanne de Saintignon devinrent des Le Jolis de Villiers de Saintignon. Cela vous pose certes son homme comme être de garenne, vous pose un alpin selon Alphonse Allais, mais rappelons pour éclairer ce mystère, les effets de l’article 363 du Code civil qui dispose que l'adoption simple confère le nom de l'adoptant à l'adopté en l'ajoutant au nom de ce dernier.

Et comme l’agité du bocage (copyright Canard Enchaîné) me fait penser à un authentique vendéen, peut-on me dire pourquoi l’ancien Ministre des Affaires étrangères (18 mai 1995 - 2 juin 1997) Hervé de Charette n’est pas nommé à ce ministère sous son nom Hervé de Charette de La Contrie, comme son parent anti-révolutionnaire François Anasthase ? Observons d’ailleurs que ce raccourcissement n’est pas opéré dans les actes de nomination de son cousin Patrice de Charette de La Contrie, actuel président de chambre à la cour d’appel de Toulouse. Ce dernier fut dans les années 1975, avec son complet patronyme chouan, surnommé le “juge rouge” pour avoir, juge d’instruction à Béthune, incarcéré un patron responsable pénal d’un accident mortel du travail !

J’attendrai le 28 janvier 2010 pour souhaiter un bon cinquante cinquième anniversaire au noble Nicolas Sarközy de Nagy Bocsa ; ou, me souvenant qu’il y sera mentionné comme partie civile sous ce nom-là, lire le jugement de affaire dite Clearstream rendu à cette date. Je ne doute pas que dans la liste des prévenus, figurera par ordre alphabétique à la lettre G : Galouzeau de Villepin, Dominique. Je rassure mes lecteurs distraits, je cesse ici la liste des Galouzeau de Villepin, Sarközy de Nagy Bocsa et autres qui, par aphérèse ou apocope, se taillent un nom.

lundi 4 janvier 2010

circulaire du double nom de famille : le Conseil d'État a décidé de tirer tirer un trait

Le Conseil d’État vient de sonner le glas d’une invention d’un patajuriste[1] qui a donné des coups de sang à bien des parents.

La solution donnée par le Conseil d’État (CE, 2e et 7e s.sections réunies, 4 décembre 2009, Mme D…, n°315818) ne surprendra aucun juriste ; tout au plus suis-je surpris que cela ait mis autant de temps. Mais néanmoins, tant la simplicité de la solution juridique que le mécanisme un peu plus subtil par lequel le juge administratif a fini par y arriver nous permettent un intéressant voyage dans le pays du droit administratif, qui est le pays du légalisme pointilleux, vous allez voir.

Tout commence avec la loi n° 2002-304 du 4 mars 2002 relative au nom de famille. Cette loi change profondément les règles d’attribution du nom patronymique, qui devient désormais le nom de famille, l’étymologie de patronyme signifiant “nom du père” ayant été jugée trop sexiste.

L’apport esentiel de cette loi est qu’elle donne aux parents d’un premier enfant dont la filiation est établie à l’égard de ses deux parents au plus tard le jour de la déclaration de sa naissance ou par la suite mais simultanément, un choix : lui donner comme patronyme nom de famille le nom du père OU le nom de la mère OU le nom du père accolé à celui de la mère OU celui de la mère accolé à celui du père.

Exemple : Léon Pater et Alma Mater ont un enfant, Sganarelle. Ils peuvent au choix l’appeler Sganarelle Pater, Sganarelle Mater, Sganarelle Pater Mater ou Sganarelle Mater Pater. Platée, leur deuxième enfant, s’appellera obligatoirement comme son frère Sganarelle : ce choix est définitif et intangible. À défaut de choix exprimé, l’enfant prend le seul nom du père. C’est l’article 311-21 du Code civil.

Toutefois, quand Sganarelle et Platée enfanteront à leur tour, ils devront choisir lequel de leurs deux noms ils transmettront (ils ne peuvent trnasmettre qu’un seul des deux), s’ils ne transmettent pas celui de leur conjoint seul. Les deux choix sont en revanche autonomes : Sganarelle peut décider d’appeler son fils Géronte Pater Dupont, et Platée sa fille Célimène Mater Durand. La décision d’un frère ne lie pas la fratrie.

Une circulaire du 6 décembre 2004 avait donné aux officiers d’état civil les instructions d’application de cette loi.

Or une circulaire d’application ne peut être que cela : un mode d’emploi de la loi. Elle ne peut rien y rajouter ou y enlever, faute de quoi le ministre porterait atteinte à la loi, ce que la Constitution lui interdit.

Et dans le cas de la circulaire du 6 décembre 2004, les ministres concernés s’étaient lâchés.

En effet, notre patajuriste est entré un matin essouflé dans leur bureau, le journal officiel à la main, en criant “Ve ! Ve ! ve !”[2]. La loi est mal faite, il faut intervenir”. En effet, s’était-il avisé, il existe déjà des noms de famille composés de plusieurs mots. Par exemple : Giscard d’Estaing, Galouzeau de Villepin, ou Sarközy de Nagy Bocsa. Les noms qui le composent sont séparés d’une espace[3]. Depuis la loi du 23 décembre 1985 (art. 43 toujours en vigueur), il était loisible d’adjoindre à son nom de famille soit le nom de celui de ses deux parents qui n’a pas transmis le sien, soit celui de son époux si on est marié. Il est d’usage de séparer les deux noms par un tiret pour distinguer le nom d’usage du nom de famille. Exemple : Carla Bruni Tedeschi (notez l’espace) peut se faire appeler à titre de nom d’usage Carla Bruni-Sarkozy (notez le tiret).

Jusque là, les ministres concernés suivent mais ne voient pas de quoi fouetter un chat.

“Mais c’est pourtant diaphane, s’exclame notre patajuriste. Nom composé : une espace. Nom d’usage : un tiret. Et la loi vient de créer une troisième hypothèse : le nom de famille cumulé. Or il convient de distinguer puisqu’un seul des deux noms cumulés peut être transmis, tandis que le nom composé se transmet d’un bloc.”

Reprenons cette affirmation : Monsieur Casimir Giscard d’Estaing épouse Mme Diane Spencer. Elle peut se faire appeler Giscard d’Estaing-Spencer à titre de nom d’usage. Le tiret sépare les deux noms de famille (Giscard d’Estaing et Spencer) tandis que les composantes du nom de famille de l’époux, Giscard, la particule De et Estaing, sont séparés par une espace.

“Il faut donc décider d’un moyen typographique de distinguer le nouveau nom de famille cumulé, intransmissible d’un bloc”, affirme notre patajuriste. Et puisque l’espace est prise, puisque le tiret est pris, la logique est donc de prendre… deux tirets.

Ainsi, Sganarelle s’appellera Sganarelle Pater—Mater.

Éblouis par le génie patajuridique de leur serviteur au point d’oublier qu’il est facile de faire la différence puisque le fait que le nom résulte d’une déclaration commune est tout simplement inscrite dans l’acte de naissance (art. 57 du Code civil), les ministres signent la circulaire du 6 décembre 2004, qui va imposer aux officiers d’état-civil de séparer les deux noms de famille par un double tiret.

Mais que faire si un citoyen irascible s’avise que la loi ne dit rien de tel, que la langue française comme la typographie mondiale ne connaissent rien de tel que le double tiret et estiment que cette disgracieuse graphie souille l’acte de naissance de leur enfant ? Une solution simple et républicaine a été trouvée : dans ce cas, l’officier d’état civil enregistrera d’office et contre la volonté exprimée des parents le seul nom du père. Là encore alors même que rien dans la loi ne permet à un simple officier d’état civil de passer outre ce droit qu’elle institue. Double illégalité.

Autant dire que les jours de cette circulaire étaient évidemment comptés.

Et pourtant elle a tenu cinq ans.

Des parents procéduriers et accessoirement juristes d’une école allergique au patadroit (on l’appelle la Faculté de droit) ont commencé à exercer des actions en rectification d’acte d’état civil de leur chérubin. Cette action consiste à saisir le tribunal de grande instance, seul compétent en matière d’état civil, lui demandant de constater que ce double tiret, qui n’a aucun fondement légal, ne peut être qu’une erreur et doit être ôté. Les tribunaux ont fait droit à toutes ces requêtes à ma connaissance. Bien obligé, puisque la circulaire du 6 décembre 2004 ne pourrait être invoquée par le parquet quand bien même le voudrait-il, puisqu’une circulaire n’est pas source du droit. Peu importe les élucubrations d’un ministre, dans les palais de justice, la loi seule est la loi, telle que votée par les assemblées.

Néanmoins, une personne a voulu quant à elle la peau de cette circulaire et l’a obtenue. C’est maintenant que nous entrons dans les abysses du droit administratif. Mettez votre scaphandre et suivez-moi.

S’agissant d’une demande visant à annuler un acte par lequel un ministre donne des instruction à son administration, nous sommes dans le cas d’un recours en excès de pouvoir, domaine de compétence du juge administratif. S’agissant d’un acte d’un ministre, c’est le Conseil d’État qui est directement compétent (je ne retrouve plus le texte pertinent… un petit pois sans robe pour me souffler ?).

Mais le recours en excès de pouvoir est enfermé dans un délai de deux mois. Il fallait saisir le juge administratif dans les deux mois de la publication de la circulaire, soit aux alentours du 6 février 2005 au plus tard. Or notre requérant, qui est une requérante, a sonné l’hallali en mars 2008. Elle est hors délai.

Mais le droit administratif est subtil. Il permet de contourner cette fin de non recevoir. La requérante va d’abord adresser au premier ministre une lettre recommandée avec accusé de réception lui demandant de retirer ou à défaut d’abroger cette circulaire.

Le retrait d’un acte administratif consiste à l’abroger rétroactivement. Ce retrait n’est possible que dans le délai du recours de deux mois. L’abrogation ordinaire, elle, ne vaut que pour l’avenir.

Le premier ministre ne va rien faire, ce qui résume assez bien ses fonctions depuis juin 2007.

Peu importe : la loi considère qu’un silence de deux mois gardé par l’administration à qui une demande a été faite vaut décision implicite de rejet. Et cette décision nouvelle peut être attaquée dans un délai de deux mois. Ce que va faire notre requérante.

Le Conseil d’État ne va donc pas directement examiner la légalité de la circulaire du 6 décembre 2004, horresco referens, ça lui est interdit car le délai de recours de deux mois a expiré. Mais il va se demander si le ministre compétent n’aurait pas dû faire droit à cette demande d’abrogation d’une circulaire illégale. Car pour le juge administratif, l’administration a l’obligation d’abroger tout acte illégal qu’on lui signale. Il va donc devoir examiner la légalité de la circulaire du 6 décembre 204, mais uniquement parce qu’il est obligé, hein… Ce genre d’acrobaties juridiques fait la joie des étudiants en droit public et leur donne auprès de leurs camarades de droit privé une réputation de geek du droit qui n’est pas forcément usurpée.

Le Conseil d’État va estimer d’abord que le ministre compétent, le ministre de la Justice, a bien été saisi de la question par la lettre adressée au premier ministre. C’est lui le chef, il était tenu de transmettre la demande au ministre de la justice voire lui ordonner d’y faire droit.

Il va ensuite estimer que la demande de retrait est infondée, car présentée bien au-delà du délai de recours de deux mois.

Mais il va estimer que la demande d’abrogation, elle, devait être examinée.

Or le Conseil d’État va constater que la circulaire impose un signe typographique que la loi ne mentionne nulle part, et en cas de contestation du parent déclarant, obligera l’officier d’état civil à inscrire un autre nom que celui choisi par les deux parent,s ce que la loi ne prévoyait pas non plus.

En ajoutant à la loi, alors qu’il n’est pas titulaire du pouvoir législatif, le ministre a excédé ses pouvoirs, entâchant ainsi cette circulaire du vice d’incompétence. Et ça, c’est mal.

Le refus d’abroger la circulaire illégale est donc lui-même illégal et est annulé. Le Conseil d’État n’annule pas la circulaire (puisque je vous dis qu’il n’en avait pas le droit) mais concrètement, met le garde des sceaux dans une situation où elle n’a pas d’autre choix que de le faire. En attendant, les officiers d’état civil continueront à inscrire les ignobles —. Ne protestez pas, la solution est ci-dessous.

Concrètement, pour les enfants à double tiret, ça change quoi ?

Rien. Un acte d’état civil, fut-il erronné, fait foi jusqu’à sa rectification par un jugement. Il faut donc que la justice ordonne cette rectification.

Mais l’illégalité de cette circulaire, seule base juridique, ou patajuridique en l’espèce, à la scarification du nom de famille, étant à présent consacrée, les parquets n’ont d’autre choix que de soutenir ces démarches.

Donc vous avez le choix, l’option lente et gratuite et la rapide et payante.

La lente, vous écrivez au procureur de la République du lieu où est enregistré l’acte de naissance de votre enfant bafoué, et vous lui demandez de faire rectifier l’acte d’état civil (art. 99 du Code civil : une erreur dans la graphie du nom est essentielle). Il est obligé de le faire mais le fera quand il aura le temps. Et il n’en n’a pas beaucoup, le législateur y veille.

La rapide, vous chargez un avocat de saisir le tribunal de grande instance d’une requête en rectification (le ministère d’avocat est obligatoire). En quelques mois, ce sera chose faite. Cette dernière solution a évidemment ma préférence…

Si vous ne faites rien, votre enfant continuera à porter les deux tirets.

Maintenant, croisons les doigts que le législateur docile ne vote pas au pif dans un texte de clarification et simplification du droit dont l’intitulé me semble constituer le délit de faux, un article validant rétroactivement cette honteuse pratique.

Dans le doute, à vos requêtes. Et pardon à mes amis procureurs qui me lisent. Une fois de plus vous allez payer l’incurie de nos gouvernants. Mais c’est de nos enfants qu’il s’agit.

Notes

[1] Le patadroit est la science des solutions juridiques imaginaires qui accordent aux droits suggestifs des usucapions d’antichrèses emphythéotiques. Le patadroit entretient des liens certains mais obscurs avec la pataphysique.

[2] Malheur ! malheur ! Malheur. Le patadroit adore le latin.

[3] Notre patajuriste était typographe à ses heures perdues, il emploie donc le mot espace au féminin.

jeudi 12 novembre 2009

Prix Busiris pour Éric Raoult

L’Académie Busiris, réunie en sous-section, vient de décerner le prix Busiris à monsieur Éric Raoult, député de la 12e circonscription de Seine Saint Denis et maire du Raincy, dans le même département. Éric Raoult, photo officielle de l'Assemblée nationale, cherchant des yeux une nouvelle occasion d'outrager son devoir d'intelligence.

Les propos primés ont tout particulièrement retenu l’attention de l’Académie car ils ont été publiés au Journal Officiel de la République (dans son édition consacrée aux débats parlementaires) le 10 novembre dernier (question n°63353). Les voici, tels qu’à jamais gravés dans la mémoire de la république, c’est-à-dire avec les approximations grammaticales (et bien sûr juridiques) non corrigées.

M. Éric Raoult attire l’attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur le devoir de réserve, dû aux lauréats du prix Goncourt. En effet, ce prix qui est le prix littéraire français le plus prestigieux est regardé en France, mais aussi dans le monde, par de nombreux auteurs et amateurs de la littérature française. À ce titre, le message délivré par les lauréats se doit de respecter la cohésion nationale et l’image de notre pays. Les prises de position de Marie Ndiaye, prix Goncourt 2009, qui explique dans une interview parue dans la presse, qu’elle trouve « cette France [de Sarkozy] monstrueuse », et d’ajouter « Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux », sont inacceptables. Ces propos d’une rare violence, sont peu respectueux voire insultants, à l’égard de ministres de la République et plus encore du chef de l’État. Il lui semble que le droit d’expression ne peut pas devenir un droit à l’insulte ou au règlement de comptes personnel. Une personnalité qui défend les couleurs littéraires de la France se doit de faire preuve d’un certain respect à l’égard de nos institutions, et de respecter le rôle et le symbole qu’elle représente. C’est pourquoi il lui paraît utile de rappeler à ces lauréats le nécessaire devoir de réserve, qui va dans le sens d’une plus grande exemplarité et responsabilité. Il lui demande donc de lui indiquer sa position sur ce dossier, et ce qu’il compte entreprendre en la matière.

Tout d’abord, et le ministre de la culture et de la communication aura rectifié de lui-même, le devoir de réserve ne peut en tout état de cause être dû aux lauréats mais dû par les lauréats : cette erreur de préposition fait du lauréat le créancier alors que dans l’esprit la tête du député, il en serait évidemment le débiteur. 

Le propos juridiquement aberrant est donc qu’un écrivain serait soumis à un devoir de réserve sous prétexte qu’il aurait été honoré d’un prix littéraire. À cette lecture, et sans violer le secret des délibérations, l’Académie unanime s’est exclamée : « Gné ? » ce qui révèle sa surprise, son désarroi et pour dire le tout, sa détresse face à ce naufrage.

Rappelons les textes applicables en la matière à toute personne, ce qui inclut, vérification faite, les écrivains, mais aussi, même si parfois on en vient à le regretter, les députés.

À tout seigneur tout honneur, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui est en vigueur et a même valeur constitutionnelle, c’est à dire supérieure à la loi, en son article 10 : 

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

Reconnaissons qu’à l’époque, les députés savaient manier la langue française.

L’Europe est aussi de la partie puisqu’un autre article 10, celui de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, dite Convention Européenne des Droits de l’Homme brevitatis causa.

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

 « 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

 Et n’en déplaise à monsieur le député, l’expression critique à l’égard du pouvoir en place, si elle peut troubler la digestion d’un député de Seine Saint Denis, ne trouble pas l’ordre public, la sécurité nationale, la sûreté publique, la santé, ou la morale. J’ajouterais même qu’elle est, y compris dans ses excès, nécessaire dans une société démocratique.

Et ce fameux devoir de réserve, alors ?

C’est une création jurisprudentielle du Conseil d’État (CE, Ass., 28 mai 1954, Barel, n° 28238). au domaine très délimité : il frappe les fonctionnaires et agents publics (les magistrats ne sont pas des fonctionnaires au sens strict car ils ont leur statut propre, mais ils sont soumis au devoir de réserve), et eux seulement.

Le statut général des fonctionnaires (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983) en son article 6 proclame la liberté d’expression des fonctionnaires, qui sont des citoyens comme les autres. Mais le Conseil d’État a apporté une limite à cette liberté, le devoir de réserve, que le Conseil n’a pas défini (que diantre, il n’est pas législateur) mais qui apparaît au fil des décisions comme une obligation de modération sur la forme, liée à l’obligation de neutralité de l’État qui s’exprime à travers ses agents, et à l’obligation de loyauté de ceux-ci envers l’État dont il se sont faits les serviteurs. Question de cohérence, en somme. Le Conseil d’État ayant précisé que les élus syndicaux sont largement déliés de ce devoir, l’action syndicale s’accompagnant volontiers d’une certaine outrance revendicative.

Le devoir de réserve est souvent invoqué à tort et à travers par des gens qui n’y ont rien compris comme interdisant à un fonctionnaire de s’exprimer, y compris parfois sur des affaires purement privées. Éric Raoult, à son corps défendant, nous en fournit un exemple qui va encore plus loin puisqu’un écrivain, fût-il primé, n’est pas fonctionnaire pour autant, d’autant que le prix Goncourt (d’un montant rappelons-le de dix euros) est remis par la société littéraire des Goncourt, association loi 1901 reconnue d’utilité publique, c’est-à-dire une personne privée.

La question qui a fait débat est celle de la mauvaise foi. Éric Raoult n’est-il pas, au fond, convaincu que les écrivains seraient tenus à un devoir de réserve, et n’est-il pas sincère dans son interpellation, ce qui exclurait le Busiris ?

Plusieurs éléments ont fait opiner en faveur de la mauvaise foi. L’élément essentiel est la publicité donnée par ce député à la question qu’il se préparait à poser, au mépris de la courtoisie élémentaire due à un ministre qui voulait qu’on lui en réservât la primeur. La recherche manifeste de médiatisation crée une présomption de mauvaise foi. 

De plus l’Académie a estimé que s’agissant d’une personne qui a été député depuis 1986 (avec une interruption de 1997 à 2002), deux fois ministre, et aujourd’hui vice président de l’assemblée nationale, une certaine connaissance du droit pouvait sinon s’induire, du moins être exigée.

Ajoutons à cela qu’en 2005, en tant que maire du Raincy, lors des émeutes de l’automne, il fut le premier à proclamer l’état d’urgence dans sa commune pourtant épargnée par les actes de violence afin de griller la politesse au premier ministre, ce qui montre une certaine tendance à la gesticulation inutile pour attirer l’attention sur lui. 

Ce qui établit en même temps le mobile d’opportunité politique, et emporte la décision. 

Le prix lui est donc décerné avec la mention très déshonorable

L’Académie adresse ses félicitations à l’heureux gagnant et remercie ses collègues de l’Académie Goncourt de lui avoir fourni cette occasion de poilade.

jeudi 5 novembre 2009

Qu'est-ce qu'être français ?

Cette question semble ainsi obnubiler un ministre qui n’a visiblement pas d’autres préoccupations plus importantes, c’est dire si la France va bien et est admirablement gérée.

Comme d’habitude, on oublie de se tourner vers le droit, qui a pourtant des éléments de réponse.

Pour parodier un grand spécialiste de l’identité nationale, quand un juriste entend le mot “nationalité”, il dégaine son Code civil.

C’est là que sont définies les conditions très strictes de l’acquisition de la nationalité. Je rassure toutefois notre ministre bien-aimé, le droit se contente en fait de dire qui est français, pas ce que c’est. Le droit est en effet une matière bien trop sérieuse pour perdre son temps avec des questions qui n’ont pas vraiment de réponse, puisque chacun a la sienne et qu’aucune ne peut prétendre être la bonne. 

► La première catégorie de Français, et la plus nombreuse, est la catégorie des Français qui se sont donnés la peine de naître, pour citer Beaumarchais, né à une époque où la nationalité française n’existait pas (c’est une invention révolutionnaire). Ce sont les Français d’origine, ainsi appelés car ils sont français dès l’instant de leur naissance, sans avoir rien demandé à personne. Ils se divisent en deux (car si la Nation est Indivisible, le droit de la nationalité adore les divisions, c’est son côté rebelle).

D’abord, les Français par filiation : est français l’enfant de Français (art. 18 du Code civil). C’est le fameux droit du sang, le jus sanguini, qui pose qu’est de telle nationalité l’enfant de ce lui qui est de telle nationalité, par opposition au droit du sol, jus soli, qui veut qu’est de telle nationalité celui né sur le territoire de tel État, qui sont les deux façons envisageables d’attribuer une nationalité, chaque pays recourant à l’une ou l’autre de ces règles en les assaisonnant à sa façon. 

Mes lecteurs les plus sagaces auront tout de suite vu la difficulté : le problème n’est pas réglé, il n’est que transféré à la génération précédente. Comment le père ou la mère (un seul des deux suffit) était-il lui-même Français ? 

D’où la deuxième catégorie, mélange de droit du sang et de droit du sol, qui sert de filet de sécurité : est Français l’enfant né en France d’un parent lui-même né en France quelle que soit sa nationalité (art. 19-3 du Code civil). Ainsi, si vous êtes né en France et qu’un de vos parent est lui-même né en France, vous n’avez pas à vous soucier de prouver sa nationalité, vous avez prouvé la vôtre. Et si vous êtes né à l’étranger, il vous suffit de prouver qu’un de vos parents est né en France d’un grand-parent né en France, et vous voilà cocardisé. Sauf que pour les Français dont les parents sont nés dans les anciennes colonies, qui ne sont pas considérées comme territoire français avant la décolonisation pour ce qui concerne la nationalité française, le casse-tête reste entier, avec parfois des conséquences traumatisantes.

Il y a aussi des exceptions même pour ceux nés en France métropolitaine (le droit est la science des divisions et des exceptions) : si les parents nés en France ont vécu un demi-siècle à l’étranger et n’ont pas la possession d’état de français, et que leur enfant n’a pas non plus cette possession d’état, l’acquisition de la nationalité ne joue pas (article 30-3 du Code civil) et le parquet peut faire retirer la nationalité française de celui qui étant dans cette situation l’aurait néanmoins obtenue (art. 23-6 du Code civil). Création des abjectes lois Pasqua de 1993, une des pires œuvres législatives de la République qui s’y connait pourtant en la matière. 

Un mot sur la possession d’état, notion importante, à tel point que le législateur s’est abstenu de la définir. C’est un concept emprunté au droit romain de la filiation, les règles de nationalité s’étant largement inspirée de ce droit (le citoyen est un peu l’enfant de la mère patrie, patrie venant d’ailleurs du latin pater, le père (le nationalisme relèverait-il donc d’un Œdipe mal réglé ?), et qui suppose trois conditions : que la personne se dise française (le nomen), soit traitée comme un français par les autorités (le tractatus) et soit considérée par son entourage comme française (la fama). Il faut dire que dans la plupart des cas, la personne se croit vraiment française. J’y reviendrai lors de l’examen de la troisième catégorie.

Ajoutons quelques cas particuliers : l’enfant né de parents inconnus et l’enfant qui sinon naîtrait apatride en France, se voient conférer la nationalité française ; on ne peut naître apatride en France. Mais la générosité de la France a ses limites : si au cours de sa minorité on découvre que l’enfant né apatride ou de parent inconnus acquiert la nationalité d’un de ses parents (l’un des parents inconnus se manifeste et il est Syldave, or la loi syldave donne la nationalité syldave à l’enfant d’un syldave même né à l’étranger), l’enfant perdra la nationalité française et même sera réputé ne jamais l’avoir été. Oui, côté mère adoptive, la France est vraiment pas terrible (art. 19 et 19-1 du Code civil).

Comme vous le voyez et contrairement à une légende colportée par le Front national, le seul fait de naître en France ne suffit pas à conférer la nationalité française. Le droit du sol existe, mais pour faire effet dès la naissance, il faut que ce soit un double droit du sol : être né en France d’un parent lui-même né en France. Et pour ceux qui voudraient supprimer cette catégorie pour satisfaire leurs instincts xénophobes, je précise que c’est elle seule qui leur donne la certitude de pouvoir prouver leur nationalité française le jour où on leur demandera. Attention donc, à force de haïr les étrangers, de ne pas en devenir un soi-même. Le droit du sol simple existe certes, nous allons le voir tout de suite, mais le sol français est aride : il y a d’autres conditions à remplir avant que la nationalité française n’y germe.

► La deuxième catégorie est celle des Français par acquisition.
Non, ce ne sont pas les descendants d’esclaves achetés pour les colonies, ce sont les Français qui ne sont pas nés Français mais le sont devenus par la suite. 

D’abord (par ordre d’apparition dans le Code) viennent les conjoints de Français. Au bout de quatre ans de mariage, cinq ans si le conjoint n’a pas vécu au moins trois ans en France, et à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé et que le conjoint ait une connaissance suffisante de la langue (la communauté de vie est vérifiée par la convocation simultanée des deux époux pour la déclaration, la maitrise de la langue par le fait que toutes les questions sont posées au conjoint étranger ; le conjoint français a vraiment l’impression de perdre une demi-journée, et ce n’est pas une impression, mais depuis le jour de ses noces on lui fait comprendre qu’il est suspect du fait d’avoir épousé un étranger ; je parle d’expérience), le conjoint peut déclarer acquérir la nationalité française. Cette déclaration se fait au tribunal d’instance. Dans le délai d’un an, le ministre chargé des naturalisations peut s’opposer par décret à cette acquisition pour indignité ou défaut d’assimilation, autre que linguistique (ce point a été vérifié par le juge d’instance). C’est ce qui s’est passé dans l’affaire dont je vous avais parlée de cette femme qui portait le Niqab. Article 21-2 du Code civil.

Viennent ensuite les conjoints du président de la République, qui bénéficient d’une procédure médiatique à effet immédiat. (Aucun article de loi ne prévoit cela, mais depuis quand la loi s’applique-t-elle au plus haut du pouvoir ?)

Voici venir à présent le droit du sol, les Français par la naissance et la résidence en France (j’insiste sur le et la résidence) : devient automatiquement Français le jour de ses 18 ans l’enfant né en France de parents étrangers qui réside en France le jour de ses 18 ans, et qui y a résidé au moins 5 ans, de manière continue ou non, depuis ses 11 ans. Qu’une seule condition défaille, et il n’y a pas d’acquisition de la nationalité. Article 21-7 du Code civil.

L’intéressé peut renoncer à la nationalité française dans les six mois précédant son 18e anniversaire et les 12 mois le suivant, s’il prouve avoir une autre nationalité (on ne devient pas apatride en France). Dans ce dernier cas, il est réputé n’avoir jamais été français.

À l’inverse, l’enfant né en France de parents étrangers peut anticiper cette acquisition par déclaration : soit lui-même à partir de ses seize ans, soit ses parents en son nom à partir de ses treize ans. Dans ce dernier cas, la condition de 5 ans de résidence court à compter de ses 8 ans. Article 21-11 du Code civil.

► troisième catégorie : les Français par déclaration. La loi permet à des étrangers se trouvant dans certaines situations précises d’obtenir la nationalité par déclaration. C’est automatique mais suppose une démarche volontaire (auprès du juge d’instance), et la vérification que les conditions légales sont remplies.

Il s’agit d’abord des mineurs adoptés par des Français, recueilli légalement par des Français depuis 5 ans, ou l’Aide Sociale à l’Enfance depuis 3 ans, ou par un organisme agréé qui lui a permis de suivre un enseignement en France pendant 5 ans. Article 21-12 du Code civil.

Cela recouvre aussi les étrangers invoquant 10 ans de possession d’état de français. Article 21-13 du Code civil.

C’est d’ailleurs ce que suggère, toute honte bue (mais on sait sa soif inextinguible) Éric Besson au brigadier Guissé. Il a la possession d’état de français : il se dit français (et se croyait sincèrement français), est traité comme français par l’armée de terre et par l’administration qui lui a délivré deux certificats de nationalité, et il porte l’uniforme et les armes françaises (Nomen, Tractatus, Fa-Mas). En somme, “rendez moi votre nationalité, je vous la rends tout de suite (enfin un ou deux ans plus tard, ça prend du temps ces procédures. Bon, vous serez humilié et rayé des cadres de l’armée, dans l’intervalle, et alors, où est le problème ?)”. 

On rattache à cette catégorie les français par réclamation : il s’agit des étrangers privés de la nationalité française par filiation du fait de la résidence prolongée à l’étranger de leurs parents (art. 21-14 du Code civil). La loi leur permet de réclamer la nationalité française, à condition qu’ils aient conservé ou acquis avec la France des liens manifestes d’ordre culturel, professionnel, économique ou familial, soit effectivement accompli des services militaires dans une unité de l’armée française ou combattu dans les armées françaises ou alliées en temps de guerre.

► Quatrième et dernière catégorie : les français par décision de l’autorité publique. Ce sont les naturalisés. 

Le cas le plus fréquent est celui de l’étranger qui le demande. La demande se fait en préfecture, et c’est là sans doute le service préfectoral le plus sinistré de tous. C’est une honte, un scandale sans nom. Le délai en région parisienne est de deux ans pour avoir un rendez-vous rien que pour retirer le formulaire de demande de naturalisation. Sachant qu’une fois que vous l’avez, vous devez réunir des pièces administratives en nombre, certaines de votre pays d’origine et traduites à vos frais, d’autres datées de moins de trois mois, et que si vous ne les avez pas réunies dans les six mois, votre demande part à la poubelle, tout est à refaire : art. 35 du décret du 30 décembre 1993.

Une fois le dossier déposé, il n’y a plus qu’à attendre. Attendre. Attendre. Face à ces délais de traitement, la loi Sarkozy de 2006 a donné à l’administration les moyens de faire son travail (Ah ! Ah ! je plaisantais, bien sûr) imposé un délai de 18 mois pour traiter le dossier, réduit à 12 si l’étranger est en France depuis 10 ans (art. 21-25-1 du Code civil), mais faute de sanction, je n’ai jamais vu ce délai respecté (sauf pour la naturalisation de Carla Bruni, qui est allé tellement vite qu’il est considéré comme une preuve scientifique de la téléportation quantique). Je connais un couple de marocains qui vient d’avoir son décret de naturalisation ; ils ont engagé la procédure début 2000. 

Pour demander la naturalisation, il faut : avoir 18 ans, résider en France, et y avoir résidé 5 ans, 2 ans si on a fait des études supérieures en France ou si on a rendu ou on peut rendre des services importants à la France, et sans condition de délai (qu’on appelle stage) pour les ressortissant de pays francophones, les réfugiés et les étrangers ayant contracté un engagement militaire (concrètement, pour la Légion étrangère). De toutes façons, vu la durée de la procédure, cette condition de délai tient du gag.

Il faut également être de bonnes vie et mœurs (art. 21-23 du code civil) ; certaines condamnations pénales sont un obstacle insurmontable à la naturalisation (terrorisme, atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation). 

Il faut enfin justifier de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française et des droits et devoirs conférés par la nationalité française. Si quelqu’un a trouvé la liste de ces droits et devoirs, je lui en saurai gré, parce qu’à part le droit de vote, je vois pas, je crois que je serais recalé.

Ajoutons (et j’en aurai fini) que peuvent aussi être naturalisés à la demande du ministère de la défense les militaires étrangers ayant servi dans l’armée française en temps de guerre, et toute personne sur proposition du ministre des affaires étrangères à tout étranger francophone qui en fait la demande et qui contribue par son action émérite au rayonnement de la France et à la prospérité de ses relations économiques internationales. Le piston est parfois institutionnalisé. 

Voilà, vous pouvez souffler, on a fait le tour.

Quelques précisions : si la loi distingue les façons d’acquérir la nationalité française, elle ne distingue pas les nationalités françaises. Un français d’origine est aussi français qu’un naturalisé ou qu’un déclaré. Il n’y a pas de français de 1e classe et de 2e classe. Et quand on voit ce par quoi ils sont passés, je dirais même que ceux qui arrivent à passer le cap de la naturalisation ont plus de motifs d’être fiers de leur nationalité que moi qui fais simplement partie de la catégorie des français d’origine, ceux qui se sont donnés la peine de naître.

À ce propos, je voulais revenir sur cette citation de Beaumarchais que je citais en exergue. Il s’agit d’un extrait de la tirade de Figaro dans la Folle Journée, ou le Mariage de Figaro, Acte V, scène 3 : 

Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire ; tandis que moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes…

C’était en 1784, 5 ans avant la Révolution, qui a aboli le 4 août 1789 les privilèges et l’état de Noblesse. 

Et je ne saurais assez décrire mon malaise quand je réalise qu’aujourd’hui, cette nationalité française, qui n’est juridiquement qu’un état, est considérée par certains de mes concitoyens, souvent français d’origine, comme une nouvelle Noblesse dont ils prétendent tirer gloire et fonde un mépris de leur part pour la roture du reste de l’humanité, sans qu’on en perçoive la raison, ni pour la gloire ni pour le mépris. On peut tirer gloire de ce qu’on fait, pas de ce qu’on est ; de cela il faut simplement être digne

À tel point que Figaro pourrait être un étranger en remontrant à un Français d’origine. Tenez, ça donnerait cela : 

Nationalité, Sécurité sociale, des métiers réservés, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire ; tandis que moi, morbleu ! perdu dans l’humanité obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour obtenir ma carte de séjour seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner tous les EPAD…

Et une fois de plus, Figaro dirait la vérité (enfin, sa plus vraie, bien sûr). Troublant, n’est-ce pas ?

samedi 10 octobre 2009

Nouveau prix Busiris pour Rachida Dati

L’Académie Busiris, siégeant en formation plénière, et après en avoir délibéré conformément à ses statuts a décerné, au premier tour de scrutin et à l’unanimité, son huitième prix Busiris à madame Rachida Dati, dépitée européenne et maire du 7e arrondissement de Paris, ci-devant Garde des Sceaux. Les Académiciens debouts saluent l’exploit consistant à repousser plus loin les frontières de l’audace médiatique et de l’irrespect élémentaire du droit, doublé de celui d’en récolter un nouveau avant même que son successeur à la Chancellerie n’ait glané son premier.

Voici tout d’abord les propos primés, captés pour l’histoire par les caméras de l’émission de France 2 “13:15 dimanche”. Ils portent sur la fameux lapsus présidentiel : « Des juges indépendants ont estimé que les coupables devaient être renvoyés devant le tribunal ». Rappelons que conformément aux statuts de l’Académie, le président de la République en exercice jouit d’une immunité au prix Busiris jusqu’à un mois après la cessation de ses fonctions, en vertu de l’article 67 de la Constitution.


Reprenons le verbatim.

Il y a eu une enquête par des juges indépendants. Ce sont des juges indépendants qui ont fait une enquête.

On sent le Busiris approcher : il baille et s’étire. 

On se demande pourquoi cette répétition en changeant juste l’ordre des mots pour insister sur un pléonasme : des juges indépendants. N’est-ce pas consubstantiel à un juge d’être indépendant ? Ou alors, il y aurait des juges dépendants en France, que le pouvoir aurait volontairement tenu à distance de ce dossier pour montrer sa probité ? Curieuse insistance. Je suppose pour ma part que le fait que l’un des juges d’instruction de cette affaire ait bénéficié d’une promotion à l’issue de cette instruction, dont le décret a été signé par une partie civile à l’instruction, partie civile qui a repoussé in extremis de quelques jours cette promotion pour lui permettre de signer l’ordonnance de renvoi devant le tribunal est une preuve de cette indépendance que l’on ne proclame jamais tant qu’au moment de la piétiner. 

L’enquête est terminée, l’instruction est terminée, que décident les juges ? C’est de renvoyer cette affaire devant le tribunal correctionnel. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’il existe des charges suffisantes pour dire qu’il y a des coupables dans cette affaire. 

Ah ? Le Busiris se recouche et semble fermer les yeux. Fausse alerte ? En effet, rien à redire à cette phrase. Quand un juge d’instruction estime avoir terminé son travail d’enquête, il ouvre la phase dite de règlement de l’instruction. Chaque partie est amenée à donner son avis, c’est obligatoire pour le parquet, facultatif pour les autres parties, puis le juge rend une ordonnance de règlement qui peut être un non lieu à suivre (il n’y a rien à juger, art. 177 du CPP), de renvoi devant le tribunal correctionnel (il existe des charges suffisantes contre tel mis en examen d’avoir commis un délit, art. 179 du CPP) ou de mise en accusation devant la cour d’assises (il existe des charges suffisantes contre tel mis en examen d’avoir commis un crime, art. 181 du CPP). Il peut aussi renvoyer devant le tribunal de police ou la juridiction de proximité si c’est une contravention (art. 178 du CPP)

Mais ce n’était qu’une ruse : en fait le Busiris bondit soudainement, toutes griffes dehors.

Et donc les coupables sont forcément renvoyés devant le tribunal correctionnel parce qu’il existe des charges suffisantes. [Le président de la République] n’a rien dit de plus ni de moins. Des juges considèrent en toute indépendance qu’il y a des charges. Et donc s’il y a des charges, il y a des auteurs.

Notez encore une fois la méthode consistant à redire à peu près la même chose en changeant l’ordre des mots pour faire comme si la deuxième phrase démontrait la justesse de la première. L’aberrance consiste à dire que les coupables sont forcément renvoyés devant le tribunal correctionnel, qu’ils se trouvent nécessairement parmi les prévenus. 

Cela n’a pas échappé à Laurent Delahousse qui objecte à juste titre : 

Il y a parfois des procès où les coupables ne sont pas obligatoirement dans le box des prévenus.

Réponse magnifique de rachida Dati : 

Il [le président de la République] n’a pas dit “dans le box des prévenus”. 

C’est vrai, mais il ne pensait pas non plus à la salle des témoins.

Il a dit “la justice renvoie devant le tribunal pour que les coupables puissent être condamnés. Mais s’il y a des charges, il y a des coupables, sinon la justice aurait dit “il n’y a pas assez de charges, ou il n’y a pas de coupable, ou il n’y a pas d’auteur : il n’y a pas d’audience”. 

Et le Busiris se repaît du droit déchiqueté en lambeau.

Le critère légal du renvoi devant le tribunal est qu’il existe contre tel mis en examen (il est impératif que la personne concernée ait été préalablement mise en examen dans les formes) des charges suffisantes d’avoir commis tel délit ou tel crime. Cela ne préjuge en rien de la culpabilité, j’ai obtenu assez de relaxes après instruction pour le savoir.

Quelques exemples simples pour vous faire comprendre. 

Plusieurs personnes sont soupçonnées d’avoir commis le même délit (au hasard : une dénonciation calomnieuse sur la base de listings falsifiées ; toute ressemblance avec des faits réels blah blah blah). Chacune d’entre elles accuse les autres en affirmant n’y être pour rien. L’instruction ne permet pas de savoir lequel est à l’origine de la dénonciation mais établit que chacun savait que les listings étaient faux. Il existe contre chacun des charges suffisantes d’avoir commis le délit pour aller s’en expliquer devant le tribunal. Ces charges sont : la connaissance de la fausseté du listing ET les témoignages accusateurs des autres mis en cause. Cela ne veut pas dire que tous sont coupables (on est même dans l’exemple certain du contraire) ni même que c’est l’un d’entre eux qui est coupable. Peut être est-ce un autre larron auquel personne n’a pensé, nos mis en examens étant trop enthousiastes à s’accuser mutuellement. Ou peut être que cet autre larron, lui, ignorait que les listings étaient faux et les a transmis de bonne foi à la police, puis, découvrant sa bévue, préfère se taire en raison d’une violente allergie aux crocs de boucher. Auquel cas, tous les prévenus sont innocents.  

Et même dans l’hypothèse où un des prévenus est le coupable, mais que chacun s’en tenant à sa version, le tribunal ne parvient pas à y voir plus clair, on devra alors aboutir à une relaxe générale au bénéfice du doute. 

Un autre exemple : une jeune fille accuse un cinéaste franco-moldave de l’avoir violée quand elle avait treize ans. Le cinéaste nie. Les faits sont anciens, donc aucune expertise médicale n’a pu être faite pour constater des lésions confirmant le viol. Mais une expertise déclare que la victime est crédible dans ses propos, que son traumatisme semble réel. D’interrogatoires en confrontations, sa version ne varie pas, tandis que les propos du cinéaste sur la soirée s’embrouillent, qu’il reconnaît être attirée par les très jeunes filles mais précise qu’il entend par là “de son âge ou ayant cinq ans de moins, à condition qu’elles pratiquent la boxe”. Le juge d’instruction estime qu’il y a des charges suffisantes. Mais devant la cour, la victime s’effondre : elle a tout inventé pour qu’on s’intéresse à elle. On a eu une ordonnance de mise en accusation alors qu’il n’y avait pas de faits, pas de coupable, ni d’auteur (ces deux derniers termes étant rigoureusement synonymes).

Pour ceux qui pensaient que les politiques avaient, eux, tiré les leçons de l’affaire d’Outreau, dans laquelle il n’y avait ni faits ni coupables, les voici fixés. Et Mme Dati a été magistrate. 

C’est là qu’on voit l’intérêt du mot indépendant accolé frénétiquement au mot juge : cela signifie “si les choses tournent mal, ce sera de sa seule faute”.

lundi 28 septembre 2009

Prescription, vous avez dit prescription...? (chapitre I)


par Sub lege libertas


Avant d’être au même diapason d’émotion que Frédéric Mitterrand et le Président Nicolas Sarkozy, selon ce ministre réagissant à l’arrestation de Roman Polanski, je me suis rappelé que toutes les semaines, je participais au jugement d’atteintes sexuelles sur mineurs et qu’il n’était pas si rare que les faits remontassent à plus d’une décennie, voire nous remissent en mémoire la France du Président Mitterrand, l’autre. Alors, sans émotion, remontons le cours du temps avec un petit cas pratique, toute ressemblance avec des personnages réels ou des faits ayant eu lieu n’étant pas fortuite.

Samantha est née le 28 février 1964. En mars 1977 elle a donc treize ans. Ses parents déposent alors plainte pour viol sur mineur de quinze ans, car elle leur dit avoir été ce mois-là droguée par un photographe né en 1933, qui l’a obligée dans cet état à avoir des relations sexuelles. Ses parents l’avait confiée à cet artiste de la chambre noire pour plusieurs séances, pour coucher sur papier argentique et mettre en lumière la beauté naissante de leur princesse. Une enquête de police commence. Le photographe est entendu, il reconnaît avoir couché avec la donzelle qu’il dit avoir pensée plus âgée et consentante. En septembre 1979, la procédure est clôturée et transmise au Parquet qui la classe sans suite.

Le Parquet reçoit ce jour un courrier de Samantha demandant que sa plainte soit reconsidérée. Elle est perturbée car elle croise de nouveau son agresseur devenu célèbre à ses yeux : il expose ses tirages dans le salon de coiffure chic où elle travaille. Elle “ne veut pas qu’un pédophile comme lui reste en liberté”. Sub lege libertas, votre procureur favori avec Gascogne, après un moment de rigolade nerveuse, s’interroge avec vous : est-ce prescrit ?

Trois éléments vont guider notre réflexion : la date des faits, la date de la majorité de la plaignante et la qualification possible de l’infraction. Les faits ont eu lieu en mars 1977. La qualification possible des faits est viols sur mineur de quinze ans par ascendant ou personne ayant autorité. La notion d’autorité sur la victime paraît de prime abord pouvoir être retenue puisque les parents confiait la mineure à l’artiste... La majorité de la plaignante intervient le 28 février 1982.

Le principe général de prescription criminelle est fixé par l’article 7 alinéa 1 du Code de procédure pénale qui à la date des faits est la version issue de la loi n°57-1426 du 31 décembre 1957, entrée en vigueur le 8 avril 1958, publiée au JORF [1] le 8 janvier 1958 . On y lit ceci :

En matière de crime, l'action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite.
S'il en a été effectué dans cet intervalle, elle ne se prescrit qu'après dix années révolues à compter du dernier acte. Il en est ainsi même à l'égard des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d'instruction ou de poursuite.

Donc dans notre cas, le dernier acte d’instruction ou de poursuite est le procès verbal de clôture et de transmission de la procédure au Parquet en septembre 1979. À compter de cette date, la prescription est donc acquise dix ans plus tard soit en septembre 1989. Mais, des règles spéciales de prescription pour les faits sexuels commis sur mineur ont été introduites par la loi du 10 juillet 1989.

L’article 7 du Code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi n°89-487 du 10 juillet 1989 publiée au JORF le 14 juillet 1989 contient désormais un alinéa 3 :

Lorsque la victime est mineure et que le crime a été commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur elle, le délai de prescription est réouvert ou court à nouveau à son profit, pour la même durée à partir de sa majorité.

La jurisprudence (classique) précise que cet alinéa ne s'applique qu'à des faits non encore prescrits lors de son entrée en vigueur le 14 juillet 1989. Donc dans notre cas, les faits étant prescrits en septembre 1989 soit après l'entrée en vigueur de ce nouvel alinéa, il s'applique : ainsi la prescription de dix ans se calcule à compter de la majorité de la plaignante et est donc acquise après le 28 février 1992. Bien sûr des lois depuis ont modifié encore cette règle, mais elles sont toute postérieures à la date à laquelle la prescription est acquise. Donc Sub lege libertas comme Gascogne peut s’exclamer avec Maître Kiejman, avocat d’un certain Roman Polanski qui croisa lui aussi en mars 1977 une Samantha qu’ “en France une affaire de ce type était prescrite au bout de 15 ans"[2] : 1977-1992.

Mais Sub lege libertas vient pour autant dire à Maître Kiejman que l’affirmation très générale “une affaire de ce type” est source de confusion. D’abord, car tout le raisonnement précédent ne tient que si une action judiciaire (instruction) n’a pas été ouverte après la plainte, sinon la prescription ne courrait qu’à l’issue de dix années après le dernier acte.

Et si ce dernier acte avait été un renvoi aux assises suivi d’un arrêt de condamnation par contumace (à l’époque), l’accusé étant en fuite, la situation vécue avant hier soir par Roman Polanski dans les alpages suisses serait la même en France si l’arrêt de condamnation par contumace était intervenu après le 23 septembre 1989 (prescription de la peine criminelle de vingt ans qui ne commence à courir que cinq jours après le prononcé).

Ensuite, cher maître Kiejman, votre affirmation ne se vérifie pas toujours pour des faits de cette nature datant d’avant les eighties, si nous faisons varier quelques données. Ceci est une autre histoire que je vous conterai par la suite.

(À suivre)



La suite est à lire dans ce billet-là. Les commentaire se poursuivent ci-après.

Notes

[1] Journal Officiel de la République Française

[2] Libération du 28 septembre 2009, page 33.

samedi 22 août 2009

Quand la Justice n'exécute plus

Par Gascogne


Pour ceux à qui cela aurait échappé, la justice va mal. Non pas à cause du corporatisme, du conservatisme et de l’irresponsabilité de ses juges (je sais, j’ai déjà fait plus léger comme appeau à troll, mais je sors d’une semaine agitée), mais par manque de moyens. J’entends déjà les contempteurs de notre système judiciaire crier qu’il y en a assez de ces magistrats qui se plaignent tout le temps du manque de moyens. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes qui râlent contre l’absence de sanctions sévères contre les délinquants, surtout ceux des banlieues, les délinquants financiers devant visiblement subir un sort moins funeste.

Alors je ne doute pas de leur soutien plein et entier s’agissant de la mise à exécution de peines d’emprisonnement ferme, qui ne peut se faire sans un nombre minimum de greffiers et autres travailleurs sociaux. Et pourtant, on apprend par la presse que le manque de personnel entraîne une impossibilité de mettre à exécution des peines d’emprisonnement dans la cour d’appel de Versailles.

Même si le journaliste semble quelque peu confondre en fin d’article ce qu’il souhaite constater et ce qui se déroule dans le cadre d’un délibéré (un sursis simple en lieu et place d’une peine d’emprisonnement ferme réclamée par la Parquet, quelle honte), il n’en demeure pas moins que les juges, lorsqu’ils condamnent, prennent souvent en compte les moyens matériels dont dispose la juridiction. A quoi bon prononcer des TIG si l’on sait qu’aucune association ne peut accueillir les condamnés ? Pourquoi prononcer des sursis avec mise à l’épreuve si l’on sait pertinemment qu’aucun suivi ne sera mis en place, faute de travailleurs sociaux (que l’on appelle des conseillers d’insertion et de probation) ? Quand on vous annonce qu’aucun dossier de sursis avec mise à l’épreuve n’est suivi plus de deux ans, faute de moyens, pourquoi prononcer des SME durant trois ans, voire plus en cas de récidive ? Pourtant, le législateur, sans doute à juste titre, a bien prévu que pour les récidivistes, une suivi pouvant aller jusqu’à 7 ans était envisageable. Juridiquement, c’est certain. Matériellement, c’est une douce plaisanterie. D’aucuns parleraient de loi de pure annonce.

Et je ne vous parle même pas de ces juges d’instruction qui reçoivent un courrier très poli du directeur de la protection judiciaire de la jeunesse qui leur annonce que les contrôles judiciaires des petits Kevin et Dylan ne seront pas suivis faute d’éducateurs (ah, ben si, je vous en parle…Peut-être parce que cela m’est personnellement arrivé).

L’absence de moyens concernant l’exécution des peines pousse souvent les juges à des décisions la plupart du temps dans l’intérêt des justiciables, c’est à dire vers une diminution de la sévérité. Ceci étant, la facilité peut aussi vouloir que l’on prononce une peine ferme. Il y aura toujours de la place en détention. Au moins avec un matelas au sol (à tous membres de l’OIP qui me liraient, il s’agit bien évidemment d’ironie)…

Les politiques vont une fois de plus découvrir la lune, eux qui ne regardaient jusqu’alors que le doigt. Ce n’est pourtant pas faute de les avoir alertés. L’Union Syndicale des Magistrats a déjà signalé les difficultés liées à l’exécution des peines, dans un “livre blanc” que l’on peut trouver ici (je sais, Me Eolas vous dirait, “attention, site moche”, mais bon, c’est mon syndicat, quand même…). Il en ressortait que près d’un tiers des peines d’emprisonnement ferme n’était jamais ramené à exécution, faute de moyens. On imagine dés lors facilement le peu d’impact de ces décisions sur les personnes condamnées…

Et qu’a-t-on fait depuis ? Rien, si ce n’est diminuer en douce les effectifs, réforme de l’État oblige. Le gouvernement a eu beau indiquer que les ministères de l’intérieur et de la justice ne seraient pas touchés par les non-remplacements de départs en retraite, les effectifs de l’Ecole Nationale de la Magistrature ne remplaceront pas les départs (de l’ordre, dans les années à venir, d’environ 300 départs en retraite pour une petite centaine d’entrées en école). Faites vos comptes. Et je ne vous parle même pas des greffes, dont la situation en terme de personnel est encore plus catastrophique.

Concernant les effectifs de police, le récent cafouillage au plus haut niveau de l’Etat au sujet des “cadets de la République” (institution que, personnellement, je trouve plutôt positive, même si elle vient de N. Sarkozy, c’est pour dire…) n’est pas fait pour me rassurer.

Après “Police partout, Justice nulle part”, va-t-on assister à un “Police nulle part, Justice nulle part” ? Cerise libertaire en sera sûrement ravie, mais en ce qui me concerne, vous aurez deviné que ce n’est pas la conception d’une société civilisée que je peux me faire.

vendredi 3 juillet 2009

« Sarkozy je te vois » : Prévenu, je te relaxe

Épi­lo­gue de l’affaire de la célè­bre saillie : « Sar­kozy je te vois » : le juge de proxi­mité de Mar­seille a relaxé l’ensei­gnant pour­suivi pour tapage diurne inju­rieux.

Le juge de proxi­mité a estimé dans son juge­ment que si le pro­pos pou­vait être “ mala­droit et déplacé ”, il “ ne revêt pas de carac­tère inju­rieux ”, ce qui relève en effet de l’évi­dence, mais pas tant que ça visi­ble­ment puis­que l’offi­cier du minis­tère public avait requis la con­dam­na­tion à 100 euros d’amende.

L’avo­cat du pré­venu a déclaré à la presse que « le juge de proxi­mité est suf­fi­sam­ment décrié pour que cette fois, on puisse lui ren­dre hom­mage, c’est avec beau­coup d’à pro­pos et de matu­rité qu’il a motivé son juge­ment ».

Qu’il me soit per­mis de dis­con­ve­nir.

Si la relaxe me sem­blait en effet s’impo­ser, le juge n’avait pas à ména­ger la chè­vre et le chou en con­ve­nant que le pro­pos était mala­droit et déplacé.

Rap­pe­lons le pro­pos : “ Sar­kozy, je te vois ”. Mala­droit ? Déplacé ? Et en quoi ? Les juge­ments de valeur sont dépla­cés dans un juge­ment en droit. Un pro­pos viole la loi ou ne le viole pas, le juge n’a pas à jouer les arbi­tres des élé­gan­ces. Bien sûr, il y a des excep­tions (en droit, il y a TOU­JOURS des excep­tions). Quand un pro­pos a cho­qué l’opi­nion publi­que mais ne tombe pas sous le coup de la loi, le tri­bu­nal peut recon­naî­tre que le pro­pos pou­vait cho­quer, est con­tro­versé, va con­tre une thèse offi­cielle, etc. Il suf­fit de lire les juge­ments de relaxe dont ont pu béné­fi­cier Jean-Marie Le Pen ou Dieu­donné. Mais même en ce fai­sant, il ne porte pas vrai­ment de juge­ment de valeur mais cons­tate une évi­dence et situe un con­texte.

Dans notre affaire, le pro­pos n’a cho­qué per­sonne. Je ne con­nais per­sonne qui ait approuvé ces pour­sui­tes, pas même Fré­dé­ric Lefèb­vre, ce qui n’est pas peu dire. Aucune pré­cau­tion ver­bale ne s’impo­sait.

Vou­loir donc ména­ger la chè­vre et le chou me paraît donc ici mala­droit et déplacé. Une relaxe un peu plus cin­glante aurait eu ma pré­fé­rence. Parce que la liberté d’expres­sion le vaut bien.

mardi 23 juin 2009

Au revoir Rachida, bonjour Mam' le Garde des Sceaux

Ça y est, Dati a pris Laporte. En France, tout finit en chanson, comme l'a rappelé très opportunément Dadouche.

Alors, pour continuer la fête de la musique, voici une chanson, sur l'air de l'inoubliable “ couleur menthe à l'eau ”, intitulée Couleur code Dalloz.

Paroles de Maboul CarburoD…Z et Eolas. Musique de Pierre Papadiamandis. Paroles originales d'Eddy Mitchell.


Elle était maquillée
Comme une voiture volée
Mais garée place Vendôme.
Elle rêvait qu'elle posait
Juste pour un bout d'essai
Chez Cartier ou Lancôme.

Elle semblait bien dans sa peau
Ses ongles couleur code Dalloz 
Cherchaient du regard un flash
Le dieu caméra
Et moi, je n'en pouvais plus
Bien sûr, elle ne m'a pas vu
Perdue dans sa mégalo
Moi, j'étais de trop

Elle marchait comme un chat
Qui méprise le p'tit pois
En frôlant l'procureur
La manif' qui couvrait
La réforme qu'elle rêvait
Semblait briser son cœur

Elle en supprimait un peu trop, 
Des postes et des tribunaux, 
L’Elysée est dans sa tête
Toute seule elle répète :
« Les peines plancher, c'est le pied,
« Les marmots, faut les enfermer !»
Perdue dans sa mégalo
Moi, je suis de trop.

Mais Sarko est entré
Et le charme est tombé
Agitant sa Rolex
Ses yeux noirs ont lancé
De l'agressivité
Comme s'ils voyaient un Solex.

La fille aux ongles code Dalloz
A rangé ses Busiris
Et s'est soumise à l'oukaze : 
« À Strasbourg, la Miss ! »
Et moi, je n'en pouvais plus
Elle n'en n'a jamais rien su
Ma plus jolie des gardes des Sceaux
Couleur code Dalloz.

Au revoir, madame le Garde des Sceaux. Je ne peux pas dire que vous me manquerez, mais avouez-le : ensemble, on aura bien rigolé.

Allez, pour la route, une dernière vacherie.

Plâce Vendôme, à l'aube. Gascogne sort les poubelles, en l'occurrence un bac jaune d'où sortent deux jambes fuselées élégamment bottées de Louboutin,ainsi qu'une main gracile tenant encore une flûte de champagne blanc de blanc millésimé. Eolas regarde la scène en fonçant les sourcils : “ la poubelle jaune ? Tu es sûr que c'est recyclable ?” demande-t-il.

Et ma contribution aux chansons d'adieu.

Another turning point, a fork stuck in the road
Time grabs you by the wrist, directs you where to go
So make the best of this test, and don't ask why
It's not a question, but a lesson learned in time

It's something unpredictable, but in the end it's right.
I hope you had the time of your life.

So take the photographs, and still frames in your mind
Hang it on a shelf in good health and good time
Tattoos of memories and dead skin on trial
For what it's worth it was worth all the while

It's something unpredictable, but in the end it's right.
I hope you had the time of your life.

It's something unpredictable, but in the end it's right.
I hope you had the time of your life.

It's something unpredictable, but in the end it's right.
I hope you had the time of your life.

vendredi 15 mai 2009

L'affaire du « Sarkozy je te vois »

Un enseignant marseillais connaît ces temps-ci une bien étrange mésaventure, qui serait cocasse si elle ne me laissait pas une certaine amertume dans la bouche.

Il y a un an de cela, il fait l'objet d'un contrôle d'identité dans la gare Saint-Charles de Marseille.

Et voici venu le moment d'une première pause. Qu'est-ce qu'un contrôle d'identité ? C'est le pouvoir donné par la loi aux forces de police de s'assurer de l'identité d'un individu, en lui demandant de s'en justifier. Il s'agit d'une atteinte à la liberté d'aller et venir (la personne contrôlée étant retenue le temps qu'il y soit procédé) et dans une certaine mesure à la vie privée puisque qui nous sommes et où nous allons ne regarde a priori que nous. Un tel contrôle ne peut donc théoriquement être opéré que dans les cas prévus par la loi. Je dis théoriquement car rien ne permet de refuser de se soumettre à un tel contrôle même s'il est manifestement illégal. Tout au plus peut-on soulever la nullité d'une procédure judiciaire lancée sur le fondement d'un tel contrôle illégal, mais encore faut-il que ce contrôle ait débouché sur des poursuites. Les honnêtes gens sont sans défense, car les honnêtes gens n'ont pas à se défendre, puisqu'ils n'ont rien fait, n'est-ce pas. Je vous renvoie à mes nombreux développement sur l'archaïsme de notre procédure et l'insuffisance de la protection des libertés individuelles en France, en voici un nouvel exemple.

Les cas légaux sont prévus à l'article 78-2 du code de procédure pénale. On peut les distinguer en trois catégories.

1° les contrôles sur réquisitions du procureur de la République.
Le procureur de la République donne l'ordre à la police de contrôler l'identité de toute personne se trouvant dans des limites géographiques qu'il précise et pendant un intervalle horaire qu'il détermine également, afin de rechercher certaines infractions, classiquement trafic de stupéfiants, port d'arme et séjour irrégulier. Tout contrôle hors de ces limites et horaires est nul. Si le contrôle révèle une autre infraction que celles visées dans les réquisitions, en revanche, aucune nullité n'est encourue. C'est sur ce genre de contrôles que sont interpellés nombre d'étrangers frappés d'un arrêté de reconduite à la frontière.

2° Le contrôle spontané.
La police peut décider de contrôler l'identité de toute personne à l'égard de laquelle existe une ou plusieurs[1] raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction, ou qu'elle se prépare à commettre un crime ou un délit, ou qu'elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l'enquête en cas de crime ou de délit, ou qu'elle fait l'objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire. Si l'interpellation débouche sur une procédure, le policier devra préciser dans le procès verbal qu'il rédigera quelles sont les raisons qui l'ont poussé à opérer ce contrôle. Ces raisons peuvent être un comportement suspect (classiquement, celui qui, à la vue des policiers, fait demi-tour et part en courant), ou une ressemblance physique avec un avis de recherche diffusé par la justice.

3° Le contrôle géographique.
La loi permet à la police d'effectuer des contrôles discrétionnaires dans certaines zones géographiques où un fort flux de voyageurs internationaux a lieu : soit une bande de 20km le long des frontières et certains ports maritimes, aéroports et gares ferroviaires dont la liste est fixée par l'arrêté du 23 avril 2003. La gare de Marseille-Saint-Charles figure parmi ces zones où tout ce qui ne porte pas un képi est suspect.

Pour en revenir à notre enseignant, le fait qu'il se trouvât dans la gare Saint-Charles donne en tout état de cause un fondement géographique à ce contrôle. Il devait obéissance à la loi et accepter ce contrôle.

Accepter ne veut pas dire apprécier, et s'il fit le premier, il ne fit pas le second. Il explique que les personnels de police ont eu un comportement désagréable voire arrogant. Je ne puis confirmer ou infirmer, je n'y étais pas. Les policiers sont des humains comme les autres, ils ont leur lot de mauvais coucheurs, et tous nous pouvons tous le devenir après une mauvaise journée. Néanmoins les policiers ont droit eux aussi à la présomption d'innocence et je supposerai pour la suite du récit que le comportement des policiers a été correct.

Notre enseignant a donc voulu manifester son mécontentement, et l'a fait bruyamment, ce qui a pris la forme de deux exclamations : « Sarkozy, je te vois ».

Exclamations qui valent aujourd'hui à notre enseignant d'être cité à comparaître devant le juge de proximité pour y être jugé des faits de tapage diurne injurieux.

Et voici venu le moment de notre deuxième pause.

La contravention de tapage est prévue par l'article R.623-2 du Code pénal. Contravention de la 3e classe, qui fait encourir au maximum 450 euros d'amende. Pour être puni, le tapage doit être de nature à troubler la tranquillité d'autrui, et être soit nocturne, soit injurieux s'il est diurne. Or les mots ont été proféré à 17h50 d'après l'avocat du prévenu, il faisait donc jour.

Vous me connaissez : j'exècre le chipotage. Admettons donc le tapage, tant il est vrai que les marseillais sont réputés pour leur flegme, leur laconisme, et leur caractère placide. Admettons que le tapage soit de nature à troubler la tranquillité du public, tant il est vrai qu'on va dans une gare pour goûter le doux murmure des freins qui crissent et l'harmonieux susurrement des annonces sonores, ambiance idéale à la pratique du yoga, du tàijí quán et de la méditation transcendentale.

Mais le tapage injurieux ? En disant « Sarkozy je te vois » ? Rappelons que l'injure est constituée de tout terme outrageant ne contenant l'imputation d'aucun fait (Article 29 de la loi du 29 juillet 1881). J'espère que la procédure mentionne d'autres propos, mais ceux-ci semblent les seuls retenus dans la citation (sous toute réserve, je n'ai pas eu accès à ce document).

Je suis ravi de voir que le parquet de Marseille a du temps d'audience à consacrer à ce genre de dossier assurant à l'avocat de la défense une relaxe facile, mais j'ai du mal à sourire néanmoins.

Souvenons-nous de l'affaire du « Casse-toi pov'con ». Brandir un écrit qui critique implicitement mais clairement le président est une offense. Crier une critique de la politique sécuritaire voulue par le président est un tapage injurieux. Prochaine étape : une pensée désobligeante sera-t-elle une atteinte à l'autorité de l'État ?

Il y a dans ce type d'affaire une impression d'instrumentalisation du droit pénal pour faire une police politique qui me déplaît au plus haut point. Le peuple français est par nature un peuple de maillotins. Quelle que soit la légitimité démocratique sur laquelle s'appuiera le pouvoir en place, il y aura des opposants qui le contesteront, parfois injustement, parfois ridiculement. Et c'est tant mieux. Il est vrai qu'en quelques années, le nom du président apparaît presque toujours dans les procès verbaux des procédures d'outrage (alors que je n'ai jamais vu un dossier d'outrage où on invoquait le nom du président Chirac). C'est la conséquence inévitable de la politique d'omniprésence du président. Ça peut agacer. C'est vrai qu'à la longue, ça lasse. Ce n'est pas illégal pour autant.

La démocratie s'accommode fort bien d'un peu de désordre et la République a bien plus à craindre quand les gares sont silencieuses que quand les contrôlés sont tapageurs.

Notes

[1] Notez l'inutilité de la formule : si une suffit, peu importe qu'il y en ait plusieurs.

vendredi 8 mai 2009

Responsabilité des magistrats: Dati busirisée une septième fois.

L'académie Busiris récompense pour la septième fois Madame Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, pour les propos suivants, tenus le 5 mai 2009 à l'assemblée nationale:

Si ça relève du privé, évidemment, le garde des Sceaux n'est pas en charge de la vie privée des magistrats

Rachida Dati tâchant difficilement de garder un visage serein après cette septième consécration- Photo ministère de la justice

Indifférence des Mékéskidi qui n'y virent que bon sens. Stupeur des magistrats qui y virent le déguisement de leur régime disciplinaire. Mobilisation immédiate de l'académie, qui, à la majorité absolue, y vit une affirmation juridiquement aberrante, teintée de mauvaise foi, et mue par l'opportunité politique plus que par le respect du droit. Paraissaient réunies les trois conditions d'attribution de la célèbre distinction éolassienne.

L'affaire

Le groupe Casino et une famille Baud, fondatrice des enseignes Leader Price et Franprix, s’étripent judiciairement pour se disputer un milliard d’euros. Deux instructions judiciaires sont en cours au tribunal de Paris. L’une contre Baud sur plainte de Casino. L’autre contre Casino sur plainte de Baud. Les deux juges ont donné commission rogatoire à la brigade financière de Paris. Or, voilà que le bon procureur de Nanterre, qui n’est pas à Paris et qui n’est donc pas en charge des dossiers instruits à Paris, mais qui est donné pour devenir le prochain procureur de Paris, et dont la femme est chargée de mission à la fondation du groupe Casino, ce qui le mettrait en position délicate dans les deux affaire Baud contre Casino et réciproquement, aurait donné chez lui un dîner. Et à ce dîner, il aurait réuni, outre sa conjugale chargée de mission de Casino, le PDG de Casino, l’avocat de Casino et le chef de la brigade financière chargée du dossier Casino. On ne sait trop ce qui s’est dit à table, mais, informés de ces agapes privées entre professionnels, les deux juges d’instruction ont montré leur courroux en retirant promptement leurs enquêtes à la brigade financière.

Le 5 mai 2009, à l’Assemblée nationale, Madame Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la Justice, interpellée par un honorable parlementaire sur l’hospitalité du procureur, et pressée de dire si elle envisageait contre lui quelque sanction, a solennellement clamé cette phrase à graver dans le marbre:

Si ça relève du privé, évidemment, le garde des Sceaux n'est pas en charge de la vie privée des magistrats

L'académie précise n'avoir aucune idée de l'éventuel caractère fautif du procureur hospitalier. Cette question ne ressortit pas à sa compétence.

En revanche, l'académie, gardienne de l'utilisation du droit par les politiques, ne peut laisser dire que la vie privée des magistrats échappe à la responsabilité disciplinaire. L'issue piteuse des poursuites disciplinaires contre le juge Burgaud, l'annonce par le président de la République d'une accentuation de la responsabilité personnelle des magistrats, et l'hostilité vraisemblablement grandissante du peuple envers les juges perçus comme irresponsables, imposent de faire circuler cette information méconnue: Les magistrats sont responsables disciplinairement de leur vie privée.

Première condition d'attribution du prix: l'aberrance juridique.

Tout magistrat, et Madame Dati comme les autres, a embrassé sa glorieuse carrière en jurant, la main droite levée sous les ors de la grande salle d’audience de la cour d’appel de Bordeaux, de bien et fidèlement remplir (ses) fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de (se) conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. En tout. Ces deux mots, apprend-on à l’Ecole Nationale de la Magistrature, rendent les magistrats responsables disciplinairement de leur vie professionnelle, mais aussi de leur vie privée.

De même tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire, ainsi que l'énonce sans ambiguïté l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature. Tout manquement. Y compris dans la vie privée.

La fréquentation de prostituées, la malhonnêteté dans une opération immobilière, l’abandon d’une voiture après avoir causé un grave accident, le retard important à régler une facture, le non respect des obligations fiscales, quelques violences sur une concubine, et bien d’autres agissements privés ont été sanctionné car, bien que privés, ils rejaillissaient sur l'institution et en ternissaient l'honorabilité.

L’autorité disciplinaire qui statue sur ces fautes de la vie privée est le Conseil supérieur de la magistrature. Pour les magistrats du siège (article 50-1 du Statut de la magistrature), le conseil est saisi par la dénonciation des faits motivant les poursuites disciplinaires que lui adresse la garde des sceaux, ministre de la justice Pour les magistrats du parquet (article 63 du Statut de la magistrature), le garde des sceaux, ministre de la justice, saisit le procureur général près la Cour de cassation, président de la formation du Conseil supérieur compétente pour la discipline des magistrats du parquet, des faits motivant une poursuite disciplinaire contre un magistrat du parquet. Dans un cas comme dans l'autre, le garde des sceaux est à la manoeuvre en cas de faute disciplinaire.

Les décisions disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature ont été minutieusement collationnée et offertes à la consultation publique. Les curieux pourront s'en repaître sur le site du conseil. Et, y trouver confirmation que le garde des sceaux est bien ''en charge de la vie privée des magistrats, lorsque celle-ci rejaillit sur l'institution judiciaire.

Deuxième condition d'attribution du prix: la teinture de mauvaise foi.

Rappelons que la garde des sceaux est interrogée sur les suites disciplinaires qu'elle entend réserver à un de ses procureurs qui recevait, certes chez lui, le président d'une société tour à tour plaignante et mise en cause dans plusieurs gros dossiers instruits dans un tribunal voisin, l'avocat de la même société et le chef des policiers financiers chargés de l'enquête par les juges d'instruction. Ajoutons que le dit procureur semble promis au poste de procureur du tribunal où ces dossiers sont instruits, ce qui lui donnerait de l'influence sur leur aboutissement. Et ajoutons encore que la femme de ce procureur serait rémunérée par la société, en qualité de chargée de mission d'une fondation.

Quel sens donner à la démarche de ce procureur ? Sa femme est en relation d'intérêt avec la société, il régale à ses frais le président et l'avocat de la société, il rapproche intimement les deux précédents et le policier chargé des enquêtes. Enfin il court-circuite les deux juges d'instruction, qui légalement sont les seuls à piloter les dossiers (ces deux juges ont vu rouge et, derechef, ont dessaisi le policier repu).

Envisager qu'un tel dîner puisse relever exclusivement de la sphère privée constitue déjà largement la mauvaise foi exigée pour l'attribution du prix. Et l'envisager pour proclamer inexactement que la vie privée des magistrats échappe au domaine du disciplinaire, de la part d'un magistrat, ministre des magistrats et ne pouvant ignorer le statut des magistrats, vient constituer doublement la mauvaise foi requise.

Troisième condition d'attribution du prix: le mobile d'opportunité politique.

La question est ici plus délicate.

La garde des sceaux ne souhaitait-elle pas protéger le magistrat mis en cause par solidarité avec ses hommes. L'académie n'a envisagé cette hypothèse que le temps nécessaire pour l'écarter, la trouvant peu compatible avec la rudesse habituellement endurée par les procureurs, du premier secoué, Philippe Nativel, au dernier évincé, Marc Robert.

Ne restait que l'hypothèse de la servilité politique. A en croire le blog du journaliste Michel Deléan, proche de Nicolas Sarkozy, qui lui a remis les insignes d'officier de l'ordre du Mérite, le 24 avril à l'Elysée (en présence des avocats Paul Lombard, Jean-Michel Darrois et Jean-Yves le Borgne), Philippe Courroye est cité comme probable successeur de Jean-Claude Marin au poste envié de procureur de Paris.

La fidélité de Madame Dati au président de la République est de commune renommée. Elle suffit à faire présumer chez elle le souci d'épargner un proche du président, haut magistrat promis à encore plus d'altitude. La troisième condition est réunie.

Attribution du prix

L’académie Busiris décerne à Madame Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, son septième prix Busiris, lui présente ses très respectueux compliments, et lui confirme que, contrairement à ce qu'elle fait mine de croire, en cas de vie privée fautive d'un magistrat de son ministère, elle est bien en charge du problème. En termes plus clairs, elle s’occupe de ce qu’on lui donne à s’occuper et puis... elle s’occupe de ce qu’on lui donne à s’occuper avec les personnes qui peuvent porter ses affaires à s’occuper .

Sous vos applaudissements.

mercredi 29 avril 2009

Synthèse de la décision du CSM concernant Fabrice Burgaud

Tout le monde n'aura pas le courage de lire la longue décision du CSM concernant Fabrice Burgaud, sans compter ceux qui n'ont pas besoin de lire quoi que ce soit pour avoir une opinion sur tout.

C'est dommage, car le CSM a fait un vrai effort de pédagogie et de rédaction de sa motivation, qui est un élément indispensable à la compréhension de cette décision.

Alors pour ceux qui sont overbooké, qui vont sur mon site (ou sur Rue89 où cet article sera repris) pendant que leur patron ont le dos tourné, voici une synthèse de la décision pour pouvoir briller en société en y consacrant un minimum de temps.

Comme toute décision juridictionnelle, elle rappelle d'abord les règles de droit applicables (cette partie s'appelle le visa), puis, après avoir rappelé le déroulement de la procédure, reprend un par un les arguments du demandeur et y répond, expliquant en quoi elle le rejette ou au contraire pourquoi elle l'estime fondé (cette partie s'appelle les motifs), avant d'exposer la teneur de sa décision cette conclusion s'appelle le dispositif. Rappelons enfin que le demandeur est ici le Garde des Sceaux, représenté par Mme Lottin, directrice des services judiciaires de la Chancellerie, désigné par la décision comme “l'autorité de poursuite”. Le défendeur est bien évidemment Fabrice Burgaud.

Les règles de droit applicables.

La règle de droit applicable rappelée en exergue est la suivante. N'espérez pas comprendre la décision si vous ne l'avez pas à l'esprit (les passages entre crochets sont des commentaires de votre serviteur).

D'abord, qu'est-ce qu'une faute disciplinaire pour un magistrat ?

La réponse se trouve à l'article 43 de l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le statut de la magistrature.

Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire.

► Premier point, le Conseil rappelle le principe que l'indépendance des juges ne permet pas de critiquer les décisions qu'ils ont rendues, que ce soit dans leur motivation ou dans le sens de la décision, autrement que par l'exercice d'une voie de recours (appel, pourvoi en cassation, etc…), ce qui recouvre les actes du juges d'instruction. Donc le CSM ne jugera pas l'instruction effectuée par Fabrice Burgaud quand il était juge d'instruction à Boulogne : c'était le rôle de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai

Le Conseil rappelle les deux exceptions à cette règle :

Premièrement, si un tel manquement a été constaté lors d'un recours contre une décision du juge, le CSM peut sanctionner cette violation.

Deuxièmement, lorsqu'un juge a, de façon grossière et systématique, outrepassé sa compétence ou méconnu le cadre de sa saisine, de sorte qu'il n'a accompli, malgré les apparences, qu'un acte étranger à toute activité juridictionnelle, des poursuites disciplinaires peuvent être engagées.

Or dans notre affaire, l'instruction menée par Fabrice Burgaud a fait l'objet de nombreux recours devant la chambre de l'instruction, qui ont tous été rejetés. La première exception ne joue pas.

► Deuxième point, s'agissant du comportement global du magistrat et non plus des décisions qu'il a rendues, s'il n'appartient pas à la juridiction disciplinaire d'apprécier, a posteriori, la démarche intellectuelle du magistrat instructeur dans le traitement des procédures qui lui sont confiées, les carences professionnelles de celui-ci peuvent, néanmoins, être sanctionnées lorsqu'elles démontrent, notamment, une activité insuffisante, ou un manque de rigueur caractérisé, de nature à nuire au bon déroulement de l'information, un défaut d'impartialité, de loyauté ou de respect de la dignité de la personne.

Les griefs contre le magistrat

Voici les règles posées. Le CSM va reprendre ensuite un à un, en les classifiant, les vingt griefs soulevés par la Chancellerie. Et va en rejeter douze sur vingt, dont un (le 3-9) qui ne reposait sur aucun élément. Amusant quand on se souvient que l'on reproche à Fabrice Burgaud d'avoir traité son dossier avec légèreté…

S'agissant des huit qu'il va retenir, le CSM va suivre le raisonnement de la Chancellerie, qui reconnaissait elle-même qu'aucun de ces griefs ne constituait en soi une faute. Je le répète : la Chancellerie reconnaissait elle-même que Fabrice Burgaud n'avait commis aucune faute. Ça a échappé à beaucoup de commentateurs. Mais le cumul de ces griefs, qualifiés de « négligences, maladresses et défauts de maîtrise dans les techniques d'audition et d'interrogatoire » constituerait lui une faute selon le Conseil, qui permet de prononcer une sanction. Le fait que la sanction prononcée soit la plus légère tient à une autre raison, que j'avais déjà annoncée (l'amnistie) sur laquelle je reviendrai à la fin.

La liste de ces griefs figure dans la décision, que je ne vais pas paraphraser ici, mais commenter. Sa lecture laisse un certain malaise à votre serviteur. Si cette liste montre bien que Fabrice Burgaud n'a pas été d'un professionnalisme à toute épreuve, et a même à certains moments fait preuve d'une certaine incompétence, je ne puis m'empêcher de penser que l'affaire d'Outreau, ce n'est pas le fait que le juge ait confondu deux Priscilla, ou ne se soit pas ému que d'une version à l'autre, le récit des enfants change. Si ces erreurs, pour regrettables qu'elles fussent, n'avaient pas été commises, l'affaire n'aurait-elle pas eu lieu ? Je vous donne un indice : Fabrice Burgaud est parti en juillet 2002. Le réquisitoire définitif demandera un non lieu pour un des mis en examen, qui sera accordé par le juge ayant succédé à Fabrice Burgaud, mais ce non lieu sera annulé par la chambre de l'instruction de Douai et le mis en examen en question renvoyé devant les assises de St-Omer où il sera acquitté. De même, ce ne sont certainement pas ces absences de vérification et ces contradictions non relevées qui ont été déterminantes lors du procès de St-Omer, où certains futurs acquittés seront condamnés, puisque la procédure devant la cour est orale, et que les jurés n'ont donc pas eu accès à ces procès-verbaux. À vous de vous faire votre opinion en relisant si vous le souhaitez la décision du CSM.

L'effet de l'amnistie

Comme je l'avais indiqué, un obstacle majeur se dressait sur la route de la Chancellerie : la loi d'amnistie votée à l'occasion de la ré-élection triomphale de Jacques Chirac. Elle amnistiait tous les faits constituant des fautes disciplinaires commis avant le 17 mai 2002 (date du début du second mandat de Jacques Chirac) ; or Fabrice Burgaud a quitté son poste à la fin du mois de juillet 2002.

La loi d'amnistie prévoit une exception à l'effacement de la faute : si elle constitue un manquement à l'honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs. Le CSM examine si les griefs antérieurs au 17 mai 2002 qu'il a retenus constituent un tel manquement et répond par la négative. En effet, les termes « négligences, maladresses ou défauts de maîtrise » retenus désignent des fautes involontaires. On ne manque pas à l'honneur ou à la probité par négligence.

Le CSM indique qu'il ne retiendra donc que les faits postérieurs au 17 mai 2002 pour évaluer la sanction. Là encore, si vous ne gardez pas ce point à l'esprit, vous vous condamnez à ne pas comprendre cette décision.

Cela laisse sept interrogatoires dont un d'un mineur et deux de Myriam Badaoui jugés insatisfaisants, une investigation non effectuée alors qu'elle aurait été nécessaire selon le CSM, deux notifications d'expertise effectuée juste avant la clôture de l'information, et la clôture elle-même sans avoir répondu aux demandes d'actes dont il était saisi.

C'est sur la base de ces seuls éléments que le CSM va déterminer la sanction.

La sanction adéquate.

Si vous avez suivi, je pense que la réprimande prononcée, la plus basse des neufs sanctions possibles, vous apparaît désormais plus claire.

Ce n'est pas toute l'instruction qui est jugée, mais seulement les trois dernier mois (du 17 mai au 7 août 2002) sur 20 mois d'instruction. Ce d'autant plus que le Conseil ajoute que sur la centaine d'autres dossiers que Fabrice Burgaud a instruit, aucun de ces manquements n'a été relevé, qu'aucune observation pouvant le mettre en garde n'a été faite par les autres magistrats intervenant sur le dossier, que ce soit le parquet de Boulogne ou la chambre de l'instruction de Douai, qu'aucune demande de nullité de la procédure n'a jamais été déposé par un des avocats des mis en examen, que cette affaire était extraordinaire par son ampleur et sa complexité, qu'il n'est pas contesté que Fabrice Burgaud s'est investi à fond dans le dossier et qu'enfin il n'a pas disposé des moyens dont il avait besoin et ce malgré ses demandes répétées.

Le Conseil prononce donc la sanction de réprimande avec inscription au dossier.

Ultime commentaire sur cette décision.

Cette décision ne satisfait pas l'opinion publique, je m'en rends bien compte. Et je m'en fiche. C'est le confort de l'avocat sur le politique. Le CSM n'avait pas à rejouer les Animaux Malades de la Peste et à crier haro sur le Burgaud. Mais elle ne me satisfait pas non plus, pour une raison sans doute opposée à l'opinion publique. Je pense pour ma part que le CSM n'avait pas de quoi condamner Fabrice Burgaud.

Je m'explique.

D'entrée de jeu, le CSM rappelle la règle : il cherche des fautes mais ne juge pas le travail du juge : c'est là le rôle des voies de recours (qui dans cette affaire n'ont pas été exercées hormis pour les demandes de mises en liberté). Et pourtant, c'est exactement ce qu'il va faire dans cette décision. Il va éplucher méticuleusement le dossier à la recherche des oublis, des contradictions non relevées, des astuces pourtant monnaie courante pour gagner un peu de temps (des expertises en même temps que des avis de fin d'instruction, j'en ai reçu à la pelle avant la loi du 5 mars 2007 qui a réformé le système). Bref, il va juger le travail du juge hors des voies de recours, va admettre que ce ne sont pas des fautes, mais en les empilant, va estimer qu'elle deviennent une faute. Il va ensuite constater que l'amnistie en fait disparaître 80%, et va donc sanctionner les 20% restant. Sacré tour de passe passe, plus à sa place dans Le Plus Grand Cabaret du Monde que dans une décision juridictionnelle.

Au-delà du cas de Fabrice Burgaud, que les Français adorent détester et dont je me fiche à titre personnel (hormis quand il met un de mes clients en prison, puisqu'il est à l'exécution des peines de mon tribunal), le CSM ouvre ainsi une porte à un contrôle disciplinaire de la qualité du travail du juge, et permet de le sanctionner même si aucune faute n'est constituée, en trouvant un cumul de négligences. Vous avez envie d'applaudir, car rien n'exaspère plus les Français que les privilèges qu'ils n'ont pas[1] ? Fort bien, mais gardez une chose à l'esprit : le pouvoir disciplinaire est mis en branle par le Garde des Sceaux, qui obéit donc au premier ministre (quand il y en a un) et au président de la République (pourtant garant de l'indépendance du pouvoir judiciaire). Souvenez-vous en le jour où vous aurez comme adversaire un ami du pouvoir. Par cette porte ouverte, c'est l'indépendance du juge qui peut prendre la poudre d'escampette. C'est bien cher payé pour la tête de Fabrice Burgaud.

En outre, et j'en finirai là-dessus, avoir fait de Fabrice Burgaud le bouc émissaire de cette affaire, quitte à lui inventer des fautes (combien de gens m'ont-ils dit qu'il avait renvoyé aux assises un accusé pour le viol d'un enfant qui n'était pas né, alors qu'il s'agit d'une erreur commis longtemps après son départ par le parquet et rectifiée avant la cour d'assises par la chambre de l'instruction ?), c'est une façon commode d'escamoter les véritables leçons à tirer de cette affaire. Une réformette votée en mars 2007, dont le principal volet (la collégialité de l'instruction) est remise en cause avant même son entrée en vigueur (le 1er janvier prochain) par l'annonce de la suppression du juge d'instruction). Une réforme grotesque de la formation des magistrats (des tests psychologiques et six mois en cabinet d'avocat, mais suppression du stage en prison…). Et les pots cassés étant payés par les magistrats, lâchés par leurs ministres successifs, et donc sans voix pour se défendre, avec comme prix une perte de confiance des Français dans leur justice. Un gâchis peut en cacher un autre. Et même un troisième car les dégâts sont considérables dans les relations magistrats-chancellerie (l'actuelle locataire —à moins qu'elle ne soit plus qu'occupante sans droit ni titre ?— n'ayant rien fait pour arranger les choses, témoin ce communiqué que je mets en annexe, diffusé sur l'intranet du ministère de la justice à l'attention des magistrats. Comme on pouvait s'y attendre, le principal sujet du communiqué sur la décision Burgaud est le Garde des Sceaux elle-même. Si vous voulez donner un sens au concept de “ déplacé ”, c'est un cas d'école.

Allez, je sens que je vais plus me faire démonter en commentaires que si j'avais dit du bien de Youssouf Fofana.


Annexe : Communiqué de la Chancellerie (Source : Intranet du ministère de la Justice).

Communiqué du 27 avril 2009

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a rendu hier sa décision à l’égard de M. Burgaud. Beaucoup de français auront du mal à comprendre une décision qui, dans une affaire aussi grave, prononce une sanction symbolique. Mais il faut rappeler que le CSM est une instance indépendante qui nomme les juges du siège et prononce les sanctions à leur égard.

Les avocats de M. Burgaud mettent en cause l’impartialité de l’un des membres du CSM, M. Chavigné. Ce magistrat a siégé tout au long de l’instance disciplinaire qui a duré une semaine, sans qu’à aucun moment son impartialité n’ait été mise en doute par la défense de M. Burgaud. Il lui est reproché d’avoir, en août 2003, statué sur une demande de liberté concernant l’un des accusés de l’affaire d’Outreau. Il est à noter qu’à cette date, M. Burgaud n’était plus en charge de cette affaire depuis un an et que les faits qui étaient débattus devant le CSM n’avaient aucun lien avec l’audience à laquelle aurait participé M. Chavigné. Ce dernier doit fournir très rapidement au président du CSM toutes les explications qui permettront d’éclaircir la situation.

Dans cette attente, il est malhonnête de polémiquer. Mme Guigou a cru pouvoir mettre en cause la Chancellerie alors que celle-ci n’avait aucun moyen de connaître cette situation remontant à plusieurs années et qu’aucun des membres du CSM ne connaissait. Cette attaque est indigne. Mme Guigou, porte une lourde responsabilité, avec le parti socialiste, dans la dégradation de la confiance des français envers leur justice ; elle n’a porté, lorsqu’elle était garde des Sceaux, aucune des réformes qui auraient pu éviter cette dégradation. Elle n’a pas réformé le CSM, alors qu’il s’agissait pourtant d’un des points du programme de François Mitterrand et de Lionel Jospin.

N’ayant rien à dire sur le fond, elle se livre aujourd’hui à des attaques personnelles, alors que sous l’impulsion du Président Sarkozy, j’ai engagé une profonde réforme des institutions judiciaires.

Un nouveau CSM, dans lequel les personnalités extérieures à la magistrature seront majoritaires, sera prochainement mis en place. Tous les justiciables pourront présenter devant lui des recours disciplinaires contre les magistrats dont ils auront à se plaindre. L’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) a également été réformée pour que les juges soient plus en phase avec la société française d’aujourd’hui.

Les droits des justiciables et les libertés individuelles auront plus progressé en deux ans que sous l’ensemble des gouvernements socialistes.


P.-S. : Heu, non, là, je ne peux pas laisser passer.

Un rapide bilan de tous les gouvernements socialistes : Abolition de la peine de mort (qui est un progrès du droit du justiciable, tout de même), ouverture du droit au recours individuel devant la cour européenne des droits de l'homme (le même jour, d'ailleurs), droit à un avocat en garde à vue à la 21e heure en 1993 puis dès le début en 2000, droit de l'avocat de demander des actes au juge d'instruction, de poser des questions lors des interrogatoires et confrontations (1993), d'exercer un recours contre ses décisions (idem), gratuité de la copie du dossier (qu'est ce que ça a pu changer l'exercice effectif des droits de la défense, et par un simple décret, c'était en 2001), appel en matière criminelle (sans lequel six des acquittés d'Outreau seraient encore en prison), et j'en passe. Ces deux dernières années, c'est : peines plancher et rétention de sûreté. Youhou le progrès.

Notes

[1] Encore qu'en l'espèce, ils l'ont puisqu'en matière de droit du travail, la loi pose une prescription de deux mois pour poursuivre le salarié tandis que la faute du magistrat est imprescriptible, ce qui fait qu'un cumul de négligences que l'employeur reconnaîtrait non fautives ne permettrait pas en soi de licencier un salarié.

mercredi 22 avril 2009

Va-t-on jeter les victimes en prison ?

C'est ce que j'ai craint quand j'ai entendu notre Président Bien-Aimé déclarer (toutes les citations présidentielles seront issues de cet article) :

«Il n'est quand même pas extravagant de demander que la victime soit traitée dans la même condition que le délinquant».

Heureusement, la remise en contexte m'a révélé qu'il ne s'agissait que de simple démagogie. J'y reviendrai, mais relevons certains propos qui méritent commentaire.

Ainsi, le président a décidé de ne pas laisser le phénomène des bandes s'installer pour annoncer derechef la future pénalisation du simple fait d'appartenir à une de ces bandes. J'ai déjà traité la question, mais je relève juste une affirmation qui serait busirible si l'article 67 de la Constitution ne protégeait pas le Président en exercice des attributions du fameux prix :

J'ai vu deux reproches, ceux qui disent c'est liberticide, je ne vois pas en quoi c'est liberticide, soit c'est inefficace, il faudrait savoir, soit c'est liberticide, soit c'est inefficace.

J'adore la conclusion sous-jacente : efficace = liberticide ; mais je préfère une contre-démonstration par l'exemple. Décider que le fait de se promener seul dans la rue est passible d'un an de prison est liberticide. Et contre les bandes, c'est inefficace. Donc on peut faire les deux à la fois. J'ajouterai que l'actuelle majorité s'en est fait une spécialité.

Suivent deux annonces pot-au-feu (c'est meilleur chaque fois que c'est réchauffé) :

La première :

"L'attaque d'un fonctionnaire sera une circonstance aggravante."

Quelle super idée. Et on pourrait le mettre à l'article 222-13, 4° du code pénal :

[Sont aggravées les violences commises] : 4° Sur un magistrat, un juré, un avocat, un officier public ou ministériel, un militaire de la gendarmerie nationale, un fonctionnaire de la police nationale, des douanes, de l'administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l'autorité publique, un sapeur-pompier professionnel ou volontaire, un gardien assermenté d'immeubles ou de groupes d'immeubles ou un agent exerçant pour le compte d'un bailleur des fonctions de gardiennage ou de surveillance des immeubles à usage d'habitation en application de l'article L. 127-1 du code de la construction et de l'habitation, dans l'exercice ou du fait de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l'auteur ;(…).

la deuxième :

Nicolas Sarkozy a également annoncé un durcissement des sanctions à l'égard de ceux qui pénétreraient dans un établissement scolaire pour y commettre des violences.

Re-super idée. On pourrait le mettre… je sais pas… au 11°du même article ?

[Sont aggravées les violences commises] : 11° Dans les établissements d'enseignement ou d'éducation ou dans les locaux de l'administration, ainsi que, lors des entrées ou sorties des élèves ou du public ou dans un temps très voisin de celles-ci, aux abords de ces établissements ou locaux ;

On voit que le président a tiré les leçons du fiasco HADOPI : il annonce les réformes déjà en vigueur (l'aggravation liée à la situation dans ou à proximité d'un établissement scolaire date de la loi n°2007-297 du 5 mars 2007, dont le projet de loi était signé par un certain… Nicolas Sarkozy). Comme ça, les députés planqués derrière les rideaux sont bien feintés.

Mais on ne fait pas de bonne démagogie sans taper sur la tête des délinquants d'une main et caresser celles des victimes de l'autre.

Et là, notre président a eu son chemin de Damas. Comment ? On ne traite pas les victimes dans les mêmes conditions que les délinquants ? C'est extravagant. Pourtant, franchement, où est la différence ?

Il a demandé que soit examinée la possibilité pour une victime d'avoir "un avocat à la minute de l'agression". Faisant valoir que les délinquants "avaient droit à la première minute dès l'ouverture de la procédure à un avocat", le chef de l'Etat a demandé que "l'on travaille pour savoir dans quelles conditions la victime pourrait être traitée aussi bien que le délinquant". "Il n'est quand même pas extravagant de demander que la victime soit traitée dans la même condition que le délinquant", s'est-il exclamé.

—Profond soupir—

Comme quoi on ne rappelle jamais assez les évidences.

La victime n'a aucun obstacle de droit à l'accès à un avocat. Simplement, la victime, à la minute de l'agression, n'a pas besoin d'un avocat. Plutôt d'un médecin (si l'agression est physique) et de la police. La priorité pour cette dernière est, outre l'interpellation du suspect s'il est encore dans les parages, la collecte des preuves. Empreintes digitales (on dit papillaires), génétiques, témoignages, images de vidéosurveillance. Parmi ces preuves, il y a la plainte de la victime et en cas de violences le certificat médical dressé par un service spécialisé appelé à Paris les Urgences Médico-Judiciaires (UMJ, situées à l'Hôtel Dieu) qui seul peut fixer l'incapacité totale de travail au sens de la loi et décrire précisément les blessures constatées, qui est un élément essentiel pour le dossier. Victimes de violences, n'allez pas voir votre médecin traitant, mais allez porter plainte : la police vous remettra une réquisition destinée aux UMJ ; allez-y aussitôt, plus le certificat est proche de l'agression mieux c'est. Vous me direz : voilà le rôle de l'avocat, dire cela aux victimes. Je vous répondrai que l'article 53-1 du code de procédure pénale prévoit que la police doit informer la victime présumée de ses droits lors du dépôt de plainte. Elle peut (et elle le fait d'ailleurs) insister sur l'importance de la collaboration de la victime dans le récolement des preuves.

Une fois la plainte déposée, la victime n'est plus sollicitée, sauf pour un complément de témoignage suite à la découverte d'éléments nouveaux ou une éventuelle confrontation avec un suspect. En dehors de cela elle est bien sûr libre comme l'air. Y compris libre d'aller voir un avocat.

C'est une fois qu'un tribunal ou un juge d'instruction est saisi que la victime présumée a besoin d'un avocat. Pas pendant l'enquête de police. Je reviendrai sur l'éventualité d'une intervention de l'avocat de la victime au cours de l'enquête de police.

L'auteur des faits, lui, une fois identifié et interpellé, est placé en garde à vue. Cette mesure est coercitive (le gardé à vue n'a pas le choix) et privative de liberté. Sous la pression de la cour européenne des droits de l'homme, le législateur français a dû, en 1993 (20 ans après l'entrée en vigueur de la Convention européenne des droits de l'homme en France qui prévoit ce droit à son article 5, tout va bien…), autoriser les gardés à vue à s'entretenir avec un avocat. Mais le pays des droits de l'homme a veillé à repousser à la 21e heure l'intervention de l'avocat, ce qui permettait de tenir éloigné cet importun d'une bonne moitié des procédures. La loi du 15 juin 2000 a enfin permis l'intervention de l'avocat dès le début de la garde à vue. Mais rassurez-vous bonnes gens, l'avocat n'a droit qu'à trente minutes d'entretien avec son client, sans avoir accès au dossier, histoire d'éviter qu'il en profite pour, je sais pas moi, préparer la défense de son client ? Je ferai bientôt un billet sur ce qu'il y a de mieux à faire en garde à vue (se taire), sachant que jamais nos clients ne nous écoutent. Si la garde à vue est prolongée, le gardé à vue a droit à un deuxième entretien, dans les mêmes conditions.

Si à l'issue de la garde à vue le suspect est déféré devant un magistrat, son avocat aura enfin accès au dossier. Aucun juge n'a le droit de voir un prévenu si son avocat n'a pas eu au préalable accès au dossier et la possibilité de s'entretenir avec son client. Un gardien de la paix a de ce point de vue plus de pouvoir qu'un juge. Pour en revenir à la victime, son avocat aura accès au dossier exactement au même moment que l'avocat de la défense : dès l'instant où un juge est saisi (tribunal en comparution immédiate ou sur citation, juge d'instruction pour mise en examen, etc…). Donc de ce point de vue, les victimes et les prévenus sont sur un strict pied d'égalité.

Invoquer le droit du gardé à vue à un avocat pour l'élargir aux victimes est stupide (je mets 30 euros de côté pour l'offense au président de la République). La victime n'est pas placée en garde à vue, elle n'est pas privée de liberté, elle ne subit aucune mesure coercitive. Elle est libre, donc libre d'aller voir un avocat quand elle le veut. Ou de lui téléphoner. Son droit à un avocat, elle l'a déjà. Avocat qui a les mêmes droits que celui du prévenu (et aucun accès privilégié à la procédure).

Peut-être que le président souhaite que cet avocat puisse précisément intervenir lors de l'enquête de police, demander des actes, assister son client lors du dépôt de plainte ? Dans ce cas, ça change tout. J'applaudis vigoureusement à l'idée.

Car donner ce droit à l'avocat de la victime obligerait à le donner aussi à l'avocat de la défense, ce que nous réclamons depuis le néolithique supérieur. Ce serait une formidable avancée des droits de la défense.

Hélas, mon esprit chagrin, probablement, mais j'ai comme un doute sur le fait que telle soit l'intention présidentielle.

lundi 13 avril 2009

Du délit de solidarité et du mensonge des politiques

Mercredi 8 avril, un mouvement national a eu lieu contre le « délit de solidarité » (les guillemets s'imposent car il ne s'agit pas de son nom juridique, mais de son nom de com', assez bien trouvé d'ailleurs), plus connu chez les juristes sous son petit nom de L. 622-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers.

Toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d'un étranger en France sera punie d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 30 000 Euros.

La loi prévoit depuis 1996 une série d'immunités dites familiales : ne peuvent être poursuivies pour ce délit les ascendants ou descendants de l'étranger, leur conjoint, leurs frères et sœurs ou leur conjoint ; les époux ne doivent pas être séparés de corps, avoir un domicile distinct ou avoir été autorisés à résider séparément ; sont également immunes le conjoint de l'étranger sauf s'ils sont séparés de corps, ont été autorisés à résider séparément ou si la communauté de vie a cessé, ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ; et enfin toute personne physique ou morale (dont les associations), lorsque l'acte reproché — c'est-à-dire l'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers — était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l'intégrité physique de l'étranger, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s'il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte, ces dernières dispositions n'étant qu'une reprise du texte général sur l'état de nécessité et n'apportant rien au droit (article L.622-4 du CESEDA).

Ces faits sont punis de 5 ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende, portés à 10 ans et 750.000 euros d'amende quand ils sont commis en bande organisée (et un réseau comme RESF pourrait furieusement ressembler à une bande organisée…).

Le jour de ces manifestations, 5 500 personnes se sont symboliquement livrées à la justice en confessant avoir commis ce délit, et demandaient à être condamnées de ce fait. Rassurez-vous, leur revendication n'a pas été suivie d'effet. Le même jour, mon M.P.A.R.[1], Éric “30 deniers et un maroquin” Besson, est passé sur France Inter, chez Nicolas Demorand, pour désamorcer la bombe médiatique. D'entrée, il déclare :

Il n'y a pas de délit de solidarité en France, et (…) toutes celles et ceux qui de bonne foi aident un étranger en situation irrégulière ne risquent rien. Ce ne sont pas des mots, ce sont des faits. En 65 ans, depuis qu'existe ce fameux article L.622-1 désormais célèbre, personne en France, personne en 65 ans, n'a jamais été condamné pour avoir simplement comme je le lis hébergé, donné à manger, transporté en auto-stop, un étranger en situation irrégulière. Deux bénévoles humanitaires ont été condamnés à des dispenses de peine en 65 ans pour être entrés dans ce qu'on appelle la chaîne des passeurs (…). En clair, ils avaient transporté des fonds, ils avaient pris de l'argent de ces étranger en situation irrégulière qu'ils avaient apporté à des passeurs. Donc le délit de solidarité n'existe pas. C'est un mythe.

Voici l'intégralité de l'intervention.

L'Académie Busiris s'est penchée sur ces déclarations, mais après en avoir délibéré conformément à ses statuts, a rejeté la candidature de M. Besson, estimant qu'il s'agissait d'un mensonge intentionnel et d'un travestissement de la réalité, plus connu sous le nom de “communication politique”, et non des propos Busiribles.

Car Monsieur Besson ment, ou du moins colporte un mensonge (il est possible qu'il ait été fort mal informé par ses conseillers ; vous savez ce que c'est, les hauts fonctionnaires, ils comprennent rien à rien…). Une très sommaire recherche de jurisprudence m'a rapidement fait trouver deux décisions récentes condamnant pour le délit d'aide au séjour irrégulier des personnes qui ne sont pas des bénévoles humanitaires pour des faits autres que porter de l'argent à des passeurs.

Ainsi, la chambre criminelle de la cour de cassation, le 7 janvier dernier, a cassé un arrêt de la cour d'appel de Fort de France qui avait estimé qu'une reconnaissance de paternité de complaisance (un Français avait reconnu les enfants d'une étrangère en situation irrégulière afin de lui permettre d'obtenir des papiers sachant qu'il n'était pas le père) ne constituait pas le délit : si, répond la cour de cassation, les reconnaissances de paternité de complaisance effectuées par le prévenu au profit de mineurs haïtiens visaient à apporter à ces derniers une aide directe destinée à faciliter leur entrée ou leur séjour irréguliers en France, au sens de l'article L. 622-1 du code de l' entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce qui est aller très loin car un mineur ne peut être au sens strict en situation irrégulière puisque la loi n'exige un titre de séjour qu'aux majeurs.

La cour d'appel de Douai (4e chambre) a rendu un arrêt n°06/01132 (publié au Dictionnaire permanent du droit des étrangers, Éd. Législatives) le 14 novembre 2006 condamnant un français vivant en concubinage (établi) avec un étranger en situation irrégulière qui avait eu le malheur de déclarer devant le juge d'instruction qu'il ne s'était installé chez son ami qu'une fois que les « choses s'étaient stabilisées », ce qui excluait que le concubinage avant cette date pût être notoire (ce qui apporte une immunité, comme nous allons le voir), et donc l'aide apportée avant cette date tombait sous le coup de la loi (il a été condamné à une dispense de peine).

Voilà ce que j'ai trouvé en 5 minutes de recherches. Deux décisions qui ont toutes les deux moins de trois ans. Pour un délit qui n'existe pas et relève de la mythologie, vous admettrez que ça fait beaucoup.

À ceux qui me demanderont pourquoi devrait-on protester contre la condamnation de celui qui reconnaît sciemment les enfants d'autrui pour tromper l'administration, je répondrai que je ne leur demande pas d'exprimer leur solidarité, mais seulement de m'expliquer en quoi aller mentir à un officier d'état civil en disant “ ces enfants sont les miens ” mériterait 5 ans de prison tandis qu'un ministre qui va mentir à des millions de français à la radio mériterait ne serait-ce que de garder son maroquin. Sans aller jusqu'à exiger une parfaite probité des politiques (quelle idée…), je trouverais normal qu'on leur appliquât la même sévérité que celle qu'ils votent à tours de lois… quand ils sont dans l'hémicycle s'entend.

Et sans aller jusqu'à fouiller 65 années d'archives du recueil Dalloz, Monsieur Besson a reçu récemment, le 31 mars c'est-à-dire une semaine avant son passage chez Nicolas Demorand un document très intéressant, qui ne pouvait que lui révéler que cette infraction était tout sauf un mythe.

Ce document, qui lui est adressé personnellement, dit ceci :

En 2008, 4300 personnes ont été interpellées pour des faits d'aide illicite à l'entrée et au séjour d'immigrés en situation irrégulière. Nous vous demandons de viser un objectif de 5000 pour l'année 2009.

Soit 14% d'augmentation tout de même.

Ces propos sont signés par Nicolas Sarkozy, président de la République et François Fillon, Premier ministre, dans la lettre de mission adressée à Éric Besson, que vous pourrez trouver sur le site de l'Élysée (pdf).

Ce qui permet de prendre les déclarations de M. Besson avec, comment dire… Un peu de recul.

L'hypocrisie va plus loin, je le crains. La lettre de missions parle d'interpellations, et non de poursuites ou de condamnations. Je suis convaincu que les poursuites pour aide au séjour irréguliers restent rares et aboutissent souvent à des dispenses de peine. Je n'en ai jamais vu pour ma part.

Mais l'existence de ce délit donne à la police le pouvoir d'interpeller et de placer en garde à vue toute personne apportant un quelconque soutien aux étrangers. Oh, l'affaire sera classé sans suite. Mais au bout de plusieurs heures, pouvant aller jusqu'à 48 heures, ou mieux encore en cas de suspicion de bande organisée : 96 heures, pas d'avocat avant 48 heures. La police a autre chose à faire que placer e ngarde à vue des gens qui ne font de mal à personne, me direz-vous ?

Mais le président vient d'ordonner le contraire. Les 5000, il va falloir les trouver. Et il reste 9 mois.

Les cellules des commissariats vont devenir mythiques, cette année…

Notes

[1] Ministre Préféré Après Rachida ; c'est plus rapide à écrire que Ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité Nationale et du développement Solidiaire.

jeudi 15 janvier 2009

De l'excellent journalisme

On ironise régulièrement sur LE quotidien de référence, moi le premier, quand il n'est pas à la hauteur de la réputation que parfois il se bâtit à lui-même.

Mais n'empêche. Le Monde est toujours capable de faire un vrai travail de journaliste qui ne peut que forcer l'admiration. Voilà la presse que j'aime, qui démontre par l'exemple et non par proclamation combien elle est indispensable à la République.

Voici décortiqués, analysés et démontés, les chiffres de l'immigration. Les menteurs professionnels communiquants du Ministère de l'immigration, de l'intégration, de la fanfare et du clafoutis envoyés dans les cordes, et allongés pour le compte. N'attendez jamais la vérité du gouvernement, mais vous pouvez encore l'attendre de la presse. Ça fait du bien.

Bravo à Patrick Weil pour ce travail. Lisez-le d'un bout à l'autre, ce ne sera pas du temps de perdu.

Politique d'immigration : le dessous des chiffres

2002-2008 : comment Nicolas Sarkozy a viré de bord (… sur la question de l'immigration, soyez sans crainte pour Carlita)

mardi 6 janvier 2009

Le juge enfin pendu, dansez Messires!

Par Anatole Turnaround

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vendredi 2 janvier 2009

Brouir ou conduire, il faut choisir

Notre président ne connaît pas le repos. Il ne lui aura pas fallu longtemps pour lancer sa première fusée intellectuelle, pour reprendre cette si exacte expression de Philippe Bilger, de l'année 2009.

Comme ce fut le cas il y a un an avec la disparition de la pub sur le service public, on sent que plus de soin a été apporté à la précipitation de l'annonce qu'à la réflexion sur la faisabilité. Il suffit que la mesure réponde immédiatement à un fait divers, satisfasse un public frustré par une colère impuissante, aggravée par les dérangements digestifs d'un lendemain de Réveillon, et que le Bon Sens y appose son sceau pour que la mise en orbite ait lieu.

Voyons le cru 2009 :

PARIS (AFP) — Le président Nicolas Sarkozy souhaite empêcher les incendiaires de voitures de passer le permis de conduire "aussi longtemps que la victime des faits ou le fonds de garantie n'a pas été indemnisé en totalité".

Jeudi, en recevant à l'Elysée les personnels de services publics ayant travaillé durant la nuit de la Saint-Sylvestre, le chef de l'Etat a affirmé que "tant que (les incendiaires) n'auront pas réglé les conséquences de leur forfait, ils ne passeront pas le permis de conduire".

Le chef de l'Etat a affirmé vouloir "que l'on réfléchisse à la possibilité pour les juridictions pénales d'interdire à un mineur condamné pour des faits d'incendie de véhicule de passer un permis de conduire pour des véhicules deux ou quatre roues aussi longtemps que la victime des faits ou le fonds de garantie n'a pas été indemnisé en totalité".

« On » étant toute autre personne que le président, trop occupé à avoir des idées pour s'occuper de détails comme la faisabilité, ou l'efficacité. Je prédis une commission et un rapport.

Et comme d'habitude, pour soutenir la mesure : l'argumentation négative. Je ne vais pas dire pourquoi je le fais, je vais dire qu'il n'y a pas de raison pour ne pas le faire.

"Il n'y a aucune raison que ce soit les honnêtes gens qui aient à payer les conséquences des comportements de délinquants", a-t-il ajouté.

Comme le faisait observer une (é)lectrice au sujet de la rétention de sûreté : peu importe que ça ne serve à rien ; rien ne serait pire que de ne rien faire. La gesticulation plutôt que l'inaction. D'un point de vue rationnel, ça se discute (l'inutile et l'inefficace ont un coût supérieur à l'inaction pour un résultat similaire) ; du point de vue politique, il n'y a pas photo : ça marche.

En ces lieux, on préfère le rationnel à la politique. Assumons donc le rôle du « on » présidentiel et voyons en quoi il y a loin de la coupe de champagne aux lèvres.

L'idée est de faire pression sur les auteurs mineurs des incendies de voiture pour qu'ils indemnisent leur victime. La sanction serait de leur interdire de passer le permis jusque là. On pouvait aussi les priver de dessert ou de télé, mais non, ce sera le permis.

Voyons les objections de principe avant de voir les difficultés pratiques.

Objections de principe.

D'abord, pourquoi les mineurs seulement ?

Bien sûr, on est certain qu'un mineur n'a pas le permis. Mais pourquoi un majeur condamné pourrait-il aussitôt sorti du tribunal aller passer l'examen de conduite, tandis qu'un mineur verra cette échéance suspendue jusqu'au complet paiement des dommages-intérêts ? Premier reproche : l'incohérence.
Deuxième reproche : l'injustice. En principe, les mineurs sont mieux traités que les majeurs, car ils sont immatures, influençables (notamment par des majeurs non concernés par la mesure), et le passage à l'acte révèle souvent un problème plus profond. Ici, on vote une mesure qui les traitera plus durement que des majeurs. C'est une première. À rapprocher des propos qui accompagnent l'annonce de la réforme de l'ordonnance de 1945 sur les mineurs et qui fait de nos enfants des êtres sans foi ni loi dont il faut avoir peur. À croire que pour le Gouvernement, il n'y a que deux types de mineurs : les délinquants et les victimes de pédophiles.

Ensuite, pourquoi les véhicules seulement ?

Tout incendie est grave en soi, et un feu de boîte aux lettres peut se propager à l'édifice. Ou alors, il faut compléter le dispositif. Une cabine téléphonique détruite ? Interdiction d'avoir un portable jusqu'à ce qu'il ait remboursé. Un feu de poubelle ? Défense de sortir ses poubelles, il vivra avec ses détritus jusqu'à ce qu'il ait remboursé les services de la voirie. Vous voyez l'absurde.

Ensuite, pourquoi le permis de conduire ?

Là, on est en présence de réflexes issus du droit archaïque. “ Il a fâché le dieu des automobilistes, il doit faire un sacrifice pour apaiser sa colère ”.
Car si l'interdiction de passer le permis de conduire existe dans l'arsenal pénal, c'est pour des infractions commises lors de la conduite d'un véhicule. Si l'article 131-6, 3° du code pénal prévoit la faculté pour le juge de prononcer à titre de peine principale l'annulation du permis avec interdiction de le repasser pendant une période pouvant aller jusqu'à 5 ans, ce pour tout délit passible d'emprisonnement, un juge n'aura recours à une telle peine que pour des infractions au cours desquelles l'usage d'une automobile a été un facteur essentiel, de sorte que cette interdiction empêche le renouvellement de l'infraction. Mais en quoi une interdiction de passer le permis prévient-elle le renouvellement d'une infraction de destruction volontaire par incendie ?

Il faut tout de même rappeler que le permis de conduire n'est pas une faveur faite par l'État à des citoyens méritants. C'est une mesure de police, une restriction à la liberté d'aller et venir de chaque citoyen justifiée par des raisons de sécurité publique, que je ne conteste pas en soi : conduire un véhicule suppose des compétences, des réflexes qui s'acquièrent et des connaissances juridiques minimales[1], et le permis de conduire sanctionne, après un examen, la connaissance de ces éléments. Refuser la simple possibilité de solliciter cette autorisation pour soutenir des intérêts privés (un particulier n'est qu'un particulier, et le Fonds de Garantie n'est pas l'État, c'est une structure de droit privé financée par les assurances), à savoir le paiement de dettes, ne repose sur aucune légitimité et relève de l'abus de pouvoir par l'État.

Difficultés pratiques

La réforme supposerait d'abord que l'auteur ait été identifié. Or sur les 1147 autodafés de la Saint-Sylvestre officiellement recensés, combien d'auteurs ont-ils été arrêtés ? Sur les 288 interpellations officielles de la nuit, combien concernent des auteurs d'incendie ? Et sur ces auteurs arrêtés, combien de mineurs ? Silence radio. Et pour cause. Je ne sais pas s'il y en a un seul.

Tout simplement parce que les incendiaires sont déjà loin quand l'incendie est détecté, et encore plus loin quand la police arrive sur place. Pas de témoins (il fait nuit et les gens réveillonnent chez eux), pas de traces récupérables : les flammes détruisent les empreintes digitales ou l'éventuel ADN.

Autant dire que l'argument de la dissuasion fait long feu : tous les auteurs de ces incendies sont convaincus d'échapper à la justice pour ces faits, et la plupart du temps, ils ont raison.

D'autant plus que toutes les voitures brûlées la nuit de la saint-Sylvestre ne sont pas victimes de sauvageons pyromanes. Les assurances remboursent les incendies du Nouvel An sans trop y regarder : tradition des incendies, nombre de dossiers, pression des autorités. C'est le jour idéal pour se débarrasser d'un vieux tacot en panne mais encore coté à l'argus.

Ensuite, cette réforme impliquerait que la victime ait obtenu un jugement de condamnation ou que le Fonds de Garantie des Victimes d'Infraction ait indemnisé. Cela exclut donc les affaires où le propriétaire, découragé ou résigné, ne donnera pas de suite et fera jouer son assurance. Pas de condamnation, pas d'indemnisation, pas d'interdiction de permis.
Si le mineur auteur des faits a été identifié, pas de problème. Le tribunal pour enfants prononcera la condamnation, et la victime pourra utiliser le nouveau dispositif d'aide au recouvrement pour se faire avancer les sommes par le Fonds de Garantie (dans la limite de 3000 euros). Le remboursement intégral suppose le paiement du solde à la victime, le remboursement au Fonds des sommes avancées, outre le pourcentage supplémentaire au titre des frais de recouvrement.

S'il n'a pas été identifié ou si la victime n'a pas envie de se constituer partie civile, l'article 706-14-1 du CPP prévoit un mécanisme autonome d'indemnisation, si le propriétaire du véhicule a des revenus mensuels inférieurs à 1966,50 euros[2], dans la limite de 4000 euros. Mais rappelons que l'auteur des faits n'est généralement pas identifié. Il pourra donc aller passer le permis à 18 ans sans avoir à rembourser quoi que ce soit.

Autre problème : les parents sont civilement responsables de leur enfant mineur : art. 1384 du Code civil. C'est à dire qu'ils doivent indemniser les victimes de faits dommageables commis par leur rejeton. Quel que soit son âge. Même sans faute pénale. Donc si un mineur est condamné pour destruction volontaire par incendie, ses parents seront cités devant le tribunal en tant que civilement responsables (c'est la terminologie officielle), par opposition au mineur, prévenu, pénalement responsable (la peine ne peut frapper que l'enfant : on ne peut aller en prison pour un délit commis par son enfant). Pour peu que les parents soient un tant soit peu solvables, la victime ou le Fonds de Garantie auront été indemnisés… par les parents. Victime indemnisée, Fonds de Garantie remboursé ? Le galopin pourra aller passer le permis avec la bénédicition du président, sans avoir sorti un centime de sa poche.
Bref, la mesure n'est susceptible de faire pression que sur des mineurs issus de familles pauvres, qui ne pourront payer les dettes de leur chérubin. Si quelqu'un comprend où se trouve la justice là-dedans, je lui saurai gré de me l'expliquer.

Et concrètement, au fait, on fait comment, pour savoir si l'impétrant conducteur est venu à l'auto-école adorer ce qu'il a brûlé ?

La condamnation pour destruction volontaire est certes inscrite au casier judiciaire. Mais à partir de là, ça se complique.

En fait, il y a trois casiers judiciaires, plus exactement trois bulletins reflétant de manière plus ou moins complète le contenu du casier. Le bulletin n°1 (dit le « B1 »), réservé à la justice, est le relevé intégral des condamnations. Le n°2 est accessible aux administrations et à certains établissements publics lors du recrutement, et est un peu moins complet (notamment n'y figurent pas les condamnations avec sursis une fois que le délai d'épreuve est terminé) ; et le n°3, qui ne peut être demandé que par la personne concernée, est encore moins complet. Disons qu'il vous donne la garantie que vous ne devriez pas être en prison.

Or les condamnations des mineurs ne figurent pas au bulletin n°2 du casier judiciaire : art. 775, 1° du CPP. Donc une préfecture, ne peut, en demandant le bulletin n°2 d'un impétrant conducteur, s'il a ou non été condamné pour une jeunesse un peu trop flamboyante.

Qu'importe, rétorquerez-vous : qu'il demande au procureur de mirer le bulletin n°1 pour lui. Outre le fait que les procureurs ont mieux à faire que commander un B1 pour chaque candidat au permis, les condamnations des mineurs pour des faits délictuels sont également effacées du B1 dans un délai de trois ans à compter de la majorité s'il n'est pas condamné pour un crime ou un délit dans ce délai (art. 769, 7° du CPP). Donc un incendiaire à 17 ans peut se présenter à l'auto-école le lendemain de ses 21 ans avec un casier virginal et une dette en souffrance.

Cela suppose donc la création, fort coûteuse, d'un nouveau fichier qui répertorierait uniquement les rares condamnations de mineur pour incendie et serait, je ne sais comment, mis à jour des paiements effectués, deuxième condition de l'interdiction envisagée.

Car saurait-on qu'il a été condamné pour incendie de voiture qu'il faudrait ensuite s'assurer qu'il n'a pas indemnisé la victime ou le Fonds. S'agissant d'une dette purement privée, ça risque d'être délicat. Si le Fonds a payé, ce sera facile : un courrier suffira. Mais si c'est la victime, encore faudra-t-il la retrouver, et qu'elle réponde. Alors, dans le doute ? Il peut ou il ne peut pas passer le permis ? Et si la victime a renoncé à être indemnisée ? Faut-il considérer que la dette est payée (pour le Code civil, c'est oui) ? Ou faut-il qu'il paye néanmoins, mais à qui ?

Et au fait, si le mineur a un besoin ardent du permis pour pouvoir travailler et ainsi indemniser la victime ?

Encore une fois, nous sommes en présence d'une politique d'annonce, et fort efficace du point de vue médiatique : les journaux en parlent tous. Elle donne l'impression d'un président qui agit, sans que personne ne se dise que tiens, vu que ça fait 6 ans qu'il est aux premières loges pour voir flamber les voitures au Nouvel An, il aurait peut-être pu y penser avant, ni ne s'interroge sur la faisabilité ou l'efficacité réelle du projet. Un fait divers = une annonce.

Avec à la clef, un (vague) projet, à l'effet dissuasif nul, dont la réalisation promet d'être difficile et coûteuse, pour un résultat qui sera forcément inefficace car ne frappant qu'une toute petite partie des personnes concernées. Mais une opinion publique bien contente.

De ce point de vue, 2009 s'inscrit pleinement dans la continuité.

Notes

[1] Et oui, ce qu'on appelle le Code, c'est un examen de droit…

[2] Il s'agit d'1,5 fois le pafond de l'aide juridictionnelle partielle. Le revenu est calculé par foyer, avec une majoration par personnes à charge. Soit 1966,50 euros pour une personne seule ou un couple sans enfants, 2147,05 euros avec un enfant, 2382,55 avec deux enfants, et 148,50 euros par personne à charge supplémentaire.

mardi 30 décembre 2008

Maître Eolas vous cause(ra) dans le poste

Demain à 18h20 sur France Culture, dans le cadre de l'émission « en toute franchise », au titre fort mal choisi pour recevoir un avocat, votre serviteur sera interviewé par Hubert Huertas dans le cadre des programmes de fin d'année, ou un invité écrivain (ou en l'espèce, rédacteur de blog) est interrogé sur le bilan de l'année écoulée dans son domaine de prédilection.

Pour la dernière de l'année[1], et pris dans un moment d'ivresse, nous nous sommes affranchis de toutes les règles : non seulement je n'ai pas (encore) publié de livre, mais en plus, nous avons repoussé le terme du bilan au 16 mai 2007, pour faire à grand traits un bilan de ce début de présidence.

Dix minutes, cela passe très vite, et le bilan est loin d'être exhaustif.

De fait, sur la question : avancées et reculs du droit pénal, du point de vue de la défense, depuis l'arrivée en fonction du président Sarkozy, j'avais rapidement relevé ces éléments-ci. Je ne déflore rien puisque nous avons à peine abordé ces thèmes : c'est plus une conversation qu'une interview, et ça me va très bien.

► Les avancées :

Pour les victimes :

— création du Service d'Aide au Recouvrement des Victimes d'Infraction. C'est une avancée, objectivement.

Pour les prévenus :

— Abrogation de la loi de 1947 et ses incapacités automatiques à exercer la profession de commerçant (loi de modernisationde l'économie d'août 2008). Bon, c'est plus une avancée pour les prévenus qui ont voté pour le président que pour l'électorat du facteur joufflu, mais ça reste une bonne mesure, qui rend au juge le rôle de prononcer l'intégralité des peines. Continuons le mouvement et abrogeons la perte automatique du grade pour les militaires, l'inéligibilité de plein droit pour certaines condamnations ; pour la révocation automatique des fonctionnaires, le Conseil d'État s'en est déjà chargé.

Ajoutons des fausses avancées, relevant plus de la com' :

La procédure de déclaration d'irresponsabilité pénale pour trouble mental. C'est une nouveauté profonde, présenté comme une avancée pour les victimes, ce dont je ne suis pas encore convaincu. Disons qu'en tout cas, ça ne devrait pas leur nuire. Encore que même cela n'est pas certain.

— La création du JUDÉVI, le juge délégué aux victimes. Une drôle d'usine à gaz, un juge qui ne juge rien mais vise à servir d'intermédiaire aux victimes dans le cadre de l'exécution des peines.

Tout ça alors que la loi du 5 mars 2007 a jouté un obstacle aux victimes voulant déposer plainte avec constitution de partie civile. Ne cherchez pas la cohérence.

Pour la politique pénale au sens large :

— La suppression de la loi d'amnistie ou des grâces collectives, encore que ce dernier point a pris du plomb dans l'aile récemment.

— La création d'un Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté, à condition qu'il remplisse pleinement son rôle, comme la HALDE a réussi à le faire.

► Les reculs :

— La loi sur les peines planchers, qui restreint la liberté du juge et tend vers une sévérité automatique, dont la combinaison avec la loi Clément sur la récidive du 12 décembre 2005 peut être dramatique. L'illusion de la sévérité comme facteur dissuasif. Plus d'un siècle après la désastreuse loi Waldeck-Rousseau (non, pas celle-là ; non, celle-là non plus, celle-là), quand on sait depuis longtemps que ce sont les lois Béranger de 1884 et 1891 qui ont réussi à faire diminuer la délinquance à cette époque, et de manière spectaculaire, en instituant la libération conditionnelle et le sursis.

— La rétention de sûreté, on enferme désormais des gens sans limitation de durée pour ce qu'ils pourraient faire et non ce qu'ils ont fait. L'application au droit pénal des mathématiques actuarielles chères aux assurances (et qui rend les assurances si chères).

La réforme de la carte judiciaire, réforme voulue par les acteurs de la justice, qui a réussi le tour de force de fâcher tout le monde ; en droit pénal, elle s'applique surtout avec la mise en place des pôles de l'instruction, qui va grandement contribuer à éloigner les détenus provisoires de leurs familles.

Et vous, qu'auriez-vous dit, de positif ou de négatif, dans la politique pénale menée depuis le 16 mai 2007, date un peu arbitraire car il n'y a pas vraiment eu de rupture depuis le sinistre printemps 2002 ?


L'émission diffusée :

Notes

[1] L'émission sera diffusée demain mais a été enregistrée aujourd'hui.

lundi 1 décembre 2008

Réflexions désabusées

Les droits de la défense ne progressent en France que de deux façons : sous le coup d'une condamnation de la Cour Européenne des Droits de l'Homme et quand on applique la loi dans toute sa rigueur à un homme politique ou à quelqu'un à qui ces derniers doivent complaire.

Ainsi, les dernières lois qui ont constitué des grands progrès (lois de janvier 1993 et juin 2000) doivent beaucoup aux mises en examen et parfois incarcérations de quelques hommes politiques liés aux scandales du financement des divers partis politiques français.

C'est triste, mais c'est ainsi, et cette fois ne sera pas une exception.

Prenant la parole en fin de journée lundi, le président de la République Nicolas Sarkozy a déclaré qu'il comprenait "l'émoi" suscité par l'interpellation de Vittorio de Filippis et annoncé une mission chargée de réfléchir à "une procédure pénale plus respectueuse des droits et de la dignité des personnes".

À Monsieur de Filippis, les droits de la défense reconnaissants. Vous n'aurez pas perdu votre matinée.

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