Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Il est de ces lieux au Palais...

Je voue une affection profonde au Palais de Justice de Paris. Le futur déménagement du tribunal de grande instance vers des lieux encore indéterminés mais hélas probablement pas en face me déchire le cœur, tant le fait de plus y aller presque tous les jours me manquera.

C'est avant tout un lieu d'histoire, j'ai envie de mettre une majuscule à ce mot. Premier palais royal, c'est en ces murs que se déroule l'essentiel de la trame des Rois Maudits (ce que les décors de Druillet dans l'adaptation actuelle ne laissent pas deviner), puisque les rois de France ne le quitteront que sous Charles V.

Ainsi, un des plus beaux monuments de Paris y trône, dans un écrin hélas indigne : la Sainte Chapelle, chef d'œuvre du gothique flamboyant, construite par Saint Louis pour héberger la couronne d'épine du Christ. Les jours de permanence à la 23e chambre (comparutions immédiates), je fais des slaloms entre les touristes japonais, américains, allemands, chinois et d'où sais-je encore, dont la plupart ne remarquent même pas ma robe virevoltante au milieu d'eux tant ils ont le nez en l'air, admiratif devant sa haute flèche dans le ciel de Paris.

La première chambre du tribunal entend chaque jour des avocats ronronner leurs plaidoiries dans une ambiance paisible, qui tranche avec les cris qui y ont résonné quand y siégeait le tribunal révolutionnaire, où l'abominable Fouquier Tinville y officiait avec une redoutable efficacité.

Mais l'endroit que j'affectionne tout particulièrement n'est pas là. Il est juste en dessous, dans ce qui fut l'ancienne cellule des condamnés à mort.

Là, Marie Antoinette, Malesherbes, Danton, Desmoulins ont attendu la charette qui allait les mener en place de Grève, aujourd'hui Place de l'Hotel de Ville.

Aujourd'hui, c'est un lieu de vie et de convivialité.

C'est la Buvette du Palais.

Ce n'est pas que j'en sois un des piliers, ni que la gourmandise m'y attire, quoi que la nourriture y est fort honnête sans mériter d'attirer l'attention de Gault ou de Millau. Mais c'est un endroit unique, surtout entre midi et deux heures, lors du coup de feu.

C'est un endroit où vous pouvez entrer en robe sans que personne ne le remarque. Le personnel y est aimable même quand il est pressé, ce qui est rare à Paris.

On y voit déjeûner non loin l'un de l'autre un avocat général et un accusé de meurtre, un procureur impitoyable quand il requiert en train de fumer une cigarette en parfaite violation de la loi Evin, un ténor du barreau qui avant de manger son plat du jour qui refroidit devra faire le tour des tables parce qu'il connaît tout le monde...

Quand vous désirez vous asseoir, la serveuse demande à un président de cour d'assises de bien vouloir dégager la chaise face à lui, et celui-ci s'exécute sans rouspéter (voire avec le sourire).

Quand vous attendez au bar qu'on vous amène votre sandwich, l'heure pressant, Jacques Vergès boit son café à côté de vous tandis et quand une jeune femme vous demande avec un sourire renversant de vous tasser contre le comptoir pour la laisser passer, elle s'appelle Florence Aubenas.

Avocats, magistrats, journalistes et justiciables semblent avoir un instant enterré la hache de guerre autour de ce qui réunira toujours les Français : leur palais.

Commentaires

1. Le mardi 15 novembre 2005 à 17:47 par all

Deux informations : Il ya encore des touristes à Paris et du personnel aimable dans ses établissements..

2. Le mardi 15 novembre 2005 à 17:53 par Della

cher Confrère,

Comme tout cela est vrai et comme vous le dîtes bien.
Je n'arrive pas un instant à penser que le Palais pourrait ne plus être au Palais, j'ose croire qu'un évènement imprévisible, irrésistible, et extérieur empêchera cet odieux déménagement ou tout simplement que les décideurs ouvriront les yeux sur tout ce que vous décrivez et n'auront pas le courage de mettre leurs plans à exécution.

ce métier peut me tourmenter, m'angoisser, m'empêcher de dormir abrutie sur des écritures ou en proie en doute, il peut tout me faire tant que je peux me faire ravir par la fumée blanche qui s'échappe de la Seine à droite de la statue à la main coupée au petit matin, ou descendre les marches de la grande entrée au coucher du soleil.



3. Le mardi 15 novembre 2005 à 18:24 par Sylvie

Mon cher Maïtre
Commencer par Marie-Antoinette pour finir par Florence Aubenas, quel racourci, si je puis me permettre, de l'Histoire. Heureusemennt, bien que détenues toutes les deux, elles n'ont pas (je ne préjuge malheureusement de rien ) eu la même fin. Je vous lis depuis fort longtemps, et vos billets des derniers jours me les rendaient plus légers (les jours) habitant dans une banlieue, mais la tendance est de dire quartier, où le feu couve sous le couvre-feu. J'avoue un peu de déception sur celui d'aujourd'hui, bien que sa chute, même mal dissimulée derrière un dernier paragraphe, me console (c'est assez rare en ce moment) "d'en être" : Florence est une consœur. Je n'ai pas l'esprit corporatiste et j'ai préféré de loin lire votre billet sur la banlieue dans le prétoire, plutôt que les papiers douteux de ceux qui ne quittent jamais leur rédaction parisienne mais ont un avis sur ce qui ce passe chez moi. Ces derniers jours c'était à se délecter : je n'ai jamais croisé autant de confrères devant ma cité : Suisses, Norvégiens, Russes, Britanniques…Finalement, pour habiter en seine saint denis il ne m'a jamais été aussi utile d'avoir fait de l'anglais de l'allemand et du russe, alors que je n'ai fait que peu de progrès en verlan ou en tamazigh. Et puis cela change des Céhérèsses, qui ces derniers temps se comportaient comme des gougnafiers avec les jeunes leur demandant (sans rire) "Kamel, tes papiers !". J'espère une suite sur les suites de la banlieue dans le prétoire.
Cordialement.

4. Le mardi 15 novembre 2005 à 18:50 par Veuve Tarquine

Je constate qu'en ces temps troublés fleurissent — avec à mon sens, une rare indécence — les exigences des lecteurs sur la ligne éditoriale contenue dans "leur" blog...

Et bien moi il me met la larme à l'oeil ce délicat billet !

A force de vouloir du sensationnel, on en oublierait de lire le bonheur du quotidien.

5. Le mardi 15 novembre 2005 à 19:20 par Bibtou de passage

Oooooooh, que vois-je ?
Maître Eolas a enfin trouvé son alter ego féminin en la personne de Sylvie (commentaire 3). Comme vous écrivez bien, Sylvie ! Et comme votre commentaire est un subtil prolongement au superbe billet de notre cher hôte.
Je reviendrai, pour sûr !
Au fait, moi aussi, j'espère une suite sur les banlieues... Et pourquoi pas un billet consacré aux "casseurs d'OGM" (c'est drôle : je ne peux évoquer les uns sans penser aux autres).
Admirativement à vous.

6. Le mardi 15 novembre 2005 à 20:08 par Cédric

Un billet sur la buvette ? Ce blog tourne à la chronique du palais !
[PALAIS - n.m. : Cloison qui forme la partie supérieure de la cavité buccale et la sépare des fosses nasales]

7. Le mardi 15 novembre 2005 à 20:44 par Le Monolecte

Une bien jolie tranche de vie.
Merci Eolas, pour la visite guidée ;-)

8. Le mardi 15 novembre 2005 à 22:04 par Plaidez, plaidez, il en restera toujours quelque chose

Sur la buvette (et les Palais qui les entourent), tout a déjà été dit par Racine. Le personnage qui parle est Dandin, le juge:

Qu'est-ce qu'un gentilhomme? Un pilier d'antichambre.
Combien en as-tu vu, je dis des plus hupés,
à souffler dans leurs doigts dans ma cour occupés,
le manteau sur le nez, ou la main dans la poche;
enfin, pour se chauffer, venir tourner ma broche!
Voilà comme on les traite. Hé! Mon pauvre garçon,
de ta défunte mère est-ce là la leçon?
La pauvre Babonnette! Hélas! Lorsque j'y pense,
elle ne manquoit pas une seule audience.
Jamais, au grand jamais, elle ne me quitta,
et Dieu sait bien souvent ce qu'elle en rapporta:
elle eût du buvetier emporté les serviettes,
plutôt que de rentrer au logis les mains nettes.
Et voilà comme on fait les bonnes maisons. Va,
tu ne seras qu'un sot.

Racine, Les plaideurs, Acte I , Scène IV

C'est gratuit sur le net, Racine est mort y a plus de 70 ans.

9. Le mardi 15 novembre 2005 à 22:50 par Benoit Boussier

Enfant, j'avais touché le Pont Neuf dans son linceul de tissu depuis un bateau-mouche et je m'étais émerveillé en apercevant la Conciergerie alors éclairée ...

Vingt ans plus tard, j'ai touché le Palais et ne puis m'imaginer que nous puissions l'abandonner : il signifie tant pour tant d'entre nous, de justiciables, de magistrats ...

J'aime tant le quitter le soir, après avoir plaidé devant le Juge des Libertés et de la Détention, par le 36 Quai des Orfèvres, emprunter le Pont neuf et me retourner alors pour l'apercevoir dans son écrin de lumière ... Il me fait alors oublier le client que j'ai perdu de vue, emporté par les gendarmes, une ordonnance de mise en détention froissée entre des mains menottées.

Souvenir de Conférence,
Souvenir de concours,
Souvenir tout court

Cher Eolas, merci pour ce billet !

10. Le mardi 15 novembre 2005 à 23:00 par kheops

Magnifique...

11. Le mercredi 16 novembre 2005 à 00:13 par EeV

Juste un démenti à l'attention de mon cher Confrère : je ne pense pas que les touristes nous ignorent tant que ça, et il m'est arrivé - malgré moi - de ne pouvoir dire non à une touriste qui souhaitait se faire prendre en photo à mes côtés en robe ...

Celà étant, il serait plus que triste de devoir quitter le Palais pour le voisinage des entrepots SERNAM et de devoir plaider entre le passage du train 8268 et du train 8512. On observera avec malice que celà fait déjà 30 ans que l'on en parle sans que rien ne vienne....

Et puis, les Palais de Justice tout neuf ne m'ont jamais rassuré :

1/ Bobigny est déjà en quasi état de délabrement, les passerelles sont fermées, les ascenseurs ont causé la mort d'un ouvrier en janvier et l'accident de 3 magistrats tombés de trois étages suite une rupture de cable cet été,
2/ Bordeaux menace de s'effondrer,
3/ Annecy est déjà en reconstruction, mais ici c'est un commerçant qui avait fait sauter le Palais la veille d'une mise en redressement judiciaire,
4/ Créteil et ses étages interminables m'a toujours inspiré la peur de rester coincé dans l'ascenceur,
5/ Evry est également en pré-délabrement avancé ...

Reste Lyon, qui a l'air d'une relative réussite mais qui ressemble plus aux Invalides qu'à un Palais de Justice. Pas d'âme, on a l'impression d'être dans un cimetière.

Alors de grâce, deménageons la PJ et la Cour de Cassation, mais qu'on nous laisse dans l'antre de Saint-Louis.

12. Le mercredi 16 novembre 2005 à 01:00 par udd

Oh la la comme c'est joli !
Ca donnerait presqu'envie de devenir avocat pratiquant.

13. Le mercredi 16 novembre 2005 à 09:43 par pilon

pas sur

14. Le mercredi 16 novembre 2005 à 10:00 par pilon

Votre description de la vie au palais est enchanteresse. En revanche elle jure un peu avec l'actualité. C'est un bon moyen de se rendre compte des divergences des vies quotidiennes des franciliens et par conséquent de leurs points de vue.
Un billet qui tombe à point nommé.

15. Le mercredi 16 novembre 2005 à 11:15 par Pangloss

Non ca permet de s'évader de la pléiade de nouvelles moisies de tout les jours (encore que ce soit triste que le Palais déménage)

Un beau billet.

16. Le mercredi 16 novembre 2005 à 11:21 par pilon

courage, fuyons!

17. Le mercredi 16 novembre 2005 à 11:45 par Sylvie

Pour Veuve Tarquine
Loin de moi l'idée d'avoir des “exigences” sur la ligne éditoriale précisée par Éolas lui-même : “je narrerai ici des choses vues et entendues aux audiences auxquelles j'ai assisté, je raconterai un peu l'envers du décor du Palais, et donnerai à qui voudra bien me lire quelques clefs pour comprendre un débat juridique ou un fait divers dont on parle dans la presse sans hélas d'approche pédagogique.”
C'et exactement ce que j'attends : quelques clefs pour comprendre, pas pour juger, chacun son boulot.
La rare indécence dont vous parlez fait-elle référence au fait que je ne me drape pas dans ma dignité quand on parle de la presse (je ne fais pas référence à Éolas, après tout c'est le taulier)
Vous parlez de "vouloir du sensationnel” mais c'est justement tout le contraire. Le sensationnel c'est que ce qui s'est passé le soit -sensationnel- alors que ce n'était que prévisible. J'ai bien peur qu'en parlant de sensationnel, l'ignorance et l'indifférence revenues, l'état d'urgence retourne à l'état de léthargie.
Mais je m'égare…
Après tout, c'est bien fait pour moi, qu'avais-je à m'aventurer dans la rubrique la vie de Palace, qui à vous lire est “le bonheur du quotidien” pour moi c'est comme un épisode de la série X-files dont je ne connais que le sous-titre : la vérité est ailleurs.


Allons, ne prenez pas la mouche, Veuve Tarquine est fameuse pour démarrer au quart de tour pour protéger ceux qu'elle affectionne, et je me réjouis immensément d'être de ceux là. Votre commentaire ne m'a pas froissé, et si je n'acceptais pas la possibilité d'une critique, je les aurais fermé depuis longtemps. Ce blog est avant tout un loisir : je n'en tire aucun revenu (vous aurez remarqué l'absence totale de pub) et j'écris au fil de mes insprations, parfois avec un décalage entre le moment où le billet m'est venu et celui où je le publie. J'ai des lecteurs qui n'aiment que les compte-rendus d'audience (rubrique "dans le prétoire"), d'autres qui veulent des analyses juridiques ("commentaire judiciaire" et "actualité du droit"), d'autres enfin ne viennent que pour avoir la date de la prochaine Berryer (ce soir 21 heures). J'en tiens compte, bien sûr, mais n'écris pas à la commande. Merci de votre commentaire, je salue moi aussi votre style et vous assure que vous êtes la bienvenue.

Eolas

18. Le mercredi 16 novembre 2005 à 12:10 par bambino

Je presume que si un avocat général peut avoir comme voisin de table une personne accusé de meutre, c'est que cette dernière comparait librement.


Elle comparaît libre, oui. Librement, j'en doute : je pense qu'elle préférerait nettement faire autre chose. Mais la convocation ne laisse pas le choix. Je précise qu'en l'occurence, l'avocat général en question n'était pas celui du procès du meurtrier présumé.

Eolas

19. Le mercredi 16 novembre 2005 à 14:01 par EH

Qu'importe de débuter une carrière d'avocat en gagnant 3 sous pour avoir juste de quoi manger. Par la lecture de ce billet Maitre Eolas vous venez de me faire rever sur ces instants de bonheur qui m'incite chaque jour plus à cette carriêre. Je ne suis qu'un pauvre étudiant cherchant une voie dont vous venez de me montrer le chemin.
Très respectueusement
EH

20. Le mercredi 16 novembre 2005 à 17:31 par François

"l'avocat général en question n'était pas celui du procès du meurtrier présumé"

Je croyais qu'il ne fallait pas dire "meurtrier présumé" mais "présumé innocent" :-)

21. Le mercredi 16 novembre 2005 à 20:06 par Bibtou de passage

Combat Sylvie contre Veuve Tarquine :
Ce n'est rien, juste le passage d'un Troll - en l'occurence Veuve Tarquine, enfin, je crois - qui remplit parfaitement sa fonction.
Revenez, Sylvie ! Restez donc, Veuve Ta(r)quine !

22. Le jeudi 17 novembre 2005 à 02:08 par StraightfromtheCask

Un bien beau billet comme toujours.
A quelques semaines de finir le CAPA, je pense avec amertume à ce projet de déménagement.
Qu'en sera-t-il de nous, futurs plaideurs du contreplaqué ?
La légitimité est - aussi - dans les murs.

23. Le jeudi 17 novembre 2005 à 02:15 par Romuald

Juste pour dire que la façon d'écrire est vraiment très plaisante, cela aura même eu pour effet de me donner un sourire hier, du moins, avant-hier.

24. Le jeudi 17 novembre 2005 à 12:12 par skwirel

soupir.....snif!

C'est "bô"!

un peu de poésie dans un monde de brutes...

25. Le lundi 12 décembre 2005 à 21:05 par journaleuse

J'ai beaucoup pratiqué moi aussi la cafet du palais et la regrette vivement. Celà dit l'endroit est par trop exigu et les plats assez chers me semblait-t-il. Je ferais bien un petit papier sur la salle de la presse ju (presse judiciaire) où mes confrères et consoeurs se précipitent pour écrire leur papier lors des interruptions d'audience. C'est un véritable poème. Les agenciers pointilleux, le vieux qui écrit encore à la main et dicte ses papiers à une sténo (mais si!!!). Les journalistes de radio qui écoutent leurs interviews sur leurs nagras sans baisser le son, empèchant la presse écrite de travailler. Les forts en gueule et les timides, etc.

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