Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Où l'on reparle enfin d'Outreau

Je reviens enfin sur cette affaire, où les auditions en cours de la commission d'enquête parlementaire donnent matière à réflexion.

J'ai été durement parfois pris à partie à la suite de mon premier billet sur cette affaire . Les commentateurs s'offusquaient de mon point de vue qu'ils interprétaient à tort comme une défense corporatiste de l'institution judiciaire. Et le même prisme est apposé un peu témérairement sur le point de vue exprimé par le président Montfort dans son discours que j'ai publié hier.

La colère engendrée par cette affaire est vive, mais les réactions qu'elle engendre n'en sont pas légitimées pour autant parce que frappées du sceau de l'indignation. Critiquer la justice est un droit absolu pour les citoyens, car la justice est rendue en leur nom : tous les jugements et arrêts, que ce soit du juge de proximité de Bourganeuf (Creuse) ou de l'Assemblée plénière de la cour de cassation (Paris) commencent par les mots "Au nom du peuple français". Mais pour que cette critique soit utile, il faut qu'elle soit pertinente. Les procès d'intention ou ceux en sorcellerie ne relèvent pas de la démocratie mais de la démagogie.

Alors évacuons d'entrée les arguments disqualifiant les plus tentants : ni le président Montfort ni votre serviteur n'ont eu à connaître de près ou de loin de ce dossier. Le président Montfort a une carrière qui le met à l'abri de devoir jouer les larbins des politiques pour s'assurer une promotion, quant à votre blogueur préféré, étant profession libérale, il jouit à leur égard d'une totale indépendance, n'étant pas partie intégrante de l'institution judiciaire. M'accuser de vouloir caresser la justice dans le sens du poil est saugrenu, mon rôle consistant plutôt à jouer les troubles fêtes dans les procédures trop lisses.

Ceci étant précisé, je reviens sur le discours du président Montfort.

Certains lecteurs lui font un procès d'intention de l'ordre de ceux que je viens de critiquer. Son propos n'est pas d'exonérer la magistrature en général et le juge Burgaud en particulier de toute responsabilité. C'est une manifestation d'agacement d'un haut représentant de ce corps qui se trouve mis durement en cause par ceux-là même qui portent une part de responsabilité lourde dans cette affaire.

La presse, après avoir crié haro sur les accusés, crie haro sur le juge, sans se remettre en question un seul instant.

Une commission d'enquête parlementaire organise une distribution de mauvais points, alors même que les députés qui y siègent ont pour leur majorité voté une rafale de lois durcissant la situation des personnes poursuivies (Loi Perben I d'orientation et de programmation sur la justice, loi Sarkozy sur la sécurité intérieure, loi Perben II sur l'adaptation de la justice aux nouvelles formes de criminalité, loi Sarkozy sur la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses, loi Clément relative au traitement de la récidive des infractions pénales). Il est normal qu'un juge s'étonne de ce que le législateur crée un référé-détention permettant au parquet de s'opposer à une remise en liberté, et il aurait pu parler d'une mesure inusitée à ma connaissance permettant au parquet de saisir lui même le juge des libertés et de la détention si le juge d'instruction s'y refuse, et s'offusque ensuite de ce que des innocents se retrouvent en prison. Que diable, le législateur a tout fait pour ! De même, cela fait des années que la moitié de la population carcérale est constituée de mis en examens, dont certains bénéficient de non lieu. Le législateur a même récemment (le 15 juin 2000) modifié la procédure d'indemnisation des incarcérations provisoires dans les affaires mettant finalement le détenu hors de cause : c'est donc que le législateur est au courant de cet état de fait, qui a été discuté en séance publique. Il met le législateur face à ses responsabilités, puisque le juge ne peut qu'appliquer la loi, même si elle lui déplaît.

Son analyse rejoint la mienne sur plusieurs points, notamment que le noeud du problème est que les mis en examen soient restés en prison aussi longtemps. Quoi qu'en disent les bonnes âmes pour qui tout ce qui est en deçà de la perfection est un scandale, il est NORMAL que la justice enquête sur des suspicions de maltraitances grave à enfants. Il est NORMAL que les personnes dénoncées par les enfants soient mises en examen afin de bénéficier de tout l'éventail des droits de la défense, notamment l'accès au dossier par leur avocat. Il est NORMAL que face à des suspicions de viols répétés, qui rappelons-le se sont avérées pour deux des accusés, la détention provisoire soit envisagée. Et, utilisons une litote, il n'y a rien d'ANORMAL à ce que dans le cadre d'une enquête, des personnes soient suspectées qui se révèlent innocentes, puisque l'objet même de l'enquête est d'identifier les responsables et mettre hors de cause ceux qui ne le sont pas.

Le scandale de cette affaire, le point nodal où elle tourne au désastre, n'est pas là. Le désastre a commencé à se nouer quand le mandat de dépôt a été signé par le juge des libertés et de la détention, et est devenu pire encore à chaque renouvellement de mandat, à chaque arrêt rejetant les demandes de mise en liberté, car à aucun moment un magistrat n'a douté, ne s'est dit que les charges du dossier n'étaient pas si solides, ou qu'un contrôle judiciaire serait peut être suffisant.

Les conséquences sont à la hauteur de ce désastre : treize vies brisées, peut être jusqu'à l'irréparable, un mort en prison, et une perte de confiance du peuple à l'égard de sa justice.

Je suis également en accord avec le président Montfort quand il rappelle que cette affaire, techniquement, n'est pas une erreur judiciaire, puisqu'aucune condamnation définitive d'innocent n'a été prononcée. Ceux qui ont été condamnés en première instance ont été acquittés en appel, aucun pourvoi en révision ne sera nécessaire. Chicane juridique ? Demandez à Patrick Dils quelle différence cela fait.

Dire cela, ce n'est pas nier la souffrance des acquittés. C'est peu dire que j'ai été bouleversé par les larges extraits des auditions de ceux ci que j'ai pu entendre. Merci de ne pas me faire ce mauvais procès.

De même, il serait terriblement faux de croire que la magistrature est en déni de responsabilité et refuse de se remettre en cause. C'est un traumatisme qui a frappé ce corps, et pas seulement les nombreux magistrats qui ont eu à connaître de ce dossier. Qu'en sortira-t-il ? Je ne sais pas. Au quotidien, je n'ai pas le sentiment que les décisions rendues par les tribunaux correctionnels ou les cours d'assises aient changé depuis cette affaire. Le mot d'Outreau est souvent invoqué dans les prétoires, par facilité bien souvent, au point de lui faire perdre sa force.

Là encore, on aurait tort de ne pas écouter le président Montfort quand il ose soulever que les affaires de pédophilie aujourd'hui entrainent un réflexe irrationnel destructeur de ce qui est perçu comme étant pire qu'un crime : un sacrilège car il frappe ce qui est considéré comme un symbole de pureté. Le pédophile est devenu le monstre absolu, image complaisament relayée par les mauvaises séries policières, et pas seulement de production nationale. Que la pédophilie soit réprimée, et durement, c'est normal, souhaitable et je dirais même bon, quitte à faire de la morale. Mais cette nécessaire répression ne doit pas se faire sous l'aveuglement de la haine. Ou alors il faut accepter clairement qu'il y aura d'autres Outreau, et que c'est un mal nécessaire pour la répression de la pédophilie. Est ce la justice que nous souhaitons ?

Un point qui m'a frappé dans l'audition des acquittés, et sur lequel je souhaitais revenir, est que beaucoup des détails qu'ils ont raconté et ont choqué l'opinion relèvent de l'ordinaire des procédures.

Je pense d'une part à la garde à vue, et d'autre part aux conditions des interrogatoires.

La plupart des arrestations ont eu lieu à six heures du matin. C'est souvent le cas : c'est l'heure à laquelle la loi permet les perquisitions et arrestations, jusqu'à 21 heures. Six heures permet de s'assurer de trouver le suspect à son domicile, et généralement endormi, donc de profiter de l'effet de surprise pour éviter la destruction de preuves. Et sachez que bien souvent, ce n'est pas un coup de sonnette qui réveille les interpellés, mais un coup de bélier qui défonce la porte et des policiers qui surgissent arme au poing dans la chambre à coucher, y compris celle des enfants.

Les gardés à vue ont été ensuite gardés en cellule plusieurs heures sans être interrogés, n'ayant qu'un banc en béton pour s'allonger et dormir la nuit. Là encore, aucun traitement particulier : les gardés à vue se voient retirer tout ce qui peut constituer une arme ou un moyen de se suicider : lacets, ceinture, colliers, foulards, montre. Montre ? Oui, montre. Mais là, nul n'est dupe. C'est de la pression psychologique. La garde à vue peut durer 48 heures, mais si vous ne savez pas quelle heure il est, comment savoir combien de temps il vous reste à attendre ? La perte des repères temporels est le B.A.BA de l'interrogation, du 36 quai des Orfèvres à Guantanamo Bay. Le gardé à vue est amené au bureau de l'officier de police judiciaire pour être interrogé. S'il ne dit rien d'intéressant, on le ramène à sa cellule et on l'y fait mariner quelques heures. La fatigue aidant, les langues se délient. Bien sûr, il y a aussi des investigations qui doivent être réalisées pendant que le suspect est "neutralisé" par la garde à vue : l'interpellation de ses complices, qu'il ne doit pas pouvoir prévenir. La garde à vue peut être constituée essentiellement d'une attente en cellule. C'est comme ça dans toutes les affaires en France. Si c'est scandaleux pour Outreau, ça l'est aussi pour Mohamed, soupçonné de vol de scooter.

Les gardés à vue ont dormi en grelottant, aucune couverture ne leur ayant été fournie. Là encore, c'est le quotidien. Raison invoquée : l'hygiène. Il faudrait nettoyer voire désinfecter les couvertures après chaque gardé à vue (les cas de gale ne sont pas rares). Donc pas de couverture. Ni de chauffage, les concepteurs de commissariat ayant omis de mettre des radiateurs en cellule pour des raisons de sécurité et éviter les risques de dégradation (des personnes soumises à ce traitement devenant inexplicablement violentes).

Enfin, une remarque faite pas une des acquittés m'a faite hausser les sourcils, et soupirer d'accablement en l'entendant reprise d'un air scandalisé par Yves Calvi dans l'émission Mots croisés du 23 janvier : les procès verbaux d'interrogatoire des mis en examen n'étaient pas la transcription intégrale par le greffier des propos tenus dans le cabinet du juge, mais ils étaient dictés par le juge d'instruction. Mes lecteurs savent depuis longtemps que c'est la procédure ordinaire, que tout procès verbal d'interrogatoire est rédigé ainsi. Le juge Burgaud n'a rien inventé, il a appliqué la procédure comme n'importe quel autre magistrat. Qu'on lui reproche de la légèreté, de la morgue, de l'impulsivité et l'incapacité à instruire objectivement ce dossier, soit : ces comportements seraient fautifs s'ils étaient avérés ; mais lui reprocher de faire son travail normalement, il y a une limite.

Dernier point, et j'en aurai terminé de ce long billet, que pense un avocat de cette affaire ?

Mon état d'esprit est loin du triomphalisme revanchard en pensant aux juges d'instruction rétifs que j'ai rencontrés. Cette affaire, au fond, me terrifie. Car l'affaire d'Outreau, c'est aussi une défaite de la défense. C'est un cauchemar pour la défense. Quatre années de détention provisoire pour aboutir à un acquittement...

Et la question qui m'obsède car je n'en trouve pas la réponse certaine, c'est : eussè-je été l'avocat d'un des innocents, aurais-je fait mieux ? Aurais-je réussi à fissurer le mur de conviction qui enserrait le juge d'instruction, le juge des libertés et de la détention, les conseillers de la chambre de l'instruction ? Et puis surtout, surtout : aurais-je moi-même eu la lucidité de croire en l'innocence de mon client et d'en tirer la force de me battre quatre années durant ?

Ne pouvant, en mon âme et conscience, répondre oui à aucune de ces questions, je m'interdis la position facile de l'accusateur public, si tentante pour ceux qui n'ont pas la conscience tranquille.

Car pour ma part, non, je n'ai pas la conscience tranquille.

La discussion continue ailleurs

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Commentaires

1. Le mercredi 1 février 2006 à 13:03 par Bambino

Merci maitre pour cet excellent billet.

Je conviens que ce desastre n'est pas une erreur judiciaire dans le sens ou aucun innocent n'a été condamné.
Toutefois, je ne suis pas sur que l'on puisse affirmer que tout cela resulte d'un fonctionnement normal de la justice. Je ne connais de ce dossier que ce que les médias m'en ont rapporté, c'est dire si ma connaissance en ce domaine est parcellaire, mais il semble bien qu'il y ait eu de nombreux temoignages totalement faux, qui d'emblée ont complement faussés les débat(du moins me semble t'il).

Est il fréquent d'etre confronté à autant de contre-vérités? que faire quand la parole des victimes et de certains accusés semblent accuser d'une meme voix? je ne le sais bien sur pas, mais peut etre que l'un des enseignement à tirer est de prendre davantage de recul vis à vis des témoignages des co-prévenus.

Je sais que si j'avais été le juge d'instruction, j'aurais egalement placé tous ces gens en détention provisoire, j'en suis certain. la question, c'est combien de temps les y aurais-je maintenu? voila ce sur quoi on peut (à mon sens) légitimement s'interroger. Jusqu'a quel point le juge Burgaud a t'il chercher à verifier l'exactitude des declarations accusatrices? et plus genralement: quelle est la procedure pour verifier la veracité des accusations?

2. Le mercredi 1 février 2006 à 13:42 par Dam

Il me semble que le fond du probleme c'est le temps.
La justice en fin de compte à été rendu. Mais la justice n'a, semble t'il, pas la même notion du temps que les hommes. La justice peut être rendu des dixaines d'années après les fait (on s'interroge aujourd'hui sur Ranucci) sauf que l'homme n'a qu'une vie ... bien courte ... et c'est là le drame: ce décalage etre le temps en suspent pendant le traitement d'une affaire et la vie qui continue à courir à l'extérieur (pour tout le monde coupables comme innocents)

Dans cette affaire en particulier on a d'autant plus ce sentiment que bcp de temps a été perdu. Si les détentions n'avaient duré que 3 mois on aurait sans doute pas fait autant de bruits.

3. Le mercredi 1 février 2006 à 13:45 par Kevin

Je pense qu'il existe un décalage énorme entre la justice, telle qu'elle est vraiment, et la justice, telle qu'elle est percue.

Dans le sens commun la justice est infaillible, et fait éclater la Verité. L'homme de la rue va espérer être entendu pendant son procès, écouté, et compris.

Or la réalité est autre. Un procès est surtout affaire de procédure. En caricaturant, nous allons avoir:

. Vérification des compétences géographiques, du juge, et du tribunal.
. Examen des questions de recevabilité (l'intérêt du requérant, la forme de la requête)
(De manière plus générale, on peut parler de la vérification des moyens d'ordre public par le juge.)
Ensuite vient le coeur du litige.
. lecture des faits
. qualification juridique des faits
. vérification s'il n'y a aucune erreur de droit menant jusqu'ici
. Et, réponse aux moyens soulevés.
. Regard du texte applicable et de la jurisprudence
Interviennent éventuellement des allers-retours par écrit entre l'inculpé (et son avocat) et le juge.

. Puis la convocation et l'audience.

Je pose une question: ou est la part de l'Humain là-dedans? Que comprend l'inculpé face à tout ce système? Une fois arrivé à l'audience, l'inculpé ne parle généralement pas: il se tient à la ligne de défense que lui a proposé l'avocat. Tout s'est passé sans lui. Quand l'a t'on vraiment écouté?
L'inculpé, malgré tout les gardes fous, est jugé sans lui, par une procédure qui le dépasse.

Dans ce que je lis dans la presse par rapport à Outreau, je lis surtout un ressenti:
"on ne nous a jamais écouté" "La justice nous broie", etc..

Deux exemples: Dans le film "Délits flagrants" de Depardon, un inculpé refuse un avocat. Pour lui, un avocat n'a pas a parler à sa place. Il veut expliquer lui-même son cas face à la cour. Le pays des droits de l'homme l'écoutera.

Il y a en ce moment une comparution de trois étudiants (pour référence:(www.lemonde.fr/web/depech... ). Le débat tourne à l'incompréhension complète:
La présidente: "Ce lieu n'est pas une tribune, c'est un tribunal"
Les étudiants: "on nous demande qui a tapé avec la masse, alors que c'est un problème idéologique!"

Je sais qu'à la base, le droit est là pour que l'ordre public né du contrat social puisse exister.

Mais n'y a t'il pas vraiment un gouffre entre le droit et son application et la justice telle qu'elle est perçue?

4. Le mercredi 1 février 2006 à 14:21 par Kagou

Pour moi le problème à la base de ce procès est le juge lui même. Attention je n'ai rien contre lui.
Seulement je me demande s'il était normal qu'un procès de cette importance, sur des faits de cette nature, devait être mené par un juge aussi jeune et inexpérimenté dans son travail autant que dans le sens de la sagesse que l'on acquié en viellissant (je n'ai pas dit incompétent) ?!
Je ne connais pas la façon dont sont "attribué" les affaires, si vous pouviez m'éclairer sur ce point maitre.

5. Le mercredi 1 février 2006 à 14:23 par ToTheEnd

Et bien, Cette histoire aura laissé des marques.

Tu cites (je me permets le "tu" parce que c'est le web et que tu tutoies un ministre) l'émission "Mots croisés" mais personnellement, j'ai bien plus été choqué par l'émission "Complément d'enquête" du 30 janvier dernier (info.france2.fr/complemen... et plus particulièrement par le reportage titré "L’impossible sanction".

Ta profession libérale te permet de critiquer librement la justice comme tout citoyen. C'est bien et c'est même la moindre des choses.

Toutefois, est-ce que la critique change quelque chose? Pour rester technique non. Pour faire changer les choses, il faut des lois et surtout, les appliquer.

Or, j'ai quand même le sentiment que dans cette histoire, les juges et autres représentants de la justice sont difficilement "touchables" et sont les seuls maîtres à bord (je ne dis pas qu’ils ne subissent pas de pression, l’histoire l’a prouvé surtout si on titille les élus…).

Je suis certain que même dans ton entourage professionnel, tu connais des juges qui ne font pas très bien leur travail ou des avocats qui ne méritent pas leur honoraire, voire même leurs frais. Probablement que tu préfères certains parce que tu sais que l’affaire sera mieux "traitée" (comprise?) par tel juge qu’un autre, que sa compréhension du dossier sera meilleure et amènera un jugement plus en ligne avec tes attentes ou la gravité/légèreté des faits.

Toutes les professions, libérales ou non, ont leur canard boiteux. Toutefois toutes n'ont pas la même influence sur leur congénère. Une erreur de caisse au supermarché du coin ne coûtera que de l'argent et peut être sa place à l'auteur de l'erreur. Un boulanger qui dosera mal son pain en fera quelque chose d'immangeable mais pas mortel, etc. etc.

Par contre, un pilote de ligne, un juge ou d'autres professions ont un impact direct sur nous... et j'ai encore une fois été effaré de voir à quel point il est difficile, pour ne pas dire impossible, de sanctionner un juge (sauf s'il s'intéresse de trop près aux caisses noires d'un parti!). Au pire, on le mute au mieux, on le gronde ou on le dessaisit… mais on le garde.

On ne fait que reporter le problème ailleurs et dans le fond, c’est ça qui me gêne: savoir qu’un type incompétent ou dangereux sévira ailleurs, sur d’autres dossiers, parce qu’on ne sait pas quoi en faire...

T

6. Le mercredi 1 février 2006 à 14:34 par Moi

Petite précision dont on ne parle pas beaucoup (Source : Le Canard Enchaîné) : le juge Burgaud a bénéficié d'une promotion avant la fin de la procédure d'instruction, et il n'est donc pas le signataire de l'ordonnance de mise en accusation (je ne suis pas pénaliste mais il me semble que c'est le terme adéquat). Le juge qui lui a succédé, ancien avocat et ancien gendarme, n'a certainement pas tiré les conclusions d'un dossier trop volumineux pour être assimilé rapidement.

Certes, l'arrogance des juges d'instruction n'est pas l'exception (je présume qu'il s'agit d'une arme de défense permettant d'affirmer sa personnalité face à des mis en examen et des avocats forts dotés de ce côté-là), et cela ne favorise pas la communication.

D'un autre côté, les juges sont censés faire une carrière, et bénéficient de promotions régulières ; lorsqu'ils sont nommés, il y a en général 100 à 150 dossiers en cours qui les attendent dans leur nouvelle fonction d'instructeurs, des délais de procédure à respecter, des moyens insuffisants, et une impossibilité matérielle de prendre connaissance de l'intégralité des dossiers. Les probabilités d'erreurs sont donc multipliées de ce seul fait.

Qu'en déduire ? Que la commission parlementaire médiatisée n'est certainement pas la solution. Pas sur le plan légal, ni sur le plan judiciaire en tout cas. Mais c'est peut-être une excellente idée sur le plan politique : cela démontre une réaction du monde politique, immédiate, sous forme de télé réalité, avec peu de conséquences sur le fonctionnement des institutions.

Imaginons, je ne lui souhaite pas bien entendu, que le juge d'instruction ne supporte pas d'être ainsi lâché au public, alors qu'il n'est aucunement responsable des lois a tendance répressives qui ont été votées ces dernières années. Imaginons qu'il ne supporte pas cette pression médiatique, qui ne doit pas être facile à vivre alors qu'elle est quotidienne depuis quelque temps déjà. Imaginons qu'il tolère difficilement les réflexions très orientées des parlementaires, comme si ceux-ci n'avaient aucune responsabilité dans l'élaboration de la loi. Imaginons qu'il commette l'irréparable. y aura-t-il une commission parlementaire sur l'isolement des juges d'instruction ? Ou une commission parlementaire sur le danger des commissions parlementaires ?

Tout cela paraît bien inutile, peu porté sur la réflexion à long terme, et finalement bien inquiétant.

7. Le mercredi 1 février 2006 à 14:48 par nouvouzil

Sur le calendrier, notons que le premier juge a été remplacé début septembre 2002 et que l'ordonnance de renvoi date de mars 2003, soit quand même une période de 6 mois.

Le deuxième juge d'instruction n'a semble-t-il effectué aucun acte de procédure au cours de cette période, ni reçu aucun des mis en examens.

8. Le mercredi 1 février 2006 à 15:44 par Guignolito

Ce que je comprend pas, c'est pourquoi tout le monde se focalise sur la "jeunesse" et la supposée "inexpérience" du Juge Burgaud ? À mon avis, s'il a été nommé à cette place, il devait avoir toutes les compétences requises pour traiter ce dossier ?

Mais comme plein d'autres, je suis extrêmement déçu du traitement médiatique de cette affaire : les journaux veulent à chaque instant désigner des coupables. Sus aux accusés ! Et si on se trompe, c'est pas grave, on dira plus tard : sus au juge !

Dans tous les cas, il faut un bouc émissaire, mais ça ne sera jamais la presse ni la télé !

9. Le mercredi 1 février 2006 à 15:45 par ardente

Et si le "désastre" d'Outreau, c'était justement la chance pour la France de se rendre compte de la "dérive sécuritaire" et de ses risques, ce qu'elle implique en terme de perte des libertés ?

C'était précisément ce que tu évoques : quelle justice voulons-nous ? La détention est-elle un mal nécessaire et, oups, désolé, les acquittés, c'était pour le bien de la société, ou bien mettons-nous le doigt, là, sur un excès du système Perben-Sarkozy-Clément ?

La pédophilie est effectivement devenue tellement expiatoire aujourd'hui, de même que la menace terroriste, que le Législateur cherche à tout "verrouiller" pour satisfaire l'apparent besoin de sécurité de la population : celui dont on parle au 20h quatre mois avant les élections...

Pourtant il me semble que la pédophilie existe depuis fort longtemps dans notre société soi-disant développée.
Ma mère me mettait en garde contre les étrangers quand je partais seule à l'école. Ma mère, et pas les journaux de 20h; ma mère, et pas la boulangère. L'insécurité liée à la pédophilie a toujours existé. Mais elle semble insupportable à l'ensemble de la société aujourd'hui, or, est-elle statistiquement plus présente ? ce n'est même pas estimé. Elle est plus souvent portée devant la justice, certainement. Les victimes désignent les coupables au lieu de s'enfermer dans leur drame. C'est un grand progrès. Pour autant le phénomène a toujours existé. C'est notre attitude de dénonciation et de peur face à cela qui a beaucoup changé et qui s'agrège. Avec toutes les dérives que cela suppose.

10. Le mercredi 1 février 2006 à 16:39 par Fanch

Un point gênant dans cette affaire n'a pas ou trop peu été évoqué: les autres magistrats ayant eu à traiter le dossier d'Outreau seront-ils interrogés par la Commission d'Enquête Parlementaire?

Il y a eu un Parquetier qui a pris un réquisitoire introductif puis un réquisitoire définitif, un autre Parquetier qui a requis devant le Juge des Libertés et de la Détention (magnifique oxymore...) le placement en détention provisoire, encore un autre Parquetier pour requérir la confirmation des ordonnances de placement en détention provisoire, un autre parquetier pour requérir des peines de réclusion criminelle devant la Cour d'Assises, puis un autre qui a requis un acquittement général devant la Cour d'Assises d'Appel.

Côté siège, il y a bien sûr Monsieur Burgaud, mais aussi le Juge des Libertés et de la Détention, le Président et les Conseillers de la Chambre de la Confirmation, euh... pardon, de l'Instruction, puis les Magistrats professionnels de la Cour d'Assises, puis ceux de la Cour d'Assises d'Appel.

Ouf...

Certes, Monsieur Burgaud a eu un rôle clé dans l'instruction préparatoire, mais pourquoi en faire la brebis galeuse de l'institution judiciaire?

Les Magistrats, qu'ils soient du siège ou du Parquet, ont eu un rôle essentiel dans ce dossier et il est bien trop facile maintenant de tirer sur un seul d'entre eux, un peu comme les Journalistes l'ont fait pour Richard Virenque en 1998, en l'érigeant en symbole du dopage dans le cyclisme.

Reste un point: les jurés d'Assises.

L'article 344 du Code de Procédure Pénale précise dans quelles conditions ils doivent rendre leur décision. S'ils se sont assoupis pendant que le greffier le lit à haute voix en ouverture d'audience, ils ont tout loisir de le lire dans la salle des délibérés où il est affiché.

Quelle responsabilité pour eux? En première Instance, ils ont été convaincus par l'Accusation et les parties civiles, et ont écarté la Défense. En Appel, la Défense n'a même pas plaidé et a laissé l'Avocat Général requérir l'Acquittement: les jurés décident l'acquittement.
Faut-il maintenir les jurys populaires lors des sessions d'Assises?
Les avocats de la défense ont-ils été nuls en ne parvenant pas à convaincre la Cour d'Assises du mal fondé de l'Accusation?
Doit-on imposer aux jurés de motiver par écrit leurs décisions?

Pour résumer, Monsieur Burgaud a recueilli des charges contre des personnes finalement innocentes, mais n'oublions pas que les personnes qui les ont condamnés pour viols sur mineurs sont des jurés, c'est-à-dire Monsieur et Madame Tout-le-monde.

11. Le mercredi 1 février 2006 à 17:03 par Paul

Pendant 50 ans la justice française a fonctionné ouvertement, normalement. Pendant 50 ans, elle a traité les accusés de manière inhumaine et dégradante, pendant 50 ans elle a mené des procédures longues et compliquées presque jusqu'au ridicule et pendant 50 ans elle a travaillé avec des moyens insuffisants, des locaux vétustes et des effectifs surchargés de travail mais avec la conscience d'accomplir sa mission, de remplir la tâche que la société attend d'elle.

Car pendant 50 ans, la moindre personne qui se donnait le mal d'aller visiter une prison, de circuler dans les couloirs des palais, d'assister à une audience aurait su et vu dans quel condition la justice est rendu dans ce pays, aurait pu s'offusquer, en appeler à l'opinion, crier au scandale et obtenir que ça change. Pendant 50 ans la machine judiciaire a fonctionné avec l'assentiment implicite de toute la société qui a préféré ne pas voir pour ne rien faire.

Qu'on lui demande à elle seule des comptes aujourd'hui est injuste (et je ne parle pas de la justice des lois !). Je crois que je comprends mieux aujourd'hui votre sentiment, Maître Eolas.

Merci pour ce billet.

12. Le mercredi 1 février 2006 à 17:22 par LDiCesare

Beau billet, comme d'habitude.
J'apprecie particulierement les remarques sur la presse, qui ne se remte de fait guere en question.
Mais quid du temps? Est-il normal qu'un tel proces dure si longtemps? Est-ce qu'une augmentation des moyens de la justice, telle qu'elle existe aujourd'hui, aurait pu reduire les temps passes en prison a des proportions moins odieuses?
Je n'espere helas pas recevoir de reponse a ces questions, car je doute que le legislateur, de quelque bord qu'il soit, ne vote une telle augmentation, ni meme qu'on pourvoie les postes existants, comme ceux que le president Montfort donne en exemple: 40 postes non pourvus sur 210...

13. Le mercredi 1 février 2006 à 20:30 par PatLeNain

Cher Maître,
Encore bravo pour vos billets d'une qualité remarquable. Grâce à ceux-ci, j'ai pu regarder une partie des auditions de la Commission avec un certain nombre de données qui m'ont permit, je l'espère, de tempérer les propos des accusés, au premier abord choquants.
Une précision s'impose toutefois. Les PV d'auditions chez les juges d'instruction sont "rédigés", ils ne sont pas la transcription brute du déroulement de l'audition, ce qui parait tout à fait normal. Mais ils doivent être le plus fidèle possible. Le témoignage que vous évoquez, diffusé sur La Chaîne Parlementaire puis dans Mots Croisés, évoque le refus d'inscription au PV d'un certain nombre d'éléments. Par exemple, le refus d'inscription de l'année accompagnée du mois d'un fait (au lieu de l'année seule) qui aurait pu mettre hors de cause un des mis en examen. Il me semble que des gardes-fous existent pour ce genre d'incident mais ils n'ont pas fonctionnés. Aucun garde-fou n'a d'ailleurs réellement fonctionné. L'intégrité, la probité, devraient à elles seules interdire aux greffier d'ignorer ces éléments.
Cette affaire, de mon point de vue, est un gâchis. Les causes sont diverses, entre l'affolement médiatique, la parole de l'enfant considérée comme Parole d'Evangile, les nombreux gardes-fous qui n'ont pas arrêtés cet emballement de la machine judiciaire.
J'attends avec impatience le rapport de la Commission, pour me faire un avis définitif. J'espère que l'on tirera les enseignements de cette affaire, pour que le Peuple reprenne confiance dans la Justice rendue en son nom.

14. Le mercredi 1 février 2006 à 22:30 par Gerard

Je rebondis sur un point de détail : l'histoire du chauffage dans les commissariats; je m'étonne que vous ayez pu avaler ce bobard. Le chauffage sans radiateurs, c'est tout à fait possible; ça s'appelle le chauffage par le sol. Maintenant, on peut discuter si le fait de ne pas l'utiliser est motivé par la volonté de protéger la santé des personnes mises en examen (un chauffage par le sol trop poussé, ça rend les jambes lourdes), par des considérations budgétaires, ou bien effectivement par la volonté d'attendrir' les prévenus. Mais l'histoire des radiateurs, non, vraiment.

15. Le jeudi 2 février 2006 à 09:30 par Nemo

Cher Maître,

Avec votre autorisation, je vous invite à consulter mon propre article sur l'affaire d'Outreau.
philippe.antonio.free.fr/...

Je pense profondément que ce qu'a révélé ce dossier, c'est avant tout, l'inculture et la mentalité à la Française.

Chacun sait qu'une mise en accusation dès qu'elle entre dans la sphère publique de nos jours, vous condamne aux yeux de la population sans autre forme de procès.

Combien de personnes impliquées dans un procès pénal ont dû se confronter à la dure réalité de l'ostracisme social ?

Cette flamme du "y a pas de fumée sans feu" est fortement avivée par les "journalistes" qui à mon sens, ont oublié depuis bien trop longtemps à quoi servait leur déontologie, désormais aspirés par la course à l'audience.

Mais est-ce réellement étonnant en cette sombre période où le "tout économique" règne, où tous principes moraux deviennent valeurs marchandes?

Ouvrons les yeux, et je vous prie d'excuser par avance le parallèle un peu rapide, mais l'inconscient collectif ne souffre-t-il pas de cette monétarisation de la société? N'a-t-elle pas soif d'une mise en avant de valeurs dites traditionnelles?
Pourquoi tant d'émission coaching sur les bonnes manières, l'éducation façon années 60, trouver le prince charmant...?
N'y a-t-il pas là le signe que l'humain sent cette civilisation du dénigrement au profit d'une absurde course au profit maximum?

A l'échelle du journalisme et des médias, cela ne se traduirait-il pas par une information tournée vers le sensationnel, vers la stimulation des bas instincts tels que la vengeance?

Il me semble pourtant clair qu'à l'heure où TF1 affirme n'être intéressé que par le "temps de cerveau disponible" (dixit Patrick LeLay qui a au moins le courage de le confirmer publiquement), il y a fort à craindre dans notre société de l'image et de l'apparence qu'une grande partie de l'opinion publique soit à la merci insidieuse du marketing du 20h...

Ah ces horribles "présumés meurtriers" qui jalonnent les reportages télévisés...cela semble anecdotique et pourtant...

16. Le jeudi 2 février 2006 à 10:06 par Gascogne

@ Patlenain : "Par exemple, le refus d'inscription de l'année accompagnée du mois d'un fait (au lieu de l'année seule) qui aurait pu mettre hors de cause un des mis en examen. Il me semble que des gardes-fous existent pour ce genre d'incident mais ils n'ont pas fonctionnés."
Ils existent en effet, et sont prévus par l'article 120 du Code de Procédure Pénale :
"Les conclusions déposées par le procureur de la République ou les avocats des parties et du témoin assister afin de demander acte d'un désaccord avec le juge d'instruction sur le contenu du procès-verbal sont, par le juge d'instruction, versées au dossier."
Si cette histoire de problème de retranscription est exacte, il suffisait donc aux avocats de la partie concernée de déposer des conclusion pour que l'argument de l'innocence de leur client apparaisse au dossier. L'ont-ils seulement fait ?
@ Némo concernant TF1 : "Robert Namias (Directeur de l'info sur TF1) :
"Le caractère fortement événementiel d'Outreau correspond à ce que nous voulons sur TF1".
Je crois que tout est dit...

17. Le jeudi 2 février 2006 à 10:16 par Arnaud

@ToTheEnd:
tu dis:

>On ne fait que reporter le problème ailleurs et dans le fond, c’est ça >qui me gêne: savoir qu’un type incompétent ou dangereux sévira >ailleurs, sur d’autres
>dossiers, parce qu’on ne sait pas quoi en faire...

certe. mais ça n'est pas vrai que dans la justice. combien de profs nossifs et pas seulement nuls dans nos écoles?
Combien de flics méchants? combien d'employers de bureaux incapables?

Le problème de notre époque c'est que nous voulons tout le temps et partout avoir le risque zéro.
Hors ça n'existe pas tout bonnement.
L'erreur est humaine et peut, parfois, par un enchaînement diabolique, mener à des catastrophes.
C'est pour ça que de nombreuses entreprises essayent de tout normaliser à outrance, de tout transformer en process écrit qu'on suit à la lettre.
Mais la Justice ne peut pas être juste un process à suivre à la lettre.
Le problème, c'est que le peuple en cas de problèmes veut des têtes qui tombent. et rapidement. Alors qu'il est difficile au clampin moyen dont je suis d'arriver ne serait-ce qu'à comprendre et assimiler toutes les parties ayant touchées de près ou de loins à cette afaire.
Face à ça, je crois que la seule attitude correcte est une certaine modestie et comprendre qu'on n'a pas tou les éléments contextuels pour juger sur pièce.

18. Le jeudi 2 février 2006 à 11:24 par Parayre

Votre analyse , pondérée autant que nuancée me touche comme m'avait séduit votre premier commentaire au terme duquel vous aviez justement souligné combien " Outreau " pose essentiellement la question de la détention provisoire , exceptionnelle selon le code de procédure pénale et le voeu quelque peu hypocrite des législateurs successifs mais tellement fréquente en pratique , notamment en matière criminelle ...

Ce recours excessif à l'incarcération est presque toujours motivé par le " trouble à l'ordre public " et " la gravité des faits " même si les personnes mises en examen excipent des garanties sérieuses de représentation comme apparemment la majorité des " innocentés " d'Outreau ont pu le faire .


Ce " motif " tendant à la préservation de l'ordre public pose avec acuité le problème du secret de l'enquête , de flagrance ou préliminaire ainsi que celui de l'instruction .En effet , il n'est pas contestable que l'ordre public - a fortiori dans les grandes aglomérations - est plus troublé par les articles de presse qui révèlent la nature des crimes que par les faits eux-mêmes dont la population , singulièrement dans le domaine de la pédophilie qui suppose un huis-clos familial ou social , ne peut , autrement que par les médias , avoir connaissance .

Le syllogisme absurde est évident : les infractions sont - ce n'est pas contestable -graves SI elles ont été perpétrées , elles ont durablement troublé l'ordre public - la presse s'en étant fait l'écho - l'opinion ne saurait donc accepter le maintien en liberté des présumés innocents qui les ont commises ( peut-être ) et dont l'identité a été dévoilée .


Les journalistes sont sourcilleux sur leur droit à l'information des lecteurs , auditeurs ou téléspectateurs mais peu , sur la présomption d'innocence , principe pourtant de valeur constitutionnelle .

Mais , ils n'attentent à ce principe qu'avec la " complicité " des officiers de police judiciaire ( OPJ ) ou des magistrats qui les renseignent .

Ces " fuites " , par définition informelles , sont quotidiennes : nombre de journalistes , à Paris comme en province , ont leurs entrées dans les commissariats , brigades de gendarmerie ou parquets et parfois sont même avisés de placements en garde à vue avant le substitut de permanence .

Ces pratiques sont culturelles : les OPJ ou plutôt leur hierarchie ont , en violant le secret auxquels ils sont tenus , le sentiment de valoriser ainsi leur action dans la lutte contre la délinquance .De plus , ils ont la religion dite des " crânes " selon laquelle , il n'y a de " belles enquêtes " que clôturées - même si nombre d'investigations restent à diligenter - par des écrous !

19. Le jeudi 2 février 2006 à 14:58 par Salomon Ibn Gabirol

"Le mercredi 1 février 2006 à 13:03, par Bambino

Merci maitre pour cet excellent billet.

Je conviens que ce desastre n'est pas une erreur judiciaire dans le sens ou aucun innocent n'a été condamné."

Ce n'est pas la première fois sur ce blogue qu'on (Maître Eolas ou l'un de ses commentateurs) considère que dès lors que personne n'a été condamné de manière définitive, on ne saurait alléguer une erreur judiciaire. Ainsi, Outreau n'est pas une erreur judiciaire, puisque les 13 ont été acquittés (en première instance ou en appel).
Ainsi, encore, Dreyfus n'est pas une erreur judiciaire puisque le Capitaine a été gracié puis réhabilité (Maître Eolas, si mon souvenir est bon, considérait toutefois que compte tenu du délai entre la condamnation et la réhabilitation, l'allégation d'une erreur judiciaire était plus légitime).

Patrick Dils a été acquitté en 2002 après à la suite d'un troisième procès, après avoir passé 13 ans en prison. Si je suis le raisonnement précité, il n'y a encore une fois pas eu erreur judiciaire, puisqu'il y a eu, en défitive, acquittement.

Si je pousse le raisonnement à l'extrème, il n'y a pas eu non plus erreur judiciaire dans l'affaire Sacco et Vanzetti, puisque, malgré leur condamnation à mort et leur exécution en aout 1927, le gouverneur du Massachussets les a réhabilité le 23 aout 1977, 50 ans jour pour jour après leur mort. En supposant que la réhabilitation en procédure pénale américaine a le même effet sur la condamnation qu'en France (ce que j'ignore, je sais, c'est mal), il n'y a pas eu condamnation définitive, donc pas d'erreur judiciaire.

Selon ce raisonnement, l'erreur judiciaire se caractérise par le caractère définitif de la condamnation. Je n'adhère pas. Car, dans la mesure où les erreurs judiciaires sont caractérisées après que l'erreur est réparée (par l'acquittement, la cassation, la réhabilitation, etc.) et après que, donc, la condamnation cesse d'être définitive par l'effet de cette réparation, il faudrait en déduire que seules les condamnations injustes véritablement définitives, c'est à dire celles qui ne sont jamais découvertes et donc jamais réparées, sont susceptibles d'être qualifiées d'erreurs judiciaires. Mais comment les qualifier d'erreurs judiciaires puisqu'on en a pas connaissance (et que dès qu'on en a connaissance, elles ont de bonnes chances d'être réparées et donc de cesser d'exister en tant qu'erreur ?

Cette théorie faisant reposer l'erreur judiciaire sur le caractère définitif de la condamnation empéche tous simplement de qualifier une condamnation injuste d'erreur et n'est, à mon humble avis, pas satisafaisante du tout.

Qu'en pensez-vous Maitre Eolas ? (Je pose cette dernière question en nourrisant le secret espoir de faire partie des happy few qui ont l'honneur de voir le Maitre de céans répondre à leurs commentaires ....)

► Vous avez trouvé le plus sûr moyen de me faire réagir : la flatterie.

Votre raisonnement est erroné ab initio à cause d'un malentendu sur le terme de "définitif", que j'emploie en sons sens juridique. Votre raisonnement qui conclut que j'affirme que les erreurs judiciaires n'existent que si on n'en entend pas parler est un sophisme, un peu d'esprit critique aurait dû vous le faire réaliser (je ne puis soupçonner un instant que vous ayez fait du mauvais esprit intentionnellement). 

Une décision définitive n'est pas une décision éternelle : c'est une décision qui ne peut plus être attaquée par les voies de recours ordinaires (l'appel principalement). Un arrêt de cour d'appel est définitif (même si le pourvoi en cassation est ouvert et qu'il est suspensif en matière pénale). Ergo, Dreyfus a été définitivement condamné, c'est une erreur judiciaire. Sa grâce puis sa réhabilitation ne sont qu'une réparation. Idem pour Patrick Dils qui a bénéficié d'un pourvoi en révision, voie de recours extraordinaire. Idem pour Sacco et Vanzetti, le caractère définitif de leur sanction ne pouvant vous avoir échappé.

Dans l'affaire d'Outreau, les accusés ont été acquittés en deux temps, mais in fine ont été acquittés, dans les conditions que l'on sait. C'est là qu'un nouveau frisson me parcourt l'échine : c'est de réaliser que malgré les hyperboles employées, l'affaire d'Outreau aurait pu être encore bien pire. La tête m'en tourne.

Eolas

20. Le jeudi 2 février 2006 à 15:25 par Pierre

Salomon Ibn Gabirol : Peut être parcequ'une détention provisoire est provisoire et que la mort a... un caractère définitif ?

21. Le jeudi 2 février 2006 à 18:18 par Bib2

Le Maestro est fort occupé (des piles de dossiers, je crois). En attendant son retour, que diriez-vous de considérer les conditions de l'audience ? Voici.

Des acquittés d’Outreau seront présents pendant l’audition du juge Fabrice Burgaud (8 février). C’est leur souhait et leur droit. Même si cela déplaît à l’Union Syndicale des Magistrats (USM).
Mais contrairement aux victimes habituellement admises aux procès et bien que la commission préparant l’audition ait obtenu de leur part l’engagement de garder le silence, cette même commission a décider de les reléguer sur le côté de la salle, hors du champ des caméras des services de l’Assemblée et loin de l’accusé : ni derrière lui, ni au dessus de lui sur les balcons. André Vallini, président de cette commission, aurait même, selon la presse, interdit au réalisateur de filmer les réactions des victimes aux déclarations de F. Burgaud.

Après avoir connu l'accusation de menteurs, la garde à vue, la vindicte publique, les procès, la prison, la mort de l’un d’entre eux, la destruction de leur vie relationnelle et affective… Voilà qu’ils connaissent le secret au moment de leur réhabilitation ! Placés au banc de la société, comme partie négligeable – simples figurants.

Certes, les « débordements » fréquents lors des auditions sont regrettables et doivent être évités autant que possible ; les conditions doivent naturellement être sécurisées et optimisées. Mais pas au prix de la mise au placard des victimes ni de leur humiliation ! On ne voit d’ailleurs pas comment leur présence pourrait compromettre l’approche de la vérité. Bien au contraire. Quant à leur reconstruction psychique - si elle est encore possible - elle passe notamment par ce procès.

Alors que l’accusé lui-même dit comprendre que les acquittés souhaitent être là, la parfaite transparence de cette audition semble gêner une partie de la magistrature, dont l’USM. Allez savoir pourquoi.

22. Le jeudi 2 février 2006 à 18:19 par Salomon Ibn Gabirol

Le jeudi 2 février 2006 à 15:25, par Pierre

"Salomon Ibn Gabirol : Peut être parcequ'une détention provisoire est provisoire et que la mort a... un caractère définitif ?"

Je ne comprends pas votre commentaire.

23. Le jeudi 2 février 2006 à 19:05 par | nico

Merci pour ces deux derniers billets, qui ma foi donnent pas mal de choses à penser. J'ai passé la nuit scotché sur LCP cette nuit à regarder l'avocate de Badaoui se faire sérieusement malmener par la commission parlementaire et je me suis dit que la lecture de votre carnet sur ce que c'est qu'un avocat et le rôle qu'il joue n'aurait pas fait de mal aux membres de la commission. Si vous avez l'occasion de revenir là-dessus, je vous lirai avec grand plaisir. Encore merci pour vos réflexions.

24. Le jeudi 2 février 2006 à 20:37 par fred

@Gerard:

à 3 ou 4 pour 10 m2, y a t'il besoin de chauffage dans nos prisons?

bon je suis de mauvaise fois là

25. Le jeudi 2 février 2006 à 21:15 par Parayre

@gascogne : vous me faites penser à Coluche : " ils savent qu'on roule bourrés , ils n'ont qu'à nous éviter "; " certes , on ne relève pas les anachronismes mais , les avocats n'ont qu'à le faire acter ! "

26. Le vendredi 3 février 2006 à 08:22 par Pierre

Salomon Ibn Gabirol : Ce que je voulais dire est qu'une détention provisoire ou une condamnation à une peine de réclusion est toujours réversible, ce qui n'est pas le cas d'une peine de mort exécutée. Dans ce dernier cas, "l'erreur judiciaire" sera définitive... un des meilleurs arguments contre cette peine, d'ailleurs.

27. Le vendredi 3 février 2006 à 10:03 par Gascogne

@ Bib2 : "Quant à leur reconstruction psychique - si elle est encore possible - elle passe notamment par ce procès.
Alors que l’accusé lui-même dit comprendre que les acquittés souhaitent être là, la parfaite transparence de cette audition semble gêner une partie de la magistrature, dont l’USM. Allez savoir pourquoi."

Peut-être parce que contrairement à ce que vous pensez, sans doute influencé par une grande partie de la presse, il ne s'agit en rien d'un "procès", et F. BURGAUD n'est pas un "accusé". On voit bien à votre commentaire la confusion complète qui existe depuis la mise en place de cette commission. Elle est censée réfléchir à une réforme de la justice, et tout le monde, députés compris au vu de la réaction de certains, n' y voient que le moyen de procéder à un lynchage en bonne et due forme. L'avocate de Myriam BADAOUI vient d'ailleurs de se faire traiter de "salope" à cette occasion, ce qui donne une idée de l'ambiance générale...
Si "procès" il doit y avoir, il se passera, avec les garanties d'un Etat démocratique (du moins je l'espère, mais j'ai de plus en plus de doutes), devant le Conseil Supérieur de la Magistrature, statuant au disciplinaire, ce qui ne manquera pas d'arriver.

@ Parayre : Et dire que vous m'invitiez sur un autre blog à un peu plus de hauteur d'esprit...Vous qui avez pu dire que F. BURGAUD était un collègue à vous (www.philippebilger.com/bl...), j'en avais déduit que vous étiez magistrat. Visiblement, ça ne doit pas être le cas, faute de quoi vous auriez compris que je parlais d'un garde-fou qui n'a pas fonctionné parmis tant d'autres, sans pour autant justifier ce qui a pu se passer dans le bureau du juge Burgaud, où nous n'étions ni vous ni moi.

28. Le vendredi 3 février 2006 à 10:18 par nouvouzil

@Gascogne

Objection! C'est au cours du procès de St-Omer que l'avocate en question s'est fait traiter de 'salope' par un confrère suite à une question posée par elle à un des mis en examen et non au cours de l'audition devant la Commission.

De la fragilité des témoignages....

29. Le vendredi 3 février 2006 à 10:41 par Gypaete

@Salomon Ibn Gabirol : je peux me tromper, mais j'ai plutôt l'impression qu'Eolas indique que des peines ayant été prononcées à l'encontre de MM Dils et Dreyfus, il y a là erreurs judiciaires, tandis que les accusés d'Outreau ont été acquités suite à leur procès en appel.

@Eolas: avez-vous vu les auditions des avocats ? S'ill n'y a pas, j'en conviens, dans cette affaire techniquement parlant d'erreur judiciaire, peut-on parler d'erreur professionnelle quand un juge d'instruction ne tient pas compte d'éléments apportant clairement la preuve que les accusations ne sont pas fondées ? J'aurais aimé avoir votre sentiment sur ce point.

30. Le vendredi 3 février 2006 à 10:59 par Parayre

@Gascogne : désolé collègue , je me suis emporté et m'en excuse : mon propos est simplement qu'" Outreau" - comme je l'ai exposé " chez " Ph.Bilger - ne NOUS conduise pas à développer , comme trop souvent , le complexe du homard dont , plus jeune et moins expérimenté qu'aujourd'hui , j'ai moi-aussi présenté un temps les symptômes au tout début des années 80 .
Rassurez-vous , je n'entends surtout pas " crier pour autant avec les loups " et souhaite avec vous , non sans crainte , que l'émotion ne l'emporte pas sur la reflexion , que le débat soit le plus serein possible et que notre institution, à la mission au combien complexe , tire de ces douloureux moments , au quotidien , des leçons notamment en ce qui concerne la détention provisoire .
Qui bene amat , bene castigat .

31. Le vendredi 3 février 2006 à 11:16 par Salomon Ibn Gabirol

@Gypaete : Voici ce qu'écrivait, entre autres, Darbamont le 21 décembre 2005, puis la réponse d'Eolas :

(...) (mais à vous prendre au pied de la lettre, on peut dire que l'affaire Dreyfus n'est pas une erreur judiciaire puisque Dreyfus a finalement été reconnu innocent...) (...)

Réponse d'Eolas:

Je reconnais volontiers avoir fait un effet de style volontairement provocateur en disant d'entrée de jeu qu'Outreau n'est pas une erreur judiciaire alors qu'on l'entend répété à l'infini. Mais sur le fond, c'est tout à fait exact. Votre analogie avec l'affaire Dreyfus est en revanche un inutile sophisme puisqu'il a été condamné définitivement le 5 janvier 1895, et n'a vu sa condamnation révisée qu'en 1899. Il s'agit bien d'une erreur judiciaire. Je vous renvoie à l'article « J'accuse » d'Emile Zola pour les détails.(...)

Il me semble donc bien, sauf à dénaturer son propos (pardonnez-moi par avance Eolas), qu'Eolas considère que l'affaire Dreyfus peut être considérée comme une erreur judiciaire" en raison du délai écoulé entre la condamnation et la révision.

32. Le vendredi 3 février 2006 à 11:34 par vanverde

Cher Maître EOLAS,

Les derniers paragraphes de votre billet, à savoir votre point de vue sur cette affaire en tant qu'avocat, m'ont beaucoup touché.

Je suis moi-même avocat et je me suis posée exactement les mêmes questions que vous. Je n'ai pas non plus de réponses. D'où un sentiment de malaise profond face à cette affaire.

Merci pour ce billet, qui est le reflet exact de mes propres pensées.

33. Le vendredi 3 février 2006 à 11:53 par Makura

@Salomon Ibn Gabirol : il me semble que plus qu'une question de délai, c'est le caractère définitif de la condamnation qui entre en ligne de compte pour déterminer si oui ou non on se trouve en face d'une erreur judiciaire au sens strict. Dans le cas d'Outreau, l'acquittement en appel n'exclut-il pas l'idée que les condamnations puissent avoir acquis à un moment ou à un autre un caractère définitif ? Il n'y a pas eu de révision, comme dans le cas de Dreyfus, il n'y a eu que le cours normal de la justice, qui veut qu'après un premier jugement l'accusé puisse faire appel s'il considère (j'allais écrire "juge"...) que celui-ci était erroné.

Après, je n'ai aucune connaissance particulière de la justice, et je serai ravi de connaître le vrai fin mot de l'histoire.

34. Le vendredi 3 février 2006 à 12:00 par Gypaete

@Salomon Ibn Gabirol: justement, c'est là que notre lecture diverge. Vous liez le "il s'agit bien d'une erreur judiciaire" à "et n'a vu sa condamnation révisée qu'en 1899", quand je l'associe à "il a été condamné définitivement le 5 janvier 1895".

@vanverde: je pense exactement comme vous, tout en étant pas avocat, ni même lié de près ou de loin à l'institution judiciaire. Je crois que c'est notre conscience d'individu qui est mise à mal, ne serait-ce que parce que, comme le rappelle Eolas, la justice est faite en notre nom.

35. Le vendredi 3 février 2006 à 17:16 par 6février

Cher Confrère

Je me permets, avec une très légère avance, de vous appeler ainsi, quoique techniquement, je ne deviendrai votre confrère que lundi 6 février aux environs de 14h30, qui sera la date de ma prestation de serment.

J'ai regardé également les auditions des acquittés d'Outreau, de certains de leurs avocats, et j'avais comme vous le coeur dans la gorge.

Je me suis posée la même question que vous et ce d'autant plus que je suis, de formation et de vocation, pénaliste.

Je suis loin bien sûr d'avoir votre expérience en droit pénal, mais j'ai eu l'opportunité de plaider lors de mon pré-stage devant le tribunal correctionnel de Nanterre au moment des troubles de banlieue.

J'ai plaidé le dossier d'un prévenu niant avoir commis l'infraction qui lui était reprochée, malgré un PV de police qui le désignait.

J'ai plaidé le dossier, terrifié à l'idée que le prévenu niait ce qui, au vu du PV, semblait évident, et allait inévitablement provoquer l'énervement de la répression. J'ai plaidé le dossier, terrifié à l'idée qu'il allait être sanctionné plus lourdement pour ne pas reconnaitre sa faute. J'ai plaidé le dossier, terrifié à l'idée qu'il était peut-être innocent. J'ai plaidé le dossier, terrifié à l'idée que je le croyais coupable.

Autant d'élements à sa charge qu'à sa décharge, l'obligation d'aller vite, des réquisitions lourdes, et, pour finir, une condamnation en demi-teinte, pour laquelle de toute évidence, les quelques doutes subsistant sur sa culpabilité n'ont joué qu'un rôle de circonstances atténuantes.

Et à ce jour, la question que se pose, j'imagine, tout avocat, le rouge au front : aurai-je insisté - "mais, madame, monsieur, je ne vous demande pas de mentir" - pour qu'ils avouent ?

Et comment distinguer l'innocent du manipulateur ?

Une question pour finir, que je vous pose comme je me la pose, sans en attendre vraiment une réponse : l'avocat lui-même doit il avoir une intime conviction ?

36. Le vendredi 3 février 2006 à 17:52 par Gascogne

@ Nouvouzil : autant pour moi, votre honneur (ben oui, les "objection !", ça va forcément avec les "votre honneur"...), mon témoignage a failli. Je me suis laissé entraîné par ma fougue habituelle. Ceci étant, les avocats des parties civiles sont tout de même particulièrement malmenés devant la commission (cf. www.lemonde.fr/web/articl...
On voit bien toute l'objectivité des députés devant les témoins qui ont le mallheur de ne pas penser comme il faut...

@ Parayre : Dolto avait bien décrit le complexe du homard, et je dois reconnaître qu'actuellement, je suis en plein dedans, d'où des réactions souvent à fleur de peau. Je crois d'ailleurs pouvoir dire que la majorité des magistrats ressent actuellement la même chose, les conditions actuelles de travail étant particulièrement lourdes...
(ps : merci pour le "bene amat"...et désolé de difficilement supporté le "bene castigat", j'ai des circonstances atténuantes, Monsieur le Président ;-) )

37. Le vendredi 3 février 2006 à 18:35 par GL

Effectivement les avocats des parties civiles sont particulièrement malmenés... par leurs confrères. Au moins ne pourra-t-on pas reprocher aux avocats de donner dans cette affaire dans le corporatisme.

38. Le vendredi 3 février 2006 à 18:37 par nouvouzil

@Gascogne

Une des caractéristiques de la Commission, c'est qu'elle comporte une majorité d'anciens Avocats.

Ceci n'empêche pas que,comme vous le soulignez, la Commission n'est pas tendre pour les Avocats de la partie civile (mais pourquoi y avait-il autant d'associations dans le procès?). Cependant, des accusations ont été proférées nominativement contre un des acquittés, ce qui vaut maintenant à l'Avocate en cause une plainte pour diffamation.

www.liberation.fr/page.ph...

Il reste difficile même maintenant d'être objectif sur cette affaire qui, au fil des auditions apparaît de plus en plus complexe.

Ce devait être bien pire au cours de l'instruction.


39. Le vendredi 3 février 2006 à 19:13 par Bib2

@ Gascogne : merci pour vos corrections bienvenues. Comme je ne peux rectifier mon commentaire ci-dessus (21), je me permets de le republier ici...
________________________________________________

Que diriez-vous de considérer les conditions de l'audience ? Voici.

Des acquittés d’Outreau seront présents pendant l’audition du juge Fabrice Burgaud (8 février). C’est leur souhait et leur droit. Même si cela déplaît à l’Union Syndicale des Magistrats (USM).
Mais contrairement aux victimes habituellement admises aux procès et bien que la commission préparant l’audition ait obtenu de leur part l’engagement de garder le silence, cette même commission a décider de les reléguer sur le côté de la salle, hors du champ des caméras des services de l’Assemblée et loin de l’auditionné : ni derrière lui, ni au dessus de lui sur les balcons. André Vallini, président de cette commission, aurait même, selon la presse, interdit au réalisateur de filmer les réactions des victimes aux déclarations de F. Burgaud.

Après avoir connu l'accusation de menteurs, la garde à vue, la vindicte publique, les procès, la prison, la mort de l’un d’entre eux, la destruction de leur vie relationnelle et affective… Voilà qu’ils connaissent le secret au moment de leur réhabilitation ! Placés au banc de la société, comme partie négligeable – simples figurants.

Certes, les « débordements » fréquents lors des auditions sont regrettables et doivent être évités autant que possible ; les conditions doivent naturellement être sécurisées et optimisées. Mais pas au prix de la mise au placard des victimes ni de leur humiliation ! On ne voit d’ailleurs pas comment leur présence pourrait compromettre l’approche de la vérité. Bien au contraire. Quant à leur reconstruction psychique - si elle est encore possible - elle passe notamment par cette audition.

Alors que l’auditionné lui-même dit comprendre que les acquittés souhaitent être là, la parfaite transparence de cette audition semble gêner une partie de la magistrature, dont l’USM. Allez savoir pourquoi.
_________________________________________________________

Voilà. Je n'ai changé que deux "accusé" en "auditionné" et un "procès" en "audition". Pardon pour ma bêvue. Le reste, je le maintiens.

Au fait, cher Gascogne, pouvez-vous encore m'éclairer ? Si le procès évoqué a lieu un jour en commission disciplinaire, devant le Conseil Supérieur de la Magistrature, les victimes y auront-elles librement accès ?

40. Le vendredi 3 février 2006 à 23:31 par Gascogne

Oui, car la procédure disciplinaire est publique. Mais je crains qu'elle n'advienne que bien trop tard. Ite missa est.

41. Le samedi 4 février 2006 à 13:03 par V

Vous reprochez à certains, cher Maître, de faire un procès d'intentions au Président Montfort.
Mais sans aller jusqu'à ses intentions, je dois avouer que certains de ses dérapages verbaux - des mots, pas des intentions - sont profondément choquants.

Quelques exemples tirés de son discours :
<< le maintien en détention provisoire, pendant *un temps plus ou moins long* >>
plus ou moins long ? Parlez-moi d'euphémisation !
<< une réparation *intégrale* du préjudice moral et matériel subi >>
intégrale ? Voila encore un mot de trop. Quelle sera donc cette réparation intégrale pour Francois Mourmand ?
<< le *malheureux* juge d’instruction chargé de cette malheureuse affaire >>
le malheureux juge ? il fallait l'oser, dans une diatribe contre les abus de victimisation...
<< l’institution judiciaire, *malheureuse, incomprise, humiliée* >>
jouez violons...
<< les membres des grands corps de l’Etat, les avocats ou les militaires, les ingénieurs des Ponts et Chaussées ou ceux des Mines sont-ils *gérés* par des parlementaires, des professeurs de droit, des représentants des usagers, ou des membres de la “société civile “? >>
gérés, non, mais là n'est pas la question : quand ils sont soupconnés d'avoir, par une négligence dans l'exercice de leurs fonctions, mis en danger la vie de quelqu'un, ils sont *jugés*, eux, pas *gérés*, par leur pairs qui plus est.

Comment pouvez-vous, au vu de ce texte, de ses propres mots, vous étonner que l'on s'interroge sur le manque d'humanité de cet homme, voire sur la pureté de ses intentions ?


42. Le dimanche 5 février 2006 à 10:03 par DePassage

Petite précision sur les retranscriptions des PV devant le juge d'instruction:

@Eolas, notre maitre bienaimé: j'ai écouté un de vos confrêres expliquer que dans certaines juridictions, le juge d'instruction avait organisé les retranscriptions de telle façon qu'il procédait par paragraphes et l'avocat voyait entemps réel les notes informatiques du greffier, et à écouter votre confrêre (qui avait 40 ans de pratique) cela n'était pas une exception. De cette façon le PV n'était pas une synthèse dictée en fin d'audition mais une retranscription fidèle des propos tenus.

@Gascogne: il y a certes une procédure permettant aux avocats qui sont en désaccord avec le PV de joindre une note, mais justement les avocats ont expliqué que l'utilisation de cette procédure entrainait de très fortes tensions par rapport aux juge d'instruction, et que du coup le dialogue serein avec le juge étant rompu, le présumé innocent en payait les frais sur ses demandes futures...

43. Le dimanche 5 février 2006 à 19:33 par Bof

Diable ! Tous ces "confrères" qui se congratulent. C'est à mourrir de rire.

On devrait en coller deux ou trois en préventive histoire de leur éclaircir les idées.

C'est des gens comme vous qu'il faudrait à la Chancellerie, mon brave monsieur. Et là, ça marcherait droit ! Si vous êtes célibataire, je vous présente à ma concierge, vous êtes faits l'un pour l'autre.

Eolas

44. Le dimanche 5 février 2006 à 20:00 par Bib2

@Bof : vous vous trompez lourdement. Habitué de ce blog, je peux vous dire qu'on ne s'y fait pas de cadeaux... A moins de le mériter vraiment. Mais peut-être confondez-vous politesse et congratulations ?

Veuillez noter que ne suis pas juriste, comme d'ailleurs beaucoup de visiteurs. La qualité de la plupart des échanges m'attire régulièrement ici. Quant aux commentaires comme le vôtre, ce sont des pollutions auquelles nous sommes habitués.
Circulez !

45. Le dimanche 5 février 2006 à 21:17 par Gascogne

@ V : "Comment pouvez-vous, au vu de ce texte, de ses propres mots, vous étonner que l'on s'interroge sur le manque d'humanité de cet homme, voire sur la pureté de ses intentions ?"
Simplement parce que vous déformez à propos ce qui a été dit par le Président Monfort. Ne pas vouloir comprendre, c'est un choix, déformer des propos pour les faire entrer dans votre mode de penser, s'en est un autre auquel je n'adhère absolument pas.
@ De passage : "il y a certes une procédure permettant aux avocats qui sont en désaccord avec le PV de joindre une note, mais justement les avocats ont expliqué que l'utilisation de cette procédure entrainait de très fortes tensions par rapport aux juge d'instruction, et que du coup le dialogue serein avec le juge étant rompu, le présumé innocent en payait les frais sur ses demandes futures..."
S'il y a "des" avocats qui l'ont dit, alors...Le problème est qu'ils ont également dit que tout dialogue avec le juge en question, psychorigide et immature, était totalement impossible, et ce dés le départ. Alors vous comprendrez que l'argument consistant à dire "je n'ai pas fait mon travail parce que je voulais éviter de vexer le juge" me paraît un peu étonnant.
@ bof : "On devrait en coller deux ou trois en préventive histoire de leur éclaircir les idées."
Ah c'est sûr Madame Michu, comme ça, on va les éviter, les détentions abusives qu'on a vu à Outreau. Arrêtez d'écouter les Grosses Têtes, ça vous fait trop réfléchir...

46. Le lundi 6 février 2006 à 00:44 par DePassage

Nouvelle précision sur les retranscriptions des PV devant le juge d'instruction et la possibilité pour les avocats de joindre une note à un PV mal retranscrit :

@Gascogne:"Alors vous comprendrez que l'argument consistant à dire "je n'ai pas fait mon travail parce que je voulais éviter de vexer le juge" me paraît un peu étonnant

vous vous trompez, les avocats ont utilisé la procédure et ont fait leur travail, et effectivement le juge n'a pas apprécié du tout... on connait la suite.
Donc ne présentez pas comme un garde fou, ce qui n'en est pas un.

Le corporatisme a ses limites, regardez les débats et dites nous si ensuite vous conservez cette opinion ?

47. Le lundi 6 février 2006 à 09:06 par Gascogne

Corporatisme, le bien vilain mot, mis à toutes les sauces. Rassurez-vous, je ne me sens en rien corporatiste, et je n'envisage pas de sortir dans la rue avec un panneau pour défendre l'institution (relisez le discours du Président Monfort à ce sujet, c'est instructif).
Sur la garde fou, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Je n'ai jamais affirmé haut et fort qu'il avait bien fonctionné. J'ai simplement dit qu'il existait.
Maintenant, si les avocats ont effectivement fait leur boulot (ce que je veux bien croire sur leur propre parole, mais je préfèrerais le voir de mes propres yeux), l'élément à décharge était donc dans le dossier. Cependant, vous me dites, avant de faire valoir mon opinion (que je n'ai toujours pas fait valoir sur ce blog, et que je ne compte pas faire dans l'avenir) de regardez les débats. Je préfèrerais en ce qui me concerne regarder le dossier, car depuis plusieurs mois maintenant, on ne parle de l'affaire d'Outreau qu'au travers du prisme du journalisme et de la commission d'enquête, dont les média ne diffusent que des extraits choisis. C'est d'ailleurs tout le problème de ce huis clos partiel...
Je comprends que les avis techniques que je donne ne plaisent pas nécessairement, et heureusement que dans une démocratie, tout le monde n'est pas d'accord, mais s'il vous plait, ne préjugez pas de mes opinions.

48. Le lundi 6 février 2006 à 12:36 par DePassage

@Gascogne: vous pouvez voir l'intégralité des débats sur la chaine parlementaire sur le net bien sur www.lcpan.fr/outreau_somm...
Vous pourrez donc vous faire votre opinion.

49. Le lundi 6 février 2006 à 18:19 par GL

L'un des gros problèmes est que justement nombreux sont les magistrats qui ne savent faire que de la technique juridique parcellaire ou du juridisme, négligeant ou méprisant tout le reste: Hommes, institutions et leurs vécus et expériences. Les propos du Président Montfort énonçant qu'il prend le pari quant à l'absence de faute professionnelle ou déontologique du Juge Burgaud sont assez effrayants et j'espère vivement qu'il se trompe. Personnellement, je prends le pari qu'en dépit de la préparation intensive qu'il a dû faire avec ses avocats, auxiliaires de Jutsice que pour une fois il ne méprise pas, nous allons être effarés par un certain nombre des réponses de l'intéressé. Hier, dans le Var-Matin, l'abbé Wiel l'a qualifié de "psycho-rigide" qui se sent fort parce que soutenu par ses pairs. C'est aussi mon sentiment. Certes, les magistrats ne sont pas tous des Juges Burgaud, et de loin, mais il y en a beaucoup trop de ce genre en activité et lorsque les intéressés "débarquent" dans un cabinet d'instruction avec les prérogatives qui y sont attachées, il y a effectivement quelques raisons d'avoir froid dans le dos.

50. Le lundi 6 février 2006 à 23:29 par Un pinailleur pas sûr de lui

«tous les jugements et arrêts, que ce soit du juge de proximité de Bourganeuf (Creuse) ou de l'Assemblée plénière de la cour de cassation (Paris) commencent par les mots "Au nom du peuple français".»

Êtes-vous sûr du "Tous" ; j'avais souvenir d'avoir lu quelque part que les jugements (et arrêts d'appel ?) des juridictions cadiales de Mayotte étaient rendus "au nom d'Allah le Très Miséricordieux" (mais que le peuple français, par sa Cour de Cassation, pouvait avoir le dernier mot, comme à
www.legifrance.gouv.fr/WA...
).

J'ai cherché à plusieurs reprises à vérifier si c'était un fantasme ou une réalité, mais rien trouvé sur le web. Quelqu'un sait-il ce qu'il en est vraiment ?

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