Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Magistrat désabusé mais passionné

Par JB, juge d'instruction


Je suis magistrat depuis quelques années. J'ai commencé au parquet, avant de continuer à l'instruction il y a quelques mois.

Ma vocation - car c'est est une - est née alors que j'étais en CM2 et que j'ai assisté pour la première fois à une audience correctionnelle.

J'ai ensuite effectué un parcours classique, sans coups d'éclat : faculté de droit, préparation du concours d'entrée à l'ENM dans un Institut d'Etudes Judiciaires de province puis l'ENM. Je n'ai réussi le concours qu'à ma troisième tentative. Je me suis accroché car aucun autre métier ne me semblait plus intéressant à exercer.

La scolarité au siège bordelais de l'ENM durait à l'époque 8 mois. A l'euphorie des premières semaines (et des premières payes !) a succédé le commencement des désillusions. L'ENM était dirigée par une personnalité désormais haut placée à la Chancellerie, qui n'avait de cesse de transformer les étudiants que nous étions en moutons bien obéissants. Nous eûmes quelques visites politiques au cours de cette année et, avec le recul, je m'aperçois qu'elles n'avaient la couleur que de l'UMP. Un député, ancien magistrat, vint polémiquer sur "sa" loi instituant les juges de proximité, affirmant que c'était "une bonne loi parce qu'elle était populaire". Un ministre de l'intérieur, futur président de la République, vint nous faire un discours pré-électoral. Parlant des discriminations positives, il nous dit (et je me souviens très bien de ses termes précis) : « Moi aussi, j'ai ma Rachida ». A l'époque, nous ne savions presque rien sur cette magistrate devenue conseillère du ministre. Cela n'allait pas durer.

La visite du ministre permit d'instaurer une innovation : l'amphithéâtre préléable de recadrage. Toute la promotion fut réunie afin d'être avisée de ce que des questions gênantes ne seraient pas appréciées. L'effet ne tarda pas : aucune question ne fut posée au ministre, mise à part celle émanant d'un maître de conférences...qui effectivement, ne fut pas du goût du ministre !

L'année de scolarité se termina de cette manière. Un double sentiment m'envahit alors : celui d'exercer un fabuleux métier mais aussi celui d'avoir intégré un corps couard, conformiste et apeuré par le politique. Sur ce dernier point, à juste titre puisque le retour de manivelle faisant suite aux "petits juges "décomplexés des années 1990 commençait à se faire sentir.

Les 13 mois de stage en juridiction étaient surtout consacrés à l'apprentissage des métiers. Ils étaient aussi l'occasion de se faire une idée sur les composantes de ce corps. Avec, comme dans toutes les professions, des gens courageux, des gens travailleurs, des gens respectueux, des gens brillants, mais aussi des caractériels, des fous, des nuls, des fainéants, des irrascibles, etc.

A l'issue de cette longue formation juridique puis d'apprentissage professionnel de 31 mois, mon envie d'exercer ce métier était toujours présente.

Nommé substitut du procureur dans une région particulièrement éprouvante du point de vue de la délinquance et de la criminalité, j'ai eu à connaître en première ligne des incohérences des politiques pénales et de l'affaiblissement de la Justice.

Car il ne faut pas se leurrer : désormais, les procureurs généraux et les procureurs de la République ne sont que des exécutants de la Chancellerie, qui elle-même est sous la coupe du ministère de l'intérieur. Certains syndicats de magistrats parlent de préfectoralisation ou de caporalisation du parquet. Il y a du vrai.

Que penser de la convocation de 5 procureurs généraux qui doivent justifier leurs vilains "scores" de peines-plancher ? Que penser des circulaires et instructions qui descendent de la Chancellerie toutes les semaines, qui suivent un fait divers quelconque mais médiatisé et que nous n'avons même pas le temps de lire ? Que penser des rapports à rédiger à longueur de journée au procureur général (et à enovyer par mail, vous seriez gentil, comme ça nous n'aurons qu'à repomper. Vous, ça vous aura pris dans le meilleur des cas une demi-journée. Eux, 5 minutes, le temps de changer l'en-tête) ? Que penser de la pression qui entoure un fait divers ? Que penser de votre procureur qui vous incite à communiquer à la presse, de votre procureur général qui vous incite au contraire, de la presse qui vous somme de venir donner une interview un dimanche matin à 8 h, pour le journal de 9 h, alors même que votre permanence ne vous a laissé dormir que 4 heures ? Que penser de l'absence totale de considération de nos hiérarques, de notre ministre, de notre administration centrale (qui, décidément, depuis PARIS, ne comprend rien à rien), de notre président de la République, de la presse, de nos enquêteurs (eh oui, ils savent qu'en cas de conflit, faisons fi du Code de procédure pénale, et vive la supériorité de leur ministère) et finalement de l'opinion publique ?

Que penser de cette collègue de SARREGUEMINES, de son procureur, des enquêteurs, des fonctionnaires de l'Administration Pénitentiaire et du tribunal pour enfants, convoqués et enjoints à s'expliquer sur la façon dont ils ont juste fait leur travail ?

Que penser de ces lois d'apparât, toujours plus répressives et de ces circulaires qui suivent et qui nous "invitent" à privilégier autant que possible les aménagements de peine (pour être plus clair, la sortie de détention) ? Et s'il survient un drame, à qui la faute ?

Que penser d'un Garde des Sceaux qui n'entend exercer sa mission que dans le fracas et les effets d'annonce ?

Que penser d'un Garde des Sceaux qui réforme la carte judiciaire avec un simulacre de concertation, alors même que cette réforme apparaît évidente pour tout le monde ?

Que penser d'un Garde des Sceaux qui connaît aussi peu son ministère alors même qu'elle a été magistrate (certes, peu de temps) ?

Que penser de cette Justice fortement chahutée depuis l'affaire d'Outreau et qui n'arrive pas à remonter la pente ?

Que penser de toutes ces réformes qui viennent s'accumuler aux précédentes tous les ans, qui ne sont pas préparées et qui créent un sentiment d'insécurité juridique pour les magistrats ?

Que pnser de cette nouvelle commission à peine installée pour la réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, alors même que les réformes de procédure pénale sont de l'ordre de plusieurs par an ?

Que penser du budget misérable de la Justice, de ces locaux au mieux vieillots, au pire insalubres et insécurisants ?

Que penser du manque de greffiers et de fonctionnaires de Justice, sans qui les tribunaux ne peuvent pas fonctionner ?

Que penser de la Protection Judiciaire de la Jeunesse et de l'Administration Pénitentiaire, totalement asphyxiées ?

Que penser du manque d'experts (que, de toute façon, nous ne payons plus et encore, à coups de pied dans le derrière) ?

Que penser des revalorisations salariales des magiatrats, toujours promises et jamais obtenues ? D'accord, les magistrats ne sont pas à plaindre, loin de là, mais les gens qui connaissent nos traitements s'imaginent toujours que nous gagnons le double.

La Justice parfaite n'existe pas. Mais la nôtre est mal en point.

La magistrature est tous les jours un peu plus attaquée de toute part. Et tout a commencé du sommet de l'Etat. Il faut croire que la Constitution ne s'applique pas à ceux qui se chargent de l'écrire.

Et malgré cela, j'ai toujours envie de faire ce métier. Je ne dis pas que chaque jour l'envie est là mais ce métier reste passionnant. Et si le mépris affiché par notre ministre de tutelle n'avait pas raison de notre passion ? Et si nous lui survivions au sein de ce ministère ?

Comme le disait Maître Eolas, les magistrats sont à peu près 8.000 sur tout le territoire et interdits du droit de grève. La mobilisation reste donc anecdotique. Mais voir les collègues de METZ, hier, faire un haie au Garde des Sceaux en arborant des pancartes "Justice bafouée, démocratie en danger", je me dis que quelque chose est peut-être en train de germer. A suivre.

Commentaires

1. Le samedi 25 octobre 2008 à 02:55 par Vox Populi

Je me suis donné comme mission respectueuse de lire tous les commentaires de ce blog.

Je tiens tout d'abord à vous témoigner mon soutient.

Certes, l'opinion publique vous insupporte, mais le reflet de l'opinion publique que vous avez n'est qu'une bande de boeufs manipulés et stupides.

Il y a beaucoup de gens tels que moi qui connaissent votre situation et qui la respectent.

Qui connaissent le véritable parcours de la Garde des Sceaux, aussi compétente dans son job qu'en tant que neuro-chirurgien ou sapeur-pompiers.

Qui savent que la chancellerie a été corrompue par un trop fort rapprochement des pouvoirs, et que les magistrats subissent des pressions, chose qui devrait normalement être inconcevable.


Je n'ai aucun lien avec la justice, je suis citoyen de classe moyenne, et pourtant je suis au courant de tout.

J'espère vraiment que ce problème aura de vrais débouchés (pas sous Sarkozy, ça m'étonnerait), mais en tout cas rassurez-vous, vous n'êtes pas seul, et l'opinion publique ne vous hait pas, au contraire.

2. Le jeudi 30 octobre 2008 à 07:21 par hatonjan

Allez, comme vox populi je laisserai un petit message, court, et pas super réjouissant, mais : encore 4 ans...

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