Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Parlons consentement

Une des spécialités du législateur, c’est de nuire, volontairement ou par simple maladresse ignorante, à ceux qu’il prétend vouloir protéger. Par exemple par la loi dite anti-Perruche, qui, sous un tonnerre d’applaudissements d’associations d’handicapés, a retiré aux personnes nées avec un handicap lourd à cause d’une erreur de diagnostic prénatal, la garantie d’une autonomie financière à vie (mais au nom de leur dignité).

Et là, voilà le même coup qui se prépare avec une énième proposition de modification de la définition du viol pour y faire entrer la notion de consentement de la victime.

Pourquoi serait-ce une erreur ? Version courte : parce que celle qui s’est battue pour l’en faire sortir, c’est l’avocate Gisèle Halimi. Reconnaissons-lui à tout le moins qu’elle savait ce qu’elle faisait.

Version longue : allons-y pour une petite histoire du viol en droit français. Avertissement : si vous êtes féministe, à la lecture de ce billet vous allez avoir envie de cramer des hommes et vous aurez raison.

Le code pénal de 1810 n’a pas défini le viol. Il punissait « le viol » ou tout « attentat à la pudeur » (C’est ainsi qu’on nommait sous l’ancien code pénal l’agression sexuelle), de la réclusion, point. On sent que ce n’était pas la priorité de l’époque.

La loi sur le viol sera révisée par une loi de 1832 (début du règne de Louis-Philippe) qui le punit désormais de dix à vingt ans de réclusion criminelle, et l’attentat à la pudeur, de cinq à dix ans. C'est la naissance de la distinction viol (qui suppose un acte de pénétration sexuelle) et agression sexuelle (toute agression sans pénétration corporelle). Une loi de 1863 (Second Empire) va aggraver la répression et permettre de prononcer jusqu’à la perpétuité (qui n’était pas la peine maximale à l’époque…).

Comme toujours quand la loi est muette sur une notion juridique, alors que le droit raffole des définitions claires et précises, c’est la cour de cassation qui s’y est collée. Une cour composée exclusivement d’hommes du XIXe siècle, what could possibly go wrong ?

Pendant longtemps, la cour renverra à l’appréciation souveraine des juges du fond (oui, que des hommes), se contentant d’exiger que soit constaté un "coït illicite avec une femme qu’on sait ne point consentir". Cette solution ne sera pas satisfaisante, aboutissant à des appréciations très variables et des acquittements parfois difficiles à comprendre (les verdicts n’étant pas motivés ni susceptibles d’appel).

Par un revirement, qui sera longtemps l’arrêt de principe en la matière, du 25 juin 1857 de la chambre criminelle, une définition va enfin être posée (et je salue ici tous les étudiants en droit qui ont bossé un jour sur le rôle créateur de droit de la jurisprudence). Et vous allez voir que ce que la cour va vouloir protéger, ce n’est pas tant l’intégrité physique de la femme que "l’honneur des familles". Dans cet arrêt, la cour va ainsi juger : « qu’il appartient au juge de rechercher et de constater les éléments constitutifs de ce crime d'après son caractère spécial et la gravité des conséquences qu'il peut avoir pour les victimes et pour l'honneur des familles ; que ce crime consiste dans le fait d'abuser d'une personne contre sa volonté, soit que le défaut de consentement résulte de la violence physique ou morale exercée à son égard, soit qu'il résulte de tout autre moyen de contrainte ou de surprise pour atteindre, en dehors de la volonté de la victime, le but que se propose l'auteur de l'action. »

Vous avez remarqué ? On a les éléments constitutifs du viol de la définition actuelle : l’abus qui est une périphrase pudique pour parler d’acte de pénétration sexuelle, par violence, contrainte morale ou autre, ou surprise (qui en droit veut dire un consentement vicié qui n’aurait pas été donnée par la victime sans l’utilisation d’un artifice). Il n'y manque que la menace, mais les juristes s'accordent pour dire que la menace n'est rien d'autre qu'une manifestation de la contrainte et que c'est un ajout superfétatoire. Mais le consentement est mentionné (contre sa volonté) et est au cœur de cette définition : c’est un abus contre la volonté de la personne. Il faut donc rechercher si cet abus avait lieu contre la volonté de la personne. Cette volonté de la victime est un élément des débats. Ça veut dire que la victime va être longuement interrogée, notamment pour la défense, pour s’assurer qu’elle n’a pas voulu ce rapport, et qu’elle a bien manifesté ce refus pour que l'accusé ait su qu'il était absent. La cour de cassation va même aller jusqu’à affirmer en 1910 que du fait du devoir conjugal, le viol entre époux est par nature impossible, car il est impossible que ce soit contre la volonté de l’épouse. Cette jurisprudence va tenir jusqu’en 1990, je vous raconterai un jour quelles circonstances ont abouti à ce revirement, assurez-vous de ne pas avoir mangé juste avant.

En attendant, l'application de cette définition va être terrible pour les femmes victimes. En effet, l'absence de consentement étant un élément constitutif de l'infraction, il revenait à l'accusation de le prouver. Ainsi, la femme victime devait faire la preuve, non seulement de son absence de consentement, mais aussi de la violence qu'elle avait subie pour passer outre ce refus. Bien souvent, le crime de viol n'était reconnu par les juges (exclusivement des hommes à l'époque) que lorsque la victime avait subi de très graves violences, laissant des traces révélatrices. Or on le sait bien désormais, les victimes, et c'est normal, ont souvent du mal à parler de ce qui leur est arrivé tout de suite. Il y a un choc post-traumatique, qui met parfois très longtemps à se résorber. Or si la victime ne portait au moment de sa plainte plus de trace médicalement constatée de violences subies, bien des juges (juges d'instruction, chambres d'accusation ou cours d'assises) estimaient que la preuve de l'absence de consentement n'était pas rapportée. Et croyez vous qu'avoir subi des violences suffisait ? Point du tout. Les circonstances, et le comportement des victimes étaient souvent retenus contre elles et les rendaient partiellement responsables de ce qui leur était arrivé : ont été ainsi retenu contre la victime le fait de faire du camping, de l'auto-stop, d'accepter une invitation d'un homme, et bien sûr, la façon dont elles étaient habillées, les lieux qu'elles fréquentaient, et à quelles heures. Par exemple, en 1959, une bande de jeunes hommes qui avait pris l'habitude de proposer des balades en scooter (qui était une curiosité à l'époque) à des jeunes filles et les conduisait dans un endroit isolé pour les violer, avait fini devant les assises du Haut-Rhin, où les accusés ont été condamnés. Mais lors de l'audience civile qui a suivi immédiatement, les victimes ont vu leur indemnisation rabotée par la cour qui a jugé que "Si l'imprudence de la victime d'un crime ou délit, et spécialement d'un viol, ne peut être une cause de réduction des dommages et intérêts auxquels elle a droit, il en serait autrement s'il était prouvé que la victime du viol a provoqué les accusés et allumé leur convoitise par une attitude répréhensible". En l'espèce, accepter une balade en scooter.

Tel est encore l’état du droit quand en 1974, deux touristes belges, Anne, une professeure de biologie âgée de 24 ans et Araceli, une puéricultrice de 19 ans, couple de lesbiennes belges et pratiquant le naturisme, vont planter leur tente dans la calanque de Morgiou près de Marseille. Un pêcheur local, Serge, va tenter de les séduire, en vain. Éconduit à deux reprises, il va monter une expédition punitive avec deux amis, Guy et Albert. Le 21 avril 1974, les trois individus surgissent là où campent les deux femmes, qui se défendent vigoureusement, les frappent et les violent des heures durant. Araceli tombera même enceinte et avortera illégalement en Belgique qui comme la France interdisait l'IVG à l'époque. Les trois hommes sont arrêtés, et affirment que les jeunes femmes étaient consentantes aux relations sexuelles. La juge d’instruction, une femme, les suit et les renvoie devant le tribunal correctionnel de Marseille pour de simples coups et blessures.

Les deux femmes vont prendre comme avocate Gisèle Halimi et Agnès Fichot, qui vont obtenir du tribunal correctionnel qu’il se déclare incompétent le 15 octobre 1975 car les faits relèvent d’une qualification criminelle du fait des viols apparemment commis. Les prévenus sur le point de devenir accusés font appel, et la cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme ce jugement le 3 février 1976. Ce sera les assises.

Le procès aura lieu les 2 et 3 mai 1978. La défense est assurée par Jean-Claude Simon et Gilbert Collard, la défense des victimes par Agnès Fichot, Anne-Marie Krywin, Marie-Thérèse Cuvelier et Gisèle Halimi. Le procès va avoir lieu dans un climat très tendu, les accusés étant soutenus par leur famille et leurs amis, et les victimes, étant seules, loin de leur pays, et surtout, lesbiennes et naturistes, sont accusées d’être des perverses et d’avoir été forcément consentantes. Malgré cette pression, la cour d’assises condamnera Serge à 6 ans de prison pour viol, et Guy et Albert à quatre ans. Voyez les images post-verdict, présentées par un journaliste qui connait son sujet, et surtout voyez comment Gisèle Halimi ne se laissait pas impressionner ni marcher sur les pieds par les ancêtres des trolls. Difficile de ne pas l’admirer, admettez.

Gisèle Halimi a fait de ce procès une tribune, et surtout en a fait le procès du viol, contre des accusés qui reconnaissaient la relation sexuelle mais affirmaient qu’elles s’étaient laissé faire (après certes s’être défendues à coups de marteau —oui oui, à coups de marteau— et avoir été battues comme plâtre).

Par la suite, elle défendra d’autres femmes violées, dénonçant à chaque fois, outre la mentalité de l’époque, cette utilisation du consentement élément constitutif de l’infraction comme arme contre les victimes qui voient leur comportement, leurs mœurs, leur vie privée passée au crible pour savoir si au fond elles n’auraient pas un peu consenti, ou oublié de dire non. Elle convaincra la sénatrice Brigitte Gros de déposer une proposition de loi qui sera adoptée en 1980 et va faire entrer la définition actuelle du viol dans le code pénal : « Tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui, par violence, contrainte ou surprise » (je fais abstraction des modifications inutiles qui ont déjà été ajoutées par la suite à cette formulation d'une clarté diaphane). Les quatre critères de l’arrêt de 1857 sont toujours là, mais il n’est plus fait mention de l’absence de consentement. Dès lors qu’il n’est plus mentionné, il n’a plus à être recherché : on se tourne uniquement vers l’état d’esprit de l’accusé : c’est lui qui va être soumis au gril de l’interrogatoire. Le consentement plane toujours au-dessus des débats, car il n’y a pas de violence, contrainte, menace ou surprise si on a consenti, mais il est nécessairement sous-entendu, pas explicitement examiné. Ce qui protège la victime, sans nuire aux droits de la défense, puisque c’est l’état d’esprit, la volonté et la conscience de ce qui se passe qui seuls comptent.

Voilà pourquoi, sans doute de manière contre-intuitive, la proposition, faite au nom des femmes victimes, et réclamée par des associations féministes sincères serait un terrible cadeau empoisonné. Je crois comprendre que dans l’esprit de ces associations, cela voudrait dire qu’il suffirait que la victime dise qu’elle n’était pas consentante pour que le débat soit joué et la culpabilité établie. Le réveil risque d’être pénible. Montesquieu disait avec une formule devenue célèbre qu’il ne faut toucher à la loi que d’une main tremblante. Il voulait dire par là que trop de lois rendent l’application de la règle commune confuse, incompréhensible, et en fait la chose de spécialistes pointus alors même qu’elle est faite pour s’appliquer à tous (et le dernier demi-siècle a été consacré à lui donner raison sur ce point) mais aussi qu’il faut bien réfléchir aux conséquences imprévues d’une réforme législative, qui une fois promulguée se confronte aux textes déjà existants et qui va avoir par la suite une vie propre au cours de laquelle l’enfant du législateur va se muer en adolescent revêche et capricieux. Souvenons-nous de la première loi sur les crimes incestueux.

Regardons la loi actuelle, legs de Gisèle Halimi, qui a plus fait pour le sort des femmes violées que tous les législateurs actuels réunis, et posons-nous la question : en quoi pose-t-elle problème ? En quoi empêcherait-elle la répression de faits de viols avérés par une faille, une faiblesse, qu’il conviendrait de combler ? C'est la seule question qui vaille. Si c’est pour faire un symbole, une loi d’affichage comme le législateur aime tant en faire tout en promettant de ne jamais en faire, alors laissons le journal officiel tranquille. Il n’est pas l’Officiel des spectacles. Il y a encore, beaucoup, plein d’actions à mener, de formation, de prévention, d’information, de soutien aux victimes. Elles ont besoin de vrais amis, pas d’amis qui vont faire de leur vie un enfer en étant persuadés de les aider.

Commentaires

1. Le samedi 28 septembre 2024 à 23:35 par Baubauf

Je suis très embêté parce qu’à la lecture, ça me paraît logique, juste et conforme à l’esprit du texte… et pourtant des profs de droit soutiennent cette modification legislative: https://tinyurl.com/2dckf9av
Or, un prof de droit par définition c’est plus intelligent et meilleur juriste que moi…
Je vois pas ce que je manque

2. Le dimanche 29 septembre 2024 à 00:27 par PB

Merci.
Dans votre lien vers une archive INA, ça fait quelque chose de voir le JT sur le procès des viols présenté par PPDA.

3. Le dimanche 29 septembre 2024 à 00:44 par Apokrif

@Baubauf: ce qui compte, ce sont leurs arguments: quels sont-ils ?

4. Le dimanche 29 septembre 2024 à 07:04 par Aggelos

A l'heure du tout vidéo, ces articles de fond et cette plume me rappellent a chaque fois a quel point j'aime ce blog.

Merci

5. Le dimanche 29 septembre 2024 à 08:10 par UneMekeskidi

À la lecture de la loi actuelle, je me pose la question des personnes ayant des relations BDSM : il y a bien violence mais consentement. On se retrouve dans le pénal, et même dans le criminel ; il suffirait d'un tiers qui décide de dénoncer les pratiques de quelqu'un pour que, même si aucune des parties intéressées le souhaite, le dominant ou la dominatrice ait des problèmes avec la justice, non ? Sauf à estimer que les violences consenties ne soient pas des violences ?

6. Le dimanche 29 septembre 2024 à 08:50 par Baleine

Les débats récents sur la définition du viol par référence au consentement proviennent du refus, notamment français, d'une initiative législative européenne. Quelle est la situation dans les pays voisins qui ont adopté cette définition ? En Espagne par exemple ?

7. Le dimanche 29 septembre 2024 à 10:59 par coquille

petite coquille : le nom de l'avocat de la défense est Simoni et pas Simon (c'est ainsi qu'il est nommé dans la vidéo de l'INA en tout cas)

8. Le dimanche 29 septembre 2024 à 11:22 par Epimenides

Merci Maitre pour ce rappel.

9. Le dimanche 29 septembre 2024 à 12:36 par Triskael

Merci maître pour cet article qui est très clair.

@UneMékeskidi : dans le cas de BDSM, je crois qu’on est dans le même cas que le MMA, les boxes et les arts martiaux, où les combats sont techniquement des violences volontaires. Je pense donc (mais je ne suis qu’un Mékeskidi moi aussi, donc j’espère être corrigé par un juriste) qu’effectivement, le consentement dans ce cas fait sortir l’acte du domaine de l’infraction.

10. Le dimanche 29 septembre 2024 à 13:55 par Jopari

Bonjour,

quel bonheur de voir un nouveau article sur ce blog.

Étant passionné d'histoire, et bien qu'étant ingénieur et non juriste, j'ai aimé cet instant d'histoire du droit pour mieux éclairer l’histoire d'une notion juridique.

Si le plan de Migaud devait se concrétiser, c'est-à-dire si ses conseillers juridiques n'arrivent pas lui faire entendre raison, alors on se prépare à une belle pagaille digne de celle causée par la modification apportée à la notion de harcèlement sexuel, sachant déjà que certain des accusés de Mazan arguent qu'ils ne savaient pas que la victime n'était pas consentante, ce qui les prive du mens rea.

11. Le dimanche 29 septembre 2024 à 17:19 par Alain38

Bonjour,
je crois que ce qui est visé par la modification c'est le "retrait de consentement pendant l'acte". Ainsi en Belgique, il y a quelques années, un homme avait enchainé deux relations sexuelles avec une femme.Sauf que celle-ci ne souhaitait pas la seconde. Mais il avait malgré tout réussi à la convaincre. Dans cette situation il est probablement plus facile de plaider le "non-consentement" que la "contrainte". Et en Belgique le non-consentement fait partie de la définition du viol. Donc l'homme avait été condamné. Après, je me suis toujours demandé si sa condamnation était liée à la situation, ou au fait qu'il avait un passif d'agresseur sexuel.

Dans le même genre, je me souviens d'une norvégienne condamnée pour viol, suite à une fellation faite à un homme. Ils étaient tous les deux totalement bourrés (état normal de n'importe quel norvégien le week-end). Donc l'homme n'avait pas pu exprimer son consentement (ou le refuser).

12. Le dimanche 29 septembre 2024 à 18:32 par Armand de Chamar

Maitre Eolas cachant une batte de baseball derrière son dos se trouve a coté d'un troll assommé, portant une longue bosse sur le sommet du cuir chevelu. Un texte “Commentaire modéré par troll détector™” surplombe l'image.

13. Le dimanche 29 septembre 2024 à 21:02 par Milton

Maître,

Je vous remercie pour ce billet historique passionnant — comme souvent. Je m’interroge cependant sur le côté un peu homme de paille de celui-ci. Je n’ai aucun doute sur le fait que certaines féministes peu au fait des questions juridiques aient la position caricaturale que vous présentez. Cependant, j’ai déjà entendu des raisonnements plus construits en faveur de l’ajout de la notion de consentement dans la loi.

Par exemple, certains souhaiteraient que soit qualifié de viol le fait d’avoir un rapport sexuel dans une situation où un individu raisonnable devrait douter du consentement de sa victime, même s’il n’exerce aucune contrainte, menace, violence ni surprise. Pensez au cas-type de la victime subjuguée — et qui, parce que subjuguée, est passive, ne se débat pas. Il s’agirait de dire que dans un cas comme celui-ci, il appartient au pénétrant de s’assurer que la pénétrée était bien en situation de consentir. Même si la subjugation ne découle pas d’une violence, contrainte, menace ou surprise exercée par le pénétrant.

Autrement dit, il ne s’agirait pas d’ajouter à l’article 222-23 « ou si victime ne consent pas », mais plutôt de faire référence au cas où l’auteur pouvait avoir un doute raisonnable (je sais que cette notion n’existe pas telle quelle en droit pénal) quant au consentement de la victime et aurait dû lever ce doute. Certes, il faudrait alors se poser la question de la passivité de la victime et de ce qui, dans son comportement, aurait pu créer ou non le doute. Mais c’est déjà le cas aujourd’hui lorsqu’il s’agit d’établir l’élément moral de l’infraction, comme l’illustre d’ailleurs le procès dit de Mazan.

14. Le dimanche 29 septembre 2024 à 21:08 par Richard

Il me semble que les pays comme l'Espagne ou la Belgique qui ont introduit la notion de consentement dans la définition pénale du viol ont également renversé la charge de la preuve : c'est à l'accusé de démontrer qu'il a récolté le consentement explicite de la personne qui l'accuse.

Est-ce que cela ne réconcilie pas la demande de parler explicitement de consentement en évitant de "passer la victime au grill" ?

15. Le lundi 30 septembre 2024 à 08:55 par Gage

@Richard (14) : Ça pose d'autres problèmes, bien plus fondamentaux. Notamment, ça ferait du viol la seule infraction pénale où c'est à l'accusé de prouver son innocence et non à l'accusation de prouver l'infraction. Or, que la preuve soit à la charge de l'accusation est une protection majeure contre les erreurs judiciaires. Il suffirait par exemple à n'importe quelle partie d'un divorce un peu conflictuel de porter plainte pour viol pour envoyer l'autre partie en prison puisqu'il est illusoire d'imaginer garder des traces de chaque consentement.

De plus, c'est aussi incompatible avec le fait de juger les viols aux assises, sauf à changer la procédure, puisqu'on y rappelle aux jurés, juste avant le délibéré, que "le doute doit toujours profiter à l'accusé", ce qui revient à placer la preuve à la charge de l'accusation. Et quid des procès pour viol + une autre infraction ? "Alors en fait, c'est compliqué : pour le viol, le doute profite à l'accusation, mais pour les violences, le doute profite à l'accusé" ?

Le problème fondamental de faire reposer la charge de la preuve sur l'accusé, c'est que ça revient à remettre en cause un prirncipe absolument fondamental en droit pénal : la présomption d'innocence. Pas la règle médiatique qui impose au Monde d'écrire "le violeur présumé" au lieu de "le violeur", non, la règle de droit qui garantit le droit de ne pas être condamné à tort. Or, le droit de ne pas être condamné à tort, il est garanti par un texte de droit qu'on ne doit pas changer : l'article 2 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Oui, la sûreté, qui y est citée, c'est le droit de ne pas être condamné à tort.

Ça poserait un autre problème pratico-pratique : par définition, quand vous êtes accusé, vous êtes dans une situation extrêmement difficile. On vous considère d'office comme un menteur, il devient très compliqué ne serait-ce que de contester les preuves qu'on vous oppose. Alors en exposer de nouvelles, bon courage.

Bref, ça fait beaucoup de bonnes raisons de laisser la loi dans son état actuel. J'ai bien peur que le problème ne soit pas dans la loi, qui est la moins mauvaise possible actuellement, mais dans ce qui la font appliquer, la formation et les moyens qu'on veut bien leur attribuer. Mais changer la loi budgétaire implique des choix de priorités plus difficiles à assumer en situation budgétaire compliquée que changer la loi pénale.

16. Le lundi 30 septembre 2024 à 09:02 par Armand de Chamar

Source : https://www.lemonde.fr/idees/articl...

Ne pouvant copier de larges passages, je vous propose de lire cet article.
La réaction m'a surpris, puis je me suis souvenu des pratiques de Twitter.

17. Le lundi 30 septembre 2024 à 11:21 par Apokrif

@Richard: donc nécessité, pour éviter les ennuis, de formaliser précisément, par écrit ou vidéo, dans le détail, les actes sexuels envisagés ?

Et risque pour le plaignant d'être condamné pour le viol de la personne contre lequel il porte plainte, si pas de consentement explicite de cette dernière ?

18. Le lundi 30 septembre 2024 à 14:24 par mong

@Milton (13) : avoir envie de sexe ne signifie pas consentir à une relation. Il vous suffit de d'imaginer un pervers (mettons, un psychanaliste) utiliser l'hypnose pour induire une envie de sexe chez une femme : le rapport qui suit ne présage pas du consentement de la personne.


D'autre part, il me semble (les professionnels me corrigeront le cas échéant) que pour que le crime soit constitué il faut que l'auteur soit conscient d'en commettre un. Le doute sur le consentement revient à douter de commettre un crime, et il est donc raisonnable de penser qu'une telle situation oblige l'auteur à ne pas perpétrer l'acte sans s'assurer du contexte.


Je suis pour ma part plus inquiet de ce que je ne comprends pas chez certains de nos voisins scandinaves, où le consentement peut être retiré *après* l'acte (voir le cas de Julian Assange)...

19. Le jeudi 3 octobre 2024 à 19:12 par xc

@Armand de Chamar (16)

Au moins un résumé pour les non-abonnés ?

20. Le vendredi 4 octobre 2024 à 01:27 par Lagun

Entendue ce soir au JT de 20 h de France 2, votre consoeur Nathalie Tomasini : les accusés autres que M. Pelicot du procès en cours pourraient contester l'élément intentionnel au motif d'une faille de notre code pénal ; il n'y aurait plus de souci si le viol était défini en son élément matériel par la pénétration en l'absence de consentement volontaire, libre et éclairé. Je ne vois pourtant pas ce qui empêcherait, y compris avec une telle définition, de contester l'élément intentionnel et j'ajouterai qu'y compris avec une telle définition de l'élément matériel, il n'y aurait pas de renversement de la charge de la preuve et il appartiendrait à l'accusation de caractériser l'absence de consentement volontaire, libre et éclairé. Dans le cas par exemple d'une plainte déposée plusieurs mois après les faits, où les enquêteurs feraient choux blanc s'agissant de traces de violences, de témoignages de tiers, de vidéos, de SMS ou autres échanges whatsapp, on en aurait un qui dirait "j'ai dit non, j'ai pas dit oui", l'autre qui dirait "il ou elle a dit oui", et on ne serait pas plus avancé qu'avant. Ce que cette avocate et certains des tenants de cette réforme visent, c'est la suppression de la présomption d'innocence en matière de violences sexuelles, et ça fait peur.

21. Le vendredi 4 octobre 2024 à 12:00 par Lagun

Autre ânerie énoncée par Nathalie Tomasini au JT de 20 h d'hier, l'élément intentionnel ne peut être discuté en présence d'un acte de pénétration sur une victime inconsciente. Alors, imaginons X qui porte des coups à Y laissant ce ou cette dernier(ère) KO, puis, sous la menace d'un couteau, contraint Z à un acte de pénétration sexuelle sur Y. Quoiqu'en dise Maître Tomasini, Z pourra bien évidemment faire valoir l'absence d'élément moral. Cela me remémore aussi une affaire sordide où un mis en examen en contact répété par internet avec trois très jeunes gamins d'une même fratrie avait obtenu que ceux-ci se livrent entre eux à des actes sexuels. Je ne sais plus sous quelle qualification il avait finalement été poursuivi mais à l'époque, l'article 222-22-2 du code pénal ("constitue également une agression sexuelle le fait d'imposer à une personne, par violence, contrainte, menace ou surprise, le fait de subir une atteinte sexuelle de la part d'un tiers ou de procéder sur elle-même à une telle atteinte") n'existait pas et, que je sache, il n'a toujours pas son équivalent s'agissant du viol.

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