Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 4 février 2016

De grâce…

L’affaire de la condamnation de Jacqueline Sauvage en décembre dernier, et de la grâce partielle dont elle vient de faire l’objet provoque beaucoup de commentaires, laudatifs ou non, et surtout beaucoup d’interrogations sur cette affaire, qui est présentée hélas avec beaucoup de complaisance sur certains médias. Quand une affaire devient le symbole d’une cause, ce n’est jamais bon signe pour la personne jugée, qui passe trop souvent au second plan. Faisons donc un point sur cette affaire et sur la situation de cette dame, qui n’est pas simple.

Les faits remontent au 10 septembre 2012, quand Jacqueline Sauvage abat son mari Norbert Marot de trois balles de fusil de chasse, tirées dans son dos. Elle expliquera avoir agi ainsi pour mettre fin à l’enfer que lui faisait vivre son mari, et ce depuis 47 ans, s’en prenant régulièrement à elle mais aussi aux trois filles qu’ils ont eu ensemble. Ces trois filles d’ailleurs soutiendront sans faille leur mère et confirmeront le caractère violent de la victime, que personne n’a jamais contesté au demeurant. Incarcérée dans un premier temps, elle est remise en liberté et comparaît libre devant la cour d’assises d’Orléans en octobre 2014. Elle est déclarée coupable de meurtre aggravé (car sur la personne du conjoint) et condamnée à 10 ans de prison et aussitôt incarcérée, la condamnation à de la prison ferme par la cour d’assises valant de plein droit mandat de dépôt. Elle a fait appel de cette décision, et le 4 décembre 2015, la cour d’assises d’appel de Blois confirme tant la condamnation que la peine.

Pourquoi diable deux cours d’assises ont-elles condamné Jacqueline Sauvage à cette peine, ce qui suppose, pour être précis, que sur les 15 jurés populaires et 6 juges professionnels ayant délibéré, en appliquant les règles de majorité qualifiée, au moins 14 aient voté la culpabilité, et 12 la peine de 10 ans d’emprisonnement[1] ? Comment expliquer une peine aussi lourde pour une femme expliquant être la victime d’un tyran domestique violent et ayant même agressé sexuellement leurs filles ?

Parce que l’examen des faits provoque quelques accrocs à ce récit émouvant. Sans refaire l’ensemble du procès, le récit des faits présenté par l’accusée lors de son interpellation a été battu en brèche par l’enquête (aucune trace des violences qu’elle prétendait avoir subi juste avant, hormis une trace à la lèvre, aucune trace dans son sang du somnifère qu’elle prétendait avoir pris, l’heure des faits ne correspond pas aux témoignages recueillis). De même, s’il est établi que Norbert Marot était colérique et prompt à insulter, les violences physiques qu’il aurait commises n’ont pas été établies avec certitude. Si l’accusée et ses trois filles ont affirmé leur réalité, en dehors de ce cercle familial, aucun voisin n’a jamais vu de coups ni de traces de coups, et les petits-enfants de l’accusée ont déclaré n’avoir jamais vu leur grand-père être physiquement violent avec leur grand-mère. Aucune plainte n’a jamais été déposée, que ce soit pour violences ou pour viol. Une des filles du couple expliquera avoir fugué à 17 ans pour aller porter plainte, mais avoir finalement dérobé le procès verbal et l’avoir brûlé dans les toilettes de la gendarmerie. Mais aucun compte-rendu d’incident n’a été retrouvé. De même, le portrait de Jacqueline Sauvage, femme sous emprise et trop effrayée pour porter plainte et appeler à l’aide ne correspond pas au comportement de l’accusée, qui a par exemple poursuivi en voiture une maitresse de son mari qui a dû se réfugier à la gendarmerie, qui a été décrite comme autoritaire et réfractaire à l’autorité des autres par l’administration pénitentiaire durant son incarcération. Une voisine a même déclaré à la barre avoir vu Jacqueline Sauvage gifler son mari. Dernier argument invoqué par les soutiens de l’accusé : le suicide du fils du couple, la veille des faits, qui aurait pu faire basculer Jacqueline Sauvage, mais il est établi qu’elle ne l’a appris qu’après avoir abattu son mari. Ajoutons que le fusil en question était celui de Jacqueline Sauvage, qui pratiquait la chasse.

Tous ces éléments et d’autres encore débattus lors des deux procès expliquent largement la relative sévérité des juges. Ajoutons à cela qu’en appel, la défense de Jacqueline Sauvage a fait un choix audacieux et dangereux : celui de plaider l’acquittement sur le fondement de la légitime défense, à l’exclusion de toute autre chose. Or il est incontestable que les conditions juridiques de la légitime défense n’étaient pas réunies, faute de simultanéité entre l’agression (dont la réalité était discutable) et la riposte, et la proportionnalité de celle-ci (trois balles dans le dos, contre un coup au visage). Pour pallier cette difficulté, la défense invoquait le syndrome des femmes battues, traumatisme psychologique empêchant la prise de décisions rationnelles, mais sans avoir cité le moindre expert psychiatre à l’appui de cette thèse. Cette stratégie n’a pas payé, puisque l’avocat général a été suivi dans ses réquisitions. Et c’est là que le bat blesse.

Dans ses réquisitions, à l’appui de la peine qu’il demandait, l’avocat général a usé d’un argument puissant sur l’esprit des jurés : il leur a indiqué la date probable de sortie de l’accusée en annonçant qu’elle se situerait, en suivant ses réquisitions et avec le jeu des réductions de peine et de la libération conditionnelle, environ un an après le procès (il a donné la date de janvier 2017). Les jurés sont sensibles à ce critère, qui est dans leur esprit l’effet réel de leur décision, le passé ne comptant guère pour eux dans une affaire qu’ils découvrent à l’audience. Fatalitas, cette information était erronée, et fatalitas fatalitatum, la défense, les yeux fixés sur l’acquittement, n’a pas rectifié cette erreur.

Le droit de l’application des peines est un droit technique, complexe, et méprisé par l’opinion publique et les politiques, la première n’y voyant qu’une expression du laxisme et les seconds, un moyen de gérer le stock des détenus sans avoir à financer de nouveaux établissements. Alors que son fondement, et son utilité, réelle, est de réinsérer et de prévenir la récidive, bref, de protéger la société. On ne manque jamais de fustiger ses échecs, mais le taux de récidive des détenus ayant pu bénéficier de l’adaptation de leur peine aux circonstances postérieures à leur condamnation est bien plus bas que ceux n’ayant pu en bénéficier. Ce n’est pas l’empilement des lois sécuritaires inutiles qui lutte vraiment contre la récidive. Ce sont les juges des applications des peines, et leurs petites mains, les conseillers d’insertion et de probation.

Peu d’avocats s’y connaissent en la matière, tant il est vrai que les détenus n’ont pas le réflexe de faire appel à un avocat pour gérer l’après condamnation. Et c’est un tort, car l’application des peines peut permettre de sauver une affaire où on s’est pris une mauvaise décision. Et même chez les magistrats, ceux qui n’ont pas été juges de l’application des peines ou procureur à l’exécution des peines n’ont de ce droit que des notions et n’ont pas les réflexes que seule donne la pratique quotidienne de cette matière.

Démonstration ici.

Quand une peine de prison ferme est amenée à exécution, on lui applique un crédit de réduction de peine (CRP). Depuis 2004, ces réductions de peine n’ont plus à être prononcées par le juge de l’application des peines (JAP), mais il peut les retirer en cas de comportement problématique du détenu. Cela a soulagé leur charge de travail, ils ne passent plus des heures à signer des ordonnances de réduction de peine, mais n’interviennent qu’en cas de retrait. Ce crédit, prévu par l’article 721 du code de procédure pénale, est de trois mois pour la première année, de deux mois pour les années suivantes, et pour les fractions inférieures à un an, de 7 jours par mois, dans la limite de deux mois. Si le détenu manifeste des efforts sérieux de réadaptation sociale (notamment par des études ou des formations qualifiantes en détention), le juge de l’application des peines peut lui accorder des réductions de peine supplémentaires (RPS) dans la limite de 3 mois par an et de 7 jours par mois pour les fractions inférieures. Et quand le détenu arrive à mi-peine, il peut demander à bénéficier d’une libération conditionnelle, c’est à dire de finir de purger sa peine en liberté, en étant suivi régulièrement par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) et en étant contraint de se soumettre à des obligations (comme le port d’un bracelet électronique) et interdictions (comme de quitter son domicile en dehors de certaines plages horaires) dont la violation peut entraîner (et de fait entraîne très facilement) son retour en détention.

Jacqueline Sauvage avait effectué au jour du verdict d’appel 32 mois de détention (j’arrondis). Or je ne vois pas comment l’avocat général pouvait arriver à janvier 2017. Le calcul est le suivant : condamnée à 10 ans le 4 décembre 2015, fin de peine le 4 décembre 2025. Application des crédits de réduction de peine : 3 mois + 9 fois deux mois soit 21 mois, fin de peine le 4 mars 2024. Puis on impute les 32 mois de détention provisoire, fin de peine le 4 juillet 2021. Ça fait une mi-peine mi septembre 2018. Certes, elle peut bénéficier jusqu’à 30 mois de réduction de peine supplémentaire, mais c’est un peu audacieux de supposer qu’elle les aura, rapidement qui plus est, et de calculer ses réquisitions sur cette hypothèse.

D’autant qu’un deuxième obstacle surgit.

Nous sommes dans une affaire de meurtre aggravé. Or pour ce crime, la période de sûreté de l’article 132-23 du code pénal, qui interdit toute mesure de remise en liberté, y compris la moindre permission de sortie, avant un délai égal à la moitié de la peine prononcée, hors réduction de peine, s’applique automatiquement… dès que le quantum de la peine atteint 10 ans. Si la cour avait prononcé une peine de 9 ans, 11 mois et 29 jours, le calcul de l’avocat général, pour hypothétique qu’il fût, se défendait. Mais à 10 ans, il ne tient plus. Il y a 5 ans de période de sûreté, donc il reste 28 mois d’emprisonnement sec inévitables (5 ans font 60 mois, moins 32 mois déjà effectués). Puis ce délai d’épreuve expiré, seulement alors la libération conditionnelle peut s’envisager, avec généralement des phases préparatoires de permissions de sortie suivies de retour en détention. En tout état de cause, la libération conditionnelle ne pouvait intervenir avant avril 2018. Enfin, ne pouvait : en droit, l’impossible est rare (demandez à mes clients…). On peut demander à être relevé de la période de sûreté par le tribunal de l’application des peines (la cour peut aussi décider de la lever, l’abréger ou au contraire la prolonger mais la question ne semble pas avoir été posée), et d’ailleurs Jacqueline Sauvage avait d’ores et déjà saisi ce tribunal, mais obtenir un tel relevé quelques mois après la décision d’appel, confirmative qui plus est, était une gageure.

C’est en cet état que la grâce présidentielle entre en scène.

La grâce est un pouvoir que la Constitution donne au président de la République (article 17) soumis au contreseing du premier ministre et du ministre de la Justice (art. 19). Son effet est précisé aux articles 133-7 et 133-8 du code pénal : elle est une dispense d’exécuter la peine mais laisse subsister la condamnation, qui figure telle quelle sur le casier, peut constituer le premier terme de la récidive, et ne fait en rien obstacle aux droits des victimes d’être indemnisées. Il est rarement utilisé depuis la réforme constitutionnelle de 2008 qui a mis fin aux grâces collectives traditionnellement prises le 14 juillet. Il ne reste que des grâces individuelles.

Le droit de grâce jouait un rôle considérable à l’époque où la peine de mort était en vigueur, grâce qui pour le coup était une dispense d’exécution au sens propre. Toutes les condamnations à mort étaient soumises au président de la République, donc il n’est pas une exécution capitale qui n’ait été validée par le président en exercice. Depuis l’abolition, elle a perdu de son intérêt, et chacun de ses rares usages entraîne le même rappel de l’origine monarchique de ce pouvoir, comme si c’était un argument pertinent. Le droit de grâce existe dans la plupart des démocraties, notamment aux États-Unis, en Espagne, en Allemagne, au Royaume-Uni, et j’en passe. C’est un contre-pouvoir, et les contre-pouvoirs sont toujours heureux en démocratie. Il n’est pas discrétionnaire puisqu’il est soumis à contreseing et que le premier ministre peut s’y opposer en refusant le contreseing. La grâce a un effet très limité : une dispense d’exécuter tout ou partie d’une peine, sans la faire disparaître, contrairement à l’amnistie, qui pose plus de problèmes, mais n’a plus été utilisée depuis 2002 et semble promise à une quasi-désuétude. Il n’est pas scandaleux que la plus haute autorité de l’État puisse imposer la clémence, du moment qu’il ne peut en aucun cas imposer la sévérité (contrairement au roi qui lui, pouvait prendre un jugement d’acquittement et le transformer en condamnation à mort, ce qui bat en brèche l’argument du résidu monarchique), et cette affaire en est une bonne illustration. On l’a vu, si le principe de la condamnation de Jacqueline Sauvage souffre peu la discussion, n’en déplaise aux militants d’une cause qui dépasse l’accusée, le quantum de la peine semble avoir été décidé par une cour d’assises mal informée sur la portée réelle d’une telle peine. Or il n’existe à ce stade aucune voie de recours sur ce point. La révision n’est possible qu’en cas d’éléments remettant en cause la culpabilité. La peine n’est plus soumise à discussion. Le droit de grâce est la seule échappatoire. Ne nous privons pas de ce garde-fou.

Ainsi, le président de la République a décidé d’accorder à Jacqueline Sauvage une grâce partielle qui, nous allons voir, prend précisément en compte les éléments qui ont vraisemblablement échappé à la cour. La grâce porte en effet sur 2 ans et 4 mois, et sur l’intégralité de la période de sûreté. Ainsi, l’erreur des dix ans est (partiellement, on va voir) corrigée et la période d’épreuve de 5 ans ne s’applique plus, ce qui n’a rien de scandaleux puisque l’avocat général lui-même n’a jamais envisagé qu’elle s’appliquât. La grâce de 2 ans et 4 mois rapproche la fin de peine à début mars 2019, et la mi-peine à janvier 2018, cette date pouvant encore se rapprocher par l’effet de réductions de peine supplémentaires. C’est pourquoi à ce stade j’avoue mon incompréhension quand j’entends parler de perspectives de libération dès avril prochain. Outre un obstacle juridique supplémentaire certain, j’y arrive, en l’état, un retour à la liberté me paraît difficilement envisageable avant un an, quand le reliquat de 2 ans lui permettra d’obtenir un placement à l’extérieur lui permettant de purger sa peine sans être détenue (comme ce dont a bénéficié Jérôme Kerviel, qui n’a été détenu que 150 jours sur une peine de 3 années), conformément à l’article 723-1 du code de procédure pénale, avant d’enchaîner sur la libération conditionnelle. Quelque chose doit m’avoir échappé, et je ne doute pas que des lecteurs plus éclairés que moi pointeront mon erreur dans les commentaires, et je vous mettrai les explicitation dans un paragraphe inséré ci-dessous.

Paragraphe inséré : la clé de l’énigme se trouve aux articles 720-2 et 732-7 du code de procédure pénale. Le premier exclut toute mesure de sortie pendant la période de sûreté sauf le placement sous bracelet électronique (on parle de placement sous surveillance électronique). Le second permet d’ordonner un placement sous surveillance électronique probatoire un an avant la fin de la période de sureté. Ce qui ouvrait la possibilité de libération sous surveillance électronique un an avant la fin de la période de sureté en avril 2018, soit avril 2017. L’erreur de l’avocat général n’est donc plus que de 3 mois, ce qui n’est pas si mal vu les céphalées que ce billet est en train de me donner. L’obstacle de la période de sureté étant levé, et une grâce portant sur 2 ans et 4 mois, ça fait 35 mois à effectuer, soit 17,5 mois pour la mi-peine, donc liberté conditionnelle possible en avril 2017, et placement sous surveillance électronique probatoire en avril 2016, nous voilà retombés sur nos pieds.

Un autre obstacle se dresse encore devant la porte de la prison de Jacqueline Sauvage. L’article 730-2 du code de procédure pénale, créé par une des lois sécuritaires de l’ère Sarkozy, celle instituant aussi les jurés en correctionnelle, une autre grande réussite, impose que les personnes condamnées à 10 ans ou plus pour un des crimes mentionnés à l’article 706-53-13, liste créée par une autres des lois sécuritaires de l’ère Sarkozy, celle créant la rétention de sûreté, liste où figure le meurtre aggravé, que ces personnes donc fassent l’objet d’un double examen devant la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. C’est la loi. Et la grâce présidentielle s’applique au temps de détention mais pas aux mesures de sûreté entourant la remise en liberté. Donc, quand bien même une remise en liberté pourrait s’envisager dès avril, en pratique, il est impossible que ces examens aient lieu dans un laps de temps aussi bref. Mon confrère Étienne Noël, bien meilleur spécialiste que moi en matière pénitentiaire, évalue ce délai à neuf mois au moins, et je lui fais confiance.

Je vous avais dit que le droit de l’application des peines était un droit technique ; et encore, je n’ai abordé que la surface de la matière, et je crains d’avoir déjà été indigeste. C’est une des matières liées au pénal la plus touchée par l’empilement sans rime ni raison de textes sécuritaires votés pour des effets d’annonce, sans recherche d’une cohérence et d’une lisibilité qui seraient pourtant de bon aloi, aboutissant à des usines à gaz que même les professionnels maitrisent mal, hormis ceux plongés dedans au quotidien. C’est un retour de bâton que se prennent les politiques, quand leur monstre de Frankenstein se retourne contre eux en frappant une personne, ici Jacqueline Sauvage, à cent mille lieues du profil rêvé du criminel d’habitude caricatural qu’ils ont à l’esprit. Je vous présente la réalité. Elle a toujours plus d’imagination que le législateur.

Note

[1] En première instance, 6 jurés et 3 juges siègent, et il faut que la culpabilité soit votée par 6 voix au moins, la peine étant décidée à la majorité absolue, soit 5 voix moins ; en appel, la culpabilité doit être votée par 8 voix au moins des 9 jurés et 3 juges, et la peine l’est à la majorité absolue, soit 7 voix.

lundi 9 septembre 2013

Couëron a fait folie, cy sont les Veilleurs en furie

Parmi les nombreux avatars qu’a connu l’opposition au mariage entre personnes de même sexe, les Veilleurs sont, et de loin, la vitrine la plus présentable.

Né je pense en réaction spontanée aux débordements violents et aux discours haineux de l’extrême droite profitant de ce thème pour imposer leur discours, et encouragée par la prise de contrôle du printemps français sur l’association la Manif Pour Tous, les Veilleurs sont un mouvement mettant en avant son pacifisme et sa non-violence, dont le moyen d’action principal est des réunions sur la voie publique, éclairées par des bougies qui sont devenues leur symbole, où on parle de tout sauf du mariage homosexuel (mais on ne pense qu’à lui), on chante, on lit des textes, parfois incongrus vu le contexte (je pense que Georges Brassens aurait été tout surpris de s’entendre invoqué comme référence dans une veillée pastorale). Bref, des veillées, comme chez les scouts.

Tout cela se veut plutôt bon enfant, et la non-violence du mouvement ne fait pas de doute pour moi. Mais non violence ne veut pas dire bonne foi et honnêteté intellectuelle. Une illustration récente, née, j’allais dire d’une discussion sur Twitter, mais ce serait aller trop loin. Le truc des Veilleurs est visiblement plus le monologue que le dialogue. Fort bien. je peux monologuer moi aussi, j’ai un blog pour ça.

Cet été, les Veilleurs ont décidé de joindre leurs vacances et leur action politique, en organisant une marche le long des plages de l’atlantique (alors que la région Centre est si belle en été…), partie le 11 août de Rochefort, et se ponctuant de veillées, qui s’est terminée le 31 août à Paris parce que c’était la rentrée. Succès mitigé, puisque les Marcheurs qui ont fait l’intégralité de la marche sont au nombre de trois. Les veillées ont eu plus de succès, réunissant jusqu’à plusieurs centaines de personnes.

Ce sont les incidents survenus à Couëron qui ont attiré mon attention. Il faut dire que les Veilleurs ont tout fait pour attirer mon attention, m’invitant à condamner sans réserve ces violences et prêts à s’offusquer que je refuse de le faire tant que je n’en sais pas plus. La ficelle est un peu grosse.

Couëron est une petit ville des bords de Loire, à côté de Nantes, et située à 20 km au sud de Notre-Dame-Des-Landes. Ce n’est pas indifférent puisqu’à l’approche de cette veillée, l’idée est venu aux Veilleurs de tenter de s’allier avec les anti-aéroport de Notre-Dame-Des-Landes. Je sais que le mouvement anti-mariage pour tous s’essouffle maintenant que plus de 600 couples se sont mariés et que la civilisation ne s’est pas encore écroulée, et que manger à tous les râteliers fait partie des manœuvres politiques les plus courantes. Mais il faut un sacré (sans jeu de mot) aveuglement ou un poil de mauvaise foi pour ignorer que les anti-aéroports sont nettement plus marqués du côté alter-mondialiste, libertaire et anarchiste que du côté catho bon-teint ; et que le rejet de l’homosexualité par les Veilleurs était une fin de non-recevoir à toute idée de rapprochement. D’autant que personne n’est dupe : si cet aéroport avait été voulu non par l’actuel premier ministre socialiste mais par François Fillon à Sablé, les Veilleurs n’y auraient rien trouvé à redire.

Cela porte un nom : de la provoc. Ajoutons à cela la question qui fâche. Cette veillée à Couëron, annoncée à cors et à cri sur l’internet a-t-elle été déclarée comme la loi l’exige ?

En effet, l’article L.211-1 du Code de la Sécurité Intérieure (CSI) dispose que : “Sont soumis à l’obligation d’une déclaration préalable tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique”. Une simple déclaration, qui se fait en mairie 3 jours francs avant la date prévue (à Paris à la préfecture de police), pas une demande d’autorisation. Cette manifestation avait-elle été déclarée ? Mon dieu qu’il a été difficile d’obtenir une réponse claire à cette question simple. Non, elle ne l’a pas été, les Veilleurs refusant de se soumettre à cette obligation, dans le prolongement de leur vision de résistance. Puisque la République a voté la loi sur le mariage pour tous, ils refusent d’appliquer les lois de la République. Rebelz.

Fort bien. Mais à quoi sert une telle déclaration ? À informer en temps utiles les autorités, qui peuvent ainsi prendre les mesures nécessaires pour assurer le maintien de l’ordre. C’est une obligation pour l’État. Gardant ceci à l’esprit, vous pouvez à présent regarder la vidéo qui a été filmée, et commentée, par un des Veilleurs, et qui sert de pièce à conviction (attention, elle dure 15 mn et est très chiante).

Première remarque : les Veilleurs se plaignent de l’arrivée tardive de la gendarmerie et en nombre insuffisant. Oui, ils se fichent de vous : ce sont eux qui ont refusé de déclarer cette manifestation. Alors qu’ils avaient en prime fait de la provocation à l’égard des radicaux de Notre-Dame-Des-Landes. Coueron01.png

Deuxième remarque : si les Veilleurs ont horreur qu’on fasse l’amalgame entre eux et les radicaux de Civitas ou du Printemps Français, ils ne rechignent pas à pratiquer eux-même l’amalgame. C’est pour la bonne cause. Ils sont une trentaine, on ne sait pas au juste combien sont les contre-manifestants (j’en ai compté 10 pour ma part), pas assez pour submerger sous le nombre 30 personnes, mais en tout cas ils représentent pour l’auteur de la vidéo tous les homosexuels, les transsexuels et les bissexuels dans leur totalité, comme en témoigne le titre : leur haine est “la haine LGBT”. Ok. Donc la sottise des Veilleurs d’organiser une manifestation non déclarée après avoir provoqué des opposants radicaux est je suppose la sottise des hétérosexuels, à moins que ce ne soit celle des catholiques ? Étant les deux, cela m’intéresse, afin que je puisse prendre mes précautions.Coueron02.png

Admirez d’entrée le mensonge à 00:30 : “le dispositif de gendarmerie est quasi inexistant alors que le préfet savait que nous étions attendus”. Aucune déclaration n’avait été faite. On comprend la réticence des Veilleurs à répondre à ma question pourtant simple. Le droit au silence.

Bref cette vidéo montre des incidents qui ont été voulus par des organisateurs irresponsables, je ne suis pas sûr que les participants répondant à l’invitation avaient idée qu’ils allaient se jeter dans la gueule du loup pour offrir des images de martyr à un mouvement en bout de souffle, qui pratiquent l’amalgame et nous invitent à condamner leurs adversaires, non pas les 10 abrutis qui sont allés jouer les guerilleros du bocage, mais tous les homosexuels et transgenres et tous les partisans de la loi pour le mariage pour tous (cf. le commentaire à 14:32). C’est-à-dire qu’en somme je dois me condamner moi-même pour ce que je n’ai pas fait. Coueron03.png

Ces précisions enfin obtenues, et de haute lutte, je puis enfin répondre complètement à la question.

Je condamne la manifestation sauvage des Veilleurs et la provocation qui l’a précédée, qui a exposé des personnes de bonne foi à subir une telle agression verbale. Je n’ai vu dans ces images aucune image de violences dépassant au pire le stade contraventionnel : je les désapprouve sans réserves. Je condamne tout aussi fermement la manipulation grossière qui est faite à partir de ces images, et l’amalgame qui consiste à assimiler ces 10 excités à tous les homosexuels et partisans de cette loi. C’est ainsi qu’on entretient des tensions et des haines contraires au message du Christ. 

Et à ces contre-manifestants : vous avez été des imbéciles de foncer sur le premier mouchoir rouge. La parade légale était pourtant simplissime.

Les Veilleurs n’avaient pas déclaré cette manifestation mais l’avaient fait connaitre en ligne. Il suffisait de foncer à la mairie de Couëron et de déclarer par exemple une manifestation en faveur de la PMA et de la GPA pour tous, là où la veillée devait se tenir. Ajoutez à votre déclaration une indication de risques d’incidents de la part de contre-manifestants, et vous aviez la place pour vous, avec un beau cordon de gendarmerie qui aurait maintenu les Veilleurs à l’écart. Au lieu de ça, vous leur avez offert sur un plateau une vidéo de propagande.

A troll, troll et demi.

PS : pour gagner du temps, je vais répondre par anticipation aux commentaires de Veilleurs du style : “Rhalala mais quelle obsession pour les Veilleurs, c’est qu’ils doivent vous déranger”, “Vous feriez mieux de parler des enfants tués en Syrie et de guérir toutes les maladies avant de parler d’un sujet où vous n’êtes pas d’accord avec moi”, et autres “Vous êtes beaucoup plus intéressant quand vous parlez des baux commerciaux en droit romain ou tout autre sujet où vous n’exprimez pas une autre opinion que la mienne”. Ceci est mon blog, j’y parle de ce que je veux, vous cherchez la publicité, ne venez pas vous plaindre si elle est mauvaise, et votre avis sur ce que je suis bienvenu à écrire m’indiffère complètement ; le fait que je ne vous l’ai pas demandé était d’ailleurs un indice. On va gagner du temps comme ça.

vendredi 28 septembre 2012

Avis de Berryer : Emmanuel de Brantes

Peuple de Berryer, la Conférence innove. Afin de pouvoir te recevoir dans de bonnes conditions, elle s’exile provisoirement du Palais et te recevra au 104, le samedi 6 octobre 2012, au 5 rue Curial, 75019, Paris (métro « Riquet », ligne 7), dans une salle de 400 places et pas une de moins.

Dans ces conditions paradisiaques, la Conférence reprendra ses travaux en recevant monsieur Emmanuel Sauvage de Brantes, chroniqueur, journaliste et galeriste. Emmanuel de Brantes Les sujets proposés aux candidats seront les suivants :

1. Les sauvages doivent-ils laver leur linge sale en famille ?

2. Les moustachus finiront-ils tondus ?

Le portrait approximatif sera dressé par Monsieur Matthieu de Vallois, 3ème Secrétaire.

La contre-critique sera assurée par M. Bertrand Perier, ancien Secrétaire, redoutable dans cet exercice.

Comme d’habitude, l’entrée est libre et gratuite mais, une fois n’est pas coutume, la séance commencera à 20h30. Il est vivement recommandé d’arriver dès l’ouverture des portes, à 19h30.

Les candidats peuvent contacter Pierre Darkanian, 4e secrétaire pierre.darkanian-at-darkanian-pfirsch.com.

Un système de préinscription a été mis en place, purement informatif, afin de savoir où en est le remplissage de la salle. Vous pourrez venir même sans être préinscrit.

Bonne Berryer à tous.

jeudi 3 décembre 2009

Les gardes à vue sont-elles illégales ? (2)

— Maître, j’ai entendu un hélicoptère se poser sur le toit du cabinet. Vous êtes revenu ?

— Oui, mon Jeannot. Désolé d’avoir dû filer, mais l’Académie Busiris a dû siéger, et samedi soir, j’avais un match de rugby.

— C’est pour ça que vous êtes couvert de bleus ?

— Las, la zone d’en but néo-zélandaise n’a pas eu cette chance. L’équipe de France n’a pas marqué un seul point de la main, cette fois… Mais passons. Que veux-tu ?

— Vous apporter une tasse de thé.

— Toi, tu as une question à me poser. Oh, du thé de noël ? Bon, c’est un des rares thés parfumés que j’accepte de boire, plus par tradition que par goût. Que veux-tu donc savoir ?

— Ma foi, nous en étions à parler des gardes à vue…

— …Et nous en arrivions à la question : « que faire » ? Voyons les pistes qui s’offrent à nous, étant précisé qu’il ne s’agit ici que de réflexions que je fais à haute voix et destinées à être soumises à l’avis perspicace de mes commentateurs, tant les voies ouvertes par le code de procédure pénales sont limitées, et je n’ai pas la prétention d’avoir la compétence pour décider des modalités d’une action collective de ma profession. Mais ces voies existent, et nous nous devons de les utiliser, sous peine de perdre notre crédibilité quand nous en exigerons de nouvelles. L’indignation et la dénonciation de cette situation, c’est bien, mais nous sommes aussi des techniciens du droit en charge de la défense. Nous avons l’obligation d’exercer notre ministère sans attendre que le législateur daigne nous y autoriser.

— Vous savez comme je suis attaché à la Défense. Je vous écoute.

— Suivons la logique juridique et commençons par la fin.

— C’est logique, ça ?

— Les dossiers judiciaires sont ainsi faits : les actes les plus récents en haut, les premiers qu’on voit sont les derniers faits. Outre que cela réalise la Prophétie du Sauveur[1] dont nous allons bientôt fêter la naissance, ce sont ceux que l’on consulte le plus souvent pour voir où en est le dossier. Ça simplifie la consultation.

— Dit comme ça, c’est logique.

— Et l’objectif doit être de porter la question devant la cour européenne des droits de l’homme. Seule une condamnation de la France sera à même de convaincre le Gouvernement et Guillaume Didier. Encore que s’agissant du premier, j’ai l’impression qu’il a parfaitement réalisé la situation : le premier ministre a tenu des propos indiquant qu’il ne refusait pas le principe d’une réforme de la garde à vue ; le droit pour l’avocat d’y intervenir réellement nous est présenté par le Président de la République comme une contrepartie à la suppression du juge d’instruction, ce qui ne manque pas de toupet, mais le président n’a jamais présenté de carence de ce côté-là. Mais dans le doute, direction Strasbourg.

— Et pour cela, que faut-il faire ?

— Soulever la question devant le juge national, qui est le premier juge de la convention européenne des droits de l’homme. C’est de toutes façons obligatoire pour porter la question devant la cour européenne, sous peine d’irrecevabilité.

— Sous quelle forme ?

— Des conclusions écrites, impérativement, pour saisir le tribunal de la question ce qui l’oblige à y répondre (art. 459 du CPP) et constitue la preuve de ce que la question a bien été posée.

— Une autre condition ?

— Oui, épuiser les voies de recours internes. Ce qui veut dire aller jusqu’en cassation. Si des avocats aux Conseils sont intéressés par ce combat et accepteraient d’intervenir à l’aide juridictionnelle, qu’ils se manifestent, étant rappelé qu’en matière pénale, le pourvoi est dispensé du ministère d’avocats aux Conseils, mais aussi que selon le troisième Théorème de Cicéron, jamais l’assistance d’un professionnel n’est plus nécessaire que quand la loi nous permet de nous en passer. Le pourvoi est une procédure particulière, qui a sa logique propre. On n’attaque que le raisonnement en droit, selon des critiques appelées “moyens”, qui peuvent se diviser en branches et qui sont bien connus : violation de la loi, contradiction de motifs, défaut de réponse à conclusion, dénaturation des faits, etc…, et est enserré dans des délais très stricts et des formes qui le sont tout autant. Si le pourvoi est une voir de recours extraordinaire, ce n’est pas pour rien. D’où l’intérêt des conclusions à l’audience, qui posent la question de droit qui pourra ensuite être critiquée Quai de l’Horloge.

— Et vous avez un modèle de conclusions ?

— Mon Jeannot, depuis le temps que tu fais ton stage ici, tu as pu te rendre compte que je ne répugne pas à faire travailler les autres. Des confrères illustres, et excellents, puisque parisiens, ont créé une association “je ne parlerai qu’en présence de mon avocat” et ont ouvert un site internet pour l’abolition de la garde à vue sans avocat : http://www.abolir-gardeavue.fr/ Il s’y trouve un modèle de conclusions libre de droits (un peu comme les gardé à vue, tiens…), à adapter et compléter. Je suggère notamment d’y ajouter les mentions des arrêts rendus en rafale par la CEDH et qui confirment expressément l’arrêt Salduz (Salduz était-il un arrêt pilote ?), notamment l’arrêt Danayan c. Turquie (no 7377/03) du 13 octobre 2009, Kolesnik c. Ukraine (requête no 17551/02), Boluçok c. Turquie (n°35392/04) du 10 novembre 2009 (en anglais seulement), Pishchalnikov c. Russie, requête n° 7025/04 du 24 septembre 2009. Et la rafale se confirme : la cour vient de rendre un nouvel arrêt dans le même sens le 1er décembre, Adalmis et Kiliç c/Turquie, req. n° 25301/04, Ajoutons que l’arrêt Danayan cite dans les précédents pertinents (§30 de l’arrêt) l’arrêt Poitrimol contre France de 1993, permets moi de graisser pour mon ami Guillaume Didier, où la cour disait déjà que la Convention exige de pouvoir être effectivement assisté d’un avocat. Le déni de réalité devient de plus en plus difficile.

— Mon papa a un ami qui est très fort pour ça.

— Je crains que même ce petit Hercule de la matière aura du mal à étrangler ce serpent là.

— Mais sans jeu de mot, quelles conclusions vos excellents confrères en tirent-ils dans leurs conclusions ?

— La nullité des PVs d’audition et de confrontation en garde à vue, en fait tous les actes liant le prévenu à cette garde à vue illégale, ou plutôt inconventionnelle, puisque si le code de procédure pénale a été respecté, c’est au prix du respect de la convention européenne des droits de l’homme, qui a une valeur supérieure.

— Et ça peut marcher ?

— Pas besoin d’être grand clerc pour deviner une certaine résistance des juridictions. Bien souvent, quand on plaide une nullité, on sent un désir de la juridiction de tout faire pour sauver la procédure. Le moyen le plus commode est d’invoquer l’absence de grief : art. 802 du CPP, dit le Fléau des Nullités, l’article de loi qui dit qu’il est légal de violer la loi tant que ça ne fait pas trop de mal à la défense, un concept bien français.

— J’entends déjà le téléphone sonner : tous vos lecteurs magistrats vont protester en commentaires.

— Je m’en doute bien, mais pour ma part, ma religion est faite depuis une affaire qui, par les hasards du traitement administratif est devenu un cas d’école assez unique : j’ai pu plaider deux fois le même dossier devant deux chambres à quelques jours d’intervalle. Et le résultat a été riche d’enseignement.

— Vous m’intriguez.

— C’est le but. Voici, une fois n’est pas coutume, une affaire que j’ai traitée.
Une belle et douce soirée de juillet, un groupe de lycéens fêtait sur les bords de Seine la fin des épreuves du baccalauréat. Les filles étaient jolies, la bière était fraîche, et la vue magnifique. La soirée s’annonçait bien. Au-dessus d’eux, sur les quais, une bagarre éclate à la terrasse d’un café. La police est appelée et arrive après la bataille. Elle ne s’avoue pas vaincue et munie de la description détaillée des sauvageons (“c’était des jeunes”), ils avisent les jeunes gens en contrebas. N’étant pas cacochymes, ils correspondent à la description. D’où contrôle d’identité. Goûtant peu d’être dérangés, les jeunes gens accueillent la maréchaussée plutôt froidement. Le ton monte. Une jeune fille a une parole qui déplaît à un des policiers qui s’estime outragé. La demoiselle est saisie et menottée (c’est important pour la suite) et embarquée. Son chevalier servant s’interpose, s’offusquant de ces méthodes et demandant qu’elle soit relâchée. La police, estimant que le jeune homme empêche leur véhicule de repartir, l’embarque aussi pour entrave à la circulation. Avec là aussi menottes. Tout ce beau monde est conduit au commissariat de l’arrondissement “pour présentation à l’OPJ”, dixit le procès verbal. Et va être entendu jusqu’à 3 heures du matin, avant d’être relaché (je précise qu’une mesure d’éthylomètre sera réalisée et révélera un taux très bas chez le jeune homme et nul chez la jeune fille). La procédure sera transmise au parquet par courrier, qui n’apprendra les faits qu’à ce moment car jamais ce jeune homme et cette jeune fille n’ont été placés en garde à vue. Donc pas d’avocat, pas d’avis à famille (les portables ont pourtant été confisqués) et le parquet n’a même pas été informé de cette rétention qui a tout de même duré presque cinq heures. Du coup, les courriers ayant été traités par deux substituts différents, le jeune homme a été convoqué devant une des chambres correctionnelles, et la jeune fille, la semaine suivante, devant une autre. J’ai donc déposé les mêmes conclusions de nullité devant les deux chambres et plaidé le même argument : le menottage révèle la contrainte, personne ne peut soutenir qu’ils sont restés volontairement au commissariat jusqu’à 3h du matin, après le dernier métro (c’était avant le Vélib), donc il y a eu contrainte, donc garde à vue, qui n’a jamais été notifiée, d’où nullité de la procédure, aucun des articles 63 n’ayant été respecté.

— Et qu’arriva-t-il ?

— D’abord, dans les deux cas, le parquet requit le rejet de la nullité. Là, je ne le comprends pas. En soulevant cette nullité, ce sont aussi ses prérogatives que je défendais : celles d’être informé des mesures de garde à vue afin de les contrôler, et au besoin ordonner qu’il y soit mis fin. Admettre que la police le mette devant le fait accompli, c’est abdiquer une fonction essentielle de garantie des libertés. Le fait qu’elle ne soit pas satisfaisante en l’état ne justifie pas qu’on s’en passe pour autant. Mais non, il faut sauver la procédure, le respect du rôle du parquet passe en second.

— Et le jugement ?

— La jeune fille a été relaxée après annulation de la procédure.

— Et pour son soupirant ?

— Mon exception de nullité, rédigée dans les mêmes termes et plaidée avec le même talent, a cette fois été rejetée.

— Pour quel motif ?

— Art. 802. Absence de grief.

— Mais la cour de cassation dit de manière constante que la violation des articles 63 du CPP fait nécessairement grief eu égard à la nature de ces garanties ?

— Je le sais, c’était même écrit dans mes conclusions.

— Vous avez fait appel ?

— Non. Mon client a été condamné à 100 euros d’amende avec sursis, décision extraordinairement clémente pour des faits de cette nature (deux ans encourus). Pourquoi voulez-vous qu’il fasse appel ? J’ai tenté de le convaincre, notamment en invoquant le fait qu’il n’échapperait pas aux 90 euros de droit de procédure du fait de sa condamnation. J’étais même prêt à le faire gratuitement, c’est dire. Mais il a choisi de tourner la page et d’oublier ce mauvais souvenir. L’orthodoxie juridique de la chose lui a échappé : il a été condamné à ne rien payer, ça lui allait. Je précise que je tiens à la disposition de tout magistrat dubitatif des scans anonymisés de ces deux jugements et de mes conclusions visées par le greffe. Donc, aujourd’hui, je n’accepte plus les protestations indignées des magistrats m’expliquant que non, seul le souci de la loi guide leur corps, jamais la volonté de sauver à tout prix un dossier pour la pédagogie judiciaire. Je ne dis pas que tous le font : la preuve, le premier juge a annulé la procédure sans hésiter plus que le temps du délibéré. Mais qu’on ne me dise plus qu’aucun ne le fait. J’en ai désormais la preuve.

— Donc vous supputez de faibles chances de succès devant les juges du fond ?

— Tu maîtrises fort bien le vocabulaire juridique, Jeannot. Tu as repris la fac ? Les juges du fond, pour mes lecteurs mékéskidis, sont les juges du fait et du droit (ils fixent au vu des éléments de preuves discutés par les parties quels faits sont établis avant de leur appliquer la loi) par opposition au juge du seul droit qu’est la Cour de cassation et qui tient pour acquis les faits tels que retenus par le juge du fond dont la décision lui est soumise. Le juge du fond, c’est le tribunal correctionnel et la chambre des appels correctionnels. Le juge du droit, c’est la cour de cassation. On peut contester que c’était bien son client qui s’est emparé du sac à main de la victime devant les juges du fond ; ce fait n’est plus contestable devant le juge du droit, qui s’assurera par contre que le juge a bien qualifié les faits de vol et pas d’escroquerie, par exemple. Oui, je pense que les chances sont faibles, pour plusieurs raisons. Depuis des années, de fait depuis leur début d’exercice professionnel, les juges estiment dans leur majorité que les règles actuelles de garde à vue, sans être pleinement satisfaisantes au regard des standards des autres nations démocratiques, sont conformes à la Convention. Dame, on ne remet pas en cause comme cela la pierre angulaire de la procédure pénale.

— Vous allez encore vous faire des amis.

— Mais il n’y a qu’à ses amis qu’on peut parler aussi franchement, et je ne doute pas que leur réplique témoignera par sa vigueur de la très haute estime en laquelle ils me portent aussi. Mais vois toi-même : jusqu’en 1993, l’absence totale de l’avocat en garde à vue ne les a pas ému plus que cela, alors qu’aujourd’hui, personne ne conteste que cette mesure était contraire à la convention européenne des droits de l’homme. De même que la première version de la loi, qui repoussait à la 20e heure l’intervention de l’avocat, alors qu’il est clair à présent qu’un tel retard systématique est aussi contraire à la Convention. Tiens, les juges ont également validé l’interprétation faite par la police que la phrase “Lorsque 20 heures se sont écoulées” devait s’entendre par la 21e heure, et non la première minute suivant la 20e heure. Une heure de grattée, contra legem. Vois aussi la règle du Code qui voulait qu’un prévenu qui ne comparaissait pas ne pouvait être représenté par un avocat. Si un avocat se présentait, le tribunal refusait de l’entendre. Pendant des années, en s’appuyant sur une jurisprudence très claire de la CEDH (Poitrimol c. France, 23 nov 1993), les avocats ont demandé à pouvoir être entendu. Refus obstiné (arrêts de la cour de cassation des 21 juin 1995, 6 mai 1997, 15 décembre 1998). La France a fini par se faire condamner très expressément par la CEDH pour cette pratique (arrêt Van Pelt c. France, n°23 mai 2000). Eh bien nous avions beau leur mettre cet arrêt sous le nez, rien n’y fit. Il fallut que la cour de cassation rendît en assemblée plénière un arrêt confirmant ce principe le 2 mars 2001 pour qu’enfin nous pûmes prendre la parole quand bien même notre client faisait défaut. Tiens, je me souviens même qu’un président de chambre des appels correctionnels, peu de temps après cet arrêt, refusa néanmoins d’entendre un avocat présent à l’audience qui s’était muni d’une copie de cet arrêt publié sur le site de la cour de cassation, car “cet arrêt n’avait pas encore été publié au Bulletin ni fait l’objet d’une information des magistrats par voie interne”. Le tollé fut immédiat chez tous les avocats présents, ce qui obligea le président à faire machine arrière et à donner la parole à l’avocat, mais le président manifesta sa désapprobation en lisant pendant la plaidoirie un autre dossier et en bavardant avec son voisin, pour montrer ostensiblement qu’il n’écoutait pas. Je te parle d’une scène dont j’ai été témoin direct, Jeannot. Il faudra finalement que le législateur, la mort dans l’âme tant cela allait à rebours de son inclinaison d’alors et actuelle, consacre ce principe en ajoutant par la loi Perben 2 du 9 mars 2004 un alinéa à l’article 410 du CPP pour mettre fin à la controverse. D’où je le concède un faible espoir que le changement vînt de la jurisprudence. Mais Dieu sait que j’adorerais que la suite des événements me donne tort.

— Mais ils ne peuvent pas réécrire le Code ?

— Non. Cela dit il n’en est nul besoin. Nulle part le Code dit que l’avocat n’a pas accès au dossier ni ne peut assister une personne interrogée. Le code ne fixe expressément qu’un droit à un entretien confidentiel pendant une durée maximale de trente minutes. Pour le reste, il ne dit rien, d’où il s’en déduit que l’avocat a droit à… rien. Mais absolument rien ne fait obstacle à ce que la jurisprudence estime que dans le silence de la loi et le fracas de la Convention européenne des droits de l’homme, désormais, l’avocat ne pourra se voir refuser l’accès à la procédure et assister aux interrogatoires. Mais on en est encore loin, quand on voit la jurisprudence actuelle. Le salut viendra plus surement, une fois n’est pas coutume, du législateur.

— Et justement, puisque nous progressons contre le cours du temps, au stade de la garde à vue, y a-t-il des choses à faire ?

— Oui, indubitablement. La défense commence au stade de la garde à vue. Même si nous ne pouvons pas faire grand’chose, le peu de chose que nous pouvons faire doit être fait.

— Et qu’est-ce donc ?

— Paradoxalement, ne pas parler de l’affaire qui motive la garde à vue.

— Voilà qui est étonnant.

— En apparence seulement. La loi ne nous donne que trente minutes et aucun accès au dossier. La qualification des faits n’est pas encore certaine (elle ne le sera que quand le parquet citera en justice). La seule version qu’on aura est celle du client, forcément partiale. Commencer à bâtir une défense là dessus, c’est construire un rempart sur des sables mouvants.

— Donc pas de défense ?

— Ai-je dit cela ? Non, nous devons dans ce laps de temps expliquer au gardé à vue ce qu’est une garde à vue, quelle est sa durée, quels sont ses droits, s’assurer qu’il a pu ou peut les exercer, et lui expliquer ce qui va se passer par la suite (de la remise en liberté pure et simple au défèrement pour placement sous contrôle judiciaire, comparution immédiate ou mise en examen) en passant par la citation directe, la convocation par officier de police judiciaire et les alternatives aux poursuites. S’enquérir brièvement des circonstances pour l’alerter des dangers les plus flagrants (si le gardé à vue d’une affaire de violences tient des propos racistes, il faut lui signaler que le mobile raciste est une circonstance aggravante et que son opinion sur la race de la victime n’intéresse que lui) et lui rappeler qu’il doit relire attentivement les PVs, qu’il n’est pas obligé de les signer et que dans le doute, il vaut mieux s’abstenir et que surtout il a le droit de se taire (Arrêt Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996), et que c’est un droit dont il ne doit pas hésiter à faire abondamment usage. Crois-moi, les 30 minutes passent très vite. Et à la fin, il est temps de dégainer notre seule arme.

— Laquelle ?

— Les observations écrites. Je suis affligé de voir que dans la quasi totalité des dossiers où un avocat est intervenu en garde à vue, il n’a pas jugé utile de laisser des observations. Des gardes à vue ne justifiant aucune observation, c’est comme les ministres de gauche : ça existe, mais c’est rare.

— Quels types d’observations doivent être faites selon vous ?

— Songe, mon petit Jeannot, que les observations doivent être versées au dossier. C’est une pièce de la procédure de garde à vue que nous rédigeons nous-même. La seule. Elle sera lue par l’officier de police judiciaire responsable de la garde à vue, par le procureur, par l’avocat chargé de la défense, et par le tribunal, en ordre d’apparition à l’écran. Et je t’assure que si un dossier est lu très rapidement, les observations écrites de l’avocat font partie des pièces sur lesquelles le lecteur s’arrête. Voici donc une occasion de faire passer un message. C’est à eux qu’il faut penser au moment de se saisir de son stylo.

— Et concrètement, quels sont vos conseils ?

— Après quelques années à rouler ma bosse dans les commissariats, voici mes modestes lumières. D’abord, à Paris, toujours utiliser les formulaires fournis gratuitement par l’Ordre (allez les réclamer au Bureau pénal) : ils sont autocopiants en trois exemplaires. Vous remettez l’original à l’OPJ, l’exemplaire jaune au bureau pénal, et le blanc est pour vos archives. Comme ça, vous avez une copie de vos observations sans dépendre du bon vouloir de l’OPJ et de l’état de fonctionnement du photocopieur du commissariat pour avoir une copie, la loi ne nous donnant aucun droit à cette copie. Pour les confrères de province dont le barreau n’est pas ainsi équipé, ce serait une bonne idée que le CNB s’occupe de fournir chacun des barreaux de formulaires similaires et uniformes au niveau national. On pourra y mettre notre beau logo. Vous pourrez opportunément si vous l’avez avec vous y apposer votre cachet. Cela permettra à votre confrère saisi du dossier de vous contacter en cas de besoin (sinon seul le nom de famille est mentionné ; si vous vous appelez maître Martin, notre confrère est mal).

— Et sur la forme ?

— Écrire lisiblement bien sûr, les médecins des urgences médico-judiciaires ayant le monopole des documents manuscrits illisibles (Ah, la joie de parvenir enfin à déchiffrer les mots “ecchymoses” et “extenseur ulnarien du carpe” après des longues minutes à s’esquinter les yeux… On se sent un peu Champollion). Être prudent dans l’expression : quand on relate ce que nous dit le client, le préciser et employer le conditionnel, et réserver l’indicatif pour ce que l’on constate personnellement. Ne rien relater qui pourrait nuire à son client, bien sûr. Et ne pas aborder les faits, jamais. Ce n’est pas notre rôle, on ne sait pas ce qu’il a déjà dit ni ce qu’ont les enquêteurs dans leur besace, et ces déclarations pourraient se retourner contre lui. Pas de défense sans visibilité.

— Alors de quoi parler ?

— De la garde à vue et de l’état du gardé à vue : nous seuls en parlerons. C’est un témoignage que nous apportons. Voici un exemple de ce qu’il ne faut pas faire, tout d’abord :

« Monsieur Dupipo a été frappé et insulté lors de son arrestation, et des policiers lui ont volé la somme de 300 euros qu’il avait dans sa poche. Il est innocent des faits qui lui sont reprochés et est un ami personnel du Garde des Sceaux. ».

Quelle que soit la sincérité apparente de M. Dupipo, vous n’étiez pas présent lors de son arrestation, vous ne pouvez affirmer qu’il a été frappé et volé. Vous ne bénéficiez d’aucune immunité contre la diffamation non publique et l’outrage dans les observations écrites. Ne faites pas du droit à l’avocat en garde à vue le droit à la garde à vue de l’avocat. De même, vous ne savez pas s’il est vraiment innocent, et si ça se trouve, l’OPJ attend qu’on lui amène l’enregistrement d’une caméra de surveillance montrant en gros plan monsieur Dupipo commettre les faits qui lui sont reprochés. Épargnez-vous le risque du ridicule, laissez cela à Éric Besson. Enfin, en invoquant une protection, vous allez mettre dans l’embarras votre client s’il a menti, ou le garde des sceaux s’il a dit la vérité, sans que cela apporte grand’chose à la défense.

— Alors comment feriez-vous ?

— Des allégations de violence sont un élément grave que vous ne pouvez passer sous silence. D’abord, informez votre client que vous vous proposez de le mentionner dans des observations écrites au dossier. Insistez sur le fait que les juges le verront et que s’il s’avérait qu’il a menti, ça se retournera immanquablement contre lui, tandis qu’à ce stade, ça reste confidentiel. Laissez-lui une porte de sortie élégante en lui disant que comme vous ne constatez aucune trace de coup, il se pose peut-être un problème de preuve. S’il insiste, notez par exemple :

« Le gardé à vue se plaint de douleurs consécutives aux gestes pratiqués lors de son interpellation. Il serait souhaitable qu’un médecin l’examinât.» N’hésite jamais, mon Jeannot, à glisser un imparfait du subjonctif : ça embellit le dossier. « De plus, il m’informe qu’il aurait eu sur lui une somme de 300 euros lors de son interpellation mais n’est pas certain qu’elle ait été mentionnée dans sa fouille. Il convient de le rassurer sur ce point. ». Ajouter à cela des observations sur le déroulement de la garde à vue, en fonction des réponses aux questions que vous lui aurez posées : « Le gardé à vue me dit être privé de ses lunettes depuis son interpellation. Il m’indique être fortement myope et ne voit que très mal sans elles. Il souhaiterait qu’on les lui rendît ; à tout le moins, il convient de s’assurer qu’il les a lors des auditions pour relire les PV. Il m’indique également ne pas avoir eu de repas chaud depuis son arrivée au poste à 18 heures alors qu’il est 23 heures. Enfin, bien qu’il n’ait pas initialement souhaité user du droit prévu à l’article 63-2 du CPP, il souhaiterait faire prévenir de la présente mesure sa compagne Babette Deveau, au 06 xx (ou dont le numéro est au répertoire de son téléphone au nom “mon loukoum d’amour”). Le gardé à vue, qui m’indique être un fumeur invétéré, demande en vain à pouvoir fumer une cigarette (il aurait un paquet à sa fouille) depuis le début de la garde à vue. Il m’indique que le manque de tabac lui cause une véritable souffrance. Il se plaint enfin d’une odeur nauséabonde d’excréments humains dans sa cellule. J’indique avoir en effet perçu pour ma part des relents méphitiques en passant près du couloir des cellules. ».

Ajoutez-y des observations personnelles où vous n’êtes plus que simple témoin mais aussi avocat : « ”Je constate que le gardé à vue a des marques rouges très marquées aux poignets ; il m’indique qu’il s’agit des menottes dont le port lui est imposé depuis son arrivée et qui sont trop serrées ; malgré ses plaintes, on ne les lui aurait pas desserrées. Le gardé à vue m’informe avoir fait l’objet d’une fouille à nu à son arrivée. L’opportunité d’une telle mesure intrusive et humiliante s’agissant d’une personne à qui on reproche un outrage me laisse réservé. De plus, je constate que le gardé à vue doit en permanence quand il se déplace retenir son pantalon avec les deux mains car on lui a retiré sa ceinture. Le gardé à vue m’informe ne pas avoir pu dormir de la nuit car au commissariat central du 21e arrondissement où il a été transféré, la lumière serait restée allumée toute la nuit dans sa cellule. De plus, il n’aurait pas eu de couverture et n’avait donc que sa veste pour se réchauffer. Je constate que le gardé à vue a grelotté pendant tout l’entretien.». Cela peut aller jusqu’à la demande d’acte : « Le gardé à vue a un comportement exalté, et tient des propos incohérents, parfois à la limite du délire. Il convient de demander à un médecin de l’examiner et d’envisager une consultation psychiatrique. »

Ces exemples sont des observations que j’ai déjà faites dans des dossiers (pas toutes dans le même, rassurez-vous).

— Et vous croyez vraiment qu’elles servent à quelque chose ?

— Je suis plus enclin à le croire que si elles ne figuraient pas au dossier. D’abord, cela donne un élément de contexte au tribunal. La garde à vue, il n’y était pas. Vous, oui. Alors racontez-lui comment ça se passe. Un juge n’est jamais trop informé. Ensuite, vous donnez des munitions à votre confrère chargé de la défense. A-t-il eu ses lunettes pour relire les PV ? A-t-il pu fumer, ou lui a-t-on fait signer ses aveux après 24 heures de privation de tabac contre la promesse de pouvoir s’en griller une ? Quand on dit qu’il a été “laissé au repos” dans le PV de fin de garde à vue, ça veut dire laissé toute la nuit dans une cellule lumineuse et sentant les selles, à grelotter de froid ? Ça peut expliquer pourquoi il a une tête de serial killer aux yeux injectés de sang en arrivant aux comparutions immédiates et pourquoi il s’endort sur le banc des prévenus, et qui sait ? Ça peut même permettre de détecter une erreur judiciaire, un jour. C’est important, je le maintiens, car comment exiger un rôle plus important lors de la garde à vue si on ne remplit pas déjà celui qui nous est dévolu aujourd’hui.

— Et faut-il demander à accéder au dossier ?

— Je me suis posé la question. Dois-je demander à accéder au dossier, voire à revenir pour l’audition, et mentionner le refus dans les observations ? J’opine pour le non. C’est inutile, ces demandes seront refusées et aucun tribunal n’en doutera, c’est la pratique actuelle et constante depuis la création du Tribunal de la Sainte Inquisition. L’OPJ risque de ne pas comprendre que cela s’inscrit dans une démarche collective du barreau et vous prendre pour un incompétent complet, et du coup il ne prêtera aucune attention à vos observations. Mais vos observations permettront de souligner en creux, en cas de recours devant la CEDH, combien votre rôle est limité. Un dernier conseil sur les gardes à vue…

— Oui ?

— Votre comportement doit être vis à vis des policiers d’une courtoisie irréprochable du début jusqu’à la fin de votre présence dans les locaux. Vous êtes avocat, et vous êtes bien élevé aussi je suppose. Vous verrez que les policiers sont eux-même très à cheval sur les règles de courtoisie et vous paieront automatiquement de retour. Et toute arrogance de votre part sera également payée de retour. Ce n’est pas s’abaisser de saluer les personnes que vous croisez dans les couloirs, de vous présenter spontanément en déclinant vos nom et qualité, de dire s’il vous plait et merci quand bien même vous exercez un droit garanti par la loi, et de dire au revoir en partant. Vous n’êtes pas chez vous, ce n’est pas à vous de tendre la main pour serrer celle de l’OPJ, mais à l’OPJ de le faire. Vous ne devez pas refuser de la lui serrer ni vous formaliser s’il ne vous la serre pas (généralement, ils ne le font pas), ce peut être une façon de marquer une distance du fait que nous intervenons à des titres fort différents dans la procédure, et il est des distances courtoises. Veiller à avoir à portée de main dès votre arrivée votre carte professionnelle et votre fiche d’intervention si vous êtes commis d’office sans que l’OPJ n’ait à vous les réclamer ni que vous ayez à fouiller dans votre sacoche. Vous êtes pressé, lui aussi. Et si vous tombez, c’est rare mais cela arrive, sur un OPJ mal embouché qui n’apprécie pas vos observations, laissez glisser sans réagir, ça ne sert à rien et vous n’êtes pas en position de force. Vous ne savez pas la journée ou la nuit qu’il a eue, ce qu’il a vu et ce qu’il a encaissé. Ils ont mérité de par leur métier un peu d’indulgence, et si une limite est franchie, vous en référez au Bâtonnier qui vous accompagnera pour une plainte à sa hiérarchie.

— Voilà qui me donnerait presque envie de commettre un délit de fuite au guidon de mon scooter, pour connaître les joies de la garde à vue et peut-être avoir un arrêt de la CEDH à mon nom.

— Comme “presque” est un joli mot, Jeannot. Tâche de ne jamais l’oublier. Et file refaire du thé pour mes invités qui vont venir commenter mes propos ci-dessous. Cela promet d’être intéressant.

Notes

[1] “Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers.” (Matt. 20,16)

jeudi 30 avril 2009

La protection des mineurs est-elle soluble dans la pédagogie ?

Par Dadouche



A l'heure où s'ouvre le procès des accusés du meurtre d'Ilan Halimi, dont on peut s'attendre à ce qu'on nous abreuve dans les semaines qui viennent, c'est une question de procédure qui semble focaliser une partie de l'attention.

Les avocats du principal accusé mais surtout les parties civiles ont sollicité à cor et à cri que la Cour d'assises examine cette affaire publiquement, pour des motifs différents.
La presse rapportait ainsi les propos des avocats du chef de ce « gang »: « Cette publicité (des débats) protège les justiciables contre une justice secrète, échappant au contrôle public et constitue ainsi l'un des moyens de contribuer à préserver la confiance dans les tribunaux ». Les parties civiles ont quant à elles argumenté leur demande en indiquant leur souhait que ce procès soit "pédagogique".

Fort bien.

Sauf que...

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vendredi 2 janvier 2009

Brouir ou conduire, il faut choisir

Notre président ne connaît pas le repos. Il ne lui aura pas fallu longtemps pour lancer sa première fusée intellectuelle, pour reprendre cette si exacte expression de Philippe Bilger, de l'année 2009.

Comme ce fut le cas il y a un an avec la disparition de la pub sur le service public, on sent que plus de soin a été apporté à la précipitation de l'annonce qu'à la réflexion sur la faisabilité. Il suffit que la mesure réponde immédiatement à un fait divers, satisfasse un public frustré par une colère impuissante, aggravée par les dérangements digestifs d'un lendemain de Réveillon, et que le Bon Sens y appose son sceau pour que la mise en orbite ait lieu.

Voyons le cru 2009 :

PARIS (AFP) — Le président Nicolas Sarkozy souhaite empêcher les incendiaires de voitures de passer le permis de conduire "aussi longtemps que la victime des faits ou le fonds de garantie n'a pas été indemnisé en totalité".

Jeudi, en recevant à l'Elysée les personnels de services publics ayant travaillé durant la nuit de la Saint-Sylvestre, le chef de l'Etat a affirmé que "tant que (les incendiaires) n'auront pas réglé les conséquences de leur forfait, ils ne passeront pas le permis de conduire".

Le chef de l'Etat a affirmé vouloir "que l'on réfléchisse à la possibilité pour les juridictions pénales d'interdire à un mineur condamné pour des faits d'incendie de véhicule de passer un permis de conduire pour des véhicules deux ou quatre roues aussi longtemps que la victime des faits ou le fonds de garantie n'a pas été indemnisé en totalité".

« On » étant toute autre personne que le président, trop occupé à avoir des idées pour s'occuper de détails comme la faisabilité, ou l'efficacité. Je prédis une commission et un rapport.

Et comme d'habitude, pour soutenir la mesure : l'argumentation négative. Je ne vais pas dire pourquoi je le fais, je vais dire qu'il n'y a pas de raison pour ne pas le faire.

"Il n'y a aucune raison que ce soit les honnêtes gens qui aient à payer les conséquences des comportements de délinquants", a-t-il ajouté.

Comme le faisait observer une (é)lectrice au sujet de la rétention de sûreté : peu importe que ça ne serve à rien ; rien ne serait pire que de ne rien faire. La gesticulation plutôt que l'inaction. D'un point de vue rationnel, ça se discute (l'inutile et l'inefficace ont un coût supérieur à l'inaction pour un résultat similaire) ; du point de vue politique, il n'y a pas photo : ça marche.

En ces lieux, on préfère le rationnel à la politique. Assumons donc le rôle du « on » présidentiel et voyons en quoi il y a loin de la coupe de champagne aux lèvres.

L'idée est de faire pression sur les auteurs mineurs des incendies de voiture pour qu'ils indemnisent leur victime. La sanction serait de leur interdire de passer le permis jusque là. On pouvait aussi les priver de dessert ou de télé, mais non, ce sera le permis.

Voyons les objections de principe avant de voir les difficultés pratiques.

Objections de principe.

D'abord, pourquoi les mineurs seulement ?

Bien sûr, on est certain qu'un mineur n'a pas le permis. Mais pourquoi un majeur condamné pourrait-il aussitôt sorti du tribunal aller passer l'examen de conduite, tandis qu'un mineur verra cette échéance suspendue jusqu'au complet paiement des dommages-intérêts ? Premier reproche : l'incohérence.
Deuxième reproche : l'injustice. En principe, les mineurs sont mieux traités que les majeurs, car ils sont immatures, influençables (notamment par des majeurs non concernés par la mesure), et le passage à l'acte révèle souvent un problème plus profond. Ici, on vote une mesure qui les traitera plus durement que des majeurs. C'est une première. À rapprocher des propos qui accompagnent l'annonce de la réforme de l'ordonnance de 1945 sur les mineurs et qui fait de nos enfants des êtres sans foi ni loi dont il faut avoir peur. À croire que pour le Gouvernement, il n'y a que deux types de mineurs : les délinquants et les victimes de pédophiles.

Ensuite, pourquoi les véhicules seulement ?

Tout incendie est grave en soi, et un feu de boîte aux lettres peut se propager à l'édifice. Ou alors, il faut compléter le dispositif. Une cabine téléphonique détruite ? Interdiction d'avoir un portable jusqu'à ce qu'il ait remboursé. Un feu de poubelle ? Défense de sortir ses poubelles, il vivra avec ses détritus jusqu'à ce qu'il ait remboursé les services de la voirie. Vous voyez l'absurde.

Ensuite, pourquoi le permis de conduire ?

Là, on est en présence de réflexes issus du droit archaïque. “ Il a fâché le dieu des automobilistes, il doit faire un sacrifice pour apaiser sa colère ”.
Car si l'interdiction de passer le permis de conduire existe dans l'arsenal pénal, c'est pour des infractions commises lors de la conduite d'un véhicule. Si l'article 131-6, 3° du code pénal prévoit la faculté pour le juge de prononcer à titre de peine principale l'annulation du permis avec interdiction de le repasser pendant une période pouvant aller jusqu'à 5 ans, ce pour tout délit passible d'emprisonnement, un juge n'aura recours à une telle peine que pour des infractions au cours desquelles l'usage d'une automobile a été un facteur essentiel, de sorte que cette interdiction empêche le renouvellement de l'infraction. Mais en quoi une interdiction de passer le permis prévient-elle le renouvellement d'une infraction de destruction volontaire par incendie ?

Il faut tout de même rappeler que le permis de conduire n'est pas une faveur faite par l'État à des citoyens méritants. C'est une mesure de police, une restriction à la liberté d'aller et venir de chaque citoyen justifiée par des raisons de sécurité publique, que je ne conteste pas en soi : conduire un véhicule suppose des compétences, des réflexes qui s'acquièrent et des connaissances juridiques minimales[1], et le permis de conduire sanctionne, après un examen, la connaissance de ces éléments. Refuser la simple possibilité de solliciter cette autorisation pour soutenir des intérêts privés (un particulier n'est qu'un particulier, et le Fonds de Garantie n'est pas l'État, c'est une structure de droit privé financée par les assurances), à savoir le paiement de dettes, ne repose sur aucune légitimité et relève de l'abus de pouvoir par l'État.

Difficultés pratiques

La réforme supposerait d'abord que l'auteur ait été identifié. Or sur les 1147 autodafés de la Saint-Sylvestre officiellement recensés, combien d'auteurs ont-ils été arrêtés ? Sur les 288 interpellations officielles de la nuit, combien concernent des auteurs d'incendie ? Et sur ces auteurs arrêtés, combien de mineurs ? Silence radio. Et pour cause. Je ne sais pas s'il y en a un seul.

Tout simplement parce que les incendiaires sont déjà loin quand l'incendie est détecté, et encore plus loin quand la police arrive sur place. Pas de témoins (il fait nuit et les gens réveillonnent chez eux), pas de traces récupérables : les flammes détruisent les empreintes digitales ou l'éventuel ADN.

Autant dire que l'argument de la dissuasion fait long feu : tous les auteurs de ces incendies sont convaincus d'échapper à la justice pour ces faits, et la plupart du temps, ils ont raison.

D'autant plus que toutes les voitures brûlées la nuit de la saint-Sylvestre ne sont pas victimes de sauvageons pyromanes. Les assurances remboursent les incendies du Nouvel An sans trop y regarder : tradition des incendies, nombre de dossiers, pression des autorités. C'est le jour idéal pour se débarrasser d'un vieux tacot en panne mais encore coté à l'argus.

Ensuite, cette réforme impliquerait que la victime ait obtenu un jugement de condamnation ou que le Fonds de Garantie des Victimes d'Infraction ait indemnisé. Cela exclut donc les affaires où le propriétaire, découragé ou résigné, ne donnera pas de suite et fera jouer son assurance. Pas de condamnation, pas d'indemnisation, pas d'interdiction de permis.
Si le mineur auteur des faits a été identifié, pas de problème. Le tribunal pour enfants prononcera la condamnation, et la victime pourra utiliser le nouveau dispositif d'aide au recouvrement pour se faire avancer les sommes par le Fonds de Garantie (dans la limite de 3000 euros). Le remboursement intégral suppose le paiement du solde à la victime, le remboursement au Fonds des sommes avancées, outre le pourcentage supplémentaire au titre des frais de recouvrement.

S'il n'a pas été identifié ou si la victime n'a pas envie de se constituer partie civile, l'article 706-14-1 du CPP prévoit un mécanisme autonome d'indemnisation, si le propriétaire du véhicule a des revenus mensuels inférieurs à 1966,50 euros[2], dans la limite de 4000 euros. Mais rappelons que l'auteur des faits n'est généralement pas identifié. Il pourra donc aller passer le permis à 18 ans sans avoir à rembourser quoi que ce soit.

Autre problème : les parents sont civilement responsables de leur enfant mineur : art. 1384 du Code civil. C'est à dire qu'ils doivent indemniser les victimes de faits dommageables commis par leur rejeton. Quel que soit son âge. Même sans faute pénale. Donc si un mineur est condamné pour destruction volontaire par incendie, ses parents seront cités devant le tribunal en tant que civilement responsables (c'est la terminologie officielle), par opposition au mineur, prévenu, pénalement responsable (la peine ne peut frapper que l'enfant : on ne peut aller en prison pour un délit commis par son enfant). Pour peu que les parents soient un tant soit peu solvables, la victime ou le Fonds de Garantie auront été indemnisés… par les parents. Victime indemnisée, Fonds de Garantie remboursé ? Le galopin pourra aller passer le permis avec la bénédicition du président, sans avoir sorti un centime de sa poche.
Bref, la mesure n'est susceptible de faire pression que sur des mineurs issus de familles pauvres, qui ne pourront payer les dettes de leur chérubin. Si quelqu'un comprend où se trouve la justice là-dedans, je lui saurai gré de me l'expliquer.

Et concrètement, au fait, on fait comment, pour savoir si l'impétrant conducteur est venu à l'auto-école adorer ce qu'il a brûlé ?

La condamnation pour destruction volontaire est certes inscrite au casier judiciaire. Mais à partir de là, ça se complique.

En fait, il y a trois casiers judiciaires, plus exactement trois bulletins reflétant de manière plus ou moins complète le contenu du casier. Le bulletin n°1 (dit le « B1 »), réservé à la justice, est le relevé intégral des condamnations. Le n°2 est accessible aux administrations et à certains établissements publics lors du recrutement, et est un peu moins complet (notamment n'y figurent pas les condamnations avec sursis une fois que le délai d'épreuve est terminé) ; et le n°3, qui ne peut être demandé que par la personne concernée, est encore moins complet. Disons qu'il vous donne la garantie que vous ne devriez pas être en prison.

Or les condamnations des mineurs ne figurent pas au bulletin n°2 du casier judiciaire : art. 775, 1° du CPP. Donc une préfecture, ne peut, en demandant le bulletin n°2 d'un impétrant conducteur, s'il a ou non été condamné pour une jeunesse un peu trop flamboyante.

Qu'importe, rétorquerez-vous : qu'il demande au procureur de mirer le bulletin n°1 pour lui. Outre le fait que les procureurs ont mieux à faire que commander un B1 pour chaque candidat au permis, les condamnations des mineurs pour des faits délictuels sont également effacées du B1 dans un délai de trois ans à compter de la majorité s'il n'est pas condamné pour un crime ou un délit dans ce délai (art. 769, 7° du CPP). Donc un incendiaire à 17 ans peut se présenter à l'auto-école le lendemain de ses 21 ans avec un casier virginal et une dette en souffrance.

Cela suppose donc la création, fort coûteuse, d'un nouveau fichier qui répertorierait uniquement les rares condamnations de mineur pour incendie et serait, je ne sais comment, mis à jour des paiements effectués, deuxième condition de l'interdiction envisagée.

Car saurait-on qu'il a été condamné pour incendie de voiture qu'il faudrait ensuite s'assurer qu'il n'a pas indemnisé la victime ou le Fonds. S'agissant d'une dette purement privée, ça risque d'être délicat. Si le Fonds a payé, ce sera facile : un courrier suffira. Mais si c'est la victime, encore faudra-t-il la retrouver, et qu'elle réponde. Alors, dans le doute ? Il peut ou il ne peut pas passer le permis ? Et si la victime a renoncé à être indemnisée ? Faut-il considérer que la dette est payée (pour le Code civil, c'est oui) ? Ou faut-il qu'il paye néanmoins, mais à qui ?

Et au fait, si le mineur a un besoin ardent du permis pour pouvoir travailler et ainsi indemniser la victime ?

Encore une fois, nous sommes en présence d'une politique d'annonce, et fort efficace du point de vue médiatique : les journaux en parlent tous. Elle donne l'impression d'un président qui agit, sans que personne ne se dise que tiens, vu que ça fait 6 ans qu'il est aux premières loges pour voir flamber les voitures au Nouvel An, il aurait peut-être pu y penser avant, ni ne s'interroge sur la faisabilité ou l'efficacité réelle du projet. Un fait divers = une annonce.

Avec à la clef, un (vague) projet, à l'effet dissuasif nul, dont la réalisation promet d'être difficile et coûteuse, pour un résultat qui sera forcément inefficace car ne frappant qu'une toute petite partie des personnes concernées. Mais une opinion publique bien contente.

De ce point de vue, 2009 s'inscrit pleinement dans la continuité.

Notes

[1] Et oui, ce qu'on appelle le Code, c'est un examen de droit…

[2] Il s'agit d'1,5 fois le pafond de l'aide juridictionnelle partielle. Le revenu est calculé par foyer, avec une majoration par personnes à charge. Soit 1966,50 euros pour une personne seule ou un couple sans enfants, 2147,05 euros avec un enfant, 2382,55 avec deux enfants, et 148,50 euros par personne à charge supplémentaire.

mardi 2 décembre 2008

Est-ce bien raisonnable ?

Par Dadouche


Ayant depuis peu lancé mon propre élevage de taupes, je dispose, tout frais tout chaud, du rapport de la Commission Varinard [1]de Réforme de l'ordonnance du 2 février 1945 relative aux mineurs délinquants, intitulé « Entre modifications raisonnables et innovations fondamentales : 70 propositions pour adapter la justice pénale des mineurs ».

Bon, soyons modeste, vu les fautes de frappe et la mise en page défaillante du document dont je dispose, ce n'est pas la version qui atterrira sur la bureau de la Garde des Sceaux (que mille bénédictions pleuvent sur ses invitations à déjeûner). Mais presque.

Rappelons à titre liminaire la mission assignée à cette commission :

La lettre de mission adressée par la Ministre au Président de cette commission assigne au groupe de travail trois axes de réflexion :

  • assurer une meilleure lisibilité des dispositions applicables aux mineurs,
  • renforcer la responsabilisation des mineurs notamment en fixant un âge minimum de responsabilité des mineurs et en assurant une réponse pénale adaptée et une sanction adéquate graduée et compréhensive par tous,
  • revoir la procédure et le régime pénal applicables aux mineurs.

Alors, il dit quoi ce rapport "raisonnable" ? Je vais le détailler ci-dessous.
Ce ne sont pas des appréciations de fond, mais uniquement des éléments factuels, éclairés éventuellement par la situation existante, pour nourrir le débat au delà des gros titres

En ce qui me concerne, j'y trouve des propositions intéressantes, voire pour certaines attendues des praticiens. D'autres me laissent plus dubitative.

Il est intéressant de noter que la commission s'est fixée comme objectif de formuler des propositions "raisonnables", adjectif qui traduit précisément la volonté de la commission de proposer des réformes efficaces mais constitutionnellement acceptables et susceptibles d’être comprises par le plus grand nombre dans un domaine qui suscite les passions.
En principe donc, pas de révolution, mais des "innovations fondamentales". Voyons voir ça...

Notes

[1] la composition se trouve ici

Lire la suite...

jeudi 23 octobre 2008

23 heures, c'est mon tour…

Conte prophétique, histoire fictive d'éléments vrais, par Marcus Tullius Cicero, substitut


23 heures, c’est mon tour, …


Je patiente depuis une heure déjà dans l’antichambre du bureau de la Garde des sceaux, pendant que mon procureur subit l’interrogatoire des inspecteurs de l’IGSJ requis avec célérité par la ministre.


Mon estomac est vide depuis midi, et j’entends mon cœur qui bat. Je sais que si mes enquêteurs avaient procédé de la sorte contre un des gardés à vue, dont j’ai la responsabilité et le contrôle, ils auraient entendu parler de moi ! Mais, je sais qu’ils n’en ont jamais eu l’idée, simplement parce que mes policiers et gendarmes sont des gens responsables, honnêtes, loyaux, et humains, et savent qu’avec notre parquet on ne transige pas avec les droits humains, y compris avec le dernier des voyous.


Mais bon, depuis quelques temps j’avais le pressentiment que ça finirait par m’arriver…


Une fois de plus, un mineur - 17 ans - vient de se donner la mort dans la cellule de notre maison d’arrêt. C’est le 4ème pendu depuis le début de l’année. Lorsqu’on m’avait déferré après son interpellation ce garçon multirécidiviste, pour mettre à exécution un jugement de condamnation du tribunal pour enfants, j’avais pourtant indiqué sur sa fiche qu’il fallait prendre des précautions - on le fait systématiquement - qu’il se pourrait qu’il ait des tendances suicidaires - c’est souvent le cas chez les adolescents, ils passent de l’exubérance à la déprime la plus noire, surtout quand ils ont pris longtemps des stupéfiants - , appliquant sans état d’âme le nouveau décret du 10 octobre 2008 pris par la Garde des sceaux le lendemain matin d’un précédant suicide.


Je suis accablé des conséquences de ma décision d’incarcération. J’ai deux fils de 13 et 16 ans, ce n’est pas virtuel pour moi. J’ai mal pour ses parents, même s’il se peut que ses parents n’ont peut-être pas fait tout ce qu’ils pouvaient pour lui.


Ce qui me trouble le plus c’est que c’est pourtant la même Garde des sceaux, qui a rédigé une circulaire demandant aux parquets de requérir systématiquement les « peines planchers » contre les récidivistes et, en cas de refus par le tribunal de s’y conformer, de relever appel des décisions contraires. C’est la même qui a demandé que l’on fasse preuve d’une sévérité accrue contre les mineurs. C’est toujours elle qui dans la même semaine a convoqué cinq procureurs généraux - leur taux de peines planchers étant supposé inférieur à la moyenne nationale - pour explications, annoncé une réforme de la minorité pénale pour la faire passer de 13 ans à 12 ans, stigmatisé la violence des mineurs, certes bien réelle mais qui s’est soucié pendant des années d’une politique efficace contre le cannabis, consommé par eux depuis parfois l’âge de 10 ans !


J’ai encore en mémoire les mises en garde par le principal syndicat de magistrats qui dénonçait le risque de ces « peines planchers, loi inutile et dangereuse, qui restreint le pouvoir d’appréciation des magistrats et les met dans des situations humaines et professionnelles impossibles et porteuses de risques disciplinaires » (communiqué USM du 26 novembre 2007).

Je me pose et me repose sans cesse la question quand notre système a-t-il dérapé ?


*


Pourtant j’étais heureux et fier d’avoir intégré la magistrature 3 ans plus tôt. Bien sûr il y avait eu OUTREAU, mais c’était un petit juge seul, trop jeune, « manquant d’épaisseur » comme l’avait affirmé un membre de la commission d’enquête parlementaire. S’il l’avait dit, c’est qu’il devait y avoir du vrai, ne dit-on pas « il n’y pas de fumée sans feu », ce que me sussurait encore hier ma voisine, Madame MICHU - sainte femme -. De toute façon je n’étais pas concerné, j’étais parquetier, alors les problèmes d’un juge d’instruction… Et puis la justice française rend 4 millions de jugements chaque année. Un cas sur 4 millions, ça me semblait rester dans le domaine de l’exception qui confirme la règle, la justice est rendue par des hommes pas des dieux…


Mais je me souviens que j’avais été troublé. Je venais de quitter le barreau après une carrière de près de 20 ans associé d’un cabinet d’affaires. Au fur et à mesure de mon travail j’avais acquis le respect de mes pairs, de mes clients, des magistrats. Gagnant confortablement ma vie, j’avais à l’époque croisé le fer à la barre avec les grands … Il n’y a en qu’un que je n’avais pas beaucoup vu au barreau, c’était Maître SARKOZY, mais je crois qu’il ne plaidait pas vraiment beaucoup, même à l’époque. Je parle d’un temps ou Jean-Louis BORLOO était l’avocat de Bernard TAPIE, ou le développement durable, l’écologie, n’étaient pas sa tasse de thé, ou son client démantelait les entreprises qu’il achetait au franc symbolique et revendait 10 fois le prix par morceau … J’apprends que ce dernier va toucher 280 millions d’euros, parce que le Crédit Lyonnais avait, parait-il, fait un peu pareil avec sa société en faillite. J’apprends aussi que chaque arbitre de cet arbitrage, arraché à la procédure judiciaire par l’intervention de BERCY, gagnera 300.000 euros d’honoraires, alors que je perçois quarante six euros pour mes nuits de permanence. 46 euros pour partir la nuit sur une scène de crime, contrôler la garde à vue d’un mineur, prendre des décisions dans un demi sommeil...


Je savais que j’allais faire un métier d’abnégation, j’ignorais que je ferais un métier de chien ! Je suis passé du traitement d’avocat d’affaires à celui de substitut du second grade, par vocation, tardive certes mais puissante, par goût de servir la justice et mes concitoyens. Je ne dis à personne combien je gagne, j’ai trop honte, on me prendrait pour un raté, dans le meilleur des cas pour un fou, je ne sais pas comment expliquer à mes amis le désintéressement, la noblesse de servir, … et c’est d’autant plus difficile que nous sommes déconsidérés au plus haut niveau de l’Etat. D’ailleurs pour ne pas que nous puissions avoir la grosse tête, que l’on soit président, procureur, procureur général, juge ou substitut, nous voyageons en 2ème classe, dormons dans des hôtels Formule 1. Les préfets et autres hauts fonctionnaires nous regardent avec un rien de condescendance nous rendre à leurs réunions en véhicule de service, Renault Scénic, Peugeot 106. Il y a belle lurette qu’ils ont compris que les magistrats étaient les « petits pois » de la République.


Je crois que la devise des magistrats pourrait être puisée dans cette maxime de l’empereur MARC AURELE « habitue toi à tout ce qui te décourage ».



* * *

Vingt trois heures trente, ça commence à faire long… Ma chemise est trempée d’une froide sueur, je n’ai pas eu le temps de me changer ayant été convoqué en catastrophe, je me sens sale.

J’entends derrière la porte épaisse des éclats d’une voix aiguë, non maîtrisée. Je crois que c’est mon procureur qui se fait insulter. Les mots « incapables, incompétents, déloyal », fusent et résonnent. Deux gendarmes sont entrés dans le bureau. Si j’ai bien compris ils viennent, sur ordre, contredire mon chef sur un détail essentiel - le mineur a-t-il été interpellé chez un ami ou dans un squat ? Effectivement ça change tout ! – il se fait tancer comme un laquais de l’ancien régime. Je croyais que les gens de robe avaient peu ou prou contribué à la Révolution française, pour que tous les hommes soient traités avec humanité ?


J’ai dû rater un épisode…


Je suis perdu dans mes pensées. Je réfléchis à ce que je vais lui dire, si elle veut bien m’écouter. A 48 ans, ayant fait un passage dans l’armée je ne me souviens pas avoir jamais parlé à un de mes soldats de la sorte - j’aurais eu trop honte de dénaturer « Le rôle social de l’officier » prôné par LYAUTEY -, ni surtout à mes collaborateurs lorsque j’étais avocat associé. Non décidemment je n’aime pas ces méthodes fondées sur l’irrationnel, l’injuste, l’incohérent.

Petit, je détestais cette morale de LA FONTAINE « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » et me voici en passe de me faire « caraméliser » comme mon procureur et avant lui, mon procureur général, pour avoir appliqué une loi de la République !


Je prépare mon argumentation. Ce n’est pas possible, elle doit être mal informée, mal conseillée par sa pléthore de conseillers. D’ailleurs, ne lui a t-on pas rapporté récemment qu’il n’y avait eu que 90 participants au congrès national de l’USM à CLERMONT-FERRAND, alors que le nouveau président a été élu par plus de 750 voix dans un amphithéâtre de la faculté de droit, plein à craquer. On doit pouvoir s’expliquer entre personnes raisonnables et honnêtes. Mais il est vrai que dans son cabinet c’est la débandade depuis un an. Cela ressemble à un bateau ivre dans la tempête.



* * *



Minuit …


Je vais essayer de rappeler à l’ancienne substitut qu’elle a été, les jours et les nuits de permanence, à raison d’une semaine par mois, sans récupération, au contraire des policiers, gendarmes, douaniers, …. Ces nuits sans sommeils ou l’on est réveillé deux à trois fois en moyenne. Les enquêteurs agacés qui ne comprennent pas pourquoi notre voix est embrumée au téléphone. J’ai beau leur expliquer que je suis à la fois l’équipe de jour et de nuit, que tout à l’heure quand il fera jour je serai à la barre, assurerai l’audience devant le juge des libertés et de la détention pour la prolongation d’un détenu dont je ne connais pas le dossier, - je suis constamment en terrain mouvant, si je requiers la détention provisoire et que le mis en cause est innocenté la presse me reprochera « un disfonctionnement judiciaire », si je requiers un contrôle judiciaire (la liberté constitue la règle) et qu’il commet un nouveau délit, une autre partie de la presse critiquera « une nouvelle bavure judiciaire » -.


A t’elle encore en mémoire les 10 signalements quotidiens du Conseil général, des pédopsychiatres, des médecins, des assistantes sociales, des parents d’enfants,…, à ma collègue des mineurs qui a déjà 400 procédures en attente, concernant précisément des mineurs en danger. Signalements justifiés ou non, pour lesquels chaque matin elle oscille désagréablement entre l’impression de commettre un nouvel « OUTREAU », ou déceler une nouvelle affaire d’ANGERS, sans pouvoir toujours démêler le vrai du faux, le réel du fantasme, dans ce contentieux particulier de « la parole ».


Il faut que je puisse lui présenter quelques mots sur le courrier général : 25.000 procédures par an dans mon parquet pour sept magistrats, soit 3.500 procédures par tête,… une minute pour prendre une décision sous peine de crouler sous la masse. Peut-être ne sait-elle pas que pendant un an on s’est retrouvé à quatre, soit 7.000 procédures par personne ! A t’elle oublié si vite combien nous sommes démunis dans les parquets à qui on eu de cesse de charger la barque ? Nous n’avons ni greffier, ni secrétaire, ni dactylo, ni assistant, nous tapons tous nos réquisitoires, rapports d’appels au parquet général, de signalement, d’actualisation, notes, courriers aux justiciables, plaignants, mis en cause, avocats, mandataires, enquêteurs ? Qu’enfin on ne peut plus décemment, raisonnablement, humainement, traiter une telle masse sans aucun risque.


Je compare mon parquet avec celui de MONS (Belgique) d’un ressort équivalent. Il y a chez eux 40 magistrats et autant d’assistants de justice…



Va t-elle comprendre enfin que depuis que je suis magistrat, je suis en état d’insécurité juridique faute de connaître toutes les lois, « nul n’est censé ignorer la loi ». Cette blague !

La loi est folle, incompréhensible, c’est un babil redondant et contradictoire. Entre 1885 et 2000 (en 115 ans) il y a eu 21 textes concernant le régime et/ou l’application des peines. Entre 2000 et aujourd’hui (en 8 ans), 26 !

D’un gouvernement à l’autre on affiche d’autres priorités, souvent contradictoires entre elles, d’où cette extraordinaire impression de schizophrénie. La société actuelle veut tout et son contraire : la peine sans le risque de l’erreur, la présomption d’innocence sans le risque de la réitération, la réinsertion sans le risque de la récidive.


Après « OUTREAU », il ne fallait plus mettre personne en détention provisoire, une loi a même été votée supprimant le critère du trouble à l’ordre public pour les délits. Karine DUCHOCHOIS à la radio est devenue l’animatrice des nouvelles élégances judiciaires. Trois mois plus tard, on nous enjoignait de mettre en prison tous les mineurs et deux mois encore après de placer en détention un adulte qui avait photographié des sous-vêtements d’enfants à Eurodisney, en raison du trouble profond provoqué à l’ordre public, soit exactement le contraire de ce qui venait d’être voté ! C’est nous qui sommes profondément troubléS.


Magistrat du Ministère public, je porte dans les plis de ma robe, à l’instar de mes 2.000 collègues, la définition du jurisclasseur « Le ministère public est le représentant de la Nation souveraine, chargé d'assurer le respect de la loi. Magistrat à part entière, à ce titre garant à la fois des libertés individuelles et des intérêts généraux de la société, le magistrat du ministère public bénéficie dans l'exercice de ses attributions, d'une délégation directe de la loi qui lui confère sa légitimité. Il ajoute ainsi à son autorité de magistrat la majesté de la puissance publique qu'il incarne, et agit, non pas au nom de l'Etat ni du gouvernement, mais en celui de la République, à qui l'ensemble des citoyens a délégué sa souveraineté ».


Je sers la loi universelle, générale, impersonnelle. J’ai du mal avec la loi « siliconée », celle qui se moule à l’opinion publique, qui dure ce que dure les roses…


J’évoque MONTESQUIEU : « La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté ; et, pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.

Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques, pour les exécuter tyranniquement.

Il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire ; car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur.

Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. » (L'Esprit des Lois).


Ou encore « Les lois inutiles affaiblissent les nécessaires. »


On me répond : « Voici », « Gala », « Vsd », « Paris Match » !


Comme dirait mes enfants, « on est pas en phase », nous ne sommes tout simplement plus dans le même espace temps.



* * *



Minuit trente, me voici seul et responsable …


Pourtant je ne me suis jamais senti irresponsable, simplement je croyais que l’acte de juger, de décider, de trancher, était encadré par les voies de recours, pas la revanche !


Lorsque j’étais avocat j’étais assuré pour ma responsabilité professionnelle. Comme magistrat je n’ai aucune assurance et pas les moyens de m’en payer une et d’abord auprès de quelle compagnie ? Aucun assureur ne prendra en charge la responsabilité des magistrats, dont l’étendue variera évolue au gré des caprices, horions, quolibets, et lazzis des insatisfaits.


Et pourtant vous voulez malgré cela me rendre personnellement responsable des fautes lourdes, déni de justice, non respect des droits de la défense, mais aussi de la faute simple pour les tutelles, passible des recours des justiciables contre mes décisions - j’espère que vous avez prévu pour le nouveau CSM composé de nominés politiques (qui ont peut-être quelque compte à régler) du personnel… car il va être rapidement engorgé -.


Et oui, car nous sommes voués de par nos fonctions - à égale distance des parties nous commande notre devoir - à créer 50 % de mécontents par procès dans le meilleur des cas (en justice il y a toujours un gagnant et un perdant), quand ce ne sont pas 100 % de mécontents (celui qui n’a pas obtenu tout ce qu’il voulait, celui qui ne voulait pas être condamné).


Tout ceci finira par me conduire, non plus à servir la loi mais, à me protéger...


* * *

Minuit quarante cinq… les portes claquent, j’entends le journal de « LCI » dans le bureau ministériel où trône un écran plasma allumé, illuminé devrais je dire, tel un néon sur les états d’âme des français …


Je dois pourtant au moins lui exposer que les magistrats de ce pays ont probablement, modestement mais efficacement, avec d’autres - les policiers, les gendarmes qui ont été publiquement remerciés par leur ministre -, sauvé la République 10 fois ! Elle n’est pas sans savoir qu’à chaque élection, chaque manifestation, sans même rappeler novembre 2005, des « sauvageons » embrasent nos voitures, nos commerces, nos villes. Et ce sont les policiers, les parquetiers, les juges qui maintiennent l’ordre et la justice dans nos cités, jusque tard la nuit. Sans merci de quiconque.


N’a t-elle plus en mémoire ces audiences harassantes de 20 à 30 dossiers s’achevant jusqu’à point d’heures et que l’on est bien forcé d’enrôler pour pouvoir évacuer un contentieux exponentiel dans lequel des hommes et des femmes expriment de plus en plus durement la haine des autres, de la société, leur égoïsme. Le stock d’affaires pénaleS augmente sans cesse. En 1968 il y avait 600.000 plaintes pénales pour 6.000 magistrats, en 2007 il y a 5.300.0000 plaintes et 8.000 magistrats, quasiment le même nombre qu’au Second Empire. Cela représente une augmentation de 900 % de la délinquance en 40 ans, pendant que le nombre de magistrats augmentait de 30 %  sur la même période !

Or, contre toute attente vous avez décidé brutalement de supprimer la moitié des juridictions alors pourtant que la France entre 1958 et 2008 avait vu sa population augmenter de 16 millions, le nombre des recours aux tribunaux se multiplier à due proportion, de sorte qu’entre les permanences, les réquisitoires, les jugements, la masse du courrier, les audiences jusqu'à plus d'heures, les réunions, les opérations de-ci et delà, les nouvelles lois, les décrets appliquant les nouvelles lois, les circulaires de 60 pages expliquant les décrets appliquant les nouvelles lois, les lois à effet retard, tout ceci à moyens non pas constants, mais amputés et qu’il était devenu progressivement impossible de rendre la justice dans la sérénité.


D’où me vient cette sensation d’essayer de vider la mer avec une petite cuillère ? Dans son discours de rentrée solennelle de janvier 2007, le procureur de la République de PARIS écrivait que « les chiffres s’alignent comme autant de témoins objectifs de l’engagement méconnu de magistrats qui, au sein de cette institution spécifique qu’est le ministère public de notre pays, accomplissent sans relâche la mission que leur assigne la loi ».


Rien n’y fait pourtant. Quels que soient nos efforts, les journalistes, les politiques, nos concitoyens ont des œillères. Après avoir abandonné les profs, les policiers, les gendarmes, les gardiens de prison, l’Etat caillasse les pompiers de la République qui tentent d’éteindre le feu dans la maison avec leurS pauvres codes désuets, leurs principes surannés d’indépendance, d’égalité.

Comment ne voit-il pas qu’après nous, il n’y a plus rien. Nous sommes les digues, les derniers remparts. Lorsque les bornes sont dépassées, disait Pierre DAC, il n’y a plus de limites.

Nous avons systématiquement tort et notre Ministre reste muette, sourde à nos angoisses.



* * *



Une heure du matin, ça bouge.


La porte s’ouvre et se ferme à intervalle régulier. Des rayons de lumières rendent plus sinistreS les ors de cette antichambre où nombre de serviteurs de l’Etat ont été brisés, peut-être comptabilisera-t-on bientôt les dépressions, démissions et suicides chez les magistrats ? Pour un juge BOULOUQUE crucifié dans la lumière, combien de drames familiaux restés dans l’intimité des familles…


Je réalise à cet instant que j’ai quitté ma famille depuis 3 ans, pour vivre dans une chambre de 15 m2, célibataire géographique… grandeur et servitude.

Je n’ai pas vu grandir mes enfants depuis ces dernières années, ni pu obtenir le réconfort de mon épouse lorsque j’étais parfois découragé après mes 30 dossiers à l’audience, mes 90 règlements et autant de rapports, signalements et plus encore de nuits perturbées.


Tout cela pour me retrouver accusé en ces hauts lieux. Coupable, sans procès équitable, sans avocat, d’avoir appliqué la loi, toute la loi, rien que la loi.



* * *



Une heure trente, ça se précise…


La porte s’ouvre. Mon procureur apparait. Il est livide, les yeux rougis. Ses lèvres tremblent. Il semble brisé. Les 5 inspecteurs l’entourent, le visage fermé.


On m’explique que je dois faire mon autocritique. Comme dans la Chine du grand Timonier. J’ai commis une grave faute. Je n’ai pas devancé ce que le Peuple attendait de moi. Je n’avais pas de boule de cristal.


Pourquoi ai- je la sensation de quelque chose d’absurde, de fou et de dérisoire à la fois ?


C’est décidé, tout ce cirque m’agace. Je suis passé de la déroute au dégoût, de la détresse à la rage.


Je mets un terme à cette gesticulation.


Je tourne les talons, formule une impolitesse et claque la porte. Il parait que jeudi il y a une mobilisation de la Justice dans toute la France.

jeudi 16 octobre 2008

Vu à la télé

Par Dadouche



20 h 55 : je m'installe devant ma télé.
Le programme est alléchant : Rachida Dati dans "A vous de juger". Arlette Chabot nous annonce "la ministre dont on parle le plus", celle dont "les dossiers soulèvent des polémiques".
Une remarque tout de même en passant à l'intention de France 2 : au tribunal, quand une femme "dans un état intéressant" se présente à la barre, on lui propose au moins une chaise. Enfin moi, ce que j'en dis....

S'ensuit une vingtaine de minutes sur "la femme et son oeuvre", avec des questions insistantes (et parfaitement déplacées) sur son état.

Enfin, on aborde les choses sérieuses. Et là, c'est l'illumination.
Je crois que j'ai enfin compris le malentendu.

Nous, magistrats, bêtement, quand on entend "Garde des Sceaux", on pense rédaction de projets de loi et de décrets, politique pénale, réflexion sur les équilibres de la procédure, budget, fonctionnement des juridictions, dialogue avec le personnel judiciaire et les auxiliaires de justice. On pense utile quoi.
Le ministre place Vendôme, au conseil des Ministres et au Parlement à faire son job et nous dans nos tribunaux à essayer de faire le nôtre, et les sauvageons seront bien gardés.

Mais quand la Garde des Sceaux décrit sa fonction, elle donne la fiche de poste d'une VRP de la compassion, de la championne des victimes, de la terreur des malfaisants, de la reine du terrain : protéger les Français, sanctionner les multirécidivistes, rapprocher les Français de leur justice. C'est Rachida d'Arc, qui a entendu les voix de Nicolas Sarkozy.

"Ma place est sur le terrain".
La ministre cite quelques déplacement essentiels à sa fonction : la rencontre au centre hospitalier de Bordeaux avec une enfant violée qui a perdu sa mère et que la Justice est là pour protéger, la visite à la maison des adolescents, une visite (quand même) à la cour d'appel de Douai. En tout 120 déplacements depuis 18 mois.
Ce qu'elle aimerait qu'on dise d'elle ? "Elle a renforcé la justice, elle nous a protégés, elle a sanctionné les délinquants".

En fait, la Garde des Sceaux n'est pas ministre de la Justice. Elle EST la Justice. ELLE protège, ELLE sanctionne, ELLE assume.
Bon, entendons nous bien, quand elle protège, c'est du lourd. On ne parle pas de violence routière, de vols à l'arraché ou de petit trafic de shit. Non, son créneau, ce sont les pédophiles dangereux, les meurtriers en série, les vrais monstres.
D'ailleurs, elle voit des criminels partout, puisqu'elle nous ressert son antienne sur "les seuls mineurs incarcérés sont ceux qui ont commis des actes criminels". Il faut croire que le ressort où j'exerce est peuplé de mineurs qui ont violé, tué ou braqué, puisqu'il y en a en permanence à la maison d'arrêt. Curieux, moi j'ai plutôt prononcé des condamnations pour des vols aggravés, des violences, des extorsions, des mises en danger de la vie d'autrui ou des incendies.

Passons, relever toutes les erreurs ou approximations prendrait trop de temps.

Quelques perles tout de même : les mineurs en CEF sont alcooliques depuis l'âge de 11 ans (celle là est en récidive), la moitié des magistrats se sont mis en grève en 2000, "les mineurs ne vont en prison que pour des affaires criminelles, c'est le code qui le dit".

Il y a eu des fulgurances.... à la conclusion décevante : si la délinquance des mineurs continue à augmenter malgré la fermeté mise en oeuvre depuis 18 mois, contrairement à la délinquance des majeurs qui est en net recul grâce aux peines planchers, c'est parce que le texte n'est pas adapté, trop vieillot, fait pour les enfants de la guerre et non pour ceux de 2008. Ca ne peut évidement pas être (comme Elisabeth Guigou a osé le prétendre avec indécence en parlant de son fils adolescent alors qu'on lui parlait des criminels qui peuplent les prisons et les centres éducatifs) parce que pour les mineurs ce qui marche le mieux c'est l'éducatif (qui n'exclut pas l'autorité et la fermeté), et que ça marche encore mieux quand il y a des éducateurs pour faire de l'éducatif.

Soyons justes, une annonce intéressante tout de même : un code de la justice des mineurs. Ca ne sera pas du luxe d'avoir tout dans le même texte. Après, faut voir le contenu...

Et puis, elle a parlé de nous, les magistrats.
Bien forcée, puisque les deux principaux syndicats annoncent des actions la semaine prochaine à cause notamment des multiples atteintes à l'autorité judiciaire.
Alors là, les conseillers en com' ont bien travaillé.
Le congrès de l'USM (première organisation syndicale des magistrats, qui revendique 2000 adhérents et près de 65% des voix aux élection professionnelles), auquel tous les Gardes des Sceaux se sont rendus depuis des décennies, devient "une réunion de 90 magistrats à Clermont-Ferrand". Et elle, elle a préféré aller sur le terrain qu'assister à une réunion dans une cabine téléphonique. On voudrait juste savoir sur quel terrain elle était le 10 octobre dans l'après midi.
On évoque une certaine brutalité ? Elle répond exigence.
La carte judiciaire ? Ce sont les magistrats eux mêmes qui l'ont proposée. Traduction : des commissions alibi ont été réunies en urgence pendant l'été pour faire semblant de consulter alors que le projet était prêt depuis longtemps.
Le Procureur de Boulogne sur Mer a obtenu une mutation qu'il sollicitait depuis plusieurs années après un avis de non lieu à sanction rendu par le CSM ? En langue ministérielle ça se dit : "J'ai pris mes responsabilités, j'ai demandé au magistrat de quitter ses fonctions".
Sans parler du message subliminal qui suit : pour le Juge Burgaud, s'il n'y a rien, ça ne sera pas ma faute mais celle du CSM.

A la fin, j'ai fatigué. A 22 heures, j'ai éteint.
Pas envie de me taper Tapie en prime.

Le Bilan

Sur 1h10 d'émission, plus de 20 minutes sur "sa vie-son oeuvre-ses origines".
Des mots clés : victimes, mutirécidivistes, terrain, criminels.
Des mots absents (notamment dans la bouche d'Arlette Chabot) : budget, rapport de la CEPEJ, respect de l'autorité judiciaire.
Une empoignade avec Elisabeth Guigou sur le thème "mes chiffres sont meilleurs que les tiens et toi aussi t'en as bavé".
Un nom : Nicolas Sarkozy.

Moi j'aime bien la télé de service public.

jeudi 9 octobre 2008

De quelques idées reçues sur le prétendu laxisme des magistrats

Par Gascogne


Le syndicat de policier "Synergie Officiers" nous a déjà habitué à des déclarations fracassantes à l'égard des magistrats (un petit exemple sur les JLD dans le contentieux des étrangers, ou encore récemment sur une remise en liberté contestée par les policiers). La nouvelle sortie de ce syndicat dans la presse n'étonne pas vraiment le monde judiciaire. Par contre, elle agace prodigieusement.

Quelques éléments doivent être rappelés à nos amis policiers de ce si sympathique syndicat.

Le premier, et pas des moindres, est que la critique publique d'une décision de justice est un délit puni tout de même de 6 mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende (art. 434-25 du Code Pénal). Dés lors, avant de donner des leçons aux magistrats sur la manière de faire respecter la loi aux sauvageons des banlieues, un respect de la loi par ces mêmes syndicalistes serait-il de nature à démontrer que ce n'est pas deux poids et deux mesures : la loi dans toute sa rigueur pour les délinquants d'habitude, le laxisme le plus extrême pour les policiers qui s'expriment.

Le second concerne la notion même de sanction. Une peine d'emprisonnement ferme avec mandat de dépôt à l'audience n'est pas le seul et unique moyen de sanctionner un comportement. Il suffit de se plonger quelque peu dans le Code Pénal pour se rendre compte que le législateur a entendu privilégier diverses sanctions pénales, dont certaines dites "alternatives" à l'enfermement, pour ne laisser la peine de prison, qui plus est à "exécution immédiate" qu'en dernier ressort. Dés lors, affirmer que le sentiment d'impunité résulte du fait que les juges laxistes ne prononcent pas assez de mandats de dépôt à l'audience est d'un simplisme démagogique à toute épreuve. Beccaria doit s'en retourner dans sa tombe.

Ensuite, concernant le choix des procédures ("certaines personnes ne sont même pas déférées !"), l'action publique appartient encore aux procureurs. Je sais bien que cela énerve certains officiers et commissaires de police (l'ex syndicat majoritaire des commissaires, le SCHPNF, alias le Schtroumpf tant ce sigle est imprononçable, avait en son temps proposé que l'action publique relève au moins en partie des commissaires de police), mais cette réforme n'est pas encore à l'ordre du jour. Que les personnels de police les plus critiques passent le concours de la magistrature, et nous pourront discuter de l'opportunité d'une politique pénale.

Mais ce n'est pas tant la critique en soi qui agace le plus. Ce ne serait que saine participation démocratique si les syndicalistes de "Synergie Officiers" balayaient un peu devant leur porte. Car ils oublient tout de même de préciser que dans un certain nombre de cas, s'il n'y a pas de défèrement, c'est que la gestion policière du dossier a laissé à désirer : garde à vue nulle (rarement une semaine à la permanence téléphonique du parquet sans une levée de garde à vue pour nullité substantielle), compte rendu peu clair, actes d'enquête non effectués...Ce même syndicat (du moins me semble-t-il) avait en son temps proposé qu'un "observatoire des bavures judiciaires" soit mis en place. Le parallélisme des formes pourrait imposer que les magistrats se mettent à publier toutes les nullités de procédure faites par la police.

Faire incarcérer une personne, et aller devant une juridiction de jugement alors même que la procédure est bancale pourrait certes permettre aux enquêteurs de penser que le parquet "les soutient" (encore que je n'ai pas vu dans la loi où il était inscrit qu'il s'agissait là d'une des fonctions du parquet), mais ne serait pas digne du fonctionnement d'une justice démocratique. Les procureurs ne sont pas notés aux "crânes".

Que l'on ne se trompe pas sur mon agacement : après pas mal d'années passées dans diverses fonctions pénales, je sais parfaitement bien que la majorité des policiers fait très bien ce pour quoi elle est payée, à savoir interpeller les auteurs d'infractions pénales et procéder les concernant à une enquête en bonne et due forme.

Cela représente pour les policiers une masse de travail considérable. Pour les magistrats également. Raison pour laquelle les poursuites et les décisions qui sont prises par la suite, tant par les magistrats du parquet que par ceux du siège, méritent bien mieux que les approximations démagogiques de quelques excités pour lesquels la frustration le dispute à l'incompétence.

vendredi 25 juillet 2008

Saluons le travail du législateur

Une fois n'est pas coutume, je vais dire du bien du législateur.

Non, je suis sérieux. Parmi le flot continu de textes qu'il vote, il se trouve des bons textes, qui apportent vraiment quelque chose. Et quand on voit qu'en outre, c'est une proposition de loi, c'est à dire une initiative parlementaire, on se sent un peu réconcilié avec le Parlement.

Bon, il y a loin de la coupe aux lèvres, et si le travail est bon, vous verrez qu'il n'est pas parfait.

Rendons donc hommage à Jean-Luc Warsmann (3e Ardennes) et Étienne Blanc (3e Ain), à l'origine de la loi n° 2008-644 du 1er juillet 2008 créant de nouveaux droits pour les victimes et améliorant l'exécution des peines.

Ce texte crée une nouvelle procédure d'indemnisation des victimes d'infraction, l'aide au recouvrement (nouveau titre XIVbis du Livre IV du Code de procédure pénale, articles 706-15-1 et suivants).

Cette procédure est subsidiaire à la procédure d'indemnisation devant la CIVI : elle n'est ouverte que si les procédures des articles 706-3 et 706-14 ne sont pas applicables.

Hein ???

— Patience, mes chers mékéskidis : je parle à mes amis kissavdekoijkozes. Voici la version sous-titrée.

La loi prévoit que certaines victimes des faits les plus graves ont le droit à être indemnisées par l'État. La procédure est portée devant la Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infraction (CIVI) du tribunal de grande instance, et est exercée contre le Fonds de Garantie des Victimes d'Actes de Terrorisme et Autres Infractions (FGTI).

Mais l'accès à cette action est plutôt restreinte, bien que plusieurs lois successives l'ait peu à peu élargi. Il faut que la victime soit morte ou handicapée à vie (on parle d'incapacité permanente partielle, IPP) ou ait eu une incapacité totale de travail (ITT) d'au moins trente jours (Attention, l'ITT n'a rien à voir avec un arrêt de travail), ou que les faits constituent une infraction de nature sexuelle (viol ou agression sexuelle). Enfin, cela a son importance, la loi ne prévoit que l'indemnisation de la victime : les frais d'avocat[1] ne sont pas pris en charge. Ça, c'est l'article 706-3 du CPP.

Autre cas d'ouverture : l'infraction est un vol, une escroquerie, un abus de confiance, une extorsion de fonds ou une destruction, une dégradation ou une détérioration d'un bien appartenant à la victime, qui ne peut obtenir à un titre quelconque (assurance…) une réparation ou une indemnisation effective et suffisante de son préjudice, et se trouve de ce fait dans une situation matérielle ou psychologique grave. Cela laisse prise au débat, et de fait, les actions exercées sur ce fondement sont plutôt rares (mais je n'ai pas de chiffres vous communiquer). Ça, c'est l'article 706-14 du CPP.

En dehors de ces cas, la victime n'a pas d'autre recours que d'exiger le paiement par le condamné, souvent insolvable, outre que cela oblige à rester en contact avec l'auteur des faits, et toutes les victimes n'ont pas envie de lui donner leur adresse pour recevoir un chèque. Bref, la voici grosjean comme devant.

Heureusement, Zorro Warsmann et Blanc sont arrivés.

La loi nouvelle crée donc une action subsidiaire, dans les cas où aucune des deux voies ci-dessus ne sont ouvertes : l'aide au recouvrement. C'est une action qui s'est voulue simplifiée, puisqu'elle évite la case juridictionnelle. La demande est portée directement devant le FGTI.

Il y a une condition de délai : l'action ne peut être exercée que deux mois après la décision, en l'absence de paiement volontaire, et dans le délai d'un an à compter du jour où la décision est devenue définitive (nouvel article 706-15-2 du CPP). Attention, piège : le délai est en fait de dix mois, puisque l'action ne peut pas être exercée pendant les deux premiers mois.

Premier bruit dans le moteur

Et déjà, les premiers couinements du mécanisme. Parce qu'une question se pose et n'a pas de réponse, et côté simplicité, c'est raté.

La question : la loi dit que l'action est ouverte en cas d'absence de paiement volontaire. Mais que se passe-t-il en cas de paiement partiel ? Le prévenu doit mille euros, il verse une provision de 50 euros et puis plus rien. Il y a eu paiement volontaire (mais pas total). La victime peut-elle saisir le Fonds de Garantie ? Gageons qu'il y aura des refus de la part du Fonds, aucun recours n'est prévu sur ce point. Déduction personnelle ? Assignation du Fonds devant la juridiction civile de droit commun. C'est sans doute un juge de proximité qui va trancher le premier la question.

Côté simplicité : on veut faciliter la vie de la victime. La preuve, le tribunal devra informer la victime de son droit à exercer cette action (Mesdames et messieurs les présidents, je vous plains : vos délibérés vont bientôt tenir de la tirade cornélienne et dureront aussi longtemps que les audiences, entre les notifications des obligations du condamné, des effets du sursis, de la date de convocation du JAP, et les notifications aux parties civiles, vous n'allez pas vous coucher tôt).

Mais le point de départ du délai et donc sa date d'expiration vont être un vrai casse-tête, puisque c'est le jour où la décision devient définitive.

Une décision devient définitive le jour où plus aucun recours ne peut être exercé contre elle. A priori, ça peut paraître bref, puisque le délai d'appel est de dix jours, et celui du pourvoi en cassation, de cinq.

Oui, mais si le prévenu est absent ? C'est un “contradictoire à signifier[2]”, c'est à dire que le délai d'appel courra à compter du jour de la signification qui sera faite du jugement par huissier. À la diligence du procureur. Diligence dont la victime n'est pas informée. Donc le point de départ du délai lui est inconnu, sachant qu'elle ne pourra exercer son action que deux mois après cette date, et qu'elle n'aura que dix mois pour ce faire.

La loi tente d'apporter une solution au problème, en disposant d'une part que la signification doit être faite dans un délai de 45 jours à compter de la requête du ministère public, mais là encore, la partie civile n'est pas informée de ces diligences. Reste à la partie civile à faire signifier elle même (à ses frais donc) la décision, comme l'article 554 du CPP le lui permet.

Pis encore, si le prévenu n'a pas pu être cité en personne (parti sans laisser d'adresse, par exemple). C'est un jugement par défaut. Or le jugement par défaut peut faire l'objet d'une opposition[3] par le prévenu lorsqu'il lui est signifié, sans condition de délai. Or un jugement par défaut n'est par définition pas définitif, et aucune formalité d'information de la victime n'est prévue en cas de signification du jugement par défaut si le condamné ne fait pas opposition.

Bref, dans bien des cas, la victime risque d'être dans l'impossibilité d'exercer utilement son action, faute d'avoir connaissance du délai de dix mois pour ce faire.

Et concrètement, ça se passe comment ?

Très simplement. Au début.

La demande est portée directement devant le Fonds de Garantie (alors que d'ordinaire, on saisit la CIVI, le Fonds n'étant pas une juridiction, et encore moins impartial puisque c'est lui qui paye, et sa radinerie est légendaire).

Le Fonds peut opposer un refus tiré du non respect du délai (on parle de forclusion). La victime peut demander à être relevée de cette forclusion, si elle justifie par exemple qu'elle n'a pas pu avoir connaissance du début du délai pour agir.

Question : devant qui est portée cette demande ? On a la CIVI, qui s'y connaît en droit de l'indemnisation. On a le JUDÉVI, le JUge DÉlégué aux VIctimes, on a le président de la CIVI qui a des pouvoirs propres, on a le président de la chambre du tribunal jugeant les intérêts civils quand ceux-ci sont jugés postérieurement à l'action publique[4]. En plus c'est facile, ces trois fonctions différentes sont forcément exercées par la même personne. Hé bien non ! Ce sera le président du tribunal, statuant par ordonnance sur requête (art. 706-15-2, al. 2 du CPP). Pourquoi ? Ne cherchez aucune logique : c'est juste la seule juridiction qui peut être saisie par une partie sans que l'autre soit convoquée. Bref, on fait faire des économies au FGTI, qui n'aura pas besoin de se présenter devant le juge pour défendre son refus. Le bricolage législatif commence. On n'y coupe jamais. C'est à désespérer.

Des sous ! Des sous !

Bon, le délai a été respecté, les procédures spéciales des articles 706-3 et 706-14 sont inapplicables : le Fonds va devoir mettre la main au portefeuille.

Première chose à faire : changer de Code. C'est désormais dans celui des Assurances que ça se passe, à l'article L.422-7. Pourquoi ? Sékomsa.

Si les sommes en cause, dommages-intérêts ET article 375 ou 475-1, chers confrères, la loi le prévoit expressément, sont inférieures ou égales à 1000 euros, le Fonds les paye intégralement et immédiatement. Note aux agents du Fonds qui me lisent : préparez-vous à devenir le pourvoyeur d'une prime complémentaire pour les fonctionnaires de la police nationale. Grâce à vous, tous les outrages deviennent solvables.

Si les sommes en cause dépassent les 1000 euro, le Fonds accorde une provision égale à 30% du montant de la condamnation, avec un minimum de 1000 euro et un maximum de 3000 euro.

Par la suite, le Fonds va lui-même tenter de recouvrer l'intégralité des dommages-intérêts auprès de l'auteur des faits. Pour cela, le Fonds peut demander au procureur de la République de requérir de toute personne ou administration la communication de renseignements sur la situation professionnelle, financière, fiscale ou sociale des personnes ayant à répondre du dommage. Le secret professionnel ne peut être opposé au procureur de la République (art. 706-11 du CPP). C'est plutôt efficace.

Remboursez ! Remboursez !

Les sommes récupérées par le Fonds vont servir en priorité à payer… le Fonds. La générosité du législateur a des limites. C'est qu'une victime, c'est gentil, mais ça pleure tout le temps et ça coûte cher. Donc priorité au remboursement des sommes avancées. En outre, car il faut bien vivre, le Fonds pourra ajouter aux sommes prononcées par le tribunal une pénalité au titre des frais de gestion (sic), supportée par le condamné. Cette pénalité est un pourcentage des sommes totales (dommages-intérêts + article 375 ou 475-1) qui sera fixé par le ministre chargé des assurances. Je guette l'arrêté en cause. En outre, le Fonds pourra retenir au titre des frais de gestion un pourcentage, à fixer également par le ministre en charge des assurances, sur les sommes récupérées au-delà de la première avance, pourcentage donc supporté par la victime. L'argent n'a pas d'odeur.

En vrac

Ce n'est pas tout ce que dit la loi, mais ça intéresse surtout les kissavdekoijkozes. La procédure de l'article 706-14 (infraction au bien laissant dans une situation matérielle ou psychologique grave) est étendue aux destructions de voitures sans condition de gravité de la situation, mais sous certaines conditions, précisées au nouvel article 706-14-1 du CPP. Les règles de signification des jugements pénaux sont modifiées. Le droit de procédure de 90 euros de l'article 1018 A qui fait que tous nos clients nous rappellent six mois après leur condamnation est doublé et passe à 180 euros si le prévenu ne se présente pas ou n'a pas donné pouvoir à son avocat. Les informations relatives aux permis de conduire sont rendus plus largement accessibles aux autorités de police judiciaire.

Prochainement dans vos prétoires

Dernier point : l'entrée en vigueur du dispositif. C'est prévu pour le 1er octobre 2008, c'est à dire pour toutes les décisions rendues à partir du 1er octobre, peu important la date des faits. Chers confrères, demandez le renvoi de vos audiences de septembre ! Pour l'indemnisation des voitures détruites, c'est toutes les voitures qui le seront à partir du 1er octobre (message aux sauvageons : merci d'attendre minuit pour casser des voitures la nuit du 30 septembre). Les autres règles sont entrées en vigueur le 3 juillet 2008.

Notes

[1] On parle d'article 475-1 devant le juge de proximité, le tribunal de police ou le tribunal correctionnel, et d'article 375 devant la cour d'assises ; du Code de procédure pénal s'entend.

[2] Contradictoire signifie que chaque partie a eu la possibilité de présenter ses arguments, à signifier veut dire que le jugement doit être porté à la connaissance du condamné par un huissier de justice —c'est le sens juridique du mot signifier ; en cas d'envoi postal recommandé, on parle de notification

[3] L'opposition se distingue de l'appel en ce qu'elle est jugée par le même tribunal qui a rendu le premier jugement. Le tribunal rejuge l'affaire, ce qui permet au prévenu de présenter sa défense, et lui laisse la possibilité de faire appel, respectant ainsi le droit du prévenu au double degré de juridiction.

[4] L'action civile, ou intérêts civils, fixe le montant de l'indemnisation due à la victime ; l'action publique fixe la peine infligée au condamné.

lundi 28 avril 2008

Soyez plus compétents que le président de la République

L'affaire des sans-papiers grévistes, soutenus par des syndicats, a retenu l'attention des médias, qui semblent sincèrement surpris de découvrir que des étrangers travaillent, payent des impôts, et les cotisations sociales sur leur salaire, sans être régularisés, et ce parfois depuis fort longtemps.

Je passerai rapidement sur le fait que la lecture de mon blog leur aurait appris cet état de fait depuis au moins septembre dernier, en rappelant au passage que même ceux qui ne déclarent pas de salaire participent néanmoins au financement de l'État.

Rappelons que même si la pensée de leur présence vous insupporte, ces étrangers ne font rien d'autre qu'être là. Ils travaillent, pour la plupart, payent leur loyer, leurs impôts (l'Etat n'a RIEN contre les étrangers quand il s'agit de payer la taxe d'habitation ou quand ils supportent la TVA sur leurs achats). Ceux qui commettent des délits relèvent de la juridiction pénale et de la peine d'interdiction du territoire : ils n'entrent absolument pas dans le circuit décrit ici.

Quand je dis au moins, c'est que déjà en septembre 2005, je citais un exemple concret :

En effet, au même instant, une avocate se débat désespérément pour que les parents d'Eduardo ne soient pas reconduits à la frontière. Elle explique au juge administratif, preuves à l'appui, que les parents d'Eduardo sont arrivés en France il y a six ans de cela, que cela fait quatre ans qu'ils sont locataires de leur appartement, qu'ils payent leurs impôts, qu'Eduardo va à l'école de son quartier, maternelle puis primaire, où il a appris le Français qu'il parle sans accent.

Enfin, gaudeamus, la presse l'a enfin découvert et des journalistes se demandent pourquoi celui qui leur concocte leur salade de chèvre chaud, cotise aux ASSEDIC, à une caisse de retraite, à l'assurance maladie, lays la CSG, la CRDS et bien souvent l'impôt sur le revenu, et ce depuis des années (j'ai un dossier avec des avis d'imposition remontant à 2000) ne pourrait se voir doter d'un titre de séjour.

Je répète ces mots : d'un titre de séjour, ils sont importants.

La loi, le fameux Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) prévoit que « tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France doit, après l'expiration d'un délai de trois mois depuis son entrée en France [ou après l'expiration de son visa s'il est soumis à l'obligation de détenir un visa], être muni d'une carte de séjour ». Le fait de se maintenir en France sans détenir cette carte est un délit, le délit de séjour irrégulier qui consiste essentiellement à être là. Notons qu'il n'existe à ma connaissance aucun délit concernant les Français leur faisant encourir de la prison du seul fait de ne pas détenir un quelconque document administratif sans qu'aucun agissement particulier ne soit exigé. Le défaut de permis n'est un délit que si on conduit un véhicule. Le défaut de carte d'identité n'est pas une infraction, ce document n'étant pas obligatoire. Point que je souhaite rappeler tant dès que l'on fait montre d'un tant soit peu de compassion à l'égard des étrangers sans papier on entend invariablement « Mais enfin, rappelons quand même que ce sont des délinquants, on ne va quand même pas les plaindre ». Le délit, c'est d'être là, pas de faire de tort à qui que ce soit.

Ce titre de séjour (TS) peut être soit une carte de séjour temporaire (CST) valable un an, soit une carte de résident (CR) valable 10 ans et renouvelable de plein droit, délivrée aux étrangers qui ont vocation à l'installer définitivement sur le territoire (par exemple, l'époux étranger d'un français qui n'a pas souhaité prendre la nationalité française).

Le titre de séjour n'a aucun rapport avec la nationalité française, hormis le fait que l'absence de cette dernière impose la détention du premier. Demander une régularisation, c'est demander la délivrance d'un titre de séjour. Pas la nationalité française. Un ancien ministre de l'intérieur, à l'origine de deux profondes réformes du droit des étrangers, est censé le savoir. D'où ma stupeur d'entendre cet échange lors de la présidentielle conférence de presse télévisée. Si quelqu'un peut d'ailleurs me fournir une transcription de la première phrase du président en réponse à la deuxième question d'Yves Calvi, juste avant « je ne suis pas un roi, moi » (0:47-0:48 de la vidéo), je lui en saurai gré.

L'erreur est humaine, persévérer est diabolique, réitérer[1]… présidentiel ? Par trois fois, le président se réfugie derrière les conditions préalable au dépôt pour une demande de naturalisation (une demande d'attribution de la nationalité française par décision de l'autorité publique) pour laisser entendre qu'il existe des conditions qu'il suffit de respecter pour être régularisé. C'est faux.

La République, heureusement, ne repose ni sur la bonne foi ni sur la connaissance encyclopédique de ses dirigeants, donc peu importe laquelle est ici prise en défaut. Mais le meilleur moyen d'éviter qu'on abuse de l'ignorance des citoyens est qu'on les instruise. Je vous propose donc de m'accorder un peu de votre attention afin que ce billet fasse de vous des gens plus compétents en la matière que le président de la République.

La vision répandue ces dernières décennies sur les étrangers est celle d'une troupe d'indésirables, le fort chômage qu'a connu la France étant la preuve que les étrangers sont de trop, ceux-ci prenant supposément le travail des Français. C'est la théorie du gâteau : l'économie d'un pays est un gâteau dont on se répartit les parts, le grand nombre de part entraînant plus de pauvreté. C'est une vision naturellement fausse, puisqu'elle fait abstraction du fait que chaque personne participant à une économie est aussi bien pâtissier qu'affamé. Et cette situation ressurgit invariablement à chaque crise économique. Car l'hostilité de la France à l'égard des étrangers est contraire à sa tradition, et vous allez voir dans le voyage historique que je vous propose combien cette tradition l'a façonnée.

En effet, sous la Révolution (1789-1804), et la Restauration (1815-1830), la France a été très accueillante avec les étrangers (l'Empire a eu une politique d'intégration des pays étrangers, c'est un peu différent, et l'expérience a tourné court). Ainsi, la Constitution rédigée par la Convention le 24 juin 1793 prévoyait dans son article 4 que « Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; - Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année - Y vit de son travail - Ou acquiert une propriété - Ou épouse une Française - Ou adopte un enfant - Ou nourrit un vieillard ; - Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l'humanité - Est admis à l'exercice des Droits de citoyen français. » On ne parlait même pas de leur exiger un permis d'être là.

De même, sous la Monarchie de Juillet (Louis-Philippe Ier, roi des Français, si vous préférez), la France a accueilli plus de cent mille immigrés venus des pays d'Europe centrale chassés par les révolutions de 1830. Elle accueillera aussi des Italiens fuyant les incessantes guerres d'indépendance de ce pays. Parmi eux, Giuseppe Gambetta, épicier qui s'installera à Cahors, dont le fils deviendra avocat, homme politique et donnera la République à la France sur les décombres du Second Empire, au nez et à la barbe de la majorité royaliste à l'Assemblée.

La Seconde République (1848-1851) vote une grande loi sur les étrangers le 3 décembre 1849. Ce cadre légal restera en vigueur jusqu'en 1938, mais sera régulièrement amendé. Elle prévoit que le ministre de l'intérieur peut expulser tout étranger séjournant en France. C'est cette loi qui crée le délit de séjour irrégulier, qui suppose que l'étranger soit resté ou revenu en France malgré une décision d'expulsion. Aucune mesure coercitive autre que la menace de la prison n'est prévue. Les étrangers ne sont pas alors soumis à l'obligation de détenir un titre de séjour. C'est cette loi qui invente l'expression de “conduite à la frontière” pour désigner ces décisions discrétionnaires.

Le Second Empire (1851-1870) instaure quant à lui dès 1851 le droit du sol : l'enfant d'étrangers né en France est Français (ce n'est plus le cas aujourd'hui contrairement à une croyance populaire tenace).

C'est la IIIe république qui opérera le premier virage vers le droit des étrangers moderne, à l'occasion de la crise économique de la fin du XIXe siècle, à l'époque où qui plus est la République est frappée d'énormes scandales politico-financiers (Affaires de Panama, des Fiches, des Décorations…). Les étrangers (auquel il faut assimiler les juifs, qui, bien que citoyens français, sont sans cesse présentés comme des éléments exogènes par l'extrême-droite) sont pointés du doigt et servent de boucs émissaires aux difficultés de la France, la responsabilité de la classe politique étant naturellement exclue. Comment ça, ça vous rappelle quelque chose ?

Cela va jusqu'à de véritables pogroms contre les Italiens dans le sud de la France : à Aigues-Mortes en août 1893, une véritable chasse à l'homme a lieu dans la ville, à coups de pierres et de bâtons, faisant officiellement huit morts et cinquante blessés (plus de cinquante morts selon les journalistes du Times anglais ayant assisté aux émeutes et ayant décrit une sauvagerie générale). Face à ces crimes, la réaction de la République sera inflexible : les accusés de ces faits seront acquittés par la cour d'assises et la loi du 28 août 1893 institue le registre d'immatriculation des étrangers et fait interdiction aux employeurs d'embaucher un étranger n'ayant pas satisfait aux formalités légales. C'est la naissance de la carte de séjour temporaire mention salariée, qui existe encore aujourd'hui.

Plus tard, le décret du 21 avril 1917 crée la carte d'identité d'étranger, ancêtre de la carte de séjour, établie par le préfet. Pendant ce temps, Lazare Ponticelli se battait pour la France. Parmi les premiers titulaires, le père de Patrick Devedjian, actuel secrétaire général de l'UMP, qui a fui la Turquie en 1919 en raison du génocide arménien.

La première guerre mondiale et la grippe espagnole laissent la France exsangue, et elle ouvre largement ses frontières pour faire venir la main-d'œuvre dont elle a besoin. En 1924, les organisations patronales, avec l'accord du gouvernement, fondent la Société générale d'immigration, qui introduira en France en l'espace de quelques années, pas moins de cinq cent mille travailleurs étrangers, en majorité Italiens, Espagnols et Polonais. Parmi ces Polonais, un juif du nom de Stanisław « Simkha » Gościnny, qui s'installera à Paris, 42 rue du Fer-à-Moulin. Son fils René sera le créateur des Dalton, de Rantanplan (pas de Lucky Luke), d'Iznogoud, du Petit Nicolas, des Dingodossiers, et surtout d'Astérix, le plus franchouillard des héros Français.

Mais le chômage refait son apparition avec le ralentissement annonçant la crise de 1929. Et la législation refait de l'étranger la variable d'ajustement, quand ce n'est pas le responsable des malheurs des Français, malgré la politique courageuse et visionnaire du gouvernement.

La loi du 11 août 1926 réglemente le travail des étrangers en France et prévoit, sur la carte d'identité d'étranger, l'apposition de la mention « travailleur », subordonnée à la production d'un contrat de travail, le titulaire ne pouvant changer d'emploi avant l'expiration du contrat.

Arrive la crise de 1929. La France est durement touchée. Devinez qui va payer l'addition ?

La loi du 10 août 1932 institue un contingentement de la main-d'œuvre étrangère par profession ou branche de l'industrie ou du commerce. Cette tentative de réponse à la crise économique s'accompagne d'une limitation des entrées d'étrangers sur le territoire français et d'un refus de régularisation des « clandestins ». Oui, la législation qu'on applique encore aujourd'hui (art. 40 de la loi Hortefeux) sous le nom d'immigration “choisie” est héritée d'une législation d'urgence face à la crise de 1929, dont l'Histoire a montré l'efficacité.

Je passerai rapidement sur la politique de Vichy en la matière : au-delà des législations de circonstances mettant en place une politique ouvertement raciste et spécialement les lois anti-juives, soulignons que le gouvernement de Pétain reviendra rétroactivement sur les naturalisations accordées depuis 1927 et organisera un régime de travaux forcés pour les étrangers “en surnombre”.

La Libération voit une remise à plat de toute la législation française, et le droit moderne des étrangers est né à cette époque : le CESEDA n'est que la codification à droit constant opérée en 2004 d'une ordonnance du 2 novembre 1945.

Il s'agissait, selon les mots du Général De Gaulle, « d'introduire, au cours des prochaines années, avec méthode et intelligence, de bons éléments d'immigration dans la collectivité française ». Il faut dire qu'en 1945, les économistes estiment à un million et demi les besoins de main-d'œuvre pour reconstruire le pays. La France accueille largement de la main d'œuvre étrangère, notamment venue des pays d'Europe de l'Est fuyant l'occupation soviétique. Parmi eux, un fils de fonctionnaires hongrois dont les propriétés à Alattyán avaient été confisqués. Il s'appelait Nagybócsai Sárközy Pál, et je vous ai parlé de son fils au début de ce billet.

Malgré la volonté et la nécessité d'ouvrir les portes à l'immigration, ce régime, bien plus simple que l'actuel, va rapidement montrer ses limites, les employeurs préférant recourir à de la main d'œuvre irrégulière et régulariser sa situation après coup. Ce sera le début d'un absurde cycle de régularisations massives - promesse que cette fois c'est fini - durcissement de la législation - régularisation massive. La première aura lieu dès 1948. La dernière à 2006, et la prochaine est en préparation.

Les Trente Glorieuses augmentent les besoins de main d'œuvre et jusque dans les années 60, la France va largement puiser dans les réserves des anciennes colonies et protectorats, où une population, jeune, francophone et connaissant l'administration française est disponible. Parmi eux, un maçon marocain, Mark Dati, arrivera en France en 1963. Sa fille Rachida deviendra magistrat et Garde des Sceaux.

Aujourd'hui, l'obtention d'un titre de séjour par un étranger voulant venir travailler en France est très difficile, et longue (sauf s'il est footballeur professionnel). L'accumulation de barrières administratives a entraîné un accroissement du recours à de la main d'œuvre en situation irrégulière. L'image du patron exploitant sans vergogne des étrangers sous-payés plutôt que des Français trop chers est un pur cliché, version marquée à gauche du cliché marqué à droite de l'étranger volant l'emploi des Français. J'ai reçu assez d'employeurs voulant obtenir la régularisation d'un de leurs employés, qui prenaient en charge mes honoraires, et m'expliquaient leurs années de galère sans trouver celui dont ils avaient besoin jusqu'à ce qu'ils rencontrent celui dont ils demandent la régularisation pour savoir que les deux sont aussi faux l'un que l'autre et révèlent plus les préjugés de celui qui les véhicule.

Mais au fil des alternances, les deux versions de ce cliché ont conduit à ajouter sans cesse des obstacles à la régularisation, même si des signaux existaient déjà révélant l'existence de secteurs “en tension” ne trouvant pas de main d'œuvre. C'est un secret de Polichinelle que la restauration et le bâtiment reposent sur une main d'œuvre en grande partie étrangère sans papier. André Daguin, président de l'Union des Métiers de l'Industrie Hôtelière (UIMH) estime à 50 000 le nombre de ces salariés clandestins dans son secteur. Soit deux fois le nombre d'étrangers qui vont probablement et à grands frais être reconduits à la frontière.

Gouverner, c'est parler clairement, expliquer ses choix. Pas feindre par trois fois de ne pas comprendre la question parce que la réponse contredit trente années de politique à l'égard des étrangers, dont trois lois en quatre ans voulues par l'actuel titulaire de la fonction présidentielle.

J'espère vous avoir armés pour que vous ne vous laissiez plus abuser par de si piètres esquives.

Notes

[1] Rappelons que l'itération est accomplir une deuxième la même action, et que réitérer est le faire une troisième fois.

mercredi 20 février 2008

Far Far Away, conte pour enfants pas sages

Par Dadouche



Il était une fois, dans la Province des Petis Pois de la Fédération de Far Far Away, un prince bien malheureux. Il était le benjamin des rejetons du Roi Procureur, et s'était vu confier LE fief dont personne ne voulait. Substitut Charmant, c'est le nom de notre valeureux héros, était Baron des Mineurs.
Pas un jour ne passait sans qu'il enviât son frère ainé, le Vice-Roi Comptable, qui avait reçu en apanage le Duché de la Banque et du Commerce. Même le cadet, le Prince Maton, Comte des Cachots, lui paraissait certains jours avoir un sort plus enviable.
Car la tâche que le Roi avait confiée à Substitut Charmant avec le Domaine des Mineurs, c'était de s'occuper desdits mineurs. Pas pour leur conter des histoires le soir à la veillée, ni pour les emmener jouer à la soule. Non, il devait les empêcher de faire des bêtises et de troubler la tranquillité des autres domaines.

Il était aidé dans sa tâche par la Fée Dadouche, qui vivait à l'autre bout du Royaume.
Substitut Charmant aurait préféré avoir affaire au Maréchal Gascogne, avec qui il aurait au moins pu jouer à la soule, mais tous ses frères se les disputaient déjà, lui et son pôle de Mousquetaires.
Non seulement la Fée Dadouche n'était pas toujours de bonne humeur à cause de ses insomnies, mais en plus, pour parvenir chez elle avec les mineurs turbulents, il fallait traverser le Labyrinthe de 45.

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mercredi 28 mars 2007

Rions un peu sur le dos du Monde et des peoples

Le producteur et animateur Jean-Luc Delarue a connu aujourd'hui les joies de la CRPC, la Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité (qui ne s'est jamais appelée le « plaider-coupable »), au tribunal de grande instance de Bobigny.

- Et pourquoi le tribunal de Bobigny, mon cher maître ?

- Ma chère lectrice ! Quelle joie de vous revoir !

- Vous me faites rougir. Vous savez que la curiosité m'attire inlassablement vers votre blog telle l'abeille vers la fleur.

- Gageons que l'aspect people est aussi le nectar qui vous attire. Le tribunal de grande instance de Bobigny est territorialement compétent pour l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle, là où s'est posé l'avion qui transportait notre exubérant passager.

- Et qu'a donné cette audience ?

- Le Monde nous l'apprend : une condamnation à un stage de citoyenneté de trois jours, sous peine de deux mois de prison.

- Un stage de citoyenneté ? Et qu'est-cela, je vous prie ?

- L'article R.131-35 du Code pénal vous répond : le stage « a pour objet de rappeler au condamné les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité de la personne humaine et de lui faire prendre conscience de sa responsabilité pénale et civile ainsi que des devoirs qu'implique la vie en société. Il vise également à favoriser son insertion sociale.»

- Jean-Luc Delarue avait-il donc besoin qu'on lui enseigne ces valeurs et que l'on favorise son insertion sociale ?

- Il est permis d'en douter, les faits ayant eu lieu sous l'empire combiné de Bacchus et la pharmacopée. Ce d'autant que dans l'esprit du législateur, ce texte se destinait surtout aux sauvageons issus de nos exotiques banlieues vivant d'expédiants connus sous le vocable générique de "bizness". AJoutons que la menace de deux mois de prison s'il faillit à... trois jours de présence peut prêter à sourire.

- Voilà donc le rire sur le dos de Jean-Luc Delarue ?

- Plus largement, en bon français, je ris du ridicule des puissants, fût-ce d'une puissance seulement médiatique.

- Et pour le Monde ?

- C'est dans l'article que je viens de citer. J'aime quand les journalistes emploient du vocabulaire juridique qu'ils ne maîtrisent pas et boivent la tasse.

- Et où la tasse fut-elle bue ?

- Voyez vous même. L'article commence par ces mots : « L'animateur de télévision, Jean-Luc Delarue, a été condamné, mercredi 28 mars, à un stage de citoyenneté de trois jours ». L'article précise même que cette mesure sera inscrite à son casier judiciaire.

- Je vous suis.

- Suivez moi un peu plus loin, jusqu'à la fin de l'article.

- J'y lis : « Le stage de citoyenneté est une mesure alternative aux poursuites pénales. Mis en place en 2004, il est destiné à rappeler aux personnes poursuivies les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité humaine ».

- Et oui. Le journaliste dit donc que l'animateur a été condamné... à une mesure alternative aux poursuites pénales !

- Spectaculaire contradiction !

- Bon, à la décharge du journaliste (en fait une agence de presse) : le stage de citoyenneté peut être ordonné à titre de mesure alternative aux poursuites, par le parquet, dans la cas d'un classement sous conditions (article 41-1, 2° du Code de procédure pénale). Mais la simple relecture aurait dû attirer l'attention de l'auteur sur cette contradiction dans le propos.

- Je reconnais bien là votre mansuétude, et m'étonnais que vous n'en usassiez point à l'égard du nouveau ministre de l'intérieur.

- Madame, je suis ainsi fait que je ne me mets en colère qu'une fois par jour, et qu'un imparfait du subjonctif comme celui dont vous venez de me gratifier fait de moi le plus doux des hommes.

- Vous allez encore me faire rougir : je me sauve afin de cacher mon trouble.

- Vous me dispensez donc de cacher le mien. Serviteur, Madame.

jeudi 21 septembre 2006

Le pompier pyromane

Ainsi, notre bouillonnant ministre de l'intérieur, après s'en être pris aux étrangers et aux associations qui les défendent, tourne désormais un oeil mauvais vers notre jeunesse délinquante, et l'autre encore plus mauvais vers les magistrats du tribunal de grande instance de Bobigny. Ce strabisme ne l'empêche pas d'y voir clair : les magistrats dudit tribunal sont "démissionnaires", et au premier chef, le président du tribunal pour enfants, en charge entre autres de l'enfance délinquante (il est aussi en charge de l'enfance victime, qui est parfois la même, soit dit en passant).

Je ne m'attarderai pas sur l'aspect très opportuniste et provoqué de cette controverse. Jules de Diner's room pointe du doigt certains éléments troublant et son réquisitoire est puissant.

Je souhaite simplement souligner en quoi les affirmations du préfet de Bobigny, que je salue courtoisement puisque c'est mon adversaire le plus fréquent ces temps-ci après le procureur de la république, révèlent son ignorance de la loi, et en quoi les propos du ministre, au-delà de la simple tartufferie politique qui ne mériterait pas mon ire, relèvent de l'inconscience pure et simple.

Dans sa note, le préfet émet plusieurs doléances. Outre l'insuffisance des effectifs de police et leur trop grande mobilité (mais qui est le ministère en charge de la répartition des effectifs de police, déjà ?) la justice est pointée du doigt.

Ainsi, lors des événements de l'automne 2005, se plaint le préfet, 85 mineurs avaient été déférés et un seul écroué. Et c'est là une tradition locale : sur l'année 2005, sur 1651 mineurs déférés, seuls 132 ont connu l'hospitalité de la République, ce qui explique sans nul doute, selon le haut fonctionnaire, l'augmentation de 70% des vols avec violence dans le département (toute remise en cause de la police étant naturellement hors de question). Scandale. Laxisme. Blues des hommes en bleu.

Un homme est particulièrement visé : le président du tribunal pour enfant de Bobigny, qui figurez vous est blogueur, accusé de dogmatisme. Rendez-vous compte. Un juge des enfants qui aime les enfants, alors que tout ce qu'on lui demande c'est de les mettre en prison.

Et c'est là que le bât blesse, Monsieur le préfet. Le droit pénal des mineurs, c'est pas votre truc, je sais. Vous c'est plutôt le droit administratif et le droit des étrangers. Vous sévissez plus Boulevard de l'Hautil à Cergy qu'avenue Paul Vaillant Couturier à Bobigny, même si c'est pas loin de votre bureau. Mais quand même, avant d'écrire au Chef, renseignez vous un peu. On sait jamais, une fuite dans la presse est si vite arrivée.

Alors, en novembre 2005, un seul mineur a été écroué, et 132 sur l'année. Mais dans quels cas peut-on écrouer un mineur déféré ? Vous êtes vous posé la question, avant de mettre ça sur le compte du dogmatisme du président du TPE ?

C'est pourtant pas bien compliqué, c'est dans une ordonnance du 2 février 1945, signée par un dangereux gauchiste dogmatique.

Pour un mineur de 13 ans, ce n'est pas possible.
Pour un mineur de 16 ans, ce n'est que s'il a commis un crime.
S'il a entre 16 et 18 ans, c'est possible, mais seulement au titre de la détention provisoire après mise en examen. Mais on ne recourt pas à l'instruction pour des feux de poubelle ou de voiture.

Bref, même si le président du TPE de Bobigny était le dernier des fachos, il lui aurait été bien impossible de mettre en prison les mineurs incendiaires qu'on lui amenait. Le mieux que prévoit la loi, c'est une « comparution à délai rapproché », de quelques semaines puisque des enquêtes préalables doivent être effectuées sur la situation personnelle du mineur, mais il n'y a pas encore de comparution immédiate pour mineurs.

Et là, chers lecteurs, je me tourne vers vous : vous allez rire.

Car qui est justement en train de défendre au Sénat un projet de loi qu'il a concocté et signé, et qui prévoit dans son article 38 la suppression de la comparution à délai rapproché pour y substituer (c'est l'article 38) une nouvelle procédure de « présentation immédiate devant le juge des enfants aux fins de jugement » ? Rhôôô, mais c'est le préfet en chef ! N'est ce pas cocasse comme coïncidence ? Ce serait encore plus drôle si ce texte venait pour être adopté définitivement par le Sénat, mmh... genre aujourd'hui ?

Bref, de la bonne grosse ficelle, bien démagogique pour saucissonner l'électeur en le caressant dans le sens du poil, en disant que tout ça, c'est la faute des juges qui sont des mous, alors qu'il faudrait un homme à poigne à la tête du pays.

Parce que parler de démission de la part des magistrats de Bobigny, c'est de la vraie bêtise. Ils sont confrontés au plus fort taux de délinquance de France, et au plus grand empilement de misère de tout l'hexagone. Toutes les nationalités du monde sont représentées dans leur ressort. Et ils y font face, avec peu de moyen et un palais inadapté, qui ressemble à une usine à gaz. Démissionnaires ? Non : des missionnaires.

Mais ce n'est pas pour ça que c'est d'une profonde bêtise. Que le ministre de l'intérieur saute encore à la gorge des magistrats, si ça l'amuse.

Mais figurez-vous que dans le neuf-trois, le ministre de l'intérieur est très écouté. Chez les sauvageons de novembre, chez les plus violents des délinquants, ceux qui s'estiment en guerre avec la réublique, Sarko, c'est le chef de la bande. Il vient les défier chez eux, les keufs, c'est ses hommes. Bref, c'est l'ennemi. Qu'il parle de racaille ou de kärcher, et la tension monte.

Et là, qu'est ce qu'il vient de lâcher, à la télé ? Que les juges de bobigny ne mettent pas en prison. Qu'ils sont démissionnaires, qu'ils s'en foutent quoi, tu ressors libre à chaque fois.

Le préfet de Seine Saint Denis a totalement raison sur un point dans sa note : le premier facteur de délinquance chez les jeunes, surtout les mineurs, c'est le sentiment d'impunité. Pas l'impunité réelle : il n'y a qu'à voir comme ils sont tout surpris quand ils sont amenés menottés dans le service du juge des enfants. Pas fiers, ça non. Le sentiment d'impunité, la conviction, même erronée, que s'ils sortent pour « foutre la merde », il ne seront pas punis.

Et voilà ce que le ministre vient de leur offrir sur un plateau : la conviction que l'impunité, dans leur département, est un fait avéré, de la bouche même du chef ennemi.

Nicolas Sarkozy, sur ce coup, se conduit en pompier pyromane. C'est de l'inconscience ; si c'est calculé, c'est criminel ; et pour un candidat aux plus hautes fonction, pire qu'un crime, c'est une faute.

vendredi 15 septembre 2006

C'était mieux avant

Les thèmes de l'insécurité et de son corollaire, l'enfance délinquante, vont sans nul doute faire les beaux soirs des gazettes en cette période pré-électorale où la surenchère vise plutôt un électorat, disons conservateur.

Centres à encadrement militaire par cì, centre éducatif fermé par là.

Mal du XXIe siècle, vous dira-t-on, jamais les jeunes n'ont été aussi inciviques, désobéissants, rebelles, irrespectueux, que sais-je encore ?

Pour vous permettre de juger de la pertinence de ce cliché, je vous convie à lire avec moi quelques articles du Code civil original, tel que promulgué le 13 Germinal An XI et imprimé par les soins de J.J. Marcel, directeur de l'Imprimerie de la République. Les gras sont de moi, puissent les mânes de J.J. me pardonner cette modification.

TITRE IX De la puissance paternelle [1]

371. L'enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère.

(...)

375. Le père qui aura des sujets de mécontentement très graves sur la conduite d'un enfant, aura les moyens de correction suivans.

376. Si l'enfant est âgé de moins de seize ans commencés, le père pourra le faire détenir pendant un temps qui ne pourra excéder un mois ; et, à cet effet, le président du tribunal d'arrondissement[2] devra, sur sa demande, délivrer l'ordre d'arrestation.

377. Depuis l'âge de seize ans commencés jusqu'à la majorité[3] ou l'émancipation, le père pourra seulement requérir la détention de son enfant pendant six mois au plus ; il s'adressera au président dudit tribunal qui, après en avoir conféré avec le Commissaire du Gouvernement[4] délivrera l'ordre d'arrestation ou le refusera et pourra, dans le premier cas, abréger le temps de la détention requis par le père.

378. Il n'y aura, dans l'un et l'autre cas, aucune écriture ni formalité judiciaire, si ce n'est l'ordre même d'arrestation, dans lequel les motifs n'e nseront pas énoncés.
Le père sera seulement tenus de souscrire une soumission de payer tous les frais, et de fournir les alimens convenables[5].

379. Le père est toujours maître d'abréger la durée de la détention par lui orodnnée ou requise. Si après sa sortie l'enfant tombe dans de nouveaux écarts, la détention pourra être de nouveau ordonnée de la manière prescrite aux articles précédents.

Deux simples observations pour nourrir votre réflexion :

La première : si il y a deux siècles et deux ans, le législateur, qui en l'espèce était une commission de quatre avocats et magistrats, a ressenti le besoin de conserver dans le droit civil la fameuse lettre de cachet, c'est peut être que nos jeunes sauvageons d'aujourd'hui ne font guère d'ombre à ceux d'alors ; et il est intéressant de constater qu'alors que le choix politique était de donner les pleins pouvoirs au père, le choix fait aujourd'hui est d'accuser les parents d'être responsables de la déliquescence civique du temps. L'art de la réforme, c'est souvent de passer d'une erreur à l'autre.

La deuxième : vous avez ri du caractère surané de ce texte ? Et bien figurez vous que l'article 371 qui ouvre ce titre est encore en vigueur.

Notes

[1] On parle aujourd'hui d'autorité parentale.

[2] du tribunal de grande instance.

[3] Fixée à cette époque à vingt et un ans.

[4] Le procureur de la République.

[5] Aliment, qui s'écrivait sans t à l'époque, désigne non pas la nourriture mais l'argent nécessaire à l'entretien global de l'enfant : nourriture, vêtement, bois de chauffage...

samedi 12 août 2006

Avis de fermeture provisoire

Attendu que si je ne prends pas quelques vacances, je suis bon pour une dépression nerveuse à court terme, je m'en avis partir pour des cieux plus cléments ce lundi. Dans un endroit magnifique, sauvage, calme et sans internet.

Je vais donc fermer les commentaires pendant une semaine, jusqu'au 22 août. Je ne modérerai pas cette année : le rythme actuel implique qu'à mon retour, je trouverais des centaines de commentaires à valider un par un, et les publier une semaine après sans que des échanges puissent avoir lieu n'aurait aucun sens. Et je ne veux pas prendre le risque de laisser quelques commentateurs se croyant indispensables à ce blog pouvoir divaguer à l'envie et multiplier leurs commentaires sans intérêt.

Alors un peu de silence ne fera de mal à personne.

Les commentaires restent ouverts jusqu'à dimanche soir, pour que vous ne soyez pas pris de court.

jeudi 6 mai 2004

De la démagogie ordinaire - 2. Au tour de la droite.

Je dénonçais il y a quelques jours la démagogie d’un élu de gauche moustachu toujours vert malgré son âge.

Sans doute rendus jaloux par cet accès de notoriété, 46 de nos parlementaires ont commis le même délit avec la circonstance aggravante de réunion (voire de bande organisée), et par souci de pluralité, je me propose de les couvrir à leur tour d’opprobre.

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mardi 27 avril 2004

Une lumière dans la nuit

Tribunal des enfants, audience de jugement.

Quatre mineurs comparaissent tour à tour pour avoir volé une voiture et l’avoir utilisée. Sans permis, bien sur, même pas conduite accompagnée. Trois d’entre eux sont des petits caïds, le troisième est un grand dadais un peu simplet, on sent qu’il a envie qu’on l’aime et de faire plaisir à tout le monde. Je l’appellerai Dadais, par la suite.

Ainsi, quand la police les a arrêté, il a très gentiment tout déballé à la police : la voiture volée devait servir à se rendre à une rave-party en province pour y vendre du cannabis fourni par un des co-prévenus. Une perquisition a permis de saisir plusieurs dizaines de grammes de drogue.

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