Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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novembre 2005

mardi 29 novembre 2005

Affaire Guillermito : délibéré au 21 février 2006

La 13e chambre A a examiné aujourd'hui les deux appels de Guillermito (l'un contre le jugement pénal, l'autre contre le jugement civil).

La partie civile a demandé la confirmation du jugement pénal et l'infirmation du jugement civil et demandé 829.040 euros au titre du préjudice matériel (manque à gagner, chute du chiffre d'affaire) et 37.792 euros au titre du préjudice moral (je ne suis pas sûr de mes chiffres à la centaine près, ils ont été cités très vite).

L'avocat général a demandé la condamnation de Guillermito à 1000 euros d'amende, mais sans sursis (le tribunal l'avait condamné à 5000 euros avec sursis).

La défense a conclu à la relaxe faute de réunion des éléments matériels et intentionnels du délit de contrefaçon.

La cour rendra ses arrêts (ou son arrêt si elle décide une jonction) le 21 février 2006 à 13h30.

Compte rendu plus détaillé bientôt.

lundi 28 novembre 2005

Où l'on reparle des banlieues

Je reviens sur ce thème qui reste d'actualité, pour faire un petit point vu du prétoire. Les hommes politiques de la majorité ou de l'opposition ont déjà tous trouvé l'origine du mal (ce serait donc les discriminations et les parents démissionnaires) et vont le résoudre en deux lois et trois décrets, comme ils ont résolu le problème du... de... heu... Zut, j'ai un trou.

Je suis assez pessimiste, et il y a lieu de l'être, tant face à cette explosion de violence difficilement contenue, les réponses restent caricaturales, entre répression accrue et expulsion d'un côté, et commisération intéressée de l'autre.

Je n'aurai pas la prétention de poser le bon diagnostic. Je vous propose simplement les réflexions d'un poilu du droit dans sa tranchée, de ce qu'on voit au front, à travers les quelques cas que j'ai vu juger ou ceux que j'ai défendus sur plusieurs années, étant clairement entendu que cet échantillon est trop réduit pour permettre la certitude scientifique.Tout point de vue différent sera le fort bienvenu.

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vendredi 25 novembre 2005

Des fois, le législateur sait prendre son temps.

Je reconnais m'être un peu emporté dans ma charge contre la loi antiterroriste. L'agacement face à la précipitation du législateur pour maintenir un état d'urgence caduc, l'adoption expresse d'une loi antiterroriste face à aucun événement en particulier...

Mais des fois, le législateur (au sens large, que les juristes me pardonnent : il s'agit en fait du pouvoir réglementaire) sait prendre son temps, réfléchir, méditer, remettre son ouvrage sur le métier.

Ainsi, le gouvernement vient de prendre un décret n°2005-1309 du 20 octobre 2005 pour l'application de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Cette loi crée la CNIL et pose les règles fondamentales des protections des libertés face aux capacités de traitement de l'information par voie informatique. L'article 71 de cette loi prévoyait, comme c'est fréquent, qu'un décret en Conseil d'Etat serait pris pour prévoir les modalités d'application de la loi.

Le voici enfin, presque 18 ans après le vote de la loi.

Comme quoi, parfois, le gouvernement sait agir sans précipitation.

Bon, dommage, c'est en l'espèce pour appliquer un texte protecteur des libertés.

Mais pour ma part, je n'y vois qu'une coïncidence cocasse.

Adoption du projet de loi anti-terroriste

L'Assemblée va donc adopter dans une quasi unanimité républicaine le projet de loi « relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers », seuls les Verts allant voter contre.

A l'heure où le parlement adopte en deux temps trois mouvements une loi maintenant un état d'urgence pendant trois mois, et ce trois jours après que les émeutes le motivant ont pris fin, des nouvelles règles d'exception et aggravations de la répression vont être rapidement adoptées.

Je respecte la représentation nationale, et pense que la lutte contre le terrorisme est effectivement un enjeu majeur. Mais malgré tout, je ressens une profonde amertume, et sur un point précis, une profonde colère.

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jeudi 24 novembre 2005

L'interrogatoire, vu de l'avocat

Paxatagore m'invite à rebondir sur ses (très intéressantes) réflexions sur comment peut naître une erreur judiciaire, en réaction au procès en appel de l'affaire dite d'Outreau. Billets dont je vous recommande chaudement la lecture, en commençant par le début, en continuant par le milieu, avant d'aboutir à la suite, mais pas encore fin.

Dans le deuxième billet, il dit

Dans certains cas, il naît entre l'interrogateur et l'interrogé une relation tout à fait particulière. L'interrogatoire est un art vraiment particulier. Je n'ai moi même jamais été "interrogé", il m'est difficile de rendre compte du sentiment que l'on ressent (peut-être Maître Eolas pourrait nous indiquer ce que ressent l'avocat de celui qui est interrogé).

Ci-fait.

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mercredi 23 novembre 2005

Respiro

Je me permets un billet totalement hors sujet pour une fois.

J'enrage contre les publicitaires qui, pour nous vendre une banque qui nous a ruiné deux fois, nous ressassent qu'on pourrait en demander ♫plus-plus-un-p'tit-peu-plus ♪, alors que perso j'en ai plutôt assez, qui pour nous expliquer qu'il ne faut pas descendre sur la voie sans y avoir été invité par un agent de la SNCF a besoin de nous sortir un T-rex RER-ophage et de nous parler comme un gamin attardé, ou qui pour nous vendre un yaourt nous promet une expérience sensuelle à la limite de l'orgasme, alors que d'autres sont capables de faire ça, tout simplement.

Attention : format Quicktime, temps de chargement assez long.

Trois minutes de poésie, qui apaisent, et donnent envie de s'acheter une télé à 4000 euros. Version plus courte (une minute) ici.

Et pour les curieux : il n'y a pas d'images de synthèse dans cette pub, sauf pour la transition sur la marque. 250.000 balles rebondissantes ont vraiment été lâchées dans les rues de San Francisco par paquets de 25.000.

Musique : "Heartsbeats", par José Gonzalez, album Veneer.

Ce billet est garanti 100% non sponsorisé.

mardi 22 novembre 2005

Une brève grâce à une juge de proximité

Je sens que les juridictions de proximité vont être une source intarissable pour un bêtisier judiciaire.

J'en ai un nouvel exemple sous les yeux : un jugement pénal rendu par un juge de proximité ayant :

  1. déclaré Monsieur X. coupable de la contravention de violences n'ayant pas entraîné d'incapacité totale de travail ;
  2. ordonné une expertise médicale pour fixer le préjudice de la victime.

Vous voyez la contradiction dans les termes ? S'il n'y a pas d'incapacité totale de travail, l'expertise médicale est parfaitement inutile. S'il y a incapacité totale de travail, ne serait-ce que d'un jour, le juge de proximité est incompétent, puisqu'on passe à une contravention de 5e classe, compétence du juge de police.

L'autre jour, un confrère me racontait qu'il avait été convoqué à une audience d'une juridiction de proximité à 13h30. Erreur du greffe ? Le juge a en fait siégé à 9 heures. Aucun prévenu n'étant présent, je vous laisse deviner pourquoi, il a condamné tout le monde. Ce jugement n'étant pas susceptible d'appel, les prévenus, au nombre de neuf tout de même, n'ont pas d'autre choix que de se pourvoir en cassation. Pour une amende de l'ordre de 200 euros, somme qu'ils ont dû consigner avant de pouvoir saisir le juge (on est en matière routière). L'officier du ministère public, présent à l'audience, n'a pas vérifié l'heure de la convocation (ce n'est pas son rôle), et était surpris que le prétoire soit vide mais n'a pas bronché.

Des fois, je me demande ce que l'histoire retiendra du deuxième mandat de Chirac : la création du juge de proximité, les émeutes de novembre ou le référendum du 29 mai ?

samedi 19 novembre 2005

Un nouveau blog par un acteur judiciaire

(Via Koztoujours) : Philippe Bilger, avocat général à Paris, vient d'ouvrir son blog. Je le découvre à l'instant et ne puis encore émettre d'opinion, mais la nouvelle me réjouit et je me permets de le recommander d'ores et déjà, certain que le contenu sera de qualité.

Permettez moi de vous présenter brièvement le personnage. Philippe Bilger est avocat général, je sais je l'ai déjà dit. Mais la dénomination est trompeuse pour ceux peu au fait du vocabulaire judiciaire. Bien que portant le titre d'avocat, je ne l'appellerai jamais cher confrère : un avocat général est, pour simplifier, le titre donné aux procureurs de la cour d'appel.

Version un peu plus détaillée : le parquet, qui déclenche les poursuites et soutient l'accusation, est une structure hiérarchisée. Chaque tribunal de grande instance a son parquet, dirigée par le procureur de la République, assisté de substituts. Dans les gros tribunaux, on distingue les premiers substituts, à l'ancienneté plus grande et aux responsabilités plus importantes. Il en va de même devant les cours d'appel, sauf que le chef du parquet est le procureur général est est assisté de substituts généraux et d'avocats généraux. Les substituts généraux ont des taches plus administratives (comprendre : on les voit pas ou peu aux audiences, mais leurs tâches restent bien judiciaires) tandis que les avocats généraux sont en charge d'assurer les audiences. Avocat général rappelle qu'ils sont les avocats de la société en général, par opposition à nous autres qui sommes les avocats des individus que la collectivité a décidé de poursuivre.

Il a commencé sa carrière comme juge d'instruction, si ma mémoire est bonne, et a milité au syndicat de la magistrature lors de la création de ce dernier, quand bien même ses idées politiques sont fort loin de celles qui animaient et animent encore ce mouvement : mais l'idée de secouer l'institution lui plaisait. Il a été au parquet de Bobigny au moment de la mise en place du "traitement en temps réel" des procédures et est favorable au principe, ce qui me fait soupçonner l'intéressé d'appliquer les idées de Beccaria.

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jeudi 17 novembre 2005

Des fois on se demande à quoi on sert

Un jour de permanence à la 23e chambre (qui juges les comparutions immédiates), je mets à profit quelques instants de battement pour discuter avec un autre avocat de permanence nos dossiers respectifs, histoire d'échanger des idées.

Il m'explique qu'un des ses clients du jour est poursuivi pour des faits de violences avec arme de 6e catégorie (armes blanches), en l'occurence une barre de fer de 30 cm. Le dossiers est mauvais : le mobile de l'agression sent le racisme à plein nez, le prévenu était ivre mort et en garde à vue a raconté une version délirante selon laquelle il défendait en réalité un ami (dont il ne connaît ni le nom de famille ni le numéro de téléphone, numéro qui ne figure pas dans le répertoire de son téléphone mobile), et qu'il n'a sorti sa barre de fer que lorsque trois copains de sa victime qui passaient par là par hasard sont venus lui prêter main forte. Or la victime est un provincial qui était venu avec sa fiancée passer le week end en amoureux à Paris. Quant à la barre de fer, il explique que c'est la première fois qu'il est sorti avec, parce qu'il a lui même été agressé il y a peu. Ajoutons qu'il a été interpellé immédiatement par une patrouille de police qui passait derrière lui à ce moment là, patrouille qui dément totalement l'agression préalable. Bref, un roi du baratin, qui nie l'évidence et fait le procès de la victime. Tout ce qui met un juge de bonne humeur.

Les points positifs du dossier sont l'absence de casier du condamné, son profil d'étudiant bien inséré et le fait que les blessures sont très légères (deux jours d'incapacité totale de travail, s'il n'y avait pas la barre de fer, il ne serait pas en correctionnelle).

Il m'indique qu'il a montré à son client les invraisemblances du récit, et lui a conseillé de dire la vérité, qui est facile à deviner : l'agressivité exacerbée par l'alcool, le mensonge inventé sous le coup de l'angoisse de la garde à vue. Qu'il présente ses excuses et s'engage à indemniser la victime, qui présente une demande très raisonnable, et ça devrait bien se passer.

En effet, assumer sa responsabilité quand on est en faute n'est pas un réflexe naturel, mais c'est ce qu'attend le tribunal et pour peu qu'il y ait des accents de sincérité dans cette attitude, la décision s'en ressent. Je conviens pour ma part que c'est en effet ce qu'il y a de mieux à faire.

Quelques heures après, ce jeune homme est introduit dans le box. La présidente constate son identité, rappelle la prévention et constate son consentement à être jugé aujourd'hui. Puis elle rappelle brièvement les faits, qui sont simples, et se tourne vers lui en disant : « Alors, aujourd'hui, qu'est ce que vous avez à dire sur ce qui s'est passé ? ».

Et aussitôt, le prévenu se lance dans son histoire de légitime défense de son ami-dont-il-ne-connaît-que-le-prénom, des amis qui passaient par là, sans changer un iota. Du coin de l'oeil, j'observe mon confrère, qui regarde ses notes sans broncher. D'un air détaché, il prend son stylo et semble prendre des notes. En fait, il écrit rageusement « Putain mais quel c... ! »

Seul hommage au travail en amont de son défenseur, il conclut son récit épique en précisant qu'il regrette profondément ce qui s'est passé et présente ses excuses à la victime.

Le procureur est à la fête. Un provincial vient à Paris avec sa fiancée pour agresser des gens dans la rue, c'est certain. Le monde est petit puisqu'à ce moment viennent à passer non pas un, non pas deux, mais trois de ses amis, venus eux aussi, quel hasard, agresser des passants à Paris. Et vaillament, il prend la défense de quelqu'un que visiblement il connaît à peine puisqu'il ne peut que donner son prénom, et encore, c'est peut être bien un surnom. Et cette barre de fer, quelle prévoyance louable. Mais voyons, s'il a défendu son ami, il n'a pas à exprimer de regrets ni d'excuses à présenter ! Au contraire, il devrait exiger les acclamations du tribunal ! Il demande pour le repos du guerrier un séjour, aux frais de la République reconnaissante, de huit mois ferme avec maintien en détention.

Son avocat ne peut que se dissocier de cette version des faits, invoquer la peur du tribunal qui paralyse la raison, insister sur le caractère léger des blessures, sur l'absence totale d'antécédents judiciaires.

Et contenir sa rage contre son client sous un masque d'impassibilité quand le tribunal colle six mois fermes à celui-ci, sans maintien en détention toutefois.

Si vous saviez combien de fois cela m'est arrivé à moi aussi. Et combien de fois cela m'arrivera encore ?

Prévenus, n'écoutez jamais votre avocat. Vous êtes plus malin que lui et plus malin que tout le monde. Baratinez les juges, ce sont des sots crédules qui ne connaissent rien à la vie. Et tout se passera bien.

La crise des banlieues : paroles d'un magistrat

(Via Commentaire et vaticination) : Didier Peyrat, magistrat à Pontoise, publie une tribune dans Le Monde du 17 novembre 2005. Un point de vue lucide, qui rejoint bien des réflexions que je m'étais faites ces derniers temps.

Ceux qui accusent "la jeunesse des banlieues" d'être responsable de ce qui est arrivé sont des falsificateurs. Ceux qui, à mots couverts ou pas, félicitent "les jeunes" de protester sont aussi dans le faux. Il y a amalgame d'un côté, contre-amalgame de l'autre. Et dans ce face-à-face de deux analyses délirantes, la raison disparaît. Mais ce à quoi on cloue le bec aussi, c'est la majorité des jeunes, la majorité des immigrés, la majorité des Français.

Les motivations réelles des "émeutiers", on peut spéculer dessus. On ne les connaît pas vraiment. On ne saurait s'en tenir, sur ce sujet, à leurs déclarations. Personne ne doit être cru sur parole. En plus, pour la plupart, ils se taisent, ne disent rien, ne sont pas "sondés".

(...)

Bien sûr, ce n'est pas "le" mal qui surgit dans l'histoire. Il ne s'agit pas d'une catastrophe ontologique. Bien sûr, il y a du contexte, mais dans le contexte il y a de tout. Pour brûler une école, un théâtre, un centre de PMI... il faut bien que ces équipements existent. Après le passage des saccageurs, le contexte est dégradé. Dans le contexte, il y a des gens, des voisins, des habitants. Après le passage des incendiaires et des cogneurs, les voisins, les habitants, les personnes sont un peu plus abîmés. Des individus font du mal à d'autres individus, beaucoup plus nombreux. Par quelle inversion de sens peut-on décider qu'en réalité les coupables et les victimes sont associés, les uns parlant au nom des autres, alors qu'ils leur tapent dessus, qu'ils détruisent leurs biens, privés ou publics ?

A lire.

mardi 15 novembre 2005

Il est de ces lieux au Palais...

Je voue une affection profonde au Palais de Justice de Paris. Le futur déménagement du tribunal de grande instance vers des lieux encore indéterminés mais hélas probablement pas en face me déchire le cœur, tant le fait de plus y aller presque tous les jours me manquera.

C'est avant tout un lieu d'histoire, j'ai envie de mettre une majuscule à ce mot. Premier palais royal, c'est en ces murs que se déroule l'essentiel de la trame des Rois Maudits (ce que les décors de Druillet dans l'adaptation actuelle ne laissent pas deviner), puisque les rois de France ne le quitteront que sous Charles V.

Ainsi, un des plus beaux monuments de Paris y trône, dans un écrin hélas indigne : la Sainte Chapelle, chef d'œuvre du gothique flamboyant, construite par Saint Louis pour héberger la couronne d'épine du Christ. Les jours de permanence à la 23e chambre (comparutions immédiates), je fais des slaloms entre les touristes japonais, américains, allemands, chinois et d'où sais-je encore, dont la plupart ne remarquent même pas ma robe virevoltante au milieu d'eux tant ils ont le nez en l'air, admiratif devant sa haute flèche dans le ciel de Paris.

La première chambre du tribunal entend chaque jour des avocats ronronner leurs plaidoiries dans une ambiance paisible, qui tranche avec les cris qui y ont résonné quand y siégeait le tribunal révolutionnaire, où l'abominable Fouquier Tinville y officiait avec une redoutable efficacité.

Mais l'endroit que j'affectionne tout particulièrement n'est pas là. Il est juste en dessous, dans ce qui fut l'ancienne cellule des condamnés à mort.

Là, Marie Antoinette, Malesherbes, Danton, Desmoulins ont attendu la charette qui allait les mener en place de Grève, aujourd'hui Place de l'Hotel de Ville.

Aujourd'hui, c'est un lieu de vie et de convivialité.

C'est la Buvette du Palais.

Ce n'est pas que j'en sois un des piliers, ni que la gourmandise m'y attire, quoi que la nourriture y est fort honnête sans mériter d'attirer l'attention de Gault ou de Millau. Mais c'est un endroit unique, surtout entre midi et deux heures, lors du coup de feu.

C'est un endroit où vous pouvez entrer en robe sans que personne ne le remarque. Le personnel y est aimable même quand il est pressé, ce qui est rare à Paris.

On y voit déjeûner non loin l'un de l'autre un avocat général et un accusé de meurtre, un procureur impitoyable quand il requiert en train de fumer une cigarette en parfaite violation de la loi Evin, un ténor du barreau qui avant de manger son plat du jour qui refroidit devra faire le tour des tables parce qu'il connaît tout le monde...

Quand vous désirez vous asseoir, la serveuse demande à un président de cour d'assises de bien vouloir dégager la chaise face à lui, et celui-ci s'exécute sans rouspéter (voire avec le sourire).

Quand vous attendez au bar qu'on vous amène votre sandwich, l'heure pressant, Jacques Vergès boit son café à côté de vous tandis et quand une jeune femme vous demande avec un sourire renversant de vous tasser contre le comptoir pour la laisser passer, elle s'appelle Florence Aubenas.

Avocats, magistrats, journalistes et justiciables semblent avoir un instant enterré la hache de guerre autour de ce qui réunira toujours les Français : leur palais.

jeudi 10 novembre 2005

Double peine

Plusieurs blogueurs (citons Ceteris Paribus) et commentateurs s'étonnent des déclarations fracassantes du ministre de l'intérieur (qui a dit "pléonasme" ?), annonçant hier à l'Assemblée qu'il allait demander aux préfets d'expulser systématiquement les étrangers condamnés pour des faits liés aux émeutes de ces derniers jours.

En effet, l'actuel ministre de l'intérieur avait fait savoir à cors et à cris qu'il avait courageusement abrogé "la double peine", qui consiste à sanctionner un étranger délinquant par une peine de prison ET une interdiction du territoire, tandis qu'un délinquant français n'aura que la peine de prison. Rupture de l'égalité scandaleuse.

Ledit ministre ayant d'ailleurs écrit dans son livre "La République, les religions, l'espérance" (Éditions du Cerf, 2004, 172 pages, 23 euros) :

La réforme de la double peine a procédé de la même conviction : à chaque délit, à chaque crime, il doit y avoir une réponse pénale ferme. Mais celle-ci ne peut varier selon que l’on est, sur sa carte d’identité, français ou non. Lorsqu’il a passé toute son enfance en France ou qu’il y a fondé une famille, le second n’a pas à subir une seconde sanction en étant expulsé dans on pays de nationalité et coupé de sa famille.

(via Koztoujours)

Le ministre aurait menti ?

Non, le ministre a fait de la com', qui maintenant que les circonstances ont changé lui revient dans la figure comme un boomerang, et cela me réjouit, abstraction faite de la personne du dit ministre : L'arroseur arrosé reste pour moi un chef d'œuvre du comique.

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mardi 8 novembre 2005

La banlieue dans le prétoire

Audience de comparution immédiate d'un tribunal correctionnel de la périphérie parisienne. L'audience du jour est très chargée, et l'audience de comparution immédiate a été doublée : deux chambres siègent simultanément. Au menu du jour : destructions volontaires de bien privé par incendie (ça alors...)

L'ambiance est électrique : famille et amis des divers prévenus sont là pour les soutenir, la présence policière est renforcée.

Cinq prévenus arrivent menottés, rapidement interpellés par des amis dans la salle "Ho, Manu !" ; "Courage mon frère !"...

Le tribunal menace de faire évacuer la salle, ce qui ramène péniblement l'ordre. L'huissier est collé au bureau du procureur, très mal à l'aise. Le tribunal constate l'identité des prévenus, rappelle la prévention retenue (qui leur fait encourir 10 années d'emprisonnement) et demandent s'ils acceptent d'être jugés tout de suite.

Leurs avocats leur ont dit d'accepter, puisqu'en cas de refus, le tribunal statuerait sur leur éventuelle détention d'ici le procès sur le fond, et que vu les circonstances actuelles (le code de procédure pénale dit "trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public"), la détention serait certaine : il n'y a rien à perdre à plaider tout de suite.

Les cinq prévenus, dont quatre travaillent, le cinquième, à peine majeur, étant encore scolarisé, étaient réunis vendredi soir dans un terrain vague de la commune où ils ont l'habitude de se réunir pour boire de la bière, écouter du rap à fond sur un autoradio et faire des démarrage en trombe sur leur scooter. Un voisin, lassé du bruit, a appelé la police, à l'arrivée de celle-ci, les jeunes étaient partis, mais une fourgonnette brûlait non loin. Grâce au signalement des véhicules, les prévenus ont été rapidement appréhendés par la BAC qui n'a pas hésité à faire chuter le prévenu en scooter pour l'arrêter.

L'enquête a été bâclée, c'est le moins qu'on puisse dire, et les avocats de la défense ne se privent pas de relever les faiblesses de l'enquête : personne n'a vu qui a bouté le feu à la fourgonnette, ni qui a éteint l'incendie, le véhicule n'étant qu'à moitié calciné : les constatations sur place tiennent sur une demi page. Ça sent les services de police débordés.

Les versions des cinq prévenus, recueillies isolément, concordent parfaitement sur leur emploi du temps de la soirée, où ils sont allés après leur réunion sur le terrain vague, qui ils ont vu, etc. L'un d'entre eux, celui au scooter, a un casier judiciaire, quatre mois avec sursis pour violences volontaires. Il essaye maladroitement d'en tirer un argument : « Avec ces quatre mois au dessus de la tête, la dernière chose que j'ai envie, c'est de chercher les ennuis ! ». Il explique qu'il a tenté d'échapper à la police parce que son phare avant ne marchait pas (les PV relèvent en effet qu'il roulait sans lumière avant). Pour le procureur, l'argument n'est pas pertinent : « Ce tribunal voit assez de délinquants réitérants pour savoir qu'un sursis n'est pas suffisant pour arrêter un délinquant ; quand en plus il y a l'émulation du groupe et une volonté de compétition par médias interposés... Quant au phare avant, pour ça, on risque une peine d'amende ; en ne s'arrêtant pas, c'est un refus d'obtempérer, et on risque la prison ! Si vraiment c'est que vous redoutez par dessus tout, faites en sorte de ne pas avoir un comportement qui vous y expose ! ».

Il demande huit mois ferme pour tout le monde, avec mandat de dépôt, et révocation du sursis pour le jeune homme au scooter. Les avocats demandent en cœur la relaxe, la preuve de la culpabilité des prévenus dans l'incendie n'étant absolument pas rapportée.

Le tribunal se retire pour délibérer. Dans la salle des pas perdus, l'ambiance est lourde, des policiers en tenue anti-émeute sont arrivés en renfort.

Après trois quart d'heure, le tribunal revient.

Les prévenus sont tous déclarés coupables, et se prennent trois mois ferme, quatre pour le jeune homme au scooter, mais sans révocation du sursis, mandat de dépôt pour tout le monde.

Et là, c'est l'explosion.

« Enculés ! C'est ça la justice ? Fils de pute ! Va niquer ta mère ! » fusent de la salle. Deux des prévenus fondent en larme. Les familles et amis se lèvent et avancent ver le tribunal, qui doit battre en retraite précipitamment. Les avocats s'interposent et tentent de ramener le calme (et vu l'âge de certaines, et le gabarit d'autres, il faut leur rendre hommage. La police fait évacuer le tribunal, les injures volent, on est à deux doigt de l'explosion de violence, mais le sang froid des policiers permet d'éviter l'étincelle. Les avocats discutent longuement avec les familles des prévenus sur les marches du palais.

En fait, l'explosion de colère vient du fait que des amis des prévenus ont vu le procureur discuter avec les juges, avant qu'ils ne viennent rendre leur délibéré. C'est fréquent, rappelons que juges et procureurs sont collègues, ils font partie du même corps de fonctionnaires et que leurs bureaux sont dans les même locaux. Je suis prêt à parier que le procureur n'a pas abordé avec les juges les faits examinés parle tribunal, il est de plus presque certain que le tribunal avait déjà délibéré, avait signalé au procureur par téléphone que les décisions allaient être rendues (la présence du procureur est indispensable au prononcé des jugements), et qu'ils échangeaient quelques amabilités et des commentaires anodins sur l'audience. C'est ce qui arrive tous les jours. Cela nous déplaît fortement : nous sommes partie au procès au même titre que le procureur, et nous verrions envoyer sur les roses si nousallions deviser avec le tribunal dans les couloirs. L'égalité des armes suppose une égalité de traitement (Pour ma part, je préconisue que les procureurs se voient envoyer sur les roses, le temps des magistrats est précieux). Mais ce n'est pas une pression exercée par le parquet sur le tribunal.

Il demeure que la femme de César ne doit pas être soupçonnée. Donner une apparence de connivence et de volonté d'influencer, un jour pareil, avec une ambiance aussi électrique, c'est une terrible maladresse.

Les esprits mettent du temps à se calmer, mais finalement, la foule se disperse. Jamais ce tribunal n'a autant ressemblé à une forteresse assiégée.

En m'éloignant du palais, j'aperçois une de mes jeunes consœurs dans sa voiture, stationnée.

Elle a la tête appuyée contre le volant. Elle est secouée de violents sanglots.

Elle défendait le jeune homme au scooter.

samedi 5 novembre 2005

Avis de Berryer : Florent Pagny

Les affaires reprennent ! La promotion 2005, sentant sa fin venir alors qu'elle a encore tant à donner multiplie les Berryers. Voivi encore un billet-invitation de la part de mon confrère Benoît Boussier, Quatrième secrétaire de la Conférence.

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jeudi 3 novembre 2005

Prudence et modestie

Mes lecteurs habitués savent désormais que je peste régulièrement contre les avocats qui touchent à la matière pénale sans la connaître, souvent pour se faire plaisir ou rendre service à un client.

Le danger est bien évidemment la morgue du pénaliste, et une anecdote récente m'a montré combien il faut être vigilant de ne pas tomber dans ce piège.

J'ai été commis d'office pour assister, une fois n'est pas coutume, une partie civile devant la chambre des appels correctionnels (j'exagère, un petit tiers de mes dossiers pénaux sont du côté de la partie civile).

Comme il est d'usage, je cherche mon contradicteur, qui est une contradictrice contradicteuse femme pour me présenter à lui et lui remettre copie des pièces que j'entends produire devant la cour.

Je la trouve accoudée à la barre en pleine discussion avec une amie. Elle est jeune, moins de trente ans, et son amie est visiblement une copine de fac. J'attends une pause dans le papotage pour me glisser dans son champ de vision, mon dossier bien en évidence où figure en gros caractère le nom de mon client, et du sien précédé de la mention "contre".

Présentation, échange d'amabilités, puis je lui remets mes pièces.

Je m'enquiers alors :

« Avez-vous des pièces ou des conclusions que vous versez aux débats ? »

Et je me prends en retour, certes agrémenté d'un fort joli sourire :

— « Vous savez, nous, les pénalistes, nous ne prenons jamais de conclusions. »

Son amie me regarde avec une certaine commisération.

J'avoue avoir été pris de cours. Je me suis contenté de répondre « Ha, j'en apprendrai tous les jours », et ai regagné ma place.

Il est exact qu'en défense au pénal, les conclusions sont rares, puisqu'il est difficile de savoir comment va se passer l'audience. Il est délicat de déposer des conclusions de relaxe et d'entendre son client avouer les faits dès qu'on lui pose une question. La plaidoirie finit de se préparer au cours de l'audience. Néanmoins, certaines situations rendent les conclusions nécessaires : soutenir une nullité de procédure (ça ne pouvait pas être le cas, nous étions en appel et aucune nullité n'avait été soulevé devant le tribunal) ou quand on présente une argumentation juridique complexe, pour contraindre la juridiction à y répondre de manière précise.

Ma question n'était donc pas incongrue et ne révélait pas le béotien.

Dans sa précipitation, elle a oublié que le doute doit bénéficier à l'accusé.

Post scriptum : son client a vu sa peine aggravée. Je ne suis pas sûr de ne pas porter une part de responsabilité.

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