Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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avril 2008

mercredi 30 avril 2008

Appel à mes taupes

On m'a signalé l'info révélée par Tétu qu'un Français ayant épousé un Hollandais, comme la loi batave le permet, se serait vu retirer sa nationalité française.

Si l'intéressé ou quelqu'un qui le connaît me lit, l'auteur de l'article par exemple, pourrait-il me contacter ? J'ai besoin entre autres choses de connaître la date de ce mariage.

lundi 28 avril 2008

Soyez plus compétents que le président de la République

L'affaire des sans-papiers grévistes, soutenus par des syndicats, a retenu l'attention des médias, qui semblent sincèrement surpris de découvrir que des étrangers travaillent, payent des impôts, et les cotisations sociales sur leur salaire, sans être régularisés, et ce parfois depuis fort longtemps.

Je passerai rapidement sur le fait que la lecture de mon blog leur aurait appris cet état de fait depuis au moins septembre dernier, en rappelant au passage que même ceux qui ne déclarent pas de salaire participent néanmoins au financement de l'État.

Rappelons que même si la pensée de leur présence vous insupporte, ces étrangers ne font rien d'autre qu'être là. Ils travaillent, pour la plupart, payent leur loyer, leurs impôts (l'Etat n'a RIEN contre les étrangers quand il s'agit de payer la taxe d'habitation ou quand ils supportent la TVA sur leurs achats). Ceux qui commettent des délits relèvent de la juridiction pénale et de la peine d'interdiction du territoire : ils n'entrent absolument pas dans le circuit décrit ici.

Quand je dis au moins, c'est que déjà en septembre 2005, je citais un exemple concret :

En effet, au même instant, une avocate se débat désespérément pour que les parents d'Eduardo ne soient pas reconduits à la frontière. Elle explique au juge administratif, preuves à l'appui, que les parents d'Eduardo sont arrivés en France il y a six ans de cela, que cela fait quatre ans qu'ils sont locataires de leur appartement, qu'ils payent leurs impôts, qu'Eduardo va à l'école de son quartier, maternelle puis primaire, où il a appris le Français qu'il parle sans accent.

Enfin, gaudeamus, la presse l'a enfin découvert et des journalistes se demandent pourquoi celui qui leur concocte leur salade de chèvre chaud, cotise aux ASSEDIC, à une caisse de retraite, à l'assurance maladie, lays la CSG, la CRDS et bien souvent l'impôt sur le revenu, et ce depuis des années (j'ai un dossier avec des avis d'imposition remontant à 2000) ne pourrait se voir doter d'un titre de séjour.

Je répète ces mots : d'un titre de séjour, ils sont importants.

La loi, le fameux Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) prévoit que « tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France doit, après l'expiration d'un délai de trois mois depuis son entrée en France [ou après l'expiration de son visa s'il est soumis à l'obligation de détenir un visa], être muni d'une carte de séjour ». Le fait de se maintenir en France sans détenir cette carte est un délit, le délit de séjour irrégulier qui consiste essentiellement à être là. Notons qu'il n'existe à ma connaissance aucun délit concernant les Français leur faisant encourir de la prison du seul fait de ne pas détenir un quelconque document administratif sans qu'aucun agissement particulier ne soit exigé. Le défaut de permis n'est un délit que si on conduit un véhicule. Le défaut de carte d'identité n'est pas une infraction, ce document n'étant pas obligatoire. Point que je souhaite rappeler tant dès que l'on fait montre d'un tant soit peu de compassion à l'égard des étrangers sans papier on entend invariablement « Mais enfin, rappelons quand même que ce sont des délinquants, on ne va quand même pas les plaindre ». Le délit, c'est d'être là, pas de faire de tort à qui que ce soit.

Ce titre de séjour (TS) peut être soit une carte de séjour temporaire (CST) valable un an, soit une carte de résident (CR) valable 10 ans et renouvelable de plein droit, délivrée aux étrangers qui ont vocation à l'installer définitivement sur le territoire (par exemple, l'époux étranger d'un français qui n'a pas souhaité prendre la nationalité française).

Le titre de séjour n'a aucun rapport avec la nationalité française, hormis le fait que l'absence de cette dernière impose la détention du premier. Demander une régularisation, c'est demander la délivrance d'un titre de séjour. Pas la nationalité française. Un ancien ministre de l'intérieur, à l'origine de deux profondes réformes du droit des étrangers, est censé le savoir. D'où ma stupeur d'entendre cet échange lors de la présidentielle conférence de presse télévisée. Si quelqu'un peut d'ailleurs me fournir une transcription de la première phrase du président en réponse à la deuxième question d'Yves Calvi, juste avant « je ne suis pas un roi, moi » (0:47-0:48 de la vidéo), je lui en saurai gré.

L'erreur est humaine, persévérer est diabolique, réitérer[1]… présidentiel ? Par trois fois, le président se réfugie derrière les conditions préalable au dépôt pour une demande de naturalisation (une demande d'attribution de la nationalité française par décision de l'autorité publique) pour laisser entendre qu'il existe des conditions qu'il suffit de respecter pour être régularisé. C'est faux.

La République, heureusement, ne repose ni sur la bonne foi ni sur la connaissance encyclopédique de ses dirigeants, donc peu importe laquelle est ici prise en défaut. Mais le meilleur moyen d'éviter qu'on abuse de l'ignorance des citoyens est qu'on les instruise. Je vous propose donc de m'accorder un peu de votre attention afin que ce billet fasse de vous des gens plus compétents en la matière que le président de la République.

La vision répandue ces dernières décennies sur les étrangers est celle d'une troupe d'indésirables, le fort chômage qu'a connu la France étant la preuve que les étrangers sont de trop, ceux-ci prenant supposément le travail des Français. C'est la théorie du gâteau : l'économie d'un pays est un gâteau dont on se répartit les parts, le grand nombre de part entraînant plus de pauvreté. C'est une vision naturellement fausse, puisqu'elle fait abstraction du fait que chaque personne participant à une économie est aussi bien pâtissier qu'affamé. Et cette situation ressurgit invariablement à chaque crise économique. Car l'hostilité de la France à l'égard des étrangers est contraire à sa tradition, et vous allez voir dans le voyage historique que je vous propose combien cette tradition l'a façonnée.

En effet, sous la Révolution (1789-1804), et la Restauration (1815-1830), la France a été très accueillante avec les étrangers (l'Empire a eu une politique d'intégration des pays étrangers, c'est un peu différent, et l'expérience a tourné court). Ainsi, la Constitution rédigée par la Convention le 24 juin 1793 prévoyait dans son article 4 que « Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; - Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année - Y vit de son travail - Ou acquiert une propriété - Ou épouse une Française - Ou adopte un enfant - Ou nourrit un vieillard ; - Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l'humanité - Est admis à l'exercice des Droits de citoyen français. » On ne parlait même pas de leur exiger un permis d'être là.

De même, sous la Monarchie de Juillet (Louis-Philippe Ier, roi des Français, si vous préférez), la France a accueilli plus de cent mille immigrés venus des pays d'Europe centrale chassés par les révolutions de 1830. Elle accueillera aussi des Italiens fuyant les incessantes guerres d'indépendance de ce pays. Parmi eux, Giuseppe Gambetta, épicier qui s'installera à Cahors, dont le fils deviendra avocat, homme politique et donnera la République à la France sur les décombres du Second Empire, au nez et à la barbe de la majorité royaliste à l'Assemblée.

La Seconde République (1848-1851) vote une grande loi sur les étrangers le 3 décembre 1849. Ce cadre légal restera en vigueur jusqu'en 1938, mais sera régulièrement amendé. Elle prévoit que le ministre de l'intérieur peut expulser tout étranger séjournant en France. C'est cette loi qui crée le délit de séjour irrégulier, qui suppose que l'étranger soit resté ou revenu en France malgré une décision d'expulsion. Aucune mesure coercitive autre que la menace de la prison n'est prévue. Les étrangers ne sont pas alors soumis à l'obligation de détenir un titre de séjour. C'est cette loi qui invente l'expression de “conduite à la frontière” pour désigner ces décisions discrétionnaires.

Le Second Empire (1851-1870) instaure quant à lui dès 1851 le droit du sol : l'enfant d'étrangers né en France est Français (ce n'est plus le cas aujourd'hui contrairement à une croyance populaire tenace).

C'est la IIIe république qui opérera le premier virage vers le droit des étrangers moderne, à l'occasion de la crise économique de la fin du XIXe siècle, à l'époque où qui plus est la République est frappée d'énormes scandales politico-financiers (Affaires de Panama, des Fiches, des Décorations…). Les étrangers (auquel il faut assimiler les juifs, qui, bien que citoyens français, sont sans cesse présentés comme des éléments exogènes par l'extrême-droite) sont pointés du doigt et servent de boucs émissaires aux difficultés de la France, la responsabilité de la classe politique étant naturellement exclue. Comment ça, ça vous rappelle quelque chose ?

Cela va jusqu'à de véritables pogroms contre les Italiens dans le sud de la France : à Aigues-Mortes en août 1893, une véritable chasse à l'homme a lieu dans la ville, à coups de pierres et de bâtons, faisant officiellement huit morts et cinquante blessés (plus de cinquante morts selon les journalistes du Times anglais ayant assisté aux émeutes et ayant décrit une sauvagerie générale). Face à ces crimes, la réaction de la République sera inflexible : les accusés de ces faits seront acquittés par la cour d'assises et la loi du 28 août 1893 institue le registre d'immatriculation des étrangers et fait interdiction aux employeurs d'embaucher un étranger n'ayant pas satisfait aux formalités légales. C'est la naissance de la carte de séjour temporaire mention salariée, qui existe encore aujourd'hui.

Plus tard, le décret du 21 avril 1917 crée la carte d'identité d'étranger, ancêtre de la carte de séjour, établie par le préfet. Pendant ce temps, Lazare Ponticelli se battait pour la France. Parmi les premiers titulaires, le père de Patrick Devedjian, actuel secrétaire général de l'UMP, qui a fui la Turquie en 1919 en raison du génocide arménien.

La première guerre mondiale et la grippe espagnole laissent la France exsangue, et elle ouvre largement ses frontières pour faire venir la main-d'œuvre dont elle a besoin. En 1924, les organisations patronales, avec l'accord du gouvernement, fondent la Société générale d'immigration, qui introduira en France en l'espace de quelques années, pas moins de cinq cent mille travailleurs étrangers, en majorité Italiens, Espagnols et Polonais. Parmi ces Polonais, un juif du nom de Stanisław « Simkha » Gościnny, qui s'installera à Paris, 42 rue du Fer-à-Moulin. Son fils René sera le créateur des Dalton, de Rantanplan (pas de Lucky Luke), d'Iznogoud, du Petit Nicolas, des Dingodossiers, et surtout d'Astérix, le plus franchouillard des héros Français.

Mais le chômage refait son apparition avec le ralentissement annonçant la crise de 1929. Et la législation refait de l'étranger la variable d'ajustement, quand ce n'est pas le responsable des malheurs des Français, malgré la politique courageuse et visionnaire du gouvernement.

La loi du 11 août 1926 réglemente le travail des étrangers en France et prévoit, sur la carte d'identité d'étranger, l'apposition de la mention « travailleur », subordonnée à la production d'un contrat de travail, le titulaire ne pouvant changer d'emploi avant l'expiration du contrat.

Arrive la crise de 1929. La France est durement touchée. Devinez qui va payer l'addition ?

La loi du 10 août 1932 institue un contingentement de la main-d'œuvre étrangère par profession ou branche de l'industrie ou du commerce. Cette tentative de réponse à la crise économique s'accompagne d'une limitation des entrées d'étrangers sur le territoire français et d'un refus de régularisation des « clandestins ». Oui, la législation qu'on applique encore aujourd'hui (art. 40 de la loi Hortefeux) sous le nom d'immigration “choisie” est héritée d'une législation d'urgence face à la crise de 1929, dont l'Histoire a montré l'efficacité.

Je passerai rapidement sur la politique de Vichy en la matière : au-delà des législations de circonstances mettant en place une politique ouvertement raciste et spécialement les lois anti-juives, soulignons que le gouvernement de Pétain reviendra rétroactivement sur les naturalisations accordées depuis 1927 et organisera un régime de travaux forcés pour les étrangers “en surnombre”.

La Libération voit une remise à plat de toute la législation française, et le droit moderne des étrangers est né à cette époque : le CESEDA n'est que la codification à droit constant opérée en 2004 d'une ordonnance du 2 novembre 1945.

Il s'agissait, selon les mots du Général De Gaulle, « d'introduire, au cours des prochaines années, avec méthode et intelligence, de bons éléments d'immigration dans la collectivité française ». Il faut dire qu'en 1945, les économistes estiment à un million et demi les besoins de main-d'œuvre pour reconstruire le pays. La France accueille largement de la main d'œuvre étrangère, notamment venue des pays d'Europe de l'Est fuyant l'occupation soviétique. Parmi eux, un fils de fonctionnaires hongrois dont les propriétés à Alattyán avaient été confisqués. Il s'appelait Nagybócsai Sárközy Pál, et je vous ai parlé de son fils au début de ce billet.

Malgré la volonté et la nécessité d'ouvrir les portes à l'immigration, ce régime, bien plus simple que l'actuel, va rapidement montrer ses limites, les employeurs préférant recourir à de la main d'œuvre irrégulière et régulariser sa situation après coup. Ce sera le début d'un absurde cycle de régularisations massives - promesse que cette fois c'est fini - durcissement de la législation - régularisation massive. La première aura lieu dès 1948. La dernière à 2006, et la prochaine est en préparation.

Les Trente Glorieuses augmentent les besoins de main d'œuvre et jusque dans les années 60, la France va largement puiser dans les réserves des anciennes colonies et protectorats, où une population, jeune, francophone et connaissant l'administration française est disponible. Parmi eux, un maçon marocain, Mark Dati, arrivera en France en 1963. Sa fille Rachida deviendra magistrat et Garde des Sceaux.

Aujourd'hui, l'obtention d'un titre de séjour par un étranger voulant venir travailler en France est très difficile, et longue (sauf s'il est footballeur professionnel). L'accumulation de barrières administratives a entraîné un accroissement du recours à de la main d'œuvre en situation irrégulière. L'image du patron exploitant sans vergogne des étrangers sous-payés plutôt que des Français trop chers est un pur cliché, version marquée à gauche du cliché marqué à droite de l'étranger volant l'emploi des Français. J'ai reçu assez d'employeurs voulant obtenir la régularisation d'un de leurs employés, qui prenaient en charge mes honoraires, et m'expliquaient leurs années de galère sans trouver celui dont ils avaient besoin jusqu'à ce qu'ils rencontrent celui dont ils demandent la régularisation pour savoir que les deux sont aussi faux l'un que l'autre et révèlent plus les préjugés de celui qui les véhicule.

Mais au fil des alternances, les deux versions de ce cliché ont conduit à ajouter sans cesse des obstacles à la régularisation, même si des signaux existaient déjà révélant l'existence de secteurs “en tension” ne trouvant pas de main d'œuvre. C'est un secret de Polichinelle que la restauration et le bâtiment reposent sur une main d'œuvre en grande partie étrangère sans papier. André Daguin, président de l'Union des Métiers de l'Industrie Hôtelière (UIMH) estime à 50 000 le nombre de ces salariés clandestins dans son secteur. Soit deux fois le nombre d'étrangers qui vont probablement et à grands frais être reconduits à la frontière.

Gouverner, c'est parler clairement, expliquer ses choix. Pas feindre par trois fois de ne pas comprendre la question parce que la réponse contredit trente années de politique à l'égard des étrangers, dont trois lois en quatre ans voulues par l'actuel titulaire de la fonction présidentielle.

J'espère vous avoir armés pour que vous ne vous laissiez plus abuser par de si piètres esquives.

Notes

[1] Rappelons que l'itération est accomplir une deuxième la même action, et que réitérer est le faire une troisième fois.

vendredi 25 avril 2008

50 000

Ce n'est pas le montant moyen de mes honoraires mais le nombre de commentaires laissés sur ce blog depuis le 1er décembre 2004, date de son installation sous Dotclear (les commentaires laissés sur le vieil U-blog n'ont pu être décomptés). Ce chiffre ne tient pas compte des commentaires effacés (doublons, récidive de troll) mais tient compte des commentaires modérés par Troll Detector™. Il ignore également 2446 commentaires mis hors ligne, généralement à la demande de leur auteur ou d'une personne visée, mais conservés pour diverses raisons.

Et c'est Pax Romana qui emporte le titre, avec un commentaire qui n'est peut-être pas le plus profond qu'il ait laissé sur ce blog mais qui contient néanmoins une certaine part de vérité irréfutable.

Toutes mes félicitations au vainqueur, qui gagne un pin's aux armes de ce blog (un Code de procédure pénale et une batte de base ball croisés sur fond noir).

Et pour répondre à la question que vous vous posez peut-être, oui, je les ai tous lu, ce qui me permet d'affirmer une fois de plus que les commentaires sont une vraie plus-value de ce blog par leur qualité et leur courtoisie, même si quelques malappris essaient de temps en temps de jouer les troubles-fêtes (une légère recrudescence ces temps-ci, mais le service d'ordre veille : évitez simplement de leur répondre).

Zut à eux et merci à tous les autres : vos commentaires et ce qu'ils apportent sont ma récompense.

jeudi 24 avril 2008

Prix Busiris à Monsieur Jean Dionis du Séjour

Il aura fallu trois jours de délibération au jury pour attribuer ce prix à Monsieur Jean Dionis du Séjour, le temps pour lui de comprendre quelque chose à la loi que les propos récompensés commentent.

Jean Dionis du Séjour, photo Assemblée Nationale

Ce prix lui est attribué pour avoir déclaré, le lundi 21 avril 2008, lors de l'émission La Matinale de Canal+ (passage encore visible sur le site, c'est à 8h15, ou à 14:02 de la vidéo, avec d'entrée un superbe “vide juridique” lancé par le journaliste), interrogé en tant que « spécialiste de l'économie numérique et des nouvelles technologies », sur l'action intentée par TF1 contre Dailymotion, successivement et dans l'ordre :

[Ces plaintes] étaient prévisibles parce qu'on est arrivé un peu en butée de la Loi pour la Confiance dans l'Économie Numérique (LCEN) qui organise les rapports entre auteurs, éditeurs et hébergeurs. [On assiste] à la montée en puissance de nouveaux sites où les internautes postent directement du contenu, ce qu'on a appelé globalement le web 2.0, et ce web 2.0 fait un peu exploser en vol la belle architecture de la LCEN.

Interrogé sur cette belle architecture, Jean Dionis du Séjour en fait ce résumé.

L'architecture de la LCEN, c'est auteur responsable, éditeur responsable, hébergeur irresponsable, fournisseur d'accès irresponsable. Ce qui est en train de se passer avec le web 2.0, c'est l'effacement de la notion d'éditeur et comme il faut trouver quelqu'un qui est responsable, on se retourne vers la personne solide qui reste et qui est l'hébergeur.

Interrogé sur l'action de TF1 et ses chances de succès, Jean Dionis du Séjour esquive habilement la question et répond :

On est en train de vivre la construction d'une jurisprudence qui est anarchique et très confuse. C'est pourquoi nous disons : la LCEN a été une très bonne loi, mais il va falloir la prolonger ; mieux vaut une bonne législation qui va reposer le problème de l'hébergeur à une jurisprudence qui sera extrêmement confuse et va désorienter tous les acteurs de la chaîne internet.

Le journaliste lui demande alors si la loi à venir prévoit que les hébergeurs du type Dailymotion ou Youtube seront obligés de payer des droits pour le contenu qu'ils hébergent, cela ne signe-t-il pas leur arrêt de mort ? Réponse embarrassée du député :

Pour le moment, on n'en est pas exactement là. On en est à dire que Dailymotion sera… serait, il faudra l'encadrer, le limiter, il serait partiellement responsable des contenus [qu'il héberge], il faudra que Dailymotion s'engage plus (d'ailleurs, ils le font déjà) dans la surveillance, dans le contrôle des contenus qui seront apportés par les internautes, et les contenus qui seront [soumis au droit d'auteur], il faudra qu'ils fassent en sorte qu'ils ne soient pas mis en ligne, quoi.

En quoi cette interview est-elle busirissable ?

L'affirmation aberrante est que la LCEN est une “belle architecture”, une “très bonne loi”, mais qui par un tour mystérieux (on devine la perversité naturelle des juges) génère une jurisprudence anarchique et confuse, et qu'il est donc urgent de la modifier pour reposer le problème de l'hébergeur irresponsable qui ne doit plus l'être tout à fait, alors que c'était pourtant le cœur de la loi. Nouvelle variation du législateur sur le thème de « nous faisons des lois merveilleuses, le problème c'est les juges, et la solution, une nouvelle loi ».

Elle est teintée de mauvaise foi car Jean Dionis du Séjour a toutes les raisons d'avoir pour la LCEN les yeux de Chimène puisqu'il en était le rapporteur à l'Assemblée nationale (rapport n°612 du 12 février 2003, n°1282 du 10 décembre 2003, n°1553 en CMP du 27 avril 2004).

Elle est contradictoire car une “très bonne loi” n'a pas besoin d'être modifiée quatre ans après avoir été adoptée dès qu'elle commence à être appliquée concrètement.

Ajoutons à cela qu'il est inexact de dire que la LCEN, c'est « auteur responsable, éditeur responsable, hébergeur irresponsable, fournisseur d'accès irresponsable » : d'une part la LCEN ne mentionne nulle part l'existence d'un “auteur” de contenu opposé à l'éditeur, et d'autre part et surtout ne dit pas que l'hébergeur est irresponsable : elle dit qu'il l'est[1], à la condition qu'on prouve qu'il avait connaissance du caractère illicite de ce contenu. Enfin, inviter Dailymotion à surveiller le contenu et à ne pas mettre en ligne un contenu soumis à droit d'auteur est en contradiction avec le texte même de cette « très bonne loi » qui dit expressément : « [les hébergeurs] ne sont pas [soumis] à une obligation générale de surveiller les informations qu'elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. »

En somme, sa loi est très bonne, dès lors qu'elle ne dit pas vraiment ce qu'elle dit. Voilà l'aberration.

Et pendant que vous vous ferez servir une coupe de champagne au buffet de remise du prix, vous pourrez méditer sur cette “belle architecture” d'une “très bonne loi”, dont je reproduis ci-dessous in extenso l'article 6 qui contient à lui seul toutes les règles applicables. Lisez-le à voix haute, et conspuez les juges qui à partir de ce texte d'une clarté diaphane dans un français élégant, osent tirer une jurisprudence qui apparaît confuse.


Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

Article 6

I. - 1. Les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne informent leurs abonnés de l'existence de moyens techniques permettant de restreindre l'accès à certains services ou de les sélectionner et leur proposent au moins un de ces moyens.
2. Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible.
L'alinéa précédent ne s'applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l'autorité ou le contrôle de la personne visée audit alinéa.
3. Les personnes visées au 2 ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée à raison des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de l'activité ou de l'information illicites ou si, dès le moment où elles en ont eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l'accès impossible.
L'alinéa précédent ne s'applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l'autorité ou le contrôle de la personne visée audit alinéa.
4. Le fait, pour toute personne, de présenter aux personnes mentionnées au 2 un contenu ou une activité comme étant illicite dans le but d'en obtenir le retrait ou d'en faire cesser la diffusion, alors qu'elle sait cette information inexacte, est puni d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 EUR d'amende.
5. La connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes désignées au 2 lorsqu'il leur est notifié les éléments suivants :
- la date de la notification ;
- si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement ;
- les nom et domicile du destinataire ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social ;
- la description des faits litigieux et leur localisation précise ;
- les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;
- la copie de la correspondance adressée à l'auteur ou à l'éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l'auteur ou l'éditeur n'a pu être contacté. 6. Les personnes mentionnées aux 1 et 2 ne sont pas des producteurs au sens de l'article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle.
7. Les personnes mentionnées aux 1 et 2 ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu'elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.
Le précédent alinéa est sans préjudice de toute activité de surveillance ciblée et temporaire demandée par l'autorité judiciaire. Compte tenu de l'intérêt général attaché à la répression de l'apologie des crimes contre l'humanité, de l'incitation à la haine raciale ainsi que de la pornographie enfantine, les personnes mentionnées ci-dessus doivent concourir à la lutte contre la diffusion des infractions visées aux cinquième et huitième alinéas de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et à l'article 227-23 du code pénal.
A ce titre, elles doivent mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance ce type de données. Elles ont également l'obligation, d'une part, d'informer promptement les autorités publiques compétentes de toutes activités illicites mentionnées à l'alinéa précédent qui leur seraient signalées et qu'exerceraient les destinataires de leurs services, et, d'autre part, de rendre publics les moyens qu'elles consacrent à la lutte contre ces activités illicites.
Tout manquement aux obligations définies à l'alinéa précédent est puni des peines prévues au 1 du VI.
8. L'autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2 ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne.
II. - Les personnes mentionnées aux 1 et 2 du I détiennent et conservent les données de nature à permettre l'identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l'un des contenus des services dont elles sont prestataires. Elles fournissent aux personnes qui éditent un service de communication au public en ligne des moyens techniques permettant à celles-ci de satisfaire aux conditions d'identification prévues au III.
L'autorité judiciaire peut requérir communication auprès des prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I des données mentionnées au premier alinéa.
Les dispositions des articles 226-17, 226-21 et 226-22 du code pénal sont applicables au traitement de ces données. Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, définit les données mentionnées au premier alinéa et détermine la durée et les modalités de leur conservation.
III. - 1. Les personnes dont l'activité est d'éditer un service de communication au public en ligne mettent à disposition du public, dans un standard ouvert :
a) S'il s'agit de personnes physiques, leurs nom, prénoms, domicile et numéro de téléphone et, si elles sont assujetties aux formalités d'inscription au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, le numéro de leur inscription ;
b) S'il s'agit de personnes morales, leur dénomination ou leur raison sociale et leur siège social, leur numéro de téléphone et, s'il s'agit d'entreprises assujetties aux formalités d'inscription au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, le numéro de leur inscription, leur capital social, l'adresse de leur siège social ;
c) Le nom du directeur ou du codirecteur de la publication et, le cas échéant, celui du responsable de la rédaction au sens de l'article 93-2 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 précitée ;
d) Le nom, la dénomination ou la raison sociale et l'adresse et le numéro de téléphone du prestataire mentionné au 2 du I.
2. Les personnes éditant à titre non professionnel un service de communication au public en ligne peuvent ne tenir à la disposition du public, pour préserver leur anonymat, que le nom, la dénomination ou la raison sociale et l'adresse du prestataire mentionné au 2 du I, sous réserve de lui avoir communiqué les éléments d'identification personnelle prévus au 1.
Les personnes mentionnées au 2 du I sont assujetties au secret professionnel dans les conditions prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal, pour tout ce qui concerne la divulgation de ces éléments d'identification personnelle ou de toute information permettant d'identifier la personne concernée. Ce secret professionnel n'est pas opposable à l'autorité judiciaire.
IV. - Toute personne nommée ou désignée dans un service de communication au public en ligne dispose d'un droit de réponse, sans préjudice des demandes de correction ou de suppression du message qu'elle peut adresser au service, [Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel n° 2004-496 DC du 10 juin 2004].
La demande d'exercice du droit de réponse est adressée au directeur de la publication ou, lorsque la personne éditant à titre non professionnel a conservé l'anonymat, à la personne mentionnée au 2 du I qui la transmet sans délai au directeur de la publication. Elle est présentée au plus tard dans un délai de trois mois à compter de [Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel n° 2004-496 DC du 10 juin 2004] la mise à disposition du public du message justifiant cette demande.
Le directeur de la publication est tenu d'insérer dans les trois jours de leur réception les réponses de toute personne nommée ou désignée dans le service de communication au public en ligne sous peine d'une amende de 3 750 EUR, sans préjudice des autres peines et dommages-intérêts auxquels l'article pourrait donner lieu.
Les conditions d'insertion de la réponse sont celles prévues par l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 précitée. La réponse sera toujours gratuite.
Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article.
V. - Les dispositions des chapitres IV et V de la loi du 29 juillet 1881 précitée sont applicables aux services de communication au public en ligne et la prescription acquise dans les conditions prévues par l'article 65 de ladite loi [Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel n° 2004-496 DC du 10 juin 2004].
[Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel n° 2004-496 DC du 10 juin 2004.]
VI. - 1. Est puni d'un an d'emprisonnement et de 75 000 EUR d'amende le fait, pour une personne physique ou le dirigeant de droit ou de fait d'une personne morale exerçant l'une des activités définies aux 1 et 2 du I, de ne pas satisfaire aux obligations définies au quatrième alinéa du 7 du I, de ne pas avoir conservé les éléments d'information visés au II ou de ne pas déférer à la demande d'une autorité judiciaire d'obtenir communication desdits éléments.
Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables de ces infractions dans les conditions prévues à l'article 121-2 du code pénal. Elles encourent une peine d'amende, suivant les modalités prévues par l'article 131-38 du même code, ainsi que les peines mentionnées aux 2° et 9° de l'article 131-39 de ce code. L'interdiction mentionnée au 2° de cet article est prononcée pour une durée de cinq ans au plus et porte sur l'activité professionnelle dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise.
2. Est puni d'un an d'emprisonnement et de 75 000 EUR d'amende le fait, pour une personne physique ou le dirigeant de droit ou de fait d'une personne morale exerçant l'activité définie au III, de ne pas avoir respecté les prescriptions de ce même article. Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables de ces infractions dans les conditions prévues à l'article 121-2 du code pénal. Elles encourent une peine d'amende, suivant les modalités prévues par l'article 131-38 du même code, ainsi que les peines mentionnées aux 2° et 9° de l'article 131-39 de ce code. L'interdiction mentionnée au 2° de cet article est prononcée pour une durée de cinq ans au plus et porte sur l'activité professionnelle dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise.


Le MP3 de l'interview :

Notes

[1] Article 6, I, 2 et 3 de la LCEN.

mercredi 23 avril 2008

Combien faut-il d'économistes pour remplir une station Vélib ?

Réponse : un, à condition que soit Pierre-Yves Geoffard.

Celui-ci, dans Libération, le 8 octobre 2007 :

Vélib’ ou une autre illustration de la loi de la tartine beurrée : quand on cherche un vélo, toutes les stations sont vides ; quand on veut le déposer, toutes les stations sont pleines.

(…)

On dira que j’exagère, et l’on n’aura pas tort. On se demandera aussi ce que cette caricature vient faire dans une chronique économique ; et là on se trompera. Car nulle fatalité dans ce dysfonctionnement, mais au contraire l’illustration que les règles de base de l’économie mériteraient d’être connues des décideurs publics ou de leurs partenaires publicitaires. Ce que montre l’expérience de chacun, c’est qu’il y a à la fois excès de demande (dans les stations vides) et excès d’offre (dans les stations pleines). La réponse mise en œuvre pour corriger ce déséquilibre s’appuie sur une vision centralisée : un mécanisme dit de «régulation» prévoit que 20 voitures (propres, forcément propres) parcourront Paris à la recherche des stations pleines pour y prendre des vélos et y libérer des places, et regarnir de ces vélos des stations vides. L’expérience montre que cette «régulation» n’est pas à la mesure de l’enjeu. Le succès des Vélib’ est massif, mais il se trouve que les parcours des usagers sont souvent identiques, ce qui n’a rien d’étonnant : est-ce vraiment une surprise que les stations du haut de Belleville soient systématiquement vides, et celles d’en bas toujours pleines ? La voiture régulatrice et son chariot empli de vélos, Sisyphe roulant au gaz naturel, aura beau remonter les vélos, rien n’y fera, ils redescendront, il faudra à nouveau qu’elle les remonte puisque personne d’autre ne s’en chargera.

Pourtant, un autre mécanisme est possible. Le constat d’une offre et d’une demande excédentaires indique qu’il manque un système de prix permettant de traduire l’abondance ou la rareté. Un tel système pourrait être mis en place, il reposerait sur un principe simple : emprunter un vélo dans une station pleine doit être moins cher que dans une station presque dégarnie ; laisser un vélo dans une station presque pleine doit être plus onéreux que dans une station vide. Par exemple, prendre un vélo là où il y en a trop pour le rendre dans une station vide pourrait être gratuit ou récompensé par un crédit temps, voire valoir une rémunération à celle ou celui qui aura ainsi contribué à la force de ses mollets (proprement, donc) à l’équilibre de l’offre et de la demande. Ce mécanisme de récompense aurait la grande vertu de décentraliser la régulation ; plutôt que d’attendre que le bureau de planification détermine le trajet des 20 véhicules chargés de déplacer des fournées de vélos, il s’appuierait sur la dissémination de l’information et des utilisateurs potentiels. En incitant des milliers d’usagers à pédaler à contre-courant des circuits trop classiques, il s’en trouvera toujours quelques-uns pour envisager un détour et remplir ainsi la mission assignée aux 20 «régulateurs» à gaz. Toute la vertu d’un système de «prix» est justement dans la décentralisation : en faisant de chacun un régulateur potentiel, il multiplie le nombre d’interventions possibles ; et, de la même manière que sur un marché en excès de demande la hausse du prix dissuade certains consommateurs et stimule certains producteurs, un encouragement adéquat pousserait certains usagers à déplacer des vélos au bénéfice de tous. Certes, pas forcément de la place Maillot à la porte Dorée, mais des centaines de déplacements parfois de courte distance contribueraient à mieux répartir les places vides et les places pleines.

Annick Lepetit, adjointe au maire chargée des déplacements, des transports et de l’espace public (ses cartes de visites sont au format A3), le 23 avril 2008 :

Afin d’améliorer la régulation et de permettre à chacun de trouver un vélo disponible, la Mairie de Paris a sélectionné une centaine de stations Vélib’, situées le plus souvent en hauteur. Elles seront qualifiées de stations « bonus ».

Le principe est simple : tout utilisateur qui déposera un Vélib’ à l’une de ces stations bénéficiera de 15 « minutes bonus », c’est-à-dire supplémentaires.

Le principe est simple. Heureusement, l'application sera bureaucratique ; sinon, ça aurait risqué de marcher.

[Par exemple,] Si vous avez effectué un parcours de 40 minutes et que vous déposez votre vélo à une station « bonus », les 10 minutes de location supplémentaires ne vous seront pas facturées.

Cependant, l’intégralité des 15 « minutes bonus » sera consommée car ce crédit temps est indivisible. Ainsi, dans notre exemple, vous ne pourrez pas reporter les 5 minutes restantes pour un trajet ultérieur.

Seuls les « abonnés un an » pourront cumuler les « bonus de 15 minutes » non utilisés. Ils pourront sur le site velib.paris.fr consulter leur compte personnel et le nombre de crédits temps ainsi obtenus.

Heu… Annick (Permettez qu'on s'appelle par nos prénoms ? Moi, c'est Maître.)… Je sais que Vélib' tourne sous Windows®, mais diviser 15 minutes par 15, même Vista peut y arriver à condition d'avoir un processeur à 5 giga. À quoi ça rime, ces quart-d'heures républicains (Uns et Indivisibles) ? Pourquoi diminuer ainsi l'incitation à garnir les Déserts de l'Altitude ? Pourquoi, à peine un cadeau fait à ceux qui font un effort, jouer les radins et leur chipoter le fruit de cet effort ? C'est mesquin et contre-productif. Un type qui vous aura ramené à la force du mollet chaque jour son Vélib' à la station Télégraphe (dite l'Everest de Paris : 121,23m au-dessus du niveau de la mer, la Seine étant à 30m au-dessus du niveau de la mer environ) en 31 minutes n'aura pas droit à une ballade d'1h45 le dimanche sans reposer son vélo pour le remercier, il lui sera juste fait cadeau de la minute supplémentaire ? J'avoue que ça me dépasse, parfois.


La liste des stations Bonus est sur la carte des stations (format PDF, 5,81Mo). Entrée en vigueur courant juin.


Sur cet article, le commentaire des éconoclastes.

Pas de temps à perdre.

Jean-Marie Le Ray s'étonne de “m'avoir piqué au vif” par sa désobligeance, alors que lui naturellement ne l'est pas, baptise sa réponse «riposte».

Las, quand je lis d'entrée :

Or malheureusement, non seulement vous ne répondez pas à mon « analogie funeste du kiosque à journaux », mais de plus vous vous embarquez dans une telle série d’erreurs d’appréciation que cela en devient embarrassant, Eolas !

J'arrête aussitôt de lire car je comprends que j'ai affaire à quelqu'un qui ne m'a manifestement pas lu, qui n'éprouve aucun intérêt à la confrontation des points de vue, qui substitue son “bon sens” à la réflexion et la grossièreté à l'argumentation. bref, une perte de temps. J'arrête là ce simulacre de dialogue. Et je ne mets pas de lien vers cette "riposte", je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps : son prochain billet sera un cri de triomphe où il se vantera d'avoir eu le dernier mot et pleurnichera des larmes de crocodile sur mon refus du dialogue. Oui, en plus, il est prévisible.

Je n'ouvre pas les commentaires, la discussion qu'il y a sur le sujet (d'un autre niveau, y compris chez les points de vue contraires au mien) continuera en commentaires sous le billet précédent.

J'espère pouvoir mettre le commentaire du jugement Lafesse/Dailymotion en ligne demain au plus tard.

mardi 22 avril 2008

Affaires Fuzz et autres, réplique à Adscriptor

Dans un long billet, Jean-Marie Le Ray répond à mon billet “Affaires Fuzz, Dicodunet, lespipoles et autres : et si le juge avait raison ?

Je ne pensais pas pouvoir y répondre rapidement vu sa longueur, mais en fait, il s'avère que la partie argumentative, au demeurant intéressante, peut se résumer aisément, le reste n'étant que des scories atrabilaires contre le droit, accusé d'être contraire au “bon sens”, comprendre celui de Jean-Marie Le Ray, ou votre serviteur, accusé de n'être qu'un valet dudit droit. L'auteur me pardonnera de passer rapidement sur ces paragraphes qui n'ont d'autre intérêt que lui permettre de passer ses nerfs, et lui conseiller amicalement de se relire et élaguer la prochaine fois avant de poster, par respect pour son lectorat et surtout son interlocuteur, faute de quoi ce dialogue risque de terminer prématurément[1].

L'auteur de ce billet exprime son vif désaccord avec les décisions Olivier Martinez. J'espère ne pas trahir son argumentation en la reprenant ainsi.

À titre préliminaire, il reprend à son compte l'analogie funeste du kiosque à journaux, me reprochant de ne pas y répondre. En fait, j'y ai répondu en commentaire, et Narvic aussi de son côté. Je vais y répondre une dernière fois et rapidement parce que cette analogie, comme la plupart des analogies, est une perte de temps. Un kiosque à journaux est un édicule sur la voie publique qui vend des journaux. Pour y lire un journal, il faut acheter un exemplaire dont on devient propriétaire. Il n'y a pas de journaux gratuits en kiosques, ils sont distribués ailleurs, dans des présentoirs dans le métro et dans les boutiques. Car un kiosque à journaux fait partie d'un réseau de distribution qui n'inclut pas les gratuits. Le kiosquier n'a aucune liberté sur les journaux qu'il propose à la vente. Il doit vendre la presse d'extrême droite comme d'extrême gauche, la presse por-nographique comme la Vie du Rail. Cette absence de liberté l'exonère de sa responsabilité, c'est la loi, sauf s'il distribue des revues ne mentionnant ni directeur de publication, ni auteur, ni imprimeur. Enfin, en raison de leur différence de nature, la presse relève d'une loi spéciale, la loi du 29 juillet 1881, tandis que l'internet relève de la LCEN. J'ajoute dans la série des évidences invisibles au “bon sens” que les quotidiens sont retires du kiosque chaque jour, les hebdomadaires chaque semaine, et les mensuels chaque mois, tandis que sur internet, rien ne s'oublie, et que l'intégralité des numéros du Journal d'un avocat®, quatre ans de mépris et de morgue garantis sans un gramme de bon sens, est toujours disponible d'un simple clic dans la colonne de droite. L'analogie aurait quelque pertinence si on pouvait se servir gratuitement dans les kiosques à journaux, qui conserveraient en plus en réserve des exemplaires de tous les numéros qu'ils aient jamais détenus (ce qui suppose des kiosques de la taille de la bibliothèque nationale), le réseau de distribution espérant se rentabiliser uniquement par la publicité affichée sur les édicules. Vous voyez qu'on en est loin.

Donc, cette analogie n'est pas pertinente, et s'obstiner à comparer des situations sans rapport revient à changer les données du problème, donc renforce la confusion.

J'espère (sans trop y croire hélas) que nous en avons fini avec elle. En tout cas, je refuse de perdre mon temps à continuer à expliquer à des professionnels de l'internet la différence entre un site web et un kiosque à journaux. Surtout, mais là, cher Jean-Marie, vous l'avez cherché, quand vous écrivez plus loin dans le même billet, pour contester mon affirmation que la loi sur la presse de 1881 s'est bien adaptée à la radio puis à la télévision :

…qu'Internet n'a rien à voir ni avec la radio, ni avec la télévision ! Parce qu'Internet n'a rien à voir avec tout ce qui a précédé ... Internet.

Sauf avec les kiosques à journaux, le lecteur aura rectifié de lui-même.

Redevenons donc sérieux.

Le postulat de Jean-Marie Le Ray est que les sites comme Fuzz, Wikio, et je suppose, bien qu'ils ne soient pas cités, dicodunet et lespipoles, devraient être irresponsables de ce qu'ils publient car ils n'ont aucun degré de liberté sur leur contenu.

À l'appui de cette affirmation qui a de quoi surprendre, l'auteur explique que le contenu est composé d'infos au sens large, qui apparaissent soit en automatique via un flux RSS (Wikio, lespipoles, dicodunet) soit manuellement par les utilisateurs (Fuzz). Cette info peut être le titre seul, le titre accompagné d'une courte présentation ou l'intégralité de l'article, peu importe.

Cette apparition étant indépendante de la volonté de la personne qui exploite le site, elle exclurait sa responsabilité. Certes, reconnaît tout de même Jean-Marie Le Ray, il y a bien volonté en amont de s'abonner à tel flux, mais en aval, il est matériellement impossible d'en surveiller le contenu : Wikio invoque par exemple 4 millions d'articles indexés par mois. Cette impossibilité matérielle devrait aboutir à une impossibilité juridique d'engager la responsabilité des sites concernés, sauf à condamner à terme les sites d'agrégation, et, ce qui semble être pire encore pour l'auteur, “aller dans un sens totalement opposé à l'évolution d'internet”. Pour l'auteur, en conclusion, le “choix éditorial” est le choix, en amont, d'indexer tel flux, qui, s'il n'est pas illicite par sa nature, ne saurait engager la responsabilité de celui qui le reprend à raison d'un contenu ponctuel qui, lui, serait illicite. Quant à Fuzz, puisque l'éditeur du site ne peut supprimer a priori un lien qui est mis en ligne par un tiers,cela imposerait une validation préalable qui serait une tâche considérable ; et encore est-il douteux qu'en lisant qu'Olivier Martini et Kellé Mignone sont toujours amoureux et ont été vus ensemble à Paris, Éric Dupin aurait immédiatement compris qu'il s'agissait d'une atteinte à leur vie privée.

Je passe sur le reste du billet qui selon Pierre Chappaz, fondateur de Wikio, « fait honneur au web », où on apprend entre autres que son auteur « n'ose même plus aller pisser sans consulter d'abord le Code civil. Des fois que ça porterait atteinte à quelqu'un sans [qu'il ne] le sache'' ». Des fois, quand on lit ça, on se dit qu'expliquer le droit, c'est miction impossible.

Là où le raisonnement de Jean-Marie Le Ray est erroné est qu'il n'accepte que l'hypothèse d'une responsabilité immédiate, conséquence directe d'une faute, toute autre hypothèse étant invalidée comme “contraire au bon sens”, ce qui est un peu léger dans un débat qui, ne lui en déplaise, est essentiellement juridique. Selon Jean-Marie Ray, seule la personne ayant publié une information illicite comme résultat d'un acte volontaire (donc soit le site qui rédige l'original de l'article soit l'usager qui le reprend sur Fuzz) seraient responsable de son contenu. Tous ceux qui reprendraient la nouvelle mécaniquement (Wikio) ou offriraient à quiconque les moyens de la faire figurer sur leur site (Fuzz) seraient irresponsables car ils n'auraient pas commis de faute ; tout au plus auraient-ils fait encourir le risque à des victimes de contenus illicites de donner une chambre d'écho à ces contenus, sans qu'on puisse les en blâmer parce qu'ils ne sont au courant de rien. Le triomphe de l'autruche, en somme.

Le droit, qui, comme l'internet, cher Jean-Marie, s'écrit toujours avec une minuscule, admet depuis longtemps des hypothèses de responsabilité pour faute indirecte, pour faute de négligence, voire sans faute : tout le droit de l'indemnisation des accidents de la circulation repose sur un système excluant la recherche d'une faute. Et cela fait 23 ans que ça marche. Il en va de même depuis 110 ans pour la responsabilité du fait des choses (arrêt Teffaine, 1897), sans oublier la responsabilité du commettant du fait des préposés (de l'employeur pour les dommages causés par ses salariés dans l'exercice de leurs fonctions, si vous préférez), des parents du fait de leur enfant, etc. Bref, en matière civile, on peut être responsable sans nécessairement être fautif (il n'en va pas de même au pénal, mais les affaires Wikio, Fuzz et autres sont exclusivement civiles), dès lors que l'on cause un dommage.

Et c'est précisément ce que dit la loi en matière d'atteinte à la vie privée. Cette loi, l'article 9 du Code civil, prévoit que la publication d'une information portant atteinte à la vie privée cause nécessairement un dommage qui doit être réparé. Et aucune acrobatie intellectuelle sur la nature d'un flux RSS ne peut faire croire que cette information n'a pas été publiée sur Fuzz ou sur Wikio. De même que l'argument de Jean-Marie Le Ray qui croit avoir découvert que cette information ne portait pas en réalité atteinte à la vie privée des intéressés est une torsion brutale de la raison. Une relation sentimentale, comme sa fin ou sa reprise, relève de la vie privée. C'est du bon sens, pourtant.

L'informatique permet aujourd'hui des reprises d'information instantanées qui font qu'une info publiée sur un site peut être reprise en quelques minutes à des centaines d'exemplaire, et en quelques heures, à des milliers. Il y a même des outils pour surveiller ces phénomènes. Et les sites en cause, Fuzz, Wikio, lespipoles, dicodunet, se proposent d'offrir aux internautes un aperçu de ce dont on parle le plus, sous entendu : pas besoin de cavaler sur tous les sites d'actualité ou autres, vous trouverez ce dont on parle chez nous, classé par catégories.

Une de ces infos peut être illicite, porter atteinte à la vie privée, et sa publication causer un préjudice à qui en est victime. Sa reprise sur des centaines de site, fût-elle automatique, participe à ce préjudice. Chaque reprise aggrave ce préjudice. C'est une chose que le Courrier de l'Oise publie le récit de ma virée à la soirée mousse au Dépôt, c'en est une autre que cette info soit reprise par Libération, Le monde, le Figaro, Wikio et Mickey Magazine. Le fait qu'il y ait eu un être humain derrière chaque reprise dans la presse écrite et que ce ne soit que des automates informatiques qui l'aient fait sur l'internet n'est qu'une très maigre consolation, dès lors que dans les deux cas, ce sont des êtres humains qui ont accès à l'information ainsi diffusée.

Néanmoins, l'internet obéit à des spécificités techniques particulières, et la loi a pris en considération cet état de la technique. La LCEN a distingué trois intervenants sur l'internet : le fournisseur d'accès, l'hébergeur, et l'éditeur. Le FAI est en principe irresponsable, l'hébergeur est responsable à certaines conditions (d'information préalable du caractère illicite du contenu), et l'éditeur est pleinement responsable. Rappelons la définition de l'hébergeur : « La personne physique ou morale qui assure, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ». La personne qui assure le stockage informatique. Par opposition à l'éditeur : « Personne dont l'activité est d'éditer un service de communication au public en ligne ». Dans l'esprit du législateur, l'hébergeur, c'était le propriétaire des serveurs qui loue un hébergement mutualisé, virtuel ou dédié. Et s'il est difficile de définir un visiteur de Fuzz comme une personne dont l'activité est d'éditer un service de communication au public, il devient impossible de qualifier Gala.fr d'éditeur de Wikio. Cependant, la jurisprudence a accepté d'étendre le statut d'hébergeur à des sites comme Dailymotion ou Youtube, dont l'activité consiste à fournir un service de stockage de vidéos (Flickr aussi pour les photos, mais à ma connaissance il n'a jamais été poursuivi). Mais il reste un critère essentiel : le stockage (rappelons qu'on peut faire apparaître une vidéo hébergée sur Youtube ou Dailymotion par un lecteur embarqué). Le juge a refusé de considérer Fuzz et lespipoles comme un hébergeur (pour Wikio, la question reste entière, il n'a pas répondu) car ces sites n'étaient pas un simple site de stockage, et opéraient un vrai choix éditorial pour l'organisation des liens (lespipoles) ou en agençant différentes rubriques et décidant seule des modalités d’organisation et de présentation du site (Fuzz). Retour donc au droit commun.

Le juge se retrouve alors face à un dilemme. Une personne a subi un préjudice du fait d'une atteinte à sa vie privée. La loi dit qu'il a le droit d'être indemnisé. Mais la personne qui a véhiculé cette atteinte n'a fait que mettre en place une machine à reprendre des contenus (sans vouloir dénigrer Wikio ou Fuzz : je simplifie). Le juge a le choix entre refuser une indemnisation qui est légitime (qui est même exigée par la loi), et la mettre à la charge de quelqu'un qui n'a pas voulu causer ce dommage mais qui l'a causé en mettant en place les moyens qui l'ont permis. Cela n'a rien d'aberrant d'opter pour la deuxième branche de l'alternative ; la loi y pousse même.

Non, répond Jean-Marie Le Ray, il y a une troisième branche : mettre la réparation à la charge de celui qui a causé le dommage en premier. Gala.fr en l'occurrence. Le problème qui se pose pour le juge est que l'info a certes été publiée sur Gala.fr, mais aussi sur Fuzz et Wikio. Sur quel fondement dire que des trois, seul Gala est responsable, alors qu'il n'a même pas consenti à cette reprise de son contenu (accessoirement contraire à ses propres CGU ?) De quel droit Fuzz et Wikio diraient-ils : “oui, je l'ai publié, mais qu'il aille se plaindre à Gala et à Gala seulement” ? Pas de réponse hélas chez Adscriptor.

Bien sûr; rendre Gala.fr responsable y compris de la reprise de ses infos par des milliers de sites peut paraître à courte vue conforme au "bon sens", à l'honneur du web, et sauver les sites d'agrégation. À court terme.

À plus long terme, c'est les condamner.

Car mettre sur le dos des sites qui ne reprennent pas les informations d'autrui mais créent un contenu original indexé par Wikio, Fuzz et les autres, mettre sur leur dos disais-je, une responsabilité démesurée par rapport à leur propre audience, donc à leurs revenus potentiels, et le seul choix rationnel qu'il leur reste est de cesser la diffusion par flux RSS. Et si on leur met aussi sur le dos la responsabilité des reprises manuelles à la Fuzz, il ne leur reste plus qu'à fermer leur sites. Au moins, quand Gala publie sur papier l'info que Martini couche avec Mignonne, il n'est pas responsable si l'info est reprise sur TF1 (c'est TF1 qui est responsable). Un site internet deviendrait dès lors une source de responsabilité incontrôlable du fait de sites auxquels ils sont étrangers et n'ont aucun contrôle, et ils ne sont pas là pour fournir gratuitement du contenu et une assurance juridique à une myriade de sites. On ferme. Tarissement de la source. Mort de la poule aux œufs d'or (même si pour le moment elle ne pond pas beaucoup). Et Wikio Actualités, comme Fuzz, comme lespipoles deviennent des coquilles vides sans autre contenu que de la pub, ce qui du coup, il est vrai, devient cohérent avec leur absence de responsabilité.

Bref, cette troisième voie est pire encore que les deux premières.

Voilà le raisonnement juridique du juge : partir de la loi applicable, l'appliquer aux faits, voir si une ou plusieurs solutions s'offrent à lui. S'il n'y en a qu'une, l'appliquer. S'il y en a plusieurs, voir leurs conséquences, toutes leurs conséquences y compris à long terme (le “bon sens” lui est sujet à une myopie congénitale), et choisir la plus adaptée.

Ce n'est pas facile : on s'y met donc à plusieurs, après avoir fait de longues études. Et encore, on prévoit la possibilité de faire appel à des juges encore plus expérimentés si on a un doute. Signalons d'ailleurs que Fuzz a fait appel. Ceux qui ne comprennent pas et n'ont pas envie de faire l'effort de comprendre crieront à l'attentat au bon sens.

Qu'il suffise de se rappeler que le droit s'apprend à l'université, et le bon sens, au bistro.

Notes

[1] Qu'il envisage par exemple avant d'écrire que “je n'ai pas daigné répondre à son commentaire” que j'ai pu recevoir plus d'une centaine de commentaires ce jour là sur mon blog et qu'en outre, mon silence peut être plus dû à mon activité professionnelle qu'à ma nature méprisante envers autrui en général et Jean-Marie Le Ray en particulier ; cela fera du temps de gagné pour faire progresser le débat.

dimanche 20 avril 2008

Ha, ça ira, ça ira, ça ira…

Un événement historique, et je pèse mes mots, a eu lieu il y a dix jours à peine dans l'indifférence générale. Comme je m'enorgueillis d'avoir le lectorat le plus cultivé de l'internet francophone (et encore, uniquement parce que les vérifications sont encore en cours pour le lectorat anglo-saxon), je m'en voudrais que vous restassiez dans l'ignorance.

Donc, afin que nul n'en ignore, je le proclame ici à cor et à cris : le 9 avril 2008, la féodalité a enfin été abolie en Europe.

Tiens? Je vous sens plus dubitatifs que réjouis.

Et pourtant c'est on ne peut plus vrai. Et ça se passait à notre porte, à 50 km à vol d'oiseau de Cherbourg.

L'île anglo-normande de Sark, au large de Guernsey, dont la capitale s'appelle, ça ne s'invente pas, La Seigneurie (en français dans le texte, if you please), était un fief héréditaire, tenu depuis 1974 par John Michael Beaumont, 22e Seigneur of Sark, Officier de l'Ordre de l'Empire, titre qu'il a hérité de sa grand-mère Sybil Hathaway, 21e Dame Of Sark. Drapeau de Sark : une croix rouge sur fond blanc, le quart supérieur droit étant occupé par les lions normands, jaunes sur fond rouge Lors de son installation, il est allé s'agenouiller devant la Reine, qui lui a pris les mains dans les siennes tandis que le Seigneur lui a déclaré, toujours en Français : « Souveraine Dame, Je demeure Votre homme lige à Vous porter Foi et Hommage contre tous», ce à quoi la Reine n'a pas manqué de répondre « Nous vous acceptons advouant tous vos légitimes droits et possessions relevant de cette tenure de Nous, sauf pareillement à tous Nos Droits de Regalité », ce qui est bien envoyé, il faut le reconnaître. Il s'agit du texte de serment de vassalité en vigueur depuis Guillaume le Conquérant, devenu Souverain de l'île en 1096 1064.

De par le statut octroyé en 1565 par la reine Elisabeth I, le Seigneur de Sark a le privilège de pouvoir seul posséder des pigeons (Droit de Colombier) ; il a également seul le droit de posséder une chienne non stérilisée, mais il s'agit d'une loi du 17e siècle visant à contrôler la population canine de l'île.

Vue aérienne de l'Île de Sark (source Wikipedia)La propriété immobilière est inconnue sur l'île, la terre étant divisée en 40 tenures, les 40 tenants étant les 40 familles ayant colonisé l'île, tenant leur terre en fief perpétuel du Seigneur de Sark, terre qui se transmet par héritage ou peut être cédée selon les lois de l'île, les règles du fief interdisant tout cession partielle ou division. De plus, les Tenants gardent le droit de retraite, c'est à dire qu'ils peuvent à tout moment racheter leur terre, à charge pour eux de dédommager intégralement l'acheteur. Les tenants tiraient de leur tenure l'obligation de porter les armes au service de leur seigneur et de siéger au Conseil du Seigneur, le Chef Plaids. Au fil des années, quelques parcelles ont été cédées en fief perpétuel, dits "libres tenures", qui ne donnaient pas l'obligation de porter les armes (hormis l'obligation de Fregondée, en cas d'invasion de l'île) et de siéger au Chef Plaids.

Le Chef Plaids (dans le dialecte de l'île, le sercquiais, hérité des Normands, on dit Cheurs Pliaids) était l'assemblée délibérative, composée des 40 tenants et de 12 députés du peuple élus au suffrage universel pour une durée de trois ans. Le Seigneur désignait en son sein les Officiers, qui formaient le gouvernement de l'île : le Sénéchal et son adjoint, présidant le Chef Plaids et juge suprême de l'île ; le Prévôt et son adjoint, équivalent d'un huissier ; le Greffier et son adjoint, secrétaire du gouvernement ; le Trésorier ; et le Connétable, chef de la police, assisté du Vingtenier, ces deux dernier n'étant pas désignés par le seigneur mais élus par le Chef plaids.

Ainsi, en 2003, le Chef plaids de Sark a légalisé le divorce dans l'île, confiant cette redoutable charge à la Cour Royale de Guernsey.

Sous la pression insistante du Conseil de l'Europe, qui faisait remarquer à l'Angleterre que ce genre de gouvernement n'était pas précisément conforme à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentale, le Chef plaids a voté une réforme des institutions, qui n'a pas été sans mal, mais je passerai sur les détails de politique intérieure. Le processus a commencé le 4 juillet 2007 et s'est achevé le 9 avril 2008, par la suppression du Chef Plaids, son remplacement par une assemblée de 30 députés dont 28 élus au suffrage universel de l'île. Le Seigneur garde son titre et siégera de droit dans la nouvelle assemblée, mais perd ses privilèges. Les élections auront lieu en décembre prochain.

L'île conservera toutefois une particularité procédurale, une sorte de référé-liberté mâtiné d'action possessoire hérité des normands, la clameur de Haro, toujours en Français dans le texte. Tout habitant de l'île s'estimant victime d'une atteinte à ses droits peut, devant témoin et face à la personne supposée être à l'origine de l'atteinte illégitime à ses droits, après avoir déclamé le Notre-Père en français, s'écrier, toujours en Français dans le texte : « Haro, Haro, Haro! À mon aide mon Prince, on me fait tort ! »

Aussitôt, celui qui a ouï la Clameur doit cesser pour 24 heures l'action qui porte atteinte aux droits du Clamant.

Le Clamant doit se rendre dans les 24 heures avec son témoin face au Greffier pour faire enregistrer sa Clameur (avec un droit de 7£50, c'est que ça bouffe, des pigeons), qui sera jugée par la Cour.

La dernière Clameur a été ouïe en juin 1970, pour s'opposer à la construction d'une clôture de jardin.

Mon cœur est quant à lui déchiré entre une légitime et républicaine réjouissance de voir la démocratie l'emporter sur la féodalité et un regret dû à un goût pour l'histoire, de voir disparaître ces traditions.

Je vais donc réfléchir à une adaptation de ces lois à mon blog. Une personne s'estimant ainsi injustement traitée par un commentaire pourra ainsi user de la Clameur de Haro pour me demander sa suppression (je vous fais grâce du Notre-Père, laïcité oblige). Vos commentaires ne seraient tenus qu'en fief, d'où un droit de retraite de ma part.

Gascogne ferait un très bon Sénéchal, Dadouche serait le Prévôt, Fantômette le Greffier, car le XHTML n'a plus de secrets pour elle ; Troll Detector™ serait le Connétable.

Quant à la Trésorerie et aux pigeons, en tant qu'avocat, ils me reviennent de droit.

vendredi 18 avril 2008

De la hierarchie des normes (et du respect des institutions ?)

Par Gascogne


Le decret n° 2008-361 du 16 avril 2008 "relatif notamment (sic) aux décisions d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental" vient d'être publié au journal officiel de ce jour.

Sept articles viennent y expliquer comment va s'appliquer cette loi, qui, comme l'a assurément annoncé une toute nouvelle secrétaire d'Etat, ne se range pas du côté des assassins.

Un article 5 s'est cependant sournoisement inséré dans ce texte. Si les deux chapitres du décret (chapitre I : dispositions relatives aux décisions d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental - chapitre II : dispositions diverses) corroborent l'en-tête du texte, cet article 5 vient donner tout son sens au "notamment" que les services de la Chancellerie ont cru devoir ajouter. En effet, il dispose que "conformément aux dispositions de l'article 122-2 (2°) du code pénal, les articles 706-11 à 706-140 et D 47-27 à D 47-32 du code de procédure pénale, résultant de la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental et du présent décret, sont immédiatement applicables aux procédures en cours."

Visiblement, le ministère de la justice a d'ores et déjà balayé d'un revers de decret la décision du 21 février 2008 du conseil constitutionnel. En effet, celui-ci a cru bon de préciser dans son dixième considérant : "Considérant, toutefois, que la rétention de sûreté, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement ;"

Or, viser les "procédures en cours", sous entendu "non encore jugées", permet d'appliquer immédiatement la loi sur la rétention de sûreté aux personnes qui feront l'objet d'une condamnation postèrieure à la date de publication de cette loi, pour des faits commis antérieurement.

Un décret peut donc non seulement modifier une loi, mais encore plus aller à l'encontre d'une décision du Conseil Constitutionnel, violant ainsi la constitution elle-même. Mais j'attends bien entendu les avis éclairés pour me contredire et me démontrer que tout cela n'est que la lecture d'un texte tronquée par un pessimisme sans limite...

J'invite dans l'attente instamment le premier président de la Cour de Cassation, M. LAMANDA, à ne pas presser ses services à rendre son rapport, commandé par le président de la République pour contourner la décision du Conseil Constitutionnel rendre applicable la loi, avant la fin du mois de mai, comme il a indiqué il y a quelques jours qu'il le ferait : le premier ministre, la garde des sceaux et la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative l'ont devancé.


Mise à jour du 19 avril par Eolas : Grâce à notre dévouée aliocha, qui marche dans les pas des Albert Londres, Gunther Wallraff et autres Robert Namias, nous apprenons qu'il s'agirait d'une faute de frappe et qu'un rectificatif sera publié au JO très rapidement. Toujours est-il qu'au JO de ce jour, aucun rectificatif n'est paru. Il demeure que, faute de frappe ou pas, en l'état, ce décret dit bien que les articles 706-53-13 et suivants du CPP entrent en vigueur immédiatement, et que c'est le texte tel qu'il est publié qui est applicable. Ainsi, cela fait 23 ans que la loi Badinter sur les accidents de la circulation est reproduite dans les codes avec deux horribles fautes de grammaire, dont une qui modifie le sens du texte.

Mille merci à aliocha d'avoir pris le temps et la peine de faire ces démarches, un vendredi soir qui plus est.

jeudi 17 avril 2008

Le ministère de l'intérieur n'est pas le ministère de la proximité immédiate

La première chambre civile de la cour de cassation vient de rendre un arrêt qui déclare illégales les salles d'audience aménagées dans les centres de rétention administratives. Chers Confrères, les bonnes nouvelles en la matière étant rares, engouffrez-vous dans la brèche avant qu'elle ne soit comblée en urgence par le parlement.

Les faits étaient les suivants.

Un ressortissant algérien en situation irrégulière a fait l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière pris par le préfet des Bouches du Rhône. Cet arrêté était assorti d'une décision de placement en centre de rétention, c'est-à-dire que par décision préfectorale, l'étranger a été enfermé pour qu'il soit procédé à sa reconduite à la frontière par la force. La loi prévoit toutefois qu'au bout de 48 heures, l'étranger “retenu”, c'est la terminologie officielle, s'il n'a pas été expulsé, doit être présenté par le préfet au juge des libertés et de la détention (JLD) qui peut ordonner le maintien en rétention pour une durée de 15 jours. Lors de cette audience, il doit statuer sur la légalité de l'arrestation et de la privation de liberté si l'avocat de l'étranger soulève des arguments sur ces points.

Cette audience doit en principe se tenir au tribunal de grande instance, mais l'article L.552-1 du Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) prévoit que « si une salle d'audience attribuée au ministère de la justice lui permettant de statuer publiquement a été spécialement aménagée à proximité immédiate de ce lieu de rétention, il statue dans cette salle. »

Notez bien que le juge n'a pas le choix, si une telle salle existe, il doit se déplacer.

Ainsi, à Marseille, le ministère de l'intérieur a aménagé une salle d'audience pour le JLD dans l'enceinte du Centre de Rétention de Marseille (Port de Marseille, bassin d’Arenc, porte C, hangar 3, une salle d'audience dans un hangar, comme c'est symbolique du respect de la République pour sa justice).

Lors de cette audience, l'avocat de ce ressortissant algérien a soulevé l'irrégularité de cette audience au regard de l'article L. 552-1 du CESEDA. Ce que le juge a décidé, l'histoire ne le dit pas, mais la question fut soumise en appel au premier président de la cour d'appel d'Aix en Provence, qui rejeta les arguments de l'avocat de l'étranger.

Le premier président a en effet retenu que la salle d'audience était une véritable salle d'audience et non un simple bureau, spécialement aménagée, disposant d'accès et de fermetures autonomes, située dans l'enceinte commune du centre de rétention, de la police aux frontières et du pôle judiciaire, qu'ainsi il n'existait pas de violation caractérisée des dispositions de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La cour de cassation casse cet arrêt par une décision délicieusement subtile qui réjouira les Immortels (civ. 1e, 16 avril 2008, n°06-20.390). La décision du premier président viole l'article L.552-1 du CESEDA car :

…la proximité immédiate exigée par l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est exclusive de l'aménagement spécial d'une salle d'audience dans l'enceinte d'un centre de rétention.

Hé oui : « proximité immédiate » ne veut pas dire à l'intérieur (d'où le titre de ce billet). Ça veut dire “à côté”. On ne mélange pas les torchons et les serviettes, et le ministère de l'intérieur et celui de la justice.

Bref, toutes les salles d'audiences construites à l'intérieur des centres de rétention sont illégales (il y en a une à Toulouse, ce me semble ?), et tous les jugements de maintien en rétention qui y seraient rendus sont nuls. En cas d'appel, le premier président ne pourrait même pas évoquer, mais seulement constater qu'aucun jugement valable n'est intervenu dans le délai de 48 heures, et devra ordonner la remise en liberté. Les JLD vont devoir regagner leur pénates en attendant qu'une loi modifie précipitamment les mots «proximité immédiate».

À bons entendeurs…

L'affaire ANPSEDIC

Ou : le Service Public à la française en action.

Sébastien Bourgasser est un informaticien qui, ayant connu les affres de la recherche d'emploi, a conçu en 2004 un logiciel d'aide à la recherche de travail, ou plus exactement de gestion des démarches de recherche. Ce logiciel permet, en quelques opérations simples, d'adapter son CV à l'intitulé de l'offre, d'imprimer une lettre de motivation, et de noter la date d'envoi de la candidature, la date d'une réponse, et d'un éventuel entretien. Cela permet de suivre facilement des dizaines de démarches simultanées et de pouvoir démontrer aisément aux organismes sociaux la réalité et le détail des démarches entreprises, qui peut conditionner le maintien de certaines allocations.

Ce logiciel a été baptisé ANPSEDIC, mélange des signes ANPE et ASSEDIC. Logo ANPSEDIC

Ce logiciel était disponible gratuitement sur le site anpsedic.org, et était recommandé par plusieurs conseillers ANPE pour des personnes ayant du mal à s'organiser dans leur recherche de travail qui, quand elle est sérieusement menée, est une activité très prenante.

Formidable, la solidarité entre chercheurs d'emploi, la créativité de l'un mise bénévolement au service de ses prochains, n'est-ce pas ?

Non. C'est insupportable.

L'ANPE d'abord puis l'UNEDIC, l'organisme national auquel sont rattachés toutes les ASSEDIC, ont mis en demeure Sébastien Bourgasser de cesser de distribuer ce logiciel, car, tenez-vous bien : il contrefait les marques commerciales ANPE et ASSEDIC.

Que les sigles ANPE et ASSEDIC soient des marques déposées peut déjà surprendre, mais cela peut se comprendre : l'ANPE jouissant d'un monopole et l'activité de courtage en matière de contrat de travail étant très encadrée (il est notamment interdit de percevoir une rémunération du candidat), l'ANPE, en déposant sa marque, se prémunit contre du parasitisme. L'UNEDIC exerçant une mission de service public, il est légitime qu'elle protège sa dénomination contre une usurpation commerciale.

Mais nul ne peut prétendre que Sébastien Bourgasser faisait du parasitisme : il proposait gratuitement un logiciel d'aide à la recherche d'emploi qui ne fait que gérer les candidatures entrées par l'utilisateur. D'ailleurs, l'ANPE et l'UNEDIC se sont épargnés au moins le ridicule de cette insinuation.

Cela dit, le juriste peut froncer le sourcil. La marque est protégée par la loi, mais cette protection n'est pas générale et absolue. Quand j'écris : “Honte à l'ANPE et à l'UNEDIC pour ce qu'ils ont fait”, je ne contrefais pas les marques ANPE et UNEDIC, bien que je les reproduise.

La protection recouvre deux situations.

La première, que nous appellerons la protection absolue, est posée à l'article L.713-2 du Code de la propriété intellectuelle :

Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :

a) La reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, même avec l'adjonction de mots tels que : "formule, façon, système, imitation, genre, méthode", ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement ;

b) La suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée.

Pour résumer, elle porte sur les produits et services identiques, cette identité résultant de la classe dans laquelle la marque est déposée, selon une nomenclature précise résultant de l'Arrangement de Nice du 15 juin 1957 (on parle de “classification de Nice”).

La deuxième, la protection relative, résulte de l'article L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle :

Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public :

a) La reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ;

b) L'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement.

Pour résumer, elle s'étend à tout usage de la marque, même pour des produits différents de ceux pour lesquels elle est déposée si cet usage peut entraîner un risque de confusion dans l'esprit du public.

C'est sur ce deuxième plan que l'ANPE et l'UNEDIC attaquent : le terme ANPSEDIC étant une combinaison des termes ANPE et ASSEDIC, utilisés dans un cadre de recherche d'emploi, les deux organismes estiment qu'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public, nonobstant la remarque figurant en page d'accueil du site précisant que ce logiciel a été créé sans lien aucun avec l'ANPE et l'ASSEDIC.

Que voulez-vous, les chômeurs sont des gens simplets qu'il faut protéger, et ils pourrait effectivement confondre un Établissement Public Administratif ou une association loi 1901 intitulée Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce avec un logiciel tournant sous Windows.

Résultat : Sébastien Bourgasser, qui faisait ce travail bénévolement, qui n'a pas les moyens techniques de modifier le nom de son logiciel, n'ayant plus accès au programme lui permettant de compiler son logiciel, et qui n'a ni le temps, ni l'énergie ni les moyens de se bagarrer avec ces deux organismes, jette l'éponge et cesse de distribuer son programme.

Bref, grâce à l'UNEDIC et l'ANPE, les chômeurs ont perdu un outil susceptible de les aider. On applaudit bien fort le sens du service public.

Mais vous me connaissez, je vois le mal partout. Je ne peux mettre sur le compte de la bêtise ce qui peut être mis sur le compte de la méchanceté. Allons donc lire le BOPI, le Bulletin Officiel de la Propriété Intellectuelle.

Une rapide recherche (pas de lien direct possible, désolé) nous apprend que l'ANPE a déposé 26 marques, et l'UNEDIC, 5 marques ASSEDIC. Que parmi ce florilège, 18 des marques ANPE et les 5 marques ASSEDIC sont déposées dans la classe 42, soit… la conception et développement d'ordinateurs et de logiciels ! Ça alors ! Moi qui croyais que l'ANPE et l'UNEDIC étaient des organismes en charge respectivement de centraliser les offres et les demandes d'emploi et de gérer l'assurance chômage. En fait ce sont des SSII !

Mais alors, me direz-vous, l'ANPE et l'UNEDIC pouvaient revendiquer la protection absolue de l'article L.713-2, en raison de la similitude des produits ?

Absolument.

Pourquoi ne l'ont-elles pas fait ? Je l'ignore. Peut-être parce que cela se serait trop vu qu'elles préparent le lancement de leur propre logiciel ?

Si l'ANPE et l'UNEDIC ou leur Conseil souhaitent apporter des explications, ils sont les bienvenus. Avec leur autorisation, j'inclurai leur réponse ici même sous ce billet, afin qu'elle ne soit pas égarée et moins visible en commentaires. J'avoue que pour ma part, j'espère ardemment une explication qui me révélera en quoi cette attitude est conforme à l'objet de ces organismes, qui reste avant tout, il faut hélas le rappeler, de venir en aide aux chômeurs.


Mise à jour 11h43 : La direction de la communication (oui, de la communication, pas la direction juridique) de l'UNEDIC vient de contacter Sébastien Bourgasser pour organiser un rendez-vous commun avec la direction de la communication de l'ANPE afin de trouver une solution amiable. La réunion aura lieu d'ici quelques semaines. Je vous tiens au courant.

mercredi 16 avril 2008

Way to go !

Il n'y a pas qu'au rugby que l'Australie peut nous donner des leçons.

(Associated Press) CANBERRA - Ted Quinlan, le chef de la sécurité du relais [de la flamme olympique] à Canberra, a réaffirmé que les “hommes en bleus” [les membres des services spéciaux chinois chargés d'escorter la flamme] n'auront aucune responsabilité dans cette sécurité.

« La réponse est non. Ils n'auront aucune responsabilité et, en fait, ils pourraient faire l'objet d'une arrestation si jamais ils portaient la main sur quelqu'un », a souligné Quinlan à la radio Australian Broadcasting Corp (ABC).

Comme quoi, ce n'est pas difficile de ne pas s'agenouiller.

Photo des hommes en bleu, par nbastida (Flickr)

(Photo Nbastida - Flickr)

mardi 15 avril 2008

4

lundi 14 avril 2008

La vengeance est un plat qui se mange froid

Vous vous souvenez d'Alberto Gonzalez ? Mais si, Alberto Gonzalez, l'ancien Attorney General de l'Administration Bush, équivalent lointain du ministre de la justice (“Avocat de l'État Fédéral” serait sans doute une dénomination plus exacte), distingué dans l'exercice de ses fonctions d'un prix Busiris pour une superbe déclaration sur l'habeas corpus

Las! Le prix décerné par l'Académie Busiris ne lui a pas porté bonheur : il a été poussé à la démission en août dernier, empêtré dans un scandale lié au limogeage de plusieurs procureurs fédéraux, outre un témoignage pas très sincère sur une affaire d'écoutes illégales.

La communauté des juristes américains n'a pas apprécié les performances de M. Gonzalez, tant sur le droit constitutionnel que sur le respect de la vie privée de ses concitoyens que sur la gestion des ressources humaines.

Et le lui fait savoir par un terrible silence.

Ainsi, apprend-on à la lecture du New York Times, celui qu'on présentait comme étant le probable premier juge à la Cour Suprême d'origine hispanique, licencié de Harvard, et qui a sur son CV une expérience d'Attorney General of The United States… est au chômage. (traduction de votre serviteur)

Malgré ce CV, [M. Gonzalez] a dû quitter son poste en août dernier avec une image ternie à la suite de son rôle dans le limogeage de plusieurs procureurs fédéraux et la sincérité douteuse de son témoignage sur un programme d'écoutes secrètes. Il n'a eu depuis aucun travail à plein temps, et sa principale source de revenus a été sa rémunération pour quelques conférences dans des facultés ou des groupes d'affaires privés.

“Peut-être que le temps passant, des opportunités se présenteront pour lui,” nous a déclaré un avocat de Washington qui a été informé d'un démarchage par un collaborateur de Gonzalez. “Je ne dirais pas qu'il a été "rejeté" ”, a ajouté cet avocat, qui a demandé à ce que son nom ne soit pas cité car la situation est embarrassante pour M. Gonzalez. “ Disons… qu'il n'a pas été pris ”.

L'article ajoute que l'enquête dont il fait l'objet pour son témoignage douteux pourrait conduire à sa radiation du barreau.

Ce qui me fait penser… Ce garde des Sceaux qui, pour étouffer une affaire concernant l'épouse du maire de Paris d'alors, avait fait envoyer aux frais de la République un hélicoptère dans l'Himalaya chercher le seul procureur qui aurait pu discrètement classer sans suite l'enquête plutôt qu'ouvrir une instruction… Que lui est-il arrivé ?

Ah. Il est devenu conseiller à l'Élysée, Député européen, et a rédigé un rapport prônant la création d'un musée dont il a été nommé le directeur par l'ancien président, juste avant qu'il ne quitte son office.

Quand les américains comprendront-ils que le secteur public est là pour pallier les carences du privé ?

vendredi 11 avril 2008

Billet avec bonus même pas cachés

Par Dadouche et Fantômette



On peut désormais, sur n'importe quel DVD, connaître les pensées profondes du réalisateur, des acteurs principaux voire de l'accessoiriste plan par plan.

Ne reculant devant aucune innovation technologique, nous vous proposons une expérience unique : vivre une audience d'assistance éducative avec, en bonus, les commentaires in petto du juge et de l'avocat.


Mode d'emploi : en noir, le récit de l'audience, reconstituée à partir de plusieurs vrais dossiers et notes d'audience. En rose, les pensées « live » du juge, en vert celle de l'avocat.


Pour vous mettre en condition, plantons le décor, qui commence bien avant le jour de l'audience :


J – 20


Le juge prend pour la première fois connaissance du dossier lorsqu’il atterrit sur son bureau.

C'est une nouvelle situation, signalée par l'Aide Sociale à l'Enfance et transmise par le Substitut des mineurs qui a agrafé une belle requête.


Killian, deux ans et demi, est régulièrement témoin de disputes violentes entre ses parents, qui sont décrits comme instables. Son père, Kevin, toxicomane, est récemment sorti de prison. Il ne parvient pas à trouver de travail. Il a des accès de violence, essentiellement dirigés contre sa compagne et leurs meubles. Il se dit volontaire pour des soins, mais n'honore pas les rendez-vous fixés.


Sa compagne, Maëva, a eu Killian à 18 ans. Elle n'a aucune formation professionnelle et a du mal à se mobiliser pour son insertion. Elle a déjà quitté Kevin plusieurs fois et avait même intégré un foyer mère/enfant. ça a tenu quinze jours. Leur situation sociale est précaire : en instance d'expulsion en raison des multiples tapages et interventions de la police, leur RMI de couple a été suspendu pour non présentation aux rendez-vous avec les référents.


Ils ont une relation fusionnelle, rythmée par les disputes, les séparations et les réconciliations.


Ils sont très attachés à Killian, qui est décrit comme un petit garçon bien intégré à la crèche, souriant, tonique. Il commence cependant à montrer des signes inquiétants d'agressivité. Il raconte parfois que « Papa tape Maman ». A la maison, il teste beaucoup les limites et pousse parfois à bout sa mère qui oscille entre les cris pour se faire obéir et une forme de laisser-faire.

Le signalement est complété par un courrier de l'OPAC qui relate les troubles de voisinage causés par Kevin et signale que Killian vit « des situations de nature à le perturber et à nuire à son épanouissement ».


Le couple n'a pas répondu aux dernières propositions de rendez-vous pour mettre en place une aide éducative à domicile.


Dadouche décide de les convoquer, en même temps que l'assistante sociale qui a rédigé le signalement.


J – 13


Maëva reçoit la convocation.

Soudain prise d’angoisse, elle se souvient de l’avocat que son père avait consulté quand il s’était fait licencier. Il a retrouvé le nom dans l’annuaire, et elle prend rendez-vous, affolée d’apprendre qu’il ne peut pas la recevoir tout de suite, mais qu’il va falloir attendre, presque une semaine…



J – 7


Le jour dit, avec une demi-heure d’avance, Maëva est au rendez-vous, avec Killian qu’elle n’a pas pu faire garder. Ce n’est pas l’avocat de son père qui la reçoit finalement. Il la croise juste dans la salle d’attente et lui présente rapidement une avocate en disant: « c’est Maître Fantômette qui se charge des audiences devant le Juge pour Enfants.» Maëva hoche la tête, mais elle n’en mène pas large et ça se voit.


Le rendez-vous dure une bonne heure et demie, et au bout de vingt minutes, il faut appeler la secrétaire à l’aide pour qu’elle s’occupe du petit.


Maëva fond en larmes trois fois. Fantômette est parée, elle a toujours une boite de mouchoirs en papier dans son tiroir de droite. Elle attend, patiemment, que Maëva se calme, et puis reprend l’entretien, pose des questions, prend des notes.


Tout sort, par à-coup : son histoire incertaine avec Kevin (« on n’est plus ensemble, ah ça non, mais par contre il passe m’aider, tous les jours »), Killian (« C’est ma raison de vivre, je ne veux pas qu’on me le prenne »), ses projets (« je me suis inscrite à des cours de remise à niveau, à l’AFPA »), ses peurs, ses espoirs. Elle ne cesse de rechercher l’approbation (« j’ai eu raison, non ? Vous êtes d’accord ? »), et la compréhension (« Je crois bien que tout le monde aurait fait comme moi, en fait. Non ? »).


D’expérience, l’avocate adopte l’attitude de neutralité bienveillante qui s’impose, celle qui permet à la fois la distance nécessaire à la bonne analyse du dossier, et la confiance entre l’avocat et son client. Elle rassure un peu (« Je ne crois pas qu’on en soit à se poser la question d’un placement, vous savez »), mais reprend parfois Maëva, aussitôt sur la défensive, quand elle tente une explication contredite par le dossier (« Tous les voisins vous détestent ? Vraiment ? Quand ils appellent la police, parce qu’ils vous entendent crier, vous ne pensez pas qu’ils essayent peut-être de venir à votre aide ? »). Et puis, l’avocate évoque l’idée d’une mesure d’assistance éducative. Après avoir protesté, Maëva admet du bout des lèvres que Killian et elle-même pourraient avoir besoin d’une aide extérieure, mais elle se ferme ensuite, l’air épuisé, et c’est le moment de clore l’entretien.


Pour être honnête, ce rendez-vous n’a pas vraiment rassuré Maëva, malgré la conclusion encourageante de l’avocate qui termine en disant : « Dites-vous qu’on va simplement essayer de voir tous ensemble ce qui serait le mieux pour Killian. »



Jour J : l'audience

C'est la cinquième audience de la journée pour le juge. Repensant au placement ordonné lors de la troisième, elle soupire et se dirige vers la salle d'attente. 

[Bon, j'espère que tout le monde est là cette fois, pas comme l'audience d'avant où l'avocat avait un quart d'heure de retard]

[Miracle ! L’audience commence quasiment à l’heure. Avec un peu de chance, je ne serai pas en retard à mes rendez-vous ce soir].

Kevin, Maëva et Killian la suivent dans son bureau, accompagnés par l'avocate de Maëva [Tiens, ils ont engagé une nouvelle à la SCP Patrons et associés ? La valse des collaborateurs a encore frappé]. Est également présente Mme Dubonsecours, l'assistante sociale de secteur qui a rédigé le signalement.

Le juge se présente et explique à Kevin et Maëva les raisons de leur présence.

« Je suis Dadouche, juge des enfants. Je vous ai fait venir à la demande du Procureur, pour parler de la situation de Killian. Le but de l'audience d'aujourd'hui est de faire le point sur la situation et les éléments transmis par les services sociaux et de voir si une mesure peut être mise en place pour vous aider ».

Kevin commence à s'agiter sur sa chaise et ouvre la bouche pour protester. [Il a l'air un peu nerveux le jeune homme. Essayons tout de suite de le rassurer].

« Personne ne met en cause votre affection pour Killian. Il n'est pas question de maltraitance ou quoi que ce soit de ce genre. Les inquiétudes viennent plutôt du fait que Killian, qui est encore tout petit, vit dans un climat un peu agressif. D'après les éléments qui ont été recueillis, c'est parfois un peu agité chez vous. [Ouf… le Juge n’en rajoute pas ... Tant mieux. Cela devrait les aider à se calmer un peu tous les deux et à comprendre que je n’ai pas menti lorsque j’ai expliqué qu’on était tous là dans l’intérêt de Killian]. « Il y a déjà eu des violences au moins verbales. [C'est pas la peine d'en faire trois tonnes, si la police est intervenue plusieurs fois, c'est pas parce qu'ils se jouaient la sérénade.] La question, c'est comment Killian peut réagir au milieu de tout ça et comment vous le protégez de vos conflits d'adultes ? [Adultes, tu parles, elle a l'air d'avoir 15 ans et elle fait 45 kilos toute mouillée. Et lui je pense qu'il a pas fumé que des Marlboro avant de venir] Il semble que ces derniers temps il est lui même assez agité [Et encore, elle ne l’a pas vu sauter partout sur les fauteuils de ma salle d’attente]. Je crois que la crèche vous a d'ailleurs alertés à ce sujet. Et le fait que vous ne veniez pas aux rendez-vous proposés par l'assistante sociale et la puéricultrice ne nous permet pas d'être rassurés, puisqu'elles n'ont pas pu avoir accès à Killian. »

La juge donne la parole à Maëva, en lui demandant comment elle trouve que Killian va, si elle a remarqué une agitation particulière, si elle comprend les inquiétudes des services sociaux. [Allez Maëva, respirez un grand coup, et exprimez-vous clairement, posément, je vous l’ai dit et répété, l’enfant ne va pas partir encadré par deux assistantes sociales ce soir…].

Maëva : « Il y a des choses sur lesquelles je ne suis pas d'accord. [aïe aïe aïe…] [Ouh là, elle est encore plus nerveuse que lui, elle a un débit de mitraillette] D'abord, on ne vit plus ensemble depuis trois semaines. [Ca fait donc la cinquième séparation, et évidemment juste après le signalement.][Bon, la séparation présente tout de même un aspect positif, le père s’éloigne s’il sent que c’est allé trop loin. Si seulement, le dossier donnait des raisons de croire que c’est une séparation mûrement réfléchie … Hummm, non, le Juge n’y croit pas, je l’ai vu au regard qu’elle lui a lancé. Bon, autant assumer l’incertitude qui règne à cet égard dans mes observations.] Monsieur vient voir son fils et le garde pendant que je suis en formation. [Ouais, encore une séparation pas vraiment séparée quoi][oui, bon, autant évoquer clairement l’ambiguïté de cette séparation, après tout. En même temps, ils sont encore très jeunes tous les deux, ils peuvent aussi évoluer sur leur relation de couple].

« C'est vrai que c'était très tendu entre nous, mais quand il y avait des disputes, j'essayais de rassurer Killian. Les gens du voisinage racontent n'importe quoi, ils ne nous aiment pas [soupir intérieur- surtout rester impassible]. Je suis tout à fait capable de m'occuper de mon fils et de lui offrir ce que je n'ai pas eu. [Bon, encore une jeune femme elle-même un poil carencée qui ne vit que par son statut de mère... Ah mais oui, je me souviens : ma greffière qui est là depuis 20 ans m'a dit qu'elle l'avait connue comme mineure. Je vois d'ici le tableau : pas de modèle parental fiable, elle improvise comme elle peut sur la base de “je ne ferai pas comme ma mère”]

« J'ai eu une travailleuse familiale, mais je n'aime pas avoir quelqu'un chez moi [Elle a sûrement besoin d’aide, et Killian a besoin qu’elle soit aidée, mais il faudra du temps pour qu’elle accepte de croire dans la bonne volonté de ceux qui viendront, et beaucoup de patience et de diplomatie de la part des intervenants. Hmmm, pourtant j’hésite à le dire franchement, c’est à double tranchant…], j'avais l'impression qu'elle me surveillait. [C'est pas gagné pour une intervention éducative] La procédure d'expulsion du logement a été suspendue. C'est vrai que Killian est un peu dur en ce moment, mais ça va aller mieux maintenant.[C'est parti pour la méthode Coué].

« C'est vrai que quand il fait des bêtises, comme je ne dors pas beaucoup, je le gronde parfois fort, et après je m'en veux alors j'essaye de me faire pardonner. » [Pourquoi j'ai l'impression d'avoir déjà vécu cette audience 15 fois ? Le gamin doit être complètement paumé pour comprendre quand il a fait une bêtise si elle le gronde pour ensuite lui acheter un cadeau.]


Kevin : « Les seules choses vraies, c'est ce qui me concerne [Bon, voilà Papa macho et culpabilisé qui veut « assumer »alors que le reste du temps il assure pas un cachou]. Je suis parti pour protéger ma femme et mon fils [Très bien, il l’a dit de lui-même. Mais il faudra que je le souligne]. Je n'ai jamais frappé mon fils. C'est vrai qu'il y a un climat de violence et que Killian m'a vu frapper sa mère.

« L'assistante sociale nous a beaucoup aidés au début à régler certaines factures. Moi j'ai fait des erreurs, mais pas ma femme. S'il y a un placement, notre vie est morte. [Il a l'air un peu exalté le Monsieur. Je comprends pourquoi il y a autant de hauts et de bas dans leur relation] On pourrait m'interdire de m'approcher de l'appartement. » [En gros c'est comme pour les soins : il sait que ce qu'il faudrait faire, mais il n'arrive pas à le faire tout seul].


L'assistante sociale rappelle qu'elle intervient auprès de la famille depuis longtemps : « Pendant plus d'un an, on a pu bien travailler ensemble [penser à le rappeler, c’est vrai que ça a bien fonctionné pendant un bon moment], mais depuis quelques temps, on a très régulièrement des informations signalantes en provenance de sources diverses (crèche, voisins, OPAC). Monsieur a conscience qu'il a besoin de soins, mais il ne parvient pas à s'inscrire dans une véritable démarche.[Elle a l'air de marcher un peu sur des œufs. Il y a du y avoir une ou deux séances sportives dans son bureau quand elle leur a dit qu'elle avait fait un signalement] Madame semble minimiser les difficultés et ne se rend plus à nos rendez-vous. [Oui, c'est bien ça.]

« Killian paraît de plus en plus insécurisé et aucun de ses parents ne semble actuellement en mesure de le rassurer. Madame souhaiterait sans doute être aidée, mais se sent remise en cause par les interventions. Il n'y a aucune inquiétude sur la prise en charge matérielle de Killian, mais ses parents commencent à avoir du mal à lui poser des limites et à lui donner des repères [Hum… les termes sont prudemment choisis. Elle prendrait sans doute moins de gants si elle ne croyait pas du tout à la possibilité de nouvelles interventions auprès d’eux].

« Ils ne perçoivent pas combien le climat de violence peut le perturber dans sa construction. C'est parfois difficile pour Madame de trouver un juste milieu entre crier après Killian et l'étouffer de câlins. » [Oh, ça commence à sentir l'AEMO tout ça...]


Pendant que ses parents parlent, Killian trotte partout dans la pièce. Sa mère lui court après et ne le lâche plus, pendant qu'il se tortille sur ses genoux et se met à hurler en rougissant de colère. [Ca commence à faire long pour le petit. Maëva me lance des coups d'œil inquiets, comme si j'allais décider de placer le gamin juste parce qu'il fait une colère.]


Enfin, l'avocate de Maëva prend la parole :

«[Allez, on évacue déjà les aspects problématiques du dossier…] La situation de ma cliente et de son ami est difficile, ils le reconnaissent tous deux [Il a fallu les y aider un peu, d’accord, mais l’essentiel, c’est qu’ils l’admettent]. A l’heure actuelle, ils sont séparés. Bon... Nous avons constaté qu’il demeure une certaine incertitude sur l’avenir de leur couple. C’est leur histoire à eux, après tout. Malgré cela, il s’agit bien là d’un élément positif, qui démontre l’existence de bons réflexes de protection. [C'est vrai qu'il a eu le réflexe de s'éloigner] [Maintenant, on recadre sur le problème qui nous occupe].

« Monsieur l’indique lui-même, les difficultés viennent d’abord de lui. Il veut assumer ses erreurs, c’est un bon point de départ. [D’accord, c’est seulement un point de départ, mais qui ne se retrouve pas dans toutes les affaires. N’ignorons pas sa bonne volonté, même si elle est mise à l’épreuve dans la pratique].

« Le positionnement de Madame vis à vis de Killian est constant. Elle est en phase de réinsertion professionnelle ce qui la positionne de plus en plus comme responsable du foyer. Les deux parents  [insister un peu sur le mot : parent. C’est un petit message pour vous deux, là, les inquiets, à côté de moi. C’est en tant que parent que vous êtes ici] sont très angoissés, aujourd'hui, par peur d'un placement, et Madame se sent remise en cause dans son rôle de mère. Ceci dit, l’aide de l’assistante sociale a longtemps été bien vécue et bien acceptée. Monsieur l’a rappelé d’ailleurs.

« Et puis il y a, encore une fois, un élément constant et très positif dans ce dossier, vous l’avez justement souligné, c’est le fait que les parties ont à cœur l’intérêt de Killian. Je pense que Madame peut entendre la nécessité d'une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert [hop, petit coup d’œil vers Maëva, qui entrouvre la bouche, vite, continuer dans le même souffle], dans l’intérêt de Killian. » [nouveau coup d’œil à Maëva… elle hésite un peu ? elle a choisi de se taire…] [Elle a dû négocier sec avant l'audience pour leur faire comprendre qu'elle ne pouvait pas dire que tout allait bien. Oh M... j'entends la voix du substitut des mineurs dans le bureau de ma greffière. C'est pas bon signe ça.]

La juge termine de prendre ses notes…

[Le seul avantage de ne pas avoir de greffier à l'audience, c'est que j'ai le temps de finir de réfléchir à la décision et à la façon de l'annoncer. Bon, sur les conditions de développement psychologique et affectif, je pense que j'ai de quoi intervenir. Une enquête sociale ne servirait à rien puisque j'ai déjà beaucoup d'éléments dans le rapport et que le problème n'est pas dans la prise en charge matérielle. Une mesure d'investigation et d'orientation éducative, ça ne me paraît pas non plus nécessaire : ça va prendre six mois et 3000 euros pour me dire que le conflit parental est insécurisant pour Killian, que Maëva a une relation fusionnelle avec son fils et que tout le monde a besoin d'un soutien éducatif. Le seul scoop, ça sera s'ils se remettent ensemble. De toutes façons, je parie que dans un mois Kevin réemménage et que trois semaines après j'ai une note de situation pour me faire part d'une nouvelle intervention de la police. Bon, je vais partir sur une AEMO pour un an, on verra comment la situation évolue. Ils pourront peut être accompagner la séparation et aider Maëva à mettre en place des réponses éducatives un peu cohérentes. S'ils pouvaient l'inciter à entamer un suivi psy, ça pourrait être utile pour digérer sa propre histoire. Il y a sûrement des choses à creuser par rapport à ça.]

[Alors… voyons… je ne capte aucune onde particulière d’hostilité… Elle a écouté tout le monde aussi attentivement. Peut-être un peu d’agacement à l’audition de Kevin… Bon, il est l’élément inconnu. Je penche pour une AEMO. Ce n’est pas un mauvais moment pour la tenter qui plus est : Ils sont actuellement séparés, Maëva tente une formation, le petit reste bien intégré à la Crèche...]

…et reprend la parole : « Comme je le disais tout à l'heure, votre attachement pour Killian n'est absolument pas remis en cause et il n'y a aucune inquiétude sur les soins que vous lui apportez. [Ca ne les détend pas tout à fait. Allez, une couche de plus.] Comme le soulignait Maître Fantômette, c'est une décision responsable que vous avez pris de vivre séparément pour le protéger Mais tout ça n'est sans doute pas très clair dans sa tête [OK, c’est une AEMO]. [Comment arriver à leur faire comprendre qu'à deux ans et demi, une dispute d'adulte, c'est comme Gulliver qui piétine les Lilliputiens...] Si les voisins ont pu être impressionnés par vos disputes au point d'appeler la police, imaginez ce que ça a du faire comme impression à un tout petit garçon dans la pièce juste à côté.

« Il n'a jamais été question d'un placement, mais je pense qu'il est nécessaire que vous puissiez être accompagnés par un éducateur, pour vous aider à réfléchir aux façons de protéger Killian de tout ça et à gérer son agressivité actuelle. [Ils ont l'air soulagés, mais je vois bien que Maëva n'est pas ravie. Bon, elle ne m'a pas parlé du fait qu'elle a elle-même été suivie, et l'assistante sociale n'a pas l'air au courant. Si j'en parle maintenant, ça va arriver comme un cheveu sur la soupe. Mieux vaut voir si ça émerge au cours de la mesure. On va rester sur la violence et les réponses éducatives].

« Par exemple, il va falloir trouver comment lui expliquer que Papa et Maman se sont séparés, que Papa n'habite plus à la maison, mais qu'il est quand même là souvent pour s'occuper de lui. Ca peut aussi être l'occasion de réfléchir avec l'éducateur aux façons de réagir pour lui poser des limites qu'il comprenne. [Bon, le Juge prend le temps d’expliquer clairement sa mesure, et de leur fixer des objectifs, ils vont peut-être se sentir partie prenante… avec un peu de chance. Je ferai un courrier à Maëva pour le debriefing, la semaine prochaine, ce soir, je ne vais pas avoir le temps] Ce n'est pas parce que vous le grondez quand il fait une bêtise que vous ne l'aimez pas, au contraire. Et lui ne va pas vous détester pour ça. Le service chargé de la mesure prendra rapidement contact avec vous, et on refera le point ici dans un an pour voir s'il y a encore besoin d'un soutien ou si on peut arrêter la mesure. » [Bon, ça va, j'ai le temps de rédiger le jugement avant la dernière audience. Damned, le substitut mineur passe la tête dans l'encadrement de la porte. Ca sent l'OPP ou le déferrement...Bon ben tant pis, le jugement je le ferai ce soir.][Quelle heure est-il ? Humm, j’ai tout juste le temps de courir à l’audiencement pour consulter le dossier correctionnel de la semaine prochaine, voir si le rapport d’expertise psychologique est enfin rentré… Voyons, qui dois-je recevoir ce soir déjà ? M. Lindécis, je crois. A quelle heure déjà ? Il faut que je rappelle le Cabinet…]

jeudi 10 avril 2008

Affaire Martinez : et Gala, alors ?

Une question récurrente posée sous les divers billets consacrés à l'affaire Martinez est : « Mais qu'en est-il de Gala ? Le journal a-t-il été poursuivi ? » avec parfois un sous-entendu : « Oilivier Martinez ne se serait-il pas attaqué aux pauvres internautes sans défense et n'aurait-il pas laissé le journal tranquille ? »

La réponse nous est fournie par une ordonnance rendue par le même juge que dans les affaires Fuzz et Dicodunet le 2 avril 2008 et publiée par le Forum des Droits Sur l'Internet.

Gala a été condamné à payer une provision de 2000 euros sur dommages-intérêts (sur 30.000 demandés, les demandes sont exactement identiques à celles concernant Fuzz) outre 2000 euros de frais de procédure, le montant étant réduit car la société Prisma Presse, éditrice du site Gala.fr, a produit des éléments montrant que le contenu a été mis hors ligne dès réception de l'assignation et n'avait fait l'objet de que deux mille visualisations.

Le reste de la décision n'appelle aucun commentaire particulier de ma part, elle est très classique en matière de protection de la vie privée.

Avis de Berryer : Patrick Bouchitey

Tel Jésus, la Berryer revient parmi les siens !

Le mercredi 23 avril 2008 à 21 heures, salle des criées, la Conférence Berryer tiendra ses travaux.



L'invité sera Monsieur Patrick Bouchitey, comédien.



1er sujet : Existe t-il un animal derrière chaque homme ?



2ème sujet : Jésus peut il avoir le démon ?



Madame Charlotte Plantin, 12 ème secrétaire se chargera du rapport.



Compte tenu des nouvelles consignes de sécurité, il n'y a pas de réservations possibles, me précise-t-on.

lundi 7 avril 2008

Toutes mes condoléances. Couloir ou fenêtre ?

Le veuvage, ça peut aussi se vivre de loin.

En un mois, la vie d'Elisabeth Guerin a basculé. Cette Béninoise de 38 ans, entrée légalement en France le 16 octobre 2005 pour se marier, menait depuis deux ans une vie heureuse et tranquille. Le 3 octobre 2007, Claude, son conjoint français, meurt d'un cancer. Le second choc survient à peine un mois plus tard, avec l'envoi par la préfecture d'un courrier qui lui refuse le renouvellement de sa carte de séjour et lui donne un mois pour quitter la France.

Vous trouvez les juges inhumains ? Essayez les préfets.

Nous nous connaissions depuis des années, avec Claude. Il venait très souvent au Bénin, et puis un jour il m'a demandée en mariage. Amoureuse, j'ai abandonné les deux salons de coiffure que j'avais, pour faire ma vie avec lui ici”, raconte Elisabeth, qui ne comprend toujours pas l'enchaînement des malheurs qui l'accablent.

C'est en toute confiance qu'en septembre 2007 Mme Guerin, titulaire d'un titre de séjour temporaire, car elle n'avait pas encore trois ans de mariage, commence les démarches nécessaires pour le renouvellement de sa carte.

“Claude était alors encore vivant. Mais j'ai dit à la préfecture que, malade, il ne pouvait plus se déplacer pour signer le dossier. Et après son décès, je suis allée les en informer. Je suis une femme honnête”, explique-t-elle.

En France, l'honnêteté est toujours récompensée, disait le président Chirac. La preuve.

À toutes ses raisons d'être traumatisée s'en est ajoutée une autre : une brève interpellation.

Interpellation n'est pas le mot : c'est incarcération. Sur ordre du préfet. Notez les dates.

Mardi 1er avril, Elisabeth Guerin a été interpellée à son domicile et conduite en centre de rétention à Tours. Jeudi, le juge des libertés et de la détention (JLD) l'a libérée en l'assignant à résidence et en lui ordonnant de se présenter chaque jour à la gendarmerie de sa commune. “Je n'ai plus désormais le droit de travailler”, s'inquiète-t-elle, salariée d'une entreprise d'aide à la personne.

Deux jours en centre de rétention pour une veuve. Monsieur le préfet d'Indre et Loire, vous avez la grande classe. Si vous n'arrivez pas à votre quota d'expulsion pour 2008, je suis prêt à attester auprès de Brice que vous aurez tout fait (quoique... Vous avez essayé les bébés ? Ça ne fait pas de recours, les bébés…)

Le tribunal administratif ayant rejeté le 6 mars le recours qu'elle avait déposé contre la décision du préfet, Elisabeth Guerin attend le jugement[l'arrêt] de la cour [administrative] d'appel, qu'elle a saisi. Mais depuis, elle vit cette attente avec d'autant plus d'angoisse. “Elle est très insérée dans la commune, elle travaille, a un appartement, des amis”, insiste Reine Gasque, une voisine, directrice d'une des écoles maternelles de la commune où s'est constitué un collectif de soutien. “Voilà à quoi conduit la précarisation du séjour ! On n'a pas arrêté de repousser le moment où les conjoints de Français peuvent avoir une carte de résident”, dénonce Nicolas Ferran du mouvement Les Amoureux au banc public, qui défend le droit à une vie normale pour les couples mixtes. Depuis a loi de 2006 [loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration], les conjoints de Français doivent attendre trois ans pour faire la demande d'une carte de résident. Avant cela, un titre de séjour temporaire leur est délivré de plein droit, mais “à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé”.

Le préfet d'Indre-et-Loire a considéré que l'administration ne pouvait renouveler le titre de séjour de Mme Guerin, “même si cette rupture de communauté de vie résulte malheureusement du décès du conjoint français” comme il l'indique dans son courrier. (Article de Laetitia Van Eeckhout)

Comme ce “malheureusement” est élégant. Et parfaitement hypocrite : l'administration peut toujours délivrer un titre de séjour à un étranger. Toujours. Il n'y a pas de cas où elle est obligée de refuser la délivrance du titre. La suite de l'histoire le prouvera.

Et le pire, c'est que ce refus est parfaitement légal.

Juridiquement, voici la situation.

Madame Guérin a sollicité depuis le Bénin un visa pour venir en France afin d'épouser Claude. Une fois arrivée en France, elle a convolé, et a sollicité une première carte de séjour, valable un an, en tant que conjoint étranger de Français (article L.313-11, 4° du Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile, le CESEDA). Cette délivrance est de droit, c'est à dire que le préfet ne peut pas la refuser si la preuve du mariage ET de la communauté de vie sont rapportés. Concrètement, les préfectures demandent des pièces écrites (compte joint en activité, factures EDF aux deux noms, etc...) et tout simplement que les deux époux se présentent ensemble pour co-signer la demande de délivrance de la carte ET pour venir la chercher. Oui, ça fait deux demi journées de travail de perdue pour tous les deux, mais comme tout français qui oserait envisager de vivre avec un étranger est suspecté d'être un fraudeur, bien fait pour lui. Cette carte est valable un an, permet de travailler et son renouvellement est de droit si les conditions sont toujours remplies : preuves de vie commune, l'époux qui se déplace. Ce n'est que lors du renouvellement de la troisième carte qu'enfin, les soupçons de l'administration s'apaisent enfin et qu'elle consent à délivrer une carte de résident, valable 10 ans et renouvelable de plein droit. Bref, que la situation de l'étranger cesse d'être précaire.

Madame Guerin a obtenue une carte de séjour temporaire (CST) une première fois en 2005, a obtenu son renouvellement en 2006. En 2007, la maladie qui devait emporter son mari étant à son stade terminal, celui-ci n'a pas pu se déplacer pour co-signer la demande. Madame Guerin ne le savait pas encore, mais son sort était scellé.

Car lors de l'examen de la demande de renouvellement, l'époux était décédé. Cela ne pouvait pas échapper au préfet, qui en avait été informé par l'intéressée elle même, mais qui en outre aura eu son attention attirée par le fait que le mari ne s'était pas présenté pour cosigner la demande, ce qui impliquait une enquête administrative qui aurait révélé le décès. Et effectivement, le décès met fin à la vie commune entre époux. Il met même fin à la vie tout court, et dissout le mariage, d'ailleurs. Donc Madame Guerin n'étant plus conjointe de français, elle n'avait plus droit à sa carte de séjour. Et comme la loi (article L.511-1, I du CESEDA) lui en donne le droit, il a assorti ce refus de carte de séjour d'une mesure coercitive appelée obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Cette décision peut faire l'objet d'un recours suspensif devant le tribunal administratif dans le délai d'un mois (article L.512-1 du CESEDA). Dans sa grande sagesse, le législateur a décidé que ce type de contentieux bénéficierait d'une carte coupe-file, et devrait être jugé en trois mois. Car vous vous rendez compte ? Un étranger à qui on refuse sa carte et qui n'est pas d'accord : voilà un contentieux prioritaire, plus que l'indemnisation des transfusés atteints de l'hépatite C, des accidents médicaux de l'hôpital public, des victimes des dégâts causés par des travaux publics, que le contentieux fiscal, de l'urbanisme, ou de l'activité de l'administration en général. Ceux là peuvent attendre deux ou trois ans qu'on s'intéresse à eux. La veuve béninoise, voilà l'ennemi.

Ce recours a été exercé et a été rejeté le 6 mars dernier par le tribunal administratif d'Orléans. Et en effet, le droit a été respecté : Mme Guerin étant veuve, elle n'a plus droit à une carte de séjour temporaire conjoint de français. Le préfet avait parfaitement le droit de refuser le renouvellement de cette carte. Ses attaches familiales en France étant décédées, son séjour trop récent pour pouvoir invoquer efficacement la protection de sa vie privée et familiale par la convention européenne des droits de l'homme, ce refus de titre est parfaitement légal. La décision de l'assortir d'une OQTF est à la discrétion du préfet, qui y a vu une bonne occasion de rajouter une croix à ses objectifs d'expulsion[1]. Le juge refusera d'examiner le bien-fondé de cette décision, qui relève de la liberté du préfet.

Madame Guerin a fait appel devant la cour administrative de Nantes (la carte judiciaire des juridictions administratives, que vous trouverez ci-contre, est d'une simplicité qui ferait rêver Rachida Dati,Carte des juridictions administratives (site du Conseil d'Etat) sauf peut être le fait que Nouméa et Papeete soient dans le ressort de la cour administrative d'appel de Paris). Le recours n'est pas suspensif, et devrait être jugé dans un an ou deux. C'est trop long pour le préfet qui a des objectifs pour cette année. Il a donc ordonné l'interpellation de Madame Guerin et son placement en centre de rétention pour une durée de 48 heures, afin d'organiser son expulsion vers le Bénin.

Oui, cette dame a perdu son mari il y a tout juste six mois, a probablement hérité d'une partie de ses biens, voire est peut être propriétaire de la maison qu'elle occupe, mais non, le préfet pense qu'il n'y a rien de plus urgent que de la réexpédier à Cotonou, d'où elle pourra solliciter des visas (payants) pour de brefs séjours de trois mois maximum pour liquider son patrimoine en France ou en profiter. Comme au bout de 48 heures, cette dame n'a pas pu être effectivement expulsée, le préfet a demandé au juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Tours d'ordonner son maintien en rétention pour 15 jours de mieux. J'imagine la tête qu'a dû faire le JLD en lisant ce dossier… L'avocat de Madame Guerin a demandé et obtenu une assignation à résidence (art. L. 552-4 du CESEDA), c'est-à-dire que, l'étranger qui a remis son passeport aux services préfectoraux et qui a des garanties de représentations (du genre le logement qu'il a occupé légalement pendant deux ans et demi) peut, à titre exceptionnel précise la loi, ne pas être maintenu en rétention mais assigné à son domicile en attendant que la préfecture s'occupe des formalités de reconduite au pays d'origine. Oui, vous avez bien lu. Quand un personne commet un crime, la liberté est le principe, la privation de liberté, l'exception. Pour les étrangers, si l'administration le décide, sans avoir à justifier de ses raisons, et bien la liberté devient l'exception. Il m'est plus facile d'obtenir devant un JLD la liberté d'un escroc récidiviste, je pense à un exemple réel, que celle d'un étranger sans casier judiciaire et qui paye ses impôts, pour reprendre un autre exemple réel.

À titre exceptionnel, donc, le JLD de Tours a remis en liberté notre pauvre béninoise à qui rien n'aura été épargné.

Il ne manquait plus qu'une farce pour terminer cette triste affaire, et c'est notre Brice national qui s'est gentiment proposé pour jouer les maîtres Patelin.

ArrêtSurImage.net nous apprend que le ministre du drapeau a lu cet article du Monde et en a été profondément ému. Par courrier électronique adressé à nombre de journalistes, le ministre déclare :

« Le ministre, qui a pris connaissance des faits samedi après-midi à la lecture du journal Le Monde, a immédiatement demandé au préfet de régulariser la situation de Madame GUERIN. Le ministre a estimé que le Préfet avait commis une erreur manifeste d'appréciation: le décès de (…) Claude GUERIN, ressortissant français, ne saurait justifier le non-renouvellement d'une autorisation de séjour de son conjoint étranger en situation régulière. »

Brice The Nice, en somme.

Sauf que.

Sauf que le préfet d'Indre et Loire a parfaitement respecté la loi. La délivrance et le renouvellement de la carte de séjour temporaire au conjoint de français est subordonnée à la qualité de conjoint de Français, ce que le veuf n'est pas. L'article L. 311-8 du CESEDA dit en toutes lettres que «La carte de séjour temporaire et la carte de séjour " compétences et talents " sont retirées si leur titulaire cesse de remplir l'une des conditions exigées pour leur délivrance.»

Il n'est prévu qu'une seule exception : si l'époux français s'est rendu coupable de violences conjugales sur son conjoint, l'administration peut, je dis bien peut, c'est une faculté, pas une obligation, renouveler la carte de séjour[2] (art. L.313-12 du CESEDA). Claude Guerin n'ayant pas eu l'idée de frapper son épouse avant d'expirer, elle ne pouvait même pas invoquer cette protection.

Le juge administratif d'Orléans a d'ailleurs confirmé la légalité de la décision préfectorale obligeant Madame Guerin à quitter le territoire français.

J'emprunterai sa conclusion à mon ami Jules, car c'est grâce à lui qu'en pleine rédaction de cet article, j'ai appris l'intervention du ministre des trois I : rions de peur d'avoir à en pleurer en pensant que c'est la loi Sarkozy du 24 juillet 2006 qui a prévu le retrait automatique du titre de séjour en cas de disparition des conditions de délivrance ; c'est cette même loi qui a empêché Madame Guerin de devenir française au bout de deux ans de mariage, ce délai ayant été porté à quatre ans. C'est cette même loi qui l'a empêché de bénéficier d'une carte de résident de dix ans dès le début de son mariage et l'a contrainte à attendre trois années de vie commune, ce que la maladie ne lui a pas octroyé. Rions de voir aujourd'hui ce proche de l'auteur de cette loi s'exclamer qu'un préfet qui l'applique très exactement commet “une erreur manifeste d'appréciation” quand son résultat est aussi inhumain.

Mais ce résultat est très précisément celui voulu par la loi. À force de voir des fraudeurs partout, on traite tout le monde comme des fraudeurs. Y compris la majorité qui ne l'est pas. Elle est là, l'erreur d'appréciation. Dans la loi elle même. Ayez au moins le courage de l'assumer, monsieur le ministre. Ça nous changera.

Notes

[1] J'emploie ici ce terme dans son sens générique d'éloignement forcé : l'expulsion en droit des étrangers est une décision de reconduite immédiate, par la force, d'une personne présentant un risque de trouble à l'ordre public.

[2] Ce qui, par un tour facétieux, est devenu dans la bouche du président : “toute femme battue peut devenir française”. On voit qu'il n'a jamais été ministre de l'intérieur.

vendredi 4 avril 2008

Affaires Fuzz, Dicodunet, lespipoles et autres : et si le juge avait raison ?

Jusqu'à présent, un peu pris par le temps, je n'ai fait que reprendre les décisions rendues dans la vague de procès faites à des sites internet pour atteinte à la vie privée. Mon souci était de vous présenter les décisions, de vous expliquer ce que le juge a dit (et ce qu'il n'a pas dit), afin de vous permettre de vous faire une opinion.

Ayant pris le temps de la réflexion, réflexion enrichie par vos nombreux commentaires (encore une fois : merci. Ce blog ne serait rien sans ses commentateurs), j'ai fini par me faire ma propre opinion de cette jurisprudence naissante. Et pour ma part, je ne partage pas les avis très critiques qui semblent majoritaires. Et si le juge avait eu raison ?

J'écarte d'emblée les procès en incompétence : le juge n'aurait rien compris au problème technique, car il n'est pas un informaticien. Vous allez voir que ces décisions ne révèlent aucun contresens sur la réalité technique de ces sites, mais relèvent d'un choix entre différentes valeurs protégées par la loi.

Et que diable, pas plus qu'il n'est besoin d'être juriste pour comprendre le droit (sinon, qu'est-ce que vous faites là ?), il n'est besoin d'être geek pour comprendre un minimum l'informatique.

La preuve en est votre serviteur, qui n'est pas un geek (je mange mes pizzas chaudes, j'ai une épouse et une vie sociale, et quand j'ai un problème technique avec mon blog, je menace d'assigner mon hébergeur pour qu'il le règle), sait très bien ce qu'est un flux RSS (Rieule Sime-peule Sinediquécheune, et toc). Et je pense que le juge a parfaitement compris qu'il s'agit d'un format de fichier informatique qui permet facilement la reprise automatique d'articles publiés sur d'autres sites, faite sans intervention ni validation humaine. C'est ce qui permet à mes lecteurs de lire l'intégralité de mes billets depuis un programme ou un site dit d'agrégation plutôt que de devoir charger ma page, et de fausser ainsi mes statistiques de fréquentation.

Et comme d'habitude, dès qu'une nouveauté apparaît, les non juristes affirment benoîtement que le droit est dépassé.

Le droit n'est pas dépassé. Les règles sont les mêmes pour tous, et celles relatives à la publication restent les mêmes sur tout support, même nouveau, le seul problème du juge étant d'appliquer ces règles dans un nouvel environnement. Ce n'est pas facile, mais il a fait des études, et c'est passionnant ; de plus, pour l'aider, il a à l'audience deux esprits brillants qui lui proposent deux thèses contradictoires, réfutent mutuellement leurs arguments et répondent à toutes ses questions.

En l'espèce, quels textes le juge devait-il appliquer ?

En premier lieu, la loi (art. 9 du code civil) interdit toute atteinte à l'intimité de la vie privée sans le consentement des personnes concernées, notamment par la publication d'informations portant atteinte à cette intimité. Il ne fait plus débat depuis longtemps que les relations sentimentales, même entre personnes célèbres, sont protégées au titre de la vie privée. Un site qui prend l'initiative de publier une telle information se met en faute au regard de l'article 9 du code civil. Personne ne le nie.

La loi impose aussi (art. 1382 du code civil) à quiconque commet une faute causant un préjudice à autrui de réparer ce préjudice. Il en va de même en cas de simple négligence ou d'imprudence (art. 1383 du code civil). C'est ce qu'on appelle la responsabilité civile.

Enfin, s'agissant d'internet, la LCEN exonère l'hébergeur[1] de toute responsabilité tant qu'il n'est pas établi qu'il avait connaissance du caractère illicite de ce contenu et s'il n'a pas réagi promptement pour enlever ce contenu (promptement étant pour la jurisprudence actuelle le jour même).

Voilà, très résumé, les règles en vigueur. Le juge doit les concilier, ou si elles se heurtent frontalement, décider laquelle l'emporte.

Se pose dans nos affaires le problème de sites qui se présentent comme des sites où on peut trouver tout ce qui se raconte sur internet, et qui agencent ces nouvelles en différentes rubrique : Politique, sport, culture... et people. Pour les affaires Lespipoles.com et dicodunet entre autres, ces sites reprennent dans cette dernière rubrique les nouvelles publiées par les sites de journaux comme Voici, Gala, Public, Closer, qui on fait leur profession de fouler du pied le droit à l'intimité de la vie privée des stars ou personnes réputées telles.

La thèse que soutiennent les gérants de ces sites, exploités par des sociétés commerciales, est qu'ils ne sont pas responsables de ce qui est publié sur leur site car c'est d'abord (en fait simultanément) publié ailleurs. Thèse séduisante pour eux : comme ce n'est pas eux qui font le contenu de leur site, ils ne sont pas responsables de ce qu'il y a dessus (en revanche, ils ne contestent pas être les créanciers des revenus publicitaires).

Question alors : qui l'est ?

Première hypothèse : Personne. Donc il serait possible pour une société commerciale de porter atteinte impunément à la vie privée d'autrui, quand bien même la loi l'interdit, et de toucher des revenus publicitaires de ce fait ? Cette solution doit être écartée : elle revient à permettre de s'enrichir d'une activité illégale.

Deuxième hypothèse : Le site qui émet le flux RSS. Il l'est sans nul doute du fait d'avoir publié l'info chez lui. Mais que des personnes aient, sans son autorisation préalable, repris son flux sur leur site commercial, le rend-il responsable de cela ? Gala.fr est-il responsable du contenu de Dicodunet ou de Lespipoles.com ? Posons la question de manière plus rigoureuse juridiquement et vous verrez que la solution devient évidente : la SNC Prisma Presse est-elle responsable du contenu des sites de la SARL Fox Interactive et de la SARL Aadsoft.com, avec qui elle n'a aucun lien organique (ce ne sont pas les mêmes associés) ou contractuel ? Là encore, la réponse est non : chacun est responsable de son propre fait, pas du fait d'autrui, sauf exceptions légales (j'y reviens tout de suite avec la LCEN).

Reste la dernière hypothèse, qui par élimination semble la bonne, en tout cas la seule qui tient : c'est le site qui publie matériellement l'info qui en est responsable.

Objection opposée par les concernés : la LCEN. “ Nous sommes dans un cas d'exception légale au principe de notre responsabilité, car nous ne serions qu'hébergeurs. Nous ne serions responsable qu'en cas de notification du contenu illicite et inaction de notre part ” disent-ils en substance et en défense.

Le juge écarte cette thèse, car les sites concernés ne sont pas une simple agrégation de liens comme une page Bloglines publique, ou une page entièrement gérée par un internaute comme un univers Netvibes. Ces sites ont un titre, un slogan, une présentation, une mise en page, une catégorisation des liens, et les met en forme (ce ne sont pas de simples phrases soulignées et écrites en bleu : sur Fuzz, par exemple, le titre du lien apparaissait en gras, en gros caractères) . Créer une catégorie People et y afficher le flux RSS de Gala.fr est un choix éditorial. Ce faisant, l'éditeur du site prend en connaissance de cause le risque très probable de publier une nouvelle portant atteinte à l'article 9 du Code civil. Ou leur gérant est d'un amateurisme frisant l'incompétence, ce qui dans ce cas n'est pas une excuse absolutoire. S'il prend ce risque, qu'il l'assume, soit en surveillant les nouvelles publiées, soit en les validant a priori, soit en assumant les conséquences financières des fautes ainsi commises.

L'affaire Fuzz est différente en ce que Fuzz n'agrégeait pas des flux RSS mais publiait des liens envoyés par les lecteurs inscrits sur le principe de “ Ça me semble intéressant, je l'envoie sur Fuzz”.

Néanmoins, le juge aboutit à la même solution.

Expliquer cela par "le juge n'a rien compris" est très facile et ne repose sur rien. J'ai publié de larges extraits de l'ordonnance. À aucun moment n'apparaît un contresens ou une absurdité. L'accusation d'incompétence est trop facile.

La question se posait en fait dans les mêmes termes que dans les affaires précédentes : faut-il laisser faire ce qui est expressément interdit (l'atteinte à la vie privée) ? Faut-il exonérer l'éditeur du site et dire que le responsable est l'adhérent qui a publié le lien ?

Mais dans ce cas, comment un tiers victime d'une atteinte à sa vie privée peut-il l'identifier ? Comment peut-il efficacement mettre fin à cette atteinte à sa vie privée, quand la loi dit qu'il a droit à ce que des mesures urgentes soient prises à cette fin, s'il se retrouve face à un site irresponsable et un auteur inconnu ? Ce choix suppose de sacrifier le respect de la vie privée de chacun sur l'autel de la liberté d'expression sur l'internet. Cela peut s'envisager, même si la perspective ne me paraît pas particulièrement réjouissante, mais dans ce cas c'est à la loi de le dire. Or ce n'est pas ce qu'elle dit actuellement.

Ou alors est-ce l'éditeur du site qui en assume la responsabilité, toute la responsabilité à l'égard d'une victime de son contenu, quitte à appeler en garantie l'adhérent responsable[2], et à demander au juge de le condamner à prendre en charge toutes les condamnations ? C'est cette solution qui est retenue. Cela contrarie les internautes qui sont exploitants de sites, bien sûr. Mais il n'y avait pas de solution qui satisfasse tout le monde.Le juge doit trancher. Et je ne suis pas convaincu qu'il n'ait pas retenu la moins mauvaise des solutions.

Notes

[1] Défini à l'article 6, I, 2 comme étant « les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ».

[2] L'appel en garantie consiste pour une personne (le garanti) qui est citée en justice pour un fait dont elle est juridiquement responsable, à citer à son tour une personne légalement tenue à son égard d'assumer les conséquences du fait dommageable (le garant) ; cela peut être l'auteur du fait dommageable, un assureur, un cocontractant à qui le garanti a délégué une partie de l'exécution du contrat. Par exemple, je charge la société Zog Zog de transporter ma quatrième Aston Martin dans mon Château au San Theodoros. La société Zog Zog charge la société Titanic de faire traverser l'Atlantique jusqu'au port de Tapiocapolis. A l'arrivée, je retrouve ma voiture toute cabossée. J'assigne la société Zog Zog qui n'a pas respecté son obligation de me rendre ma voiture telle que je lui ai laissée. La société Zog Zog assigne en garantie la société Titanic, armateur du navire. La société Titanic assigne en garantie le Port Autonome de Tapiocapolis en tant qu'aconier (déchargeur du navire). Mon débiteur sera la société Zog Zog exclusivement ; mais s'il s'avère que les dommages ont eu lieu lors du transport, la société Titanic sera condamnée à rembourser à Zog Zog ce qu'elle me versera ; si c'est lors du déchargement, le Port Autonome de Tapiocapolis sera condamné à rembourser à la société Titanic ce qu'elle aura dû rembourser à la société Zog Zog... Le Port Autonome est le garant de la société Titanic qui est le garant de la société Zog Zog, qui est le garanti.

mercredi 2 avril 2008

Le prix d'un visiteur sur internet : 6,94 euros

C'est grâce au juge des référés de Nanterre que je connais cette valeur : le site Dicodunet a en effet été condamné à 500 euros de provision sur dommages-intérêts pour un avoir publié via un flux RSS une information portant sur la relation réelle ou supposée d'un réalisateur français avec une célèbre actrice américaine. La décision mentionne que ce lien avait généré... 72 visites. Outre 1000 euros d'article 700 et les dépens, soit une centaine d'euros en plus environ. Mes lecteurs me sont très chers, mais visiblement pas autant que ceux de Dicodunet.

La partie qui nous intéresse est celle-ci, à la fois brève et claire.

Argument de la défense :

La défenderesse expose qu’elle n’aurait que la qualité d’hébergeur, au sens de l’article 6.1.2 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, en ce que l’acte d’abonnement à un flux RSS n’est pas un acte d’édition.

Invocation de la jurisprudence Wikipédia. Ce que réfute le juge :

Cependant, la décision d’agencer les différentes sources, sur un thème donné, en l’espèce la rubrique « Actualités/personnalités », permet à l’internaute d’avoir un panorama général sur ledit thème, grâce aux différents flux ainsi choisis, et constitue bien un choix éditorial de la partie défenderesse. La copie du site comporte d’ailleurs des publicités dont elle tire apparemment profit.

L’abonnement au flux RSS litigieux, (renvoyant à gala.fr), correspond précisément à la « thématique » dénommée « actualités/personnalités ».

La partie défenderesse a donc bien, en s’abonnant au dit flux et en l’agençant selon une disposition précise et préétablie, la qualité d’éditeur et doit en assumer les responsabilités, à raison des informations qui figurent sur son propre site.

Pour l'évaluation du préjudice et donc de la réparation pécuniaire, ce passage aussi est intéressant :

Il y a lieu de tenir compte, dans l’appréciation du préjudice, du fait que le site litigieux contenait le titre et le « chapeau » de l’article mais pas l’article in extenso, auquel il était renvoyé par un lien hypertexte ("lire la suite").

La société Aadsoft Com établit surtout que la page litigieuse, qui n’était pas la page d’accueil du site, n’a été visitée que par 72 visiteurs uniques.

En résumé, les critères retenus sont proches de ceux retenus dans l'affaire Fuzz (qui est postérieure à cette décision) : existence d'une rubrique «people» ou assimilée, qui constitue un choix éditorial. Même si l'ordonnance ne le dit pas expressément, car ça n'a pas fait l'objet de débat, le fait que le site soit édité par une société commerciale a joué : le site ne peut invoquer un amateurisme maladroit ; il recherche la réalisation de bénéfices, et contient des publicités à cette fin.

A noter que dans ce cas comme dans le cas de Fuzz, il ne semble pas que les chiffres des recettes publicitaires aient été produits en défense. Le juge reste donc libre de supposer ce qu'il veut sur ces montants, et il a une tendance bien naturelle à présumer que ce qu'on lui cache est plus important que ce qu'il pourrait estimer de prime abord : d'où la somme de 500 euros, qui peut sembler considérable (et qui objectivement l'est) pour les 72 visites qu'a généré le lien.

mardi 1 avril 2008

A mes lecteurs

À la veille du quatrième anniversaire de ce blog, je me dois de prendre en compte certaines évidences.

Ce blog me prend du temps, beaucoup de temps ; il a un coût, que ce soit comme manque à gagner pour mon cabinet pour le temps que j'y consacre ou les divers frais que cela représente (il est très gourmand en bande passante, notamment).

Je m'efforce de tenir un rythme de publication régulier, voire quotidien, ce qui est quasiment une activité professionnelle. Tout ça de ma poche.

En outre, j'ai désormais des colocataires, dont deux magistrats qui en trois mois ont éclusé le budget "Réceptions" de la Chancellerie. Ma cave à champagne s'est déjà pris un coup depuis que Gascogne a trouvé où je planquais les clés, il faut que je maintienne les stocks. Sans compter que j'ai dû ajouter une aile au château pour que Fantômette et Dadouche aient la place de ranger leurs chaussures.

Cela n'est plus tenable, même à court terme. Continuer sur ce mode de fonctionnement me conduirait à devoir reporter l'achat de ma quatrième Aston Martin, ce que je ne peux accepter, comme chef de famille, chef d'entreprise et père responsable.

En conséquence, j'ai pris la décision d'ouvrir mon blog à la publicité. J'ai ainsi placé des encarts publicitaires dans la colonne de gauche de ce blog. Je remercie ici les sponsors qui ont bien voulu m'aider à monétiser enfin ce site, d'autant que mes tarifs élevés ne me mettent pas à la portée de toutes les bourses.

L'équilibre financier de ce blog étant désormais assuré de manière pérenne, nous allons pouvoir entamer de conserve une cinquième année de visite des entrailles de la justice et du droit.

Suivez le guide.


[Mise à jour 2 avril] : Retour  à la normale. Pour la postérité, j'archive mes fausses pubs sous ce billet et les place sous licence Creative Commons Œuvre en partage. Content qu'elles vous aient plu, je me suis bien amusé à les faire.

 Publicité

Par Google PadSens
Monsanto : Parce qu'il faut bien mourir de quelque chose. 
Blackwater : (slogan en Anglais) : Nous apportons la paix éternelle aux Irakiens depuis 2003
Dati : la justice en soldes
Embruns.net: Un blogueur inverti en vaut deux
Dixon Wilson : Chez nous, on compte, on n'écrit pas.
Logo de l'ANPE, avec le slogan 'nous relevons tous les défis' sous une photo de Georges Fenech
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