Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mai 2009

dimanche 31 mai 2009

Heeding Gideon's call

Car il n'y a pas de jour où on ne peut se cultiver tout en pratiquant son anglais.

Je viens de passer un formidable moment en compagnie des étudiants de première année de droit de Yale à écouter Stephen B. Bright donner sa leçon, intitulée Heeding Gideon's Call: Defending Indigent Criminal Defendants. Stephen Bright est avocat pénaliste, spécialisé dans la peine de mort. Bref : un avocat qui sauve des vies, dont quelques unes innocentes.

Cette leçon de 48 minutes pose la problématique de la défense pénale des indigents aux États-Unis, en exposant les divers systèmes envisageables (conscription c'est à dire commission d'office, contractualisation c'est à dire des avocats s'engagent à assurer cette défense contre une rémunération par l'État, en plus de leur cabinet, public defendant, des avocats payés par l'État pour ne faire que cela) avec leurs inconvénients (désintérêt et incompétence des conscrits, conflit d'intérêt des contractuels, surcharge de travail et insuffisance de moyen des public defendants quand ce ne sont pas que les plus mauvais qui se résignent à cette carrière), mais surtout en rappelant les valeurs en jeu, qui vont bien plus loin que le simple problème de dépense publique qui, ici comme là-bas, semble seul préoccuper les autorités. Un réquisitoire impitoyable à l'égard des juridictions criminelles du sud des États-Unis, qui valident des condamnations à mort prononcées dans des conditions incroyables (mention spéciale à la cour d'appel qui a validé une condamnation à mort prononcée alors qu'il est établi que l'avocat de la défense s'est endormi à plusieurs reprises au cours de l'audience, car il n'était pas prouvé qu'il avait dormi aux moments important où son intervention aurait pu influer le cours du procès. Le client a finalement été exécuté) et qui montrent que la question raciale est loin d'être réglée (tel ce procureur de Louisiane qui a utilisé 16 de ses 22 récusations pour écarter les 16 jurés Noirs d'un procès et qui assura, la main sur le cœur devant la cour suprême de l'État que ce n'était qu'une coïncidence).

Le titre de la leçon (Entendons l'appel de Gideon, le jeu de mots avec l'allusion biblique à la victoire du prophète Gédéon —Gideon en anglais— sur les Madianites —Juges, 6-8—étant intraduisible) fait allusion à l'arrêt de la Cour Suprême Gideon v. Wainwright, 372 U.S. 335 (1963), qui a posé le droit constitutionnel à tout accusé à l'assistance d'un avocat. Clarence Earl Gideon a été condamné à 5 ans de prison pour cambriolage après s'être vu refuser le droit à l'assistance d'un avocat, que la loi de Floride réservait aux crimes capitaux. Celui-ci rédigea un recours devant la cour suprême des États-Unis, seul et au crayon à papier, qui conduisit la cour suprême à casser ce jugement et à le faire juger à nouveau, assisté d'un avocat, qui démontra son innocence et obtint son acquittement[1].

Vous pouvez la télécharger gratuitement sur iTunes en cliquant sur ce lien ou télécharger le MP3 sur cette page (Merci Julien). Ce cours exige un bon niveau d'anglais, mais pas une formation juridique : il s'adresse à des freshmen, des étudiants de première année (bien qu'une formation en anglais juridique ne fasse pas de mal).

Je vous laisse sur la conclusion de mon confrère Bright, qui est tout aussi valable en France :

« La chose qui compte le plus, réellement, est ce que vous aurez fait de votre vie pour combattre le racisme et la pauvreté ; et celle qui compte le moins, c'est combien vous aurez gagné en le faisant. »

Notes

[1] Je parle d'acquittement pour un délit car le jugement a été rendu par un jury.

samedi 30 mai 2009

En deux mots

Réussi :

Raté :


Bon, je n'arrive pas à faire des billets courts. Alors pour votre édification :

Le premier clip remonte au 2 février 2008. C'est une chanson écrite par William J. Adams alias will.i.am, membre des Black Eyed Peas, et mis en image dans les jours qui ont suivi le discours qu'elle reprend, le célèbre "Yes We Can" de Barack Obama.

Yes We Can n'est pas le slogan officiel de la campagne de Barack Obama, qui était "Change We Can Believe In". C'est le leitmotiv d'un formidable discours prononcé un soir de défaite, le 8 janvier 2008, lors des primaires du New Hampshire, remportées par Hillary Clinton. Ce n'était qu'une semi-défaite, l'avenir l'a démontré, car Barack Obama a fini deuxième, loin devant John Edwards, ce qui le propulsait, après son succès aux caucus de l'Iowa, comme le challenger face à la favorite Hillary Clinton, ce qui n'était pas évident au départ. La suite est désormais de l'Histoire.

C'est un cas assez unique de discours politique promu au rang d'œuvre d'art. Et qui a fait de cette phrase prononcée par une froide nuit d'hiver dans la Nouvelle Angleterre un slogan officieux mais plus connu que l'officiel (plutôt mauvais, il faut bien le dire).

Le second date de 2009. Il s'agit d'un lip dub, une forme de vidéos très à la mode… il y a deux ans. L'idée est née dans l'esprit de Jakob Lodwick, fondateur de Vimeo, qui s'était filmé marchant dans la rue de New York en train de chanter en playback la chanson Endless Dream du groupe Apes & Androids. Mais le premier vrai lip dub a été fait par l'équipe de Connected Ventures, une société gérant divers sites internets, sur la chanson Flagpole Sitta de Harvey Danger.

Lip Dub - Flagpole Sitta by Harvey Danger from amandalynferri on Vimeo.

La mode s'est répandue très vite et a été une façon pour les entreprises et écoles supérieures de se promouvoir, en montrant qu'il y a une ambiance sympa et qu'en même temps on reste pro.

Les quatres règles du bon lip dub sont : la spontanéité (on doit avoir l'impression que c'est un délire qui part comme ça), l'authenticité (les intervenants et les lieux semblent réels), la participation (on ne fait pas un lip dub tout seul) et l'amusement : tout le monde doit avoir l'air de se marrer (le plus facile étant qu'ils s'amusent réellement). Le clip de l'UMP viole trois de ces quatre règles, mais transgresse également la cinquième, non écrite tant elle était évidente : le lip dub doit être une chanson. Sinon, c'est comme faire un karaoké sur un discours politique, ou danser la tektonik sur Yvette Horner.

Moralité, voulant faire djeun'z et branché, l'UMP reprend un phénomène passé de mode et en plus le fait mal. Vous me direz que les clips des autres listes ne valent pas mieux. Je concède, sauf qu'il est moins humiliant d'être ringard dans le classissisme que l'être dans l'innovation. Vous ajouterez qu'elle peut s'en ficher, l'UMP, elle est déjà en tête dans les sondages, et surtout, c'est payé sur fonds publics.

Ça vous console, vous ?

Promis, bientôt, je vous parle du parlement européen. Ça nous changera de la campagne électorale.

vendredi 29 mai 2009

La guerre du dépôt

Une guerre souterraine se joue actuellement au palais, et les avocats, menés par les Secrétaires de la conférence, viennent de remporter une première victoire après plusieurs défaites.

D'abord, voyons le champ de bataille. Il se situe sous le palais et se divise en deux parties : le dépôt et la souricière.

Europe 1 a réussi à envoyer au dépôt (non, pas Vittorio de Filippis…) un journaliste muni d'un appareil photo qui raconte ce qu'il a vu et nous montre ces images.

Le dépôt, géré par la préfecture de police et donc du personnel de la police nationale, reçoit les personnes retenues par la police jusqu'à leur présentation à un magistrat qui décidera de leur sort (soit procureur qui les dirigera vers une comparution immédiate pour un jugement immédiat, un juge des libertés et de la détention pour un jugement plus éloigné dans le temps mais avec placement sous contrôle judiciaire, ou éventuellement une simple convocation sans autre mesure, ou un juge d'instruction déjà en charge du dossier).

La souricière, gérée par les gendarmes du palais, reçoit les personnes déjà incarcérées qui doivent comparaître devant un juge et prend en charge les locataires du dépôt lors de leur escorte vers le magistrat ou la salle d'audience. C'est un réseau de couloirs séparés du public qui aboutissent dans certaines salles d'audience, avec ici et là quelques cages, il n'y a pas d'autre mot, sans sanitaires, ou sont entreposés les personnes escortées.

Cela fait des années que l'état déplorable du dépôt est dénoncé, et pas que par ces chochottes droitdel'hommmistes que sont les avocats. Le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe s'y est mis aussi et c'est pas glorieux. Extrait de son rapport  :

22. En effet, les locaux de certains tribunaux donnent l’impression d’être vétustes et d’appartenir à un autre temps. Les bureaux des magistrats que j’ai visités m’ont paru étroits, ne procurant pas à leur(s) occupant(s) l’espace dont ils auraient besoin. Or, il est évident que les bureaux de magistrats ne servent pas seulement à étudier les dossiers. Les magistrats y reçoivent des parties et y tiennent même certaines audiences.

23. Une situation particulièrement pénible existe au sein de certains endroits appelés « dépôts ». Les dépôts sont des zones sécurisées composées généralement de cellules individuelles et collectives recevant les personnes détenues dans des lieux de privation de liberté – commissariats ou établissements pénitentiaires – et qui sont transférées dans les tribunaux en vue d’audiences ou d’autres besoins procéduraux. La spécificité des dépôts, qui sont placés de jure sous l’autorité du juge comme tous les locaux se trouvant dans l’enceinte des tribunaux, mais de facto sous celle de la police qui s’occupe de la garde des détenus, a pour conséquence qu’aucune de ces deux autorités ne se sentirait, selon mes interlocuteurs, complètement investie de la responsabilité de ces endroits.

24. Dès lors, la situation matérielle de certains dépôts reste désastreuse et ne correspond en aucun cas aux besoins d’une société moderne. Afin d’étudier personnellement cette question, je me suis rendu dans le dépôt du Palais de justice de Paris et dans celui du TGI de Bobigny.

25. En ce qui concerne le dépôt du Palais de justice de Paris, il s’agit d’un très vieux bâtiment chargé d’histoire et l’endroit reflète les événements qui s’y sont passés au cours des siècles. Ceci étant dit, l’intérieur du dépôt de Paris continue de donner une image très peu flatteuse de la justice française. Au même endroit se trouve d’ailleurs le centre de rétention des étrangers en instance d’expulsion, qui m’a frappé par les images qu’il reflète, images d’un autre temps et d’une époque que toute personne civilisée pourrait croire révolue en France, j’y reviendrai plus loin dans le chapitre consacré aux étrangers. Le dépôt, qui jouxte le centre de rétention s’en différentie bien peu, même s’il paraît qu’il a subi récemment un certain nombre de travaux.

C'était en 2006. Rien n'a changé, hormis le déménagement du Centre de Rétention, pour lesquels les mots étaient les plus durs, pour le nouveau site de l'École de police du bois de Vincennes.

La politique menée jusqu'à présent par la préfecture était “ un coup de gueule médiatisé = un coup de peinture ”.

En novembre 2008, les avocats de Créteil ont réussi un joli coup. Ils ont demandé et obtenu qu'un juge du tribunal soit chargé d'aller visiter le dépôt de Créteil (35 ans et encore plus vétuste que celui de Paris). Ce dernier a rendu un rapport dantesque sur lequel se sont appuyés les avocats pour soulever une nullité du procès verbal de citation en comparution immédiate.

J'aime, chers mékéskidis, le regard que vous avez quand vous lisez ces mots et que votre bouche s'élargit pour laisser échapper un « Hein ? » un rien paniqué.

Je vous explique.

Un tribunal ne peut juger qui bon lui chante selon son humeur. Un juge ne peut statuer que s'il a été officiellement chargé de statuer. On dit que le juge est saisi. Un juge non saisi ne peut statuer et toute décision qu'il prendrait serait nulle. C'est une des premières choses que vérifie tout juge au début de l'examen d'un dossier : il s'assure de l'identité de la personne jugée, de l'existence de l'acte de saisine, et de sa compétence, c'est-à-dire s'il est bien le juge que la loi désigne pour statuer.

Un tribunal statuant sur une comparution immédiate est saisi par un document d'une ou deux pages s'appelant un procès-verbal de comparution immédiate. C'est un document signé par un procureur et constatant que devant lui se présente telle personne (identité complète), et qu'il lui fait savoir qu'il lui est reproché des faits de telle nature (date et lieu des faits, qualification légale, citation des textes légaux définissant et réprimant l'infraction), et mentionnant ses observations éventuelles. Puis l'acte constate si l'intéressé demande un avocat et lequel. Suit la signature de l'intéressé ou la mention qu'il refuse de signer. C'est ce document qui fait que le dossier est enfin accessible à un avocat, puisque le législateur estime que toutes les opportunités d'obtenir des aveux hors l'assistance d'un avocat sont désormais épuisées (et je ne suis qu'à peine ironique en disant cela).

L'argumentation des avocats cristoliens était la suivante et elle est astucieuse.

La convention européenne des droits de l'homme prohibe les traitements inhumains et dégradants, et l'article 6 exige le respect du droit à un procès équitable. Or une personne jugée en comparution immédiate, qui a passé 48 heures en garde à vue où elle n'a pu dormir que sur des bancs de bois ou de pierre, et une nuit au dépôt dans ces conditions vient de subir des traitements dégradants et est dans un état d'épuisement tel qu'elle ne peut assurer sa défense de manière satisfaisante.

Les avocats demandent donc au tribunal d'annuler ce procès verbal de comparution immédiate qui viole ces droits fondamentaux. La conséquence est que la procédure elle-même n'est pas annulée (tous les interrogatoires et perquisitions effectuées antérieurement à son passage au dépôt restent valables), seul l'est l'acte saisissant le tribunal. Dès lors que le tribunal n'est as saisi, il ne peut statuer : le prévenu est remis en liberté, libre au procureur de le citer à nouveau selon les formes de droit commun.

L'avantage de cette méthode sur la demande de délai pour préparer sa défense, qui est de droit et ne peut être refusée, est que le tribunal n'étant plus saisi, il ne peut plus décerner mandat de dépôt : le prévenu n'est plus prévenu et doit être remis en liberté, il ne peut être placé en détention dans l'attente de son procès. Elle suppose toutefois que le prévenu ait passé la nuit au dépôt, les déférés du matin arrivés à 11 heures et jugés à 16 heures ne subissant pas la même chose que ceux arrivés la veille à 20 heures.

Les bonnes idées étant par nature libres de droit (les mauvaises aussi, d'ailleurs, mais elles risquent moins la copie) le barreau de Paris, en la personne des secrétaires de la conférence, ministres de la défense pénale d'urgence, a aussitôt suivi la voie tracée par nos excellents quoique banlieusards confrères.

Le 26 février dernier, deux d'entre eux, choisis pour leur courage et le fait qu'ils n'ont pas d'enfants, sont descendus dans le méphitique cloaque aux fongus fétides, et ont rédigé un rapport remis au Conseil de l'Ordre (pdf).

Le 16 avril dernier, le bâtonnier himself, est allé plaider aux côtés du Cinquième secrétaire David Marais et devant la 23e chambre, celle consacrée aux comparutions immédiates, des conclusions visant au prononcé d'une telle nullité du procès verbal de comparution immédiate. Conclusions rejetées, pour des motifs que j'ignore encore. Premier revers. Mais un juge du tribunal de Paris a à son tour été mandaté pour aller visiter les lieux et faire un rapport pour ses collègues. Tout n'était donc pas dit. En attendant, le Bâtonnier invitait les avocats de permanence à continuer à déposer des conclusions de nullité dont vous trouverez le modèle ici.

Le deuxième a eu lieu le 13 mai, quand la 11e chambre de la cour d'appel de Paris a annulé les jugements du tribunal de Créteil qui avaient eux même annulé les procès-verbaux de comparution immédiate. Sans conséquence pour les prévenus qui avaient été depuis longtemps remis en liberté, mais un message clair pour les juges de Créteil : arrêtez de jouer à ça. Les motifs de la cour sont tout de même assez sidérants et un rien cyniques. La cour a, d'après ce que j'ai lu, constaté qu'effectivement, les conditions de détention dans le dépôt de Créteil étaient inacceptables et contraires aux droits de l'homme, mais qu'aucun texte du code de procédure pénale ne permettait au juge d'annuler un procès verbal de comparution pour ce motif. En somme, violer les droits de l'homme n'étant pas illégal en France, circulez, il n'y a rien à annuler. Deuxième revers, et de taille, car la cour d'appel de Paris est aussi compétente pour le tribunal de Paris.

Ce mercredi 27 mai, le député André Vallini a utilisé le droit que lui accorde la loi de visiter tous les lieux de détention pour se rendre au dépôt. Il a lui aussi pris des photos, visibles sur le site de France Info. Bravo monsieur le député.

Et pourtant, coup de théâtre. Hier, la 23e chambre, ayant reçu le rapport du magistrat envoyé au Dixième Cercle, a fait droit aux conclusions déposées par les avocats de la défense et annulé cinq procès-verbaux de comparutions immédiates.

Je vous rappelle que les cinq prévenus n'échappent pas aux poursuites mais reviendront libres pour être jugés selon le droit commun. Et même s'ils ne reviennent pas, ils seront valablement jugés en leur absence.

Et devinez quoi ?

Une demi-heure après que cette nouvelle a été connue, qu'annonce la Chancellerie ?

Mme Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la Justice a décidé d'affecter en urgence une somme de 1 million d'euros pour rénover les locaux du dépôt du tribunal de grande instance de Paris.

Cette somme, s'appuyant sur les crédits du plan de relance décidé par le Gouvernement, permettra de financer deux tranches de travaux, qui débuteront dés le mois de juillet 2009, et qui porteront notamment sur la rénovation des cellules et des espaces communs.

Vous vous souvenez de ce que je vous disais ? “ un coup de gueule médiatisé = un coup de peinture ”.

Mais bon, sans se faire d'illusions sur la sincérité du geste, ne boudons pas notre plaisir. À une semaine de son départ de la Chancellerie, Rachida Dati se comporte enfin en Garde des Sceaux. Il était temps que je puisse le dire un jour : bravo et merci.

mercredi 27 mai 2009

Avis de Berryer : Tomer Sisley

La Conférence Berryer revient !

Ce mercredi 3 juin, c'est debout qu'elle recevra recevra monsieur Tomer Sisley, humoriste et comédien, dont l'humour aura raison de Louise Tort, partagée entre éclats de rire et rougissement deuxième secrétaire en charge du rapport.

Les sujets seront répartis moitié-moitié :



- Peut-on rire debout?

- Faut il éviter les mélanges?

Ayant assisté à la dernière Berryer, j'adresse un appel aux candidats. Tout le monde n'est pas Desproges, et faire de la provocation n'est pas nécessairement faire de l'humour. Faites plus dans l'esprit que dans l'audace. Si vous êtes le seul à vous marrer, c'est pas bon. Ah, et un discours de Berryer, c'est 8 minutes, pas 20.

Les candidats peuvent joindre la délicieuse Rachel Lindon ( rachellindon[at]hotmail.com ), quatrième secrétaire et maître de cérémonie.

Plus d'infos sur le site de la Conférence.

mardi 26 mai 2009

Quand le gouvernement réinvente l'eau tiède

Le journal officiel Figaro se fait l'écho d'une annonce du ministre de l'intérieur annonçant triomphalement l'idée géniale qu'elle vient d'avoir après deux ans de cogitation intensive : désormais on va confisquer la voiture des conducteurs délinquants.

« La répression va s'accentuer sur les mauvais conducteurs. Le Figaro s'est procuré le texte présenté demain en Conseil des ministres par Michèle Alliot-Marie. »

Le cabinet de Christine Albanel leur a sans doute transmis l'e-mail.

« Parmi les mesures phares (NdEolas : humour !), la confiscation du véhicule est prévue pour sanctionner les comportements les plus graves. À ce jour, la confiscation, très peu appliquée, ne concerne que les conduites sans permis. »

Le juriste pénaliste est ici pris d'une quinte de toux, que je vous expliquerai dans un instant.

« • Conduite sans permis et grands excès de vitesse

« Multiplication des radars sur les routes, pertes de points en cascade : les conducteurs roulant sans permis sont de plus en plus nombreux aujourd'hui. Une infraction que les pouvoirs publics veulent combattre. Le nouveau texte rend donc «obligatoire» la confiscation du véhicule, une sanction jusqu'alors laissée à l'appréciation du juge. Ce dernier gardera toutefois une marge de manœuvre. S'il ne prononce pas la confiscation, le magistrat devra motiver sa décision.»

Avec en prime pour les lecteurs du Figaro un superbe enfonçage de porte ouverte :

« Trois catégories d'automobilistes sont visées. Ceux qui n'ont jamais passé leur permis, ceux qui prennent le volant malgré la perte totale de leurs points ou encore ceux dont le permis a été annulé par un juge.»

La quatrième et dernière catégorie, celle des automobilistes qui ont le permis, n'est fort heureusement pas concernée.

Remis de sa quinte de toux, le juriste chausse ses lunettes et ouvre son Code pénal, assailli d'un doute. Pendant qu'il tourne les pages, faisons un peu d'histoire. Ces dernières décennies, la conduite sans permis était une contravention, la plus haute, celle de 5e classe, soit depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994 : 1500 euros, 3000 en récidive. La conduite sans permis se distinguait de délits révélant une attitude plus antisociale, comme la conduite malgré la suspension judiciaire du permis, qui est une peine. Le délinquant n'était pas puni pour ne pas avoir sollicité une autorisation supposant un contrôle de ses capacités, mais violait une interdiction qui lui avait été faite pour sanctionner un comportement dangereux.

Le nombre de décès sur la route restant trop élevé au goût du Gouvernement, celui-ci a décidé d'employer la seule méthode qu'il connaisse, quand bien même elle a fait les preuves de son inefficacité : taper plus fort. Et sachant que quel qu'il soit, hormis s'il est égal à zéro, le nombre de décès sur la route reste toujours trop élevé, vous devinez la suite.

Le virage (moi aussi, je sais faire de l'humour comme au Figaro) a eu lieu en 1992, avec l'entrée en vigueur du permis à points. Alors que jusque là, seuls des automobilistes ayant un comportement particulièrement dangereux (conduite en état alcoolique, blessures involontaires…) étaient frappés de la suspension voire du retrait du permis, le nouveau système a fait que des fautes plus vénielles pouvaient, par leur accumulation, aboutir au même résultat.

L'accidentologie étant peu affectée par cette nouveauté (comme l'ensemble des mesures répressives à une exception près, les radars automatiques, car ils font disparaître la conviction de l'impunité ), le gouvernement a continuellement créé de nouvelles infractions et augmenté le barème des pertes de points. Ainsi, le défaut de port de la ceinture, au début épargné car ne causant aucun danger à autrui, a été frappé d'une perte d'un point, puis aujourd'hui de trois points (soit plus que rouler sur le terre-plein central d'une autoroute !). Idem avec le téléphone portable à l'oreille. Au départ, ce n'était même pas une contravention (encore que l'obligation générale faite au conducteur de se maintenir à tout moment en mesure d'effectuer les manœuvres urgentes d'évitement, sanctionnée d'une contravention, pouvait probablement s'appliquer), aujourd'hui,c'est deux points. Résultat : vous démarrez en passant un coup de fil qui vous empêche de mettre votre ceinture : c'est la moitié de votre permis qui saute. Bonjour le sens des proportions. S'agissant de l'efficacité, je vous invite à regarder les habitacles des automobiles à Paris, de préférence les véhicules utilitaires aux heures de pointe. Résultat de cette course aux armements : le nombre de permis perdus par perte des douze points augmente continuellement, poussant de plus en plus de personnes à conduire sans permis en attendant de pouvoir le repasser.

Face à cet effet pervers de sa loi, le législateur aurait pu amender son texte. Au lieu de ça, il va recourir à la seule méthode qu'il connaisse, quand bien même elle a fait les preuves de son inefficacité : taper plus fort.

En mars 2004, la loi Perben II a fait de la contravention de conduite sans permis un délit puni d'un an de prison et 15.000 euros d'amende. Sans incidence notable sur le nombre d'infractions, qui semble même avoir augmenté depuis. Le Gouvernement aurait pu se dire que décidément cette méthode laissait à désirer, mais non : il en déduit toujours qu'il n'a pas du frapper assez fort.

Et donc, nous voilà en 2009. Après avoir utilisé sa fameuse méthode dite “néanderthal” sur des sujets comme les chiens dangereux ou les siffleurs de marseillaise, le Gouvernement tourne à nouveau son œil prédateur vers l'automobiliste. Il continue à conduire sans permis, se dit notre Gouvernement du Peuple par le Peuple et pour le Peuple. Que faire ? Réponse : la seule méthode qu'il connaisse, quand bien même elle a fait les preuves de son inefficacité : taper plus fort.

Bon, la prison, c'est pas possible, c'est complet. D'où l'idée géniale suivante : on confisque l'automobile. Ça, ça fait mal, ça empêche le délinquant de récidiver et en prime, ça finira dans les caisses de l'État puisque l'État la revendra (à un automobiliste sans permis, sans doute, pour que la boucle soit bouclée).

Sauf que.

Sauf que notre juriste s'est remis de sa quinte de toux, et a fini de tourner les pages de son code pénal. Et la pêche a été bonne à en juger par le sourire narquois qu'il arbore (sauf si c'est un magistrat, auquel cas le sourire sera sournois).

Et que dit-il notre bon Code pénal ?

Tout d'abord, l'article 131-6 du Code pénal nous apprend que

« Lorsqu'un délit est puni d'une peine d'emprisonnement, la juridiction peut prononcer, à la place de l'emprisonnement, une ou plusieurs des peines privatives ou restrictives de liberté suivantes :

(…)

« 4° La confiscation d'un ou de plusieurs véhicules appartenant au condamné ; …»

Or la conduite sans permis est passible de prison. La confiscation du véhicule est donc d'ores et déjà possible.

— Fort bien, me direz-vous, mais voilà au moins un intérêt du passage de la contravention au délit : la confiscation du véhicule est rendue possible.

À cela je vous rétorque article 131-14 du Code pénal :

« Pour toutes les contraventions de la 5e classe, une ou plusieurs des peines privatives ou restrictives de droits suivantes peuvent être prononcées :

(…)

« 6° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit. »

Donc même quand rouler sans permis était une contravention, la confiscation était déjà possible.

— Certes, répliquerez-vous avec cet esprit critique qui me rend si fier de vous tout en me donnant envie de vous étrangler, mais c'est à la place de l'emprisonnement. Là, ce serait en plus.

En effet. Mais je n'avais pas fini.

L'article 131-21 du Code pénal précise que :

« La peine complémentaire de confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement. Elle est également encourue de plein droit pour les crimes et pour les délits punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à un an, à l'exception des délits de presse.

« La confiscation porte sur tous les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre, et dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition.»

Donc, tous les délits punis de plus d'un an d'emprisonnement permettent de prononcer une confiscation du véhicule en plus de l'emprisonnement, à condition que ledit véhicule ait servi à commettre l'infraction ce qui, convenons-en, est relativement fréquent en matière de délit routier.

— Si fait, tenterez-vous une dernière fois, aux abois et sentant que l'hallali se lit là, mais la conduite sans permis ne fait encourir qu'un an de prison, donc la peine complémentaire générale ne s'applique pas.

Et vous avez raison. Pour les délits punis d'un an seulement, il faut que la loi le prévoit expressément comme peine complémentaire.

C'est précisément ce que fait l'article L.221-2 du Code de la route :

« I. - Le fait de conduire un véhicule sans être titulaire du permis de conduire correspondant à la catégorie du véhicule considéré est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

« II. - Toute personne coupable de l'infraction prévue au présent article encourt également les peines complémentaires suivantes :

(…)

« 6° La confiscation du véhicule dont le condamné s'est servi pour commettre l'infraction, s'il en est le propriétaire.»

Bref, le Gouvernement se propose de faire voter ce qui existe déjà.

— Oui, mais cette fois, ce sera automatique, puisque la voix de son maître nous dit que cette confiscation, “ peu prononcée jusqu'à présent ”, sera désormais automatique en cas de récidive.

En effet. Et c'est là que le Gouvernement, avec cet avant-projet de loi soumis au Conseil des ministres, cesse de faire du droit pénal et commence à faire du foutage de gueule.

Voilà qu'il nous ressert encore une fois le plat froid et insipide comme une soupe anglaise du juge laxiste face au Gouvernement roide comme un if. Le juge n'est pas assez sévère, alors que le Gouvernement veut taper plus fort. Alors votons les peines plancher. Le juge devra prononcer un minimum. Et il décide de peines trop courtes, alors votons la rétention de sûreté pour garder les condamnés en prison au-delà de leur peine. Continuons dans la foulée avec la confiscation automatique. Si ça c'est pas du bon sens comme les juges savent même pas ce que c'est, hein ? À se demander comment on a fait pour mettre sept ans à y penser.

Car dans cette frénésie néanderthalienne, personne ne semble s'être simplement demandé pourquoi les confiscations sont si rares.

Alors que la réponse n'est vraiment pas compliquée.

Pour pouvoir confisquer le véhicule, encore faut-il que le délinquant soit le propriétaire du véhicule. On ne peut confisquer la chose d'autrui : nul n'est pénalement responsable que de son propre fait. Or celui qui n'a jamais eu le permis est rarement propriétaire du véhicule qu'il conduit. Vous me direz qu'on peut le mettre en cause comme complice. Oui, si on peut prouver qu'il savait que le conducteur n'avait pas le permis et qu'il lui a remis les clefs malgré cela. Si le conducteur a pris le véhicule sans autorisation, ou si le propriétaire ne lui a tout simplement pas demandé ses papiers avant de lui prêter sa voiture, pas de confiscation possible.

Ajoutons que le juge, cet animal à sang froid étranger au bon sens humain, a une curieuse manie. Quand une personne a volé une voiture pour la conduire alors qu'il n'a pas le permis, le juge ne confisque pas la voiture mais ordonne sa restitution au propriétaire (quand ça n'a pas été fait au stade de l'enquête de police).


Voter une confiscation automatique sera inefficace car il suffira de mettre la voiture au nom de l'épouse, du fiston, de la concubine, même s'il n'a pas le permis, puisqu'on peut être propriétaire d'un véhicule sans être titulaire du permis (on peut conduire sans permis sur un terrain privé comme un circuit automobile ou avoir un chauffeur, ce qui est le cas de tous les ministres qui pondent ces lois, d'ailleurs, ceci expliquant peut-être cela). Cette loi sera donc très facilement mise en échec.

Et face à cette inefficacité, je vous laisse deviner à quelle méthode va recourir le Gouvernement.

Une fille de style soutenu.

par Sub lege libertas


Cindy habite chez une tante qui a l’âge d’être sa grande soeur. Cindy ne cause à ses parents ni soucis, ni de sa vie ; d’ailleurs elle ignore leur adresse et toute leur existence, comme eux la sienne. Cindy a quinze ans et demi, un copain et déjà deux mois de tapin. Cindy ne s’en plaint pas et regimbe presque quand à minuit, des fonctionnaires de police lui trouvent sans doute trop d’enthousiasme mais aussi de jeunesse, la recueillent sur le trottoir où elle racole, couvée du regard depuis sa voiture par son copain tout juste majeur et un ami.

Cindy leur dit aux policiers et le leur répétera à longueur d’audition, qu’elle fait la pute sans que Dimitriu son copain l’y force. Il est même très gentil Dimitriu et elle lui donne un peu d’argent pour l’aider. De toute façon, elle seule peut payer les kébabs. Et quand les autres prostituées, les africaines qui tiennent ce coin de trottoir, comme un port franc de la luxure, ont voulu la corriger d’une concurrence malvenue sur le marché de la concupiscence tarifée, Dimitriu est intervenu, courageux mais pas téméraire avec Brandon son ami d’un jour, d’un soir, de galère. Depuis une semaine, Dimitriu et Brandon la déposent en voiture au bord de son caniveau et ils restent là pour surveiller la lune ; ça la rassure même, Cindy.

Dimitriu est interpellé sur son camp de misère au milieu de compatriotes. Il est proxénète de mineur. Ce n’est pas un pro, c’est net mais peu mineur pour la loi pénale. Dix ans d’emprisonnement encouru comme prix des kébabs partagés, du taxi bénévole direction un bout de trottoir et d’un billet de dix euros accepté par-ci par-là. Il ne le nie pas quand on le lui explique par le truchement d’un interprète. Il précise même qu’il savait que Cindy était “d’accord pour faire ça” et qu’il ne la tapait pas, ce qu’elle confirme ayant vendu ses charmes avant même de le rencontrer. Et Brandon, tout autant gardé à vue que Dimitriu, abonde. Pourquoi a-t-il donné un coup de main à Dimitriu ? C’est un ami qu’il avait rencontré il y a une semaine, depuis que sa femme l’avait largué en vidant son appartement. Après trois ans de vie, avec un enfant et sans aucune garde à vue comme avant. A la dérive, on se raccroche à la galère des autres, on pense sombrer moins vite... Oui, il savait que Cindy était prostituée et que Dimitriu la protégeait, mais n’y arrivait plus tout seul. Il est complice, il l’admet.

Cindy reverra plus tard son juge des enfants. Cindy ne comprendra pas pourquoi Dimitriu qui lui se souciait un peu d’elle, l’aimait même peut-être, est fautif. Les bonnes âmes diront qu’au moins la loi la protège d’un minable petit profiteur de son calvaire. Mais de quelle protection lui parle-t-on ? Ne rappelons pas que la majorité sexuelle est fixée à quinze ans et que la prostitution est légale, même si hypocritement la loi pénale punit le client d’une péripatéticienne mineure : pute mineure oui, mais sans client, merci. Cindy se foutrait bien de savoir son tapin légal ou dans les marges du Code pénal. Bien sûr la morale des bonnes gens réprouve le sexe tarifé et incline moins encore à approuver la prostitution chez les mineurs fussent-ils âgés de plus de quinze ans. Cindy ne cherche pas d’approbation. D’aucuns ajouteront que la misère et la mésestime de soi sont des contraintes qui rendent illusoires les pétitions de choix volontaire dans la pratique de la prostitution. Cindy n’a jamais connu les illusions de l’enfance et ne se croit pas si libre en fausse adulte.

Dimitriu et Brandon iront répondre de tout cela en comparution immédiate. Justice sera rendue. Plus tard, l’affaire est renvoyée. Bien défendus, Dimitriu et Brandon ressortent, interdits. Cindy est rentrée chez sa tante, du moins l’a-t-elle suivie en sortant du commissariat. Cindy n’est pas venu au Tribunal, pourtant c’est sur le chemin pour retourner à son tapin. Peut-être, espérera-t-elle y retrouver le soutien du regard de Dimitriu, voire Brandon. Non, ils sont sous contrôle judiciaire avec interdiction d’être à son contact. On l’entendrait presque murmurer : “Putain de Justice !”

vendredi 22 mai 2009

Délinquant né et suspect d’en être capable : l’enfant.

par Sub lege libertas


“Les enfants naissent libres de ne pas être délinquant et égaux en droit d’être soupçonné.” On pourrait ironiquement formuler ainsi le principe de la responsabilité pénale des mineurs en France à ce jour. Car avant même les interrogations techniques de Maître Eolas sur la possible ou l’impossible retenue etc. par des policiers d’un mineur âgé de 10 ans ou 6 ans, il faut rappeler que notre droit est totalement archaïque : il ne fixe aucune limite d’âge en deçà duquel la loi interdirait simplement de rechercher la responsabilité d’un mineur comme auteur d’une infraction pénale. Mais non, hurlez-vous : la majorité pénale est fixée à 13 ans par l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 modifiée relative à l’enfance délinquante ! Il paraît même qu’il faut réform... Stop !!! reprenons calmement :

L’article 122-8 du Code pénal fixe comme critère de capacité pénale pour le mineur, c’est à dire pour être reconnu coupable d’un crime d’un délit ou d’une contravention, la notion de discernement. Quezaco ? Et bien seul un mineur “capable de discernement” quel que soit son âge peut être regardé par la justice comme auteur d’une infraction pénale.

Cela signifie que légalement rien (le bon sens peut-être, mais ce n’est pas une loi) n’interdit un procureur ou un officier de police judiciaire de suspecter un enfant de six ans d’un vol ; et de faire une enquête pour d’une part rechercher les preuves de sa culpabilité, mais aussi les éléments qui établissent son discernement, c’est à dire grosso modo sa capacité à distinguer le bien et le mal, ou plus simplement encore le fait qu’il avait conscience de l’interdit qu’il a violé. Donc, non seulement le policier pourra interroger l’enfant suspecté, mais pour ne pas se contenter de ce qu’il dit savoir de l’interdit, avoir recours à un avis de psychiatre ou de psychologue pour établir le discernement.

Cet état de notre droit est tout simplement scandaleux ! D’une part depuis 1989, la convention internationale des droits de l’enfant recommande aux Etats signataires de fixer un âge en deçà duquel aucune responsabilité pénale ne peut être recherchée (article 40 - 3°a de la convention). Bref, une immunité pénale sans enquête de police judiciaire possible à l’égard du mineur. D’autre part, il maintient en droit interne, la vieille notion de droit canon “d’âge de raison” (vous savez, vers sept ans, quoi!) Si elle avait un sens quand elle fut développée, il y a huit siècles (merci Saint Thomas d’Aquin et le IVe concile du Latran qui impose la confession (l’aveux des fautes) au laïc parvenu à cet âge), elle commence sans doute à manquer d’actualité... D’ailleurs, les experts requis pour trancher sur le discernement de l’enfant raisonnent somme toute avec le même substrat intellectuel que le droit canon, même si leur formulation est contemporaine.

Mais alors, dites vous, et ces seuils d’âge : 10 ans, 13 ans, 16 ans dont on entend parler chaque fois qu’on annonce qu’il faut réformer la fameuse ordonnance de 1945 ? Et bien, ils fixent juste des limites de contrainte possible à l’égard des mineurs :

  • - en deçà de 10 ans, le policier peut, comme pour un majeur, conduire en flagrance l’enfant au commissariat en avisant immédiatement ses parents ou l’y contraindre en enquête préliminaire, s’il n’est pas venu à une convocation. Le policier peut le retenir uniquement le temps de son audition avant de le remettre à ses parents et de leur donner connaissance de ses propos. La justice des mineurs, qui peut être saisie si le discernement est établi, peut condamner prononcer dit-on pour édulcorer, uniquement des mesures éducatives pouvant aller jusqu’à un placement tout de même.
  • - de 10 à 13 ans, le policier peut dans certains cas (assez larges en fait) avec l’accord préalable du procureur, retenir durant 12 heures le mineur au commissariat et même demander si nécessaire une prolongation de la retenue pour 12 heures de plus maximum. La justice des mineurs saisie - il y a là une présomption de discernement implicite - peut non seulement prononcer des mesures éducatives, mais aussi des sanctions éducatives (comme des interdictions de paraître dans certains endroits, des confiscations d’objet, des stages civiques ...)
  • - enfin à partir de 13 ans la garde-à-vue de 24 heures est possible, avec dans certains cas une prolongation, et la justice des mineurs peut condamner (là on le dit) à des peines dont l’emprisonnement dont le maximum est la moitié de la peine prévue pour les majeurs. Et à compter de 16 ans, pour faire simple, la situation du mineur se rapproche très fortement de celle du majeur pour sa garde-à-vue, le risque de peine encourue et la possibilité de détention provisoire.

Voilà, alors les policiers de Floirac ou Cenon sont zélés, certes. Ils ont peut-être une conception très ancienne de l’âge de raison par rapport au vol. Mais, ils n'ont pas choisi d’avoir un droit aussi peu protecteur de la petite enfance par rapport au questionnement pénal. Un espoir ? Et bien de façon incroyable oui, dans l'avant-projet de Code de la justice pénale des mineurs, qui pour le reste méritera des commentaires plus sévères (quand j'aurais le temps, Dadouche, help me). Si l’on en croit la mouture de travail, l’article 111-1 (le premier) affirmera que la responsabilité pénale n’est prévue que pour les mineurs âgé de treize ans et plus. Comme pour le confirmer, l’article 111-7 précisera que pour les mineurs de 10 à 13 ans, auteurs d’une infraction pénale, l’enquête de police ne vise qu’à établir les élements pour asseoir la responsabilité civile des parents. Jamais, je n’aurais pensé que la réforme tant annoncée pourrait avoir cette audace sur ce point... Demain peut-être en France un enfant pourra naître, non plus suspect possible, mais jusqu'à 13 ans, innocent.

Aux âmes bien nées, la retenue n'attend pas le nombre des années

Il y a des fois où je redoute d'arriver au bout de mes réserves d'indignation tant elles sont sollicitées. On avait déjà vu des policiers débarquer dans une classe de maternelle pour emporter deux enfants de 3 et 6 ans à expulser avec leur mère (vous ne me croyez pas ? C'est un horrible canard gauchiste qui le raconte), on avait déjà vu quinze gendarmes embarquer une famille avec un bébé de quatre mois pour placer tout le monde en rétention à 500 km de là. Six policiers entourent et escortent une fillette d'environ quatre ans, tache de rose au milieu du bleu nuit.

La série continue, cette fois ci sans aucun lien avec le droit des étrangers.

Une mère habitant Floirac, en Gironde, aperçoit un jour à l'école Louis-Aragon où va son fils une bicyclette ressemblant fort à celle que son fils s'était fait voler peu de temps auparavant. Elle va s'en plaindre auprès du directeur d'établissement, lui demandant de saisir cette bicyclette. Le directeur lui répond à juste titre qu'il n'en a absolument pas le pouvoir, cette affaire étant étrangère à l'établissement et concernant la vie privée des enfants. La mère n'en démord pas et va porter plainte à la police pour vol.

En Gironde, on ne plaisante pas avec le vol de bicyclette.

Deux voitures de police et six fonctionnaires vont donc attendre à la sortie le cycliste suspect. Âgé de dix ans. Et là, problème. Le vélo volé était vert, et celui du voleur présumé était bleu. Le gamin faisant défaut, c'est la littérature qui a volé, mais au secours de la force publique : si ce n'est toi, c'est donc ton cousin, âgé de six ans, qui lui a un vélo bleu. Que la mère du bambin spolié reconnaît comme étant un vélo volé à son fils il y a deux ans. Peste ! Ça sent la bande organisée. En tout cas, on cherchait un vélo d'un certain modèle vert, on a un vélo de ce modèle mais bleu, et on a un vélo d'un autre modèle mais vert. L'enquête progresse à grands pas. Tout le monde au commissariat.

Les enfants vont passer deux heures au commissariat, avant que la mère du voleur présumé n'arrive avec une attestation d'un sous-officier de l'armée de l'air jurant qu'il avait acheté lui-même le vélo suspect au gamin, ce que ce dernier expliquait depuis deux heures.

Au temps pour nous, dirent les policiers, remettant les enfants en liberté, une larme à l'œil à l'idée de ne pouvoir mettre une croix dans la case “affaire élucidée” des chiffres du commissariat, mais néanmoins consolés de pouvoir en mettre une voire deux dans la case “gardes à vue”, puisque ce critère fait partie des chiffres exigés par le ministère de l'intérieur dans cette culture du résultat qui fait tant de dégâts.

Les faits sont relatés par un article de la Dépêche.

En droit, que s'est-il passé ?

Rien que de très banal, dans un premier temps du moins. Un enfant mineur a été victime d'un vol de bicyclette (crime pour lequel je n'ai aucune sympathie, mes lecteurs savent pourquoi). Sa mère, titulaire de l'autorité parentale et en qualité de représentante légale, est allée porter plainte auprès de la police, précisant qu'elle avait cru reconnaître le vélo de son fils entre les jambes d'un des élèves de l'école primaire fréquentée par son fils.

L'officier de police judiciaire ayant reçu cette plainte a ouvert une enquête, en flagrance semble-t-il vu l'arrestation à la sortie de l'école, en se fondant sur l'article 53 alinéa 1er du code de procédure pénale : dans un temps très voisin de l'action, la personne placée en garde à vue était poursuivie par la clameur publique (en fait, la clameur de la mère de la victime, mais cela suffit). Une autre hypothèse est une enquête préliminaire, mais dans ce cas, il y aurait dû y avoir une convocation au commissariat non suivie d'effet pour permettre l'interpellation (article 78 du CPP) et la hiérarchie policière interrogée par la presse n'en fait pas état.

Il ne vous aura pas échappé, à vous du moins, que les mis en causes étaient mineurs. Très mineurs, même. La loi en tient compte, et c'est là que le bât me blesse.

Le plus âgé des deux avait dix ans révolus. Il ne pouvait donc être placé en garde à vue (c'est à partir de treize ans), mais, “ à titre exceptionnel ” dit la loi, retenu à la disposition d'un officier de police judiciaire. C'est l'article 4 de l'ordonnance du 2 février 1945, celle que la belle du septième (arrondissement) veut réformer pour durcir allègrement.

Cependant, cet article précise que cette retenue ne peut avoir lieu qu'avec l'accord préalable et sous le contrôle d'un magistrat du ministère public ou d'un juge d'instruction spécialisés dans la protection de l'enfance ou d'un juge des enfants, pour une durée qu'il détermine et qui ne peut excéder douze heures (renouvelable une fois après présentation du mineur au magistrat). La durée a été respectée (la retenue n'a duré “ que ” deux heures) mais cela signifie qu'un magistrat a nécessairement donné son feu vert à la mesure (il n'avait pas à être consulté sur les modalités de l'interpellation à la sortie de l'école, je doute qu'il ait approuvé).

Autre problème : le bambin de 6 ans. Âgé de moins de dix ans, celui-ci ne peut en aucun cas faire l'objet d'une mesure de garde à vue ou de retenue ou de quoi que ce soit qui s'apparente à une arrestation (Ordonnance du 2 février 1945, article 4 toujours). À quel titre a-t-il été embarqué et gardé au commissariat ? L'article précise que l'enfant de dix ans attendait son petit frère à la sortie de la maternelle. Il eût été compréhensible que les policiers le prissent avec eux pour éviter qu'il ne se retrouvât livré à lui-même, mais il ne semble pas, à la lecture de l'article, que le cousin de six ans dût être escorté par notre faux voleur de bicyclette ; au contraire il ressort bien de cet article qu'il a été conduit au commissariat à cause des soupçons pesant sur son vélo vert (je sais, c'est compliqué, c'est de la délinquance organisée, n'oublions pas). En tout état de cause, le magistrat ayant autorisé l'interpellation de mini-Mesrine a-t-il été informé qu'il venait accompagné d'un enfant de six ans ?

Questions que je me pose mais auxquelles je ne peux apporter de réponses.

Le directeur départemental de la sécurité publique m'en propose une : c'est un non événement. “ Les services de police ont agi par rapport aux réquisitions d’une victime, sans excès d’aucune sorte. ” Si vous comptez sur l'État pour vous protéger, vous et vos enfants, demandez-vous donc avec Juvénal[1] qui vous protégera de l'État. Le bal des hypocrites est ouvert en tout cas au gouvernement qui feint d'être surpris des résultats de la politique qu'il a lui-même ordonnée (j'ai la flemme de faire des liens pour ça).

En tout état de cause, cette lamentable affaire, à la veille d'une grande réforme annoncée du droit pénal des mineurs qui n'ira certainement pas dans un sens de plus grande protection permet de rappeler opportunément un point essentiel qui, à lire les propos va-t-en guerre du gouvernement sur ce point, semble avoir été totalement oublié.

À côté des deux grandes catégories de mineurs qui retiennent l'attention du gouvernement, les enfants victimes et les enfants délinquants, il en existe une troisième, de loin la plus nombreuse : les enfants innocents. Ce ne serait pas plus mal que la loi les protège un peu aussi, ceux-là, quand bien même la seule menace qui pèse sur eux émane de l'État lui-même. Surtout à cause de cela, en fait.


Post-scriptum : un mot sur la photo d'illustration. Six policiers entourent une petite fille toute de rose vêtue. À gauche, un homme porte dans ses bras un petit garçon de deux ans, il est suivi de deux enfants de huit et treize ans environs. La police ne semble pas se soucier d'une possible tentative de fuite…C'est un recadrage de cette photo (AFP/Jack Guez). C'est une photo prise en 2006 à la sortie du tribunal administratif de Cergy Pontoise, d'une famille faisant l'objet d'une reconduite à la frontière avec placement en rétention. Les policiers entourent la fillette, et se désintéressent du reste de la famille, visible à gauche de la photo, dont aucun membre n'est menotté. C'est une technique couramment utilisée. L'escorte s'assure de la personne de la fillette. Ainsi, les policiers sont sûrs que la famille ne tentera aucune évasion, qui impliquerait d'abandonner cette petite fille. Les policiers justifient cette ruse habile en expliquant que “ c'est plus humain ainsi ”.

Notes

[1] Quis custodiet ipsos custodes ? Qui nous gardera de nos gardiens ?

jeudi 21 mai 2009

Clap de fin

Au détour d'une de ces redoutables lois de simplification du droit dont le législateur raffole pour compliquer le travail des juristes (si vous croyez que je fais de l'ironie facile, lisez l'article 138 de la loi), en l'espèce la loi n°2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures, le législateur vient de mettre fin à la controverse née de la rédaction de l'article 67 du code de procédure pénale, dont Gascogne vous avait parlé ici.

Désormais, la loi exclut expressément l'enregistrement des gardes à vue en matière délictuelle (l'article 67 est désomrais ainsi rédigé : « Les dispositions des articles 54 à 66, à l'exception de celles de l'article 64-1, sont applicables, au cas de délit flagrant, dans tous les cas où la loi prévoit une peine d'emprisonnement. »).

Au passage, voilà comment, sous couvert de simplification et clarification, le législateur ôte de la loi une garantie de la défense (car cet enregistrement permettait à celui qui affirmait que ses aveux avaient été contraints ou faussés d'avoir une preuve) qui y était entrée, certes par accident, bien sûr par accident.

Amis juristes, parcourez bien cette loi, car elle change beaucoup de choses, et pas toujours dans un sens de simplification et de clarification.

Ainsi, désormais, la déclaration de nationalité du conjoint de Français depuis 4 ans se fera à la préfecture et non au tribunal d'instance. Sachant qu'il y a en France métropolitaine 95 préfectures et 473 tribunaux d'instance, je suppose que contraindre à un long déplacement est une simplification pour le législateur. Il y en a aussi pour l'indivision, la copropriété, les successions.

Comme d'habitude à chaque fois que le législateur simplifie le droit, l'aspirine est de rigueur.

mercredi 20 mai 2009

Le plaider-coupable criminel : le législateur tire enfin les leçons d'Outreau

Pour éviter que des innocents ne soient condamnés, la commission Léger a trouvé la solution : inciter les coupables à avouer. Le plaider coupable sera ainsi étendu au criminel. L'accusé qui reconnaît les faits verra la peine encourue baisser d'un degré.

Un président d'assises s'adresse à un accusé menotté. Il lui dit : “Puisqu'on est sûr de de votre culpabilité, on va pouvoir vous condamner plus légèrement.”

Baisser d'un degré fait référence à l'échelle des peines criminelles (art. 131-1 du code pénal) : Celui qui encourt la perpétuité n'encourra plus qu'un maximum de trente ans, celui qui encourt trente ans n'encourra plus que vingt, celui qui encourt vingt n'encourra que quinze et celui qui encourt quinze n'encourra que dix.

L'audience aurait néanmoins lieu avec jury, mais les débats ne porteront en réalité que sur la peine.

Pas de date pour la réforme dont on ignore les détails : c'est une fuite d'une commission n'ayant pas encore rendu son rapport dont rien ne permet de savoir ce qu'il deviendra.

Prix Busiris pour Christine Albanel

L'Académie Busiris a le plaisir de décerner à madame le ministre de la culture et de la communication, madame Christine Albanel, son deuxième prix Busiris.

Christine Albanel, le regard dans le vide, contemple donc la loi HADOPI.

Le prix a fait débat car le propos soumis aux Sages ne porte pas sur le droit en général, mais sur un texte en particulier, la loi HADOPI, vous aviez deviné. L'Académie est, selon le mot d'Anatole Turnaround, gardienne de l'utilisation du droit dans le discours public. Autant elle est enthousiaste dès lors que c'est le raisonnement juridique même qui est lâchement exécuté à des fins inavouables, autant dès lors qu'un politique fait montre de la simple mécompréhension d'un texte, elle renâcle. L'Académie n'a jamais exigé que ceux qui font la loi la comprissent, mais tout au plus qu'ils évitassent de l'invoquer pour celer leurs turpitudes.

Néanmoins, le vote a finalement été emporté par le spectaculaire contresens sur la disposition essentielle d'un texte que le ministre a porté à bouts de bras sur les fonts baptismaux, contresens qui ne peut être accidentel et montre bien que la torsion imposée par cette loi à des principes élémentaires du droit fait du déni de la réalité l'échappatoire la plus facile et ainsi préférée à l'explication pédagogique.

Le propos récompensé est le suivant (source : Lemonde.fr) :

Interrogée sur le problème du coût du logiciel de sécurisation (appelé abusivement “ le mouchard ”) censé prévenir toute utilisation abusive de la connexion ET tout téléchargement de contenu protégé, coût qui sera supporté par l'utilisateur comme l'a confirmé le rapporteur du texte, le ministre réplique que ce n'est pas un problème car… :

Si vous ne piratez pas, non seulement vous ne risquez pas de suspension, mais vous n'êtes pas obligés de mettre un logiciel de sécurisation.

Pour bien comprendre la beauté du propos, il faut rappeler ici brièvement le mécanisme mis en place par la loi.

La loi crée une présomption de responsabilité pesant sur le titulaire d'un abonnement internet servant à télécharger des œuvres protégées[1]. Dès lors qu'un agent assermenté (salarié des sociétés de gestion collective des droits d'auteur, et non agent de l'État) constate que l'adresse IP correspondant à cet abonnement est utilisée pour télécharger un contenu protégé, la Commission de Protection des Droits, rattachée administrativement à la HADŒPI mais juridiquement indépendante, lance le processus d'avertissement (courrier électronique puis papier recommandé, étant précisé qu'à aucun moment l'abonné n'est informé du contenu protégé qu'il est supposé avoir téléchargé) avant de prononcer la suspension de l'abonnement.

Le simple constat par l'agent assermenté établit la responsabilité du titulaire de l'abonnement. Celui-ci ne peut s'exonérer de cette responsabilité qu'en établissant l'usage frauduleux de son abonnement par un tiers (preuve quasi impossible à rapporter), la force majeure (cause extérieure, irrésistible et imprévisible, difficile à concevoir ici) ou en installant un logiciel homologué censé prévenir aussi bien l'usage frauduleux de l'abonnement que le téléchargement de contenu illicite (ce qui suppose qu'il surveille la connexion à internet d'où le terme de mouchard). Tout ça est contenu dans le futur article L.336-3 du code de la propriété intellectuelle (sous réserve de sa validation par le Conseil constitutionnel).

Ainsi, comme vous le voyez, il y a bel et bien un risque de suspension d'abonnement pesant sur celui qui ne pirate pas. La loi le prévoit implicitement en lui indiquant comment il peut éviter cette suspension.

Là où la contre-vérité touche au sublime et donc au Busiris, c'est quand le ministre dit qu'il existerait un quatrième moyen de se prémunir contre le risque de suspension et dispensant d'installer le “ mouchard ” : en ne téléchargeant pas des contenus protégés. En effet, si le crime disparaît, plus personne n'a à redouter d'être puni.

Mais le mouchard vise expressément à protéger celui qui ne veut pas pirater contre celui qui voudrait pirater frauduleusement de chez lui. Dès lors, celui qui ne veut pas pirater non seulement a l'utilité de ce logiciel mais a même tout intérêt à l'installer. De fait, seul celui qui ne veut pas pirater a un intérêt à installer un tel logiciel, et non celui qui veut pirater, puisque ce logiciel l'en empêcherait. Le propos du ministre est donc un total contresens de la loi, et est aberrant en ce qu'il revient à dire que seuls les voleurs devraient installer des serrures à leur porte, et non les honnêtes gens.

Le propos est émis de mauvaise foi car ce serait faire injure à l'intelligence du ministre que de penser qu'elle ait pu croire un seul instant sérieusement que seuls les pirates seraient obligés d'installer un logiciel anti-piratage.

Quant à l'opportunité politique, il s'agit pour le ministre de répondre par une interprétation contra legem au souci des innocents se sentant floués par cette loi qui met à leur charge la lutte contre ce qu'ils ne pratiquent pas, par l'argument classique du : “ seuls les méchants ont à craindre les lois sécuritaires qui par leur nature ne concernent pas les honnêtes citoyens, qui n'ont rien à cacher ”.

Un ministre qui n'assume pas la loi que le gouvernement auquel il appartient a fait adopter aux forceps au point d'en cacher le contenu réel répond à tous les critères de l'opportunité politique et de la mauvaise foi.

Félicitations au ministre, qui ne partira pas les mains vides de la rue de Valois.

Notes

[1] …par le droit d'auteur s'entend : Musique, logiciel, films soumis aux droits d'auteur : rappelons que télécharger un morceau de musique ou un film n'est pas illégal en soi : il peut être dans le domaine public ou l'auteur peut avoir renoncé à ses droits (licence creative commons). Le téléchargement illicite d'œuvre protégé est appelé brevitatis causa “piratage ”.

mardi 19 mai 2009

Officiez sans tapage

par Sub lege libertas


Le Maître des lieux vous narra comment en philosophant à haute voix, gare Saint Charles à Marseille, un professeur trouva la voie de la Juridiction de proximité pour que soit approchée sa conception de la tranquillité d’autrui en ce hall et son trouble non par de discrets fonctionnaires de police contrôlant le passant avec entrain à quai, mais par la portée vocale de son propos tapageur si fort que l’injure s’en perdait dans le bruit qui en résultait.

Le bruit s’amplifia de la poursuite, qui déchaîna les commentaires. Or nombre de mékeskidis déversèrent aussi leur bile sur le Parquet pour vomir l’inopportunité de cette saisine de la justice. Encore une cagade de procs zéloteateurs d'un nicolaïsme qui marie leur pureté de chaste gardien de la Loi avec la défense ordre public trop personnalisé, vous demandez-vous ? Sans me réfugier, pour la justifier, derrière l’argument de la recherche d’une jurisprudence pour fixer les contours du tapage injurieux diurne, qui délecte notre hôte, je mets à profit ce cas pour vous faire découvrir comment notre contrevenant fut invité à paraître devant ce juge de proximité, si loin de la notoriété sans les efforts de ce philosophe marseillais.

La juridiction de proximité connaît des contraventions des quatre premières classes, nous indique l’article 521 alinéa 2 du Code de procédure pénale. Bref sous un intitulé classieux, de très vénielles infractions les moins réprimées par la loi, rédimées par l’amende jusqu’à 38 euros pour la première classe, 150 euros pour la deuxième, 450 euros pour la troisième et 750 euros pour la quatrième. De minimis non curat praetor disaient les anciens, aussi pour juger ces causes, une réforme de 2005 a créé ces juges, magistrats non professionnels, en lieu et place du juge d’instance qui s’y collait avant. D’ailleurs, l’article L331-9 du Code de l’organisation judiciaire précise qu’ en cas d'absence ou d'empêchement du juge de proximité ou lorsque le nombre de juges de proximité se révèle insuffisant, les fonctions de ce juge sont exercées par un juge du tribunal d'instance, désigné à cet effet par ordonnance prise par le président du tribunal de grande instance. Le juge d'instance exerce toutefois de plein droit, en cette qualité, les fonctions de juge de proximité lorsque aucun juge de proximité n'a été affecté au sein de la juridiction de proximité.

Ah ‘tain, cong ! (ponctuation philosophique marseillaise). Et ce mékeskidi juge à médaille (car il ne s’enrobe pas pour l’audience, mais y arbore une médaille en sautoir) a un procureur particulier comme l’article 523-1 alinéa 2 du Code de procédure pénale le révèle : Les fonctions du ministère public près la juridiction de proximité sont exercées par un officier du ministère public conformément aux dispositions des articles 45 à 48 du présent code. C’est à dire (article 45 alinéa 1er) que le procureur de la République près le tribunal de grande instance occupe le siège du ministère public devant la juridiction de proximité, s'il le juge à propos, au lieu et place du commissaire de police qui exerce habituellement ces fonctions.

Vindediouss (étonnement socratique septentrional) ! Un policier procureur. Et c’est bien cet officier du ministère public qui exerce les poursuites puisque certes le procureur de la République a autorité sur les officiers du ministère public (O.M.P.) près les juridictions de proximité de son ressort. Il peut leur dénoncer les contraventions dont il est informé et leur enjoindre d'exercer des poursuites. (article 44 du Code de procédure pénale) Mais en clair, l’O.M.P. reçoit pour compétence les procédures contraventionnelles des quatre premières classes et les traitent. Donc notre philosophe marseillais doit sa comparution devant le juge de proximité marseillais à l’initiative de l’officier du ministère public et non au Parquet de Marseille.

Remarquez que ç’eût été faire injure à l’O.M.P. de l’imaginer se taper de ce tapage illégal allégué en classant sans suite faute d’infraction suffisamment caractérisée. Mais, il aurait pu officier sans tapage par la voie de l’ordonnance pénale dite procédure simplifiée prévue à l’article 525 du Code de procédure pénale. Le ministère public qui choisit la procédure simplifiée communique au juge de la juridiction de proximité le dossier de la poursuite et ses réquisitions. Le juge statue sans débat préalable par une ordonnance pénale portant soit relaxe, soit condamnation à une amende ainsi que, le cas échéant, à une ou plusieurs des peines complémentaires encourues. S'il estime qu'un débat contradictoire est utile, le juge renvoie le dossier au ministère public aux fins de poursuite dans les formes de la procédure ordinaire.

L'O.M.P. préféra donc aller - car aux dernières nouvelles le procureur de Marseille n'a pas jugé à propos de l'en priver - devant son juge de proximité parfaire l'approximation de son accusation plutôt que risquer une relaxe sur papier non glacé pour une interjection glaçant d’effroi les chastes oreilles du tranquille badaud marseillais troublé.

vendredi 15 mai 2009

L'affaire du « Sarkozy je te vois »

Un enseignant marseillais connaît ces temps-ci une bien étrange mésaventure, qui serait cocasse si elle ne me laissait pas une certaine amertume dans la bouche.

Il y a un an de cela, il fait l'objet d'un contrôle d'identité dans la gare Saint-Charles de Marseille.

Et voici venu le moment d'une première pause. Qu'est-ce qu'un contrôle d'identité ? C'est le pouvoir donné par la loi aux forces de police de s'assurer de l'identité d'un individu, en lui demandant de s'en justifier. Il s'agit d'une atteinte à la liberté d'aller et venir (la personne contrôlée étant retenue le temps qu'il y soit procédé) et dans une certaine mesure à la vie privée puisque qui nous sommes et où nous allons ne regarde a priori que nous. Un tel contrôle ne peut donc théoriquement être opéré que dans les cas prévus par la loi. Je dis théoriquement car rien ne permet de refuser de se soumettre à un tel contrôle même s'il est manifestement illégal. Tout au plus peut-on soulever la nullité d'une procédure judiciaire lancée sur le fondement d'un tel contrôle illégal, mais encore faut-il que ce contrôle ait débouché sur des poursuites. Les honnêtes gens sont sans défense, car les honnêtes gens n'ont pas à se défendre, puisqu'ils n'ont rien fait, n'est-ce pas. Je vous renvoie à mes nombreux développement sur l'archaïsme de notre procédure et l'insuffisance de la protection des libertés individuelles en France, en voici un nouvel exemple.

Les cas légaux sont prévus à l'article 78-2 du code de procédure pénale. On peut les distinguer en trois catégories.

1° les contrôles sur réquisitions du procureur de la République.
Le procureur de la République donne l'ordre à la police de contrôler l'identité de toute personne se trouvant dans des limites géographiques qu'il précise et pendant un intervalle horaire qu'il détermine également, afin de rechercher certaines infractions, classiquement trafic de stupéfiants, port d'arme et séjour irrégulier. Tout contrôle hors de ces limites et horaires est nul. Si le contrôle révèle une autre infraction que celles visées dans les réquisitions, en revanche, aucune nullité n'est encourue. C'est sur ce genre de contrôles que sont interpellés nombre d'étrangers frappés d'un arrêté de reconduite à la frontière.

2° Le contrôle spontané.
La police peut décider de contrôler l'identité de toute personne à l'égard de laquelle existe une ou plusieurs[1] raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction, ou qu'elle se prépare à commettre un crime ou un délit, ou qu'elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l'enquête en cas de crime ou de délit, ou qu'elle fait l'objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire. Si l'interpellation débouche sur une procédure, le policier devra préciser dans le procès verbal qu'il rédigera quelles sont les raisons qui l'ont poussé à opérer ce contrôle. Ces raisons peuvent être un comportement suspect (classiquement, celui qui, à la vue des policiers, fait demi-tour et part en courant), ou une ressemblance physique avec un avis de recherche diffusé par la justice.

3° Le contrôle géographique.
La loi permet à la police d'effectuer des contrôles discrétionnaires dans certaines zones géographiques où un fort flux de voyageurs internationaux a lieu : soit une bande de 20km le long des frontières et certains ports maritimes, aéroports et gares ferroviaires dont la liste est fixée par l'arrêté du 23 avril 2003. La gare de Marseille-Saint-Charles figure parmi ces zones où tout ce qui ne porte pas un képi est suspect.

Pour en revenir à notre enseignant, le fait qu'il se trouvât dans la gare Saint-Charles donne en tout état de cause un fondement géographique à ce contrôle. Il devait obéissance à la loi et accepter ce contrôle.

Accepter ne veut pas dire apprécier, et s'il fit le premier, il ne fit pas le second. Il explique que les personnels de police ont eu un comportement désagréable voire arrogant. Je ne puis confirmer ou infirmer, je n'y étais pas. Les policiers sont des humains comme les autres, ils ont leur lot de mauvais coucheurs, et tous nous pouvons tous le devenir après une mauvaise journée. Néanmoins les policiers ont droit eux aussi à la présomption d'innocence et je supposerai pour la suite du récit que le comportement des policiers a été correct.

Notre enseignant a donc voulu manifester son mécontentement, et l'a fait bruyamment, ce qui a pris la forme de deux exclamations : « Sarkozy, je te vois ».

Exclamations qui valent aujourd'hui à notre enseignant d'être cité à comparaître devant le juge de proximité pour y être jugé des faits de tapage diurne injurieux.

Et voici venu le moment de notre deuxième pause.

La contravention de tapage est prévue par l'article R.623-2 du Code pénal. Contravention de la 3e classe, qui fait encourir au maximum 450 euros d'amende. Pour être puni, le tapage doit être de nature à troubler la tranquillité d'autrui, et être soit nocturne, soit injurieux s'il est diurne. Or les mots ont été proféré à 17h50 d'après l'avocat du prévenu, il faisait donc jour.

Vous me connaissez : j'exècre le chipotage. Admettons donc le tapage, tant il est vrai que les marseillais sont réputés pour leur flegme, leur laconisme, et leur caractère placide. Admettons que le tapage soit de nature à troubler la tranquillité du public, tant il est vrai qu'on va dans une gare pour goûter le doux murmure des freins qui crissent et l'harmonieux susurrement des annonces sonores, ambiance idéale à la pratique du yoga, du tàijí quán et de la méditation transcendentale.

Mais le tapage injurieux ? En disant « Sarkozy je te vois » ? Rappelons que l'injure est constituée de tout terme outrageant ne contenant l'imputation d'aucun fait (Article 29 de la loi du 29 juillet 1881). J'espère que la procédure mentionne d'autres propos, mais ceux-ci semblent les seuls retenus dans la citation (sous toute réserve, je n'ai pas eu accès à ce document).

Je suis ravi de voir que le parquet de Marseille a du temps d'audience à consacrer à ce genre de dossier assurant à l'avocat de la défense une relaxe facile, mais j'ai du mal à sourire néanmoins.

Souvenons-nous de l'affaire du « Casse-toi pov'con ». Brandir un écrit qui critique implicitement mais clairement le président est une offense. Crier une critique de la politique sécuritaire voulue par le président est un tapage injurieux. Prochaine étape : une pensée désobligeante sera-t-elle une atteinte à l'autorité de l'État ?

Il y a dans ce type d'affaire une impression d'instrumentalisation du droit pénal pour faire une police politique qui me déplaît au plus haut point. Le peuple français est par nature un peuple de maillotins. Quelle que soit la légitimité démocratique sur laquelle s'appuiera le pouvoir en place, il y aura des opposants qui le contesteront, parfois injustement, parfois ridiculement. Et c'est tant mieux. Il est vrai qu'en quelques années, le nom du président apparaît presque toujours dans les procès verbaux des procédures d'outrage (alors que je n'ai jamais vu un dossier d'outrage où on invoquait le nom du président Chirac). C'est la conséquence inévitable de la politique d'omniprésence du président. Ça peut agacer. C'est vrai qu'à la longue, ça lasse. Ce n'est pas illégal pour autant.

La démocratie s'accommode fort bien d'un peu de désordre et la République a bien plus à craindre quand les gares sont silencieuses que quand les contrôlés sont tapageurs.

Notes

[1] Notez l'inutilité de la formule : si une suffit, peu importe qu'il y en ait plusieurs.

mercredi 13 mai 2009

Appel aux petits-pois-d'en-face

Les deux principaux syndicats des magistrats administratifs (SJA et USMA) ont appelé à un mouvement national de mobilisation le 4 juin prochain, pour protester contre le sort fait à la justice administrative, qui n'est guère à envier par rapport à son alter ego judiciaire.

Piqûre de rappel : la justice administrative ? Judiciaire ? C'est quoi la différence ? Réponse ici.

Le principal motif de mécontentement porte sur la multiplication du contentieux à juge unique et à la suppression du rapporteur public, autrefois commissaire du gouvernement. Et devinez quoi ? Le manque de moyen. Il est criant. Il ne s'agit pas de revendication sur les rémunérations, mais sur le budget alloué aux juridictions, en tel sous effectif que les délais de jugement sont de l'ordre de deux ans en moyenne, certaines juridictions étant sinistrées (J'ai du stock de 2006 qui n'est même pas cloturé). Il s'agit d'une spécificité de la juridiction administrative : un magistrat indépendant, qui étudie le dossier de son côté et indique la solution qui selon lui s'impose en droit. Contrairement au parquet devant les juridictions judiciaires, le rapporteur public est totalement indépendant, tandis que le parquet est hiérarchisé ; il donne son avis en son âme et conscience, ce qui le rapproche du parquet encore que le parquet doit suivre les instructions écrites qu'il reçoit, sa parole à l'audience restant libre, tandis que le rapporteur public est libre y compris dans ses écritures (il n'a que peu de mérite, puisqu'il donne un simple avis), et il ne peut agir en saisissant lui-même la juridiction administrative. Il n'est pas partie au procès et ne l'est jamais ; le parquet l'est toujours.

La justice administrative est aussi la plus légaliste qui soit. C'est le régal des juristes qui peuvent disséquer à l'infini des combinaisons de textes apparemment inextricables. Là aussi, c'est la nature des choses : le défendeur est toujours l'État ou une personne morale de droit public. Une entité qui agit selon le droit, et dont on conteste un de ses actes. Toute légitimité, toute autorité émanant nécessairement de la loi, juger l'exercice de ce pouvoir, c'est juger l'application de la loi. Alors que devant les juridictions judiciaire, l'établissement des faits peut occuper une grande part des débats, le débat purement juridique est souvent prédominant devant les juridictions administratives. Même pour les reconduites à la frontière.

La justice administrative est ainsi d'une importance essentielle. C'est elle qui a le pouvoir d'arrêter la puissance de l'État, de mettre fin à une illégalité commise par l'entité en charge du respect de la légalité. C'est le contre-pouvoir du plus puissant des pouvoirs : l'exécutif. Sans elle, nous sommes tous nus face au Léviathan. Y compris les juges, puisqu'en dernière analyse, le Conseil d'État, la plus haute juridictions administrative (la cour de cassation administrative, pour simplifier énormément) jugent les décisions relatives à leur carrière et à leur discipline.

Bref, ce n'est pas parce qu'on a ajouté le mot administratif au mot justice que ce dernier est diminué, atténué. Les juges administratifs sont des juges à part entière, gardiens de notre liberté. À tous. C'est face à eux que je vais me battre contre les préfets pour défendre mes clients étrangers sans-papiers, pour leur rappeler que ce ne sont pas des sans-droits pour autant.

Et à part les étrangers, qui ne vous intéressent pas tous, ce sont vers les juridictions administratives que vous vous tournerez pour la plus grande part du contentieux fiscal, pour les permis de construire, pour la réparation des dommages causés par l'État (les fissures dans vos murs à cause des travaux de voirie, mais aussi votre enfant qui meurt à l'école, votre père mal soigné qui décède dans un hôpital public…).

Et même si parfois certains de leurs jugements me font grincer des dents, mes juges administratifs (le terme exact est conseiller des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, conseillers TA-CAA pour faire court), je les aime bien. Mes étrangers au fond du trou, c'est eux qui les en sortent, pas moi. Moi, je me contente de leur montrer où est le trou (Maître Eolas, ou comment résumer la procédure administrative du contentieux en excès de pouvoir en vingt six mots).

Autant dire que si le 23 octobre dernier, j'étais derrière les magistrats judiciaires en colère, ce 4 juin, je serai derrière leurs cousins administratifs (je suis partout, en fait).

Alors, mesdames et messieurs les conseillers TA-CAA, rapporteurs publics, conseillers rapporteurs, réviseurs, présidents, et les autres petites mains aussi d'ailleurs, oui, les greffiers, c'est à vous que je parle, je vous lance un défi.

Le 4 juin prochain, je vous ouvre mon blog comme je l'ai ouvert aux magistrats en robe[1]. Venez raconter l'envers du décor, ce que c'est que le quotidien d'un tribunal administratif, les stocks de dossier qui s'empilent tandis que les procédures dérogatoires et prioritaires (référés, reconduites à la frontière, OQTF) contraignent à des acrobaties de planning, pourquoi vous voulez juger à trois, et que pendant que le rapporteur public parle, vous ne remplissez pas une grille de Sudoku. La difficulté des relations avec le Conseil d'État intéressera aussi les justiciables qui n'ont pas la moindre idée de cet état de fait. Votre justice est largement méconnue. Mettez fin à l'erreur manifeste d'appréciation de l'opinion public (Si vous avez souri, vous êtes publiciste).

Mode d'emploi :

Vous pouvez m'adresser votre billet (un seul exemplaire, pas deux augmenté d'un exemplaire par lecteur, merci) par mail à eolas[arobase]maitre-eolas.fr, ou en remplissant le formulaire sur cette page. Merci de mettre en objet "Journée du 4 juin" pour repérer facilement vos billets.

Vous n'êtes pas obligé de me révéler votre identité (merci de me préciser sous quel pseudonyme vous voulez signer votre billet). Utilisez une adresse anonyme (genre nik-le-ce-1234@truc.com), ou mettez une adresse e-mail de fantaisie (comme anne@nyme.com) sur le formulaire de contact. Toutefois, je ne pourrai dans ce cas pas vous contacter et je me réserve le droit de ne pas publier un billet si j'ai un doute sur la qualité de magistrat administratif de son auteur. Si vous m'écrivez avec votre adresse en juradm.fr, votre billet sera immanquablement publié. Je garantis le respect de votre anonymat.

Je précise pour vous appâter que mon blog, c'est 15.000 visiteurs par jour, et encore les mauvais jours. Le 23 octobre, c'est monté à 55.000. C'est donc une vraie tribune que je vous offre. Je précise aussi que les commentaires seront ouverts sous chaque billet. Tous les commentateurs ne font pas dans la mesure, mais des discussions intéressantes naissent toujours.

Merci de ne m'envoyer que des billets personnels, pas les communiqués de tel ou tel syndicat, qui n'ont pas leur place ici. C'est un blog, pas de l'affichage administratif.

Les billets sont recevables jusqu'au 3 juin à minuit.

Ce billet vaut injonction de conclure.

À vous.

Notes

[1] Les juges administratifs n'ont jamais porté la robe, et les conseillers d'État ont hélas renoncé à leur si seillant costume à bas de soie dessiné pour eux par David (les mauvaises langues disent que tous n'ont pas renoncé à la perruque).

mardi 12 mai 2009

Pétage de plomb à la chancellerie

Ou un hacker fait des siennes, ou le Garde des Sceaux est en train de pêter un câble en direct.

Allez sur le site du ministère de la justice et cliquez dans la colonne de droite sur les deux communiqués intitulés "réponse à madame Guigou".

Lien direct : premier communiqué. Second communiqué.

Je précise qu'il ne s'agit pas d'un hacking du site, ces communiqués étant aussi diffusés par courrier electronique vers la presse.

Frédéric Lefèbvre a de la concurrence.

Hallucinant.

Félicitations confrère

Mon confrère Mô a de bonnes nouvelles. Sincères félicitations.

Je me retrouve pleinement dans ses mots qui vous feront comprendre pourquoi on fait ce métier. Pour ces moments là. D'autant qu'un acquittement après une première condamnation, c'est une vraie victoire de la défense. Et vous verrez que ce n'est pas par une plaidoirie bien inspirée qu'elle s'obtient. C'est un travail de forçat, rigoureux, méticuleux jusqu'à l'obsession. Prendre la masse d'information de plusieurs dizaines de mois d'instruction, en faire des analyses triplant son volume, et résumer le tout en une prise de parole de quatre heures pour convaincre 15 mékéskidis et trois koztoujours.

Mais attention aux romantiques qui pourraient penser avoir trouvé là une vocation. C'est un métier aussi destructeur qu'il peut être enivrant. Les défaites sont aussi violentes que les victoires sont euphorisantes. Il faut être prêt à accueillir les deux sans perdre la tête. Des confrères y laissent leur santé. Les avocats pénalistes sont des Icare tournant autour du soleil.

Allez, je vous laisser aller lire un des plus beaux textes de la blogosphère (plantages de serveur à prévoir hélas…).

Marché des centres de rétention : la grande classe du ministre

Éric Besson a accompli un exploit de taille : il a réussi à me faire oublier ma chère Rachida avant même qu'elle soit nommée in partibus. Car outre sa capacité à nier la réalité et à salir les irréprochables, il sait afficher le même mépris du juge que la belle de Strasbourg (que mille Zwatschgawaajer enchantent sa Mühl).

Je vous avais narré que le marché des centres de rétention, en cours de réattribution dans le but évidant d'empêcher la CIMADE d'avoir cette précieuse vision globale de ce qui s'y passe, avec au passage une association sous-marin de l'UMP qui se retrouve attributaire du marché des centres de rétention les plus ignobles de la République, ceux de l'Outre-mer, était soumis au juge administratif de Paris.

La procédure de contestation d'un marché public se fait sous la forme d'un référé, c'est à dire d'une procédure en urgence jugée par un juge unique sans rapporteur public, mais qui n'est pas vraiment un référé car le juge statue bien au fond : il annule le marché, il ne prend pas de mesures provisoires jusqu'à ce que la formation normale du tribunal (qui est collégiale : trois juges plus un rapporteur public) statue.

La loi prévoit un délai maximum de 20 jours pour que le juge statue. Il peut pendant ce délai enjoindre le ministre de ne pas signer l'attribution du marché le temps pour lui de statuer; C'est ce qu'a fait le juge administratif de Paris.

Hélas, à l'audience du 6 mai dernier, des pièces et arguments produits à la dernière minute ont contraint le juge à différer sa décision : il ne pouvait pas statuer sans que lui et les parties aient pris connaissance de ces éléments le fameux Collectif Respect a estimé que sa mise en cause était tardive et a demandé un délai (Le récit complet de l'audience se trouve sur le blog de Serge Slama). Ce qui a contraint le juge à reporter la suite de l'examen de cette affaire au-delà du délai de 20 jours, à l'audience de mercredi 13 mai. Le juge a donc demandé au ministre d'attendre encore un peu, afin d'éviter le risque qu'un marché illégal ne soit signé (car la signature du marché le rend définitif, le juge perd son pouvoir de statuer).

Que croyez-vous qu'il arriva ?

Le ministre est revenu à son bureau un dimanche pour signer le marché avant que le juge ne puisse rendre sa décision. Si ça, c'est pas la grande classe…

Oh, oui, c'est tout à fait légal (quoique le droit à un recours effectif garantie par la CSDH me paraît quelque peu mis à mal). Le délai de 20 jours était passé. Le ministre pouvait légalement signer. Il demeure qu'il n'y avait aucune urgence à signer ce marché un dimanche, puisque le service de soutien juridique est effectivement assuré dans les centres de rétention, par la CIMADE. Le seul intérêt de la manœuvre est d'empêcher le juge de statuer sur la légalité de ce marché, qui était pour le moins douteuse (une association qui postulait a bénéficié d'une grosse subvention qui lui a permis de financer sa candidature, une autre a été créée par un chargé de mission du ministère qui attribue le marché…). Quitte à lui aire un bras d'honneur au passage. Comme disait ma grand-mère, une sainte femme, c'est quand on n'a pas le cul propre qu'on a hâte de se torcher.

Là, je voudrais m'adresser à ceux de mes lecteurs qui ne partagent pas mon combat en faveur du droit des étrangers. Je respecte votre opinion favorable à une politique de fermeté, fût-elle même implacable pour les plus rigoureux d'entre vous, quand bien même j'estime qu'elle repose sur des prémices fausses, et à condition qu'elle ne serve pas de cache-sexe à de la pure xénophobie. Mais il ne s'agit même pas ici de savoir quelle politique doit être appliquée. Trouvez-vous normal et acceptable qu'un ministre méprise ainsi la demande d'un juge (qui statue au nom du peuple français, cela figure sur tous ses jugements) pour signer un marché très probablement illégal, favorisant une association fantoche visiblement inféodée au pouvoir, dans le but d'écarter une association trop insoumise et critique qui fait pourtant remarquablement bien son travail depuis plus de 20 ans ? La politique de fermeté que vous approuvez justifie-t-elle qu'on foule au pied ainsi le respect dû au juge ? Peut-on dire que c'était légal de signer pour justifier la signature d'un marché illégal ? La fin que vous approuvez justifie-t-elle ces moyens fort peu républicains ? Faudra-t-il que la République sacrifie jusqu'à son âme pour pouvoir remplir des quotas de reconduites ?

Effets de manche, exagération d'un avocat qui plaide sa cause, direz-vous. Vraiment ?

Écoutez donc bien cet extrait du journal de 8 heures sur France Inter ce matin. La journaliste vient de parler de cette affaire et conclut en soulignant l'escalade verbale sans précédent qui oppose le ministre aux associations (le GISTI traitant Éric Besson de menteur, et la CIMADE qualifiant cette signature de “ méthode de voyou ”, et dans les deux cas j'ai du mal à leur donner tort ; Brice Hortefeux était un ministre d'une autre envergure, quelle que soit mon désaccord avec la politique qu'il a menée). Écoutez bien ce qu'elle révèle, l'air de ne pas y toucher.

Alors ? Votre soutien à cette politique couvre-t-il aussi les démarches auprès des médias pour censurer leur contenu ? J'ose espérer que sur ce coup là, nous serons dans le même camp.

Allez, puisqu'il faut savoir rire de tout :

Salle d'audience du tribunal administratif de Paris, la même que celle du dessin illustrant l'annonce de la suspension de la signature sous un précédent billet. Le juge a disparu, son siège étant monté sur ressort et quelqu'un ayant déclenché le mécanisme d'éjection. Éric Besson fait face au requérant, à présent bien seul, et lui dit : « J'ai fait reconduire le juge aux frontières de la légalité. Pour l'occasion, la devise du tribunal a été modifiée : « Judicat quando Sinunt » : Il juge quand on le laisse faire.

lundi 11 mai 2009

Pour la lettre de licenciement, écrire au ministre qui transmettra

La HADŒPI n'est pas encore créée qu'elle a déjà fait sa première victime, qui porte ironiquement le nom de Bourreau.

Jérôme Bourreau-Guggenheim était jusqu'à il y a peu salarié de la société eTF1, partie du groupe TF1, responsable du pôle innovation web. À l'occasion de la mobilisation contre le projet de loi HADOPI, il a adressé le 19 février dernier un courrier électronique à son député, en l'occurrence Françoise de Panafieu, députée de la 16e circonscription de Paris qui comme son nom l'indique est dans le 17e. Ce mail a été envoyé, semble-t-il depuis son domicile à partir de son adresse privée.

L'assistant parlementaire du député, qui comme leurs noms ne l'indiquent pas sont toutes les deux des femmes, lit le courrier électronique (ne croyez pas que votre député lit ses e-mails professionnels lui-même) et, le trouvant intéressant car solidement étayé (le rédacteur est un professionnel du web), le fait suivre au cabinet du ministre compétent[1], le ministre de la Culture et de la communication, dans le but d'avoir un argumentaire rédigé par les services dudit ministre, censés être au point, si ce n'est pointus sur la question.

Le directeur adjoint dudit ministre, Christophe Tardieu, prend connaissance de ce courrier électronique (il en va des ministres comme des députés : ne croyez pas qu'ils lisent leurs mails eux-même). Et va faire suivre ce courrier à Jérôme Counillon (attention de ne pas oublier le N), directeur juridique de TF1.

C'est là que l'affaire prend un tour bizarre. J'ignore comment ledit attaché du ministère a su que le scripteur travaillait pour une filiale du groupe TF1. Je suppute que l'adresse électronique utilisée ait été en @tf1.fr, sinon, je me demande bien ce qui a mis la puce à l'oreille du ministère, à moins qu'il ait fait état de son emploi dans la lettre ? En tout cas, on accuse souvent TF1 d'être proche du pouvoir, mais je ne pense pas que ce soit au point que les ministères connaissent par cœur l'organigramme des filiales.

Toujours est-il que la direction de eTF1 s'en émeut et le président de la société par actions simplifiée convoque son salarié pour lui chanter pouilles. Le groupe TF1 soutient la loi HADOPI, et eTF1 a précisément pour objet social la production de films et de programmes pour la télévision. Et tout le monde sait que eMule et bittorrent rament à causes des petabytes[2] de programmes de TF1 téléchargés illégalement partout dans le monde. Si on travaille à TF1, on est HADOPIste. HADOPI : aimez-là ou quittez TF1.

Bourreau a la langue bien pendue et lui fait savoir que ce qu'il dit ou pense en dehors des 35 heures hebdomadaires qu'il s'est engagé à consacrer à son employeur ne regarde que lui et à la rigueur son directeur de conscience.

Et le 16 avril, le couperet tombe sur notre pauvre Bourreau : il est licencié pour « divergence forte avec la stratégie » de l'entreprise. Ce qui nous permet d'apprendre que la filiale en charge du développement web de TF1 a pour stratégie de soutenir un texte visant à permettre la coupure de l'accès à internet. Si vous voulez mon avis, on n'est pas encore sorti de la crise...

Chaussons un instant les lunettes du juriste et répondons aux diverses questions de droit que peut se poser le quidam de passage.

Est-il normal que ce ne soit pas le député ou le ministre qui lise son courrier ?

La réponse est oui. Un ministre a des journées… ben de ministre, et a autre chose à faire que lire son courrier : arriver en retard à des négociations syndicales, apprendre le droit européen… Il n'y a nulle atteinte au secret des correspondances dès lors que celui qui en prend connaissance a reçu délégation expresse du destinataire pour ce faire. L'atteinte au secret des correspondances (art. 226-15 du code pénal) suppose la mauvaise foi ou la fraude, c'est à dire la conscience que le courrier n'est pas adressé à celui qui en prend connaissance et qu'il n'a pas l'autorisation pour ce faire.

L'assistant parlementaire avait-il le droit de transmettre une correspondance privée à un tiers ?

Oui, sauf là aussi fraude ou mauvaise foi. Et il n'y a nulle mauvaise foi de la part d'un député (ou de son fondé de pouvoir) de transmettre une correspondance qui lui est adressée ès qualité par un citoyen sonnant le tocsin sur un texte de loi qu'il estime funeste au ministre en charge du texte pour qu'il lui fournisse explications et contre-arguments. Tout comme un courrier que vous adresserez au procureur de la République pour porter plainte sera transmis à un service de police pour une enquête préliminaire avant le cas échéant d'arriver sur le bureau d'un juge d'instruction et pour finir devant un tribunal.

Quand vous envoyez un courrier, qu'il soit épistolaire ou électronique, il cesse de vous appartenir et n'est protégé que pendant son acheminement vers son destinataire. Au-delà, son destinataire en devient le propriétaire et en fait ce qu'il veut, sauf si le courrier contient des éléments relatifs à votre vie privée, dont la divulgation est dès lors prohibée (art. 9 du code civil), ou que son destinataire est tenu au secret professionnel (comme un avocat). Et une prise de position politique d'un citoyen adressée à son ministre ne relève pas de la vie privée.

Le directeur adjoint de cabinet avait-il le droit de transmettre une correspondance privée à un tiers ?

Oui. Pour les mêmes raisons que ce-dessus. Quand bien même le motif légitime avait disparu (on comprend que le député demande des munitions au ministre ; on comprend moins que le ministre informe l'employeur du citoyen), la mauvaise foi n'est pas pour autant apparue : le directeur adjoint n'a pas reçu ce mail par fraude, et il en était le destinataire, par délégation à tout le moins. Ça ne relève pas du pénal. En revanche, il y a une faute professionnelle, dans le sens où rien ne justifiait cette transmission, qui met au contraire son ministre dans l'embarras, la pauvre n'ayant pas vraiment besoin de ça. Ce qui explique que ledit directeur adjoint ait été suspendu pour un mois, c'est-à-dire qu'il reviendra pour aider la chef à porter ses cartons vers la sortie.

eTF1 avait-il le droit de licencier son salarié à cause de ce courrier ?

Je ne suis pas un spécialiste du droit social mais je ne pense pas m'avancer en disant qu'un consensus se fait sur une réponse négative (mais le dernier mot appartient au Conseil de Prud'hommes de Boulogne-Billancourt).

Pour mettre fin à un contrat de travail à durée indéterminée, l'employeur doit faire état d'une cause réelle et sérieuse (pas nécessairement une faute, notez bien). Un comportement peut aussi être qualifié de faute grave voire de fautes lourdes avec des conséquences sur l'indemnisation du salarié. Un CDD ne peut être rompu que pour des faits qualifiés de faute grave au moins. Le juge prud'homal contrôle la qualification des faits et sanctionne (pécuniairement) l'employeur qui a rompu sans cause réelle et sérieuse ou surqualifié la faute. Qu'est-ce qui constitue une cause réelle et sérieuse ? Cela fait l'objet de nombreuses publications que dévorent les avocats en droit du travail. C'est de la casuistique, mais dont l'étude permet de cerner des limites assez claires, même si les marges sont toujours mouvantes.

En matière de liberté d'expression, la jurisprudence admet que l'abus de celle-ci, même en dehors des heures de travail puisse justifier un licenciement. Le salarié a une obligation générale de loyauté envers son employeur, et lui casser publiquement du sucre sur le dos est incompatible avec le fait d'encaisser son salaire à la fin du mois. S'il peut exprimer en interne son désaccord avec des choix de la direction, mais en termes mesurés, il doit, si on lui en donne l'instruction, exécuter néanmoins ces choix. Refuser de le faire justifie un licenciement (et justifierait même plutôt une démission).

Dans notre affaire, il ne semble pas allégué que notre salarié ait critiqué la société qui l'employait. Il semble que la divergence réside dans le fait qu'il ait critiqué une loi que son employeur approuve et estime conforme à sa stratégie. Rien ne permet d'affirmer, sauf à ce que j'ignore des éléments, que le salarié n'aurait pas eu à cœur de faire son travail avec conscience même s'il consistait à appliquer la loi HADOPI. Il y a un monde entre s'opposer à une loi et refuser d'y obéir. Seul ce dernier point peut fonder une sanction.

En conséquence, nous avons un licenciement fondé sur une prise de position politique, dans un courrier adressé en son nom personnel à une personne n'ayant aucun lien avec l'employeur. Je plains l'avocat de TF1 aux prud'hommes. Sa plaidoirie va être un moment de solitude.

Néanmoins, le salarié ne devrait pas être réintégré. Si le Code du travail prévoit cette possibilité pour le juge prud'homal, en pratique, les relations humaines se sont dégradées à un point tel qu'il serait absurde de remettre la situation en l'état et croire que tout reprendra comme si rien ne s'était passé. La sanction est donc presque toujours pécuniaire, sous forme de dommages-intérêts.

Bref, un beau gâchis pour tout le monde.

Notes

[1] Au sens juridique s'entend en l'espèce.

[2] Un petabyte vaut un million de gigabytes. L'adolescent crétin qui sommeille en moi trépigne d'impatience que cette unité devienne le standard de mesure de la mémoire informatique.

samedi 9 mai 2009

La tradition, c'est la tradition

…D’autant que dans un mois, il y a des élections, sur lesquelles je reviendrai bientôt.

BBC Philharmonic Orchestra ; direction : Gianandrea Noseda.

Bonne journée de l’Europe à tous.

vendredi 8 mai 2009

Responsabilité des magistrats: Dati busirisée une septième fois.

L'académie Busiris récompense pour la septième fois Madame Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, pour les propos suivants, tenus le 5 mai 2009 à l'assemblée nationale:

Si ça relève du privé, évidemment, le garde des Sceaux n'est pas en charge de la vie privée des magistrats

Rachida Dati tâchant difficilement de garder un visage serein après cette septième consécration- Photo ministère de la justice

Indifférence des Mékéskidi qui n'y virent que bon sens. Stupeur des magistrats qui y virent le déguisement de leur régime disciplinaire. Mobilisation immédiate de l'académie, qui, à la majorité absolue, y vit une affirmation juridiquement aberrante, teintée de mauvaise foi, et mue par l'opportunité politique plus que par le respect du droit. Paraissaient réunies les trois conditions d'attribution de la célèbre distinction éolassienne.

L'affaire

Le groupe Casino et une famille Baud, fondatrice des enseignes Leader Price et Franprix, s’étripent judiciairement pour se disputer un milliard d’euros. Deux instructions judiciaires sont en cours au tribunal de Paris. L’une contre Baud sur plainte de Casino. L’autre contre Casino sur plainte de Baud. Les deux juges ont donné commission rogatoire à la brigade financière de Paris. Or, voilà que le bon procureur de Nanterre, qui n’est pas à Paris et qui n’est donc pas en charge des dossiers instruits à Paris, mais qui est donné pour devenir le prochain procureur de Paris, et dont la femme est chargée de mission à la fondation du groupe Casino, ce qui le mettrait en position délicate dans les deux affaire Baud contre Casino et réciproquement, aurait donné chez lui un dîner. Et à ce dîner, il aurait réuni, outre sa conjugale chargée de mission de Casino, le PDG de Casino, l’avocat de Casino et le chef de la brigade financière chargée du dossier Casino. On ne sait trop ce qui s’est dit à table, mais, informés de ces agapes privées entre professionnels, les deux juges d’instruction ont montré leur courroux en retirant promptement leurs enquêtes à la brigade financière.

Le 5 mai 2009, à l’Assemblée nationale, Madame Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la Justice, interpellée par un honorable parlementaire sur l’hospitalité du procureur, et pressée de dire si elle envisageait contre lui quelque sanction, a solennellement clamé cette phrase à graver dans le marbre:

Si ça relève du privé, évidemment, le garde des Sceaux n'est pas en charge de la vie privée des magistrats

L'académie précise n'avoir aucune idée de l'éventuel caractère fautif du procureur hospitalier. Cette question ne ressortit pas à sa compétence.

En revanche, l'académie, gardienne de l'utilisation du droit par les politiques, ne peut laisser dire que la vie privée des magistrats échappe à la responsabilité disciplinaire. L'issue piteuse des poursuites disciplinaires contre le juge Burgaud, l'annonce par le président de la République d'une accentuation de la responsabilité personnelle des magistrats, et l'hostilité vraisemblablement grandissante du peuple envers les juges perçus comme irresponsables, imposent de faire circuler cette information méconnue: Les magistrats sont responsables disciplinairement de leur vie privée.

Première condition d'attribution du prix: l'aberrance juridique.

Tout magistrat, et Madame Dati comme les autres, a embrassé sa glorieuse carrière en jurant, la main droite levée sous les ors de la grande salle d’audience de la cour d’appel de Bordeaux, de bien et fidèlement remplir (ses) fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de (se) conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. En tout. Ces deux mots, apprend-on à l’Ecole Nationale de la Magistrature, rendent les magistrats responsables disciplinairement de leur vie professionnelle, mais aussi de leur vie privée.

De même tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire, ainsi que l'énonce sans ambiguïté l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature. Tout manquement. Y compris dans la vie privée.

La fréquentation de prostituées, la malhonnêteté dans une opération immobilière, l’abandon d’une voiture après avoir causé un grave accident, le retard important à régler une facture, le non respect des obligations fiscales, quelques violences sur une concubine, et bien d’autres agissements privés ont été sanctionné car, bien que privés, ils rejaillissaient sur l'institution et en ternissaient l'honorabilité.

L’autorité disciplinaire qui statue sur ces fautes de la vie privée est le Conseil supérieur de la magistrature. Pour les magistrats du siège (article 50-1 du Statut de la magistrature), le conseil est saisi par la dénonciation des faits motivant les poursuites disciplinaires que lui adresse la garde des sceaux, ministre de la justice Pour les magistrats du parquet (article 63 du Statut de la magistrature), le garde des sceaux, ministre de la justice, saisit le procureur général près la Cour de cassation, président de la formation du Conseil supérieur compétente pour la discipline des magistrats du parquet, des faits motivant une poursuite disciplinaire contre un magistrat du parquet. Dans un cas comme dans l'autre, le garde des sceaux est à la manoeuvre en cas de faute disciplinaire.

Les décisions disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature ont été minutieusement collationnée et offertes à la consultation publique. Les curieux pourront s'en repaître sur le site du conseil. Et, y trouver confirmation que le garde des sceaux est bien ''en charge de la vie privée des magistrats, lorsque celle-ci rejaillit sur l'institution judiciaire.

Deuxième condition d'attribution du prix: la teinture de mauvaise foi.

Rappelons que la garde des sceaux est interrogée sur les suites disciplinaires qu'elle entend réserver à un de ses procureurs qui recevait, certes chez lui, le président d'une société tour à tour plaignante et mise en cause dans plusieurs gros dossiers instruits dans un tribunal voisin, l'avocat de la même société et le chef des policiers financiers chargés de l'enquête par les juges d'instruction. Ajoutons que le dit procureur semble promis au poste de procureur du tribunal où ces dossiers sont instruits, ce qui lui donnerait de l'influence sur leur aboutissement. Et ajoutons encore que la femme de ce procureur serait rémunérée par la société, en qualité de chargée de mission d'une fondation.

Quel sens donner à la démarche de ce procureur ? Sa femme est en relation d'intérêt avec la société, il régale à ses frais le président et l'avocat de la société, il rapproche intimement les deux précédents et le policier chargé des enquêtes. Enfin il court-circuite les deux juges d'instruction, qui légalement sont les seuls à piloter les dossiers (ces deux juges ont vu rouge et, derechef, ont dessaisi le policier repu).

Envisager qu'un tel dîner puisse relever exclusivement de la sphère privée constitue déjà largement la mauvaise foi exigée pour l'attribution du prix. Et l'envisager pour proclamer inexactement que la vie privée des magistrats échappe au domaine du disciplinaire, de la part d'un magistrat, ministre des magistrats et ne pouvant ignorer le statut des magistrats, vient constituer doublement la mauvaise foi requise.

Troisième condition d'attribution du prix: le mobile d'opportunité politique.

La question est ici plus délicate.

La garde des sceaux ne souhaitait-elle pas protéger le magistrat mis en cause par solidarité avec ses hommes. L'académie n'a envisagé cette hypothèse que le temps nécessaire pour l'écarter, la trouvant peu compatible avec la rudesse habituellement endurée par les procureurs, du premier secoué, Philippe Nativel, au dernier évincé, Marc Robert.

Ne restait que l'hypothèse de la servilité politique. A en croire le blog du journaliste Michel Deléan, proche de Nicolas Sarkozy, qui lui a remis les insignes d'officier de l'ordre du Mérite, le 24 avril à l'Elysée (en présence des avocats Paul Lombard, Jean-Michel Darrois et Jean-Yves le Borgne), Philippe Courroye est cité comme probable successeur de Jean-Claude Marin au poste envié de procureur de Paris.

La fidélité de Madame Dati au président de la République est de commune renommée. Elle suffit à faire présumer chez elle le souci d'épargner un proche du président, haut magistrat promis à encore plus d'altitude. La troisième condition est réunie.

Attribution du prix

L’académie Busiris décerne à Madame Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, son septième prix Busiris, lui présente ses très respectueux compliments, et lui confirme que, contrairement à ce qu'elle fait mine de croire, en cas de vie privée fautive d'un magistrat de son ministère, elle est bien en charge du problème. En termes plus clairs, elle s’occupe de ce qu’on lui donne à s’occuper et puis... elle s’occupe de ce qu’on lui donne à s’occuper avec les personnes qui peuvent porter ses affaires à s’occuper .

Sous vos applaudissements.

jeudi 7 mai 2009

Prix Busiris pour madame Christine Albanel

Le Ministre de la culture et de la communication avait avec la loi HADOPI un terreau fertile et pourtant, elle aura attendu avant d'obtenir ce prix bien mérité, grâce à cette loi, ça va de soi.

Christine Albanel, cherchant désespérément du regard le paquet télécom qu'elle venait juste de poser là.

Le propos primé est le suivant, tenu dans un communiqué de presse à la suite de l'adoption cette nuit par une écrasante majorité de l'amendement 168 138 au « paquet telecom » posant le principe que toute suspension d'une connexion à l'internet doit être décidée par un juge :

Christine Albanel prend acte du vote intervenu ce matin au Parlement européen, amendement qui n'a aucun lien direct avec le projet de loi Création et Internet et qui a pour seul effet d'en retarder l'adoption définitive.

L'affirmation est déjà aberrante en soi : comment un acte législatif pourrait-il ne pas avoir de lien direct avec une loi dont il entraîne le report de l'adoption définitive (ce qui accessoirement est faux) ?

Mais elle est aussi juridiquement aberrante, ce qui caractérise le prix Busiris, qui récompense l'invocation à tort et à travers du droit pour justifier une position purement politique.

Voici en quoi.

D'abord, qu'est-ce que le « paquet telecom » ? Du jargon européen dont la suppression définitive devrait être la priorité de l'Union dans les mois à venir. L'UE est assez compliquée comme ça pour éviter d'employer des termes aussi peu clairs hormis pour les initiés. Il s'agit d'une révision simultanée de plusieurs directives visant des domaines différents mais concernés par la réforme projetée, afin de coordonner les modifications à apporter. On parle de “paquet” car les trois révisions sont solidaires : elles forment un tout indivisible. Le paquet telecom regroupe ainsi les directives sur les communications électroniques, les droits des utilisateurs d'internet et la création d'un nouvel Organe des régulateurs européens de télécommunications (ORET) (procédures COD/2007/247, 248 et 249).

Dès lors que l'Europe se penche sur les droits des utilisateurs d'internet, il est déjà osé de dire que ça n'a rien à voir avec la loi HADOPI qui vise à prévoir une sanction administrative des utilisateurs d'internet.

Mais quand en plus un amendement est déposé par un eurodéputé français, Guy Bono, et un autre eurodéputé, certes Allemand, mais du plus français des allemands puiqu'il s'agit de Daniel Cohn Bendit, et qu'il est candidat en France en juin prochain, et déposé spécifiquement pour contrer le projet de loi HADOPI, là, ça devient de l'aveuglement… Bessonnien.

D'ailleurs, le site du Parlement Européen ne s'y trompe pas et commente l'information en expliquant, dans son communiqué, après avoir rappelé que cet amendement avait été adopté par le parlement en première lecture, repoussé à l'unanimité par le Conseil[1] et a à nouveau été adopté par 407 voix pour, 57 voix contre et 171 abstentions (dont beaucoup d'eurodéputés socialistes français, sans doute coincés derrière un rideau…) :

En France, la loi "Création et Internet", actuellement examinée par l'Assemblée nationale, a pour objectif de lutter contre la violation des droits d'auteurs. Elle prévoit notamment pour les personnes qui téléchargent illégalement une "riposte graduée" pouvant aller, en cas de récidive, jusqu'à couper l'accès à Internet. Le droit de suspendre un accès à Internet serait confié à une autorité connue sous le nom d'"Hadopi". Le texte qui suscite de nombreux débats devrait être soumis au vote le 12 mai.

Bref, ça n'a tellement rien à voir que le parlement trouve naturel d'expliquer pourquoi cet amendement a été déposé et adopté : pour contrecarrer l'initiative française HADOPI. Mais sinon ça n'a rien à voir.

Bon, sur ce point, Christine Albanel a une excuse : ce n'était pas elle qui siégeait au Conseil européen du 27 novembre 2008 ayant repoussé une première fois l'amendement HADOPI-killer, mais… Éric Besson. Décidément, dès qu'il s'agit de nier la réalité, il n'est jamais loin, celui-là.

Donc cette adoption a un lien direct avec la loi HADOPI, d'autant plus que l'adoption de cette directive révisée obligerait la France à mettre sa législation en conformité… et donc de supprimer le pouvoir de la Commission de Protection des Droits créée par cette loi de suspendre l'abonnement à internet des contrevenants présumés. Et là, plus rien n'est certain. Si la France a obtenu le rejet à l'unanimité de l'amendement Bono en novembre 2008, ses partenaires vont s'impatienter de voir traîner le paquet (je ne parle pas de Christine Albanel mais bien du paquet telecom), d'autant que le parlement ayant adopté deux fois cete position à une large majorité, il en fait donc une question de principe, et les 26 autres États membres peuvent passer outre l'opposition de la France pour adopter le texte incluant l'amendement Bono, puisqu'il s'agit d'un vote à la majorité qualifiée. Comme le dit Jean Quatremer sur son excellent blog :

les intérêts financiers en jeu dans cette affaire sont énormes, à la fois pour les États et les opérateurs, et dépassent très largement la seule loi Hadopi : nouveau régulateur européen, protection de la vie privée sur le web, ouverture des marchés des réseaux à grande vitesse et des spectres radios, réforme de la directive GSM. Un rejet retarderait l’adoption d’un nouveau paquet de trois à quatre ans… Les partenaires de la France pourraient donc estimer que le jeu n’en vaut pas la chandelle : le pouvoir de Paris est limité, ce paquet pouvant être adopté à la majorité qualifiée.

Et c'est là que nous touchons le second aspect juridiquement aberrant, mais qui relève peut-être d'une maladresse de rédaction.

L'adoption de l'amendement Bono n'a aucune conséquence sur l'adoption par le parlement français de la loi HADOPI mardi prochain, qui ne devrait pas poser de problème vu le nombre des députés UMP qui seront présents, sauf à ce que les députés socialistes maîtrisent d'ici là le Kage Bunshin no Jutsu . Il la condamne à brève échéance, mais le processus législatif n'est pas affecté.

La loi HADOPI sera adoptée, entrera en vigueur, et le restera jusqu'à ce que le paquet Telecom entre à son tour en vigueur et le cas échéant oblige la France à modifier la loi HADOPI en conséquence (c'est à dire en prévoyant l'intervention d'un juge avant la suspension). L'Union Européenne ne peut en aucun cas intervenir sur un processus législatif national en cours. C'est le Conseil constitutionnel qui veille à ce que les lois adoptées ne violent pas le droit européen.

Mais sur ce point, je pense qu'il s'agit d'une maladresse de rédaction. Le ministre voulait sans doute dire que l'amendement Bono adopté retardait l'adoption du paquet telecom, et non de la loi HADOPI : en effet, un vote conforme par le parlement européen aurait adopté le paquet ; au lieu de ça, le paquet doit aller en procédure de conciliation (notre commission mixte paritaire assemblée-Sénat, en quelques sortes), et devrait être examiné par le conseil européen du 17 décembre prochain.

En conclusion, Christine Albanel, lâchée par deux parlements, se réfugie derrière le droit européen qu'elle sait depuis le 29 mai 2005 largement incompris des Français pour nier deux revers politiques, le tout à proximité d'un remaniement ministériel dont elel risque de faire les frais.

Félicitations, madame le ministre, pour ce prix bien mérité, qui couronne presque une année d'efforts.

Notes

[1] Rappelons que le Conseil Européen est avec le parlement européen le second organe législatif de l'Union Européenne ; si le parlement représente les citoyens à due proportion de leur poids démographique, le Conseil représente les États membres sur un pied d'égalité et est constitué des ministres concernés des différents gouvernements. Le Conseil a le dernier mot, mais c'est de moins en moins le cas au fil des traités et le futur traité de Lisbonne renforce encore ses pouvoirs.

Ce billet n'existe pas

Désolé de vous embêter avec un délit qui n'existe pas, mais vu qu'il va être jugé lundi par le tribunal correctionnel de Dijon, je vais vous demander de faire preuve d'un peu d'imagination.

L'histoire débute à l'été 2006. M'Hamed, 23 ans, arrive en France « pour voir de la famille » avec un visa de six mois. Ce visa expiré, il reste dans l'Hexagone clandestinement jusqu'au début de l'été 2008, où il rencontre Jennifer. Très vite, ils projettent de se marier. Sur les conseils d'un avocat, ils vont alors chercher en préfecture « un document qui mette M'Hamed dans la légalité en attendant le mariage », comme le raconte aujourd'hui sa compagne. « Mais nous avons été très mal reçus. Nous avons tout de même monté un dossier de mariage puis passé un entretien à la mairie de Dijon sans subir de remarques particulières ». Mais deux semaines plus tard, et après deux convocations préalables au commissariat de Dijon, M'Hamed est placé en garde à vue, puis envoyé au centre de rétention de Lyon Saint-Exupéry avant d'être expulsé vers le Maroc le 3 avril, à huit jours de la date prévue pour son mariage avec Jennifer en mairie de Dijon. Depuis, pour le couple, c'est l'attente.

Commentaire : un visa de six mois est un visa dit « long séjour ». C'était un bon point dans le dossier de ce monsieur car désormais (depuis la loi du 24 juillet 2006 de maîtrise de l'immigration), la plupart des cartes de séjour temporaire ne peuvent être délivrées que si l'étranger est entré avec un visa long séjour (de plus de trois mois). C'est notamment le cas pour la carte de séjour délivrée au conjoint de Français (article L. 313-11, 4° du CESEDA). Le dossier de ce monsieur se présentait donc fort bien. Il était donc urgent de le reconduire à la frontière, faute de quoi la préfecture n'aurait pas eu d'autre choix que de le régulariser, et ça, c'est mal.

Si les époux sont effectivement allés se présenter à la préfecture AVANT le mariage, je crains qu'ils n'aient été fort mal conseillés. L'époux n'avait à ce moment aucun droit à séjourner en France : ce droit n'allait naître qu'au moment du mariage. Il n'avait aucune protection contre l'expulsion. C'était se jeter dans la gueule du loup, d'autant plus que toute demande de carte de séjour suppose la présentation du passeport, qui facilite considérablement l'expulsion puisqu'il n'y a pas besoin de solliciter un laisser-passer consulaire des autorités marocaines.

L'entretien à la mairie est formalité obligatoire et une nouveauté issue de la loi n°20096-1376 du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages. Il s'impose même au cas de mariage célébré à l'étranger (auquel cas, l'entretien a lieu à la mairie du domicile du conjoint français s'il réside en France, soit auprès du consulat compétent). Vous pensiez être libre de vous marier à qui vous chante ? Vous vous prenez pour qui ? Pour un citoyen libre en République ? Et pourquoi a-t-on encore restreint une de vos libertés ? Je cite l'exposé des motifs du projet de loi :

La lutte contre l'immigration irrégulière et les mariages forcés constitue l'une des priorités (sic) du Gouvernement. Force est de constater que les règles du mariage, conformes à notre idéal républicain, sont trop souvent détournées de leur objet à des fins purement migratoires. De même, il est inacceptable dans notre société que des jeunes filles soient mariées de force aux seules fins de permettre à leur conjoint de bénéficier de l'application de la loi française.

Vous voulez vous marier ? Vous êtes suspect. Qui voudrait se marier avec vous, franchement, s'il n'est pas forcé ou ne vous utilisait pas pour obtenir des papiers, hein ? Franchement, je serais l'actuel président de la République, je me poserais des questions. Et vous vous rendez compte du toupet de ces étrangers ? Ils veulent l'application de la loi française. Ils se croient où ? En France ?

Une question à laquelle ne répond pas l'article du Bien Public, c'est : « Qui a prévenu le parquet ? ». Car les deux convocations au commissariat et le placement en garde à vue révèlent une enquête préliminaire, qui ne peut être ouverte que par le parquet ou avec l'aval du parquet. La garde à vue ne peut elle non plus durer sans l'approbation au moins tacite du parquet. On se situait au pénal. L'ex futur-conjoint a été placé en garde à vue pour séjour irrégulier, garde à vue qui aura pris fin avec classement sans suite (ce qui était prévu dès le début) dès que le préfet a pris son arrêté de reconduite à la frontière avec placement en rétention. Et huit jours avant le mariage, voici notre marocain éloigné. On l'a échappé belle : une de nos concitoyennes allait se marier avec l'homme qu'elle avait choisi, vous vous rendez compte ? D'ailleurs, pour faire bonne mesure, elle sera convoquée lundi prochain pour… aide au séjour irrégulier (en l'espèce pour avoir failli permettre à un étranger d'avoir un droit au séjour). Vous savez, le délit de solidarité qui n'existe pas, qui est un mythe. Détail amusant : s'ils avaient pu se marier, le délit aurait immédiatement pris fin, puisque l'article L. 622-4 du CESEDA exclut la responsabilité pénale de l'époux. C'est donc l'heureuse intervention du parquet qui a prévenu la fin du délit et permis de faire de l'ex-futur épouse une prévenue.

Lex regnat.

PS : Ah, et pour les esprits chagrins qui verraient immanquablement dans ce mariage contre nature un mariage blanc, c'est-à-dire simulé pour l'obtention des papiers : le mariage blanc est un délit spécifique, prévu à l'article L.623-1 du CESEDA. Donc si cette demoiselle malgré elle avait voulu simuler un mariage, elle ne serait pas poursuivi pour aide au séjour mais pour ce délit. Donc l'enquête a établi qu'il ne s'agissait pas d'un mariage blanc. Ce que confirme les démarches qu'elle continue d'effectuer pour avoir le droit de vivre avec l'homme qu'elle aime.

mardi 5 mai 2009

Gardez-moi à vue, j’ai l’intention de faire un malheur !

par Sub lege libertas


J’ai toujours été animé de mauvaises intentions, l’enfer étant pavé des bonnes. J’espérais ainsi gagner mon paradis, mais je ne pensais pas que cela pouvait m’aider à regagner mon domicile, aidé par la police. Maître Eolas nous avait narré comment avec un SMS vous pouviez remporter en baie de Somme un séjour à l’hôtel de police, sans appel à un numéro surtaxé. Mais, à Montpellier, pour peu que vous ayez un curateur, dont la mission est normalement de vous aider dans la gestion de vos biens et ressources, vous toucherez le gros lot sans même recevoir un SMS suspect. Il vous suffit d’avoir de mauvaises intentions et d’en faire part...

Selon une dépêche de l’AFP du 4 mai 2009, la police montpelliéraine avait reçu dimanche soir un appel du curateur d’un homme connu des autorités pour des troubles psychologiques, les informant des intentions de l’homme de faire exploser son appartement. Jusque-là me direz-vous, rien ne doit nous faire tiquer, car si cet homme est un peu toqué, on préfère la police au taquet pour prévenir cette explosion. Alors, braves gens de Montpellier vous pensez que vous avez dormi du sommeil du juste dimanche soir car sans désemparer, vos policiers sont allés quérir le désespéré à son domicile ou s’enquérir au moins de ses intentions réelles. Et bien, la dépêche nous narre que cet appel du dimanche est à l’origine de l’intervention policière ...lundi à l’appartement situé dans une maison de ville dans le quartier Gambetta de Montpellier. La rue a été bouclée par la police, trois camions de pompiers ont pris position à l’extrémité de cette rue et ont déroulé leur lance à incendie, a constaté un correspondant de l’AFP.

Alors là, vous vous réveillez stupéfaits qu’un homme que les autorités croyaient retranché dans son appartement de Montpellier avec des bonbonnes de gaz et des armes ait pu passer une nuit à ruminer ces mauvaises intentions. Mais surtout vous vous interrogez sur un tel déploiement de moyen le lendemain matin, sans même finasser en juriste tatillon sur le cadre de l’intervention. Il est vrai que les bonbonnes de gaz n’explosent pas la nuit, car elles dorment pour relacher la pression de la journée. Heureusement la police a l’oeil matutinal bien ouvert car, nous indique l’AFP, des policiers de la brigade anti-criminalité ont alors reconnu parmi les badauds qui s’étaient massés à proximité des lieux de l’intervention l’individu, ce forcené retranché dans son appartement qui s’octroyait une pause. Ils l’ont arrêté.

Ouf ! dites-vous soufflés par l’absence d’explosion. Mais ce qui est encore plus ouf dans cette intervention planifiée sans précipitation, c’est qu’une brigade de déminage a inspecté l’appartement et n’a trouvé ni arme, ni bonbonnes de gaz, a précisé une source policière contrairement à ce qui avait été dit dans un premier temps, de même source. La dépêche ne précise pas si l’individu arrêté était revenu à meilleure intention ou juste à son domicile.

Bon et alors ? Alors, j’avais appris qu’en droit l’intention seule n’est pas punissable, que la tentative d’une infraction lorsqu’elle punissable supposait un commencement d’exécution interrompue par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. Et là je suis coi.

Ah mékeskidi le proc en latin ? A-t-il oublié que les menaces sont punies et que notre détraqué tout à trac de faire sauter sa maison, il menace bien de le faire, puisque son curateur s’en va prévenir la police.

Et bien non, je reste sceptique. Car, il y a bien les articles 322-12 et 322-13 du Code pénal qui disent que la menace de commettre une destruction dangereuse pour les personnes est punie, mais seulement si (au choix) :

  • elle est réitérée ;
  • elle est matérialisée par un écrit une image ou tout autre objet ;
  • elle faite avec l’ordre de remplir une condition (et là, c’est plus grave en terme de peine).

Mais que nous rapporte l’AFP ? Le curateur informait la police des intentions de l’homme de faire exploser son appartement. Comme la dépêche ne précise pas que le curateur a reçu un courrier ou un dessin, il nous faut donc supposer - et espérer pour la rectitude juridique de l’affaire - que ce majeur protégé aux intentions explosives a bien au moins à deux reprises dit à son curateur qu’il allait le faire. Vous noterez à ce stade de notre babillage que si ce majeur protégé s’était présenté à la réception de l’Hôtel de police en se contentant de dire : Bonjour, je me présente Gérard Menvupludingue domicilié rue Honoré Diunfou et je tenais à vous informer que je vais faire sauter mon appartement, merci de votre attention et bonne soirée. la menace n’est pas constituée, sauf si le planton vous dit : Pardon ? Vous pouvez répéter? et que maladroitement vous lui répondez autre chose que :Désolé, mais je n’y consens pas. Bonsoir.

D'accord et les mékeskidis supposent le curateur informé de façon réitérée de la menace formulée. Et donc il a bien fait d'appeler la police : il est tenu d’appeler la police, n'est-ce pas ?

Certes, le délit de menace est constitué, mais c’est la non-dénonciation de crime que la loi réprime à l’article 434-1 du Code pénal. Et détruire un bien par l’effet d’une substance explosive est un délit (article 322-6 du Code pénal). Mais s’il y a des morts ou des blessés, n’est-ce pas un crime ? Oui, mais la loi vous fait obligation dénoncer un crime commis ou entrain de se commettre (et là, seule la menace plane) pour en prévenir ou limiter les effets ou éviter un autre crime futur (et comme notre fol menaçant n’a pas déjà fait sauter quoique ce fût...).

Allez, cessez vos byzantineries, crient les mékeskidis agacés ! Ne pas appeler la police à ce stade, c’est de l'omission d'empêcher un crime ou un délit (article 223-6 alinéa 1 du Code pénal).

Que nenni, car il faut empêcher le crime ou le délit par son action immédiate, et la jurisprudence est claire sur ce point : l’abstention coupable découle de l’instantanéité de l’obligation d’intervenir. Bref, il faut que le crime se commette non pas qu’il soit simplement projeté. En outre, pour achever d’énerver les mékeskidis, l'omission d'empêcher un délit, suppose une atteinte à l’intégrité corporelle (or là, il est question de l’incendie projeté d’un appartement...). Bah, a minima c'est alors de la non assistance à personne en péril (article 223-6 alinéa 2 du Code pénal), soupirez-vous lassés. Hélas non, je crains car là encore, le péril doit être réel et imminent.

Mais, objectez-vous harassés par mon acharnement à vous dire, à vous comme à Madame la marquise, que tout va bien malgré les mauvaises intentions de notre montpelliérain secoué, il y a bien un article 40 du Code de procédure pénale qui oblige un fonctionnaire à dénoncer le délit dont il a connaissance.

Et alors ? Ce curateur est-il “une autorité constituée, un officier public ou un fonctionnaire qui dans l’exercice de cet fonction, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit” ? Rien est moins sûr : une curatelle est un mandat judiciaire destiné à l’assistance d’une personne privée. Elle peut être confié à un particulier ou à une association habilitée notamment. Je ne vois guère de certitude que notre curateur soit tenu par l’article 40 du Code de procédure pénale dont le non respect pose de toute façon des questions de discipline de la fonction publique, puisqu’il n’est pas sanctionné pénalement en tant que tel. Enfin, la dénonciation de l’article 40 est adressée au procureur de la République et non téléphonée à la police.

Donc, le curateur appelle la police non parce que la loi l’oblige formellement, mais parce qu’il subodore que son administré pourrait être dangereux pour lui même ou pour autrui, compromettre la sûreté des personnes ou porter atteinte, de façon grave, à l'ordre public. Il relèverait le cas échéant, après avis d’un psychiatre, de mesure d’hospitalisation sous contrainte conformément aux articles L3213-1 et L3213-2 du Code de la santé publique. C’est d’ailleurs ce que suggère la dépêche AFP quand elle précise que l’homme est connu des autorités pour des troubles psychologiques. Le fait que la police ne se déplace que le lendemain est étonnant en terme de risque d’atteinte à l’ordre public, puisqu’on craint les éventuels agissements d’un possible malade mental. Alors, le déploiement du lendemain, sous les yeux paisibles du forcéné prétendu et sorti prendre l’air, est au mieux risible. Mais l’interpellation par la B.A.C. achève de gommer le sourire. Ah oui c’est vrai : l’innocence est présumée, mais moins que l’absence de trouble psychique.

- Il n'est pas fou, il est coupable !

- Mais de quoi ?

- Coupable ne pas être fou !

- C'est fou d'être coupable à ce point !

lundi 4 mai 2009

Pour aller en garde à vue, t'as une solution ?

Le Courrier Picard raconte une histoire qui, à en croire ma boîte mail, fait beaucoup réagir.

Une personne qui a reçu d'un collègue un SMS libellé « Pour faire dérailler un train, t'as une solution ? » s'est vue convoquer par la police et a passé une nuit en garde à vue. Je cite l'article :

« Ils voulaient avoir des précisions sur ce SMS. Je m'y suis rendu sans aucune appréhension, je ne voyais vraiment pas où était le mal. » Mais sitôt arrivé au commissariat, le ton change. « J'entends parler d'affaire criminelle, de terrorisme, et d'une garde à vue qui pourrait durer dix jours, raconte Stéphane. On me demande si je suis capable de choses farfelues comme, par exemple, faire dérailler un train. » Le jeune homme tombe des nues. Il donne le nom de son collègue, auteur du fameux SMS. La police perquisitionne chez ce dernier et le ramène au commissariat. « Je me disais, ils vont faire les vérifications et tout sera terminé. En fait, le cauchemar ne faisait que commencer. »

Sur instruction du parquet, S… est placé en garde à vue à 16 heures. « C'était un véritable choc. En deux secondes, j'ai eu l'impression de devenir un vulgaire criminel. Je me retrouve dans une belle cellule jaune qui sent la pisse, j'ai l'impression d'être traité comme un chien. » Au petit matin, les auditions se poursuivent. Les vérifications sont longues et S… ne retrouve la liberté qu'à partir de 16 heures, soit au bout de 24 heures de garde à vue. L'auteur du SMS est également libéré.

Premier rapide commentaire : pas dix jours, six jours, c'est le maximum possible en cas de terrorisme. En l'occurrence, 16 heures auront suffit mais la qualification terroriste aura permis de tenir l'avocat éloigné pendant ce laps de temps, car il n'a pas le droit de pointer son vilain nez avant 48 heures.

L'article est ambigü sur un point : il semble laisser entendre que l'opérateur a dénoncé S… après avoir intercepté ce SMS. Ce n'est pas (encore) juridiquement possible. L'article L. 34-1 des Postes et communication électroniques fixe les informations conservées et tenues à la disposition de la police, et cet article précise bien que ces informations « ne peuvent en aucun cas porter sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées, sous quelque forme que ce soit, dans le cadre de ces communications. » (Il faut chercher un peu, c'est le 2e alinéa du V).

En fait, il semblerait que les faits soient les suivants.

Le portable habituel de S… est tombé en panne. Il l'a donc remis à son opérateur qui lui en a prêté un de remplacement. Au cours des opérations de réparation, le technicien est tombé sur ce SMS, stocké dans la mémoire interne du téléphone. Son sang picard n'a fait qu'un tour : faire dérailler un train, c'est comme arracher une caténaire, si on excepte la fait que ça n'a rien à voir : c'est sûrement un coup de Tarnac.

L'opérateur dénonce donc les faits à la police qui ouvre une enquête en préliminaire, pour non dénonciation de crime (art. 434-1 du Code pénal), s'il vous plaît, avec la procédure d'exception pour le terrorisme, pour faire bonne mesure. On lui reproche d'avoir eu connaissance de la préparation d'un attentat et de ne pas l'avoir lui-même dénoncé aux autorités.

S… a donc été convoqué, principalement… pour lui demander qui lui a envoyé ce SMS, et aller chercher ledit émetteur par la peau des fesses, et lui demander s'il n'aurait pas par hasard des tuyaux sur une insurrection à venir et des comités invisibles.

Âbénonhain, comme on dit dans la baie de Somme, a répondu ce dernier. Après seize heures à l'isolement dans une cellule jaune qui sent la pisse aux normes républicaines, il est remis en liberté. Le procureur de la République d'Abbeville est en charge des excuses (et moi du graissage) :

« La procédure pénale est la même pour tout le monde, que le risque soit probable ou peu probable », rappelle Éric Fouard, mettant en avant le principe de précaution qui prévaut en matière de terrorisme.

« Cette actualité récente [l'affaire Julien Coupat, qui remonte tout de même à sept mois] a certainement joué en sa défaveur, admet le procureur. Je comprends que, de son côté, la garde à vue puisse paraître violente mais, dans ce genre d'affaire, on ne peut prendre aucun risque. »

Je cherche pour ma part désespérément le risque que la police n'a pas voulu prendre en privant de liberté seize heures une personne qui avait reçu un SMS semblant indiquer que son correspondant n'avait pas la moindre idée de comment faire dérailler un train. Et pourtant, en tant qu'avocat, j'ai de l'imagination, forcément…

Moralité de l'histoire ? Il y en a plusieurs.

- Si vous ne faites pas dans le terrorisme, pensez à effacer vos SMS de la mémoire de votre téléphone. Sinon, merci de les laisser pour les services de police.

- Encore une fois, au nom de notre sécurité (le déraillement de train étant avec la grippe porcine mexicaine A la première cause de mortalité des Français, c'est bien connu), la liberté individuelle est balancée à la poubelle sans un seul instant de réflexion sur la nécessité de la mesure. Et avec la bénédiction de l'autorité judiciaire, garante des libertés individuelles selon la Constitution, qui sur ce genre d'affaire n'est vraiment pas à la hauteur de son rôle (un peu comme le procureur de Nîmes qui, tout magistrat qu'il est, a fait appel de la remise en liberté de la famille avec le bébé de quatre mois, la contraignant à passer trois jours de plus en Centre de rétention, pour rien et en violation de la Convention des droits de l'enfant : car ce placement était bien illégal. Principe de précaution, encore. On ne pouvait prendre le risque de laisser ce bébé de quatre mois en liberté).

En effet, sachez-le, seul le procureur de la République (ou le juge d'instruction si c'est sur commission rogatoire, mais le juge d'instruction est plus accessible que le procureur pour l'avocat) a le pouvoir d'ordonner qu'il soit mis fin à une garde à vue ; et la loi ne prévoit aucune possibilité pour l'avocat du gardé à vue de saisir un juge pour lui demander de regarder le dossier et juger de l'absolue nécessité de cette privation de liberté. Le procureur ne peut le faire que de sa propre initiative. D'ailleurs, pour peu que l'affaire porte sur du terrorisme, du trafic de stupéfiant, ou de la délinquance en bande organisée, l'avocat est soigneusement tenu écarté pendant 48 heures.

Quand je dis que la procédure pénale française a des aspects médiévaux, je suis injuste. Avec le Moyen-Âge. L'Habeas Corpus, les Anglais l'ont depuis 1215 (C'est Jean Sans Terre, le vilain Prince Jean de Robin des Bois qui l'a accordé à ses sujets !), les Français quant à eux restent soumis à l'arbitraire de l'État qui peut vous embastiller, pour votre sécurité bien sûr, pendant 48 heures sans que vous ne puissiez rien dire ; et si c'était une erreur, ne comptez même pas sur des excuses. Des anglais et de nous, qui sont les citoyens, qui sont les sujets, à votre avis ?

Ce qui est tout particulièrement rageant, c'est qu'en tant qu'avocat, ma position est que dès que S… a mis un orteil dans le commissariat, il devait être placé en garde à vue car ce placement est créateur de droits (notamment il fait partir le compte à rebours pour la durée maximum). Mais garde à vue n'est pas nécessairement synonyme de placement en cellule, retrait des ceintures, montres, lacets, lunettes, d'humiliation et d'heures d'attentes passées en cellule odoriférante. Sauf dans l'esprit des policiers. La CNDS le rappelle régulièrement[1], d'ailleurs, avec autant d'effet que pisser dans un violon (c'est peut-être pour ça que le violon sent l'urine, au fait ?).

Et pour finir sur une note optimiste, la politique du chiffre mise en place depuis 2002 prévoit parmi les objectifs chiffrés servant à noter les unités et à répartir les budgets le nombre de gardes à vue. Après ça, étonnez-vous qu'elles augmentent de 54% sur la période, et de 73% pour celles de plus de 24 heures. Ça en fait 225000 de plus par an. 616 de plus par jour. Une toutes les deux minutes. Il faut bien les trouver. Fût-ce dans votre boîte de réception des SMS.

Quoi ? J'avais dit que je finirai sur une note optimiste ? Au temps pour moi. Comme la police d'Abbeville, je me suis trompé.

Notes

[1] Voir dans son rapport 2008 tout beau tout chaud les avis 2006-100 ; 2006-108 ; 2007-64 ; 2007-81 ; 2007-107 ; 2007-130 ; 2007-144 ; 2008-1 ; et 2008-52.

Pour ceux de l'AP en grève aujourd'hui

Les personnels de l'Administration pénitentiaire (AP) sont aujourd'hui en grève, du moins symboliquement, la grève étant interdite à ce corps pour des raisons aisément compréhensibles.

Ils ont tout mon soutien (à condition de ne pas faire obstacle aux parloirs avocat, les droits de la défense, c'est sacré).

Je voudrais juste leur signaler ce dessin de Pessin qui comme d'habitude est excellent de drôlerie et de pertinence.

Avis de Berryer : Vincent Lindon

Peuple de Berryer, la Conférence t'invite dans la jungle qu'aucun ministre n'arrivera à fermer : celle des cent papiers où sont jetés à la hâte quelques traits et saillies pour reconduire promptement les candidats aux frontières de l'humilité.

Ce sera le mercredi 13 mai prochain, à 21h15, salle des criées.

L'invité sera M. Vincent Lindon, acteur.

Le rapporteur sera M. Matthieu Brochier, 6ème secrétaire de la conférence, qui souhaitera la welcome à l'invité.

Les sujets (sur lesquels la crédibilité de la Conférence est quasi-nulle) sont:

1- Faut il vraiment partir de cas laids?

2-La confiance règne-t-elle?

Les candidats, et on me dit dans l'oreillette d'insister sur ce point : les candidats seulement peuvent s'inscrire en contactant la quatrième secrétaire, madame Rachel Lindon (Lindon ? Tiens tiens…) à l'adresse suivante : rachellindon[at]hotmail[point]com

Pour les simples spectateurs, nul visa ou passeport n'est exigé pour accéder au territoire, l'entrée est libre, du moins dans la limite des places disponibles : la Conférence ne peut accueillir toute la misère du monde, n'est-ce pas. Les retardataires se verront impitoyablement non admis.

Et surtout, ne croyez pas les ministres qui pourraient vous dire que cette Conférence Berryer est un mythe, et qu'elle n'existe pas.

Informations, discussions, récriminations et trollage sur le blog de la Conférence.

dimanche 3 mai 2009

Un autre point de vue sur la décision du CSM concernant Fabrice Burgaud

Mon excellent (quoique prov… ah, non, il l'a faite avant moi) confrère Gilles Devers publie une longue et très intéressante analyse de la décision du CSM, d'autant plus intéressante qu'elle va dans un sens opposé à la mienne.

Rien de tel, pour se faire une opinion, que de confronter des points de vue : n'hésitez pas à aller lire le sien.

Outreau : Fautes techniques et manquement à l'humanisme

vendredi 1 mai 2009

Sans (guère de) commentaires.

La préfecture de Haute-Saône, n'ayant visiblement rien de mieux à faire, a envoyé quinze gendarmes ce mercredi à Gray, 6200 habitants, chef lieu de canton du département, connu pour son superbe théâtre, à 6 heures du matin, au domicile de monsieur et madame Bakshiyan. Monsieur est azerbaïdjanais, madame est russe. Ils ont deux enfants, dont un bébé de quatre mois. Ces deux personnes troublent en effet gravement l'ordre public, car elles sont en situation irrégulière, leur demande d'asile ayant été rejetée (et en vérité, s'il y avait des problèmes dans le Caucase, ça se saurait). Pas leurs enfants, notez bien puisqu'ils sont mineurs et donc dispensés de titre de séjour (sauf s'ils veulent travailler à partir de seize ans).

Néanmoins, avec cette humanité qui caractérise notre République, tous les quatre se retrouveront ensemble au Centre de Rétention de Nîmes, car on ne sépare pas les familles en France. Bon, des esprits chagrins feront remarquer qu'ils étaient déjà ensemble à leur domicile, mais si on écoute les droits-de-l'hommistes, hein…

Pourquoi Nîmes ? Mais parce qu'il est équipé d'une nurserie. Ladite nurserie étant composée de deux éléments : une table à langer et une chaise haute. Ce qui en fait un des Centres de Rétention les mieux équipés de France.

Le préfet, qui n'a le pouvoir de placer en rétention que 48 heures, a saisi le juge des libertés et de la détention (JLD) de Nîmes afin d'obtenir une prolongation de 15 jours de cette rétention (prolongation renouvelable une fois pour un maximum de trente deux jours). Ce sont les audiences dites “35bis” dont je vous parle régulièrement.

Hier, le JLD de Nîmes a refusé ce maintien en rétention, notamment du fait que ce placement en rétention violerait l'article 3.1 de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant (CIDE), qui stipule que :

Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.

Il est vrai qu'il est permis de s'interroger sur le fait de savoir si, en décidant d'embarquer deux jeunes enfants dont un bébé de 4 mois, à l'aube, fût-ce en compagnie de leurs parents, avec juste le temps de mettre des affaires dans une valise (20kg maximum, il y a un avion à prendre) avant de les transporter en fourgon sur 494 km et de les priver de liberté pour une durée indéterminée pouvant aller jusqu'à un mois, le préfet de haute-Saône a vraiment eu comme considération primordiale l'intérêt supérieur de ces enfants.

Le débat reste ouvert, puisque le procureur de la République de Nîmes a fait appel, estimant je cite que « Il n'y a pas d'incompatibilité particulière avec la convention des droits de l'enfant. »

Je disconviens respectueusement.

Appel jugé lundi à 9 heures, cour d'appel de Nîmes, salle d'audience du Premier président (l'audience est publique). Notons que si la prolongation n'est pas ordonnée, ils seront remis en liberté rue Clément Ader à Nîmes. Ils se débrouilleront pour rentrer à Gray avec leur bébé (et non, aucune indemnisation n'est prévue pour des étrangers placés irrégulièrement en rétention).

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