Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 7 mai 2009

jeudi 7 mai 2009

Prix Busiris pour madame Christine Albanel

Le Ministre de la culture et de la communication avait avec la loi HADOPI un terreau fertile et pourtant, elle aura attendu avant d'obtenir ce prix bien mérité, grâce à cette loi, ça va de soi.

Christine Albanel, cherchant désespérément du regard le paquet télécom qu'elle venait juste de poser là.

Le propos primé est le suivant, tenu dans un communiqué de presse à la suite de l'adoption cette nuit par une écrasante majorité de l'amendement 168 138 au « paquet telecom » posant le principe que toute suspension d'une connexion à l'internet doit être décidée par un juge :

Christine Albanel prend acte du vote intervenu ce matin au Parlement européen, amendement qui n'a aucun lien direct avec le projet de loi Création et Internet et qui a pour seul effet d'en retarder l'adoption définitive.

L'affirmation est déjà aberrante en soi : comment un acte législatif pourrait-il ne pas avoir de lien direct avec une loi dont il entraîne le report de l'adoption définitive (ce qui accessoirement est faux) ?

Mais elle est aussi juridiquement aberrante, ce qui caractérise le prix Busiris, qui récompense l'invocation à tort et à travers du droit pour justifier une position purement politique.

Voici en quoi.

D'abord, qu'est-ce que le « paquet telecom » ? Du jargon européen dont la suppression définitive devrait être la priorité de l'Union dans les mois à venir. L'UE est assez compliquée comme ça pour éviter d'employer des termes aussi peu clairs hormis pour les initiés. Il s'agit d'une révision simultanée de plusieurs directives visant des domaines différents mais concernés par la réforme projetée, afin de coordonner les modifications à apporter. On parle de “paquet” car les trois révisions sont solidaires : elles forment un tout indivisible. Le paquet telecom regroupe ainsi les directives sur les communications électroniques, les droits des utilisateurs d'internet et la création d'un nouvel Organe des régulateurs européens de télécommunications (ORET) (procédures COD/2007/247, 248 et 249).

Dès lors que l'Europe se penche sur les droits des utilisateurs d'internet, il est déjà osé de dire que ça n'a rien à voir avec la loi HADOPI qui vise à prévoir une sanction administrative des utilisateurs d'internet.

Mais quand en plus un amendement est déposé par un eurodéputé français, Guy Bono, et un autre eurodéputé, certes Allemand, mais du plus français des allemands puiqu'il s'agit de Daniel Cohn Bendit, et qu'il est candidat en France en juin prochain, et déposé spécifiquement pour contrer le projet de loi HADOPI, là, ça devient de l'aveuglement… Bessonnien.

D'ailleurs, le site du Parlement Européen ne s'y trompe pas et commente l'information en expliquant, dans son communiqué, après avoir rappelé que cet amendement avait été adopté par le parlement en première lecture, repoussé à l'unanimité par le Conseil[1] et a à nouveau été adopté par 407 voix pour, 57 voix contre et 171 abstentions (dont beaucoup d'eurodéputés socialistes français, sans doute coincés derrière un rideau…) :

En France, la loi "Création et Internet", actuellement examinée par l'Assemblée nationale, a pour objectif de lutter contre la violation des droits d'auteurs. Elle prévoit notamment pour les personnes qui téléchargent illégalement une "riposte graduée" pouvant aller, en cas de récidive, jusqu'à couper l'accès à Internet. Le droit de suspendre un accès à Internet serait confié à une autorité connue sous le nom d'"Hadopi". Le texte qui suscite de nombreux débats devrait être soumis au vote le 12 mai.

Bref, ça n'a tellement rien à voir que le parlement trouve naturel d'expliquer pourquoi cet amendement a été déposé et adopté : pour contrecarrer l'initiative française HADOPI. Mais sinon ça n'a rien à voir.

Bon, sur ce point, Christine Albanel a une excuse : ce n'était pas elle qui siégeait au Conseil européen du 27 novembre 2008 ayant repoussé une première fois l'amendement HADOPI-killer, mais… Éric Besson. Décidément, dès qu'il s'agit de nier la réalité, il n'est jamais loin, celui-là.

Donc cette adoption a un lien direct avec la loi HADOPI, d'autant plus que l'adoption de cette directive révisée obligerait la France à mettre sa législation en conformité… et donc de supprimer le pouvoir de la Commission de Protection des Droits créée par cette loi de suspendre l'abonnement à internet des contrevenants présumés. Et là, plus rien n'est certain. Si la France a obtenu le rejet à l'unanimité de l'amendement Bono en novembre 2008, ses partenaires vont s'impatienter de voir traîner le paquet (je ne parle pas de Christine Albanel mais bien du paquet telecom), d'autant que le parlement ayant adopté deux fois cete position à une large majorité, il en fait donc une question de principe, et les 26 autres États membres peuvent passer outre l'opposition de la France pour adopter le texte incluant l'amendement Bono, puisqu'il s'agit d'un vote à la majorité qualifiée. Comme le dit Jean Quatremer sur son excellent blog :

les intérêts financiers en jeu dans cette affaire sont énormes, à la fois pour les États et les opérateurs, et dépassent très largement la seule loi Hadopi : nouveau régulateur européen, protection de la vie privée sur le web, ouverture des marchés des réseaux à grande vitesse et des spectres radios, réforme de la directive GSM. Un rejet retarderait l’adoption d’un nouveau paquet de trois à quatre ans… Les partenaires de la France pourraient donc estimer que le jeu n’en vaut pas la chandelle : le pouvoir de Paris est limité, ce paquet pouvant être adopté à la majorité qualifiée.

Et c'est là que nous touchons le second aspect juridiquement aberrant, mais qui relève peut-être d'une maladresse de rédaction.

L'adoption de l'amendement Bono n'a aucune conséquence sur l'adoption par le parlement français de la loi HADOPI mardi prochain, qui ne devrait pas poser de problème vu le nombre des députés UMP qui seront présents, sauf à ce que les députés socialistes maîtrisent d'ici là le Kage Bunshin no Jutsu . Il la condamne à brève échéance, mais le processus législatif n'est pas affecté.

La loi HADOPI sera adoptée, entrera en vigueur, et le restera jusqu'à ce que le paquet Telecom entre à son tour en vigueur et le cas échéant oblige la France à modifier la loi HADOPI en conséquence (c'est à dire en prévoyant l'intervention d'un juge avant la suspension). L'Union Européenne ne peut en aucun cas intervenir sur un processus législatif national en cours. C'est le Conseil constitutionnel qui veille à ce que les lois adoptées ne violent pas le droit européen.

Mais sur ce point, je pense qu'il s'agit d'une maladresse de rédaction. Le ministre voulait sans doute dire que l'amendement Bono adopté retardait l'adoption du paquet telecom, et non de la loi HADOPI : en effet, un vote conforme par le parlement européen aurait adopté le paquet ; au lieu de ça, le paquet doit aller en procédure de conciliation (notre commission mixte paritaire assemblée-Sénat, en quelques sortes), et devrait être examiné par le conseil européen du 17 décembre prochain.

En conclusion, Christine Albanel, lâchée par deux parlements, se réfugie derrière le droit européen qu'elle sait depuis le 29 mai 2005 largement incompris des Français pour nier deux revers politiques, le tout à proximité d'un remaniement ministériel dont elel risque de faire les frais.

Félicitations, madame le ministre, pour ce prix bien mérité, qui couronne presque une année d'efforts.

Notes

[1] Rappelons que le Conseil Européen est avec le parlement européen le second organe législatif de l'Union Européenne ; si le parlement représente les citoyens à due proportion de leur poids démographique, le Conseil représente les États membres sur un pied d'égalité et est constitué des ministres concernés des différents gouvernements. Le Conseil a le dernier mot, mais c'est de moins en moins le cas au fil des traités et le futur traité de Lisbonne renforce encore ses pouvoirs.

Ce billet n'existe pas

Désolé de vous embêter avec un délit qui n'existe pas, mais vu qu'il va être jugé lundi par le tribunal correctionnel de Dijon, je vais vous demander de faire preuve d'un peu d'imagination.

L'histoire débute à l'été 2006. M'Hamed, 23 ans, arrive en France « pour voir de la famille » avec un visa de six mois. Ce visa expiré, il reste dans l'Hexagone clandestinement jusqu'au début de l'été 2008, où il rencontre Jennifer. Très vite, ils projettent de se marier. Sur les conseils d'un avocat, ils vont alors chercher en préfecture « un document qui mette M'Hamed dans la légalité en attendant le mariage », comme le raconte aujourd'hui sa compagne. « Mais nous avons été très mal reçus. Nous avons tout de même monté un dossier de mariage puis passé un entretien à la mairie de Dijon sans subir de remarques particulières ». Mais deux semaines plus tard, et après deux convocations préalables au commissariat de Dijon, M'Hamed est placé en garde à vue, puis envoyé au centre de rétention de Lyon Saint-Exupéry avant d'être expulsé vers le Maroc le 3 avril, à huit jours de la date prévue pour son mariage avec Jennifer en mairie de Dijon. Depuis, pour le couple, c'est l'attente.

Commentaire : un visa de six mois est un visa dit « long séjour ». C'était un bon point dans le dossier de ce monsieur car désormais (depuis la loi du 24 juillet 2006 de maîtrise de l'immigration), la plupart des cartes de séjour temporaire ne peuvent être délivrées que si l'étranger est entré avec un visa long séjour (de plus de trois mois). C'est notamment le cas pour la carte de séjour délivrée au conjoint de Français (article L. 313-11, 4° du CESEDA). Le dossier de ce monsieur se présentait donc fort bien. Il était donc urgent de le reconduire à la frontière, faute de quoi la préfecture n'aurait pas eu d'autre choix que de le régulariser, et ça, c'est mal.

Si les époux sont effectivement allés se présenter à la préfecture AVANT le mariage, je crains qu'ils n'aient été fort mal conseillés. L'époux n'avait à ce moment aucun droit à séjourner en France : ce droit n'allait naître qu'au moment du mariage. Il n'avait aucune protection contre l'expulsion. C'était se jeter dans la gueule du loup, d'autant plus que toute demande de carte de séjour suppose la présentation du passeport, qui facilite considérablement l'expulsion puisqu'il n'y a pas besoin de solliciter un laisser-passer consulaire des autorités marocaines.

L'entretien à la mairie est formalité obligatoire et une nouveauté issue de la loi n°20096-1376 du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages. Il s'impose même au cas de mariage célébré à l'étranger (auquel cas, l'entretien a lieu à la mairie du domicile du conjoint français s'il réside en France, soit auprès du consulat compétent). Vous pensiez être libre de vous marier à qui vous chante ? Vous vous prenez pour qui ? Pour un citoyen libre en République ? Et pourquoi a-t-on encore restreint une de vos libertés ? Je cite l'exposé des motifs du projet de loi :

La lutte contre l'immigration irrégulière et les mariages forcés constitue l'une des priorités (sic) du Gouvernement. Force est de constater que les règles du mariage, conformes à notre idéal républicain, sont trop souvent détournées de leur objet à des fins purement migratoires. De même, il est inacceptable dans notre société que des jeunes filles soient mariées de force aux seules fins de permettre à leur conjoint de bénéficier de l'application de la loi française.

Vous voulez vous marier ? Vous êtes suspect. Qui voudrait se marier avec vous, franchement, s'il n'est pas forcé ou ne vous utilisait pas pour obtenir des papiers, hein ? Franchement, je serais l'actuel président de la République, je me poserais des questions. Et vous vous rendez compte du toupet de ces étrangers ? Ils veulent l'application de la loi française. Ils se croient où ? En France ?

Une question à laquelle ne répond pas l'article du Bien Public, c'est : « Qui a prévenu le parquet ? ». Car les deux convocations au commissariat et le placement en garde à vue révèlent une enquête préliminaire, qui ne peut être ouverte que par le parquet ou avec l'aval du parquet. La garde à vue ne peut elle non plus durer sans l'approbation au moins tacite du parquet. On se situait au pénal. L'ex futur-conjoint a été placé en garde à vue pour séjour irrégulier, garde à vue qui aura pris fin avec classement sans suite (ce qui était prévu dès le début) dès que le préfet a pris son arrêté de reconduite à la frontière avec placement en rétention. Et huit jours avant le mariage, voici notre marocain éloigné. On l'a échappé belle : une de nos concitoyennes allait se marier avec l'homme qu'elle avait choisi, vous vous rendez compte ? D'ailleurs, pour faire bonne mesure, elle sera convoquée lundi prochain pour… aide au séjour irrégulier (en l'espèce pour avoir failli permettre à un étranger d'avoir un droit au séjour). Vous savez, le délit de solidarité qui n'existe pas, qui est un mythe. Détail amusant : s'ils avaient pu se marier, le délit aurait immédiatement pris fin, puisque l'article L. 622-4 du CESEDA exclut la responsabilité pénale de l'époux. C'est donc l'heureuse intervention du parquet qui a prévenu la fin du délit et permis de faire de l'ex-futur épouse une prévenue.

Lex regnat.

PS : Ah, et pour les esprits chagrins qui verraient immanquablement dans ce mariage contre nature un mariage blanc, c'est-à-dire simulé pour l'obtention des papiers : le mariage blanc est un délit spécifique, prévu à l'article L.623-1 du CESEDA. Donc si cette demoiselle malgré elle avait voulu simuler un mariage, elle ne serait pas poursuivi pour aide au séjour mais pour ce délit. Donc l'enquête a établi qu'il ne s'agissait pas d'un mariage blanc. Ce que confirme les démarches qu'elle continue d'effectuer pour avoir le droit de vivre avec l'homme qu'elle aime.

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