Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Recherche

Votre recherche de logiciels a donné 34 résultats.

mercredi 30 avril 2014

Journal d'un justiciable en colère

Par Astrée, greffier en chef


Chacun de nous a été, est, ou sera un jour, un justiciable.

Et je ne veux pas dire par là que chaque citoyen est un délinquant qui s’ignore (ou non).

Simplement un usager du service public de la justice. Car loin des clichés télévisuels, la justice, ce n’est pas simplement : “Accusé, levez-vous !”.

Un divorce ? Tribunal de grande instance. Un licenciement ? Conseil de prud’homme. Un PaCS ? Tribunal d’instance. Une facture impayée ? Juridiction de proximité. Un parent souffrant d’Alzheimer ? Juge des tutelles. Un certificat de nationalité ? Tribunal d’instance. Une entreprise en difficulté ? Tribunal de commerce. Une adoption ? Tribunal de grande instance. Des travaux mal faits ? Tribunal d’instance. Un voisin injurieux ? Tribunal de police. Un mineur orphelin ? Juge aux affaires familiales. Un accident de la route ? Tribunal de grande instance. Une erreur sur votre acte de naissance ? Service civil du parquet. Une renonciation à succession ? Tribunal de grande instance…

Nous sommes tous des usagers de ce service public qu’est la justice.

Aujourd’hui, je ne suis pas un greffier en chef en colère. Je n’ai pas de revendication statutaire, ni salariale. Je ne demande pas de revalorisation, ni plus de considération. Je ne me sens ni méprisée par les magistrats, ni conspuée par les greffiers, ni ignorée par les avocats.

Je suis un justiciable en colère.

Parce que je suis greffier en chef, je sais que c’est le justiciable en moi qui doit être en colère. Et je sais, car je connais le sens du service public des mes collègues de toutes catégories, que chacune des revendications portées devant le ministère de la justice aujourd’hui a pour raison d’être l’envie de servir au mieux le justiciable.

Parce que je suis greffier en chef, je sais que chaque réforme, chaque “arbitrage budgétaire”, chaque “modernisation”, chaque “simplification” va nous faire grincer des dents, tempêter et maudire ce législateur inconscient, non pas parce qu’il nous sort de notre zone de confort, ou fait trembler notre routine de fonctionnaire, mais parce qu’il nous empêche de satisfaire au mieux, dans des délais raisonnables, en des termes clairs notre “client” : le justiciable.

Abordons la question de l’informatique judiciaire : Maître Eolas a évoqué les affres de Cassiopée. Ce dernier a une grande famille : Minos[1], Appi[2], Chorus[3], Ipweb[4] et j’en passe. Ils sont codés avec les pieds, certes. Mais comme toute tare familiale, on s’y fait, on développe des stratégies, on apprend à ne pas appuyer sur la zone sensible.

Le cauchemar de l’informatique judiciaire réside ailleurs. Il se drape de modernisation, d’échanges dématérialisés avec les huissiers, les avocats, les gendarmeries, le trésor, et que sais-je encore. Car au delà du fait qu’ils sont pédifacturés, ces applicatifs ont surtout un terrible point commun : ils fonctionnent via intranet. Or, de débit, nous n’avons point. C’est comme essayer de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille.

Le quotidien des greffes au XXIème siècle consiste donc à regarder s’égrener les carrés verts de la barre de chargement. A chaque dossier enregistré, à chaque donnée ajoutée, 10 secondes par ci, 30 secondes par là. Multipliées par 50 dossiers par jour, par 250 jours par an, par 30, 50, 70 fonctionnaires par tribunal, par 500 juridictions… Vous êtes en train de faire le calcul de la lenteur de la justice. Pour moi, fonctionnaire de justice, cela ne change rien. Je ne suis pas payée au nombre de dossiers enregistrés. Pour moi, justiciable, c’est peut-être un mois, deux mois de plus sans récupérer la caution que mon propriétaire refuse de me rendre.

Parlons de la réformite aigüe : maladie dont est manifestement atteint notre législateur et qui consiste à réformer, puis à réformer la réforme, puis à simplifier la réforme de la réforme, puis à moderniser la simplification. Le tout, sans regarder ce qui existe déjà, sans se demander si et comment l’existant est appliqué ou applicable. De préférence en omettant d’abroger les dispositions anciennes et en échelonnant les entrées en vigueur de telle sorte que personne ne sache quel texte est applicable à l’instant T. En pratique, dans les greffes, cela donne quoi ? Exemple : une loi du 26 juillet 2013 réforme la procédure de surendettement. Elle entre en vigueur le 1/01/2014. Le décret d’application (qui explique concrètement comment mettre en œuvre la réforme) est publié le 21/02/2014 (cela fait donc 2 mois que la réforme existe sans être appliquée), les instructions au greffe sont transmises par la chancellerie fin avril. Les logiciels informatiques seront adaptés en juin. Ne fonctionneront pas. Les bugs seront peut-être corrigés en septembre… ou pas.

Et de janvier à septembre, on fait quoi ?

Une bonne âme, généralement le greffier en chef, épluche chaque matin le Journal officiel en ligne, puis tel Sherlock Holmes, remonte la piste du texte modifié. Vous avez déjà vu une loi de simplification ? Cela ressemble à cela :

>“Le code des douanes est ainsi modifié :

1° Au 2 de l’article 103, à l’article 344 et au deuxième alinéa de l’article 468, les mots : « tribunal d’instance » sont remplacés par les mots : « président du tribunal de grande instance » ;
2° A l’article 185, à la fin du 2 de l’article 186, à la seconde phrase du 3 de l’article 188, aux 1 et 3 de l’article 389 et au dernier alinéa du 1 et à la première phrase du 3 de l’article 389 bis, les mots : « juge d’instance » sont remplacés par les mots : « président du tribunal de grande instance »
3°A l’article 361, le mot : « deux » est remplacé par le mot : « trois » ; “

… et cela peut continuer comme cela sur 10, 20 ou 30 pages. A vous de sortir codes et crayons pour trouver ce qui peut bien vous concerner et découvrir que vous venez de vous voir attribuer une compétence nouvelle. A vous de trouver quelle date d’entrée en vigueur s’applique à quel alinéa. À vous d’en rédiger une synthèse que vous diffuserez aux fonctionnaires. A vous de chercher comment mettre en œuvre la loi nouvelle avec le logiciel ancien. À vous d’aller corriger chaque trame de jugement, de convocation, de notification pour l’adapter aux nouveautés, pour corriger les articles cités, les délais, les voies de recours qui ont changé… 15 minutes par trame, multiplié par 15 ou 20 trames, multiplié par 500 juridictions. Pour moi, greffier en chef, c’est une activité comme une autre. Je répare les chasses d’eau, je peux bien bricoler des trames. Pour moi justiciable, c’est deux mois de plus avant que mon divorce soit prononcé.

Les juridictions sont encombrées, ce n’est rien, simplifions. Transférons aux huissiers les appositions de scellés, aux notaires les actes de notoriété, les consentements à adoption, aux préfectures les nationalités par mariage…

Pour moi, greffier en chef, c’est du travail en moins. Les journées sont moins variées, mais je ne m’ennuie pas, j’ai des réformes à mettre en œuvre. Pour moi justiciable, c’est 500 euros de frais de notaire pour un service auparavant rendu gratuitement par le tribunal.

Le système judiciaire est trop complexe, le justiciable n’y comprend rien : simplifions ! Rayons de la carte 250 tribunaux. Une fois qu’il aura compris que le tribunal est trop loin pour que cela vaille le coup d’entamer une procédure, il aura effectivement tout compris.

Terminons par le nerf de la guerre : le budget. Les juridictions sont pauvres. Mes collègues ont donné assez de détails. C’est un fait avéré. On y coupe les post-it en deux, voire en quatre. Considérons que c’est au moins écologique. Chacun a conscience qu’il est nécessaire de faire des économies.

Là où le bât blesse, c’est que moi, greffier en chef, je sais qu’il faudrait plus de moyens, mais je sais aussi pertinemment comment on pourrait faire des économies. Je sais quelles notifications par lettres recommandées, imposées par les textes, sont inutiles (à presque 4,50€ la lettre recommandée, je vous assure que ce n’est pas une paille).

Je sais combien coûte une audience solennelle de rentrée (chaque année, dans chaque juridiction, avec petits fours et invitation du bottin mondain) et combien coûte l’audience d’installation d’un nouveau président, procureur…

J’ignore combien coûtent les nombreuses brochures sur papier glacé qui nous sont envoyées par la chancellerie, mais je sais parfaitement où elles terminent.

J’ignore combien a coûté, en signalétique, panneaux et feuilles à entête la transformation du ”ministère de la justice” en “ministère de la justice et des libertés”, puis le retour au “ministère de la justice”, mais j’ai dans l’idée qu’il y avait là de quoi faire vivre quelques juridictions pendant quelques années.

Et là, ce n’est plus moi, justiciable, mais moi contribuable qui suis en colère.

Alors, si aujourd’hui, moi, greffier en chef, je suis sur les marches du palais de justice, c’est pour que vous, justiciables, bénéficiiez d’un vrai service public de la justice.

Astrée

Notes

[1] Qui gère les décisions rendues par les tribunaux de police et de proximité. Rappelons que Minos a bâti un labyrinthe où il a enfermé un monstre…NdEolas

[2] Application des Peines, Probation et Insertion, qui fait la liaison entre les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation et les juges d’application des peines. NdEolas

[3] Application qui gère les dépenses de l’Etat dans toutes les administrations.NdEolas

[4] Système de traitement des données personnelles dans les tribunaux d’instance et de proximité.NdEolas

mardi 29 avril 2014

J'aime mon métier

Par Bobcat


J’aime mon métier. Il est vrai qu’à la loterie de l’affectation, j’ai été un peu déçue d’échouer à un poste à haute teneur administrative, le secrétariat de la Première Présidence d’une Cour d’appel, ce n’est pas vraiment le poste dont on rêve quand on passe le concours. J’ai néanmoins la chance de travailler au sein d’une équipe sympathique, dynamique et supervisée par une GEC[1] compréhensive et des magistrats agréables, compétents, qui se sont tout de suite attachés mon respect et mon estime. Alors j’aime mon métier.

Depuis le début de la mobilisation, je lis les articles qui parlent de nous et de notre profession, et même si j’avais conscience de faire partie du côté obscur du métier (non seulement, nous portons une robe noire mais en plus nous sommes dans l’ombre. Greffier ninja!), je ne m’attendais pas à lire certains commentaires désobligeants proposant de supprimer notre profession de “gratte-papier” et de nous remplacer par des logiciels de reconnaissance vocale.

La méconnaissance que le grand public peut avoir de notre métier est particulièrement blessante quand on sait que le greffe est en première ligne face au justiciable. Le greffe est le premier contact du public avec la justice et pourtant, rares sont ceux qui savent vraiment ce que fait un greffe. Non, nous ne sommes pas limités à de la prise de note même si c’est souvent l’impression que nous donnons. Non, nous ne faisons pas que des photocopies même si nous passons tellement de temps devant le photocopieur que nous avons tendance à lui parler pour l’encourager à aller plus vite quand nous nous croyons seuls.

Nous sommes fatigués (j’ose m’inclure, vous comprenez, je suis solidaire de mes collègues même si je ne suis pas encore abîmée par le métier). Fatigués d’essuyer les plâtres, fatigués d’avoir l’impression de compter pour des nèfles, fatigués de ne pas être estimés à notre juste valeur alors que tous les jours nous sommes des milliers à nous casser la chute de reins pour que le fauteuil roulant de la Justice roule un peu plus loin malgré tous les bâtons qu’elle se met elle-même dans les roues.

J’ai peu d’espoir que notre mobilisation des ces derniers temps nous obtienne quoique ce soit. Mais si nous ne faisons pas entendre nos voix, personne ne le fera pour nous.

Alors je fais grève aujourd’hui, même si je suis venue travailler parce que les deux tiers des urgences devaient être traitées avant mercredi et même si je repasserai sans doute ce soir, histoire de vérifier que tout est bien carré.

Et je vais aller manifester tout à l’heure en robe parce que j’aime mon métier. J’aime mon métier, je trouve ça immensément gratifiant de faire partie de ce rouage de la démocratie. J’en tire une grande satisfaction et un incommensurable honneur. C’est peut-être un peu ridicule de dire ça, mais j’aime mon pays et ça me fait plaisir de me dire que grâce à moi, à ma maigre participation, ma nation peut exercer son droit régalien de rendre la Justice. C’est aussi très idéaliste, mais que voulez-vous, je suis (encore) jeune et l’idéalisme est ma prérogative.

Bobcat

Note

[1] Greffier en chef. NdEolas

samedi 26 avril 2014

Je ne suis pas une potiche

Par Famalice, greffière à l’application des peines.

Les greffiers, depuis un mois, dans les journaux et ici-même depuis une semaine ont tellement bien parlé de ce métier je ne voudrais pas répéter ce qui a déjà été dit. Je m’arrêterais donc sur des exemples de moments qui, en 20 ans de carrière, m’ont « chiffonnée »…

Arrivée au greffe de l’instruction à 8 heures pour pouvoir travailler tranquillement car, bien évidemment, le greffier d’instruction n’a pas que les interrogatoires et auditions, il y a tout ce qui va avant et après. Mais, le magistrat n’arrivant qu’à 11 heures, il a assez d’énergie pour terminer sa journée plus tard que moi. Ça m’énerve

Faire un transport de nuit, se coucher à 4 heures du matin, et être obligée d’ouvrir à la même heure le greffe le demain matin. ça m’énerve

Etre de grande semaine instruction c’est à dire de permanence donc travailler 2 semaines non stop y compris le week end, cela ne pose de problème à personne, ça m’énerve

Que votre magistrat ne prenne pas de congés et ne veuille aucun autre greffier que vous, qu’il paraisse normal à votre greffier en chef que vous fassiez de même, ça m’énerve

S’exploser le genou sur les marches du palais de Paris, être forcée de continuer à prendre les PV la jambe allongée sur une chaise et aller à l’Hôtel-Dieu tout seule, ça m’énerve

La formule « copie de l’entier dossier » quoi qu’il arrive alors que le dossier est consultable au greffe et que dans certaines procédures les ¾ du dossier n’ont aucun intérêt. Ça m’énerve

Je suis énervée également lorsqu’un avocat qui assistait déjà la personne en première instance n’a pas demandé de copie et le fait devant moi en appel sous prétexte que je ne râlerais pas (paraît que je suis gentille) et bien évidemment 4 jours avant l’audience alors qu’il est avisé de celle ci depuis 2 mois. Ça m’énerve

Pendant l’audience que le Président ne se rende pas compte qu’il y a trop de bruits et que je n’entends rien pour prendre ma note d’audience : ça m’énerve

Que les avocats viennent me poser des questions pendant que je prends mes notes. Ça m’énerve

Que l’audience continue lorsque j’ai besoin de m’absenter pour régler un problème. Ça m’énerve et j’acte dans mes notes.

Qu’on me demande de faire des zoom avec la télécommande de la visioconférence alors que je prends mes notes. Ça m’énerve. J’ai bien essayé d’avoir un œil sur mon stylo et l’autre sur l’écran mais sans succès.

Que la visioconférence ne fonctionne pas ou fonctionne mal et que toute la Cour se retourne vers moi comme si j’en étais responsable : ça m’énerve

Lorsqu’à la fin de l’audience, le président discute avec ses conseillers et le ministère public comme si je n’étais pas là : ça m’énerve.

Lorsque toujours devant moi il demande à ses conseillers et à l’avocat général s’ils veulent manger un petit bout quelques part et pas à moi : ça m’énerve

Entendre un magistrat délégué syndical me demander naïvement : je n’ai pas bien compris ça sert à quoi un greffier : ça m’énerve mais alors beaucoup beaucoup ( non je ne lui ai pas fait manger son code mais ce n’était pas loin)

et le gros gros truc qui m’énerve c’est lorsque des magistrats se demandent pourquoi on manifeste alors que :

Je suis le greffier de la chambre de l’application des peines. La chambre dont tout le monde se fiche. Elle ne concerne que des condamnés, pas de délais à respecter ou si peu donc si je devais me cantonner à mes tâches :

  • j’attends que les dossiers d’appel arrivent

  • j’attends que le président et l’avocat général viennent les voir pour me donner une date d’audience

  • je convoque

  • je vais à l’audience

  • je mets en forme les délibérés

  • je notifie les délibérés

  • je range le reliquat dans les cartons

La réalité : les décisions du juge de l’application des peines sont exécutoires par provision c’est à dire que les personnes libres et condamnés à de l’emprisonnement peuvent aller en détention même si elles ont fait appel. Il s’agit souvent de peines courtes, l’appel devient facilement sans objet. Alors oui ce sont des condamnés mais il y a des textes à respecter. Le législateur a estimé que ces personnes ont droit de faire appel et les textes doivent être respectés, c’est ça être garant de la procédure aussi. Ce que je fais en réalité :

  • dès réception de la déclaration d’appel je me jette sur le logiciel national pour voir la situation de l’intéressé pour savoir si je dois demander le dossier en urgence. Il m’est arrivé d’audiencer un dossier bien avant de recevoir le dossier à l’aide de 3 logiciels nationaux qui me permettent de récupérer pas mal d’informations et de plusieurs appels téléphoniques au greffier du JAP, au greffe des maisons d’arrêts et au conseillers d’insertion et de probation.

  • à l’arrivée des dossiers, je mets de côté les appels irrecevables, sans objet, les désistements, je prépare les réquisitions et une fois celle ci signées l’ordonnance : ça permet de gagner du temps car„,tant que cela n’est pas fait même si ce sont des décisions qui ne paraissent pas importantes, tant que l’irrecevabilité ou le désistement n’est pas constaté, la situation de la personne ne sera pas définitive et il ne pourra bénéficier des réductions de peine, ne pourra pas faire réétudier sa situation avec son nouveau projet. J’ai connu un détenu qui est sorti en « sortie sèche » parce que l’appel ne m’était pas parvenu. Lorsque la détention m’a fait part du problème, avec les réductions de peines auxquelles il aurait eu droit il aurait pu sortir 1 mois plus tôt. Je n’ai pas demandé le dossier mais ai demandé au parquet général de signer un ordre de libération.

  • Je décide de l’urgence des dossiers et les audiences seules. Je ne vois aucun magistrat ni du parquet ni du siège qui vient consulter les nouveaux dossiers.

  • Je vais à l’audience bien évidemment

  • je ne mets pas en forme les décisions sinon je peux vous assurer que la plupart d’entre elles reviendraient pour difficulté d’exécution. Je rédige souvent le rappel des faits et le par ces motifs car sinon les arrêts se termineraient par : confirmation ou infirmation. C’est un peu léger pour faire exécuter un arrêt. Dès que j’ai connaissance de la décision je dois souvent regarder ce qu’il va advenir du condamné. Certains vont sortir rapidement en libération conditionnelle. Je contacte souvent le SPIP pour avertir afin que, sans dévoiler la décision avant la date, ils puissent organiser la sortie au cas où. Il y a aussi les placements sous surveillance électronique. Et non, mesdames et messieurs les magistrats, le bracelet ne pousse pas autour de la cheville dès la date prévue. Il faut contacter la personne chargée de la pose, voir une date de disponibilité car cette personne est souvent seule pour tout un département.

Et alors le pompon : une décision de semi-liberté probatoire à une libération conditionnelle sans durée de semi-liberté et date de fin de libération conditionnelle. Ben oui ça va pousser aussi tout seul sur mon traitement de texte puisque je ne mets qu’en forme les décisions. A la question posée au magistrat : combien de temps la semi-liberté, la réponse n’a été qu’un haussement d’épaule indiquant que ce n’était pas vraiment son problème. Nous avons tout décidé seules avec la conseillère d’insertion et de probation (CIP). Je suis souvent en rapport avec les CIP et heureusement. Si je n’arrive pas à travailler en équipe avec certains magistrats ce n’est pas le cas avec les SPIP (Service Pénitentiaires d’Insertion et de Probation, là où travaillent les CIP) avec qui j’ai démêlé beaucoup de situations.

Bref non je ne suis pas une secrétaire, je suis obligée de prendre beaucoup d’initiatives et de responsabilités (ce que je vis également quand je fais des remplacements au service d’exécution des peines) et j’en suis fière. Mais s’il vous plaît ne demandez plus : à quoi ça sert un greffier parce que…CA M’ENERVE !!!!!

mercredi 23 avril 2014

Mon métier, c'est greffier

Par lapetiterobenoire


Votre billet a pour mérite, outre la compassion et la bienveillance, de rappeler ce qu’est la profession de greffier : son rôle en tant que GARDIEN de la procédure et AUTHENTIFICATEUR des actes judiciaires. Un greffier n’a nullement besoin d’un magistrat pour chaque jour remplir sa mission, mais un magistrat ne peut rien faire sans son greffier !

Et effectivement il n’existe pas de lien de subordination entre l’un et l’autre, les deux bien que fonctionnaires s’apprécient dans deux corps séparés[1] dont les différences salariales ne cessent d’augmenter tant le corps de greffier est oublié.

Mais mon propos ne saurait comparer les uns par rapport aux autres. Comme partout, il s’agit d’une question de compétence. Et je suis en colère car je suis compétente et cette dernière est sans cesse bafouée, salie, oubliée, disgraciée.

J’exerce depuis plus d’une décennie, je suis diplômée d’une maîtrise en droit privée, mon entourage amical est constitué de pléthore d’avocats, de juristes d’entreprises, de quelques notaires, magistrats et professeurs ou maîtres de conférence en faculté de droit, de politiciens et de fonctionnaires d’Etat ou de collectivités territoriales. Et oui, nous sommes pour la plupart issus de même promotions, nous n’avons simplement pas intégrés les mêmes troisièmes cycles ou obtenus les mêmes diplômes ou examens.

Mes fonctions m’ont amenées à exercer en tant que greffier de cabinet (instruction, enfants, affaires familiales), greffier des Prud’hommes, greffier polyvalent au tribunal d’instance (nationalité, PACS, ordonnances pénales …), greffier administratif responsable de la gestion budgétaire. J’ai comptabilisé l’utilisation de seize logiciels pour lesquels le greffier se forme la plupart du temps sur le terrain avec le bon vouloir de ses collègues.

Je fais le choix de changer de service en moyenne tous les trois ans, délai essentiel à ma motivation d’exercer ce métier que j’aime et qui m’épuise. C’est une décision difficile car non sans conséquences.

D’abord le choix des postes est limité car les postes « tranquilles » c’est à dire sans contraintes horaires essentiellement ne sont jamais vacants longtemps. Ensuite, ma notation annuelle évolue moins vite quelque soit mes compétences puisque bien évidemment il est coutume de ne pas gratifier un nouveau arrivé sur un poste qui ne peut que progresser les années suivantes, et les notes maximums sont limitées (il existe un pourcentage définit par l’administration). Enfin, demander si rapidement un changement de service ou une mutation m’ a constamment été souligné par la plupart de mes chefs de services au motif que cela caractérisait une certaine instabilité ! Quel rapport avec la compétence 

Alors OUI je suis en colère et OUI nous sommes en colère. Cela fait plus d’une décennie que les candidats au concours de greffier, rappelons le recrutés à BAC+2, sont surdiplômés. Cela signifie qu’ils ont de plus en plus la compétence de s’adapter rapidement aux réformes et de les appliquer de manière très performante. Cela signifie qu’ils savent dire NON, non au magistrat qui motive sa décision sur des arguments non transcrits sur note d’audience, non au greffiers en chef qui refusent d’être souples sur les horaires, non aux avocats qui demandent des faveurs dépassant les compétences du greffier, non au justiciable qui fait piquet dans un bureau pour obtenir un jugement non rendu.

Tous ces NON, moi greffier je les dit et redit toujours avec le sourire. Tout ceci pour un salaire que je ne trouve pas dérisoire eu égard à la misère humaine mais scandaleux eu égard aux contraintes de ce métier.

Bref, je suis un greffier en colère, mais un greffier qui aime son métier.

Note

[1] Rien de sexuel. NdEolas

mercredi 12 mars 2014

Allô oui j'écoute

La question des écoutes téléphoniques connait un regain d’actualité, entre l’inauguration à grand renfort de comm’ de la nouvelle plate-forme nationale des interceptions judiciaires à Élancourt, et surtout la révélation ce vendredi du fait que l’ancien président de la République a été mis sur écoute et qu’à cette occasion, une conversation avec son avocat a été transcrite et versée au dossier, conversation qui aurait révélé qu’un haut magistrat aurait proposé son entregent pour donner des informations sur un dossier judiciaire en cours.

Levée de bouclier chez les représentants ordinaux des avocats et de certains grands noms du barreau, pétition, et réplique cinglante en face sur le mode du pas d’impunité pour qui que ce soit en République. Et au milieu, des mékéskidis complètement perdus. Tous les augures l’indiquent : un point s’impose. Tentons de le faire, même si je crains in fine de ne poser plus de questions que d’apporter de réponses. Prenons le risque : poser les bonnes questions sans jamais y apporter de réponse est le pilier de la philosophie, empruntons donc la méthode.

Tout d’abord, les écoutes, qu’est-ce donc que cela ?

On parle en droit d’interception de communication, et il faut distinguer deux catégories au régime juridique différent : les écoutes administratives et les écoutes judiciaires.

Un premier ministre à votre écoute

Pour mettre fin à des pratiques détestables d’un ancien président décédé peu après la fin de ses fonctions, les écoutes sont à présent encadrées par la loi, ce qui est bon, car rien n’est pire qu’un pouvoir sans contrôle. Bon, comme vous allez voir, contrôle est un bien grand mot, mais c’est mieux que rien.

Ces écoutes administratives, dites “interception de sécurité”, car c’est pour notre bien, bien sûr, toujours, sont prévues par le Code de la Sécurité Intérieure. Ce sont les écoutes ordonnées par le Gouvernement pour tout ce qui concerne la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France (contre-espionnage économique donc), ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous. Elles sont destinées à rester secrètes, et même si rien n’interdit de les verser dans une procédure judiciaire si une infraction était découverte, à ma connaissance, ce n’est jamais le cas ou alors très peu (je ne l’ai jamais vu dans un de mes dossiers). Ces révélations nuiraient à leur efficacité future dans d’autres dossiers.

Les écoutes peuvent être demandées par trois ministres : celui de la Défense, de l’Intérieur et des Douanes (le ministre du budget donc). Ces ministres peuvent déléguer DEUX personnes de leur ministère pour faire les demandes en leur nom. Elles sont décidées par le Premier ministre, qui peut déléguer DEUX personnes pour signer les accords en son nom. Elles sont limitées en nombre total, mais par une décision du Premier ministre, donc c’est une limite quelque peu contigente et qui ô surprise est en augmentation constante. Ce nombre limité est fait pour inciter les administrations à mettre fin à une écoute dès qu’elle n’est plus nécessaire. Ce nombre maximal est à ce jour de 285 pour la Défense, 1455 pour l’Intérieur, et 100 pour le Budget, soit 1840 au total. En 2012, 6 145 interceptions ont été sollicitées (4 022 nouvelles et 2 123 renouvellements). Source : rapport d’activité de la CNCIS.

Ces demandes doivent être soumises pour avis à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) qui donne un avis non obligatoire, mais la Commission affirme être toujours suivie. Pour traiter ces 6 145 demandes, la Commission est composée de… trois membres, dont deux parlementaires et un président nommé par le Président de la République sur une liste de 4 noms dressée conjointement par le vice-président du Conseil d’État (le Président du Conseil d’État est, rappelons-le, le Premier ministre) et le premier Président de la Cour de cassation. Rassurez-vous, ils sont assistés de… 2 magistrats judiciaires.

On sent le contrôle pointu et approfondi. Pour achever de nous rassurer, le président de la Commission proclame dans son rapport d’activité la relation de confiance qui existe entre sa Commission et les services du Premier ministre (contrôle-t-on bien ceux à qui ont fait pleine confiance ?) et répond à ceux qui se demandent si la Commission est vraiment indépendante en citant… Gilbert Bécaud. Je suis donc parfaitement rasséréné et serein.

Pour la petite histoire, la relation de confiance qui unit la CNCIS au Premier ministre est telle que ce dernier a purement et simplement oublié de l’informer de l’abrogation de la loi régissant son activité et de la codification de ces textes à droit constant dans le Code de la Sécurité intérieure, que la Commission a appris en lisant le JORF. Rasséréné et serein, vous dis-je.

Ces interceptions de sécurité n’ont pas de lien avec l’affaire qui nous occupe, jetons donc un voile pudique là-dessus.

La justice à votre écoute

Voici à présent le domaine des interceptions judiciaires. Elles sont ordonnées par un juge ; historiquement, c’est le domaine du juge d’instruction, mais depuis 10 ans, ces interceptions peuvent être faites sans passer par lui, à l’initiative du procureur de la République, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, sans débat contradictoire bien sûr, par définition, puisqu’on ne va pas inviter la personne allant être écoutée à présenter ses observations, et dans deux cas : la recherche des personnes en fuite (i.e. faisant l’objet d’un mandat d’arrêt ou condamnées définitivement, ce qui inclut les évadés), c’est l’article 74-2 du code de procédure pénale (CPP) et dans les affaires portant sur des délits de la liste de l’article 706-73 du CPP commis en bande organisée (art. 706-95 du CPP). Pour les personnes en fuite, l’écoute est limitée à 6 mois en matière délictuelle (pas de limite en matière criminelle), et pour la délinquance en bande organisée, les écoutes sont limitées à 2 mois.

Les interceptions peuvent sinon être ordonnées par le juge d’instruction, qui n’a pas d’autorisation à demander, puisque lui est juge. Elle est sans limitation de durée (la loi précise qu’elle doit être renouvelée tous les 4 mois, mais c’est de pure forme). La seule condition est que le délit sur lequel le juge enquête soit passible d’au moins deux ans de prison, ce qui, avec la tendance à l’aggravation générale des peines, couvre l’essentiel du champ pénal (une vol de parapluie dans le métro, c’est déjà 5 ans encouru). La décision est écrite mais susceptible d’aucun recours, et de toutes façons n’est notifiée à personne, et n’est versée au dossier qu’une fois les écoutes terminées, avec la transcription des conversations utiles (article 100-5 du CPP).

Concrètement, tous les appels entrants et sortants sont enregistrés (entrant = le numéro surveillé est appelé, sortant = le numéro surveillé appelle), un policier du service en charge de mener les interceptions les écoute et s’il considère que la conversation contient des éléments intéressant l’enquête, il doit la retranscrire mot à mot par écrit sur un procès verbal qui sera versé au dossier. La lecture de ces PV est un grand moment, quand on réalise que pas une phrase n’est achevée, et que la moitié n’a pas de verbe. Les enregistrements (qui sont des fichiers informatiques) sont tous conservés pour la durée de l’enquête et au-delà, jusqu’à la prescription de l’action publique, soit 3 ans pour un délit et 10 ans pour un crime. Les écoutes téléphoniques génèrent un gros volume de déchet, la quasi totalité des communications étant sans intérêt, sauf quand on met sur écoute le téléphone professionnel d’un dealer, où là à peu près 100% des conversations sont payantes, à tel point que les policiers, en accord avec le magistrat mandant, renoncent à transcrire TOUTES les conversations utiles, pour en sélectionner certaines représentatives.

Certaines catégories de personnes sont plus ou moins protégées par la loi. Ainsi, la loi interdit de transcrire une écoute d’un journaliste permettant d’identifier une source. Mais rien n’interdit d’écouter, juste de transcrire. Le policier sera aussitôt frappé d’amnésie, bien sûr. Bref, protection zéro.

S’agissant des avocats, point sur lequel je reviendrai, d’une part, la loi impose, à peine de nullité, d’informer préalablement le bâtonnier de ce placement sur écoute. Curieuse précaution puisqu’il est tenu par le secret professionnel et ne peut le répéter ni exercer de voie de recours. Protection illusoire donc. Enfin, la loi interdit, à peine de nullité, de transcrire une discussion entre l’avocat et un client portant sur l’exercice de la défense. Naturellement, le policier qui aura tout écouté sera frappé par magie d’amnésie. Ah, on me dit que la magie n’existe pas. Mais alors ?…

La Cour de cassation aiguillonnée par la Cour européenne des droits de l’homme (bénie soit-elle) est très vigilante sur ce point, et interdit toute transcription de conversation avec un avocat dès lors qu’il ne ressort pas de cet échange que l’avocat aurait lui-même participé à la commission d’une infraction. Notons que cela suppose qu’un policier écoute l’intégralité de l’échange…

Point amusant quand on entend les politiques vitupérer sur le corporatisme des avocats et balayer les critiques au nom du refus de l’impunité, les parlementaires jouissent aussi d’une protection contre les écoutes (je cherche encore la justification de cette règle, mais le législateur, dans sa sagesse, a décidé de se protéger lui-même, il doit savoir ce qu’il fait) : le président de l’assemblée concernée doit être informé (article 100-7 du CPP). Notons que lui n’est pas tenu au secret professionnel.

De même que les parlementaires ne peuvent être mis en examen ou placés en garde à vue sans que le bureau de l’assemblée concernée ait donné son autorisation. Super pour l’effet de surprise. Les avocats ne jouissent d’aucune protection similaire, mais le législateur doit savoir ce qu’il fait en se protégeant plus lui-même que les avocats, n’est-ce pas ? On a nécessairement le sens des priorités quand on a le sens de la chose publique.

Quant aux ministres, ils échappent purement et simplement aux juges d’instructions, et les plaintes les visant sont instruites par une commission composée majoritairement de parlementaires de leur bord politique. Avec une telle garantie d’impartialité, que peut-on redouter ? On comprend donc que les ministres et parlementaires puissent se permettre de prendre de haut la colère des avocats. Ils sont moralement au-dessus de tout reproche.

Les écoutes une fois transcrites sont versées au dossier de la procédure (concrètement une fois que l’écoute a pris fin) et sont des preuves comme les autres, soumises à la discussion des parties. L’avocat du mis en examen découvre donc le jour de l’interrogatoire de première comparution des cartons de PV de retranscriptions littérales de conversations, et grande est sa joie.

Les écoutes ne peuvent porter que sur l’infraction dont est saisi le juge d’instruction. Si une écoute révèle une autre infraction, le juge doit faire transcrire la conversation, et la transmettre au procureur pour qu’il avise des suites à donner. Il n’a pas le droit d’enquêter de sa propre initiative sur ces faits, à peine de nullité, et ça peut faire mal.

Et dans notre affaire ?

De ce que j’ai cru comprendre à la lecture de la presse, voici ce qui s’est semble-t-il passé (sous toutes réserves, comme disent les avocats de plus de 70 ans à la fin de leurs écritures).

En avril 2013, dans le cadre d’une instruction ouverte pour des faits de corruption dans l’hypothèse où une puissance étrangère, la Libye, aurait financé la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, le téléphone mobile de ce dernier a été placé sur écoute. Très vite, les policiers en charge de la mesure vont soupçonner une fuite sur l’existence de cette écoute. L’ancien président devient peu disert, et à plusieurs reprises, il téléphone brièvement à son avocat, avec qui il convient de se rappeler dans 10 minutes, sauf qu’aucun appel ne suit. Classiquement, cela révèle l’existence d’un TOC (de l’anglais Telephone Out of Control, traduit par Téléphone OCculte, on dit aussi téléphone de guerre). Un classique chez les dealers : on fait ouvrir une ligne sous un faux nom, ou par un complice, et ce téléphone n’est utilisé que pour appeler un autre TOC, appartenant au fournisseur par exemple. Ainsi, ce numéro n’apparait pas dans les fadettes, et est très difficile à identifier par les policiers (ceux qui auront vu l’excellentissime série The Wire sauront de quoi je parle). Par contre, quand il l’est, c’est jackpot.

À Paris, l’identification de ce TOC est impossible. La même borne de téléphonie mobile peut être utilisée par plusieurs milliers de numéros en 10 minutes, impossible de repérer un numéro suspect dans ce flot. Il faut attendre l’erreur de débutant. Et elle a eu lieu.

Les policiers vont intercepter un nouvel appel “on se rappelle dans 10 minutes”. Sauf que cette fois Nicolas Sarkozy n’est pas à Paris, mais au Cap Nègre, hors saison. Autant dire que la borne qu’il utilise n’est pas trop sollicitée. Les policiers vont se faire communiquer le relevé des numéros ayant utilisé cette borne dans les minutes qui ont suivi leur appel suspect, et ils ont dû avoir, sinon un seul numéro, une petite poignée facile à trier. Ils identifient facilement le TOC de l’ancien président, et par ricochet, celui qu’utilise son avocat, seul numéro appelé. Le juge d’instruction a alors placé ce téléphone occulte sur écoute. De ce fait, l’avocat de l’ancien président a été lui même écouté, mais par ricochet, en tant que correspondant.

Et lors d’une de ces conversations, il serait apparu qu’un haut magistrat renseignerait l’ancien président sur un autre dossier pénal le concernant en échange d’un soutien pour un poste agréable, ce qui caractériserait le pacte de corruption et un trafic d’influence. Rien à voir avec le financement de la campagne de 2007 : la conversation est donc transcrite et transmise au parquet, et le tout nouveau procureur national financier a décidé d’ouvrir une nouvelle information, confiée à des juges différents du volet corruption, pour trafic d’influence.

Sauf que tout est sorti dans la presse, sans que l’on sache d’où provient la fuite. Contentons-nous de constater qu’elle est regrettable et soulignons qu’à ce stade, les personnes concernées sont présumées innocentes, et non présumées coupables, comme un ancien président avait malencontreusement dit, mais c’était un lapsus, je suis sur qu’il a compris son erreur depuis.

Juridiquement, ça donne quoi ?

Nicolas Sarkozy est avocat. Quand il a été placé sur écoute sur son téléphone mobile personnel, le bâtonnier de Paris a donc dû être informé. Rien n’impose de détailler les numéros surveillés, seule la mesure doit être indiquée, donc le bâtonnier de Paris n’a surement pas été informé de la découverte d’un téléphone occulte. L’avocat de l’ancien président ayant lui été écouté par ricochet, comme correspondant (unique) du numéro surveillé, il n’a pas été juridiquement placé sur écoute et le bâtonnier n’avait pas à être informé.

Les conversations que Nicolas Sarkozy a eues avec son avocat, qui le défend dans plusieurs dossiers, ont donc toutes été écoutées. Elle n’ont pas été transcrites, mais un policier était au courant dans les moindres détails des stratégies décidées entre l’avocat et son client.

Dès lors que l’information du placement sur écoute a été donnée au bâtonnier, et que n’ont été transcrites que les conversations laissant soupçonner la participation de l’un des intéressés à une infraction, les écoutes sont légales. Nicolas Sarkozy pourra demander à la chambre de l’instruction de Paris d’examiner leur légalité et de les annuler s’il y a lieu, mais seulement s’il est mis en examen (pas s’il est simple ou témoin assisté).

Pourquoi cette colère des avocats ?

Sans partager l’indignation que je trouve excessive dans la forme de notre bâtonnier bien-aimé (il s’agit d’un autre bâtonnier que celui qui a été informé en son temps du placement sur écoute, on en change toutes les années paires) et de plusieurs très illustres confrères, dont je ne signerai pas le texte, les écoutes des appels où un avocat est concerné me gênent, et j’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je ne vois qu’une solution satisfaisante : leur interdiction absolue.

Répondons d’emblée à notre garde des sceaux bien-aimée : je ne revendique aucune impunité pour les avocats. Je laisse l’impunité organisée aux politiques. Au contraire, j’appelle à la sévérité pour ceux de mes confrères qui franchissent la ligne et cessent d’être des avocats pour devenir des complices. Des procureurs avec qui j’ai discuté de la question de l’accès au dossier en garde à vue m’opposent qu’ils connaissent des avocats qui franchiraient volontiers et couramment cette ligne et n’hésiteraient pas à renseigner des tiers sur des gardes à vue en cours, expliquant ainsi leur réticence à nous donner accès au dossier. Admettons donc que la chose existe. Mais puisqu’ils disent cela, c’est qu’ils ont des preuves : qu’ils poursuivent les avocats, au pénal ou au disciplinaire, sachant que s’il soupçonne l’Ordre d’être par trop complaisant, le parquet peut porter les poursuites devant la cour d’appel composée de 5 magistrats du sièges, formation particulièrement sévère pour les avocats fautifs. Refuser ce droit de la défense parce que quelques uns (une minorité, ils en conviennent tous) pourraient mal l’utiliser ne tient pas. On ne va pas supprimer les droits de la défense sous prétexte que parfois, ils sont utilisé à mauvais escient, non ?

Le problème est ici un problème d’équilibre entre des valeurs contradictoires. D’un côté, la protection de la liberté de la défense, de l’autre, la nécessité de poursuivre les infractions. Une immunité pour les avocats serait déséquilibré, j’en conviens, et nul chez les avocats n’a jamais réclamé une telle impunité, Mme Taubira serait bien aimable de cesser de faire comme si tel était le cas. C’est un subterfuge classique de la rhétorique de répondre à un autre argument que celui qui nous est opposé s’il nous met en difficulté, mais je préfère quand Mme Taubira cite René Char plutôt que Schopenhauer.

Mais admettre qu’un policier puisse écouter tout ce qu’un avocat dit à son client, et feindre de croire que, parce que ça n’a pas été transcrit, ça n’a pas eu lieu et que le policier oubliera avant d’avoir pu en parler à qui que ce soit, c’est protéger un droit fondamental par une fiction. C’est laisser perdurer un soupçon, qui est un poison lent mais mortel. Et pour tout dire, il y en a marre de ces dossiers qui partent d’une enquête sur la base d’une information donnée par une source anonyme mais incroyablement bien informée et que la justice valide puisqu’il n’est pas interdit de se baser sur une source anonyme (c’était même très à la mode il y a quelques décennies). Personne n’est dupe. Ce n’est pas satisfaisant. Et sacrément hypocrite, puisque le système revient à prétendre qu’il est justifié puisque seules les preuves de la culpabilité d’un avocat ont vocation à être transcrite, en oubliant la méthode pour les obtenir. La fin justifie les moyens, disait-on déjà pour justifier la Question.

Le secret est la pierre angulaire du droit à une défense. Sans secret, il n’y a plus de défense. Et rappelons encore une fois car on ne le dit jamais assez : le secret n’est pas fait pour cacher des choses honteuses. Pas plus que vous n’avez mis des serrures à vos portes, des rideaux à vos fenêtres et des murs autour pour commettre chez vous des crimes en toute impunité, le secret de la défense n’est pas fait pour dissimuler la culpabilité. Il est la pierre sur laquelle se bâtit la relation entre un avocat et son client. La certitude que tout ce que vous lui direz ne sera JAMAIS retenu contre vous, et qu’il ne révélera que ce qui est strictement nécessaire à votre défense. Nous sommes les confidents de nos clients, les derniers à qui vous pouvez tout dire quand vous êtes dans des ennuis sans nom et que votre vie vient de voler en éclat avec votre porte à six heures du matin. Celui qui ne vous trahira jamais, quoi que vous ayez fait. C’est ce qui s’appelle du joli nom de colloque singulier. Toute oreille qui se glisse dans ce colloque, même avec la meilleure intention du monde, réduit la défense à néant.

La solution que je propose modestement a l’avantage de la simplicité et d’être faisable à moindre coût. Elle est protectrice de la défense sans faire obstacle à ce que les brebis galeuses soient poursuivies.

Les écoutes sur des conversations avec un avocat doivent être purement et simplement interdites. Pas leur transcription, leur écoute. Pour cela, il suffit que chaque avocat déclare à son Ordre le numéro fixe de son cabinet et son numéro de mobile professionnel, liste tenue à jour à l’initiative des avocats, qui s’ils ne le font pas s’exposent à être écoutés légalement, tant pis pour eux. Ces numéros forment une liste rouge communiquée à la plate forme nationale des interceptions judiciaires. Dès lors qu’un de ces numéros est appelé ou appelant sur une écoute en place, le logiciel d’écoute n’enregistre pas, point.

C’est juste un mode de preuve précis qui est interdit, pas les poursuites, qui pour le reste obéissent au droit commun (les perquisitions dans les cabinets d’avocat aussi devraient être interdites d’ailleurs pour les mêmes raisons : un juge lit nos dossiers, nos correspondances avec nos clients parfois incarcérés, nos notes personnelles ; et qu’on ne vienne pas nous faire la morale quand par exemple un juge d’instruction qui aime beaucoup donner des leçons de rectitude, pour ne pas dire de rigidité morale s’est permis de prendre connaissance au cours d’une perquisition pour tout autre chose du dossier de poursuites pour diffamation le visant avant de le reposer en disant “voyez, maitre, je ne le saisis pas, de quoi vous plaignez-vous ?”). Après tout, les lettres que nous adressons à nos clients incarcérés font l’objet d’une protection absolue, de même que nos entrevues au parloir ou l’entretien de 30 minutes que nous avons en garde à vue. On peut également recevoir nos clients dans nos cabinets en toute confidentialité. Donc si on a des messages illicites à leur faire passer, on peut le faire. Inutile de porter gravement atteinte au secret professionnel, qui de fait n’existe plus du tout quand un avocat est placé sur écoute puisqu’il est amené à discuter avec tous ses clients de tous ses dossiers au téléphone. Le fait que le divorce de Mme Michu et le bornage du Père Fourrasse n’intéresse pas l’OPJ qui écoute ces conversations ne retire rien au fait que le mal est fait, le secret n’existe plus. C’est l’honneur d’une démocratie que d’arrêter son propre pouvoir par la loi, et de dire “je m’interdis de faire cela, car le bien que la collectivité pourrait en tirer est minime et l’atteinte au bien individuel énorme”. Seuls les régimes despotiques font toujours prévaloir la collectivité sur l’individu sans considération de la proportionnalité, d’où les allusions maladroites à de tels régimes dans le dies iræ de mon Ordre. On admet ainsi que nos domiciles soient inviolables entre 21 heures et 6 heures. Neuf heures par jour d’impunité pour tous ! Comment la République a-t-elle survécu ?

Mais me direz-vous, avec cette protection, des avocats malhonnêtes pourraient échapper aux poursuites faute d’être jamais découverts. Oui, c’est le prix à payer. Mais depuis 24 ans que la loi sur les écoutes judiciaires est en vigueur, combien d’avocats délinquants ont été découverts fortuitement par une écoute et condamnés ? Quel est ce nombre exact ? Multiplions le par 4, et nous aurons le nombre de délits peut-être impunis sur un siècle (peut-être impunis car ces avocats peuvent tomber autrement, bien des avocats sont pénalement condamnés et radiés sans jamais avoir été mis sur écoute), comme prix à payer pour une protection de la défense digne d’un grand pays des droits de l’homme. Et si ça valait le coût, plutôt que faire prévaloir le soupçon et la répression ?

En attendant qu’Utopia devienne notre nouvelle capitale, mes chers confrères, c’est à vous que je m’adresse. Nous devons faire contre mauvaise fortune bon cœur et tirer les leçons de l’état actuel du droit, qui ne protège pas notre ministère. La protection de notre secret nous incombe au premier chef. Le téléphone doit servir exclusivement à des banalités. Donner une date d’audience, fixer un rendez-vous. Jamais de secret, jamais de stratégie de défense au téléphone. Vous avez des choses importantes à dire à votre client ? Qu’il vienne vous voir à votre cabinet (exceptionnellement déplacez-vous, mais jamais chez lui, vous n’êtes pas à l’abri d’une sonorisation). Je sais que beaucoup de confrères sont devenus accros du mobile, même les plus technophobes d’entre nous. Un téléphone mobile, qui utilise la voie hertzienne, n’est pas confidentiel, c’est même un mouchard qui donne votre position tant qu’il est allumé (ou en veille pour un smartphone). Et j’en aurai de même à dire sur l’informatique. Il est plus que temps que nous utilisions TOUS des solutions de chiffrement de mails et de pièces jointes comme OpenPGP (c’est efficace et gratuit), des logiciels comme TruCrypt, gratuit aussi, pour chiffrer nos fichiers (avec des sauvegardes idoines bien sûr). Ce sont des logiciels libres, que vous paierez par des dons du montant que vous souhaiterez au rythme que vous souhaiterez (on n’a pas beaucoup de charges variables comme ça, n’est-ce pas ?) et si vous êtes un peu féru d’informatique, vous pourrez utiliser un réseau privé virtuel (VPN) avec des navigateurs anonymisés qui vous rendront totalement intraçables en ligne. Nous ne pouvons pas avoir des comportements de dilettantes ou d’amateurs qui finissent par donner à nos clients un faux sentiment de sécurité, car nous les trahissons en faisant ainsi.

Pour ma part, je suis passé au tout numérique et au tout chiffré. Qu’un juge ou un cambrioleur vide mon bureau, je serai opérationnel à 100% dans les 5 minutes, je peux accéder à tous mes programmes et archives depuis n’importe quel PC, et mes visiteurs impromptus n’auront accès à aucun de mes dossiers (et en toute amitié, le premier peut toujours courir pour avoir mes clefs).

C’est peut-être ça la solution : rendre une loi protégeant la confidentialité de nos appels et de nos cabinets inutile.

jeudi 13 octobre 2011

In Memoriam Dennis MacAlistair Ritchie

La semaine dernière, le monde, dont votre serviteur, a pleuré la mort de Steve Jobs. Tout a été dit sur cet homme, et même votre serviteur s’est fendu d’un petit mot là-dessus, en d’autres lieux puisque la nouvelle ne me paraissait pas avoir sa place ici, pour expliquer en quoi il était légitime que sa disparition puisse causer du chagrin à ceux qui ne l’avaient pas connu personnellement.

Mais le week-end dernier, une autre figure de l’informatique est morte, dans une indifférence médiatique qui confine à l’injustice, d’où le lien avec mon blog.

Modestement, moi qui n’utilise qu’un seul langage, le français (ce qui de nos jours n’est  cependant pas sans quelque mérite), et qui ne puis me targuer que d’être un amateur béotien en matière d’informatique, je voudrais lui consacrer, à lui l’inventeur de langages, un billet d’hommage, même si je ne doute pas que les informaticiens, qui sont nombreux à me faire l’honneur de me lire, expliqueront mieux que moi qui il était dans les commentaires.

Dennis_MacAlistair_Ritchie_.jpgDennis MacAlistair Ritchie (9 septembre 1941 - 8 octobre 2011)

Dennis MacAlistair Ritchie fut un pionnier de l’informatique, et principalement le co-créateur d’UNIX, un système d’exploitation créé en 1969 et qui a posé la fondation de systèmes d’exploitations comme GNU/Linux ou Mac OS X, le système d’exploitation des ordinateurs d’Apple (et indirectement donc des iPhones et iPad), et le créateur du langage de programmation C, dont la dernière version l’héritier (C++) est parmi les plus utilisés aujourd’hui (le Livre Blanc de Ritchie sur le C est le petit livre rouge de la révolution informatique que nous vivons, je ne plaisante que sur la forme).

Je sais que beaucoup diront “gné ?” en lisant cela. Disons que s’il n’a pas inventé la poésie, il a inventé l’alphabet et contribué à inventer la grammaire.

L’informatique telle qu’elle est aujourd’hui doit énormément à Ritchie. Et les logiciels qui font tourner ce blog, tout comme ceux qui font tourner le serveur qui l’héberge et vous permet de le lire, n’existeraient pas sans lui. Je lui suis redevable du succès de ce blog, et de son existence même.

Je ne prétendrai pas pouvoir expliquer son apport, et je ne vais pas recopier ici les pages Wikipédia qui lui sont consacrées. D’autres le feront mieux que moi en commentaires. Mais son œuvre, dont je ne perçois qu’une ombre, suffisante toutefois à me donner le vertige, mérite d’être saluée. Il entre au Panthéon ingrat des scientifiques qui ont changé le monde sans que le monde s’en rende vraiment compte. Puisse ce billet réparer un tout petit peu cette injustice.

Que la terre lui soit légère.

mardi 28 décembre 2010

Avis 2007-1 du 26 juin 2007 du Conseil Superieur de la Propriete Litteraire et Artistique relatif a la mise a disposition ouverte des œuvres de l'esprit.

I. Analyse

1. Les licences permettant une mise à disposition ouverte ne répondent pas à un standard unique, puisqu'elles résultent des figures contractuelles choisies par les parties. Une tentative d'identification peut toutefois être entreprise à l'aide de plusieurs critères et des usages. Selon la terminologie retenue par la commission spécialisée du Conseil supérieur, alors qu'une licence " libre " permet l'exercice de quatre libertés: utilisation/usage, copie, modification et diffusion des modifications, une licence " ouverte " désigne celle qui permet l'exercice d'une au moins de ces libertés. Le présent avis porte sur ces licences ouvertes.

2. Elles ne sont toutefois qu'un des aspects du phénomène de mise à disposition ouverte des œuvres de l'esprit, qui revêt des formes extrêmement variées. Elles constituent l'un des outils, de nature contractuelle, permettant l'ouverture et le partage d'œuvres dans le respect du consentement de l'auteur.

3. Bien que l'objectif essentiel poursuivi soit, en première approche, d'assurer la diffusion de l'œuvre au plus grand nombre, les motivations des partisans des licences ouvertes se révèlent à l'examen très diverses, à la fois techniques, idéologiques, artistiques et économiques.

4. Un certain flou terminologique se fait jour, notamment à raison de l'origine étrangère de nombreuses licences. Plusieurs confusions sont à éviter. Ainsi, le terme libre ne s'apparente pas à celui de " gratuit " (free en anglais dans les deux cas) et bien que les formes de mise à disposition ouverte soient souvent réalisées à titre gratuit, elles n'impliquent pas la gratuité systématique. Par ailleurs, les œuvres " libres " ne sont pas des œuvres libres de droit: leur usage est défini par les conditions que la licence prévoit.

5. Il est possible de repérer plusieurs modèles de licences ouvertes parmi les plus utilisés, pour le logiciel ou pour les autres œuvres. Il s'agit notamment des licences de la FSF (Free software fondation), des licences Creative Commons, les plus répandues dans le monde, ou d'Art libre, en France. Leurs philosophies sont proches, mais leurs fonctionnements diffèrent. Les licences Creative Commons se singularisent notamment par la possibilité de choisir entre plusieurs options.

6. Ces licences connaissent un succès croissant et le nombre d'œuvres mises à disposition par ce biais augmente de manière exponentielle. Toutefois, les logiques économiques varient en fonction des secteurs concernés. En matière de logiciels libres, le marché le plus ancien, l'économie est essentiellement fondée sur les services associés. Dans le domaine de l'éducation ou de la recherche, le financement est essentiellement public, par des voies directes ou indirectes. Dans les secteurs culturels, il existe à côté de modèles coopératifs, innovants et non exclusifs, des modèles commerciaux plus classiques répandus dans l'économie numérique.

7. Au-delà de pratiques diverses, plusieurs caractéristiques récurrentes des situations où le recours à des licences ouvertes paraît pertinent sont identifiables: l'existence d'une communauté soudée ou d'une marque reconnue; un travail collaboratif et évolutif; la construction d'une notoriété individuelle ou collective. La mise en place de ces licences contribue notamment à l'émergence d'œuvres multi-auteurs, décentralisées et évolutives.

8. Des questions de qualification des licences ouvertes au regard du droit civil se posent. Plus encore, des difficultés apparaissent en termes de durée des engagements, de possibilités de résiliation, d'opposabilité aux acteurs de la chaîne des modifications intervenant sur les conditions de la mise à disposition, ainsi que de validité des clauses limitatives de responsabilité.

9. La compatibilité des licences ouvertes avec les règles actuelles du droit fiscal, tant pour les personnes morales que physiques, n'est pas évidente car l'administration s'attache à la finalité lucrative de l'activité de création, qui est absente pour ces licences.

10.Les licences ouvertes ne s'inscrivent pas en rupture théorique avec le droit d'auteur. Elles n'ont pas d'ailleurs donné lieu à contentieux probant sur ce point. La logique du consentement de l'auteur y est respectée, l'auteur étant au centre du dispositif. Toutefois, des difficultés de mise en œuvre existent, singulièrement au regard du respect du droit moral. S'il n'existe pas de problème fondamental pour certaines composantes du droit moral – droit de divulgation, de paternité – l'exercice du droit de retrait et de repentir et du droit au respect de l'intégrité de l'œuvre est susceptible de poser des difficultés au regard de la conception traditionnelle du droit d'auteur qui s'appuie davantage sur une vision statique de l'œuvre que sur son potentiel d'évolution.

11.L'articulation des licences ouvertes avec la gestion collective est, en l'état des pratiques, problématique. Si la volonté de complémentarité est forte de la part des utilisateurs de licences ouvertes qui souhaiteraient une conjugaison de ces licences avec l'adhésion à une SPRD, celles-ci considèrent que les systèmes de mise à disposition ouverte ne sont pas compatibles avec leurs règles actuelles de fonctionnement, notamment en raison du fait que les apports se font par " répertoire " et non œuvre par œuvre. Pour autant, les différentes sociétés ont adopté des attitudes différenciées à l'égard des licences ouvertes, certaines ayant décidé d'autoriser leurs membres à mettre à disposition de manière ouverte les œuvres du répertoire dans des conditions limitées.

12.Le Conseil supérieur a encore recensé plusieurs difficultés liées essentiellement à la mise en œuvre des licences. La complexité de la chaîne contractuelle et l'absence d'interopérabilité entre les licences ouvertes sont les premières. Les questions de la loi applicable et du caractère éclairé du consentement sont aussi particulièrement importantes. Une autre difficulté vient de la détermination délicate de la ligne de partage entre usages commerciaux et non commerciaux, notions imprécises sur lesquelles il n'existe pas de consensus.

13.Le Conseil supérieur a déploré certaines insuffisances dans l'établissement et la traçabilité de la preuve, ainsi que la faible effectivité de la sanction, faute de mécanismes d'aide et de contrôle.

II. Recommandations

1. Assurer le consentement éclairé des auteurs et améliorer l'information des utilisateurs des licences ouvertes

Il semble utile de favoriser, en premier lieu, l'amélioration de tout dispositif d'information utile au consentement éclairé des auteurs, afin que ceux qui choisissent de mettre à disposition leurs œuvres sous licence ouverte connaissent mieux la portée de leur décision.

En second lieu, le Conseil supérieur estime indispensable de perfectionner l'information sur les droits des tiers, notamment à travers une meilleure pédagogie du droit existant et, dans cette perspective, de faciliter la découverte de l'information légale concernant les œuvres. Il convient de soutenir toute initiative en ce sens venant des différents acteurs de la création, voire d'organiser les conditions de la réalisation de ces objectifs.

Toute amélioration des procédures de gestion numérique des droits et des dispositifs relatifs à l'information sur le régime des droits, particulièrement utiles dans le cadre des licences ouvertes, doit être encouragée.

Une telle réflexion devrait être menée au plan européen ou international pour appréhender pleinement ce phénomène.

2. Améliorer la compatibilité entre licences ouvertes

Au regard de la multiplicité des licences ouvertes et de leurs modes de fonctionnement différenciés, il apparaît souhaitable de favoriser toute initiative visant à améliorer la compatibilité entre les différents systèmes contractuels, notamment au travers d'une meilleure identification de ces derniers. Un travail consistant à inventorier l'existant contribuerait à fournir une documentation importante sur les pratiques. En favorisant une plus grande transparence sur le contenu des licences, une réelle concurrence pourrait ainsi s'opérer au profit de l'ensemble des agents économiques. Il convient de tendre vers une rationalisation des processus d'élaboration et de gestion des licences — une sorte d'ingénierie des licences — en faisant émerger des outils juridiques et techniques idoines et pérennes.

3. Assurer la coordination des initiatives publiques relatives à la diffusion d'œuvres sous licences ouvertes

Le Conseil supérieur a constaté la dispersion des différentes initiatives publiques en matière de diffusion des connaissances, plusieurs modèles de licences étant développés séparément sans que soit discutée la possibilité de rassembler ces projets sous l'égide d'un mécanisme unique ou, le cas échéant, d'assurer en amont la compatibilité de ces différentes licences entre elles.

L'amélioration des procédures d'information inter-services et l'émergence d'une politique publique de la diffusion ouverte des savoirs semblent donc devoir être entreprises. En raison de son expertise dans le champ du droit d'auteur et de la communication, le ministère de la culture pourrait être pilote, dans le cadre d'une action interministérielle chargée de coordonner des initiatives et de rendre compatibles les pratiques. Il pourrait, par exemple, proposer des modèles types de licences ainsi que des chartes d'utilisation et/ou entreprendre des rapprochements entre licences existantes dans le respect du droit applicable. L'harmonisation de ces mécanismes contribuerait à améliorer la visibilité des publications et créations dans un contexte international.

Par ailleurs, l'articulation entre la liberté de mettre en œuvre des licences ouvertes et le statut d'agent public doit être clarifiée.

4. Prolonger la réflexion sur le rôle du droit moral

Les travaux du Conseil supérieur ont montré que le droit moral était susceptible de fournir une protection juridique aux auteurs mettant à disposition ouverte leurs œuvres, en marge même de toute licence. Le droit français, au contraire du copyright qui ignore ce système, offre avec le droit moral une base légale fondant nombre des actes souhaités par les auteurs et protégeant ces derniers contre tout détournement de leur volonté. En effet, le droit de divulgation autorise l'auteur à choisir les modes de communication de l'œuvre au public. Les tiers doivent donc respecter ce choix unilatéral, sans même le détour de la force obligatoire du contrat. Pareillement, le droit à la paternité est garanti directement par la loi et ne résulte pas d'un consentement des tiers. Le droit au respect et à l'intégrité de l'œuvre permet à l'auteur qui aurait mis unilatéralement son œuvre à disposition de s'assurer que les restrictions qu'il a formulées quant aux modifications seront respectées, le cas échéant par la voie judiciaire.

Au demeurant, le caractère d'ordre public du droit moral, sa perpétuité et son inaliénabilité constituent autant de garanties que la volonté de l'auteur sera respectée malgré le transfert ou l'expiration des droits patrimoniaux. Il n'existe donc pas en principe de risque que la mise à disposition ouverte soit réalisée par un cessionnaire sans l'aval de l'auteur.

En dépit de ces éléments, le Conseil supérieur a également pu mettre en lumière des points de friction entre les pratiques de licences ouvertes et certaines prérogatives du droit moral telles que le droit au retrait et au repentir et le droit au respect et à l'intégrité de l'œuvre, s'agissant notamment de l'effectivité de leur mise en œuvre. Si ces points de friction ne conduisent pas nécessairement à l'incompatibilité des licences ouvertes avec le droit moral, l'application de certaines d'entre elles, qui offrent une possibilité de modifier et de rediffuser les modifications, peut par exemple se heurter à une interprétation stricte du droit au respect et à l'intégrité de l'œuvre. Il convient donc de poursuivre la réflexion sur ce point, notamment en s'inspirant des règles dégagées dans le domaine audiovisuel.

jeudi 1 juillet 2010

Le mépris

“Et ma Justice, tu l’aimes ?”

Lire la suite...

mercredi 4 mars 2009

HADOPI, mon amie, qui es-tu ?

Alors, cette fameuse loi «HADOPI», qu'est-ce qu'elle raconte au juste ?

Chipotons un brin

Pour le moment, rien, car ce n'est qu'un projet de loi, adopté par le Sénat mais pas encore examiné par l'Assemblée. L'exposé que je vais vous faire concerne donc le projet tel qu'adopté par le Sénat. Il va très probablement être modifié par les députés, mais c'est le seul document de travail dont je dispose, par la force des choses.

Et de fait, je ne m'attarderai qu'au seul article 2, qui contient l'essentiel du projet de loi, le reste des dispositions de la loi étant à ce jour essentiellement de la rénumérotation de textes et des transferts de compétence pour tenir compte de la création de la fameuse HADŒPI.

Pour cet exposé, j'appellerai le projet de loi HADOPI, pour éviter d'utiliser le nom officiel un peu long (Projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet), et utiliserai la graphie HADŒPI quand je parlerai de la future Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet.

Soulevons le capot

Comme je l'avais dit lors de la promulgation de la loi DADVSI :

Que serait une nouveauté législative sans une nouvelle autorité administrative indépendante qui lui est consacrée, et qui permet ainsi au ministre concerné de se défausser de ses responsabilités ? Réponse : ce que vous voulez sauf une réforme française.

La loi HADOPI sera une réforme française, puisqu'elle crée une nouvelle Autorité Administrative Indépendante, la HADŒPI.

Son organisation est un pur copier/coller de l'organisation habituelle de ces Autorités Indépendantes : un collège de neuf membres, nommés pour six ans non renouvelables et non révocables ; un Conseiller d'État, un Conseiller à la cour de cassation, un conseiller à la cour des comptes, le président de l'HADOPI, élu par les Neufs, devant être un de ces trois là, un membre désigné par le président de l'Académie des Technologies, un membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique désigné par son président et quatre personnalités qualifiées, désignées sur proposition conjointe des ministres chargés des communications électroniques, de la consommation et de la culture.

Son rôle serait défini à un futur article L.331-13 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) et se divise en trois missions :

« 1° Une mission d’encouragement au développement de l’offre commerciale légale et d’observation de l’utilisation illicite ou licite des œuvres et des objets auxquels est attaché un droit d’auteur ou un droit voisin sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne ;

« 2° Une mission de protection de ces œuvres et objets à l’égard des atteintes à ces droits commises sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne ;

« 3° Une mission de régulation et de veille dans le domaine des mesures techniques de protection et d’identification des œuvres et des objets protégés par le droit d’auteur ou par les droits voisins.

Et concrètement, ça marche comment ?

« Au titre de ces missions, la Haute Autorité peut recommander toute modification législative ou réglementaire. Elle est consultée par le Gouvernement sur tout projet de loi ou de décret intéressant la protection des droits de propriété littéraire et artistique. Elle peut également être consultée par le Gouvernement ou par les commissions parlementaires sur toute question relative à ses domaines de compétence.

« Elle contribue, à la demande du Premier ministre, à la préparation et à la définition de la position française dans les négociations internationales dans le domaine de la protection des droits de propriété littéraire et artistique sur les réseaux numériques. Elle peut participer, à la demande du Premier ministre, à la représentation française dans les organisations internationales et européennes compétentes en ce domaine.

Voilà, c'est tout.

Je vous sens surpris. La HADŒPI ne devait-elle pas vous priver d'internet ?

Non. Tout le monde se focalise sur la HADŒPI alors que c'est une autre formation, la Commission de Protection des Droits (CPD), qui porte fort mal son nom, qui maniera la pince coupe-cable éthernet. Certes, la CPD est rattachée administrativement à la HADŒPI, pour le budget et les locaux, mais les fonctions de membre de la HADŒPI et de la CPD sont incompatibles (futur art. L.331-16 du CPI) : c'est bien une formation distincte.

La vraie méchante : la Commission de Protection des Droits

La CPD est composée d'un Conseiller d'État, un conseiller à la cour de cassation et un conseiller à la cour des comptes, désignés par le président de ces juridictions, sauf pour le Conseil d'État où c'est le vice-président[1]. Trois magistrats, donc, un administratif pur, un judiciaire et un administratif spécialisé. Rien à redire sur la composition, les magistrats à la cour des comptes sont très compétents sur toutes les questions économiques. Elle dispose d'agents publics assermentés qui travaillent sous son autorité.

Question garantie d'indépendance, outre l'irrévocabilité et la non-reconductibilité, les membres du Collège comme de la CPD ne peuvent avoir exercé, au cours des trois dernières années, les fonctions de dirigeant, de salarié ou de conseiller d’une société de perception et répartition des droits (SACEM, SPEDIDAM…) ou d'une société commerciale ayant un intérêt dans l'exploitation d'œuvres de l'esprit (production, édition de livres, films, musique, etc).

Donc, la CPD, puisque c'est elle la méchante, comment marche-t-elle au juste ?

Trouvez moi un responsable pas coupable !

Le législateur a été rusé. La difficulté est, comme l'ont relevé beaucoup d'internautes, que l'on ne peut pas savoir qui effectue des opérations de téléchargement ou de visionnage portant atteinte aux droits d'auteur. On a au mieux une adresse IP, qui n'indique que le fournisseur d'accès à internet (FAI). Le FAI sait à quel abonné était attribué cette adresse IP tel jour à tel heure. Mais cela ne révèle que le titulaire de l'abonnement. Le contrefacteur peut être son fils (mineur), son voisin qui profite d'un réseau wifi non protégé, un ami de passage… Et si l'adresse IP correspond à une entreprise, une université et un cybercafé, vous comprenez le casse-tête.

Or le législateur n'aime pas se casser la tête.

On ne peut pas savoir qui a téléchargé, seulement le titulaire de l'abonnement ? Alors, ce sera lui le responsable, en vertu de la jurisprudence Loup v. Agneau : « si ce n'est toi c'est donc ton frère ».

La loi va insérer dans le Code de la propriété intellectuelle un nouvel article L. 336-3 ainsi rédigé :

La personne titulaire de l’accès à des services de communication au public en ligne a l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise.

Or le simple constat qu'une atteinte à une œuvre protégée a eu lieu depuis son abonnement démontre que cette obligation n'a pas été respectée, ce qui constitue la faute. CQFD.

Peu importe que le titulaire de l'abonnement ne soit pas le contrefacteur. On ne l'accuse pas de contrefaçon. Il est juste fautif de non surveillance de son accès internet. Présomption d'innocence, prohibition de la responsabilité pénale du fait d'autrui, dites-vous ? Mais les seules sanctions (que j'examinerai plus loin avec la procédure) seront purement civiles, les règles (protectrices) du droit pénal ne s'appliquent pas.

Je peste souvent contre le législateur, mais je dois rendre hommage à son génie dès lors qu'il s'agit de porter atteinte aux libertés de ceux qui l'ont élu.

Comment échappe-t-on à sa responsabilité ?

La loi vise trois cas.

1° Si le titulaire de l’accès a mis en œuvre l’un des moyens de sécurisation agréés par l'HADŒPI selon une procédure à fixer par décret ;

2° En cas d'utilisation frauduleuse de l’accès au service de communication au public en ligne (bonne chance pour le prouver), à moins que cette personne ne soit placée sous l’autorité ou la surveillance du titulaire de l’accès ;

3° En cas de force majeure, ce qui est une mention superfétatoire, puisque la force majeure exonère de toute responsabilité. la force majeure s'entend d'une force extérieure à la personne dont on recherche la responsabilité éventuelle, irrésistible et imprévisible. J'avoue avoir du mal à imaginer dans quelle cas on télécharge illégalement un film par force majeure.

Moteur !

► Premier temps : la saisine.

La CPD est saisie de faits de contrefaçons, qui lui sont dénoncés par les agents assermentés désignés par les organismes de défense professionnelle régulièrement constitués ; les sociétés de perception et de répartition des droits ; le Centre national de la cinématographie, ou le parquet.

La loi institue toutefois une prescription de 6 mois, au bout desquels la CPD ne peut plus être saisie (art. L. 331-22 futur).

► Deuxième temps : You've got mail.

La CPD saisie de tels faits peut envoyer à l'abonné concerné un courriel via son FAI « une recommandation lui rappelant les prescriptions de l’article L. 336-3, lui enjoignant de respecter cette obligation et l’avertissant des sanctions encourues en cas de renouvellement du manquement. La recommandation doit également contenir des informations portant sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites pour la création artistique ».

De ce genre peut-être ?

Oui, c'est une parodie, tirée du désopilant feuilleton anglais The IT Crowd, sur Channel Four. Et oui, c'est la télévision publique britannique qui a fait ça.

Pourquoi cet e-mail doit-il être envoyé par l'intermédiaire du FAI ? Entre autre parce que, d'après le ministre de la culture entendue par la Commission des lois, l'objectif est d'envoyer 10.000 courriels par jour. Plus qu'il n'en faut pour que la CDP soit fichée partout dans le monde comme spammeur, et que ses messages soient interceptés par des logiciels anti-spam.

Détail amusant (si on a comme moi un sens de l'humour pervers) : cette recommandation par voie électronique ne divulgue pas les contenus des éléments téléchargés ou mis à disposition. Ce qui donne à peu près ça :

— (voix d'outre-tombe) : JE SUIS LA HADŒPI ET JE SAIS CE QUE TU AS FAIT ! Enfin, toi ou quelqu'un d'autre, ça je sais pas. Mais ce que quelqu'un a fait, je le sais.
— Et c'est quoi ?
— TU LE SAIS.
— Heu, non, d'où ma question.
— JE NE TE LE DIRAI PAS MAIS SACHE QUE JE SAIS CE QUE QUELQU'UN A FAIT. NE REFAIS PAS CE QUE TU NE SAIS PAS QUE QUELQU'UN A FAIT, SINON JE FERAI EN SORTE QUE CE SOIT BIEN FAIT POUR TOI.

Je sens qu'on va bien rigoler avec cette loi.

► Troisième temps : Bis repetita…

Une personne ayant déjà été rendue destinataire d'un courriel (la loi ne pose aucune obligation de s'assurer que le courriel a effectivement été reçu, et puis quoi encore ?) et dont l'adresse IP se retrouve dans les six mois à se ballader dans des Criques aux Pirates, dont manquant une nouvelle fois à son obligation de veiller à sa TrucBox comme à la prunelle de ses yeux, recevra un deuxième courrier électronique.

En effet, le premier ayant été inefficace, on va utiliser à nouveau la même méthode inefficace pour voir si cette fois, par hasard, elle ne serait pas devenue efficace. C'est directement inspiré de la technique utilisée pour réduire le chômage en France ces trente dernières années.

Je suis mauvaise langue, car la loi prévoit que ce deuxième courriel peut (peut, pas doit, les critères de ce choix étant laissés à la discrétion de la CPD) être doublé d'une lettre remise contre signature ou tout autre moyen permettant de prouver la réception effective de la lettre (recommandé AR). Cette lettre physique est importante car seule elle permettra d'enclencher la procédure de sanction. Conclusion d'avocat : surtout, n'acceptez pas de signer le récépissé (rien ne vous y oblige dans la loi), et si vous recevez une lettre recommandée de la CPD, ne l'acceptez pas. Vous serez à l'abri des sanctions de la CPD.

► Quatrième temps : Fear the ripper

Si dans l'année suivant la réception de la lettre physique, l'abonné a méconnu son obligation de veiller à ce que sa connexion soit utilisée à des fins portant atteinte à des œuvres protégées, la commission peut lancer un procédure contradictoire (c'est-à-dire que l'abonné est mis en mesure de présenter ses observations, fichus droits de l'homme qui passent avant les droits des victimes) pouvant aboutir à une de ces trois sanctions :

1° La suspension de l’accès au service pour une durée de d’un mois à un an assortie de l’impossibilité, pour l’abonné, de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur l’accès à un service de communication au public en ligne auprès de tout opérateur (NB : le paiement de l'abonnement n'est quant à lui pas suspendu, futur article L.331-28 du CPI) ;

2° En fonction de l’état de l’art, la limitation des services ou de l’accès à ces services, à condition que soit garantie la protection des œuvres et objets auxquels est attaché un droit d’auteur ou un droit voisin (sans qu'une limitation de durée soit prévue, grosse inconstitutionnalité à mon avis ;la formulation, issue d'un amendement du Sénat, révèle que les sénateurs ne savent pas si c'est possible, mais souhaitent que ce soit juridiquement faisable si c'est techniquement possible) ;

3° Une injonction de prendre des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement constaté et à en rendre compte à la HADŒPI, le cas échéant sous astreinte, cette injonction pouvant faire l'objet d'une publication dans la presse aux frais du condamné.

► On peut négocier ?

La CPD peut proposer à l'abonné une transaction, c'est à dire un accord portant sur une suspension de l'abonnement pour trois mois maxi, une limitation du service (toujours sans limitation de durée), ou une obligation de prendre des mesures pour prévenir le renouvellement du manquement, dont il sera rendu compte à l'HADŒPI. Une telle transaction, qui suppose l'accord de l'abonné, exclut tout recours judiciaire, à mon sens, même si la loi est muette là dessus : c'est une solution classique.

► Objection votre honneur !

Un recours peut être exercé contre ces décisions devant les juridictions judiciaires. Lesquelles, selon quelles modalités ? Ce sera fixé par décret. La loi ne précise pas si le recours sera suspensif de la décision, mais en principe ça devrait être le cas.

Je suis pas content mais je n'ai plus de peinture noire : que faire ?

Repérez les députés intéressés par ce projet de loi, et qui y sont hostiles ou à tout le moins critique. Le rapport de la commission des lois est riche en information là dessus.

Patrick Bloche, Martine Billard et Didier Mathus sont trois députés très hostiles au projet. De l'opposition, me direz-vous. Mais l'opposition, sur la loi DADVSI, avait réussi à infliger un camouflet au ministre de la culture de l'époque dont la carrière politique ne s'est jamais remise.

La lecture des amendements est aussi une source d'informations précieuses.

Côté majorité, Lionel Tardy, Marc Le Fur et Alain Suguenot ont cosigné 24 amendements montrant un désaccord avec le projet actuel : ils proposent notamment de substituer une amende à la suspension de l'abonnement, d'imposer l'intervention du juge pour l'accès aux données personnelles, et d'imposer à la CPD d'engager des sanctions pour tous les cas dont elle sera saisie (soit 10.000 par jour selon les projections de la ministre !) ce qui est logique mais impossible à mettre en œuvre : ça s'appelle mettre le gouvernement face à ses contradictions.

J'aurais des propositions intelligentes d'amendements à faire que je me tournerai vers ces personnes-là.

Notes

[1] C'est en effet le premier ministre qui est président du Conseil d'État, titre purement honorifique ; c'est le vice-président qui est le vrai chef.

vendredi 20 février 2009

Les droits d'auteur pour les nuls

J'avoue être surpris du retentissement qu'ont eu mes deux billets répondant à la tribune de Luc Besson et à l'interview de Frédéric Lefèbvre (j'ai eu plus de visites dans la journée de mardi que lors de la journée du 23 octobre 2008 où j'avais publié 63 billets de magistrats). Cela révèle un véritable intérêt pour le droit de la propriété littéraire et artistique, discipline non pas complexe, mais contre-intuitive, à cause du parallèle fait avec le droit de propriété tout court, source de confusion chez les artistes eux-même (sur ce point, la tribune de Luc Besson était un exemple parfait).

Alors je vous propose une explication, que j'espère simple, sur la propriété littéraire et artistique (PLA), aussi appelée propriété intellectuelle. Retenez d'ores et déjà une chose : ces expressions sont indivisibles. Les épithètes “ littéraire et artistique ” ou “ intellectuelle ” changent le sens du mot propriété. Ce qui exclut que l'atteinte à la propriété littéraire et artistique soit un vol.

La propriété littéraire et artistique est d'apparition relativement récente. Le droit romain, ancêtre de notre droit, ignorait le droit d'auteur ; mais pas les poètes. Martial (40-104 ap. JC) qualifiait dans ses épigrammes ceux qui usurpaient ses poèmes de voleurs (furs) voire de plagiarus, c'est-à-dire voleurs d'enfants et d'esclaves, ce qui donnera le mot plagiat.

L'Ancien droit ne le connaissait pas non plus. L'œuvre se confondait avec son support : l'auteur d'une pièce vendait le manuscrit à un éditeur qui pouvait l'exploiter lui même sans avoir à reverser un sol à l'auteur. Le roi pouvait néanmoins accorder par lettre patente un privilège à un auteur sur le monopole d'exploitation de ses propres œuvres (!) ; mais c'était selon “son bon plaisir”. Ronsard se verra accorder un tel privilège (mais à charge pour lui de les faire imprimer effectivement), Molière aussi, mais Corneille se le verra refuser en 1643. C'est de ce privilège royal, qui existait à l'identique chez ces copieurs d'anglais, que vient le terme de royalty pour désigner la rémunération due à l'auteur.

La propriété littéraire et artistique est donc véritablement un apport de la Révolution, sous l'impulsion de Voltaire et de Beaumarchais. L'idée étant que pour favoriser le foisonnement intellectuel, il faut que les auteurs puissent vivre de leurs œuvres.

Notez bien ceci pour le moment : le droit d'auteur est né pour protéger les auteurs des éditeurs. Ça aura son importance.

Aujourd'hui, la propriété littéraire et artistique, c'est quoi ?

C'est un monopole d'exploitation que la loi accorde à l'auteur de l'œuvre, de plein droit. Il n'est soumis à aucune formalité préalable (comme une déclaration de l'œuvre par exemple) : il suffit de prouver qu'on est l'auteur, cette preuve étant libre.

Mais qu'est-ce qu'une œuvre de l'esprit ?

Question importante puisque c'est l'élément déclencheur de la protection légale. Et dans sa grande sagesse, le législateur s'est abstenu de la définir (c'était une autre époque…). Une définition est proposée par Bernard Edelman dans le Que Sais-Je ? consacré à la question (PUF, juin 2008) : “ une création caractérisée par un travail intellectuel libre et s'incarnant dans une forme originale ”. En peu de mots, tout y est. La création (un plagiat n'est pas une œuvre de l'esprit), la liberté de l'auteur (écrire un texte sous la dictée n'est pas une œuvre de l'esprit), et surtout l'originalité. Notez bien qu'un critère est volontairement laissé de côté : le mérite de l'œuvre. C'est tout à fait intentionnel. L'auteur mérite la protection de son œuvre quelle que soit l'opinion qu'on puisse avoir de celle-ci. Les débats esthétiques n'ont pas leur place dans un prétoire, et rappelons qu'en leur temps, les impressionnistes ont fait scandale et Van Gogh était boudé.

L'article 112-2 du Code de la propriété intellectuelle, qui régit la question, donne une liste non exhaustive d'œuvres de l'esprit. Vous noterez que les logiciels y figurent. Les billets de ce blog sont ainsi des œuvres de l'esprit, de même que le sont mes dessins.

Une simple idée n'est pas une œuvre de l'esprit et n'est pas protégée en soi. C'est le processus qui va partir de cette idée pour lui donner corps, pour lui permettre de s'incarner en une œuvre cohérente qui fait naître cette protection. Si l'un d'entre vous avait l'idée de faire lui aussi un billet sur la propriété littéraire et artistique, il ne commettrait ni plagiat ni contrefaçon de ce billet, même si l'idée lui venait à la lecture de ce billet.

Quels sont les droits de l'auteur ?

Son monopole d'exploitation se traduit par deux types de droit : les droits patrimoniaux et le droit moral.

Le droit moral

Le droit moral est le droit de faire respecter son œuvre. Il est inaliénable, c'est-à-dire qu'il reste perpétuellement dans le patrimoine de l'auteur et passe à ses héritiers. Il ne peut être cédé et survit aux droits patrimoniaux, qui s'éteignent quand l'œuvre tombe dans le domaine public.

C'est au nom de ce droit moral que les héritiers de Victor Hugo se sont opposés à la parution de deux romans de François Céséra, Cosette ou le temps des illusions et Marius ou le fugitif qui se veulent la suite des Misérables de Victor Hugo. Si les héritiers avaient dans un premier temps obtenu gain de cause, la cour de cassation a rappelé à l'ordre la cour d'appel de Paris en lui rappelant qu'écrire une suite relève du droit d'adaptation, que l'œuvre étant tombée dans le domaine public, le seul fait qu'elle soit achevée ne saurait interdire d'écrire une suite, sous peine de juger une œuvre sur son mérite, ce qui est mal, et que la cour n'a pas caractérisé en quoi concrètement ces œuvres porteraient atteinte au droit moral de l'auteur (Civ 1e, 30 janvier 2007, Bull. civ., I, N° 47, p. 41, pourvoi n° 04-15.543). La cour d'appel de Paris a finalement jugé le 19 décembre 2008 qu'il n'y avait pas une telle atteinte. Il en serait allé différemment si par exemple Cosette et Marius devenaient dans l'œuvre partisans de la censure de la presse, de l'esclavage et de la peine de mort, causes contre lesquelles Victor Hugo s'est battu toute sa vie. Mais notez bien qu'à aucun moment on n'a contesté à Pierre Hugo, arrière-arrière-petit-fils de l'écrivain, le droit d'agir pour faire respecter ce doit moral.

Les droits patrimoniaux

C'est là que se situe le nerf de la guerre. Une œuvre peut être exploitée de deux façons : par la reproduction et par la représentation. La reproduction consiste en la réalisation d'une copie fidèle : impression d'un texte (ou sa photocopie), photographie d'un dessin, moulage d'une sculpture. Peu importe que le format initial de l'œuvre ne soit pas respecté : une carte postale du Guernica de Picasso en est une reproduction, même si l'original est un peu plus grand qu'une carte postale. La représentation est la communication de l'œuvre par un procédé quelconque. C'est la projection d'un film, la représentation d'une pièce de théatre, l'exposition d'un tableau.

Notons que toutes les œuvres ne peuvent faire l'objet d'une reproduction et d'une représentation. Une performance d'artiste est par nature insusceptible de reproduction (à la rigueur, ce serait une nouvelle création). Un logiciel ne peut faire l'objet d'une représentation : ça n'a pas de sens. Peu importe que l'un ou l'autre soit matériellement impossible, ça ne retire pas à l'œuvre sa qualité.

Ces droits peuvent être cédés, contre rémunération (on parle de redevance, même si le terme anglais de royalty est plus connu). On appelle les cessionnaires des droits d'auteurs, qui ne sont pas les auteurs, les ayant-droits : ceux sont eux qui ont les droits de l'auteur. La loi encadre ces contrats pour protéger les auteurs, en interdisant la cession d'œuvres futures, en imposant un contrat écrit et une rémunération proportionnelle aux gains générés par l'œuvre. La loi prévoit aussi des exceptions, mais rigoureusement encadrées. La sanction est la nullité du contrat, comme l'ont découvert à leurs dépens les éditions Dargaud quand elles ont vu annulée la cession des droits sur Astérix faute d'avoir respecté le droit à rémunération proportionnelle de leur auteur sur les publications étrangères.

Une exception notable à la prohibition de la cession des œuvres futures est l'adhésion à une société de gestion collective des droits des auteurs (le terme exact étant société de perception et de répartition des droits, SPRD) du type de la Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique (SACEM).

Rappelons l'histoire de la SACEM : en mars 1847, des compositeurs de musique eurent la surprise de voir que leurs œuvres étaient interprétées publiquement dans un café sans qu'on les rémunère pour cela (alors que le café était comble du fait du succès du spectacle). Après avoir refusé de payer leurs consommations du fait qu'on ne ne leur payait pas leurs œuvres (ils obtinrent gain de cause) ils fondèrent la première société de perception des droits, la SACEM : chaque sociétaire apporte en nature ses droits patrimoniaux à la société, qui s'occupe de percevoir les redevances et les reverse aux sociétaires selon des modes de calcul source d'infinies fâcheries entre sociétaires. Cela libère les artistes de cette tâche de gestion et permet à la SACEM d'avoir des moyens pour aller débusquer les fraudeurs les plus pervers se cachant dans les endroits les plus sournois.

Deuxième point à noter : si le droit d'auteur est apparu contre les éditeurs, il s'est développé par la suite contre les interprètes.

L'exploitation d'une œuvre consiste donc à donner contre paiement une autorisation de reproduction ou de représentation. Cette autorisation,appelée licence, est plus ou moins limitée, ce qui en module le prix.

Ainsi, quand vous achetez un DVD dans le commerce, vous rémunérez l'auteur de l'œuvre en contrepartie du droit à UNE copie de l'œuvre et d'un droit de représentation un nombre de fois illimité hormis par la durée de vie du support mais dans un cadre restreint, le cercle de famille. Cela ne vous donne pas le droit d'organiser une projection publique de ce DVD, même sans perception de droit d'entrée. Vous ne me croyez pas ? Lisez le texte qui s'affiche sur votre écran au début et que vous tentez en vain de zapper avec votre télécommande. C'est écrit en toutes lettres.

Quand un film est diffusé à la télévision, la licence couvre tout le territoire national, mais ne permet qu'une seule diffusion. Autant dire que le prix est légèrement supérieur à celui d'un DVD.

Les droits patrimoniaux s'éteignent avec le temps : 70 années civiles après la mort de l'auteur, l'œuvre tombe dans le domaine public (Peter Pan est ainsi tombé dans le domaine public le 1er janvier 2008 ; le 1er janvier dernier, les œuvres de Georges Méliès sont tombées à leur tour dans le domaine public).

Les auteurs et leurs voisins

Certaines œuvres ne sont rien sans une interprétation : une pièce n'est qu'un texte sans un acteur pour donner vie aux personnages, une chanson est un joli texte avec une jolie partition, mais c'est le chanteur et ses musiciens qui vont lui donner une âme. Parfois au point d'en devenir un co-auteur, comme ce fut le cas pour Clare Torry, interprète du solo vocal de The Great Gig In The Sky de Pink Floyd, reconnue co-auteur de l'œuvre par la justice britannique en 2004 (elle n'avait été payée que d'un cachet de 30£ en 1973).

Mais sans aller jusqu'à devenir co-auteur de l'œuvre, un artiste apporte quelque chose à l'œuvre et fait lui-même œuvre de création. L'interprète de l'œuvre se voit donc reconnaître lui aussi un droit, qui n'est pas le droit d'auteur, forcément, mais qui en est voisin. On l'a donc appelé tout simplement le droit voisin (d'où le nom de la loi DADVSI : Droit d'Auteur et Droit Voisin dans la Société de l'Information). Il ne s'applique pas à l'artiste dit de complément, celui dont la présence est nécessaire à l'interprétation mais n'en est pas un élément essentiel : figurant, musicien d'un orchestre, choriste, etc. Le droit voisin se décompose lui aussi en droit moral (droit au respect de son nom et de son interprétation, concrètement de figurer au générique) et en droit patrimonial : droit d'être rémunéré pour tout mode de reproduction de son interprétation. Je simplifie, bien sûr.

Les interprètes ont eux aussi leurs société de perception et répartition de droits (Adami, Spedidam)

Les dealers d'oranges qui téléchargent des baguettes de pain

Pour bannir toute confusion, il faut oublier le mot propriété, ou plus exactement se souvenir que ce mot ne vient pas seul. Une œuvre de l'esprit est par nature immatérielle. De ce fait, elle ne peut être volée à son auteur, même si on lui dérobe le support sur lequel cette œuvre est matérialisée (qui constitue bien un vol, mais du support, pas de l'œuvre). L'atteinte au droit d'auteur n'équivaut pas à voler une baguette de pain (argument d'Eddy Mitchell en 2006), ni à dealer de la drogue (argument Besson) ni à distribuer des oranges (argument Lefèbvre). Ça ne veut pas dire que c'est légal, mais c'est autre chose.

Les droits d'auteur et les droits voisins sont protégés pénalement : toute reproduction ou représentation d'une œuvre sans l'autorisation de son auteur est un délit spécifique : la contrefaçon (punie de trois ans de prison et 300.000 euros d'amende).

Télécharger un film au format DivX peut être un acte de contrefaçon si l'auteur n'a pas autorisé cette forme de diffusion (sinon, c'est parfaitement légal : la technologie DivX n'est pas illégale en soi), car il y a reproduction de l'œuvre (une copie est crée sur votre disque dur) et représentation de l'œuvre (chaque fois que vous la regardez, vous commettez un acte de contrefaçon : art. L.335-3 du code de la propriété intellectuelle, mais en pratique, c'est impossible à établir, alors que la reproduction l'est plus facilement). De même, regarder une œuvre protégée (par la loi s'entend) en streaming est une représentation, donc une contrefaçon. Proposer une telle œuvre en streaming suppose d'en avoir une copie sur un serveur : reproduction non autorisée, donc contrefaçon. Utiliser une chanson pour illustrer un clip diffusé en straming sur le site d'un parti politique est une reproduction de l'œuvre, donc une contrefaçon (pwned again…)

Les exceptions au droit d'auteur

Le droit français reconnaît certaines limites au droit d'auteur. Elles figurent à l'article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle (si vous devez ne retenir qu'un seul article de ce code, c'est celui-là). Dès lors que l'oeuvre a été divulguée par son auteur, celui-ci ne peut interdire :

1° Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille (vous pouvez regarder votre DVD de Taxi 4 avec votre épouse et vos enfants ; une soirée entre amis entre dans ce cadre, mais si vous invitez tous vos collègues du service comptabilité, vous sortez de cette limite, a fortiori si la représentation a lieu ailleurs qu'à votre domicile).

2° La copie privée, qui s'entend de la copie réalisée à l'usage exclusif du copiste. C'est ripper un CD audio ou un DVD sur votre ordinateur, faire une copie d'un CD audio pour emporter dans la voiture sans crainte d'abîmer ou de se faire voler l'original, par exemple.

3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source :

a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées (vous pouvez citer de courts extraits d'un de mes billets pour démontrer que je suis nul en droit sans mon autorisation, et je ne peux même pas vous l'interdire) ;

b) Les revues de presse ;

c) La diffusion, même intégrale, des discours destinés au public prononcés dans les assemblées, ainsi que dans les réunions publiques d'ordre politique et les cérémonies officielles (vous pouvez publier l'intégralité des discours du président de la République sur votre blog) ;

4° La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre (d'où la légalité du clip de Mozinor sur Luc Besson) ;

Ajoutons que les reproductions que supposent nécessairement certains processus informatiques (mise en mémoire tampon, installation sur le disque dur) sont également couverts par la loi, ainsi que les reproductions faites par des bibliothèques à des fins d'accessibilité (transcription en braille) ou de conservation des originaux.

Le tout sous réserve de ne pas causer à l'auteur un préjudice injustifié.

L'enregistrement d'une œuvre diffusée à la télévision est couvert par l'exception de copie privée, mais doit être restreinte au seul usage du copiste (ce qui exclut qu'un tiers réalise la copie, affaire Wizzgo) et pour des représentations dans le seul cadre du cercle de famille. Profiter de cette diffusion pour diffuser une copie par internet dans le monde entier n'est pas couvert par la copie privée. La redevance audiovisuelle (qui comme son nom l'indique est une taxe) ne donne droit à aucune contrepartie, tout particulièrement sur les droits des auteurs des œuvres diffusées, de même que la rémunération pour copie privée perçue sur l'ensemble des supports mémoire (cassette audio, VHS, CD ROM, DVD ROM, balladeurs à disque dur ou mémoire flash…), qui est une taxe parafiscale visant à indemniser les auteurs. La copie privée est une exception, pas un droit a récemment rappelé la cour de cassation (affaire Mulholland Drive) : l'auteur ne peut l'interdire, mais il n'a pas à permettre ou faciliter sa réalisation (les mesures techniques de protection s'opposant à la copie ayant expressément été légalisées par la loi DADVSI).

Quelques exemples concrets

Si le droit d'auteur repose sur des principes simples, concrètement, ça se complique très vite, les œuvres étant souvent collectives, et les droits cédés à des sociétés de perception et de répartition des droits.

Prenons un premier cas simple : un livre. L'auteur est l'écrivain. Il propose son œuvre à un éditeur, qui, s'il estime qu'elle est de nature à rencontrer le succès, va conclure avec l'auteur un contrat d'édition. L'éditeur a le droit de reproduire l'œuvre sous forme de livre, qu'il va proposer à la vente au public, et rémunérera l'auteur en fonction des ventes, sur la base du prix de vente au public hors taxes. Le livre est une reproduction de l'œuvre. L'acheteur peut s'en faire une copie privée (en recopiant à la main ou en photocopiant certains passages qui lui plaisent) ou en faire une représentation dans le cadre du crecle de famille : lire l'histoire à ses enfants par exemple.

Autre cas plus complexe : une œuvre plastique, comme un tableau. La particularité est qu'il y a ici une matérialisation de l'œuvre sur un support dont elle ne peut être détachée, ce qui crée un original unique. Il y a cumul de propriété classique et de propriété littéraire et artistique. L'artiste va céder le support de l'œuvre, mais cela n'inclut pas nécessairement le droit de reproduire l'œuvre (en distribuer à la vente des cartes postales par exemple) ni le droit de représentation. Si j'achète une toile de Juan Romano Choucalescu, je peux l'accrocher dans mon salon, et l'admirer dans mon cercle de famille à loisir. Mais pour l'exposer dans un musée, il faut l'autorisation de l'auteur, qui peut soumettre cette autorisation à une rémunération (et connaissant Choucalescu, il le fera). Enfin, si pris d'un moment de rage, je détruis cette œuvre, je pourrais être poursuivi par Choucalescu pour atteinte à son droit moral[1].

Continuons dans la complexité avec une chanson. Une chanson suppose des paroles, et de la musique. Il y a donc un auteur et un compositeur (ça peut être la même personne bien sûr). Puis cette chanson va faire l'objet d'une fixation. Va donc s'ajouter aux titulaires de droit l'interprète, qui a ses droits voisins, mais aussi un autre auteur : l'arrangeur, qui va trouver la meilleure orchestration pour mettre en valeur l'œuvre et l'interprétation, et faire de la chanson un air qu'on reconnaît immédiatement et qu'on n'oublie pas ensuite (et un bon arrangeur peut faire toute la différence). Les choses vont encore se compliquer quand la réalisation de l'œuvre suppose des coûts importants (studio d'enregistrement, musiciens, ingénieur du son, matériel) : va intervenir alors le producteur, qui apporte l'argent nécessaire contre une cession des droits sur l'œuvre à venir, et l'éditeur (la maison de disque) qui va assumer le coût de la fabrication des copies (CD audio) et de la distribution dans les points de vente. Vous voyez pourquoi on peut parler d'industrie de la musique.

Autant dire que pour un film, on atteint le sommet de la complexité, comme en témoigne la longueur du générique de fin qui mentionne tous les intervenants. Disons, là encore pour tenter de faire simple, qu'en cas de téléchargement illicite d'Angel-A, la victime est EuropaCorp, le producteur du film[2], qui a acquis les droits patrimoniaux sur l'œuvre des auteurs, le scénariste et le réalisateur de l'œuvre, qui lui peuvent eux aussi agir au titre du droit moral sur leur œuvre dont ils sont restés titulaires. En fait, la simplicité revient vite puisque le président de la société de production, le scénariste et le réalisateur sont la même personne.

Deux mots pour conclure, comme disent les avocats qui en ont encore deux cent à dire : d'une part, la protection des œuvres de l'esprit, et le droit de leurs auteurs de les exploiter commercialement est pour moi tout à fait légitime. Permettre à un artiste de vivre de son art est normal et sain pour la vie artistique. Je ne suis pas en guerre contre les droits d'auteur. J'émets simplement des doutes sur la réalité de l'étendue du préjudice que les ayants droit prétendent subir à cause du téléchargement par des particuliers (télécharger une œuvre ne fait pas obstacle à l'acheter par la suite pour l'avoir en meilleure qualité ou bénéficier des bonus, et rien ne permet d'affirmer que ceux qui ont téléchargé une œuvre l'aurait acheté s'ils avaient été mis dans l'impossibilité de se la procurer de cette façon), et constate que le conservatisme de cette industrie qui espère arrêter le cours du temps et de la technologie plutôt que faire face aux défis que représentent l'évolution de la technique est proprement suicidaire. Nous sommes en 2009, et l'industrie musicale commence tout juste à proposer légalement des titres au format largement compatible, ayant semble-t-il compris la bêtise que constituaient les mesures techniques de protection qui protégeaient surtout contre l'écoute du morceau.

Car, et c'est là ma deuxième observation, rappelez vous ce que je vous ai dit. Le droit d'auteur est apparu pour protéger les auteurs contre les éditeurs qui s'enrichissaient sur leur dos, puis contre les producteurs de spectacle et les interprètes qui faisaient de même. Le combat des ayant-droits aujourd'hui présente une grande nouveauté : il oppose les ayant-droits à leur public, qui ne s'enrichit pas sur leur dos. Les musiciens insultent ceux qui apprécient leur musique en les traitant de voleurs, les réalisateurs font de même avec ceux qui apprécient leur film en les traitant de dealers.

Je ne suis pas expert en marketing, mais qu'il me soit permis d'émettre des doutes sur la viabilité de cette attitude, et même de sa simple rationalité.

Notes

[1] Pour ceux qui ne connaissent pas Choucalescu, cette contrefaçon en ''streaming'' vous éclairera.

[2] En fait, EuropCorp est co-producteur aux côtés de TF1 films production, et Apipoulaï, avec une participation de Canal + et Sofica Europacorp…

lundi 16 février 2009

Quelques leçons de droit (et même un peu d'économie) à l'attention de Luc Besson

Luc Besson, réalisateur, producteur et scénariste, est un grand timide. La preuve : plutôt que me poser des questions, sans doute refroidi par mon avertissement sur mon refus de répondre à des questions juridiques, il a préféré écrire une tribune dans Le Monde, à laquelle il savait bien que j’aurais du mal à ne pas réagir. Il y confesse ainsi : « Mes connaissances en droit sont limitées » avant de le démontrer sur un quart de page.

Je ne saurais lui jeter l’opprobre : moi-même, hormis un reportage-vérité saisissant, réalisé entièrement au camescope et sans montage sur mes vacances à la Bourboule à l’automne 2003, qui a obtenu un certain succès d’estime auprès de ma maman, je ne prétends pas avoir le moindre talent derrière une caméra. Chacun son truc.

Bien joué, Luc. Tu as gagné. Alors allons-y.

Il est un délit maintenant reconnu de tous : celui de visionner des films gratuitement sur son ordinateur via Internet. On appelle ça le “piratage”, bien que l’image soit bien moins glamour que celle du capitaine Sparrow bravant les forces de l’océan.

Première phrase, première erreur. Grossière. Le Capitaine Sparrow défie le Kraken, pas les forces de l’océan. Et visionner un film gratuitement sur internet n’est certainement pas un délit. C’est même en principe parfaitement légal, ça ne devient illégal que si la personne qui diffuse les images n’en est pas l’auteur et n’a pas reçu l’autorisation de celui-ci. Ainsi, la plupart des vidéos sur les sites du type Youtube ou Dailymotion sont parfaitement légales. Même des vidéos de qualité professionnelle, comme des clips d’artiste. Par exemple, les Monty Pythons ont mis eux-même en ligne une grande partie de leurs créations sur un Channel Youtube. Tiens, Luc, à la fin, je t’ai mis un exemple de vidéo parfaitement légale qui devrait te plaire.

Assimiler internet à la délinquance, c’est assimiler les PTT à la collaboration car ils distribuaient les courriers anonymes de délation. Tu vois l’erreur ? Mais bon, tu es pardonnable : dans ta profession, à peu près tout le monde la fait.

Le piratage est tout simplement “un vol caractérisé”. Il y a 500 000 vols de films par jour en France : 500 000 connexions illégales. Les internautes français détiennent ce triste record du monde. Voilà une bien mauvaise image pour le pays des droits de l’homme.

D’abord, côté mauvaise image pour le pays des droits de l’homme, je penserais d’abord à l’état de nos prisons et centres de rétention, ou à notre 4e place au palmarès des condamnations par la cour européenne des droits de l’homme, ou à notre budget de la justice qui nous place en queue de peloton européen et inflige au justiciable des délais de traitement indignes. Mais il est vrai que je ne suis pas producteur de cinéma : qu’est-ce que j’y connais aux droits de l’homme ? Qu’est ce que des innocents qui pourrissent en prison faute de temps pour un juge de traiter leur dossier, quand on téléchargerait illégalement 500.000 films par jour en France ? Merci Luc de nous rappeler le sens des priorités.

Ensuite, le piratage n’est pas un “vol caractérisé”, expression qui ne veut rien dire. Un vol non caractérisé, ça s’appelle une relaxe, et un vol est l’appropriation frauduleuse de la chose d’autrui. Or il n’y a aucune dépossession en cas de copie illégale d’un film, ce qui exclut tout vol (il en va différemment si on vole la copie d’un film dans un supermarché sans la payer, par exemple, mais c’est le support, non l’œuvre, qui est volé, à son propriétaire, le supermarché, l’auteur ne subissant aucun préjudice).

Le “piratage” est en réalité une contrefaçon. C’est puni plus sévèrement qu’un vol simple (3 ans de prison dans les deux cas, mais 300.000 euros d’amende contre 45.000 euros pour un vol). Tu vois que la loi pense à toi.

Enfin, j’aurais bien aimé savoir d’où tu sors ton chiffre de 500.000 téléchargements quotidien. Ça me rappelle un peu le gouvernement qui est capable de me dire le nombre de délits commis en France, ou le nombre de clandestins qui y vit. Il doit avoir des pouvoirs divinatoires. Visiblement, tu confonds le nombre de connexions et le nombre de téléchargements d’œuvres. Je comprends qu’on prenne le plus gros chiffre quand on se prétend victime. Mais tu vois, moi par exemple, j’ai 10.000 à 15.000 visiteurs par jour. Mais j’ai 260.000 connexions par jour. Tu vois la différence ? Mon hébergeur la voit, lui qui fournit la bande passante.

Certains internautes se cachent derrière une idéologie, celle de la “culture gratuite”, oubliant au passage les centaines de milliers de salariés qui vivent de ce secteur. Grâce à une prise de conscience collective, le gouvernement s’apprête enfin à faire voter un dispositif qui permettra de punir les auteurs de ces vols.

Par “prise de conscience collective”, il faut entendre “lobbying efficace”, quand on voit que l’auteur du rapport ayant inspiré le projet de loi était à l’époque PDG de la FNAC. Projet de loi qui vient en discussion à l’assemblée nationale à partir du 4 mars. D’où la présente tribune. Mais de là à dire qu’il va permettre de punir les auteurs de ces infractions… Cela reste à voir, je vais y revenir.

La riposte sera graduée et donnera au pirate, une fois repéré et identifié, la possibilité de se ressaisir et de prendre conscience de son délit.

Heu… Luc… Sans vouloir être désagréable, le Conseil constitutionnel a déjà dit que la riposte graduée était contraire à la Constitution. C’est au considérant n°65. Ce que propose le projet de loi internet et création (appelé souvent à tort HADOPI), c’est, de fait, dépénaliser au profit d’une autorité administrative ayant un pouvoir de sanction après avertissement. Ce qui risque fort d’être pris pour une légalisation du piratage individuel (mes amis économistes te parleront du pouvoir des incitations, et dans ce cas de la disparition de l’aversion de la perte), puisqu’aucune sanction ne sera possible tant que l’internaute n’aura pas été averti au moins une fois. D’où le sentiment d’avoir le droit de télécharger tant qu’on n’a pas été averti, puisqu’on ne risque rien. Alors qu’aujourd’hui il est punissable dès le premier téléchargement. Tu râles parce qu’on téléchargerait 500.000 films par jour ? Je ne suis pas sûr que tu adores la suite.

Les internautes ne sont pourtant pas les seuls responsables. Comment explique-t-on qu’ils aient aussi facilement accès à des films pourtant protégés par la loi ? Le visionnage gratuit et illicite de contenus cinématographiques s’effectue sur des sites de téléchargement et de streaming (écoute en direct) très facilement accessibles sur la Toile. Ces sites ne sont pas l’oeuvre d’adolescents vaguement rebelles, mais les produits d’entreprises motivées par la recherche du profit généré par la monétisation de leur audience.

C’est là la définition d’un adolescent des années 2009, cher Luc. Depuis le temps que tu fais des films pour eux, tu devrais le savoir. Et permets-moi un travers d’avocat : répondre à une question par une question. Pourquoi en tant que consommateur n’ai-je toujours pas accès à des téléchargements légaux dans des formats compatibles avec tous les logiciels et systèmes d’exploitation des ces films protégées par la loi ? Pourquoi le seul moyen légal que j’ai d’emmener mon film préféré (Taxi 4) sur mon ordinateur est d’acheter le DVD et de le “ripper” sur mon disque dur, et encore uniquement au titre de l’exception privée, et si une mesure technique de protection ne m’en empêche pas ? Pourquoi l’offre ne s’adapte-t-elle pas à la demande et à la technique ? Le DVD est une technologie vieille de 14 ans, l’époque des modems 56k. Le piratage, cher Luc, ce sont surtout des millions de particuliers qui occupent un terrain déserté par l’offre légale.

Mes connaissances en droit sont limitées, mais il me semble que le code pénal dit clairement qu‘“en matière de délit, complicité vaut crime”.

Tu sais, sur internet, il n’y a pas que des contrefaçons de tes —tous excellents— films. Il y a aussi, au hasard, le code pénal. Une petite recherche sur Légifrance n’a jamais fait de mal à personne avant de publier dans Le Monde.

Le code pénal assimile le complice à l’auteur principal du délit. Tous deux encourent les mêmes peines. La complicité s’entendant de deux types de comportements : l’aide et assistance (je fournis un pistolet automatique à Léon, je fais le guet dans la voiture pendant que Nikita “efface” une cible pour lui permettre de prendre la fuite), et l’instigation (je paye Léon pour commettre un assassinat, je donne des instruction à Nikita pour réaliser une de ses opérations).

Cependant, en matière de contrefaçon, la mise à disposition d’œuvres protégées par téléchargement ou streaming suppose la reproduction préalable de l’œuvre sur le serveur : ces sites ne sont donc pas complices mais auteurs principaux, sous réserve des dispositions de la LCEN pour les sites ayant le statut d’hébergeur (j’y reviens, mais autant te le dire tout de suite : les nouvelles ne seront pas bonnes).

Il faut donc étendre la loi à ce cas et poursuivre les dealers.

Mais la loi s’étend déjà sur eux. Et au fait, je croyais que c’était des voleurs ? C’est des dealers, maintenant ?

Notons que ces derniers ne seront pas difficiles à identifier : ils sont connus de tous. Une loi qui sanctionnerait les voleurs sans punir les responsables de ce trafic illicite serait une loi injuste. Quelle nation accepterait de punir sévèrement les consommateurs de drogues tout en laissant leurs dealers prospérer tranquillement ?

Ah oui, ce sont des dealers. Des dealers qui donc voleraient de la drogue pour la distribuer gratuitement à leurs clients, en se finançant en mettant de la pub sur leur T-shirt et leurs pochons de drogue ?

Bon, admettons. Ça devient compliqué, cette histoire. Mais alors, dans ce scénario, le producteur de drogue, c’est qui ?

Mais… c’est toi, Luc, non ? Ah, que c’est délicat de filer des métaphores ! Mais note bien que je crois que tu as mis le doigt sur quelque chose. Car l’industrie du cinéma comme celle de la musique d’ailleurs, repose effectivement sur des comportements analogues à ceux des dealers : on crée un besoin pour hameçonner le client (bandes-annonce, matraquage publicitaire, clips alléchants sur toutes les chaînes visant le public cible) et quand il est accro, on l’oblige à payer pour l’assouvir (la place de cinéma à 10 euros, puis le DVD à 30 euros, le pay per view à 3 euros, sinon il y aura le passage à la télévision… financé par la pub ; la place de concert à 50 voire 100 euros, l’album à 25, la sonnerie à 2 euros, le single à 1 euro lisible sur un seul lecteur compatible). Sachant qu’une grande partie de la clientèle cible est mineure.

Finalement, tu es plutôt doué en métaphores.

Alors, pourquoi ne pas fermer ces sites pour mettre un terme définitif à ces pratiques ? Car ces sites, localisés à l’étranger, échappent au contrôle du législateur du pays dans lequel se produit le délit.

Ah, la main de l’étranger, manquait plus qu’elle. Sauf que, la plupart des pays du monde étant partie aux conventions internationale défendant les droits d’auteur (liste complète). C’est juste un peu plus compliqué d’aller les chercher là bas, mais c’est parfaitement possible (ton avocat te fera ça pour un peu plus cher), dès lors que la législation locale punit la contrefaçon d’œuvres protégées. Demande à Google si le fait d’être une société ”incorporated” de droit californien l’a mise à l’abri de l’ire des ayant-droits français.

Voilà pour l’histoire officielle, pourtant la vérité est bien plus complexe et dérangeante. Ces sites ne pourraient exister sans la complicité objective de bon nombre d’acteurs économiques français qui ont un intérêt financier à faire perdurer le système. L’économie du piratage sur Internet est une longue chaîne d’acteurs qui, pour la plupart, n’apparaissent pas au grand jour mais tirent profit de cette activité illégale. Pour que les sites de téléchargement et de streaming soient accessibles aux internautes, il faut tout d’abord trouver un hébergeur. Il arrive que ces hébergeurs soient de nationalité française. Cette prestation, pour un site de streaming tel que BeeMotion, de nationalité canadienne, est assurée par une grande entreprise française de télécommunication, Iliad, par l’intermédiaire de sa marque Free.

Cet opérateur perçoit chaque mois un “loyer numérique” de la part du site canadien.

Pas un loyer numérique, un loyer tout court. L’activité d’un hébergeur est de louer un espace sur ses serveurs, très précisément. C’est ce qu’a fait ta société Europa Corp pour le site du dernier film que tu as produit, Banlieue 13 Ultimatum, qui est hébergé sur des serveurs loués à la société Linkbynet, contre paiement d’un loyer.

Par ailleurs, pour gagner de l’argent, ces sites de téléchargement signent des contrats avec des régies publicitaires qui se chargent de commercialiser leurs espaces auprès de grands annonceurs. Dans l’exemple de BeeMotion, ce sont Google et Allotraffic.fr qui touchent des commissions de régie de la part de marques françaises. Ces dernières utilisent le site pour promouvoir leurs produits. La marque PriceMinister, un des leaders français de l’e-commerce, est omniprésente sur le site de BeeMotion, sous forme de bannières promotionnelles et de “pop-up” (fenêtre intruse) s’ouvrant chaque fois qu’un internaute clique pour déclencher le visionnage d’un film.

Ah, puisque tu parles de BeeMotion, voici un exemple de l’impunité dont il jouit du fait d’être basé au Canada. Il a suffit que tu en parles pour qu’il ferme.

Il existe une multitude d’exemples comme celui-là, qui attestent de façon indiscutable qu’une économie du piratage se développe sur la Toile en toute impunité. De grandes entreprises françaises sont impliquées à tous les niveaux de la chaîne de valeurs, et tirent un intérêt financier d’une activité illégale. Elles sont complices d’un délit, donc coupables, et doivent, dans un Etat de droit comme le nôtre, être condamnées et sanctionnées.

Hé non. Il y a en France une loi, dont l’équivalent existe partout en Europe, la Loi pour la confiance dans l’économie numérique, qui dit exactement le contraire. Je te la traduis, c’est vrai qu’elle est à la limite du compréhensible (c’est l’article 6, I, 2) : les hébergeurs ne peuvent pas voir leur responsabilité engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un client s’ils n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, ils ont agi promptement pour retirer ces données. Cette règle ne s’applique pas lorsque l’éditeur du service est son propre hébergeur.

Il y a eu des lobbystes plus rapides que ceux des producteurs de ciné…

Il faut que cesse l’hypocrisie qui permet à de grandes institutions françaises et internationales de gagner de l’argent sur le dos de créateurs qui ont perdu, rien qu’en France, 1 milliard d’euros en 2008 à cause du piratage d’œuvres cinématographiques sur Internet.

Heu… Attends. Il y aurait eu selon toi 500.000 films téléchargés par jour en 2008. Soit 18.500.000 par an. Ce qui fait un manque à gagner de 5,47 euros par film. Chiffre intéressant, quand un DVD dans le commerce coûte pas loin de 30 euros. D’où ma question initiale : quand est-ce que je pourrais télécharger légalement un film que je pourrai regarder autant de fois que je le voudrai pour 5,50 euros (à ce prix là, tu augmentes même ta marge) ?

Le cinéma continue à vivre en France grâce à quelques professionnels passionnés qui réinvestissent en permanence !

Par philanthropie exclusivement.

La loi doit défendre ces artistes. Une société qui ne protégerait pas le talent et la passion de la cupidité et du cynisme serait une société à bien des égards désespérante, et le désespoir est une maladie que la France ne peut plus se permettre d’attraper.

La loi défend déjà ces artistes, la contrefaçon d’œuvres protégées est punie depuis bien avant l’invention de l’internet. Une fois de plus, face à une situation qui ne lui convient pas, une industrie appelle l’État à l’aide pour se faire voter une loi sur mesure, négligeant ce qui existe déjà et croyant qu’il suffira d’un beau texte au JO pour régler le problème. Ça fait longtemps que juristes et économistes moquent ce travers français. Ça n’est donc ici qu’un —mauvais— remake.

Ha, et voici la vidéo promise.

Pas sûr que ça te réconcilie avec internet, à la réflexion…

jeudi 23 octobre 2008

Profession : juge

Par Profession : juge, vice-présidente en charge d'un tribunal d'instance


La version initiale de ce texte a été rédigée au moment où la commission Outreau procédait à ses auditions. Vice-présidente chargée du service d’un tribunal d’instance, j’ai peu à faire avec les mécanismes de la procédure pénale sur lesquels elle se penchait pour rechercher les erreurs et dysfonctionnements à l’origine du résultat que l’on sait. Il m’a semblé important d’essayer de faire comprendre que, quoique les litiges du quotidien qui forment l’ordinaire des tribunaux d’instance aient peu de chances de faire la une des médias, les évolutions actuelles favorisent, là comme ailleurs, la multiplication de minuscules Outreau dont seules les victimes s’indigneront. Quand les syndicats, dans la justice comme ailleurs, se plaignent que “l’exigence d’une justice de qualité est trop souvent sacrifiée au nom du productivisme”, on y voit au mieux une sempiternelle revendication de moyens, respectable mais secondaire. Je voudrais modestement essayer de faire comprendre comment l’exigence du productivime, désormais au centre du fonctionnement d’un tribunal d’instance, pèse au quotidien sur ses magistrats. Un juge des enfants, un juge d’instruction, un procureur, pourraient en dire tout autant sur les effets, dans leur sphère respective, de cette révolution copernicienne.

La LOLF, mode d’emploi

Le Parlement a voté à l’unanimité la LOLF (loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001), appliquée depuis 2006 sur tout le territoire. Désormais, les moyens de chaque juridiction - moyens humains aussi bien que matériels - sont attribués en fonction d’objectifs à préciser dans la demande annuelle de crédits. L’activité des tribunaux d’instance relevant pour la plus grande part du contentieux civil, nous devons nous placer dans le cadre de l’objectif stratégique n° 1 retenu dans le projet annuel de performance du programme “justice judiciaire” (PAP) issu de la loi d’orientation et de programmation pour la justice (LOLP) du 9 septembre 2002: “rendre des décisions de qualité dans des délais raisonnables en matière civile”.

Le principe étant posé que “la performance est au coeur du dispositif de la LOLF”, des indicateurs ont été mis en place pour mesurer cette performance. Ils sont au nombre de 8:
1) délai moyen de traitement des procédures (4,7 mois en 2003 et 2004, prévision 4,5 mois en 2005 et 2006, objectif-cible: 3 mois),
2) durée maximum nécessaire pour évacuer 75 % des affaires civiles (5,8 mois en 2003, 5,8 mois prévus en 2005 et 2006, objectif-cible: 4 mois), 3) ancienneté moyenne du stock, mesurée au 31 décembre de chaque année: cet indicateur sera disponible au plus tôt en 2008,
4) délai moyen de délivrance de la copie exécutoire,
5) taux de requêtes en interprétation, rectification d’erreurs matérielles et omission de statuer,
6) taux de cassation des affaires civiles (critère peu pertinent pour une juridiction du premier degré, la plupart des décisions rendues par les tribunaux d’instance étant susceptibles d’appel et non soumises directement à la Cour de Cassation),
7) nombre d’affaires traitées par magistrat du siège,
8) nombre d’affaires traitées par fonctionnaire.

On voit que, sur le double objectif “décisions de qualité - délais raisonnables”, le second est infiniment plus aisé à mesurer le premier. C’est à quoi s’attachent les 4 premiers indicateurs, les deux derniers mesurant la productivité des personnels en termes de flux. Le seul indicateur pouvant se rattacher à une notion de “qualité”, le n° 5, désavantage le tribunal d’instance, qui traite des contentieux dits “de masse”: problèmes locatifs, crédit à la consommation, paiement de factures... Depuis l’introduction de l’informatique, les juges sont fortement incités à utiliser le procédé du “copié/collé”: en reproduisant la motivation-type, on modifie uniquement les éléments relatifs à l’identité des parties, aux dates, aux chiffres, aux circonstances. Le risque est beaucoup plus grand de laisser passer, à la relecture, un élément provenant du jugement d’origine, que de se tromper dans une décision qu’on rédige entièrement. Plus généralement, apprécier la qualité d’une production judiciaire en se référant à la seule absence d’erreurs matérielles ne peut manquer d’être perçu, par un magistrat consciencieux, comme singulièrement réducteur, voire outrageant.

Alors cette fameuse qualité, que je revendique lorsqu’on me parle délais et stocks, en quoi consiste-t-elle si ce n’est pas un cache-sexe voilant l’inefficience ? Aux trois mots qui me viennent pour la définir, le découragement me gagne, car rien n’est plus antinomique à l’esprit de la LOLF: prendre le temps.

Lire la suite...

23 octobre

Par le Bureau national du Syndicat des Greffiers de France ; j'ai écarté les textes syndicaux et communiqués officiels, préférant les billets personnels ; mais ce texte n'est pas un communiqué, il m'est adressé, et la voix des autres serviteurs de la justice doit aussi s'élever aujourd'hui. Sans les greffiers, nous ne serions rien, magistrats et avocats. C'est avec plaisir que je les accueille. Eolas.


Le Syndicat des Greffiers de France (SDGF) ne peut qu’abonder dans votre sens et vous propose sa contribution sur nos conditions de travail.

A l’heure où l’on prône un dialogue social de qualité, encore faudrait-il que le mot dialogue soit une réalité.

Or, les greffiers, « travailleurs de l’ombre » et véritables « petites mains » de la justice, sont, la plupart du temps, ignorés, voire pire, du genre « Un Greffier ?ça sert à quoi ! ».

Dans les médias, pour le grand public, la justice n’est généralement représentée que par les magistrats et les avocats.

Or si les jugements sont tapés, exécutés, en bref si la Justice fonctionne …c’est bien grâce aux Greffiers.

Pour autant, nos conditions de travail sont déplorables tant au niveau effectif qu’au niveau matériel et ne cessent de se dégrader.

De nombreux collègues sont partis à la retraite sans que l’Administration ait anticipé leur départ, en matière de recrutement, ou plus exactement, ait décidé de ne pas les remplacer.

De ce fait, les greffiers ne gèrent plus seulement leur service mais doivent faire face à une multitude de tâches supplémentaires.

Au niveau matériel, les logiciels sont totalement archaïques. Certains services dont l’exécution des peines ne sont même pas informatisés. Les temps préhistoriques sont toujours d’actualité.

Néanmoins, si le système judicaire continue de fonctionner, c’est grâce au sens du devoir du service public, au dévouement et à la conscience professionnelle des greffiers.

Mais, rappelons- nous que « tout être humain a ses limites, et celles des greffiers sont aujourd’hui atteinte » .

Il n’est plus possible d’exiger de nos collègues, sans aucune contrepartie, de poursuivre voire d’accroître les sacrifices qui leur sont demandés.

A titre d’exemple, les nombreuses heures supplémentaires effectuées ne sont pas payées et peu de greffiers peuvent les récupérer sinon les services accumuleraient un retard tel qu’il deviendrait ingérable.

De même, alors que les magistrats bénéficient mensuellement d’une prime modulable dite « prime au mérite », le greffier, binôme de celui-ci n’a rien, (sauf les greffiers affectés à la centrale).

Les jugements sont-ils fait par le seul et unique magistrat ? Pourquoi cette discrimination ?

Quant aux locaux, la situation n’est pas meilleure. La création de nouvelles fonctions (BEX ou pôle d’instruction, notamment) est une catastrophe en terme d’espace. On n’hésite plus à loger les greffiers dans les archives, ou, les uns sur les autres, dans les mêmes bureaux, dans des conditions qui entraîneraient, dans le privé, une intervention des Services de L’Inspection du Travail …

La réforme de la carte judiciaire et sa prochaine application vont encore aggraver une situation déjà intenable. Les greffiers des juridictions supprimées vont être répartis dans les juridictions maintenues, sans qu’évidemment les capacités d’accueil des locaux soient augmentées.

Certes on nous dit que « les caisses sont vides ». Si l’on en croit les décisions prises récemment en matière de crise financière, elles ne sont pas vides pour tout le monde …..

Le sentiment général de nos collègues aujourd’hui peut se résumer ainsi. : « Assez de promesses non tenues, assez de mépris. Nous voulons enfin que l’on nous donne les moyens de travailler et les moyens de vivre décemment.

mercredi 4 juin 2008

SAV de l'instruction

Billet sans hymen juridiquement modifié dedans

Lire la suite...

jeudi 17 avril 2008

L'affaire ANPSEDIC

Ou : le Service Public à la française en action.

Sébastien Bourgasser est un informaticien qui, ayant connu les affres de la recherche d'emploi, a conçu en 2004 un logiciel d'aide à la recherche de travail, ou plus exactement de gestion des démarches de recherche. Ce logiciel permet, en quelques opérations simples, d'adapter son CV à l'intitulé de l'offre, d'imprimer une lettre de motivation, et de noter la date d'envoi de la candidature, la date d'une réponse, et d'un éventuel entretien. Cela permet de suivre facilement des dizaines de démarches simultanées et de pouvoir démontrer aisément aux organismes sociaux la réalité et le détail des démarches entreprises, qui peut conditionner le maintien de certaines allocations.

Ce logiciel a été baptisé ANPSEDIC, mélange des signes ANPE et ASSEDIC. Logo ANPSEDIC

Ce logiciel était disponible gratuitement sur le site anpsedic.org, et était recommandé par plusieurs conseillers ANPE pour des personnes ayant du mal à s'organiser dans leur recherche de travail qui, quand elle est sérieusement menée, est une activité très prenante.

Formidable, la solidarité entre chercheurs d'emploi, la créativité de l'un mise bénévolement au service de ses prochains, n'est-ce pas ?

Non. C'est insupportable.

L'ANPE d'abord puis l'UNEDIC, l'organisme national auquel sont rattachés toutes les ASSEDIC, ont mis en demeure Sébastien Bourgasser de cesser de distribuer ce logiciel, car, tenez-vous bien : il contrefait les marques commerciales ANPE et ASSEDIC.

Que les sigles ANPE et ASSEDIC soient des marques déposées peut déjà surprendre, mais cela peut se comprendre : l'ANPE jouissant d'un monopole et l'activité de courtage en matière de contrat de travail étant très encadrée (il est notamment interdit de percevoir une rémunération du candidat), l'ANPE, en déposant sa marque, se prémunit contre du parasitisme. L'UNEDIC exerçant une mission de service public, il est légitime qu'elle protège sa dénomination contre une usurpation commerciale.

Mais nul ne peut prétendre que Sébastien Bourgasser faisait du parasitisme : il proposait gratuitement un logiciel d'aide à la recherche d'emploi qui ne fait que gérer les candidatures entrées par l'utilisateur. D'ailleurs, l'ANPE et l'UNEDIC se sont épargnés au moins le ridicule de cette insinuation.

Cela dit, le juriste peut froncer le sourcil. La marque est protégée par la loi, mais cette protection n'est pas générale et absolue. Quand j'écris : “Honte à l'ANPE et à l'UNEDIC pour ce qu'ils ont fait”, je ne contrefais pas les marques ANPE et UNEDIC, bien que je les reproduise.

La protection recouvre deux situations.

La première, que nous appellerons la protection absolue, est posée à l'article L.713-2 du Code de la propriété intellectuelle :

Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :

a) La reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, même avec l'adjonction de mots tels que : "formule, façon, système, imitation, genre, méthode", ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement ;

b) La suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée.

Pour résumer, elle porte sur les produits et services identiques, cette identité résultant de la classe dans laquelle la marque est déposée, selon une nomenclature précise résultant de l'Arrangement de Nice du 15 juin 1957 (on parle de “classification de Nice”).

La deuxième, la protection relative, résulte de l'article L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle :

Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public :

a) La reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ;

b) L'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement.

Pour résumer, elle s'étend à tout usage de la marque, même pour des produits différents de ceux pour lesquels elle est déposée si cet usage peut entraîner un risque de confusion dans l'esprit du public.

C'est sur ce deuxième plan que l'ANPE et l'UNEDIC attaquent : le terme ANPSEDIC étant une combinaison des termes ANPE et ASSEDIC, utilisés dans un cadre de recherche d'emploi, les deux organismes estiment qu'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public, nonobstant la remarque figurant en page d'accueil du site précisant que ce logiciel a été créé sans lien aucun avec l'ANPE et l'ASSEDIC.

Que voulez-vous, les chômeurs sont des gens simplets qu'il faut protéger, et ils pourrait effectivement confondre un Établissement Public Administratif ou une association loi 1901 intitulée Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce avec un logiciel tournant sous Windows.

Résultat : Sébastien Bourgasser, qui faisait ce travail bénévolement, qui n'a pas les moyens techniques de modifier le nom de son logiciel, n'ayant plus accès au programme lui permettant de compiler son logiciel, et qui n'a ni le temps, ni l'énergie ni les moyens de se bagarrer avec ces deux organismes, jette l'éponge et cesse de distribuer son programme.

Bref, grâce à l'UNEDIC et l'ANPE, les chômeurs ont perdu un outil susceptible de les aider. On applaudit bien fort le sens du service public.

Mais vous me connaissez, je vois le mal partout. Je ne peux mettre sur le compte de la bêtise ce qui peut être mis sur le compte de la méchanceté. Allons donc lire le BOPI, le Bulletin Officiel de la Propriété Intellectuelle.

Une rapide recherche (pas de lien direct possible, désolé) nous apprend que l'ANPE a déposé 26 marques, et l'UNEDIC, 5 marques ASSEDIC. Que parmi ce florilège, 18 des marques ANPE et les 5 marques ASSEDIC sont déposées dans la classe 42, soit… la conception et développement d'ordinateurs et de logiciels ! Ça alors ! Moi qui croyais que l'ANPE et l'UNEDIC étaient des organismes en charge respectivement de centraliser les offres et les demandes d'emploi et de gérer l'assurance chômage. En fait ce sont des SSII !

Mais alors, me direz-vous, l'ANPE et l'UNEDIC pouvaient revendiquer la protection absolue de l'article L.713-2, en raison de la similitude des produits ?

Absolument.

Pourquoi ne l'ont-elles pas fait ? Je l'ignore. Peut-être parce que cela se serait trop vu qu'elles préparent le lancement de leur propre logiciel ?

Si l'ANPE et l'UNEDIC ou leur Conseil souhaitent apporter des explications, ils sont les bienvenus. Avec leur autorisation, j'inclurai leur réponse ici même sous ce billet, afin qu'elle ne soit pas égarée et moins visible en commentaires. J'avoue que pour ma part, j'espère ardemment une explication qui me révélera en quoi cette attitude est conforme à l'objet de ces organismes, qui reste avant tout, il faut hélas le rappeler, de venir en aide aux chômeurs.


Mise à jour 11h43 : La direction de la communication (oui, de la communication, pas la direction juridique) de l'UNEDIC vient de contacter Sébastien Bourgasser pour organiser un rendez-vous commun avec la direction de la communication de l'ANPE afin de trouver une solution amiable. La réunion aura lieu d'ici quelques semaines. Je vous tiens au courant.

vendredi 22 février 2008

Tranche de greffe

Par Gwenwed.


Décidément, Gascogne inspire du monde, avec son rêve de vie d'avocat ! Pour ne pas être en reste, c'est une greffière en chef de tribunal d'instance[1], qui signe Gwenwed en commentaires, qui nous propose une incursion d'une semaine dans la peau d'un chef de greffe. Le greffier en chef, c'est le chef des greffiers, qui ne sont pas les secrétaires des tribunaux. Certes, ils rédigent, mais ils sont indépendants des magistrats car leur rôle est d'authentifier le jugement en le signant et en le revêtant du sceau de la République, baptisé à tort "la Marianne"[2], sans lequel le jugement n'est qu'un bout de papier A4. Il est aussi surintendant des finances du tribunal : c'est lui qui gère le budget, passe les commandes et règle les factures. Quand il le peut, vous allez voir. Il reçoit les minutes des jugements, c'est à dire les originaux des archives. Enfin, il est investi de tâches quasi-juridictionnelles puisque depuis 1993, il délivre les certificats de nationalité française, reçoit les consentements à l'adoption, appose les scellés, délivre les procurations pour voter etc. Mais je ne veux pas déflorer le sujet.

Nous sommes lundi matin, le réveil a sonné, une bonne douche, une tasse d'Assam bien serré, et c'est parti...

Eolas


Lundi :

8h : j’arrive au tribunal à pas mesurés : le verglas sur le parvis rend chaque pas risqué.

Une greffière est déjà là. A pied d’œuvre depuis 7h, comme chaque jour. Elle a gardé manteau et écharpe. « Bonjour, j’espère que tu as prévu les mitaines il n’y a pas de chauffage ».

Hum, je savais bien que j’aurais dû rester au lit. Le coup de la panne de chaudière dès le lundi matin, ça motive pour la semaine !

Me voilà partie, téléphone portable à la main (le mien, bien sûr, la juridiction ne disposant d’aucun « sans fil ») au deuxième sous-sol. Plantée devant la chaudière, j’appelle le chauffagiste qui tente un diagnostic en ligne et me promet de passer dans la semaine. Je négocie : la palais est ancien, un vrai nid à courants d’air. Nous allons geler sur place, ça ferait désordre. Il comprend. Si quelqu’un est là, il veut bien venir entre midi et deux. Qu’à cela ne tienne, je pique-niquerai sur mon bureau, mon clavier n’est plus à quelques miettes près…

8h30 : première étape de la journée, la lecture des mails : les JO du week-end d’abord, puis les messages de boulot. La Cour d’appel convoque tous les directeurs de greffe à une réunion budgétaire jeudi après-midi. Encore une demi-journée de travail perdue en perspective…

9h : le courrier est là. Je l’ouvre et constitue des piles pour chaque agent. Laborieux, certes, mais cela permet d’avoir un œil sur l’activité du tribunal et de garder à l’esprit que quand mes fonctionnaires me disent qu’elles sont débordées, c’est un très doux euphémisme. La pile des tutelles est de loin la plus dense. La mienne est bonne deuxième : demandes d’attestations de non-PACS de la part des notaires, de certificats de nationalité…

Deux lettres de rappel viennent rejoindre leurs camarades dans une volumineuse pochette : annualité budgétaire oblige, tous les paiements ont été arrêtés mi-décembre. Nous sommes mi-février et les crédits de l’année n’ont toujours pas été débloqués. Les factures s’accumulent donc. En outre, je ne peux passer aucune commande : le greffe vis sur les réserves de fournitures réalisées en fin d’année, mais plus pour longtemps : le chômage technique nous guette et je soupçonne mes greffières d’apporter leur propre papier toilette pour parer toute pénurie.

Peut-être la réunion budgétaire augure-t-elle de bonnes nouvelles ? Dans le doute, je prépare toutes mes factures : elles doivent pouvoir partir dès que le feu vert aura été donné. Idem pour les commandes les plus urgentes.

J’entame donc mon tour des bureaux : qui a besoin de quoi ? Pochettes roses pour les tutelles, jaunes pour le civil, surligneurs pour le magistrat ( « de marque, si possible, les premiers prix ne survivent pas trois jours » ), enveloppes : grandes, petites, avec ou sans fenêtre…

La fonctionnaire de l’accueil m’interpelle entre deux bureaux : une procuration de vote à signer. Les municipales approchent…

12h : sandwich dans une main, catalogue de fournitures dans l’autre, je peaufine mes commandes en attendant le chauffagiste.

14h : les couloirs du tribunal commencent à retrouver une température décente. On m’appelle à l’accueil : une « natio[3] ». Petite juridiction oblige, de l’accueil à la délivrance, le service nationalité, c’est moi.

Un couple souhaite constituer un dossier de demande de nationalité française par mariage. Elle, 23 ans, est russe. Lui, 71 ans, est français. Ils ont célébré leurs deux ans de mariage la semaine dernière et lorsqu’il parle d’elle, il dit « cette dame ». C’est dire s’ils sont intimes.

Je leur explique que la loi a changé et qu’il faut désormais quatre années de mariage et que même alors, rien n’est acquis : il y a un dossier assez lourd à constituer, des enquêtes pour s’assurer de la communauté de vie et de la « réalité des liens affectifs » : une procédure d’au minimum un an. Il lui jette un regard accusateur : « on m’avait dit que c’était pour deux ans ».

Je retourne à mon budget : il faut impérativement que je peaufine mes demandes pour pouvoir défendre mon bout de gras, ou plutôt mon quignon, à la réunion de jeudi…. Entre le téléphone et les procurations, difficile de rester concentrée. A 18h, je me résous à transférer mes tableaux budgétaires sur ma clé USB : je ferai ça à la maison…

Mardi :

E-mails, courrier… le rituel recommence. La pile des comptes annuels de gestion de tutelle commence sérieusement à monter ; ce sont mille dossiers, au total, qu’il va me falloir étudier comme chaque année : vérifier les dépenses, les comptes bancaires, s’assurer que le tuteur ne détourne pas l’argent de son protégé, qu’il demande bien l’autorisation du juge pour chaque dépense importante… Un travail de titan, souvent mené à bien à la faveur de l’accalmie estivale.

Téléphone… « Madame Lampoix, pour une nationalité », m’annonce-ton.

« Bonjour Madame, voilà, j’ai voulu refaire ma carte d’identité pour les élections, et la mairie me demande …. Aahh, attendez, je l’ai noté là….

J’anticipe, la suite, je la connais par cœur :

- un certificat de nationalité française ?

- oui, c’est ça. Alors, c’est quoi ? Je suis française, moi, j’ai 52 ans et on ne m’a jamais rien demandé avant ! C’est nouveau ?

Le juge entrouvre la porte. Je lui fais signe d’entrer…

- non, madame, le certificat de nationalité n’a rien de nouveau, ce sont les instructions données aux préfectures qui ont changé. Cette demande est devenue systématique si vous ou vos parents êtes nés à l’étranger.

Commencent le jeu de question réponse classique :

- Où êtes vous née ?

- A Tananarive (argh, Madagascar, je sais pas pourquoi, je sens que je vais ramer ! )

- Et vos parents ?

- Ma mère à Hanoï et mon père à N’Djamena … ( qu’est-ce que je disais ! ).

Impossible d’en savoir plus par téléphone. Je lui énonce une première liste de pièces dont je vais avoir besoin, lui précise qu’il en faudra peut-être d’autres après étude de son dossier. Je sens qu’elle panique, qu’elle ne comprend pas. Elle me répète qu’elle a toujours eu des papiers français, ses parents aussi : son père était militaire dans l’armée française, son grand-père également.

Je la rassure. Si les pièces dont elle dispose sont insuffisantes pour déterminer comment elle est française, on fera jouer la possession d’état sur deux générations. Elle aura de toute façon son certificat la semaine prochaine. Rendez-vous est pris après demain, pour qu’elle me remette son dossier, je veux pouvoir trier les pièces avec elle pour pouvoir lui demander sur le champ des précisions, si besoin.

Je raccroche. Le magistrat me regarde, embarrassé : «M. Dubois m’a appelé : je le connais un peu, il a fait des travaux chez moi. Il s’inquiète de n’avoir toujours pas été payé pour le changement de vitre début janvier… » . Effectivement, l’artisan avait accepté d’intervenir en urgence après que quelques fêtards du nouvel an aient pris la juridiction pour cible et brisé la plus haute vitre de la porte du palais : échafaudage, lourde grille en fonte à déposer puis reposer, la note est salée et je n’ai toujours pas l’ombre d’un euro sur mon budget. Je promets de l’appeler et m’engage à faire passer sa facture en premier lorsque les crédits seront débloqués. Ce genre de retard met souvent en péril les petits artisans qui ont peu de trésorerie, et pourtant, les instructions sont de faire passer en priorité les sociétés d’électricité ou de gaz, qui appliquent automatiquement les intérêts moratoires en cas de retard…

14h : Téléphone : « Bonjour, office HLM de Troupaumé, je souhaiterais parler au greffier en chef s’il vous plait. ». Là, pour tout vous dire, j’ai une furieuse envie de me planquer sous le bureau et de dire que, non, désolé, de greffier en chef, ici, il n’y en a plus, vous savez, avec la réforme de la carte judidciaire et tout ça… Car je sais d’avance le cauchemar qui me guette. La bête noire du greffier en chef de tribunal d’instance : l’apposition de scellés.

Quand j’entends ce dernier mot, une sorte de mécanisme d’autodéfense se met en route et je repasse mentalement tous les arguments dissuasifs dont je dispose (et je vous assure que je fais de mon mieux pour en enrichir la liste à chaque appel !).

De quoi s’agit-il concrètement ? Sur le papier, c’est simple : quelqu’un est mort et, au choix, n’a pas d’héritier connu ou a au contraire une descendance qui rêve de tout rafler avant son frère / sa mère / sa cousine (rayez la mention inutile). On me demande donc de venir inventorier les biens du défunt et d’apposer des scellés afin d’éviter que des biens ne « disparaissent ».

Pourquoi est-ce un cauchemar ? Parce que, déjà, ça n’a rien d’agréable d’aller fouiller les tiroirs d’un mort qu’on ne connaît ni d’Eve, ni d’Adam. Ensuite et surtout, parce que dans l’immense majorité des cas, il s’agit de personnes démunies, qui vivaient seules, dans des conditions d’hygiènes douteuses. Je vous passe les détails et les anecdotes.

Et l’office HLM, dans tout ça, me direz-vous ? Il veut récupérer son appartement, pardi ! Il souhaite donc être autorisé à « cantonner » les biens dans un garde-meuble pour libérer le logement.

Après un échec flagrant de mes échappatoires, je me résous à apposer. Je m’enquiers cependant de l’état du logement. Heureusement ! L’office m’informe que le défunt a été découvert dans sa baignoire 10 jours après son décès et que les insectes grouillent. Je vous laisse imaginer. Je vais faire venir un service de désinsectisation et de nettoyage. L’apposition attendra la semaine prochaine….

Mercredi :

C’est le jour des enfants. Je sais d’avance que je vais être interrompue fréquemment par des demandes de nationalité. Quant aux procurations, je continue de plus belle à distribuer des autographes. Il faudrait quand même qu’on m’explique pourquoi cette attribution n’est pas délégable aux greffiers…

10h : Un jeune garçon m’attend pour constituer un dossier d’acquisition de nationalité par « naissance et résidence ». Rien de complexe : il suffit de prouver que ses parents sont en situation régulière, qu’il est né en France et qu’il y a résidé les cinq dernières années. Des certificats de scolarité font l’affaire. Il me tend son acte de naissance. Surprise ! Les parents, de nationalité algérienne, sont tous deux nés en France. L’enfant a donc toujours été français. Cela n’a semble-t-il pas effleuré les services de la préfecture, qui lui ont délivré un « titre républicain d’identité », équivalent, pour les mineurs, du titre de séjour. Le dossier de déclaration de nationalité devient donc une demande de certificat de nationalité.

10h15 : Encore un jeune homme, 17 ans. Il vient « pour le service militaire ». La première fois, j’avoue que j’ai eu du mal à saisir. En fait, il vient demander un certificat de nationalité française, qui lui permettra de ne pas aller faire son service militaire en Turquie. Il a acquis la nationalité par naissance et résidence à l’âge de treize ans.

Liste des pièces en main, je lui explique ce dont j’ai besoin.

- Votre déclaration de nationalité…

- J’ai pas ça, madame !

- Mais si, vous l’avez. C’est inscrit sur votre acte de naissance. Vous êtes venu ici quand vous aviez 13 ans pour devenir français.

- Moi chuis français, m’dame, chuis né en France !

Et de lui expliquer que, non, il n’est pas français parce qu’il est né en France, mais bien parce qu’il a souscrit une déclaration de nationalité…

- Vous l’avez certainement. C’est un papier très important, qui prouve que vous êtes français, vous ne pouvez pas l’avoir perdu. Demandez à votre maman, elle l’a forcément gardé.

Il traduit mes propos à sa mère, qui fouille dans son sac et sort une pochette. Bien sûr qu’elle l’a gardée. Elle l’a même faite plastifier pour qu’elle ne soit pas abîmée. Bien plus que son fils elle connaît la valeur de ce sésame.

19h30 : j’ai enfin bouclé mes tableaux budgétaires pour la réunion de demain. Je les donne pour info au juge, qui est encore là,. Au milieu d’une chaîne de montagne constituée de dossiers de tutelle, de saisies des rémunérations et de contraventions de 5è classe, il lui reste peut-être un demi mètre carré pour écrire : le bureau ancien dont il dispose est certes très joli, mais loin d’être fonctionnel…

Jeudi :

Je tente de traiter un maximum de choses avant de partir à la Cour (2h30 de route aller-retour, plus la durée de la réunion qui ne va pas manquer de s’éterniser...).

Les demandes de congés pour les vacances de Pâques : j’ai juste à officialiser, l’organisation s’est faite comme toujours autour du café du matin. Tout le monde s’est mis d’accord sans problème. J’ai la chance d’être à la tête d’un greffe qui roule tout seul, ou presque.

Une greffière m’appelle pour un problème informatique. Je revêts une de mes multiples casquettes : celle de « CLI », correspondant local informatique. Quelques bidouillages plus tard, l’affaire est réglée, mais on me demande au téléphone. Les services des statistiques du ministère ont constaté des divergences entre les chiffres que j’ai envoyés, comme chaque mois, et ceux relevés automatiquement sur nos logiciels. Je suis aimablement priée de procéder à un « comptage manuel ». Ca attendra.

A peine raccroché, cela sonne à nouveau. Encore une apposition de scellés. Décidemment, ce n’est pas ma semaine. Cette fois c’est le notaire qui me demande de venir, le lendemain matin à 10h. Je lui explique que généralement, c’est moi qui fixe les rendez-vous aux justiciables et non l’inverse. « Je suis désolé, c’est un peu particulier…

- mais encore ?

- tous les enfants sont dans la maison de leur père, décédé hier. Chacun surveille l’autre. Le seul point sur lequel ils sont d’accord, c’est qu’ils veulent que l’apposition soit faite immédiatement après la levée du corps.

- charmant … va pour demain 10h».

Reste à savoir qui va partager cette réjouissance avec moi : il faut y aller à deux. J’essaie de changer de fonctionnaire à chaque fois. Une fois la volontaire désignée, je m’échappe pour ne pas être en retard à la Cour.

14h : La réunion devrait commencer, mais pour l’instant, nous sommes trois.

14h30 : La ponctualité ne paie pas. A tout seigneur tout honneur, on commence par le budget de la Cour d’Appel, puis celui des TGI du ressort les TI ne passeront qu’ensuite. Une bonne nouvelle tout de même, 30% du budget vont être alloués. Nous allons enfin pouvoir payer les factures et passer les commandes les plus urgentes.

On examine les demandes « de programme » (c'est-à-dire d’investissement, par opposition aux demandes « de base »). Deux heures à entendre parler de télésurveillance, portiques de sécurité et caméras. Deux portiques pour la Cour : c’est le budget annuel de mon TI.

16h45, c’est enfin mon tour. Je n’ai qu’une demande. La même depuis trois ans : j’aimerais une rampe d’accès handicapés sur le parvis. J’ai fourni deux devis. « Il en faut trois ». J’ai ceux des années précédentes. Je tente de leur faire comprendre qu’au bout de 3 ans, les artisans en ont marre de se déplacer et de perdre du temps à refaire toujours les mêmes devis alors que les travaux ne sont jamais réalisés. Alea jacta est. Réponse dans quelques semaines. Je n’ai guère d’espoir. Je reprends la route pour rejoindre mes pénates, en pensant à tout ce que j’aurais pu faire si j’étais restée au bureau.

Vendredi :

9h : Pliées de rire, la greffière et moi comparons nos tenues de combat pour l’apposition de scellés : survêtement de la belle époque où « Macumba » dominaient le top 50 et tennis qui se souviennent de la victoire de Noah à Rolland-Garros pour elle, combinaison façon Valérie Damidot, mais en pire, pour moi : on sent l’expérience. Un coup d’œil à la mallette pour être sûres de ne rien oublier : les gants, si c’est sale, le Vicks, si ça sent mauvais, la cire, la Marianne, le ruban rouge, les étiquettes, le dossier, les ciseaux, le marteau et les clous, si la cire ne tient pas…

10h : Nous suivons péniblement les instructions du notaire pour trouver la maison et le corbillard que nous croisons est un bon présage : nous sommes moins perdues qu’on ne le pensait.

11h30 : Après plus d’une heure d’inventaire soigneux, en présence de tous les membres de la fratrie qui se regardent en chiens de faïence, j’appose l’ultime cachet de cire à l’endroit le plus discret de la porte : les étiquettes « respect à la loi », se traduisent en langage cambrioleur par « entrez donc, servez-vous, il n’y a personne ». Je ramène mon butin pour le coffre-fort du greffe : les clefs de la maison, les papiers d’identité, chéquiers, quelques euros en liquide.

13h : Une de mes fonctionnaires me demande l’autorisation de partir une heure plus tôt pour aller chez le médecin. Elle m’assure qu’elle restera plus tard le soir. Précision inutile. Elle reste toujours plus tard le soir. Comme tous ici, elle ne compte pas ses heures. Nous discutons un long moment. Elle m’explique ses problèmes de santé, me parle à mots couverts de ses appréhensions à l’idée de prendre prochainement sa retraite après presque 20 années dans le même greffe.

14h : Je fais des comptes d’apothicaire, tentant d’utiliser le plus stratégiquement possible les quelques euros débloqués par la Cour : paiement du vitrier en premier, comme promis. Puis des factures dont l’échéance est proche ou dépassée. Il me reste encore quelques sous, mais pas suffisamment pour ma commande de fournitures. Je la reprends : au sein de cette liste où tout est urgent, je vais encore devoir « prioriser ».

17h : Je m’échappe tôt aujourd’hui, une pile de comptes de tutelles sous le bras. Je me ravise et les repose sur mon bureau : j’ai la ferme intention de profiter de mon week-end. Les élections se profilent et avec elles les permanences du dimanche dans un TI désert…

Notes

[1] Vous savez, ces juridictions inutiles dont 200 viennent d'être supprimés pour rapprocher la justice du citoyen...

[2] Le sceau est fixé par un arrêté du 8 septembre 1848 :une femme assise, effigie de la Liberté, tient de la main droite un faisceau de licteur et de la main gauche un gouvernail sur lequel figure un coq gaulois, la patte sur un globe. Une urne portant les initiales SU rappelle la grande innovation que fut l'adoption du suffrage universel direct en 1848. Aux pieds de la Liberté, se trouvent des attributs des beaux arts et de l'agriculture. Le sceau porte comme inscription "République française" et sur le pourtour la mention de l'autorité qui la détient ("Tribunal de grande instance de Framboisy", "préfecture du Blog Maritime", etc...)

[3] Un dossier relatif à la nationalité française. NdEolas.

jeudi 5 juillet 2007

Le jugement dans l'affaire Petite Anglaise

Le Conseil de prud'hommes de Paris vient de notifier le texte de son jugement à Petite Anglaise et à son employeur, ce qui fait courir le délai d'appel. En attendant de savoir s'il y aura un deuxième round, voici ce qu'a donné le premier.

Je vous rappelle que le Conseil de prud'hommes statue saisi par Petite Anglaise, en contestation d'une décision de licenciement, qui juridiquement est la résiliation unilatérale d'un contrat. Le litige est strictement circonscrit aux faits contenus dans la lettre de licenciement : seuls ceux-ci peuvent faire l'objet d'une discussion devant le Conseil, et c'est à eux que le Conseil va répondre.

Le Conseil, confronté à des questions juridiques, a voulu faire du droit. Il faut lui rendre cet hommage, quand bien même ses attendus sont parfois d'une rédaction, disons-le, un peu bancale.

Je commence directement aux motifs de la décision, et insère mes commentaires. J'ai substitué aux prénom et nom de la demanderesse son pseudonyme internet par égard pour sa vie privée ; je n'ai pas fait de même pour son employeur car il s'agit d'une personne morale qui, partant, n'a pas de vie privée.


Attendu que d’une part le contrat de travail doit, comme tout contrat de droit commun, être exécuté de bonne foi suivant les dispositions de l’article L.120-4 du Code du Travail et 1134 du Code Civil ;

Attendu que la lettre de licenciement fixe les limites du litige et que le Conseil a examiné les faits ;

Attendu qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement et qu’il doit constater la matérialité des faits allégués comme caractérisant une faute professionnelle invoquée par l’employeur; qu’en énonçant que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse sans constater que les faits allégués comme caractérisant la faute professionnelle du salarié étaient établis, au regard de l’article L. 122-14-3 du Code du Travail ;

Oui, il manque un bout à cette dernière phrase. Le Conseil rappelle les règles qu'il va appliquer : le licenciement doit reposer sur des faits précis, articulés et prouvés, et seul le Conseil est compétent pour décider s'il constituent ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Attendu que la lettre de licenciement est suffisamment motivée et répond aux exigences posées de l’article L.122-14-2 du Code du Travail dans la mesure où elle permet au juge du fond de pouvoir vérifier tout à la fois le caractère réel et sérieux des griefs retenus à l’encontre de la salariée pour la licencier ;

Premier point pour Dixon Wilson, la lettre est, en la forme, suffisante. Je l'avais déjà relevé.

Attendu que le blogger (ou blogueur), puisque c'est le nom qu'on lui donne, est bien, au sens de la loi, “éditeur d'un service de communication publique en ligne”. Qu’il est responsable des contenus diffusés et doit s’identifier soit directement en ligne par ce que l’on appelle la “notice légale” soit, s’il s’agit d’un blog non professionnel, auprès de son hébergeur ;

C'est la LCEN, fort bien résumée.

Attendu que la liberté d’expression est un droit fondamental reconnu dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme, la Science et la Culture (UNESCO), le Pacte international Relatif aux Droits Civils et Politiques, ainsi que dans d’autres instruments internationaux et constitutions nationales; que la FRANCE est assujettie au cadre juridique établi pas les principes de l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'homme que le Conseil réaffirme la teneur de l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, lequel stipule que le droit à la liberté d’expression comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières et par n’importe quel moyen de communications ;

Attendu que le Conseil considère l’importance de la liberté d’expression pour le développement et la protection des Droits de l’Homme, le rôle fondamental que lui reconnaît la Commission Européenne des Droits de l'Homme et le plein appui manifesté a l’égard de la création du Bureau pour la liberté d’expression, comme instrument fondamental pour la protection de ce droit ;

Ces paragraphes me plongent dans des abîmes de perplexité. Je crains fort que le Conseil n'ait purement et simplement inventé la première convention citée ; je passe sur l'invocation des constitutions nationales étrangères, qui sont juridiquement inapplicables à l'espèce, pour saluer la réaffirmation solennelle de la teneur de l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme par le Conseil de Prud'hommes de Paris, section activités diverses. Pour résumer plus sobrement : le Conseil rappelle que la liberté d'expression est une valeur fondamentale, qu'il entend bien protéger dans les dossiers qui lui sont soumis. Mais le Conseil ne s'arrête pas là.

Attendu que la liberté de la presse est essentielle à la réalisation de l’exercice effectif et total de la liberté d’expression et qu’elle est indispensable au fonctionnement de la démocratie représentative, par l’entremise de laquelle les individus exercent leur droit de recevoir, de diffuser et de rechercher de l’information qu’il est de nature que la liberté d’expression, sous toutes ses formes et manifestations, est un droit fondamental et inaliénable de toute personne qu’elle est également indispensable à l’existence même de toute société démocratique ;

Je ne crois pas que le cabinet Dixon Wilson ait un seul instant prétendu le contraire. J'ai l'impression que le Conseil, lors de son délibéré, qui était à l'époque du procès Charlie Hebdo, n'ait été particulièrement sensibilisé au problème de la liberté d'expression. Fort bien, elle était effectivement en cause ici ; mais précisément le monde du travail est un monde qui impose une limite à la liberté d'expression, notamment en obligeant le salarié à fournir un travail plutôt que recevoir, diffuser et rechercher de l’information. C'est dans la limitation acceptable à cette liberté que se situe le problème, pas dans la proclamation d'une liberté que nul ne conteste.

Attendu que le Conseil se pose surtout la problématique du blogueur, en [la] personne Madame Petite ANGLAISE, vis-à-vis de son employeur, le CABINET DIXON WILSON ; que le Conseil rappelle la rédaction de l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen:

- La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ;

Qu’en l’espèce, la loi qui s’applique est la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, avec les adaptations apportées par la LCEN aux spécificités du support informatique ;

Heu, oui, ces adaptations se résumant à substituer à l'expression « communication audiovisuelle » les mots « communication au public par voie électronique » à l'article 23 de cette loi. La LCEN est en fait un texte essentiellement autonome, et non un texte modificateur.

Bon, venons en aux faits. Premier grief : la diffamation et l'injure.

Attendu qu’il est reproché à Madame Petite ANGLAISE d’avoir publié plusieurs articles sur son blog créé en 2004 : www.petiteanglaise.com et de fait d’avoir dénigré le CABINET DIXON WILSON et des membres du personnel en tenant des propos diffamatoires et injurieux ; que d’autant plus, en médiatisant son site à travers plusieurs parutions dans des journaux de presse, notamment celle du 16 février 2006 dans Le Parisien, elle aurait nui à l’entreprise ; que les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont l’injure et la diffamation ; que la diffamation, donc, est définie ainsi comme toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé et que l’injure est toute expression outrageante ne contenant l’imputation d'aucun fait ;

Attendu que le Conseil a pris soin d’examiner d’après les éléments de preuves apportés par les parties si, tout d’abord, les propos tenus dans le blog permettaient soit d’identifier ou soit de rendre au moins identifiable le cabinet DIXON WILSON, que le Conseil constate que le blog était écrit en anglais et que Madame Petite ANGLAISE s’identifiait sur le blog sous le pseudonyme «la petite anglaise» et qu’il n'apparaît à aucun moment le nom du le CABINET DIXON WILSON ni les noms d’aucun salarié que le CABINET DIXON WILSON n’a jamais été visé, ni identifié pendant les deux années de vie du blog avant le licenciement de Madame Petite ANGLAISE ; qu’en prenant, par exemple, même l’article disant :

«''Lorsque ça se passait mal en début d’année j’ai failli créer un blog parallèle secret nommé mon patron est un enculé [a twunt] pour me défouler. Je raconterai ces histoires un jour, quand je ne travaillerai plus pour lui ... »

Je précise que la traduction de twunt par "enculé" a été proposée par le Cabinet DIXON WILSON. On ne saurait les blâmer : ce sont des comptables, pas des littéraires. Mais ils restent débiteurs de la vérité.

Twunt est un néologisme argotique, composé d'un mélange de deux mots grossiers, twat et cunt, qui désignent tous deux l'organe sexuel féminin. Dès lors, le traduire par "enculé" démontre une méconnaissance de l'anglais, de l'anatomie, et de la grammaire, car ils traduisent un génitif par un participe passé.

Cry in shame, o Britannia, for thy sons have turned into illiterates.

Laissons là l'anglais piétiné pour en revenir au français malmené.

Que le Conseil n’a constaté aucun propos diffamatoire ou injure qui porte atteinte à l’entreprise car il n’y a aucun moyen de pouvoir identifier les personnes ; que le Conseil affirme que Madame Petite ANGLAISE n’a fait que relater, sous une certaine forme de romance, sa vie personnelle et parfois professionnelle tout en restant inidentifiable ; que le CABINET DIXON WILSON ne peut prouver l’existence d’aucun préjudice car il n’a appris l’existence de ce blog par un autre salarié, Monsieur P..., qu’en février 2006, soit plus de 2 ans après sa création ;

La diffamation et l'injure supposent en effet que le destinataire soit identifiable, car seul lui peut s'en plaindre. Le fait que deux ans durant, l'employeur n'ait pas été au courant de l'existence de ce blog n'a par contre aucune pertinence pour la diffamation et l'injure ; il en a en revanche pour le grief suivant : le fait que Petite Anglaise ait consacré du temps de travail à son blog.

Attendu qu’il est précisé que Madame Petite ANGLAISE écrivait de chez elle la plupart du temps en dehors des heures qu'elle consacrait à son activité professionnelle;

Mais attendu qu’elle reconnaît explicitement qu’elle a parfois écrit durant ses temps de pause ou dans des moments d’activité très réduite; que le Conseil retient que le CABINET DIXON WILSON n’apporte aucun élément de preuve pouvant démontrer que cela a nui à son travail depuis les deux années d’existence dudit blog ;

Attendu que le Conseil affirme aussi le principe que la sphère privée est séparée de la sphère professionnelle et que Madame Petite ANGLAISE ne peut être punie pour un comportement qu'elle adopte dans sa vie privée ou en dehors de ses heures de travail que son comportement n’a causé aucun trouble au CABINET DIXON WILSON ; que l'article 9 du Code Civil pose le principe du droit de chacun au respect de sa vie privée ;

Attendu que le Conseil ne constate aucune violation [de] l’article 8 du contrat de travail de Madame Petite ANGLAISE concernant la durée légale du travail du fait que la salariée a respecté ses horaires de travail et n’a aucune absence injustifiée ; qu’il ne peut être retenu le fait de consulter un site pendant les temps de pause ou certains moments d’inactivité dus à l’absence de son supérieur hiérarchique en sachant que Madame Petite ANGLAISE était secrétaire bilingue ; que le Conseil ne peut retenir ce motif comme légitime car il est matériellement invérifiable, tout en sachant que la plupart des salariés consultent des sites internet sur leurs lieux de travail ;

Position très sage que celle du Conseil. L'essentiel du "blogage" de Petite Anglaise était fait en dehors des heures de travail : l'employeur n'a rien à y redire, puisqu'il a déjà été démontré que le contenu du blog n'a pas nui à l'employeur. Protection de la sphère privée que la salariée n'a pas mélangé avec la sphère professionnelle. La salariée reconnaît avoir consacré son temps de pause et des moments d'inactivité à son blog. Cela ne lui était pas interdit, car l'obligation de travailler pour son employeur suppose comme corollaire l'obligation pour l'employeur de lui fournir du travail. Si l'employeur ne lui en fournit pas, on ne peut lui reprocher à tort de faire autre chose.

L'employeur invoquait aussi la très savonneuse déloyauté entraînant une perte de confiance. Cet argument est sommairement exécuté.

Attendu que sur la violation de l’article 14 du contrat de travail précisant la clause de conscience, le Conseil ne retient aucun acte déloyal dans l’exécution du contrat de travail de Madame Petite ANGLAISE et que la perte de confiance ne peut justifier un licenciement ;

Enfin, dernier grief, la salariée aurait installé et utilisé des logiciels autres que ceux fournis par l'entreprise, ou les logiciels de l'entreprise à des fins personnelles, en violation du règlement intérieur.

Attendu que le Conseil affirme que l’article 13.24 du règlement intérieur n’est pas applicable au blog de Madame Petite ANGLAISE, dans la mesure où celui-ci concerne l’utilisation des systèmes de courrier électronique, de télécopie ou d’internet dans l’entreprise ; qu’il est donc interdit d’utiliser la messagerie électronique du CABINET DIXON WILSON pour transmettre des messages injurieux, perturbateurs ou offensants ;

Mais attendu que Madame Petite ANGLAISE a toujours utilisé son adresse électronique pour son usage professionnel ; que le Conseil constate que Madame Petite ANGLAISE utilisait le logiciel «CUTE FTP » uniquement à un usage professionnel afin de transmettre certains fichiers et pièces jointes à son patron sur un site web ; qu’il ne peut donc lui être reproché ;

Comme ont dit pudiquement : le moyen manque en fait ; c'est à dire qu'il ne repose sur rien.

Attendu qu’un tel agissement de la part du CABINET DIXON WILSON a causé nécessairement un préjudice à la salariée, préjudice qu’il convient de réparer ;

Le Conseil détermine ensuite les aspects financiers de sa décision, que j'avais indiqués en son temps.

Les parties ont un mois pour faire appel à compter de cette signification. On verra ce que décide Dixon Wilson, Petite Anglaise n'ayant pas à ma connaissance l'intention de le faire.

Pour résumer, cette décision considère qu'un salarié peut parler de son travail sur son blog, même en termes critiques, à la condition que son employeur ne soit pas identifiable. A contrario, on peut en déduire que s'il l'était, le Conseil pourrait considérer qu'il y a une cause réelle et sérieuse, si les propos nuisent à l'entreprise, notamment en étant diffamatoires ou injurieux.

Il peut même bloguer depuis son poste de travail avec le matériel de l'entreprise s'il ne nuit pas à l'employeur en ce faisant : c'est à dire sans le faire passer avant son travail, et dans le respect du règlement intérieur. Donc : sur ses temps de pause, ou dans les phases d'inactivité.

Références de la décision : Conseil de Prud'hommes de Paris, Section activités diverses, chambre 5, 29 mars 2007, R.G. n°F06/08171.

lundi 7 août 2006

La loi DADVSI commentée

Où l'auteur, après un travail digne d'Hercule, sort de son mutisme et pond un pavé comme il en a rarement fait.

Lire la suite...

jeudi 27 juillet 2006

Loi DADVSI : Le conseil constitutionnel a rendu sa décision

Et quelle décision.

Il censure plusieurs dispositions de la loi, mais que les adversaires de la loi DADVSI ne se réjouissent pas trop vite : toutes ces annulations durcissent considérablement le texte. Je ne suis pas sûr et certain que les parlementaires du PS avaient cet objectif en tête en déposant leur recours. Il faut vraiment qu'ils se forment au contentieux constitutionnel.

Et en prime, le pauvre Renaud Donnedieu de Vabres se prend une gifle sur ce qu'il présentait comme mesure phare du texte. Ce texte aura, jusqu'au bout, été son chemin de croix.

Ainsi, sont censurées les dispositions suivantes :

► L'exonération de responsabilité pénale de celui qui met sciemment à la disposition du public un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'oeuvres ou d'objets protégés et l'incitation publique à l'utilisation dudit logiciel si ce logiciel est destiné au travail collaboratif, à la recherche ou à l'échange de fichiers ou d'objets non soumis à la rémunération du droit d'auteur (le délit né du fameux amendement Vivendi Universal).

Le conseil estime que la notion de travail collaboratif est trop imprécise au regard de l'exigence de légalité des délits et des peines[1], et surtout qu'une telle disposition lèse les droits voisins du droit d'auteur[2] et les droits moraux de ceux qui ont renoncé à la rémunération du droit d'auteur (c'est le logiciel libre qui entre autres visé ici). Toute l'exception saute, les logiciels manifestement destinés à la mise à disposition du public d'oeuvres ou objets protégés sont illégaux en soi.

► Gros, énorme pavé dans la mare : l'exonération de responsabilité pénale du délit d'atteinte aux mesures techniques de protection (les DRM, principalement) si elle est réalisée à des fins d'intéropérabilité.

Le Conseil estime que la notion "d'intéropérabilité", aurait dû être définie par la loi. Comme ce n'est pas le cas, ce concept flou porte atteinte au principe de légalité des délits et des peines. Dès lors, le DRM devient intouchable, la loi prévoyant une autre exceptions aux fins de recherche, le conseil précisant que le mot recherche doit s'entendre de la recherche scientifique en cryptographie et à condition qu'elle ne tende pas à porter préjudice aux titulaires des droits.

Bref, votre fichier iTunes ne va pas sur votre walkman Sony ? Tant pis pour vous. Si vous tripatouillez les DRM, c'est trois ans de prison. Rachetez le ou gravez le au format audio.

► Là, ce n'est plus un pavé, c'est un rocher qui tombe dans la mare et éclabousse le ministre de la culture. Vous vous souvenez que RDDV répétait à qui voulait l'entendre que la prison pour les jeunes qui téléchargent sur les réseaux P2P, c'est fini ? Que désormais, ce serait une amende de 38 euros ?

Perdu. Ce sera la prison.

Le conseil a déclaré entièrement contraire à la constitution l'article (24) qui instituait cette contravention à la place du délit normal de contrefaçon, au motif qu'au regard de l'atteinte portée au droit d'auteur ou aux droits voisins, les personnes qui se livrent, à des fins personnelles, à la reproduction non autorisée ou à la communication au public d'objets protégés au titre de ces droits sont placées dans la même situation, qu'elles utilisent un logiciel d'échange de pair à pair ou d'autres services de communication au public en ligne ; que les particularités des réseaux d'échange de pair à pair ne permettent pas de justifier la différence de traitement qu'instaure la disposition contestée. Pour le Conseil, télécharger sur e-Mule ou en FTP, c'est kif kif bourricot[3]. Tout le monde en prison.

Bref, la loi DADVSI va entrer en vigueur, et pas en version light, plutôt en version hardcore. Le texte va être promulgué dans les prochains jours, probablement ce week end.

Je sens que ça va faire un barouf de tous les diables sur internet.

Notes

[1] Qui exige que tout texte instituant une infraction pénale soit parfaitement clair et univoque, pour éviter des interprétations divergentes portant atteinte au principe d'égalité devant la loi.

[2] On appelle droit voisin le droit de l'interprète de l'oeuvre. Quand Vanessa Paradis chante Tandem, Serge Gainsbourg (enfin ses héritiers) touche les droits d'auteur. Henri Langolf, le compositeur de la musique, touche aussi des droits d'auteur. Vanessa Paradis, elle, n'est en rien l'auteur de l'oeuvre, mais elle a droit à rémunération car c'est son interprétation qui fait le succès de l'oeuvre (il y a des gens bizarre, je sais). Ces droits, qui ne sont pas des droits d'auteur mais qui leur ressemblent, sont appelés droits voisins (du droit d'auteur).

[3] Humour. e-Mule, bourricot. Non ? Personne ne trouve ça drôle ?

jeudi 20 juillet 2006

La lettre de licenciement de Petite Anglaise

Où l'auteur publie et décortique la pièce centrale du procès du siècle et propose à ses lecteurs de se faire leur opinion, ou de partager la sienne.

Lire la suite...

- page 1 de 2

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.