Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 5 juin 2006

lundi 5 juin 2006

L'honneur d'un avocat est-il imprescriptible (2)

Je reviens une dernière fois sur le débat né de ma prise de position approuvant le double refus de deux barreaux méridionaux d'accepter en leur sein une personne ayant été condamnée pour des faits de vol à main armée.

Ma position est désapprouvée par nombre de lecteurs, et approuvée par les membres de l'institution judiciaire, à une remarquable exception près, qui ne s'est pas encore exprimée mais dont j'attend le point de vue en tremblant de peur.

Le sujet est polémique à souhait puisqu'il existe d'excellents arguments contre mon point de vue. J'en ai pris connaissance avec intérêt, les ai confronté à mon point de vue qui, s'il a été secoué, ne s'est pas effondré pour autant. Merci en tout cas, sincèrement, de m'avoir ainsi contraint à réfléchir à deux fois sur mon opinion, c'est un exercice très sain.

Je voudrais juste répondre collectivement à une série d'objections que je trouve mal fondées car on me prête des idées ou des intentions qui ne sont pas les miennes.

N'y a-t-il pas contradiction à défendre des criminels et des délinquants et leur refuser le pardon ?

Point de vue exprimé avec plusieurs variantes, y compris come qui va jusqu'à m'accuser de refuser son humanité à cette personne.

La réponse est oui, sans aucun doute. Mais je ne pense pas être tombée dans le piège de cette contradiction.

Du strict point de vue pénal, cet homme a apuré son passé, et la justice lui en a donné quitus. A titre personnel, je suis persuadé que sa rédemption est sincère et que plus jamais il ne commettra de tels faits. Mais l'obstacle mis à son accession au barreau n'est pas une sanction pénale. On peut même discuter du caractère de sanction : la rédaction de la loi évoque plutôt une incapacité définitive.

La cour de cassation a précisé dans un arrêt de 1997 que la réhabilitation, qui efface le passé judiciaire avec les mêmes effets que l'amnistie, ne fait pas disparaître les faits. On ne peut plus faire mention de la condamnation quand on en a connaissance dans l'exercice de ses fonctions, mais on peut encore mentionner les faits.

Hypocrisie, argutie de juriste ? Non, réalisme et même argument philosophique.

La réhabilitation, l'amnistie, bref tout ce qui entraîne l'effacement du passé pénal est une fiction juridique : la loi impose un effet contraire à la réalité : faire comme si ce qui a existé n'avait jamais existé. L'hypocrisie se situe d'ailleurs plutôt là, mais c'est pour la bonne cause. Cependant, la loi pénale est d'interprétation stricte, et ces effets ne peuvent aller au-delà des strictes conséquences que la loi a énoncées : casier effacé, interdiction de mentionner la condamnation. Mais les faits, eux, ne sont pas effacés rétroactivement, et il serait absurde et inhumain que d'imposer au policier blessé d'ignorer qu'il a été blessé dans l'exercice de ses fonctions, d'obliger les agents du bureau et les usagers présents à balayer de leur souvenir l'irruption d'un homme armé qui les a menacé. Pour ces personnes, 25 ans écoulés n'ont pas fait disparaître le souvenir. Invoquer des principes moraux pour exiger l'oubli me paraît une contradiction plus grave que celle qu'on m'impute.

Autre argument, juridique celui-là : oui, la loi, en l'espèce le code pénal, impose un oubli judiciaire après l'écoulement d'un laps de temps ; mais la loi fait aussi obstacle à ce que l'auteur de faits contraires à la probité ayant donné lieu à condamnation pénale soit admis à exercer la profession d'avocat. En présence de deux textes qui ne sont pas inconciliables, il y a lieu d'appliquer les deux. Le code pénal n'est pas supérieur à la loi de 1971, pas plus que cette loi n'est supérieure au Code pénal. Ainsi, cette personne est elle considérée par la justice comme n'ayant jamais commis d'infraction, mais c'est un mensonge voulu par la loi. Ce mensonge s'arrête aux seuls effets voulus par la loi, qui concerne des poursuites pénales. La vérité est que cette personne a commis une infraction grave, et que la loi y attache une conséquence : le barreau lui est fermé.

Ce n'est pas une question de pardon refusé. Je n'ai rien à pardonner à ce monsieur, qui ne m'a rien fait. Ce n'est pas refuser sa réhabilitation, je la crois complète et parfaite. Mais c'est simplement admettre que les actes que nous commettons volontairement entrainent des conséquences qui sont perpétuelles. Un meurtrier réhabilité a toujours un mort sur la conscience. Un chauffard réhabilité a toujours estropié quelqu'un à vie. La rédemption ne résuscite pas les morts, ne guérit pas les paralytiques, n'efface pas les souvenirs des victimes, ne change pas rétroactivement ce qui a été, et il serait très malsain de laisser croire que la loi pourrait avoir de tels effets.

Pourquoi la profession d'avocat serait-elle à part ? Ne pourrait-on objecter la même chose pour toutes les professions ? Puisqu'il existe des avocats en exercice peu honnêtes, pourquoi ne pas admettre un ancien condamné qui lui semble désormais honnête ? N'est ce pas là un prétexte pour limiter le nombre d'avocat à ce barreau et protéger les avocats en exercice par une rente de situation ?

Si vraiment certains lecteurs ne comprennent pas pourquoi avocat est une profession à part, c'est que manifestement, j'ai échoué avec ce blog (l'hypothèse d'une mauvaise foi de leur part étant naturellement exclue). Pour l'exercice de mes fonctions, j'ai accès aux maisons d'arrêt, liberté surveillée, certes, mais qu'on ne peut me refuser ; j'ai accès aux dossiers d'instructions couverts par le secret ; j'ai accès aux coordonnées personnelles des victimes, des témoins, je peux parler seul à seul avec une personne en garde à vue et rien ne peut m'empêcher, ni vu ni connu, de lui donner mon téléphone portable, ou de prévenir discrètement telle ou telle personne dont il m'aura indiqué les coordonnées. Si je parle, des gens peuvent mourir, être agressés, être gravement menacés (pensez aux dossier de terrorisme ou de criminalité organisée). Et je suis payé par les gens qui ont intérêt à ce que je parle. Quand je dis que la probité est essentielle dans ma profession, il faut un dessin en plus, ou en fait, tout ce qui importe est que les ânes puissent braire sur la vanité des avocats ?

Quid des avocats peu scrupuleux (et peu nombreux) qui portent la robe ? Qu'on la leur arrache. Leur existence ne justifie pas un abaissement des barrières lors du recrutement. Et leur invocation qui ne s'est pas fait attendre me renforce dans ma conviction : je ne doute pas que les mêmes qui pestent contre cette décision en se gaussant de la moralité de certains avocats en titre ne manqueraient pas de rappeler à l'envi qu'un ancien braqueur porte la robe si cela devait arriver. Leur propos n'est donc pas l'opportunité ou non d'accepter cette personne au barreau, mais de déblatérer sur la profession, peu importe le sujet qui n'est qu'un prétexte.

Protègè-je mon pré carré ? Bien sûr. Nous sommes 40 000 en France, 18000 rien qu'à Paris où j'exerce, et je tremble comme une feuille à l'idée qu'un nouvel avocat puisse prêter serment à Avignon. J'adore les critiques tellement bêtes qu'elles s'autodétruisent à peine formulées.

Si tout le monde en dit autant de bien, pourquoi ne pas l'accepter ?

Parce que si tout le monde en dit autant de bien, c'est qu'il a eu un parcours d'étudiant en droit après avoir eu un parcours de truand. Personne ne dit jamais rien pour vanter les mérites de ceux qui n'ont jamais choisi que la première voie. Pourtant ceux là ne me semblent pas moins vertueux et sans doute plus à leur place au barreau.

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