Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

lundi 19 juin 2006

lundi 19 juin 2006

Un petit moment d'insolence

Jean signale en commentaire un passage des auditions de la commission parlementaire sur l'affaire d'Outreau qui m'avait échappé. Il s'agit de l'audition de plusieurs professeurs de procédure pénale, dont Madame Michèle-Laure Rassat.

Il s'agit d'un moment rare de liberté de parole et de ton dans un flot d'audition très consensuelles.

Avant de vous inviter, au choix, à lire ou voir ce moment, quelques mots sur ce professeur de droit, que j'ai eu l'honneur de voir en ses oeuvres universitaires.

Michèle Laure Rassat, on l'adore ou on la déteste. Ce deuxième groupe est plus nombreux que le premier, surtout chez ses étudiants.

Elle se compte parmi les professeurs de tendance plutôt répressive : la procédure pénale est pour elle avant tout l'arme de défense de la société contre des comportements antisociaux dangereux, plus que le siège de la protection des individus face à l'Etat exerçant sa prérogative de répression. Elle est très critique, c'est peu de le dire, avec le législateur, et n'a pas l'habitude de mâcher ses mots, surtout en amphi (ses articles pour les revues de droit étant un peu plus conformes au ton apaisé de la doctrine juridique). Son manuel, hélas inachevé[1], de droit pénal spécial est à mon sens un excellent ouvrage, car elle propose une réflexion criminologique et pointe du doigt les incohérences du législateur, donnant ainsi des munitions à tout avocat pour plaider sur le droit, et de manière générale permet par cette approche critique une meilleure compréhension de la matière.

Michèle Laure Rassat terrifiait ses étudiants qui devaient passer l'oral de procédure pénale avec elle. Et s'agissant des étudiantes un peu trop émotives, fondre en larmes en plein oral n'était pas exactement efficace pour attirer sa pitié. On était plus proche de Severus Snape[2] que de Minerva MacGonagall. Mais cette sévérité ne venait pas d'un sadisme particulier mais de la très haute opinion qu'elle avait de la faculté, qui impliquait qu'elle était impitoyable avec les étudiants qu'elle n'estimait pas à la hauteur. Et en effet, quand on étudie la procédure pénale, c'est qu'on envisage une carrière dans la magistrature, la police ou au barreau, et fondre en larme à un simple oral ne présage rien de bon face à un vrai dossier où les victimes et les auteurs sont bien réels.

Enfin, elle n'a jamais caché ses amitiés politiques, notamment avec Jacques Toubon, qui lui avait confié la rédaction d'un rapport envisageant une refonte de toute la procédure pénale, du soupçon d'infraction (domaine de l'enquête de police) jusqu'à l'exécution des peines, bref la procédure pénale de A à Z. Ce rapport peut être consulté sur le site de la documentation française, le voici au format PDF.

Ce rapport ne se conclut pas par "80 propositions", mais contient un projet de code de procédure pénale clefs en main, avec les variantes selon les choix à opérer par le législateur. La méthode me séduit : confier ce travail à une personne compétente, et travaillant seule, assure une cohérence du résultat : c'est ainsi après tout qu'a été rédigé le Code civil[3] avec le succès que l'on sait.

Las, à peine ce rapport rendu, le Président de la République dissolvait intempestivement l'Assemblée, et voyait son parti battu largement par la gauche. Le rapport Rassat était aussitôt enterré sans fleurs ni couronnes, ce que son auteur n'a jamais digéré. Le retour de la droite aux affaires n'y a rien fait. Enfin, pas tout à fait, certaines de ses propositions ont été reprises, mais au lieu du bloc cohérent qu'elle proposait, c'est la technique du patch législatif qui a été utilisé (ainsi la CRPC rappelle-t-elle la proposition d'ordonannce pénale sans audience par accord entre le ministère public et les parties).

D'où sa mauvaise humeur d'être appelée à donner son opinion dix ans après. Elle décide donc de faire savoir abruptement à la Commission qu'elle estime avoir déjà dit tout ce qu'il y avait à dire, que cette commission n'est selon elle destinée qu'à faire de la gesticulation médiatique (ce en quoi les faits lui ont donné raison) et qu'elle redoute que cette tragédie judiciaire n'entraîne une réfome désarmant la justice pénale, alors que dans cette affaire, il y a bien eu des enfants victimes de faits abominables, ce que l'opinion publique a tendance à oublier croyant qu'en fait il ne s'est rien passé à la cité du Renard et que tout le monde était innocent.

On aime ou on n'aime pas, que ce soit le personnage ou les propos.

Mais il y a quelque chose de jouissif à entendre une telle liberté de ton, et de voir quelqu'un dire ses quatre vérités au législateur.

Ce serait dommage de s'en priver. Surtout pour la tête que fait le président Vallini.

Alors voici le compte rendu écrit des débats[4], et la vidéo de cette audition. Patientez le temps que le président ouvre la séance, Madame Rassat est la première intervenante (Je précise pour ceux qui veulent voir la vidéo qu'il ne s'agit pas de sa couleur naturelle de cheveux).

Notes

[1] Il ne traite en effet que des livres II et III de Code pénal, c'est à dire les infractions contre les personnes et contre les biens, laissant de côté les infractions contre la nation et la paix publique du livre IV qui inclut des infractions très courantes comme les faux.

[2] Severus Rogue dans la traduction française de Harry Potter.

[3] Les rédacteurs étaient en fait quatre : Tronchet, Malville, Bigot de préameneu et Portalis, mais chacun s'est occupé de rédiger seul sa partie du Code avant de soumettre le résultat de son travail à ses trois collègues au cours de réunion où le Premier consul participait souvent, en influençant le contenu du Code, pas toujours de manière très heureuse il est vrai.

[4] Document très long, puisque toutes les retranscriptions sont sur la même page. Cherchez la table ronde du 21 juin.

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.

Calendrier

« juin 2006 »
lun.mar.mer.jeu.ven.sam.dim.
1234
567891011
12131415161718
19202122232425
2627282930

Contact