Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 19 janvier 2007

vendredi 19 janvier 2007

Prix Busiris pour Alberto Gonzales

Et quel prix Busiris, mes aïeux ! Il efface à lui tout seul les précédents récipiendaires ! C'est à l'unanimité au premier tour de scrutin que le prix est attribué à Alberto Gonzales, U.S. Attorney General, c'est à dire ministre de la justice des Etats-Unis, par acclamations, et avec mention "Admiration hystérique du jury proche de la pâmoison".

(Alberto Gonzales, photo U.S. Department Of Justice)

Monsieur Gonzales était entendu hier par une commission sénatoriale piquée par la curiosité sur de bien cocasses pratiques qu'aurait eu l'Administration[1] en place, notamment sur une controverse relative l'Habeas Corpus de certains prisonniers.

L'Habeas Corpus est une vieille loi anglaise, qui a été fixée par écrit en 1649, mais remonte aussi loin que le XIIe siècle, qui pose des garanties à toute personne emprisonnée de pouvoir contester son emprisonnement devant une cour supérieure à celle qui l'a ordonné, en dernier ressort devant le roi. Habeas corpus sont les premiers mots de l'ordre donné par le juge au geôlier de lui amener le prisonnier pour qu'il l'entende (habeas corpus ad subjiciendum et recipiendum : "Aie la personne du prisonnier avec toi en te présentant à la cour pour qu'il soit entendu"). Aujourd'hui, cela s'entend du droit de toute personne incarcérée de porter devant un juge la contestation de son incarcération.

La Constitution américaine le cite expressément, et pas dans le Bill Of Rights, la déclaration des droits, composée des amendements 1 à 10, adoptés en 1791 peu de temps après la Constitution, mais dans le corps même de la Constitution :

Article 1, section 9, alinéa 2 : Le privilège de l'ordonnance d'habeas corpus ne pourra être suspendu, sauf dans les cas de rébellion ou d'invasion, où la sécurité publique pourrait l'exiger.

On pourrait donc croire qu'il est bien protégé. De fait, il n'a été suspendu que deux fois : Par Lincoln durant la guerre de Sécession, et par Grant en 1870 (Tiens ? Deux Républicains...) dans le cadre de la lutte contre le Ku Klux Klan.

En tout cas, il n'est pas à l'abri de l'imagination de Monsieur Gonzales, qui a osé tenir ces propos devant la commission sénatoriale (traduction de votre serviteur), en réponse à une question du sénateur Arlen Specter (Républicain, Pennsylvanie) :

Il n'y a pas de garantie expresse d'Habeas [corpus] dans la Constitution ; il y a une interdiction de le suspendre.

On imagine la surprise de l'honorable Congressman.

Attendez une minute : la Constitution dit que l'on ne peut pas le suspendre sauf en cas de rébellion ou d'invasion. Cela ne signifie-t-il pas que vous avez le droit d'Habeas Corpus à moins qu'il ne se produise une rébellion ou une invasion ?

Réponse de l'Attorney General :

La Constitution ne dit pas que tout individu aux Etats-Unis ou tout citoyen se voit accorder ou garantir le droit d'Habeas Corpus. Elle ne dit pas cela. Elle dit simplement que ce droit ne peut pas être suspendu sauf en cas de rébellion ou d'invasion.

Admirons la réserve de la réplique du Sénateur Specter :

J'ai l'impression que vous violez votre interdiction d'outrager l'intelligence.

Je vous rappelle les critères du Prix Busiris : une affirmation juridiquement aberrante, si possible contradictoire, teintée de mauvaise foi et mue par l'opportunité politique plus que par le respect du droit.

Je crois que là, nous avons un cas d'école ; j'ai presque envie de rebaptiser le prix Busiris prix Gonzales.

Monsieur l'Attorney General, je vous présente mes félicitations. Sortir ça à un oral de première année serait déjà inexcusable.

Mais devant une commission sénatoriale, en plus, vous y mettez le panache.

Notes

[1] Dénomination du gouvernement des Etats-Unis.

Big Brother Awards 2006 : the Eolas touch

Chaque année, l'association Privacy International organise les Big Brother Awards, une distribution de prix "aux institutions, sociétés ou personnes s’étant distinguées par leur mépris du droit fondamental à la vie privée ou par leur promotion de la surveillance et du contrôle des individus".

image d'un BB award

La remise des prix 2006 a lieu demain soir à l’espace Confluences - Maison des arts urbains, 190, Bd Charonne, Paris 20ème - M° : Alexandre Dumas. Elle sera retransmise en directe sur Téléplaisance.org, visible via internet ou sur la plupart des bouquets numériques.

Je signale cette manifestation car les organisateurs m'ont demandé cette année de participer au jury, ce que j'ai accepté bien volontiers.

Je ne serai pas présent à la cérémonie, mais ai rédigé le texte de la remise d'un des prix.

La liste des nominés dans chaque catégorie (Etat et élus ; Entreprise ; Ensemble de son oeuvre ; Localités ; Novlang) est ici. Comme on ne peut pas donner tout le temps des mauvais points, il sera aussi attribué un prix Voltaire rendant hommage à un engagement exemplaire contre ces atteintes à la sphère intime.

Je reprendrai lundi la liste des lauréats, qui ont bien mérité leur prix. Qu'ils reçoivent par anticipation mes félicitations.

Mise à jour : La liste des heureux gagnants.

Petit vademecum à l'usage des jurés d'assises (3)

Nous en arrivons maintenant au jugement proprement dit.

Une fois l'accusé interrogé sur son identité et le jury constitué, les avocats des parties civiles se lèveront et déclareront se constituer partie civile au nom de leurs clients respectifs. Si la défense soulève une irrecevabilité de constitution de partie civile, elle est réglée immédiatement par la cour seule (les trois magistrats). Puis les débats commenceront.

Ils vont commencer par une longue lecture par le greffier, celui de l'ordonnance de mise en accusation. Il s'agit de l'acte, rédigé par le juge d'instruction, qui fait la synthèse de ce qu'il a pu établir au cours de l'instruction et qui, selon lui, fait résulter contre l'accusé des charges suffisantes d'avoir commis le crime pour lequel il est jugé. Cette lecture peut être fastidieuse si le greffier le lit avec la même conviction qu'une liste des courses, et pourtant elle est très importante.

D'où mon premier conseil, qui est valable pour toute l'audience : prenez des notes. Ca vous évitera la narcose due à la monotonie, et quand vous serez dans la salle des délibérés, vous n'aurez pas le droit de consulter le dossier. La cour vous fournira du papier en quantité illimitée, alors lâchez-vous. Une page par événement, que vous numéroterez et daterez avec l'heure, avec en haut de la première page, écrit en gros, l'intitulé « Accusé », « Dr Machin, expert », « Victime »... Ca vous aidera à vous y retrouver. Si un passage vous semble important, marquez un astérisque dans la marge pour le retrouver par la suite.

Une fois cette lecture terminée, l'audience se déroulera en deux temps. L'ordre n'est pas immuable, il aura été fixé par le président en accord avec l'avocat général et les avocats des parties. Car il se passe des choses dans votre dos. Les avocats, l'avocat général et le président se concertent. Il est d'usage que tous se retrouvent dans le bureau du président avant l'audience pour se présenter, se saluer et se mettre d'accord sur le déroulement de l'audience, les témoins de dernière minute, etc.

Les deux temps sont : les faits, et la personnalité.

Les faits :

L'accusé sera interrogé sur ce qu'il a fait, ou prétend avoir fait ; la partie civile, si elle est encore de ce monde, racontera sa version, puis les éventuels témoins, qui ont attendu en dehors de la salle d'audience dans une pièce à cet effet, viendront à leur tour raconter ce qu'ils ont vu. Les policiers ou gendarmes ayant procédé à l'enquête sont également convoqués, du moins l'officier de police judiciaire qui dirigeait l'enquête, et les éventuels experts ayant procédé à des expertises sur les faits (l'expert balistique pour l'arme, l'expert biologiste sur l'ADN, j'ai même vu une fois un expert acoustique pour démontrer que l'un des témoins ne pouvait pas ne pas avoir entendu un coup de feu...).

Chaque déposition suit le même schéma : le président pose les questions qu'il souhaite, demande aux jurés s'ils ont des questions à poser, généralement en leur demandant de la lui transmettre par écrit pour éviter toute déclaration malheureuse contraire au devoir d'impartialité, puis demande à l'avocat des parties civiles, puis à l'avocat général, puis à l'avocat de la défense s'ils ont des questions à poser. L'étiquette impose de ne pas s'adresser directement à la personne à la barre, car nous sommes censés demander au président de poser la question. Le code de procédure pénale prévoyait autrefois que les questions devaient être posées ainsi. Ce n'est plus le cas mais la pratique reste et cela évite un ton trop virulent avec un expert hésitant ou un témoin récalcitrant. Ca donne ceci :

« Monsieur le président, pourriez vous demander au témoin s'il a vu l'accusé l'arme à la main ? », le président disant au témoin : « Veuillez répondre, je vous prie. » Ca, c'est la vieille école. Plus simplement, ça peut aussi donner :

« Monsieur l'expert pourrait-il nous dire si la blessure révèle à quelle distance le coup a été tiré ? »

Toutes les personnes entendues sont censées s'adresser directement au président, et seront rappelées à l'ordre si elles se tournent vers une des parties. La disposition de certaines salles, comme les petites assises de Paris ou la 3e section, font que les avocats sont derrière la personne à la barre, et s'adresser directement à elle revient à tourner le dos à la cour, ce qui est grossier, et gêne l'acoustique. De même, elles ne doivent jamais s'adresser directement à l'accusé. Les débats doivent se dérouler dans la dignité. Les explosions sont rares, mais quand elles se produisent, elles sont violentes.

La personnalité :

La encore, témoins et experts vont se succéder. Les témoins seront les proches de l'accusé ou de la victime : les parents, s'ils sont vivants et connus, les amis, mais aussi les assistants sociaux, les éducateurs, tout ceux qui auront des éléments à apporter pour connaître l'accusé, d'après le président, le parquet ou un des avocats.

Les experts seront au nombre de deux : l'enquêteur de personnalité, psychologue de formation, qui expliquera ses valeurs, ses motivations dans la vie, les expériences passées ayant influé sa personnalité ; et l'expert médico-psychologique, psychiatre de formation, qui de son côté recherchera si une pathologie mentale a influé son comportement, et quels sont les traits psychiques marquants de sa personnalité (personnalité narcissique, paranoiaque, voire perverse). D'autres experts peuvent être cités, notamment si une contre expertise a été demandée.

Je vous assure qu'à la fin de cette partie, vous n'aurez jamais connu quelqu'un aussi bien, pas même vous-même. C'est une mise à nu terrible : vous saurez tout de lui. A quel âge a-t-il eu son premier rapport sexuel (même s'il est jugé pour meurtre et non pour viol), ses complexes, ses obsessions, ses blessures secrètes.

Une fois tout le monde entendu, le président donnera lecture de pièces du dossier qu'il estime utile de porter à la connaissance du jury, et demandera aux parties, ministère public inclus, quelles pièces non citées il souhaite entendre lire aux jurés. C'est un moment important, car une fois les débats clos, le dossier ne sera plus touché, et ne suivra pas la cour dans la salle des délibérés.

La cloture des débats.

Le président déclarera enfin les débats clos. Après une courte suspension d'audience pour permettre au jury de se rafraîchir (il y en aura eu d'autres, notamment pour déjeuner), la parole sera donné aux avocats des parties civiles, puis à l'avocat général pour ses réquisitions, et après une nouvelle suspension d'audience, à l'avocat de la défense pour sa plaidoirie.

La partie civile souhaitera démontrer la culpabilité de l'accusé, et porter la parole de la victime. Elle ne suggérera pas de peine, tout au plus indiquera espérer de la sévérité ou au contraire de l'indulgence. Et tentera par avance de démonter les arguments les plus probables de la défense.

L'avocat général parle au nom de la société qui poursuit l'accusé. Sa parole est libre. Il peut très bien requérir un acquittement si les débats l'ont convaincu de l'innocence, ou tout simplement l'ont fait douter de la culpabilité. Le plus souvent, il démontrera la culpabilité et évaluera la dangerosité de l'accusé, la conclusion de ce raisonnement étant une proposition de peine. C'est une simple proposition, qui ne vous liera pas. Vous pouvez aller au-delà, la seule limite étant le maximum prévu par la loi, et le minimum, qui est d'un an, ou de deux si la réclusion criminelle à perpétuité est encourue.

L'avocat de la défense prendra enfin à son tour la parole. Ecoutez-le attentivement. C'est peut être moi. Selon le dossier, il tentera soit de démontrer l'innocence, ou à tout le moins que la culpabilité n'est pas prouvée, ou si elle l'est vous rappellera tout ce qui a été apporté aux débats qui milite en faveur de l'indulgence, de l'espoir de réinsertion, de l'opportunité d'une peine légère.

Ne commettez pas l'erreur de la plupart des jurés : prenez des notes pendant ces plaidoiries et réquisitions. Vous en aurez aussi besoin lors du délibéré. Notez les arguments-lefs, les points forts, les moments où vous vous dîtes : "Là, il a raison, c'est important" ou au contraire "Ca ne tient pas parce que...". Les autres auront besoin de ces éléments pour se décider.

Les parties civiles et le parquet peuvent demander au président de répliquer, mais l'avocat de la défense aura toujours la parole en dernier.

Le silence vient de retomber sur le prétoire. le président va se tourner vers l'accusé pour lui dire ces célèbres mots : "Accusé, levez-vous". Il lui demandera s'il a quelque chose à ajouter. C'est un moment de terreur pour l'avocat de la défense car ce sont ces mots que vous allez emporter dans la salle des délibérés.

Puis le président déclarera les débats clos. Il ordonnera que le dossier de la procédure soit déposé entre les mains du greffier, et ne gardera avec lui que l'ordonnance de mise en accusation. Cela a pour but d'assurer l'oralité des débats devant la cour d'assises.

Le président donnera ensuite lecture des questions qui vont être posées au jury. Ce sont sur ces questions et elles seules que vous délibérerez. Les parties peuvent demander par voie de conclusions que telle ou telle question soit posée, ou qu'elle soit formulée différemment. La cour statue seule (les trois juges uniquement) sur ces conclusions. Elles commencent toutes par : "L'accusé est-il coupable d'avoir...". Vous n'avez pas idée du casse tête juridique que peut être la rédaction de ces questions, et la loi prévoit que vous soyez tenu à l'écart. Sachez qu'on en fait des thèses et que la jurisprudence de la cour de cassation est volumineuse. Avant l'appel criminel (qui remonte à 2001 seulement), la formulation des questions était le principal socle d'un pourvoi en cassation. Des têtes dépendait que telle ou telle formulation. Si les faits peuvent faire l'objet de plusieurs qualifications, des questions subsidiaires sont posées.

Exemple de question : A est accusé d'avoir tué B. Le fait qu'il ait acheté l'arme du crime la veille laisse supposer une préméditation. Afin de faire passer le meurtre pour un crime crapuleux, il aurait également volé le portefeuille de la victime qui contenait mille euros, portefeuille qu ia été retrouvé chez A.

Première question : L'accusé est-il coupable d'avoir volontairement oté la vie à B ?

Deuxième question : S'il a été répondu oui à la première question, a-t-il agi avec préméditation ?

Troisième question : L'accusé est-il coupable d'avoir frauduleusement soustrait le portefeuille de B ?

S'il est répondu oui à la première question, A est déclaré coupable de meurtre et encourt trente ans de réclusion. S'il est répondu oui aussi à la 2e question, il est déclaré coupable d'assassinat et encourt la perpétuité. S'il est répondu oui à la troisième, il encourt trois ans d'emprisonnement, ce qui est un détail s'il y a déjà eu un ou deux oui.

On peut aussi ajouter des questions sur les causes d'irresponsabilités, ce qui change la formulation :
Exemple pour la légitime défense.

Première question : L'accusé a-t-il oté la vie à B. ?

Deuxième question : L'accusé bénéficie-t-il pour ce fait de la cause d'irresponsabilité pénale prévue par l'article 122-5 du code pénal selon lequel n'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte. ?

une fois que tout le monde est d'accord avec les questions ou a émis ses réserves, le président prend une dernière fois la parole. C'est pour moi un des moments les plus forts de l'audience. Il va dire qu'avant que la cour ne se retire, la loi lui fait l'obligation de lire cette instruction, qui est affichée en gros caractère sur les murs de la salle des délibérations.

C'est pour moi un des plus beaux textes qu'ait produit la langue française : c'est la définition même du travail du juge. Admirez la précision des termes employés, la beauté de la langue. Quand on lit le J.O. aujourd'hui, on a honte pour les parlementaires.

La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : "Avez-vous une intime conviction ?"

Si l'accusé est prisonnier, il ordonnera à l'escorte de le retirer de la salle d'audience. S'il est libre, il lui enjoindra de ne pas quitter le palais de justice pendant le délibéré. Le service d'ordre y veillera. En effet, les décisions de cour d'assises sont immédiatement exécutoires et l'accusé libre condamné sera immédiatement arrêté et conduit en prison. Il invitera le chef du service d'ordre à garder les issues de la salle des délibérations dans laquelle nul ne pourra pénétrer, pour quelque cause que ce soit, sans l'autorisation du président.

"L'audience est suspendue" conclura-t-il, avant de se lever avec la cour et le juré et d'aller dans la salle des délibérés. Les jurés supplémentaires iront au secret dans la salle des témoins à présent vide, au cas où un des jurés devait être remplacé. Cela n'arrive jamais, et les pauvres ont eu droit à tous les débats, attendront des heures isolés sans qu'à la fin quiconque leur ait demandé leur avis. Voilà pourquoi je vous disais de prier de ne pas être juré supplémentaires.

Les délibérations.

Vous allez vous retirer, les neuf jurés et les trois juges, dans la salle des délibérations. Vous la connaîtrez déjà : c'est là que vous serez réunis lors des suspensions d'audience. C'est même là que vous laisserez vos manteaux. Généralement, un petit buffet est installé : café, boissons, sandwiches, car les délibérations prennent du temps.

La loi ne prescrit aucune organisation particulière : c'est le président qui décide du déroulement. Généralement, chacun est invité à donner ses impressions et à poser les questions qu'ils souhaitent au président. Exceptionnellement, si la consultation du dossier se révélait nécessaire, le président ordonnerait que le dossier soit amené dans la salle des délibérations, et ferait entrer les avocats et l'avocat général. Il ouvrirait le dossier devant eux, consulterait la pièce en question, et le dossier serait rapporté au greffe, tandis que les avocats et l'avocat général quitteraient la salle. Il leur est interdit de prendre la parole, ils ne sont là que pour constater quelles pièces sont consultées. En pratique, c'est rarissime.

Une fois que chacun s'est exprimé, le président fait procéder au vote. Chaque juré prend un bulletin marqué du cachet de la cour, où est écrit "En mon âme et conscience, ma réponse est : ...". Il écrit dessus "oui" ou "non", et remet le bulletin plié dans une urne. Une fois les douze bulletins déposés, le président décompte les voix sous la surveillance de tous. Chacun peut vérifier les bulletins. Pour toute décision défavorable à l'accusé (y compris qui refuse une cause d'irresponsabilité), il faut une majorité de huit voix au moins.

Pourquoi huit ? Car si les trois magistrats votent dans un sens défavorable, il faudra en plus la majorité absolue du jury (5 voix sur neuf). Si les trois magistrats votaient au contraire en faveur de l'accusé, pour contrebalancer leur vote, il faudrait que tout le jury sauf un juré vote dans un sens contraire (huit voix sur neuf), donc qu'il y ait une quasi unanimité de leur part. C'est une pondération des votes.

Chaque vote n'a lieu qu'une fois, sauf si des réponses sont contradictoires, auquel cas il faut revoter. Après chaque vote, les bulletins sont immédiatement brûlés (dans certaines cours d'assises modernes, les architectes n'ayant pas prévu de cheminée, les bulletins sont passés à la broyeuse ; il faudra que je soumette ça un jour à la cour de cassation).

Si une culpabilité a été voté, les délibérations ont lieu sur la peine. Une nouvelle discussion a lieu, et chacun peut proposer la peine qui lui semble adéquate. La peine s'adopte de la même façon ("en mon âme et conscience, ma réponse est : X années") à la majorité absolue, donc 7 voix au moins ,sauf si c'est le maximum qui est proposé, auquel cas il faut huit voix au moins.

Si au bout de deux tours de scrutin, aucune majorité ne se dégage, la peine proposée la plus haute est écartée, et on revote. Et à chaque tour de scrutin, la peine la plus haute est écartée, jusqu'à ce qu'une majorité absolue se dégage.

Si la peine prononcée est de cinq ans ou moins, la cour peut voter sur le point d'accorder ou non un sursis. Elle peut également voter des peines complémentaires prévues par la loi, mais c'est rare en cours d'assises. De même, la cour peut voter pour savoir si la peine aura l'exécution provisoire, ce qui implique l'arrestation immédiate de l'accusé libre.

Une fois que toutes les questions auront été traitées et la peine votés (une seule peine est votée quel que soit le nombre de chefs d'accusation, qui couvre l'ensemble des faits retenus), le président fait informer le greffier de ce que le verdict va être rendu.

Et pendant ce temps, il se passe quoi, dehors ?

Dès que vous serez entrés en délibérations, le greffier prendra le numéro de portable des avocats, qui pourront vaquer librement.

L'avocat général ira attendra dans son bureau, qui a un téléphone interne. Tout le monde sait que la délibération durera longtemps (je mettrais une moyenne à deux ou trois heures). L'accusé reste sous garde policière. Les avocats vont se précipiter sue leur téléphone portable afin de répondre aux messages de la journée, donner des consignes et engueuler les collaborateurs. Ils sont là pour ça : pour que leur patron se passe les nerfs sur eux. Pas vrai, chers jeunes confrères ? Puis ils iront se réfugier, si l'heure leur permet, dans un café voisin, sinon ils feront les cent pas dans les couloirs déserts. Pour ma part, je ressens toujours le besoin de m'isoler au moins une heure, le temps de maîtriser l'angoisse, de pouvoir analyser à froid les impressions que j'ai eues, car ma première impression est toujours pessimiste, et la deuxième trop optimiste.

Décrire ce qu'on ressent pendant le délibéré est difficile. C'est puissant, en tout cas : un mélange de peur, d'excitation, des phases d'abattement (j'ai été nul, j'ai oublié de dire ça...) et d'euphorie (le deuxième juré a hoché la tête quand j'ai dit ça, je pense que je l'ai convaincu...). L'adrénaline est là, en tout cas : j'ai les mains qui tremblent, la respiration courte, et je ne peux pas rester en place. C'est une sorte de transe. Et quelle que soit mon angoisse, j'adore ces moments. Les dés sont jetés, il n'y a plus qu'à attendre, le poids de la responsabilité a disparu provisoirement, on est léger, aérien, on a le cerveau qui fonctionne à cent à l'heure, les sentiments se succèdent dans un maelström. On se sent vivant.

Quand je retrouve un état normal, je peux enfin discuter un peu avec mon client, sa famille, avec le greffier aussi, dont les impressions sont précieuses. Avec le service d'ordre aussi. Et même l'avocat général, qui revient quand il pense que le jury a bientôt terminé. Tout le monde est en attente, c'est comme un entracte, ça facilite considérablement le dialogue. Après tout, on a vécu ensemble intensément ces derniers jours, et on est sur le point de se quitter, mais la chute est encore inconnue. C'est une fraternité qui apparaît. C'est généralement dans ces moments là que les familles des victimes et des accusés se parlent, parfois pour la première fois, en tout cas sur un ton apaisé. C'est une atmosphère vraiment extraordinaire.

Puis le moment arrive. Si on est ailleurs, nos mobiles sonnent "Maitre Eolas ? Monsieur Scribe, greffier de la cour d'assises. La cour a fini de délibérer, nous vous attendons". Branle bas de combat, on file vers la salle en enfilant sa robe. Le coeur bat à cent à l'heure, les mains tremblent, c'est reparti.

Quand tout le monde est là, le greffier va informer le président, les mines sont graves.

Le verdict.

La cour fait son entrée, chacun reprend sa place. Les avocats scrutent les jurés qui semblent être devenus des sphynx (ils sont épuisé, il faut dire).

Le président fait entrer l'accusé, et donne lecture des réponses aux questions. A ce stade, seuls les avocats savent ce qu'il en est, car cela donne :

"A la question 'l'accusé est-il coupable d'avoir volontairement oté la vie à X ?', il a été répondu "oui" à la majorité de huit voix au moins..."

Traduction : l'accusé est coupable de meurtre.

Puis le président doit donner lecture des articles punissant ces faits. En pratique, il énumère les numéros et demande à l'avocat de la défense : "Maître, ces articles peuvent-ils être considérés comme lus ?", ce à quoi nous répondons toujours oui, pressés que nous sommes de savoir. La même question est posée à l'avocat général et aux parties civiles, qui sont toujours d'accord aussi.

Et il reprend : "En conséquence, la cour condamne (nom de l'accusé) à la peine de ... années de réclusion criminelle (si la peine est supérieure à dix années, sinon, ce sont des années d'emprisonnement)". A ce moment là, quelqu'un se met toujours à pleurer. Que ce soit la victime si la peine est légère ou la mère de l'accusé si elle est lourde. Parfois les deux pleurent, ce qui est contrariant pour la cour, je suppose.

Si l'accusé est détenu, sa condamnation emporte maintien en détention ; s'il est libre, sa condamnation à de la prison ferme entraîne mandat de dépôt et il est immédiatement interpellé par les policiers ou gendarmes présents.

Bien sûr, il y a une variante.

"A la question 'l'accusé est-il coupable d'avoir volontairement ôté la vie à X ?', il a été répondu non par cinq voix au moins. En conséquence, la cour prononce l'acquittement de (nom de l'accusé)."

Bien évidemment, dans ce cas, la cour n'aura pas voté sur la peine. L'accusé est le cas échéant immédiatement remis en liberté.

Aussitôt l'arrêt rendu, le président libérera le jury en le remerciant, et déclarera que l'audience sur l'action publique est levée. Il ajoutera que l'audience sur l'action civile aura lieu dans quelques minutes.

Et après ?

Pour les jurés, c'est terminé. Ils peuvent rentrer chez eux, sous réserve d'être présent au prochain tirage au sort. Mais la cour n'en a pas fini. Il reste la question des dommages-intérêts, qui peuvent dans certains cas être dus même en cas d'acquittement (acquittement pour démence, existence d'une autre source de responsabilité que la faute pénale...). Vous pouvez rester, même s'il est tard, car cela fait partie du dénouement. Et c'est TRES rapide. Et vous verrez, le prétoire est désert.

Cinq minutes plus tard environ, la cour revient, seule, c'est à dire sans le jury. Elle déclare l'audience civile ouverte. L'avocat de la partie civile dépose des conclusions qu'il avait préparé préalablement demandant le prononcé de telle condamnation à titre de dommages-intérêts, outre une somme au titre de l'article 375 du CPP, c'est à dire le paiement des frais d'avocat. L'usage veut que l'on plaide brièvement, tout le monde étant épuisé ; et on est entre juristes : cette audience ressemble beaucoup aux audiences ordinaires. Les demandes sont écrites, on sait de quoi on parle, le vocabulaire est technique. La parole est donnée à l'avocat général, qui dira "je m'en rapporte", comprendre : ... à la sagesse de la cour. Le parquet n'estime généralement pas avoir à intervenir dans les affaires d'ordre privé entre les parties. L'usage veut également que l'avocat de la défense s'en rapporte. Il peut éventuellement contester telle ou telle évaluation lui semblant démesurée, mais l'heure n'est plus aux grandes plaidoiries et la cour a sa jurisprudence.

La cour se retirera pour délibérer et reviendra cinq minutes plus tard avec un arrêt sur intérêt civil qui sera prononcé sur le champ.

le président se tournera alors vers l'avocat général. "Monsieur l'avocat général, avez vous d'autres réquisitions ?". Non répondra l'avocat général.

"L'audience de la cour d'assises est levée. Elle reprendra demain matin à neuf heures", sauf si l'affaire est la dernière de la session, auquel cas le président déclarera close la session.

L'affaire est terminée. Les parties ont dix jours pour faire appel si elles le souhaitent. Si l'appel ne porte que sur les intérêts civils, il sera jugé par la chambre des appels correctionnels.

La cour d'assises d'appel.

Depuis le 1er janvier 2001, il est possible de faire appel d'une décision d'assises. La cour d'assises d'appel est désignée par la cour de cassation. La procédure est identique, à quelques différences près :

Le jury est composé de douze jurés au lieu de neuf. Il y a donc quinze personnes qui jugent.

La majorité doit être de dix voix au moins pour une décision défavorable à l'accusé, et non pas huit.



Il faut à présent ôter sa robe, ranger son dossier étalé sur toute la table consacrée aux avocats, pendant que le chef du service d'ordre attend pour fermer à clef la porte de la salle d'audience. On retrouve la famille de son client, quand il en a une, pour discuter de la décision, des suites éventuelles : faut-il faire appel ? Quand sortira-t-il ? Ou au contraire célébrer l'acquittement. Il fait souvent nuit. Des verdicts tombent parfois très tard (deux, trois heures du matin). Cela contribue à cette atmosphère unique de la cour d'assises, quand on traverse le palais désert et silencieux. D'autres affaires nous attendent, mais là, il est l'heure d'aller dormir.

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